Archive pour août, 2016

Vacances (post)romaines (10): Les cerises de Castellania, village natal de Fausto Coppi

Mercoledi 1 giugno 2016, 16heures

Je vous avais prévenu, j’ai quitté un peu hâtivement le cher curé de Brescello, dans mon précédent billet, pour la cohérence de mon propos.
En effet, sitôt franchi le 45ème parallèle Nord matérialisé par un panneau sur l’autoroute, à défaut de changer de latitude, je plonge dans un autre monde, encore que, je l’ai mentionné à l’occasion durant mon séjour, le cyclisme soit une véritable religion de l’autre côté des Alpes.
Á partir de maintenant, j’ai un petit vélo (pas électrique !) qui court dans ma tête : j’avais souhaité, en planifiant mon voyage en Italie, l’achever en retombant à l’époque où j’étais bambino. C’était quelques années après la seconde guerre mondiale. C’était le temps où, avec mes petits coureurs en plomb quand le crachin normand s’invitait, ou sur mon petit vélo vert, dans les vastes cours de récréation de la maison école que dirigeait ma maman, je rejouais la légende des cycles que les radioreporters contaient dans le vieux poste à galène grésillant du salon ou que je découvrais en feuilletant avec avidité les superbes revues couleur sépia (et verte durant le Tour de France) Miroir-Sprint et But&Club achetées par mon père (je les possède encore).
Mais avant que mes professeurs de parents m’autorisassent à assouvir ma passion, il fallait que mes devoirs soient finis et mes leçons sues. Alors, avant d’entrer dans le vif du sujet de ce billet, profitant que je passe près de Spinetta Marengo, je vous impose une brève révision d’Histoire.
C’est en effet, dans ce village dépendant de la commune d’Alexandrie, dans la région du Piémont, que Bonaparte remporta, le 14 juin 1800, la bataille de Marengo l’opposant aux Autrichiens, avec le concours des troupes du général Louis Desaix tué lors des combats. La paix fut scellée par le traité de Lunéville signé le 9 février 1801.
Non accessoirement pour les gourmands que vous êtes, c’est en ces circonstances que fut créée fortuitement la fameuse recette du veau Marengo. Le cuisinier du Premier Consul accommoda les (bons) restes : il fit frire du poulet dans l’huile d’olive avec des tomates et de l’ail, et le servit avec des œufs au plat, des écrevisses troussées et des croûtons de pain dorés.
Napoléon apprécia et demanda qu’on lui resserve ce plat. Le cuisinier Dunand remplaça le poulet par du sauté de veau mais garda la sauce à la tomate à laquelle il donna le nom de Marengo en souvenir de la grande victoire du futur empereur. Au fil du temps, les écrevisses cédèrent leur place aux champignons, les œufs frits disparurent et le chef les remplaça par des oignons glacés et un demi-verre de vin blanc.
Ce contrôle d’Histoire et de ravitaillement passé, je contourne la ville de Tortona, de sinistre mémoire vous apprendrez pourquoi plus tard, pour rejoindre la Casetta di Lina, un accueillant bed and breakfast dans le paisible bourg de Villaromagnono. C’est ici que j’ai choisi d’établir mon camp de base, la nuit prochaine, avant de monter demain à Castellania, le village où naquit et repose l’immense champion cycliste Fausto Coppi.

Casetta di Lina

Je suis proche enfin de réaliser un rêve enfoui dans mon inconscient depuis plus d’un demi-siècle. Il dut peut-être trouver racine au mois de janvier 1961 lorsque parut le premier numéro de la merveilleuse revue mensuelle Miroir du Cyclisme.

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Elle consacrait sa Une et un long dossier au grand sportif italien décédé exactement un an auparavant.
J’ai souvent regardé cette splendide photographie de la couverture prise dans le col de l’Izoard lors du Tour de France 1951(et non 1952, je dis cela pour les puristes et archivistes) qu’il ne termina qu’à la dixième place, miné par un cruel deuil familial.
Deux ans plus tard, dans le même virage, présent en touriste spectateur, accompagné d’une mystérieuse « dame blanche », il photographiait Louison Bobet en passe de remporter son premier Tour de France. Une stèle avec leurs effigies leur rend hommage aujourd’hui, non loin de là, sur un piton rocheux de la célèbre Casse déserte : http://encreviolette.unblog.fr/2009/07/09/le-col-de-lizoard-col-mythique-des-alpes/
Le regard tendu vers la victoire, le style aérien en danseuse, le maillot de l’équipe nationale italienne juste floqué de la marque mythique bleu céleste des cycles Bianchi, un boyau de secours enroulé aux épaules, les bidons La Vitelloise, c’était la classe « rital » incomparable à côté des grotesques hommes sandwiches de maintenant ! Par mimétisme, tout môme, je m’harnachais d’une vieille chambre à air pour faire comme les champions !
Le brillant journaliste Maurice Vidal, directeur de la revue, écrivait dans son éditorial :
« Janvier à nouveau blanchit Castellania …
Il y a douze mois, en janvier, à Castellania, le destin cruel mais lucide décidait que la gloire de ce héros ne serait plus ternie. Héros de la jeunesse, Fausto conserverait à jamais le visage de celle-ci, avec la douceur enfantine de son regard. Qu’importe qu’on aime le cyclisme … Ce cycliste est digne de toutes les épopées …
Un homme naît, vit et meurt. Qu’importe où et quand. Seul importe comment.
Savant, écrivain, acteur illustre, champion ou humble travailleur, tout homme a le droit d’être jugé sur les richesses qu’il a fait jaillir de son corps, de sa tête et de son cœur.
Il est juste et bon que le nom de Coppi soit illustre, parce qu’il fut honnête, loyal, bon, généreux.
Parce qu’il a fait jaillir de sa carcasse étriquée une incroyable volonté. Parce qu’il a su choisir, vouloir et réussir.
Fantastiquement réussir.
Parce qu’enfin il fut le premier et le dernier campionissimo. »

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« Coppi il Mito del ciclismo », « Premio alla leggenda » affirme la Gazzetta dello sport, le grand quotidien sportif italien, avec une pointe de chauvinisme pour les accessits, car je placerais volontiers un champion normand cher à mon cœur avant Francesco Moser !
Les hiérarchies à travers les époques sont toujours sujettes à caution mais en ce qui concerne Coppi, son titre de meilleur coureur cycliste de tous les temps est indiscutable car il construisit son impressionnant palmarès en un âge d’or du cyclisme, l’après-guerre, marqué par une concurrence de champions exceptionnels à la personnalité bien trempée, son grand rival Gino Bartali, son compatriote Fiorenzo Magni, les Suisses Hugo Koblet et Ferdi Kubler, les Belges Rik Van Steenbergen et Stan Ockers, les Français Louison Bobet, Jean Robic et Raphaël Géminiani. Encore, convient-il d’ajouter que cinq années de guerre (au cours de laquelle il fut fait prisonnier) et de multiples accidents l’empêchèrent d’enrichir son palmarès.
Jacques Goddet, ancien directeur du Tour de France et du journal L’Équipe, se sortit de cette querelle d’Anciens et de Modernes par cette pirouette : « Le numéro 1 dans les résultats, c’est Eddy Merckx. Il y a pour moi quelqu’un qui est au-dessus de ce numéro un, c’est Fausto Coppi, parce qu’il s’est manifesté dans des conditions qui atteignaient le divin, le surhomme, par sa morphologie, par sa nature physique. »
Grâce à « Fostò » (comme on dit chez nous), j’appris, tout gamin, mes trois premiers mots d’italien : campionissimo, gregario, tifosi. Grâce à la très aimable signora Lina, j’apprends à prononcer enfin correctement son nom : Fasto Coppi avec l’intonation sur la première syllabe. Est-ce ma récompense, elle nous invite à cueillir quelques délicieuses cerises dans son verger.
Á partir de maintenant, ne m’en veuillez pas si mon propos est moins structuré qu’à l’habitude, je vous livre mes émotions telles qu’elles se bousculeront au fil des prochaines heures.
Déjà, savez-vous que la Casa Coppi, la maison natale de Fausto, ne se visite normalement que le week-end. J’avais envoyé un mail durant mon séjour romain pour signaler quand j’envisageais passer dans les parages de Castellania, et si … Je reçus un message le lendemain m’informant que le musée me serait ouvert le jeudi 2 juin ! J’en fus fort ému et heureux comme un gosse au pied du sapin de Noël.
Juin bleuit Castellania ! Il est mercredi 18 heures, la lumière est belle dans la campagne piémontaise … Si je montais déjà humer l’air de Castellania distant d’une dizaine de kilomètres ?

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Tous les chemins ou presque mènent à Castellania, une signalétique indique les Strade di Fausto e Serse Coppi, les routes où s’entraînaient les deux frères qu’ici, on réunit dans les mêmes hommages. Dans l’ombre envahissante de Fausto, Serse fut un authentique champion, vainqueur notamment de la grande classique Paris-Roubaix en 1949. Il mourut accidentellement suite à une chute dans le Tour du Piémont 1951. Fausto, abattu, rongé par le chagrin traîna son deuil, quelques jours plus tard, dans le Tour de France, hormis sa chevauchée dans l’Izoard.
La route sinueuse s’élève au milieu des collines tortonesi (région de Tortona) couvertes de sous-bois et de vignobles. Au détour d’un lacet, nous apercevons en bas, au loin, la plaine de Novi Ligure.
Nous approchons : comme pour nous rassurer de suivre le bon chemin, les murs des rares villages que nous traversons arborent quelques photographies géantes à la gloire du campionissimo.

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Est-ce un symbole, sur la première qui surgit devant moi, Fausto est respectueusement félicité par Gino Bartali, son aîné de quelques années, le grand rival de sa carrière.
J’ai déjà évoqué le Divismo dans mon billet précédent au sujet des démêlés inénarrables entre Don Camillo et Peppone, le prêtre et le maire communiste de Brescello : le peuple italien adore (ou du moins adorait) se diviser en deux camps opposés à propos de tout et de rien. Le cyclisme n’échappa pas au phénomène et les grands champions d’avant-guerre suscitaient bien des passions entre leurs tifosi (supporters) respectifs : Costante Girardengo et Alfredo Binda dans les années 1925, Binda et Learco Guerra au début des années 1930, puis Guerra et Bartali.
Comme la France, pas uniquement sportive, se partagea, au début des années 1960, entre « Poulidoristes » et « Anquetiliens », avec infiniment plus d’acuité encore, la péninsule s’était déchirée, dans les deux décennies précédentes, entre Fausto et Gino. Curzo Malaparte raconta cette rivalité outrancière, cette gigantomachie, dans un savoureux petit ouvrage : Bartali-Coppi deux visages de l’Italie. Comme Gino le Pieux avait la sympathie du parti Démocrate Chrétien, le Divismo fit de Fausto, pourtant catholique, baptisé et marié à l’église, … un communiste !

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Ça y est, je suis à Castellania ! Une photo de Fausto occupant toute la hauteur d’un transformateur marque l’entrée dans son village natal.
Je me gare à quelques mètres de là, face à la mairie, sur la place Serse Coppi. Dans un angle, presque discrètement, Fausto, sculpté dans le bronze, nous salue d’un geste hésitant entre Jules César et le Duce.

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Cette statue a une histoire. Á l’origine, elle fut taillée pour les Jeux Olympiques de Rome et installée à l’entrée du vélodrome construit pour la circonstance. Sa forme, pas du meilleur goût, voulait peut-être rappeler une grandeur passée. Après que l’anneau olympique eût été démoli, elle fut oubliée dans une réserve quelconque avant d’émigrer à Castellania.
En cette fin d’après-midi, c’est le calme et la volupté. Castellania est une minuscule commune, presque un hameau, qui compte aujourd’hui moins de 90 âmes. Où sont-elles ? Durant près d’une demi-heure, je ne rencontre absolument personne tandis que, tel un gosse dénichant des œufs de Pâques, je pars à la chasse aux images géantes disséminées sur les murs des rares maisons et anciens bâtiments agricoles.

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La vie et l’œuvre de Fausto (mais n’oublions pas Serse) défilent au rythme de mon errance dans la rue principale baptisée évidemment via Fausto Coppi Campione del Mondo di ciclismo.
Beaucoup de ces magnifiques photographies me sont familières. Je n’avais pourtant que treize ans quand Fausto décéda mais je les ai tant vues et revues à force de feuilleter journaux et revues sportives, des heures durant, dans le grenier familial. Nul besoin de géo localisation numérique, je peux souvent dire à quels exploits de Fausto elles correspondent et même débusquer certaines confusions relayées sur internet.
Je ne m’attarde pas devant la Casa Coppi qui me sera ouverte demain, encore que, en m’avançant dans une sente, à l’arrière de la maison je passe la tête dans un ancien poulailler et des appentis où, autrefois, charrues et herses devaient être entreposées. Sont-ce quelques vestiges d’une récente exposition, dans une semi pénombre, je tombe sur quelques clichés.

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De l’autre côté du petit chemin, c’est l’ancienne école, émouvante avec son minuscule préau encombré de panneaux pêle-mêle dédiés évidemment aux deux illustres frères. Ici, il ne viendrait à personne l’idée de dérober ces souvenirs laissés au vent, c’est le respect qui prévaut.

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Une photographie en témoigne, comme dans nos campagnes françaises d’antan, l’école de Castellania possédait une classe unique mixte à plusieurs niveaux. Autour de Fausto et Serse, ce sont près d’une cinquantaine d’écoliers qui posent en compagnie de leur jeune institutrice, la tante Albina.
« Sur un registre bien tenu, à la couverture verte un peu passée, et semblable à ceux qui portaient notre nom il y a de nombreuses années (d’abord le nom de famille, par ordre alphabétique, puis tous les prénoms et celui du père et de la mère, écrit en belle « anglaise »), la plume hésita un instant à côté de la date du 17 octobre 1927. L’encre glissa sur le papier épais et traça un « a » léger, léger. « A » comme « absent ». L’institutrice, une institutrice toute jeune, fut déçue. Ce jour-là, son élève préféré, Angelo Fausto Coppi, ne s’était pas présenté à la leçon. Que lui était-il arrivé ? »
Fausto le révéla peut-être de vive voix lorsqu’il revint vingt-six ans plus tard dans son ancienne classe toujours tenue par Zia Albina : il avait fait l’école buissonnière pour partir dans les collines tortonesi sur la bicyclette qu’on lui avait offerte ce matin-là, ce qui lui avait valu cent lignes comme punition. Les petits élèves de Castellania durent écarquiller les yeux en écoutant Fausto qui venait de remporter le championnat du monde sur route, quelques semaines plus tôt.
La petite école est, aujourd’hui, transformée en centre de documentation où l’on peut consulter des archives concernant Fausto et Serse. Il ne faut pas exagérer, je n’en ai pas sollicité l’ouverture. Je vous offre malgré tout un petit bijou d’émotion : une chanson, Pedala, dédiée à Fausto sur des images de ses extraordinaires chevauchées.

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Dans un billet écrit durant le Tour de France 1952, Max Favalelli, le regretté présentateur de l’émission Des chiffres et des lettres et remarquable auteur de mots croisés, initiait les lecteurs de But&Club à une science nouvelle, la Pédalologie :
« Le style, c’est l’homme. Rien n’est plus vrai en matière de cyclisme et l’on pourrait compléter ce premier aphorisme par celui-ci : « Montre-moi comment tu pédales, je te dirai qui tu es. »
Il est incontestable que l’individu, même le plus habile à masquer sa personnalité, se trahit par son écriture, sa manière de se vêtir, son rire, sa démarche. Il convient d’y ajouter, pour les champions cyclistes, l’allure adoptée sur un vélo et, de même qu’il existe des graphologues, on imagine fort bien un « pédalologue » qui ferait des études de caractères uniquement en suivant le Tour de France.
Pourquoi ne pas nous y essayer ? …
FAUSTO COPPI, voilà un type pas ordinaire. Si vous le rencontrez dans la rue avec ses épaules étroites, son buste d’oiseau, son bréchet proéminent, ses jambes trop longues, vous vous dîtes : « Pauvre gars, ça tient à peine debout. »
Après quoi, vous posez ce même souffreteux sur la selle d’une bicyclette et vous obtenez un couple homme-machine le plus harmonieux, en même temps que le plus efficace du monde entier.
Le premier mot qui vient à l’esprit de qui assiste à l’action de Coppi est celui d’aisance. Fausto vous donne cette admirable sensation que ne vous communiquent que les seuls artistes, à savoir que tout est possible, que le miracle est quotidien. Il possède le comble de la virtuosité, puisqu’il parvient à rendre celle-ci invisible.
Si vous vous étiez trouvé vendredi sur les pentes abruptes qui conduisent à l’Alpe d’Huez et que vous ayez vu passer Coppi, bien droit sur son vélo, les mains en haut du guidon, vous auriez pu vous dire : « Tiens, mais on m’a raconté des histoires, la route est parfaitement plate. » Puis vous auriez enfourché votre bicyclette et, au bout de dix mètres, vous auriez été réduit à l’état de soufflet de forge.
Je m’excuse de prononcer un bien gros mot, mais Coppi jouit du privilège des poètes, de ceux qui ont en dépôt au fond d’eux-mêmes des dons innés qui leur rendent facile ce que les autres hommes ne peuvent réaliser qu’à force d’application et de patience.
Lorsque des admirateurs, emportés par un enthousiasme excessif, lui administrent des compliments hors de raison, Fausto, qui est d’une simplicité totale, s’excuse : « Mais ce que je fais, c’est tout naturel. »
Le terme est exact et il permet d’ailleurs à mon ami Jean Eskenazi, qui lit ce que j’écris par-dessus mon épaule, de me lancer un trait :
– Ses adversaires sont pleinement de ton avis et ils trouvent Coppi si naturel qu’ils ne manquent jamais de dire à son propos : « Chassez le naturel, il s’enfuit au galop. » » (But&Club 7 juillet 1952)

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Le hasard fait bien les choses, surgissant d’une grange, Fausto semble rouler devant moi avec en arrière-plan, le décor grandiose des Dolomites, « au plus haut de la vallée brillent soudain, striées de coulées de neiges éclatantes, les murailles du Sassolungo, semblable à une cathédrale fantastique au moment de Noël » ainsi le décrivait Dino Buzzati dans le superbe recueil de ses chroniques sur le Giro 1949. Je reste en admiration devant ce presque tableau : « Est-ce que ce cavalier fantastique, homme, aigle ou centaure, n’aurait pas inspiré un Géricault ? » écrivit Maurice Vidal dans un éditorial intitulé La plus noble conquête du cyclisme.

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Une grille grince, Castellania n’est pas un village fantôme : un de ses habitants, un aimable retraité vient à ma rencontre. Il me tend la main pour m’offrir une poignée de cerises, la même variété que chez Lina, puis propose de me photographier au pied du cliché géant de Fausto. Il a tellement l’air d’y tenir et il compose son cadre avec tant d’application que je ne peux lui refuser ce « selfie à la mode de Castellania » !
La barrière de la langue ne saurait être un obstacle pour partager notre admiration envers le champion local. Je sors même ma formule magique pour capter l’attention de mon interlocuteur : « Ho visto correre Fausto, vero » ! J’ai vu courir Fausto en vrai ! Je sens sa surprise (il m’imaginait sans doute plus jeune) et sa joie. Maintenant, il faut que je me débrouille en italien pour lui détailler en quelles circonstances. La première fois, ce fut à l’occasion d’un Critérium des As. J’eus largement le temps de voir Fausto tourner autour de l’hippodrome de Longchamp en compagnie de Louison Bobet, Hugo Koblet et … mon futur campionissimo à moi Jacques Anquetil. Je revis une dernière fois Coppi en chair et en os, en 1958, à la veille du championnat du monde qui était organisé sur le circuit automobile de Reims. Il s’entraînait avec la Squadra Azzura (équipe nationale italienne), et mon frère immortalisa ce moment sur la pellicule dans un long travelling (mon père était au volant de la voiture) que je me promets de retrouver dans mes archives pour l’insérer ici. Ces images lointaines restèrent définitivement imprimées dans ma mémoire.
Il en est d’autres, mentales, que mon cher papa, admirateur de Fausto comme beaucoup de Français, transmit à son jeune fiston. Je me souviens encore que lors d’un voyage dans les Dolomites, précisément dans le col Pordoi où Fausto construisit plusieurs de ses succès dans le Giro, il m’avait confié que les tifosi, c’était dire leur idolâtrie, embrassait la chaussée après le passage du champion. Il était fréquent aussi qu’ils balayent la route devant lui pour éviter toute crevaison. Je n’étais pas allé jusqu’à déposer mes lèvres sur le goudron, mais je crois que j’avais dû faire quelques allers et retours sur la chaussée : « le grand Coppi a roulé là ! »

Milan San Rémo blog

Devant la grande découverte de l’arrivée triomphale de Fausto sur la via Roma lors de la classique Milan-San Remo 1948, je demanderais bien volontiers à mon nouvel ami s’il possède un souvenir personnel de l’édition de la Primavera 1946, peut-être alors gamin, se trouvait-il, le jour de la Saint Joseph, dans le col du Turchino tout proche de Castellania lorsque …
« Arriva Coppi ! annonçait le messager. Cette révélation que seuls les initiés avaient pressentie fila aussitôt vers la vallée, rebondissant d’un rocher sur l’autre, s’échappant d’entre deux lèvres pour s’engouffrer immédiatement dans une trompe d’Eustache : « Arriva Coppi ! Arriva Coppi ! répétait la rumeur, avec l’accent tonique sur la première voyelle du nom… »

Arriva Coppi blog

Pour en savoir plus sur cette anecdote tirée du livre de Pierre Chany, journaliste ès science du vélo, vous pouvez vous reporter au billet que j’avais consacré à ce monument du cyclisme qu’est Milan-San Remo : http://encreviolette.unblog.fr/2014/09/18/la-primavera-en-ete-sur-la-route-de-milan-san-remo/
Pour l’instant, j’ai quelque scrupule pour ma compagne qui doit commencer à s’impatienter dans la voiture. Enfin … pas exagérément quand même (!) car je pique la curiosité du cher monsieur en lui confiant que l’idole de ma jeunesse était Jacques Anquetil, mon voisin rouennais.
En y réfléchissant bien, mon admiration pour Coppi s’est probablement nourrie de l’arrivée de « mon » champion sur la planète vélo. Fausto se prit aussitôt de sympathie pour Jacques qu’il invita chez lui et imaginait comme son héritier. Le quotidien Paris-Normandie avait largement relaté cette rencontre dans ses colonnes et, bien évidemment, j’avais collé les photos des deux campionissimi (pardonnez-moi ce chauvinisme exacerbé) dans mes cahiers dédiés à Maître Jacques.

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Anquetil manifestait un profond respect pour son illustre aîné. Preuve en est, parmi les plus grands défis de sa carrière, il souhaita battre le mythique record de l’heure sur piste de Fausto et réussir le même exploit (unique à l’époque) de gagner dans la même année le Giro di Italia et le Tour de France. Sur un plan privé, il séduisit comme Fausto une « dame blanche », il le surpassa même au travers d’une vie conjugale compliquée que je laisse aux échotiers friands de sensationnel.
« Jaqué Anquétil », comme le prononce mon ami piémontais avec un délicieux accent, vint à Castellania, au moins une fois, pour les obsèques de Fausto.
Anna, ma future guide de la Casa Coppi, traverse la route : « C’est il francese qui vient visiter demain ! »
Et voilà maintenant que mon « photographe personnel » arrête un 4×4 et me présente au séduisant conducteur (ma compagne se mordra les doigts de ne m’avoir pas accompagné !) : « C’est il francese qui vient visiter la Casa demain. Il a visto correre Fausto vero ! » Je viens de faire la connaissance de l’arrière- petit-fils de Fausto.

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Ma séance de pose n’est pas terminée : je dois m’intercaler entre Fausto et Geminiani suant sang et eau dans l’ascension du Ventoux lors du Tour de France 1952. Ils sont suivis du belge Stan Ockers et, là, mon ami marque un point, il complète … d’un autre Français Jean Dotto. J’égalise aussitôt en glissant un détail qui peut intéresser un habitant de la région du cépage Nebbiolo : le valeureux coureur provençal Dotto était surnommé le « vigneron de Cabasse » ! Je suis fairplay et évite d’enfoncer le clou en omettant de dire que, ce jour-là, devant ces échappés, caracolait le Français Jean Robic futur vainqueur de l’étape.

1952 - BUT et CLUB - Le TOUR - Spécial couverture

Je viens de passer une heure merveilleuse, je supplie presque de reporter la suite de notre conversation à demain … Ma compagne m’attend sur le parcheggio !

Giovedi 2 giugno 2016

Je n’ai pas trop bien dormi : dans mes rêves, j’ai dû pédaler toute la nuit sur les Strade di Fausto e Serse Coppi.
Mais ce matin, je suis en pleine forme d’autant qu’au petit déjeuner, Lina a eu la gentillesse de mettre sur la table, outre quelques pâtisseries maison, un grand bol de cerises.

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Juin bleuit encore Castellania ! Dès huit heures, nous prenons le chemin des collines tortonesi. Je ne sens pas la pédale … de l’accélérateur et je grimpe allègrement le Passo Coppi qui culmine à 369 mètres. Fausto, dans son style incomparable, tutoie les cimes enneigées du Stelvio. Chaque année, on baptise Cima Coppi le sommet le plus élevé franchi par les coureurs du Tour d’Italie.

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J’emprunte la petite route sinueuse qui mène, à l’écart du village, à l’église et au cimetière où reposent Fausto et Serse, du moins c’est ce dont je suis persuadé.
Sans y être jamais venu, je connais les lieux. J’avais presque treize ans, je me souviens des photographies de la colline striée de files d’amis et admirateurs portant Fausto en terre. C’était le 4 janvier 1960, il faisait un beau soleil d’hiver mais la neige et les pluies récentes transformaient le chemin en bourbier. Noyés dans la foule d’anonymes, se faufilaient ses pairs, notamment Gino Bartali, Fiorenzo Magni, Ferdi Kubler, Louison Bobet, Charly Gaul, André Darrigade, Jacques Anquetil, les gregarii (ses équipiers), des campionissimi d’avant-guerre aussi, Alfredo Binda et Costante Girardengo. Il me semble aussi qu’une foule immense s’amassa le long des petites routes sur le passage du convoi funéraire ramenant Fausto de l’hôpital de Tortona où il était décédé l’avant-veille.

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Dans la campagne silencieuse, la cloche de la petite église sonne neuf heures. Inévitablement, je pense à Louison Bobet qui gardait des obsèques le souvenir du glas accompagnant le pas des porteurs.
Seul, j’entre dans le modeste cimetière qui offre une magnifique échappée, sans Fausto, vers la plaine ligurienne. Ici, des générations de Coppi, il y en à revendre, reposent. Je repère la tombe du frère Livio mais point de Fausto ni de Serse. Je me résigne à croire ce que j’avais lu (abusivement ?) sur internet : les cendres des deux frères auraient été portées au sommet du Stelvio.
Allégation vite démentie dès mon retour au centre du village : leurs sépultures ont été transférées en 1969 au mémorial construit à côté de la mairie.
C’est là que Fausto est descendu de vélo pour l’éternité comme le symbolise la photo, accrochée au pignon du municipio, prise lors de sa tentative victorieuse contre le record de l’heure sur la piste du Vigorelli à Milan.

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Précédant une chapelle, le mausolée est décoré de plusieurs mosaïques et plaques de marbre, des œuvres d’artistes amis ou admirateurs, l’un d’eux est un Italien résidant à Avranches dans le département de la Manche.
Á l’arrière du mémorial, je m’approche des tombes de Fausto et Serse surplombées de tristes volumes de béton, symbolisation pseudo-artistique des montagnes dans lesquelles s’envola souvent Fausto. En surgit la tête de Fausto nous dévisageant.

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Au pied, s’amoncellent les ex-voto. Une urne déposée par des sportifs de Briançon renferme de la terre des cols de l’Izoard et du Galibier. Coppi aimait beaucoup la France et les Français le lui rendaient bien. De la terre de Castellania fut apportée devant la stèle de la Casse Déserte dans l’Izoard. Je me souviens que le savoureux dessinateur Pellos caricaturait souvent dans Miroir-Sprint les cols des Alpes et des Pyrénées en formes humaines, les « juges de paix » du Tour de France. Quelques mois après sa mort, il avait donné aux reliefs ruiniformes de l’Izoard le faciès de Fausto fustigeant le manque de combativité des « petits » géants de la route.
Une association de Piémontais de Montauban a offert une plaque en souvenir de « l’ultima fuga dell’ Airone », la dernière échappée du Héron, ainsi les Italiens surnommaient leur champion au profil d’échassier avec ses fémurs démesurément longs.

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Á l’arrière des tombes, trois plaques de bronze récapitulent l’immense palmarès de Fausto. Toujours à fouiner, déformation d’ancien enseignant (?), je repère, dès la première ligne, presque un crime de lèse-majesté, une coquille sans doute d’un graveur guère au fait de la chose cycliste : Record dell Ora 45,798 kilomètres (dal 1942 al 1954).
Je vous affirme que Fausto conserva son bien jusqu’au 29 juin 1956. J’ai parfaitement en mémoire une belle fin d’après-midi, ça arrive en Normandie, surtout en Normandie en la circonstance. Nous n’avions pas encore la télévision à la maison ; avec mon père, je « regardais » avec attention le poste de TSF où le radioreporter (je crois qu’il s’agissait du talentueux Guy Kedia qui nous a quittés cet été) nous captivait en décrivant, une heure durant, la progression d’un homme tournant en solitaire sur la piste du Vigorelli, le vélodrome de Milan. Ce reportage apparaît surréaliste de nos jours même si l’esthétisme du style de Jacques Anquetil, qui n’avait rien à envier à celui de Coppi, pouvait nourrir le lyrisme.
Ce soir-là, les sportifs italiens durent verser une larme tandis que je sautais de joie : « mon champion » Jaqué Anquétil venait de faire tomber un monument du cyclisme, un record vieux de quatorze ans, en parcourant 46,159 kilomètres dans l’heure (nul besoin de consulter des archives !). La presse italienne fut délirante: Ainsi, écrivait Giuseppe Ambrosini dans la Gazzetta dello Sport, même le record de Coppi s’est écroulé. Même si, comme Halicus, nous regrettons qu’à notre cyclisme un si grand titre de supériorité ait été arraché, comme sportifs et comme hommes nous devons tous nous réjouir de cette nouvelle conquête humaine due à un athlète de l’immor­telle souche latine, de cette glorieuse France cycliste. » Un Hercule, Ercole Baldini, un campionissimo éphémère, l’en déposséda trois mois plus tard … Puis, après qu’Anquetil l’eut reconquis vers la fin de sa carrière, ses successeurs renoncèrent à la piste étalon du Vigorelli pour des vélodromes en bois d’érable plus rapide, en altitude, sur des vélos de plus en plus sophistiqués, interdisant toute comparaison des performances. Point commun entre Coppi et Anquetil, ils n’étaient guère démonstratifs et n’extériorisaient pratiquement jamais leur joie en franchissant la ligne d’arrivée en vainqueur, lâchant rarement les mains du guidonÁ quelques pas des tombes de Fausto et Serse, à l’arrière de la chapelle, je m’approche d’une sorte de sacristie païenne. Á travers les barreaux, malgré les reflets des vitres, je distingue vaguement des maillots. Malheureusement, le local est fermé. Dommage ! Retour sur la place Serse Coppi, devant la mairie, je m’approche du cantonnier qui tond les pelouses aux abords et lui baragouine en italien :

– Savez-vous comment on peut visiter la salle des maillots derrière la chapelle ?
Miracle, non pas à Milan, mais à Castellania, il me répond dans un français très convenable :
– J’ai la clé, je vais la chercher à la mairie !
Car l’aimable monsieur qui s’occupe de l’entretien des espaces verts … est le maire de Castellania ! Excusez-moi il signor Sergio Vallenzona mais vous m’avez procuré une joie intense, encore une cerise sur le gâteau « coppiste » !
Je ne veux pas trop disposer de son temps et j’essaie en une dizaine de minutes de collectionner le maximum d’images numériques et mentales. Je les interpréterai plus tard.
Qu’ils sont beaux ces vieux maillots en laine, vierges de toute publicité, avec leurs poches à boutons sur la poitrine (pour mettre le briquet et le tabac disait l’écrivain truculent René Fallet) !

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Mon regard se fixe prioritairement sur la maglia rosa (le maillot rose) que Fausto endossa con la splendida cavalcata dell’Abetone (traduction inutile) lors de son premier Giro victorieux en 1940, et la toison d’or qu’il conquit sur les routes du Tour de France 1949.
Je ressens la même émotion que lorsque, adolescent, j’avais vu en 1960, exposée dans une brasserie de Rouen, la tunique rose d’Anquetil, maculée de la boue du Passo di Gavia.

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Tout à côté, sont suspendus le maillot de champion du monde 1953, la maglia iridata sul difficile circuito di Mendrisio, petite erreur, je suis intraitable, c’était à Lugano, ainsi que son premier maillot de champion d’Italie en 1942.
Je pense à cet instant aux maillots jaune, arc-en-ciel et bleu blanc rouge que ma chère tante Émilienne et une jeune institutrice de l’école (êtes-vous encore de ce monde chère mademoiselle Millet ?) dirigée par ma maman m’avaient tricotés dans ma prime jeunesse. Je les préférais au maillot vert à bande rouge floquée de la marque Wonder que j’avais hérité de mon frère aîné. La réclame n’était pas mensongère, il ne s’usa pas puisque je ne m’en servis guère !
Très vite, car monsieur le maire m’attend, je m’arrête devant les tenues de champion du monde offertes en hommage à Fausto et Serse par leurs compatriotes Ercole Baldini et Francesco Moser, deux champions qui héritèrent de la délicate mission de maintenir le cyclisme transalpin à un honorable niveau.
Encore une rareté pour les cinglés du vélo comme moi : un maillot de marque de Louison Bobet presque semblable à celui avec lequel il remporta Paris-Roubaix.

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Il faut que j’y aille, je néglige quelques maillots de coureurs récents qui ne correspondent d’ailleurs pas à l’esprit du cyclisme de mon enfance, celui que j’aimais profondément.
L’heure de mon rendez-vous à la Casa Coppi approche. La maison natale de Fausto, agrandie dès qu’il eut commencé à bien vivre de son sport, est pimpante au soleil avec son crépi jaune et ses volets verts.

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Castellania blog 16Castellania blog 6OCastellania blog 56Billet Casa Coppi blog.

Tout en prenant nos billets (cette fois, ma compagne est venue, sait-on jamais un beau rital …), je ravis déjà notre guide Anna (j’espère ne pas me tromper de prénom) en reconnaissant Fausto caracolant en tête dans le col de Vars, suivi par la célèbre voiture Bianchi S9 bleu azur et blanche de son directeur sportif, lors de l’étape mythique Cuneo-Pinerolo du Giro 1949.

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Cuneo et Pinerolo sont deux villes en fond de vallées distantes d’une soixantaine de kilomètres mais les organisateurs du Tour d’Italie avaient choisi d’y situer l’étape reine de leur épreuve en effectuant un vaste détour par cinq cols des Alpes françaises : col de la Maddalena (de Larche en France), col de Vars, l’Izoard, le Montgenèvre et le col de Sestrières.
Fausto s’envola dès les premiers lacets de la Maddalena où figure encore, aujourd’hui, en souvenir, sur un panneau apposé sur un mur de soutènement, l’inscription suivante : « Un uomo solo é al comando, la sua maglia è bianco-celeste, il suo nome è Fausto Coppi » (« Un homme est seul aux commandes, son maillot est bleu et blanc, son nom est Fausto Coppi »). C’est par cette phrase demeurée célèbre au point d’en devenir un leitmotiv que le journaliste Mario Ferretti commença son reportage en direct.
Ce jour-là, l’écrivain Dino Buzzati, auteur du Désert des Tartares, chroniqueur sur la course pour le Corriere della Sera, fit dans l’homérique : « Il y a trente ans (au temps du lycée ndlr), nous avons appris qu’Hector avait été tué par Achille. Une telle comparaison est-elle trop solennelle, trop glorieuse ? Non. Á quoi servirait ce qu’il est convenu d’appeler les études classiques si les fragments qui nous restent à l’esprit ne faisaient pas partie intégrante de notre modeste existence ? Bien sûr, Fausto Coppi n’a pas la cruauté glacée d’Achille : bien au contraire … Des deux champions il est sans nul doute le plus cordial, le plus aimable. Mais Bartali, même s’il est le plus distant, le plus bourru – tout en n’en étant pas conscient -, vit le même drame qu’Hector : le drame d’un homme vaincu par les dieux. C’est contre Minerve elle-même que le héros troyen eut à combattre : il était fatal qu’il succombât. C’est contre une puissance surhumaine que Bartali a lutté, et il ne pouvait que perdre : il s’agit de la puissance maléfique des ans … »

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La photographie de Fausto dans le col de Vars fera un autre heureux : un de mes meilleurs amis a sa maison de vacances en contrebas de la  petite chapelle du Mélezen.
La première pièce visitée au rez-de-chaussée posséda plusieurs fonctions, notamment comme salle à manger au temps de la maman Angiolina. Elle servit de chambre mortuaire avant que Fausto ne soit porté jusqu’au cimetière en haut de la colline. Sur un mur, des coupures de journaux rappellent ce triste 2 janvier 1960 : Coppi è morto !

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Je n’étais pas bien grand mais je me souviens de la vive émotion que suscita en France l’agonie de Fausto terrassé par la malaria contractée lors d’un voyage pour un critérium à Ouagadougou (ex Haute-Volta). Il me semble que j’avais été choqué par l’image de Fausto sur son lit de mort, c’était peut-être la première fois que j’étais confronté à une telle vision. Une polémique était née entre les médecins français soignant avec succès Raphaël Geminiani victime du même virus attrapé lors du même voyage, et les docteurs italiens peu compétents hospitalisant Fausto pour une broncho-pneumonie. Cette tragédie, cette mort si jeune à quarante ans, la chute mortelle de Serse, contribuent à la légende des frères Coppi emportés tellement tôt.
Au milieu de la salle, sont exposés divers objets et vélos ayant appartenu à Fausto et Serse.

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Je suis plus ému voire attendri par une vieille bécane entreposée avec d’autres outils agricoles, au pied de l’escalier, dans l’entrée d’autrefois. Je me fais confirmer : Fausto roula sur cet antique engin ? Si !
Il me revient un article du journaliste René de Latour :
« – Pour aimer vraiment la bicyclette, disait-il, il importe de … ne pas en avoir possédé pendant des années et d’avoir envié le petit camarade qui, lui, en possédait une. Fut-elle un engin brinqueballant aux pneus rafistolés et aux pédales faussées. Ce fut mon cas.
Fausto était très prolixe lorsqu’il évoquait cette enfance, puis cette jeunesse non pas miséreuse mais extrêmement pauvre, qui fut la sienne, dans le petit village de Castellania, à cheval sur la Ligurie et le Piémont, et proche de la route classique de Milan-San Remo, course qu’il allait voir passer, en culotte courte et le plus souvent rapiécée, sans se douter qu’un jour il en serait la vedette.
– J’étais bien jeune lorsque mon père disparut, disait-il. Notre petite ferme, qui manquait de matériel et n’avait pas suffisamment de superficie, arrivait tout juste à nous nourrir, mon frère Livio, qui était devenu le chef de famille, mon frère Serse, plus jeune que moi d’un an et mes deux sœurs. Ma mère, Angiolina, était l’âme de la maisonnée.
Ce qui manquait le plus à Castellania, c’était évidemment l’argent.
– Je n’en connaissais pas la couleur, dit Fausto. Et je n’aurais même pas songé à en demander à ma mère tant je connaissais ses problèmes financiers. Une simple piécette de dix lires, je ne la trouvais pas souvent dans ma poche, mais je ne peux pas dire que j’en souffrais vraiment puisque mon village était pratiquement dépourvu de magasins.
Fausto Coppi ne se souvenait plus d’où venait son premier vélo.
– Je crois bien qu’il était abandonné dans un coin et que personne n’en voulait plus, tant il était minable, presque hors d’usage. Je l’avais rafistolé tant bien que mal puisque je n’avais même pas de quoi m’acheter une paire de patins de freins.
Ce dont Fausto se souvenait particulièrement bien, c’est que le cadre, à l’émail de couleur indéfinissable tant il était craquelé de partout, était beaucoup trop grand pour lui et que, même lorsque la selle, vieille et avachie, était descendue à fond dans le tube de selle, il avait encore du mal à atteindre correctement les pédales.
– C’était sais importance lorsque je montais les côtes en danseuse mais sur le plat j’attrapais des crampes dans les mollets. Il me fallait absolument avoir un vélo à ma taille. Mais comment faire ? Ce n’était pas Livio qui aurait pu sortir de la boîte à biscuits où il mettait son maigre pécule, les quelques centaines de lires nécessaires à l’achat d’un vrai cadre de course, celui dont je rêvais et que j’allais admirer dans une vitrine de Novi-Ligure. C’était un Legnano, brillant de tous ses chromes et je crois bien que si l’on m’avait demandé de retrancher quelques années de ma vie pour l’obtenir je les aurais accordées sans sourciller. Legnano, c’était la marque de Gino Bartali, mon Dieu, dont la photo, découpée dans un journal ornait ma chambre … »
Je connus une enfance infiniment plus insouciante que celle de Fausto mais je me souviens de la joie vive mais tardive de mon premier vélo de course vraiment à moi. Il était de la marque Lejeune malgré mes trente ans ! Je n’avais jusqu’alors hérité que des bicyclettes de mon frère plus âgé de neuf ans. Je ne sais plus d’ailleurs pour quelle raison, mon père avait remplacé le guidon de course par un misérable guidon plat qui tenait plus de l’époque du Vieux Gaulois Eugène Christophe !

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En pénétrant dans l’ancienne cuisine, j’ai l’impression de me retrouver dans une séquence de L’arbre aux sabots, le magnifique film des frères Taviani. La teinte bleu vert des murs, un mélange de chaux blanche et de vert-de-gris, est typique de celle dans l’enfance de Fausto et Serse.
Je ne suis pas persuadé que Fausto et Serse manipulèrent tous les objets exposés mais l’esprit de leur vie paysanne pauvre et laborieuse dans leur jeunesse est bien reconstitué.

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On accède aux étages supérieurs par un escalier en granit dont les murs sont tapissés de nombreuses couvertures de magazines, photographies et même peintures.
Je m’arrêterais volontiers pour les observer en détail mais je ne veux pas abuser du temps de notre guide, c’est déjà un tel bonheur que je puisse visiter aujourd’hui.
Tout de même, je me recueille quelques secondes devant l’extraordinaire photographie de Fausto tournant la tête vers l’encouragement écrit à sa gloire dans la neige du Stelvio lors de son dernier Giro victorieux en 1953.
Une peinture rappelle aussi le célèbre épisode de l’échange de bouteille entre Fausto et Gino Bartali. Les versions pullulent avec des interprétations, des courses, des années, des lieux différents. J’avais tenté d’être le plus près possible de la réalité dans mon billet sur la chapelle Notre-Dame des cyclistes de La Bastide d’Armagnac (voir http://encreviolette.unblog.fr/2012/09/05/notre-dame-des-cyclistes/). Un vitrail créé par l’ancien coureur Henry Anglade y évoque ce « partage ».

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Instant d’émotion, j’entre dans la chambre des parents Angiolina et Domenico. C’est là, dans ce lit que Fausto naquit le 15 septembre 1919. Les bondieuseries ne manquent pas.
Contiguë, se trouve la chambre où Fausto dormait dans sa jeunesse. Quelques-uns de ses maillots sont présents ainsi que des faisans et perdrix empaillés rappelant sa passion pour la chasse. Celle-ci lui coûta la vie d’une certaine façon : s’il fut tenté de courir une ultime fois à Ouagadougou, c’était pour les safaris organisés lors du séjour.
Ma compagne surprend Anna en lui confiant que dans son enfance en Ariège, ses draps étaient aussi chauffés par un moine identique à celui posé au pied du lit de Fausto.

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Serse possédait aussi sa chambre qui semble plus vaste. De nombreuses photos, souvent avec son frère, rappellent qu’il était un bon coureur professionnel.

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Ici, pas de chambre rose, mais une salle rose comme la couleur du journal La Gazzetta dello Sport. Le quotidien sportif qui, je crois, a contribué à l’ouverture de la Casa, expose les fac-similés des 88 premières pages qu’il dédia à Fausto.
Á défaut de lire La Divine Comédie en italien dans le texte, je me plongerais volontiers dans la lecture des innombrables exploits de Fausto, c’est une forme de pédagogie active pour l’apprentissage de la langue de Dante.
La première reproduction de « une » ci-dessous, vantant la victoire du conscrit Fausto Coppi, témoigne du climat politique de l’époque : « La corsa del popolo è stata degna dei premi del Duce ».

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Près du pupitre où s’étale toute cette « presse rose », est exposé un curieux vélo fait uniquement de papier mâché du populaire journal.
En hommage à son glorieux aîné, Marco Pantani a offert au musée un de ses maillots de marque. Est-ce de bon goût de le qualifier de « chargé » pour en dénoncer l’esthétisme ? Mais où sont les belles tenues du temps jadis ?

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Dans deux vitrines, je découvre deux vélos de Fausto. Je m’intéresse plus particulièrement au modèle destiné aux courses sur piste, sans freins bien sûr comme tout bon engin de pistard qui se respecte. Il y a même le vieux casque en cuir d’antan dont était coiffé Fausto lors de sa tentative victorieuse contre le record de l’heure en 1942.
Fausto était un excellent coureur sur piste. Il fut plusieurs fois champion du monde et d’Italie de poursuite. Sa présence à l’occasion des omniums France-Italie attirait la grande foule au Vel’ d’Hiv’de Paris.

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Une dernière salle est dédiée à Biagio Cavanna, le mystérieux soigneur aveugle qui accompagna Fausto presque tout au long de sa carrière.
Dans une reconstitution de scène, il est là assis auprès de Fausto et de ses fidèles équipiers Milano et Carrea.

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Surnommé Méphisto, il traînait une réputation étrange. Ce qui est certain, c’est qu’il inculqua à Fausto une discipline de vie ascétique, des plans d’entraînement rigoureux, des principes de diététique nouveaux.
Sur la table, je remarque une brique de jus d’orange. Curzo Malaparte écrivit : « Dans les veines de Gino Bartali, il y a du sang, dans celles de Fausto, il y a de l’essence ! » On raconta beaucoup de choses, fausses mais aussi sans doute parfois vraies, sur la fameuse « bomba ». On dit même qu’une fois, Gino épia où Fausto balança son bidon dans le ravin d’un col, revint le récupérer quelques jours plus tard et le fit analyser.
De la même façon que je déteste comme on se complaît aujourd’hui à déconsidérer mon champion normand (alors qu’il avouait lui-même quelques pratiques dopantes), je ne désire pas ennuyer Anna sur ce sujet. Je suis là pour m’incliner devant un immense champion. Fausto est le meilleur coureur cycliste de tous les temps, un point c’est tout.
« Il est juste et bon que le nom de Coppi soit illustre, parce qu’il fut honnête, loyal, bon, généreux », souvenez-vous de la conclusion de l’éditorial du sage et avisé journaliste Maurice Vidal.

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Et si cette superbe image valait autant que mon long discours ? Je ne l’ai pas vue à Castellania. Elle fut l’œuvre, le mot n’est pas trop fort, d’un photographe du journal L’Équipe lors de l’ascension du col du Galibier dans le Tour de France 1952.
Fausto n’apparaît pas écrasé dans ce paysage majestueux, au contraire même, il semble s’élever avec facilité, tranquillité, presque souriant. Et que dire de la jeune enfant heureuse et admirative applaudissant le champion ? Ses yeux lumineux ont vu aussi Fausto en vrai ! Elle est un peu plus jeune que moi mais je suis persuadé qu’aujourd’hui, elle garde au fond d’elle le souvenir émerveillé de son passage.
Pour la remercier de cette émouvante et nostalgique visite, je prends l’adresse mail d’Anna : je lui enverrai la photographie de la plaque dédiée à Serse Coppi, scellée dans les antiques douches du vélodrome où s’achève Paris-Roubaix.
Je compte sur les doigts d’une main les Castellanesi (habitants de Castellania) que j’ai rencontrés. J’ai apprécié leur gentillesse, leur générosité, leur simplicité, leur authenticité, des qualités que possédaient Fausto et Serse Coppi.
Il est près de midi ! Quelques cyclistes du dimanche ont gravi (bien que l’on soit jeudi) tant bien que mal les collines tortonesi pour se recueillir devant le mémorial.
Tandis que je le salue, monsieur le Maire m’informe que dans quelques jours (c’était courant juin), se disputera ici la Mitica, le rendez-vous annuel des cyclotouristes, jeunes et vieux, admirateurs de Fausto et Serse Coppi.

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Ce serait une belle occasion de revenir un jour à Castellania même pour une poignée de cerises !

Un grande ringraziamento alla segreteria della Casa Coppi, Anna mia guida, il signor Sergio Vallenzona sindaco di Castellania, e il signore gentile che mi ha offerto le ciliegie, per avermi permesso di vivere una giornata piena di emozioni a Castellania .

Bibliographie non exhaustive qui a nourri mon admiration pour Fausto Coppi et sans doute contribué à ce que je vienne, un jour, à Castellania.
Ces livres dépassent largement le caractère sportif proprement dit et ont une incontestable valeur littéraire, historique ou humaniste.
SUR LE GIRO 1949 Le duel Coppi-Bartali, Dino BUZZATI, Robert Laffont 1984
FAUSTO COPPI L’échappée belle, Italie 1945-1960, Dominique JAMEUX, Austral ARTE Éditions-juin 1996 (réédité chez Denoël juin 2003.
MES RAYONS DE SOLEIL, Louis NUCERA, Grasset
L’écrivain voyage à vélo sur la route du Tour de France 1949 remporté par Fausto Coppi
ARRIVA COPPI ou les rendez-vous du cyclisme, Pierre CHANY, La Table Ronde 1960
EVVIVIA ITALIA Balade, Bernard CHAMBAZ, éditions du Panama- 2007
Le Giro 1949 suivi par Dino Buzzati commença le jour de la naissance de Bernard Chambaz. L’auteur refait à vélo (rose) le Giro de sa naissance. L’ouvrage n’est pas le récit d’un exploit sportif mais une balade sentimentale, un hymne à l’Italie, à sa culture humaniste …

J’aurais pu, j’aurais dû vous citer aussi Forcenés, le très beau livre du journaliste écrivain Philippe Bordas. Il y évoque son admiration pour Fausto Coppi :
« En tout faible corps gît un souci de force.
En tout cycliste du samedi somnole le rêve d’être Coppi.
Être Coppi chaque nuit.
Être Coppi une nuit sur trente depuis plus de trente ans.
… Je rêve que je suis échappé seul, dans quelque étape dantesque à travers les Alpes ou les Dolomites …
Depuis trente ans le miracle advient d’une auto revenue des arrières pour me sauver. Plus sombre que le paysage aux lueurs fuyantes, une automobile ralentit à ma hauteur – un vaisseau noir où le fantôme de Geminiani apparaît. La vitre s’abaisse doucement sur un visage estompé par la pluie. Geminiani Raphaël, évangéliste en chef, le testamentaire de Coppi.
Il me tend le bidon vert pâle de Fausto.
Je défais le bouchon de liège, je bois… »

Forcenés livre Bordas

 Épilogue
Ainsi s’achève mon séjour en Italie. Quelques heures plus tard, je retrouverai la France via cette fois le col du Mont-Cenis dans le brouillard.
En redescendant de Castellania puis en prenant la direction des Alpes françaises, mes pensées vont vers le chanteur Gianmaria Testa qui nous a quittés prématurément, ce printemps, à l’âge de cinquante-sept ans.

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Il était né dans un petit village près de Cuneo où il exerça plus tard le métier de chef de gare tandis qu’il écrivait de superbes chansons. Il grandit dans une famille de métayers qui cultivaient les terres des grands propriétaires de la plaine du Pô. Marqué par cette Italie rouge de Bella Ciao, il possédait un répertoire profondément humaniste, engagé et poétique.
Je l’avais vu en concert, il y a une dizaine d’années, dans une salle de ma banlieue francilienne. Il ne payait pas de mine quand il arrivait sur scène, avec sa moustache à la Brassens et ses petites lunettes, sa guitare à la main. Il entrecoupait ses chansons de commentaires et anecdotes distillés, de sa voix tendre et rocailleuse, dans un excellent français. Je conserve un très beau souvenir de cette soirée. Gianmaria était un délicieux monsieur, sincère et authentique, comme ses compatriotes piémontais de Castellania.
Avant d’aller découvrir son œuvre, écoutez-le ici dans une de se plus anciennes chansons intitulée Il Viaggio, le voyage !

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Presque trois mois se sont écoulés depuis mon séjour. La vie continue avec ses drames. Je partage la peine du peuple italien en terrible souffrance suite au tremblement de terre qui a secoué le centre de la péninsule.

Publié dans:Coups de coeur, Cyclisme |on 27 août, 2016 |1 Commentaire »

Vacances (post) romaines (9) : le curé de Brescello

Mercoledì 1 giugno 2016

Mon séjour en Italie tire à sa fin. Auparavant, j’ai prévu de rendre visite à deux très anciennes connaissances qui traversèrent mon enfance, et pour commencer, aujourd’hui, au curé de Brescello, un modeste bourg d’environ cinq mille habitants, de la région Émilie-Romagne situé dans la plaine du Pô sur la rive gauche du fleuve, à une vingtaine de kilomètres de Parme.
Le GPS de mon auto m’invite à prendre la sortie « Terre de Canossa ». Ce matin, l’idée ne m’avait pas effleuré d’aller à Canossa au sens géographique de l’expression. J’ignore si nos jeunes collégiens et lycéens en apprennent encore la signification historique. Je dois à mon regretté professeur de père de vous en mettre ici plein la vue !
Dans son sens figuré, aller à Canossa désigne le fait de céder complètement devant quelqu’un, d’aller s’humilier devant l’ennemi. Bismarck employa pour la première fois cette formule en référence à l’épisode de la pénitence de Canossa par l’empereur Henri IV (rien à voir avec notre bon roi vert galant) en 1077.
C’est de l’histoire bien trop ancienne pour que nos jeunes gens en traitent sur les réseaux sociaux. Le 24 janvier 1076, le pape Grégoire VII ayant refusé que les évêques soient nommés par des laïcs, Henri IV futur empereur du Saint-Empire romain germanique fait prononcer la déposition du souverain pontife par le concile de Worms. En représailles, le pape excommunie l’empereur et délie ses vassaux de leur serment de fidélité. Les princes du royaume menacent de déposer Henri IV si l’excommunication n’est pas levée avant le 2 février 1077, date à laquelle ils ont demandé aux deux belligérants de se rendre à Augsbourg pour une diète générale d’empire.
Voulant absolument agir avant la venue du pontife à Augsbourg, l’empereur décide de se rendre à Canossa pour y rencontrer le pape alors en villégiature au château de la comtesse Mathilde de Toscane. Il a plus de chance que moi au mois de mai (voir billet Vacances romaines 1), il franchit le col du Mont Cenis en plein hiver avec l’autorisation de la comtesse régente de Savoie Adélaïde de Suse et parvient à Canossa le 25 janvier 1077. Informé de l’approche d’Henri IV, le pape fait fermer les portes de la ville.
On dit qu’Henri IV, sa femme et ses enfants, en chemise de bure, durent attendre, les pieds dans la neige, que le pape changeât d’avis, ce qu’il fit le 28 janvier. Le recevant enfin, le pape ne put faire de moins que lever l’excommunication.
La vengeance est un plat qui se mange froid même en Émilie-Romagne, l’empereur fit déposer Grégoire VII et élire l’antipape Clément III (en 1080).
Ponctuel, le curé de Brescello m’attend sur le parvis de l’église de sa paroisse. Pour dire vrai, c’est à un « anticuré », un abbé anticommuniste, un prêtre de fiction, que j’ai donné rendez-vous, peu avant midi. Encore que, à l’occasion d’une conférence épiscopale à Florence en 2015, le pape François déclara : « L’Église italienne a de nombreux saints dont les exemples peuvent l’aider à vivre sa foi avec humilité, désintérêt et félicité ». Et d’ajouter, après avoir cité François d’Assise : « Je pense aussi à la simplicité de personnages inventés comme Don Camillo, la prière d’un bon prêtre s’unit de façon évidente avec les gens ». Et de le démontrer en rappelant quelques dialogues de films : « Je suis un pauvre curé de campagne qui connaît ses paroissiens chacun par son nom, qui les aime, qui connaît leurs douleurs comme leurs joies, qui souffre et sait rire avec eux… »

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Vous avez compris et sans doute reconnu notre regretté acteur comique (pas uniquement) Fernandel, sous sa soutane de bronze, statufié devant l’église, depuis 2001, en souvenir des films contant les aventures du populaire curé Don Camillo, qui furent tournés, du moins les scènes en extérieur, dans ce bourg de Brescello.
Comme l’été précédent, j’avais souhaité me rendre à Sainte-Sévère, petit village de l’Indre, pour retrouver les lieux de Jour de fête, le film de Jacques Tati (voir billet Demi-jour de fête) j’ai profité, cette fois, de passer dans ce coin un peu perdu de la basse plaine du Pô, pour me plonger quelques heures dans l’ambiance de querelles de clocher … et de mairie (!) qui avaient égayé mon enfance.
C’était au début des années 1950, la France qui retrouvait une certaine joie de vivre après la période sombre de la seconde guerre mondiale avec ses horreurs et ses privations, s’était rendue massivement dans les salles obscures pour rire des histoires clochemerlesques de « il piccolo mondo di un Mondo Piccolo » comme une bannière sur la façade de la mairie le rappelle.

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Le petit monde de Don Camillo (c’est le titre français) sorti en 1952 fut probablement l’un des tout premiers films (hormis peut-être quelques-uns avec notre gloire normande Bourvil) qu’il me fut donné de voir en salle, en l’occurrence, au cinéma Le Dauphin de Forges-les-Eaux sans doute ainsi nommé parce qu’il jouxtait une poissonnerie.
C’était une soirée de vrai bonheur : la télévision n’était pas entrée encore dans les foyers, en première partie du « grand film » étaient présentés un documentaire et les actualités (annoncées par un coq qui chantait), puis c’était l’entracte avec les réclames et l’ouvreuse qui passait dans les rangs en proposant « bonbons, caramels, esquimaux, chocolat ».
Mon cher père pensait peut-être m’inculquer mes premiers rudiments d’éducation citoyenne. En bon hussard noir de la République et … (un peu) bouffeur de curé qui se respectaient, il dût être déçu lui qui en outre n’appréciait qu’un cinéma (de) vérité !
Ma tendre maman se retrouva peut-être dans la vieille institutrice du film qui, plutôt que l’image de ces adultes se déchirant, gardait le souvenir consensuel de ses anciens écoliers de dix ans.
Á l’origine, Don Camillo est le nom d’un personnage de feuilleton illustré publié dans Candide (puis de roman) créé en 1948 par l’écrivain, journaliste et dessinateur italien Giovannino Guareschi. Il choisit de situer l’action de ses nouvelles humoristiques mettant aux prises le populaire curé et le maire communiste Guiseppe Botazzi alias Peppone, précisément dans le village de Brescello.
La personnalité de l’auteur est controversée : selon des faits contradictoires mais avérés, il apparut en 1938 dans des listes de soutien aux lois raciales fascistes du Duce, puis il fut interné en 1943 dans un camp polonais pour avoir refusé de combattre aux côtés des Allemands après l’alliance entre l’Italie et les alliés.
Don Camillo naquit alors même que la guerre froide se mettait en place, que le dictateur Staline dirigeait l’URSS et que le Parti Communiste Italien (PCI) trouvait son terreau dans une Italie vaincue et pauvre..
C’est l’époque, après l’écroulement du fascisme mussolinien, où le Divismo reprend sa force, à savoir la propension coutumière du peuple italien à se diviser en deux camps opposés à propos de tout et de rien. Il en est de l’opposition politique entre la Démocratie Chrétienne et le Parti Communiste comme de l’antagonisme sportif entre partisans des champions cyclistes Fausto Coppi et Gino Bartali, et bientôt des querelles entre admirateurs de Gina Lollobrigida et Sophia Loren.
Guaraschi possède le talent pour cristalliser avec humour cette dualité à l’échelle du village de Brescello. Le succès populaire des nouvelles est tel qu’elles inspirent bientôt une adaptation cinématographique Le Petit monde de Don Camillo avec pour réalisateur le cinéaste français Julien Duvivier auteur par ailleurs d’œuvres populaires comme La belle équipe et Pépé le Moko.
En voici le synopsis : « À Brescello, petite ville italienne du territoire de la Bassa padana, dans la plaine du Pô, la rivalité est permanente entre Peppone, le maire communiste qui vient de triompher aux élections et don Camillo, le curé de choc qui parle quotidiennement au Christ du maître-autel de son église. Dirigeant deux clans de choc, les deux hommes, bien que rivaux, restent malgré tout amis depuis la guerre. C’est d’ailleurs souvent qu’ils unissent leurs efforts pour le bien de la commune, ne serait-ce que pour fiancer les Roméo et Juliette locaux, dont les deux familles, l’une de pauvres paysans communistes et l’autre de riches propriétaires cléricaux, se détestent. Lorsque le départ du turbulent curé est annoncé, envoyé dans une cure de montagne en punition de sa violence, les « rouges » viennent le saluer et Peppone ne lui cache pas qu’ils espèrent son prochain retour. »
Á l’origine, il était prévu dans la distribution que le populaire acteur italien Gino Cervi interprèterait don Camillo tandis que l’auteur du roman, Guaraschi, anticommuniste notoire, jouerait lui-même le maire Peppone. Julien Duvivier préféra offrir le rôle du prêtre à Fernandel (il avait pensé aussi à Jacques Morel) et fit glisser Gino Cervi dans la peau de Peppone qui, à l’autre bout de la place, nous accueille devant sa mairie.

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Est-ce mon insistance photographique à mitrailler de manière sympathique leur ancien maire qui m’attire je suppose quelques railleries d’un groupe d’anciens bavardant, à quelques pas de là, à la terrasse du café Don Camillo ?
Qui sait si le Divismo n’est pas encore d’actualité à Brescello ! Tout à fait sérieusement, le conseil municipal a été dissous en avril dernier par le gouvernement italien, sur proposition du ministre de l’intérieur, pour infiltration mafieuse.
Au coin de la place, en face du Don Camillo, sous les arcades, se trouve évidemment le café … Peppone.

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S’agit-t-il d’un acte manqué ou d’un simple élan non réfléchi de chauvinisme pour mon acteur compatriote, nous nous installons pour déjeuner à la terrasse de la brasserie chère à l’abbé, sous la protection d’Ercole Beneffatore, une copie du XVIe siècle de l’Hercule bienfaiteur.

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Est-ce un effet de la mondialisation, il semble que ce soit une famille de Chinois qui tient désormais la trattoria. Malgré tout, son caractère est préservé avec de superbes photogrammes des films accrochés aux murs.

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La jeune serveuse est, par contre, bien italienne et avenante. Nous lui commandons des fusilli al pesto délicieux. Vous souvenez-vous qu’un certain don Patillo interprété par le fantaisiste André Auber fit la publicité d’une marque de pâtes en prenant l’accent de Fernandel ?
J’en suis à rêver qu’à un moment ou à un autre va déboucher l’abbé en soutane sur son vélo de course.

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Plus sérieusement, j’aperçois, de l’autre côté de la place Matteotti une dame patronnesse ouvrir l’église. Vite, c’est le moment d’aller y jeter un œil pour admirer le célèbre crucifix qui parlait. Désespérément muet désormais, du moins en ma présence, il a trouvé place dans une petite chapelle latérale, entouré de colonnes torsadées et surmonté d’un baldaquin.

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Il est cocasse que ce Christ fabriqué spécialement pour les films par un sculpteur de Vérone et un menuisier local fasse aujourd’hui partie intégrante du patrimoine religieux de la paroisse.
Pour les besoins du premier film de la série, quatre visages interchangeables avec quatre expressions différentes du seigneur furent réalisés.
L’église de Brescello n’apparaît en vrai que pour les tournages en extérieur. Les scènes à l’intérieur furent effectuées dans les studios romains de Cinecittà que je vous ai fait visiter dans un billet précédent. C’est le cas, par exemple, des séquences avec la fameuse cloche que don Camillo fait sonner de manière intempestive pour perturber les meetings des « rouges » ou couvrir la dérouillée qu’il inflige à Peppone, ce qui lui vaut les remontrances de vive voix du Seigneur : « Les mains, c’est fait pour bénir, pas pour frapper » … « Oui, mais les pieds ? » !
La cloche est aujourd’hui exposée sous des arcades dans le village.

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Brescello fait encore son fonds de commerce des chamailleries entre don Camillo et Peppone, encore que les deux héros semblent vouloir volontiers coopérer pour le bien touristique de la commune sur de nombreuses enseignes.
Je soupçonne mes jeunes lecteurs (au cas où il voudrait tremper leurs doigts dans l’encre violette) de me taxer de ringardise. Je peux les comprendre mais, peut-être, dans une trentaine d’années, affronteront-ils les mêmes moqueries de leurs rejetons à la projection de Bienvenue chez les Ch’tis (peut-être, y aura-t-il eu alors un remake Bienvenue dans les Hauts de France !!!) !
Le petit monde de Don Camillo connut un énorme succès en 1952 avec douze millions d’entrées en France, ce qui le situe encore, plus de soixante ans après, dans les vingt meilleures affluences du cinéma français. Cela explique que plusieurs suites furent tournées.

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Je me dirige maintenant vers le musée ou plutôt les musées car il y en a deux.
Le premier où l’on prend le billet unique est dédié aux traditions populaires locales mises en perspective de quelques scènes rurales des films, ainsi don Camillo trayant une vache, Peppone conduisant un tracteur.
Est exposée une de ces gabarres à fond plat qui naviguaient autrefois sur le Pô, entre la Lombardie et le delta. Comment ne pas penser aussi, à cet instant, au magnifique Bella Ciao chanté par les mondine, ces femmes qui désherbaient les rizières et repiquaient le riz de la plaine du Pô, et qui fut repris comme hymne de résistance par les partisans italiens durant la seconde guerre mondiale.

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En face, un char d’assaut M26 Pershing (Julien Duvivier avait utilisé un Sherman américain) garde l’entrée du museo di Peppone e Don Camillo. Sur la façade, s’étale une photographie amusante de Don Camillo coiffé d’une chapka avec en arrière-plan, Nikita Khrouchtchev premier secrétaire de l’URSS.

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Elle est tirée de Don Camillo en Russie, cinquième film de la série réalisé par le grand réalisateur italien Luigi Comencini en personne. Peppone, jamais à court d’imagination pour propager ses idées « rouges », y envisageait de jumeler Brescello à une commune soviétique située … sur le Don, comme par hasard. Son ennemi en soutane déjoua le subterfuge en s’invitant au voyage déguisé en camarade Camillo !
Au total, surfant sur la vague de la popularité, six films furent tournés autour des aventures des deux fortes têtes de la petite commune de Brescello : les deux premiers furent l’œuvre de Julien Duvivier, les deux suivants de Carmine Gallone, celui-là même qui avait réalisé Scipion l’Africain à Cinecittà sous les ordres de Mussolini, le cinquième fut donc Don Camillo en Russie, le dernier de la série Don Camillo et les contestataires, en l’absence de Fernandel tombé très malade et de Gino Cervi refusant de tourner sans son « cher ennemi », connut beaucoup moins de succès.

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La grande salle du musée regorge d’affiches et d’objets ayant trait à cette saga populaire. C’est avec tendresse et une certaine émotion que je m’arrête devant la soutane (« abito di scena ») portée par Fernandel lors du troisième film intitulé La grande bagarre. Le hasard a voulu que je le vois à la télévision quelques jours après mon retour en France. Certes, l’intrigue est un peu faible et le film a considérablement vieilli mais je fus touché par la scène finale où nos deux compères, à peu près réconciliés, se tirent sur leurs deux bécanes une bourre annonciatrice de futures nouvelles joutes.

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C’est toute la magie du cinéma balançant entre fiction et réalité, ce sont les mêmes sentiments qui m’animent devant la moto Guzzi de Peppone ou dans le bureau reconstitué du maire communiste. Les portraits de Staline et Lénine me rappellent que par fanatisme communiste mais aussi pour narguer don Camillo, Peppone voulait faire baptiser son petit-fils prénommé Lénine à l’église.

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L’heure passe, je n’ai pas le temps de trinquer au souvenir des deux personnages hauts en couleurs de Brescello.
Au détour d’un virage, j’entrevois encore la modeste chapelle objet principal de discorde dans Don Camillo Monseigneur. Peppone envisageait de la déplacer pour construire un bloc d’appartements pour les pauvres du village …

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Un peu plus tard, je franchirai le 45ème parallèle de latitude Nord. C’est la ligne qui relie tous les points à la surface de la terre situés à 45 degrés de latitude dans l’hémisphère Nord, c’est-à-dire à égale distance entre l’Équateur et le Pôle Nord. Je vous rassure, ce n’est absolument pas douloureux !

Pour la cohérence de mon propos, vous comprendrez bientôt, je clos ici le présent billet.

Publié dans:Coups de coeur |on 17 août, 2016 |Pas de commentaires »

Vacances (post) romaines (8): de Rome à Sienne en passant par Viterbe et Orvieto

Lunedi 30 maggio 2016

C’est l’heure du départ de Rome, enfin presque ! Nous prolongeons quelques instants encore notre séjour dans la ville éternelle en prenant, par commodité, le petit déjeuner à quelques pas de la maison natale du regretté acteur Alberto Sordi, au cœur du si attachant quartier du Trastevere. Puis, nous descendons jusqu’à l’Antica Caciara, une sublime boutique d’épicerie fine, pour effectuer quelques emplettes alimentaires.

Boutique Pecorini romano blogAntica Caciara blog

La devanture ne paye pas de mine, c’est peut-être la touche antica, mais le seuil franchi, nos papilles sont de suite en éveil. Roberto le patron d’une grande gentillesse nous met à l’aise : si c’est pour ramener en France, je peux mettre sous vide. D’alléchantes salaisons pendent au plafond, les paquets de pâtes aux formes les plus originales encombrent les étagères. Mais nous sommes venus en premier lieu pour les exceptionnels fromages, certains résultent d’un affinage de plus d’un an. Nous repartons alourdis de quelques kilos de pecorino romano vero et d’un parmiggiano tout aussi vrai qui enchanteront nos repas pendant quelques semaines. Ajoutons-y deux bouteilles d’huile d’olive qui ensoleilleront les salades. Cela fait six jours que je n’ai pas utilisé ma voiture. Rome est à taille humaine et se visite facilement à pied ou en transport en commun, tram, bus ou métro selon les destinations. Après la profusion d’églises baroques et de temples romains, nous plongeons dans une Italie profonde encore que la campagne du Latium soit agréable à traverser avec ses villages au milieu des vignobles. D’ailleurs, preuve que la région est hospitalière, pas moins de neuf papes y élurent domicile au XIIIe siècle à Viterbe, première halte de notre remontée vers le Nord. Je découvre même que comme pour les pâtes il y a des antipasti, avec les papes, il y eut des antipapes non reconnus aujourd’hui par le clergé régulier. Viterbe, petite cité vaticane du Moyen-Âge, conserve un centre historique presque trop tranquille en cette matinée de lundi. Je laisse mon véhicule au pied de la vieille ville car le stationnement semble périlleux dans les ruelles entrecoupées d’escaliers et de voûtes.

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Je débouche bientôt sur la Piazza Plebiscito avec les deux palais des Prieurs et du Podestat. Dans la cour du premier, se trouvent des sarcophages qui laissent supposer l’origine étrusque de Viterbe. D’ailleurs, des fouilles ont révélé d’importants vestiges de cette civilisation dans la petite ville voisine de Tuscania. Cela explique aussi que beaucoup de scènes d’inspiration étrusque constituent les motifs des élégantes poteries et céramiques locales. Dans mon salon, trône toujours l’une d’entre elles que mes parents m’avaient offerte lors d’un précédent voyage, il y a plus d’un demi-siècle maintenant. J’adore les places italiennes qui semblent toujours vastes parce que non enlaidies de parkings et de ronds-points intempestifs.

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Viterbe n’est pas une réserve africaine, pourtant, à chaque coin de rue, on tombe sur des lions de pierre. Leur présence remonte à l’époque médiévale des Duecento et Trecento où s’opposèrent militairement, politiquement et culturellement les deux factions (brigate) des guelfes et des gibelins, les premiers soutenant la papauté, les seconds favorisant la dynastie des princes Hohenstaufen et le Saint Empire. Montaigne rapporta dans ses Essais, qu’à l’occasion de ses voyages en Italie, il fut fréquemment considéré comme « gibelin par les guelfes et guelfe par les gibelins ». En tout cas, les guelfes choisirent le symbole du fauve pour leurs armoiries.

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En haut du vieux quartier San Pellegrino, sur la place San Lorenzo, le massif palais des Papes domine la cité. Á cause de sa sympathie pour les guelfes et de l’hostilité des patriciens romains, le pape Alexandre IV déplaça la curie pontificale à Viterbe en 1257 et rénova le palais épiscopal dans sa forme actuelle. Il fit construire notamment un grand espace pour les audiences connu aujourd’hui comme salle du conclave pour avoir accueilli le plus long conclave de l’histoire pontificale entre décembre 1268 et septembre 1271, presque trois ans de vacance. En effet, la situation était bloquée entre Italiens et Français qui voulaient chacun un pape de leur pays du fait de la situation de Charles Ier de Sicile. Pour en sortir, les habitants de Viterbe décidèrent d’enfermer les cardinaux assemblés dans la salle du conclave en ne leur laissant que du pain et de l’eau, et ôtèrent (à vérifier !) le toit du bâtiment « afin de permettre aux influences divines de descendre plus librement sur leurs délibérations » ! Il faut croire que ce fut efficace puisque les cardinaux déléguèrent leur pouvoir décisionnaire à six d’entre eux qui, pressés d’en finir, élurent le jour même Tedaldo Visconti alors qu’il n’était ni cardinal, ni même prêtre. Peu reconnaissant, le nouveau pape Grégoire X demeura à Viterbe à peine plus d’un mois. Le pape Jean XXI résida toujours à Viterbe le temps de son pontificat qui ne dura malheureusement qu’un an parce qu’il mourut à cause de l’effondrement d’un plancher du palais. Le pape français Martin IV déguerpit vite après que les habitants de Viterbe, opposés à l’élection d’un étranger, eussent investi la cathédrale où se tenait le conclave et arrêté deux cardinaux. L’ensemble de la population locale fut excommuniée et les papes ne devaient plus revenir à Viterbe. C’est drôle, vous ne trouvez pas, ces histoires de « psychopapes » ?

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J’accède sur le côté à la loggia dite des bénédictions où les souverains pontifes apparaissaient aux fidèles. Ornée d’arcs ogivaux finement ciselés, la galerie possède en son centre une fontaine du XVe siècle décorée de gargouilles en forme de têtes de lions, évidemment.

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De la loggia, on jouit d’une belle vue sur la cathédrale San Lorenzo (Saint Laurent). Érigée au XIIe siècle, elle a perdu, du moins sa façade, un peu de son caractère roman suite à diverses restaurations. Elle prit évidemment de l’importance lorsque Viterbe devint le siège de la papauté. Le tombeau de Jean XXI, celui qui reçut sinon le ciel, c’eut été un comble, mais le plafond sur la tête, est encore visible à l’intérieur. Sur le côté, se dresse le campanile dont la partie supérieure, avec ses fenêtres en ogives et l’alternance polychrome de travertin blanc et basalte noir, ne peut nier une certaine influence toscane. Á l’intérieur, le carrelage est de style cosmatesque, vous connaissez désormais, et d’élégantes colonnes à chapiteaux délimitent l’espace en trois nefs. Je suis comme d’habitude époustouflé par la richesse des sculptures et des peintures, parmi lesquelles une œuvre d’un anonyme du XIIe siècle représentant une Madonna della Carbonara qui n’a rien à voir avec une manière de cuisiner les pâtes !

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 Á la recherche d’une brasserie pour grignoter, au détour d’élégantes placettes, je débusque encore quelques lions se rafraîchissant aux fontaines. Á Viterbe, les monuments sont taillés dans le pépérin, un tuf volcanique de couleur poivre ou grise.

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J’avais déjà remarqué cette coutume dans certains quartiers de Rome : les faire-part de décès sont affichés sur des panneaux publics.

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 Rassasiés d’une salade de pâtes au basilic, nous reprenons la route pour rejoindre la somptueuse Orvieto perchée sur son socle en tuf volcanique. Nous quittons définitivement le Latium pour la région d’Ombrie.

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 Mieux qu’à Viterbe, dix-sept papes choisirent d’y résider. Quelle gageure, impossible à tenir, que de consacrer seulement trois heures à la visite d’Orvieto ! La circulation en ville étant déconseillée voire interdite, nous stationnons dans un parking couvert un peu sordide au pied des remparts. Un escalier mécanique puis un ascenseur nous hissent à hauteur du chemin de ronde. Nous nous engageons maintenant dans un dédale de venelles pavées.

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Quel havre de paix, l’expression province de charme prend ici tout son sens. Nous débouchons bientôt sur la Piazza della Repubblica bordée par le Palazzo del Comune, l’hôtel de ville actuel, et l’église Sant’Andrea.

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 L’église fut construite à l’initiative du pape Innocent III. L’imposant campanile à douze pans qui la jouxte servit de forteresse à une époque.

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Étendards, bannières et drapeaux flottent dans la rue principale dont la perspective est barrée par la Torre del Moro. Haute de près de cinquante mètres, avec son horloge et ses cloches elle joue un peu le rôle de phare permettant aux touristes de se repérer au fond des ruelles. Elle s’appela Torre del Papa jusqu’à ce qu’en 1515, le pape l’eut cédée à la ville.

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Ma curiosité me pousse, un peu à l’écart, vers la Piazza del Popolo, à cette heure, quasi déserte. J’ai tout loisir d’admirer ainsi le Palazzo del Capitano del Popolo datant du XIIIe siècle. Le capitaine du peuple était une figure politique de l’administration locale qui servait de contrepoids aux puissantes familles nobles de la ville. Devant la façade, est érigé un buste en bronze d’Adolfo Cozza, touche à tout de génie né à Orvieto en 1848. Á dix-huit ans, il prit part auprès de Garibaldi à la bataille du Trentin dans le cadre de la réunification de l’Italie. Sculpteur, il restaura notamment le taureau de bronze de la façade de la cathédrale voisine et façonna quelques statues du Vittoriano (monument à Victor-Emmanuel) de Rome. Architecte, il eut l’idée de construire un funiculaire reliant via un tunnel les villes haute et basse. Ses travaux en archéologie firent autorité. Il se consacra aussi à des études de mathématiques et de mécanique, faisant breveter une trentaine de ses inventions.

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Retour sur mes pas pour une brève pause fraîcheur dans une accueillante gelateria : cornet deux boules parfums melon et menthe ! Divin ! Attention au dithyrambe facile, il me faut garder quelque mesure car c’est un véritable éblouissement, au propre comme au figuré, qui me surprend au bout de la rue.

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Resplendissante au soleil, la cathédrale, le Duomo en italien, est une des œuvres les plus grandioses de l’architecture médiévale de la péninsule. La première pierre fut posée en 1290. Avec l’alternance des pierres de travertin blanc et basalte noir, et les mosaïques colorées en pâte de verre de la façade, elle apparaît comme une majestueuse pièce montée : car oui, je cède littéralement au péché de gourmandise artistique, je croque des yeux toutes ses richesses. Elle est dédiée à l’Assomption de la Vierge Marie (Santa Maria Assunta in Cielo). Sur la façade, au-dessus d’une massive porte en bronze, elle apparaît de dessous des tentures soulevées par deux anges.

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En levant les yeux, on tombe sur quatre docteurs de l’Église (reconnus pour leurs connaissances en théologie), Grégoire le grand, Jérôme, Ambroise et Augustin, circonscrivant une magnifique rosace en date de 1358 bordée par cinquante-deux têtes sculptées symbolisant toutes les semaines de l’année. Les douze prophètes restent de marbre à gauche et à droite, les douze apôtres veillent au-dessus. Sur des piliers, nous contemplent les symboles ailés des quatre évangélistes, un homme (et non un ange) pour Mathieu, un taureau pour Luc, un lion pour Marc et un aigle pour Jean.

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Des bas-reliefs évoquent des thèmes de l’Ancien et du Nouveau Testament. On pourrait passer l’après-midi à découvrir la symbolique de cette profusion d’éléments architecturaux.

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L’entrée au Duomo est payante. Comme le mentionne le billet, cela contribue à la sauvegarde de cette cathédrale unique au monde, et puis l’intérieur ressemble tellement à un musée qu’on ne peut pas s’offusquer de sa non gratuité.

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J’ai hâte d’accéder à la Capella San Brizio (chapelle Saint Brice), un chef-d’œuvre absolu de la peinture italienne que l’on doit aux deux maîtres Fra Angelico (surnommé parfois Beato Angelico ou « Peintre des anges ») et Lucas Signorelli, élève de Piero della Francesca. On peut même les « voir en peinture », c’est la moindre des choses, car Signorelli a eu l’humour de se mettre en scène avec son aîné : ce sont les deux personnages vêtus de noir en bas et à gauche de la fresque représentant l’Antéchrist.

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C’est vertigineux au propre comme au figuré. On a l’impression d’être au centre d’une sphère couverte du sol au plafond de scènes représentant l’Apocalypse et le Jugement dernier, une vision prémonitoire de la fin du monde où l’Humanité devra subir le châtiment de la justice divine. L’art fait oublier quelques instants au mécréant que je suis le destin funeste que certains veulent nous promettre. Un art à consommer al dente ou plutôt al Dante car un tableau surprend l’auteur de la Divine Comédie en pleine lecture.

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En sortant de la chapelle, je dévisage, en toute quiétude sans être dérangé par les faiseurs de selfies, une Pietà qui me procure plus d’émotion que celle sculptée par Michel-Ange.

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Je ne perds jamais le nord quand il s’agit de nourritures terrestres mais je n’ai même pas le temps de faire l’acquisition de quelques flacons du délicieux vin blanc d’Orvieto.
Il nous faut rejoindre Sienne pour prendre possession de notre chambre à l’hôtel Ai Tuffi, un peu à l’écart de la vieille ville. L’accueil y est charmant, la touche toscane sans doute.
Sienne ne nous est pas étrangère, nous louâmes, il y a une vingtaine d’années, un gîte dans les belles collines environnantes au milieu d’un domaine de Chianti Classico … ça vous étonne ? Envoûtés alors, nous ne pouvions pas ne pas nous y arrêter sur le chemin du retour.
Selon la légende, Sienne fut fondée par Senius et Aschius, les fils de Remus fondateur de Rome avec Romulus. Après que Romulus eut assassiné leur père, ils s’enfuirent sur deux chevaux fournis par Apollon et Diane pour échapper à la colère de leur oncle et s’arrêtèrent dans ce coin de Toscane où ils fondèrent une ville du nom de l’aîné Sienus.
Plus sûrement, pour en revenir à des époques moins incertaines, au XIIIe siècle, Sienne et Florence étaient des cités prospères économiquement et rivales politiquement. Sienne, gibeline et partisane de l’empereur, s’opposait à Florence, guelfe et favorable au pape. Elle infligea une cinglante défaite (10 000 morts) à sa voisine lors de la bataille de Montaperti en 1260. Les Florentins prirent leur revanche par la suite et finirent par annexer Sienne en 1557. Pour ce qui me concerne, n’étant ni guelfe ni gibelin, les deux cités toscanes me sont également sympathiques, d’autant que pour tenter d’asseoir leur supériorité, elles n’eurent de cesse de s’embellir à coup de projets architecturaux pour notre plus grand bonheur aujourd’hui.
Une bonne douche réparatrice et c’est parti pour un vagabondage au gré de notre humeur, sans appareil photographique, juste pour retrouver les couleurs de la terre de Sienne, la bien nommée.
La balade aurait pu nous faire perdre le goût du panforte, la délicieuse pâtisserie locale : quelle n’est pas notre stupeur au moment de repartir à l’hôtel, j’ai perdu les clés de la voiture.
Pas de panique, d’abord ma compagne a un double dans son sac, ensuite … sans avoir à implorer toutes les madones des églises de Sienne, je les retrouve sous la table du restaurant où nous avons dîné une heure auparavant. Il n’y a de veine que pour … !

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Sans rapport avec l’épisode des clés de la veille, nous choisissons le bus pour rejoindre la ville haute historique.
Il est tôt mais la cité a déjà revêtu ses atours : les rues à l’élégant pavé régulier ne sont pas encore complètement sèches après l’arrosage municipal.

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Romulus et Remus, à voir leurs mines réjouies, boivent du petit lait aux mamelles de leur louve adoptive. La louve siennoise (lupa senese) regarde devant elle alors que son homologue capitoline est représentée avec la tête de côté. Je ne vous garantis pas l’absolue exactitude de ce détail architectural car j’ai vu au cours de mes promenades des louves très romaines !
Á quelques pas de là, Sallustio Bandini, homme d’église des XVIIe et XVIIIe siècles, mais aussi philosophe et auteur d’une doctrine économique pour la prospérité du peuple, nous toise du haut de son piédestal. En arrière-plan, la petite place Salimbeni est bordée de trois palais qui constituent le siège et les bureaux de la Monte dei Paschi di Siena, la plus ancienne banque encore en activité (depuis 1472).
Un peu plus loin, sur la façade d’une modeste église, une madone semble vouloir s’éclipser, en serrant entre ses bras, non pas mes clés, mais un crâne.
En poursuivant dans la rue commerçante, on tombe sur la Loggia della Mercanzia, la « loggia du commerce » d’où nous saluent des statues de Saint Pierre et de Saint Paul, œuvres de Lorenzo di Pietro dit le Vecchietta, ainsi que des saints protecteurs de la ville.

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Attention mesdames et messieurs, le spectacle va commencer. En tournant au coin de l’édifice, en descendant quelques marches telles un vomitoire d’arène ou d’enceinte sportive, je surgis sur une des plus belles places au monde : la Piazza del Campo, ou plus simplement Il Campo, le cœur de la cité siennoise, si caractéristique par sa forme incurvée de coquille Saint-Jacques et sa déclivité. C’est toujours la même émotion qui m’étreint à chaque fois que je pénètre dans ce qui ressemble à un vaste amphithéâtre.

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Outre sa beauté architecturale, Il Campo tire sa renommée du Palio, l’ancestrale course de chevaux qui s’y déroule deux fois par an.
Depuis une décennie, la place sert aussi de décor à l’arrivée des Strade Bianche (les routes blanches), une épreuve cycliste très spectaculaire qui emprunte les chemins de terre dans la campagne environnante. Une sorte de Paris-Roubaix toscan en somme, je vous l’ai déjà dit, le cyclisme est une religion en Italie et les organisateurs savent donner une touche artistique, historique voire épique à leur sport.
Ce matin, je profite de la bonne exposition au soleil et du peu d’affluence pour admirer la Fonte Gaia, une superbe fontaine ainsi nommée à cause de la joie manifestée par la population siennoise lorsqu’une source, résultat d’un ingénieux travail hydraulique, jaillit sur la place en 1346. Une série de sculptures fut commandée en 1409 à un grand artiste de l’époque, Jacopo della Quercia. Les sculptures originales d’un marbre plus jaune étant préservées de l’usure du temps, dans un musée près du Duomo, ce sont des copies en marbre de Carrare, œuvres du sculpteur siennois Antonio Sarrocchi au dix-neuvième siècle, qui nous sont données à voir aujourd’hui en haut de la place.

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Jacopo della Quercia conçut sa fontaine comme une piscine rectangulaire bordée de sculptures en bas-relief sur trois côtés. Sur la longueur, la Vierge et l’Enfant sont entourés d’allégories de vertus. Les deux largeurs représentent la création d’Adam et l’expulsion de l’Eden. J’imagine Rossana Podesta (voir billets précédents) effectuant quelques brasses dans l’eau turquoise, la douceur de vivre à la siennoise !
Au fil des heures et de la course du soleil généreux, je ne me lasse pas de contempler Il Campo en me postant à hauteur de ses différents escaliers d’accès ou en parcourant la chaussée empruntée par les cavaliers du fameux Palio.

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De nombreuses galeries exposent des peintures et des photographies de cet événement qui attire des touristes du monde entier. C’est impressionnant de découvrir cette foule compacte qui s’agglutine au creux de la « coquille » et les places aux balcons et fenêtres des palais valent de l’or.
Le Palio, sous sa forme moderne, remonte au milieu du XVIIe siècle. Il en est organisé deux par an, le 2 juillet en l’honneur de la Madonna (locale) de Provenzano et le 16 août au lendemain de l’Assomption. La course elle-même, précédée d’un fastueux cortège historique, se déroule sur trois tours du Campo entre les dix cavaliers sélectionnés parmi les dix-sept contrade ou quartiers de la ville. Lors de notre précédent séjour à Sienne, nous avions connu la fièvre des préparatifs pour le palio d’août, chaque contrade arborant déjà ses couleurs.
La compétition est assez violente, chaque concurrent montant à cru peut frapper avec sa cravache les autres cavaliers et chevaux. Le vainqueur reçoit un drapeau en soie peinte, appelé palio, créé spécialement pour chaque édition. Évidemment, chaque course est suivie d’animations festives mais aussi de railleries entre quartiers. Signe des temps, un récent documentaire révélait des pratiques de dopage et de corruption mafieuse malmenant la tradition !
Nous nous dirigeons maintenant vers le point culminant de la ville pour en découvrir l’autre merveille : la cathédrale Santa Maria Assunta appelée couramment Duomo.
« Quelle grandeur, quelle flamme d’amour dans ces petits Siennois. Si ardents, si riches qu’ils fussent au début du XIVe siècle, il leur faut une audace passionnée pour oser concevoir, au plus haut d’une ville et d’un terrain si difficile, l’exaltation d’un tel colosse ».

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Il fallut deux siècles et demi pour la construire (1136 à 1382). Comme à Orvieto, je suis ébloui par la beauté de la façade tout en marbre blanc, noir et rouge, chef-d’œuvre de Giovanni Pisano à la fin du XIIIe siècle.
Les mosaïques colorées aux pinacles sont beaucoup plus récentes et évoquent la présentation de Marie au temple, le couronnement de la Vierge et la Nativité de Jésus.
Le campanile marbré de blanc et de noir avec sa base hexagonale et ses ouvertures de plus en plus grandes vers son sommet domine dans le ciel de Sienne avec la Torre del Mangia du Campo.
Au pied des marches, la lupa senese, perchée sur une haute colonne, surveille. Bientôt, on va en dénombrer autant que de loups dans le Mercantour et le Gévaudan.
Je reste de longues minutes à me réjouir de la richesse et de la finesse de la façade.
Il faut aussi payer son écot pour visiter l’intérieur de la cathédrale. Sans aucune mesure avec la foule presque irrespectueuse de Saint-Pierre de Rome, il y a cependant des attroupements autour des guides qui commentent les plus beaux joyaux artistiques.

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Ainsi, au-dessus de l’autel Piccolomini réalisé par Andrea Bregno, en 1485, pour le pape Pie III, une délicate Vierge à l’enfant est entourée des statues de Saint Paul, Saint Pierre, Saint Pie et Saint Grégoire, sculptées par Michel-Ange.
Une fresque de Pinturicchio, datée de 1504, représente justement le couronnement pontifical de Pie III.

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La nef qui développe une longueur de 90 mètres est remarquable avec ses piliers formés en alternance de tronçons de marbre noir et blanc, soutenant des arches en plein cintre.
Entre les colonnes, au-dessus des cintres, on distingue les bustes en stuc de 171 papes, je ne les ai pas comptés.
Le chœur et le maître-autel datent de 1506. Il abritait la Maestà de Duccio (1308) visible désormais dans le musée de l’Œuvre de la cathédrale.

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Le pavement, du moins ce qu’on ne nous cache pas sous un plancher, est constitué de magnifiques marqueteries en marbre représentant des scènes bibliques et des sibylles.
Par contre, il faudra repasser pour admirer la chaire en porphyre et marbre vert, œuvre de Nicolas Pisano (le fils de celui qui a conçu la façade), actuellement en restauration. J’entrevois vaguement à travers la palissade un des épisodes de la vie du Christ qui y sont représentés.
Je ravale ma déception avec un bronze de Saint Jean-Baptiste sculpté par Donatello.

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C’est bientôt treize heures, on va tester la trattoria Cicce conseillée par notre hôtel, on découvrira plus tard qu’elle appartient au même propriétaire. Une bruschetta pomodoro, des crostoni di formaggi, suivis de tagliatelles aux truffes, le tout accompagné de vin blanc de San Gimignano, vont nous faire oublier complètement ce conflit d’intérêt.

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Il s’en faut de peu que je me laisse séduire par la gelateria proche.
J’ai peut-être eu tort, qui sait si je n’aurais pas été absout par le pape Jules III que je rencontre sous le porche du Palazzo Chigi qui héberge aujourd’hui une académie musicale.
Dans la cour, un élégant puits porte la devise de la famille Chigi : Micat in vertice, « Je brille au firmament ».

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Retour au Campo : le Palazzo Publico et la Torre del Mangia sont maintenant en pleine lumière.
La tour, entièrement en brique hors la partie supérieure en travertin, d’une hauteur de 102 mètres, fut construite en 1325 et 1344. Elle tient son appellation de son premier sonneur surnommé Mangiaguadagni, « mange gains » car il avait une propension à dépenser tout son argent pour la nourriture.
Au pied, en légère avancée, se trouve une loggia en marbre blanc. Nommée Capella di Piazza (la chapelle de la place), elle fut érigée en 1352 en offrande à la Vierge Marie faite par les Siennois reconnaissants d’avoir survécu à la peste noire.
Lors de notre séjour précédent, nous étions montés au sommet de la tour en empruntant l’escalier exigu d’environ quatre-cents marches. De là-haut, on jouit d’une vue superbe sur le Campo en particulier lorsque la propre ombre de la tour s’allonge sur la coquille.
Nous choisissons maintenant de retourner à notre hôtel non sans avoir auparavant effectuer quelques emplettes au Conservatorio agrairia di Siena, une alléchante supérette exclusivement dédiée aux produits régionaux. Nous y faisons notre marché de pâtes, d’huile d’olive et d’un carton de vin blanc d’Orvieto et de Vernaccio de San Gimignano.

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En fin d’après-midi, reposés, nous revenons dans le centre historique de Sienne pour une ultime virée. La vue générale est splendide depuis la basilique San Domenico.

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Cette vaste basilique plus austère, construite au XIIIe siècle, est en brique comme l’étaient beaucoup d’édifices des ordres mendiants de cette époque. Plusieurs éléments sont dédiés à la patronne de la ville Catherine de Sienne. Nous ne pouvons malheureusement les découvrir pour cause d’office.

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Nous nous installons bientôt à une terrasse vers le haut de la Piazza del Campo pour profiter d’une sorte de son et lumière : l’animation de la jeunesse siennoise à l’heure de l’aperitivo, le soleil qui jette ses derniers feux sur les palais avant que les projecteurs ne le relaient.
Ce soir, la douceur de vivre version toscane, c’est déguster avec une paille un Aperol Spritz, vous connaissez depuis un précédent billet, devant ce décor magique.

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Il n’est pas temps de penser qu’il pleut encore et encore en France. Nous dînons à la terrasse de le Finestra, un restaurant sur la place du marché à l’arrière du Palazzo Publico.

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Dois-je vous torturer avec le menu ? Un filetta depesce San Pietro avec un struito de patates arrosé de blanc vernaccio de San Gimignano, et pour dessert, des rigatti au vino Santo bien de circonstance car demain, j’ai rendez-vous avec un ecclésiastique !

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Sur le chemin du retour, je tombe sur une affiche annonçant un prochain concert d’Angelo Branduardi au Duomo. J’avais un peu perdu de vue le chanteur à la chevelure bouclée désormais grisonnante. Je vous abandonne aujourd’hui en sa compagnie.

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Publié dans:Coups de coeur |on 7 août, 2016 |1 Commentaire »

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