Archive pour le 12 juillet, 2016

Vacances romaines (5)

Venerdi 27 maggio

C’est vendredi. C’est le jour du poisson, le jour où l’on doit manger maigre suivant les préceptes de la religion chrétienne. C’est le jour de Saint-Pierre, comprenez ici la visite de la basilique.
Nous avions envisagé d’effectuer la visite le surlendemain pour cause de gratuité des musées du Vatican, le dernier dimanche du mois, mais a contrario, ce devait être aussi un jour de grande affluence car, à midi, le pape récite la prière à l’ange gardien avec les fidèles.
Pour limiter au maximum la foule, nous nous y rendons en début de matinée par le bus. Étonnamment, c’est la première fois de notre séjour que le gardien de notre résidence nous met en garde contre les vols et recommande fermement à ma compagne de mettre son sac devant la poitrine. N’y aurait-il pas que des âmes charitables en ce sanctuaire ?

Chateau Saint-Ange blog

Nous passons devant le château Saint-Ange, ainsi nommé parce que lors de la grande peste de 590, le pape Grégoire Ier aurait eu une vision de l’archange Michel, au sommet de l’édifice, signifiant la fin de l’épidémie en rengainant son épée.
Peu après, en bonnes brebis au sens religieux du terme, nous suivons (bêtement, c’est le mot) le troupeau de sœurs et de jeunes chrétiens qui descendent du bus à la station suivante. Ils s’égaient dans les immeubles voisins tandis que nous nous retrouvons seuls sur le trottoir. À cette station, les voies du seigneur sont sinon impénétrables du moins pas des plus accessibles.
Voilà ce que c’est d’être un peu trop mouton, qu’à cela ne tienne, nous remontons dans le bus suivant pour enfin atteindre la place Saint Pierre.
Nous avons donné rendez-vous à nos amis, un peu présomptueusement, devant la basilique. Nous ne sommes pas sur le parvis de Notre-Dame de Paris : ici, tout est démesurément grand.

Place Saint Pierre blog9

Nous attendent-ils au pied de l’escalier devant la basilique ou au-delà des portiques de sécurité ? La place en forme d’ellipse mesure 198 mètres sur son grand axe et 148 sur le petit. Elle est occupée en partie par un océan de chaises vides prêtes à accueillir la foule des fidèles lors de cérémonies, messes et apparitions papales.
De plus, le contact téléphonique est mystérieusement impossible.
Dans l’attente d’un hypothétique miracle des ondes numériques, c’est le lieu ou jamais non, « ô range » priez pour nous, j’apprécie l’élégance des deux fontaines jumelles sculptées au XVIIe siècle, les « deux pyramides d’écume blanche ».

Place Saint Pierre blog1Place Saint Pierre blog2

Je suis bientôt attaqué par une nuée de vendeurs ambulants de bouteilles d’eau soi-disant fraîches, de tiges à selfies, de fleurs, si ce n’est pas des articles de luxe contrefaits ou des stickers pour des pizzerias du quartier. Ça tient un peu du Carreau du Temple, au sens de l’ancien marché parisien. Vous ne les avez pas repoussés qu’ils vous harcèlent de nouveau quelques mètres plus loin. En plus, à défaut d’être physionomistes, ils semblent polyglottes et ont réponse dans votre langue à tous vos refus même polis.
Pour leur échapper, la solution est de franchir les portiques de sécurité à hauteur des colonnades conçues par Le Bernin. Le génial architecte, suivant les instructions du pape Alexandre VII, imagina la place comme un espace entre deux bras symbolisant l’église accueillant la foule des pèlerins. Construites en 1660, ces colonnades se composent de quatre rangées de 284 colonnes d’une hauteur de vingt mètres. Elles sont surmontées de 140 statues hautes de deux mètres, toutes crées par Le Bernin et ses élèves, représentant les saints et pères de l’église.
Le Bernin maîtrisait également la géométrie : si l’on se place sur un des deux foyers de l’ellipse matérialisés par des plaques de marbre, il semble que la colonnade la plus proche n’est constituée que d’un seul rang de colonnes.

Place Saint Pierre blog4

Au centre de la place, se dresse l’inévitable obélisque taillé dans le granite rouge d’Assouan, à l’origine, au Ier siècle avant J.C, à Héliopolis, pour Caius Cornelius Gallus préfet romain en Égypte. Il fut rapporté à Rome en l’an 37 sur ordre de Caligula qui l’installa dans ce qui sera connu plus tard comme le cirque de Néron. Pline l’Ancien rapporte qu’il fallut construire un navire de mer, le Mirabilis Navis, exclusivement pour son acheminement. Il est communément cité que l’apôtre Pierre fut crucifié, la tête en bas, vers 67-70, approximativement au pied de cet obélisque, d’où parfois son appellation d’aiguille de (Saint) Pierre.
En 1585, le pape Sixte Quint inaugura sa valse des obélisques en déménageant celui-ci à son emplacement actuel.
Ça y est, le contact est établi avec nos amis, ils vont bientôt nous rejoindre à l’entrée de la basilique. En groupes, en ligues (au moins celles des adorateurs du selfie !), en processions, nous circulons de manière très pacifique dans les allées aménagées au milieu des chaises jusqu’au pied des marches.

Place Saint Pierre blog3

Nous pouvons contempler à notre aise l’immense façade conçue par Carlo Maderno, reprenant en partie le projet de Michel-Ange. Réalisée, au début du XVIIe siècle, en travertin avec des colonnes corinthiennes, elle s’étend sur une longueur de 144 mètres et une hauteur de 45 mètres. Certains puristes lui reprochent sa massive apparence plus proche d’un palais que d’une église, ainsi que sa trop grande avancée qui laisse la coupole en retrait.
Sans crainte du vertige, sinon celui que peut renvoyer l’humanité actuelle, le Christ Rédempteur, saint Jean Baptiste et les onze apôtres sont juchés sur l’attique. Un petit cocorico : les statues du Christ et de saint Jean sont l’œuvre du sculpteur lorrain Siméon Drouin. Chacune des sculptures possède une taille de six mètres.

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Au pied des marches, on est accueilli par deux statues colossales de saint Pierre et saint Paul. Modernes, elles furent commandées par Pie IX au XIXe siècle. Signe de la nouvelle ère numérique, elles surgissent au-dessus de deux écrans géants destinés aux retransmissions des cérémonies.

Statue St-Paul blog1Statue St-Paul blog2

Je me mets à l’ombre dans le portique ou narthex qui précède l’entrée dans la basilique elle-même. À l’une des extrémités de la longue voûte décorée de stucs et de dorures, dans une mise en scène assez théâtrale, je découvre une statue équestre de celui qui, selon une chanson populaire, aurait été à l’origine de ma profession.

Saint Pierre narthex blog

Statue Charlemagne Saint Pierre blog

Non ne croyez pas France Gall, ce sacré Charlemagne n’a pas inventé l’école, il était même, dit-on, fort peu instruit. Cela dit, de nos jours, il aurait peut-être le bac comme (presque) tout le monde !
Par contre, Charles Ier le Grand, c’est son nom officiel, fut effectivement couronné empereur en l’an 800 par le pape Léon III dans l’ancienne basilique Saint Pierre construite sous le règne de Constantin, presque au même emplacement que l’actuelle.
Voilà, nous avons retrouvé nos amis et franchissons l’une des cinq grandes portes de bronze pour accéder enfin à l’intérieur du monument.
Je sors mon guide stendhalien : « … Nous voici dans Saint Pierre. On ne peut qu’admirer la religion qui produit de telles choses. Rien au monde ne peut être comparé à l’intérieur de Saint Pierre. Après un an de séjour à Rome, j’y allais encore passer des heures entières avec plaisir. Presque tous les voyageurs éprouvent cette sensation. On s’ennuie quelquefois à Rome le second mois du séjour, mais jamais le sixième ; et si on y reste le douzième, on est saisi de l’idée de s’y fixer. » Je n’aurai pas cette patience.
Un certain temps est nécessaire pour appréhender toute la grandeur de la basilique. Il faut que l’œil s’acclimate à ses immenses proportions. Au premier abord, malgré sa perspective grandiose, elle apparaît moins vaste qu’elle ne l’est en réalité, cette illusion provenant sans doute de l’harmonie de l’architecture. Il faut être au pied de chaque élément du décor pour en saisir le gigantisme. Par exemple, les deux anges enfantins qui soutiennent les bénitiers en marbre font presque deux mètres.

Bénitier Saint-Pierre blog

L’embellie est de courte durée. Je constate une grosse cohue dans la première chapelle à droite en entrant : les flashs crépitent (ils sont curieusement autorisés ici), une forêt de tiges à selfies se dresse. On pourrait imaginer trouver au milieu de la bousculade le pape François ou une personnalité importante. Mais non, la vedette est la célèbre Pietà, le célèbre groupe de marbre de Carrare que sculpta Michel-Ange à l’âge de vingt-quatre ans, pour le Jubilé de 1500.

Saint Pierre Pieta blog1Saint Pierre Pieta blog2

On ne peut l’observer qu’à distance respectable derrière une vitre blindée depuis qu’en 1972, un déséquilibré la mutila à grands coups de marteau. C’est dire que l’émotion est malheureusement absente devant ce chef-d’œuvre, son mouvement des corps et le rendu de ses drapés.
Exaspéré par les goujats qui tentent de se frayer un chemin à grand renfort de coups de coude, je pourrais fanfaronner ma chance d’avoir presque touché une copie parfaite dans la chapelle de l’école des Beaux-Arts de Paris, à l’occasion de journées du patrimoine. D’autant qu’en bons faiseurs de selfies qui se respectent, ils tournent le dos à la Vierge tenant sur ses genoux son fils le Christ mort !
Impossible évidemment de lire sur le ruban qu’elle porte en sautoir, la signature de l’artiste. Un détail pittoresque car c’est la seule sculpture que Michel-Ange signa. Ayant surpris une conversation de visiteurs déclarant que son auteur était un certain Gobbo le Milanais, blessé et orgueilleux, il s’introduisit une nuit dans la basilique pour graver cette inscription : « Michel-Ange Buonarroti le Florentin l’a fait » (traduction).
Non loin de là, le monument dédié à la reine Christine de Suède attire aussi la foule. Couronnée en 1650, celle qu’on appela la reine Christine ne se maria pas et abdiqua quatre ans plus tard, avant de se convertir au catholicisme bien que fille d’un éminent protestant sous la Guerre de Trente Ans. Après que le pape Alexandre VII eût exigé son abjuration publique, elle fut reçue avec faste à Rome. Elle s’installa au palais Farnèse et entretint une relation sentimentale jusqu’à la fin de sa vie avec … un cardinal.

Saint Pierre Christine de Suède blog

Après un séjour en France et quelques manigances avec le cardinal Mazarin (elle réclama la condamnation à mort pour trahison de son écuyer à Fontainebleau), elle se fixa définitivement à Rome dans un palais du Trastevere qu’elle transforma en musée. Elle mena alors une vie de mécénat et devint amie de nombreux artistes dont Le Bernin. Son corps repose dans la crypte de la basilique.

Saint Pierre tombe Jean Paul II blog

Ouf, voici un coin de relative tranquillité, une espèce de « fan zone » paisible où quelques fidèles nostalgiques se recueillent devant le tombeau de Jean-Paul II.
Lors de ses funérailles, en avril 2005, la foule scanda en italien « Santo subito ! », Saint tout de suite. Un mois et demi plus tard, son successeur Benoit XVI dispensa du délai nécessaire de cinq ans, la cause en béatification de Jean-Paul II.
Ce ne fut pas si simple, quelques théologiens s’opposèrent à cette rapide sanctification, étayant leur refus avec les considérations du pape défunt sur la contraception, le rôle des femmes au sein de l’Église catholique, la couverture de quelques affaires de pédophilie de prêtres catholiques (tiens, tiens !) et quelques négociations financières opaques avec la banque Ambrosiano.
Tout finit par s’arranger, ainsi la guérison, reconnue comme miracle, de la maladie de Parkinson d’une sœur d’Aix-en-Provence facilita la décision vaticane de béatification. Le cercueil de Jean-Paul II fut retiré de la crypte en avril 2011 et ré-inhumé le 2 mai dans la chapelle Saint Sébastien de la basilique à la place d’Innocent XI. Aux innocents les mains pleines et le tombeau vide !
Depuis, la congrégation pour la cause des saints, une réunion de cardinaux et évêques, a jugé que l’intercession de Jean-Paul avait été à l’origine de la guérison d’une Costaricienne atteinte d’une maladie incurable, ainsi sa canonisation s’est effectuée, en avril 2014, lors d’une cérémonie sur la place Saint-Pierre.
Ce jour-là, il ne fut pas le seul bienheureux pape à être déclaré saint de l’Église catholique. En effet, Jean XXIII fut également canonisé en la présence inédite de deux papes vivants, François et son prédécesseur Benoit XVI.
Ne me demandez pas pourquoi, j’étais encore jeune sans doute (!), je trouvais ce pape sympathique. Sa bonhommie rondouillarde tranchait avec l’ascétisme de Pie XII. Mon intuition n’était pas si mauvaise puisque les Italiens lui donnèrent le surnom affectueux d’Il Papa Buono, le Bon Pape.
En tout cas, j’avoue mon émotion devant le corps momifié de l’ex cardinal Angelo Roncalli qui repose, depuis 2001, dans un cercueil de cristal sous l’autel de la chapelle Saint Jérôme.

Saint Pierre Jean XXIII blog

Est-ce parce qu’il est décédé il y a maintenant plus d’un demi-siècle, je suis surpris de l’absence d’attroupement autour du Bon Pape.
Des 266 évêques de Rome appelés papes (liste approximative car sujette à caution), successeurs de Pierre, 148 sont inhumés dans la crypte ou à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre. On l’a vu avec la reine Christine, des personnalités non religieuses y reposent également.
Me donnerait-on le bon Dieu sans confession ? Je n’en crois pas mes yeux, on m’autorise à pénétrer dans une zone du sanctuaire quasi désertée. Je comprends vite ma méprise, justement on filtre l’accès aux confessionnaux.

St Pierre blog

Une barrière nous empêche d’approcher de la statue en bronze d’un personnage barbu assis sur un siège : il s’agit de Saint Pierre, le premier des papes en quelque sorte. L’œuvre, postérieure au XIIe siècle, est la copie d’une autre statue en marbre, beaucoup plus ancienne, conservée dans les grottes vaticanes.
Saint Pierre tient fermement dans sa main gauche les fameuses clés du Paradis (pas moyen d’en faire un double !). Signe de vénération, le pied droit du saint est usé par les baisers déposés par les fidèles depuis des siècles.
« Le jour de l’Ascension, nos compagnes de voyage ont vu avec étonnement, et même avec une sorte de terreur, plusieurs paysans de la Sabine ; ils étaient réunis dans la grande nef autour d’une statue de Saint Pierre en bronze. Ils ont usé par leurs baisers le pied de bronze de cette idole. Ces paysans descendent de leurs montagnes pour célébrer la grande fête de Saint Pierre. Ils sont couverts de casaques de drap en lambeaux leurs jambes sont entourées de morceaux de toiles, retenus par des cordes en losanges ; leurs yeux hagards sont cachés par des cheveux noirs en désordre …
Cette statue, roide, fut un Jupiter, c’est maintenant un saint Pierre. Elle a gagné en moralité personnelle ; mais ses sectateurs ne valent pas ceux de Jupiter. L’antiquité n’eut ni inquisition, ni Saint Barthélemy, ni tristesse puritaine. Elle n’eut point le fanatisme, cette passion mère des cruautés les plus inouïes. Le fanatisme a été créé par ce passage : Multi sunt vocati, pauci vero electi, hors de l’Église point de salut. » Des propos qui n’engagent que Stendhal, leur auteur ! Cela dit, on peut, ce matin, être sinon effrayé du moins surpris par le manque de civisme de certains touristes …

Baldaquin Saint Pierre blogCoupole Saint Pierre blogfresque Saint Pierre blogSaint Pierre dais blog

Attention chef-d’œuvre qu’on ne peut admirer qu’à distance, des barrières, encore, en interdisant l’approche sinon à quelques groupes très restreints : à la croisée du transept, l’immense dais de bronze dont Le Bernin recouvrit l’autel papal. Pour être franc, cet espace de confidentialité nourrit cette fois l’émotion détruite ailleurs par l’affluence.
On a là encore du mal à appréhender le gigantisme de l’architecture tant elle est harmonieuse. Le baldaquin est constitué de quatre colonnes tordues s’élevant telles des plantes grimpantes à une hauteur de 29 mètres. Du baroque dans toute sa splendeur que Stendhal exalte ainsi :
« En arrivant près du grand autel (en vérité, c’est un voyage), on aperçoit une sorte de trou revêtu de marbres magnifiques et de bronzes dorés. Cent douze petites lampes sont allumées jour et nuit autour de la balustrade de marbre qui environne ce lieu surbaissé. Là reposent les restes de saint Pierre c’est ici que ce premier chef de l’Eglise souffrit le martyre. Ce lieu vénérable s’appelle la Confession (l’apôtre a confessé sa religion en donnant son sang pour elle).
Le grand autel est disposé comme dans la primitive église ; le célébrant regarde le peuple ; le pape seul a le droit d’y dire la messe.
Heureusement cet autel est assez simple, je le voudrais d’or massif ; un baldaquin en bronze d’une hauteur énorme le fait apercevoir de loin. Cet ornement était nécessaire ; mais on gémit quand on se rappelle qu’il a été fait avec du bronze enlevé au Panthéon. C’est le cavalier Bernin qui exécuta ce baldaquin en 1663. Croiriez-vous qu’il est plus élevé que le palais Farnèse ? Le sommet est à quatre-vingt-six pieds du pavé ; c’est vingt et un pieds de plus que le fronton de la colonnade du Louvre.
Rien ne sent l’effort dans l’architecture de Saint-Pierre, tout semble grand naturellement. La présence du génie de Bramante et de Michel-Ange se fait tellement sentir, que les choses ridicules ne le sont plus ici, elles ne sont qu’insignifiantes.
Je ne crois pas que les architectes aient jamais mérité un plus bel éloge.
Je serais injuste si je n’ajoutais pas le nom du Bernin à celui de ses deux grands hommes. Le Bernin, qui, dans sa vie, essaya tant de choses à l’étourdie, a parfaitement réussi pour le baldaquin et la colonnade.
En levant les yeux quand on est près de l’autel, on aperçoit la grande coupole, et l’être le plus plat peut se faire une idée du génie de Michel-Ange. Pour peu qu’on possède le feu sacré, on est étourdi d’admiration … »
Ce matin, je ne peux malheureusement pas jouir de ce point de vue privilégié mais finalement, cette frustration partielle nourrit aussi la part du mystère et mon admiration.
« Si l’étranger qui entre dans Saint Pierre entreprend de tout voir, il prend un mal à la tête fou, et bientôt la satiété et la douleur rendent incapable de tout plaisir. Ne vous laissez aller que quelques instants à l’admiration qu’inspire un monument si grand, si beau, si bien tenu, en un mot la plus belle église de la plus belle religion du monde. »

Saint Pierre statue pape blog 2Saint Pierre statue pape blog1Saint Pierre Innocent XII  blogSaint Pierre intérieur blog 2Saint Pierre intérieur blog 3

Je me range bientôt aux conseils de Stendhal. Auparavant, tout de même, je m’arme de patience pour jeter un œil au tombeau d’Alexandre VII, un pape humaniste et urbaniste, je l’ai évoqué en d’autres lieux.

Monument Alexandre VII

En la circonstance, les multiples tiges à selfies qui dansent devant, ajoutent une note encore plus baroque à l’œuvre de marbre et de bronze du prolifique Bernin.
Il s’agit presque d’une danse macabre : la mort y est représentée sous forme d’un squelette en bronze doré, surgissant de dessous un linceul et tendant le sablier du temps au pape priant à genoux. Hors le respect exigible en ce lieu, il y a un côté grand guignol qui conclut ma visite.
En sortant, je croise un des fameux gardes suisses appartenant au corps militaire créé par le pape Jules II en 1506. Leur uniforme aurait été dessiné par Michel-Ange, styliste donc à ses heures. Les bandes jaunes, bleues et rouges sont tirées des couleurs des familles de Jules II et de son successeur, le Médicis Léon X.
Ça faisait longtemps, nous sommes bientôt confrontés à l’armée bien moins pacifiste des vendeurs ambulants qui nous assaillent dès la sortie des portiques de sécurité. Chez nous, les dieux du stade s’affichent dans des calendriers; à Rome, ils sont supplantés par des ecclésiastiques très sexy.

Saint Pierre calendrier blog

Les responsables de groupes ralliant leurs ouailles avec un vague tissu au bout de leurs ombrelles ou tiges à selfies, contribuent aussi à notre agacement. Vous y ajoutez les rayons très ardents du soleil, il est temps de retrouver un peu de quiétude à la terrasse d’une trattoria.
L’intolérable harcèlement du patron nous gâchant notre première gorgée de birra a la spina, nous amène à renoncer à lui passer commande des menus. Je déjeunerai plus loin de délicieuses pâtes al pesto et d’une goûteuse glace chocolat et café.
En cet après-midi, la Villa Borghese est un lieu plus propice à la méditation que la basilique Saint Pierre. Il ne faut pas se méprendre sur son appellation : plus qu’un palais, c’est un parc municipal de 80 hectares situé sur la colline du Pincio, comprenant un ensemble de riches musées et d’institutions culturelles.

Porta del Popolo blog

Nous choisissons d’y accéder par la Porta del Popolo dont Montaigne évoque le franchissement dans son Journal de voyage en Italie (1580) :
« Nous rencontrâsmes aucunes contrées de chemins relevés et pavés d’un fort grand pavé, qui sembloit avoir quelque chose d’ancien, et plus près de la ville, quelques masures evidemment très-antiques, et quelques pierres que les Papes y ont fait relever pour l’honneur de l’antiquité. La plupart des ruines sont de briques, tesmoings les Thermes de Diocletien, et d’une brique petite et simple comme la nostre, non de cette grandeur et espoisseur qui se voit aux antiquités et ruines anciennes en France et ailleurs. Rome ne nous faisoit pas grand’ montre à la recognoistre de ce chemin. Nous avions loin sur nostre main gauche, l’Apennin, le prospect du pays mal plaisant, bossé, plein de profondes fandasses, incapable d’y recevoir nulle conduite de gens de guerre en ordonnance : le terroir nud sans arbres, une bonne partie sterile, le pays fort ouvert tout autour, et plus de dix milles à la ronde, et quasi tout de cette sorte, fort peu peuplé de maisons. Par là nous arrivâmes sur les vingt heures, le dernier jour de novembre, feste de Saint André, à la porte del Popolo, à Rome, trente milles. On nous y fit des difficultés, comme ailleurs, pour la peste de Gennes. »
Un escalier un peu rude nous mène sur une première terrasse où l’on jouit d’une splendide plongée sur la Piazza del Popolo avec, en arrière-plan, la coupole de Saint-Pierre dans le lointain.

Piazza deel Popolo vue du Pincio blog

Les jardins plantés de pins, arrosés de fontaines et peuplés de statues n’ont pas l’ordonnancement des parcs parisiens et offrent un aspect un peu négligé, très « rital » en somme.
C’est l’heure de la sieste. Quelques cyclistes et joggers empruntent les voies asphaltées, des couples d’amoureux goûtent au romantisme sur les pelouses, d’autres Romains moins ardents somnolent sur de vieux bancs de bois à l’ombre des bosquets.

Jardin Borghese blog4Jardin Borghese blog6Jardin Borghese blog3Jardin Borghese blog1Jardin Borghese blog2

La promenade réserve quelques surprises, ainsi un lion de pierre échappé peut-être de l’hypogée du Colisée, mais aussi deux gladiateurs plus vrais que nature. Savent-ils que je fus Obélix porteur de menhir, dans ma jeunesse, lors d’un corso fleuri dans ma ville natale ?
On pourrait presque suspendre le temps devant une insolite horloge à eau (le mécanisme est mu par l’eau d’une petite île) en état de marche.

Jardin Borghese blog5

La chaleur altère notre curiosité à dévisager les innombrables bustes qui hantent les allées les plus discrètes, quitte à subir l’affront du romancier Alberto Moravia :
« Nous errâmes un moment par le Pincio ; d’allée en allée, de banc en banc, le long de tous ces bustes de marbre blanc alignés à la file, dans l’ombre des arbres (…). Et Larusso, à son ordinaire, recommençait à avoir l’esprit ailleurs. Oubliant l’amour, il paraissait tout préoccupé par ces bustes de marbre.
– Que représentent toutes ces statues ? me demanda-t-il. Je voudrais savoir qui elles sont…
– Tu vois comme tu es ignorant… ce sont de grands hommes et, parce c’étaient des grands hommes, on leur a fait leur statue et on l’a mise ici. »
Ces grands hommes ont essentiellement participé à l’histoire de l’Italie dans les domaines les plus variés : des héros nationaux, des monarques, des hommes d’État, des peintres et des sculpteurs, des scientifiques, des inventeurs, des romanciers, des poètes, des philosophes, des patriotes, des insurgés, mais par contre aucun pape.
Certains bustes sont délabrés, mutilés, parfois retaillés sur d’anciennes sculptures. On peut épiloguer sur « l’italienneté » de certains d’entre eux : certes, Pythagore aurait fui Crotone et se serait laissé mourir à Métaponte, port de l’Italie antique ; de même, Archimède, l’illustre scientifique grec de l’Antiquité, était natif de Syracuse aujourd’hui sicilienne. C’est un peu comme si je revendiquais moi-même une part d’identité transalpine en référence à un de mes ancêtres normands, Roger de Hauteville, fondateur, en 1130, du royaume de Sicile incluant le duché de Naples. Cela dit, je ne suis grand que par la taille pour mériter un buste.

Buste Archimède Pincio blogBuste Pythagore Pincio blog

Quelques monuments plus imposants rendent hommage aussi à des stranieri (étrangers) illustres comme Goethe, Gogol, Byron.
On peut voir un buste de Chateaubriand non loin de la Villa Médicis, un palais du Pincio qui héberge, depuis 1803, l’Académie de France à Rome. Bonaparte avait choisi l’illustre écrivain pour accompagner le cardinal Fesch comme secrétaire d’ambassade à Rome. Vingt-cinq ans plus tard, il y fut nommé ambassadeur.
Je mentirais si je n’imagine pas, au moins sur le mode de plaisanterie, croiser en plein jogging le journaliste sportif Gérard Holtz, nouvel hôte de la Villa Médicis depuis que son épouse en a pris la direction.
Plus sérieusement, mes pensées émues s’envolent vers La légèreté, la bouleversante bande dessinée de Catherine Meurisse. Dessinatrice à Charlie-Hebdo, elle échappa, à quelques secondes près, au terrible attentat du 7 janvier 2015. Elle fait là œuvre de catharsis en racontant son parcours, dans les mois suivants, pour redonner un sens à sa vie.
« Á la fin novembre 2015, je pars à la Villa Médicis à Rome pour chercher, avec obstination, la beauté. Butée comme une mule, je pars en quête du syndrome de Stendhal, qui est un évanouissement face à la splendeur de l’art ; un choc esthétique que je crois censé m’apaiser radicalement. Evidemment, ça ne se passe pas comme je le prévois… Arrivée à la Villa, il pleut à verse, je ne suis pas immédiatement plongée dans un bain de lumière, comme je l’attendais. On me fait visiter les jardins de la Villa Médicis, et plus particulièrement le carré des Niobides : des statues représentant les enfants de Niobé massacrés par Apollon et Artémis. Nous sommes dix jours après les attentats du 13 novembre. »

Planche La légèreté blog

« Á la vue de cette scène mythologique, je suis transportée dans la salle du Bataclan, et à la rédaction de Charlie le 7 janvier — où je n’étais pas. Par la symbolisation, l’art a permis une médiation entre la violence et moi. J’ai ainsi eu le sentiment d’approcher la mort, les corps de mes amis, en douceur et sans peur. Ces corps, sublimés par la sculpture, n’étaient pas morbides, leur marbre blanc, scintillant, était d’une beauté à couper le souffle. Mon voyage à Rome, au contact des statues et des vestiges antiques, signes d’immuabilité, signes de la violence de l’Histoire suspendue par le temps, m’a permis de retrouver un peu d’éternité, après l’effondrement du 7 janvier. »
Ça s’achève en délivrance devant un tableau du Caravage au Louvre. Poignant, intelligent et drôle aussi !

Umberto 1er blogCasina Valadier blog

Au bout d’une allée, le roi Umberto Ier, héritier de Victor-Emmanuel II, parade à cheval.
Ce n’est évidemment pas en mon honneur que le tapis rouge est déroulé devant le palais que le célèbre architecte Guiseppe Valadier (celui-là même que Stendhal honnit pour sa restauration de l’arc de Titus) construisit au début du XIXe siècle. Il abrite aujourd’hui l’un des restaurants les plus luxueux de Rome.
Je n’ai pas la persévérance encore moins le masochisme d’être contaminé par le syndrome de Stendhal. Il faut faire des choix sur un court séjour, ainsi je renonce à visiter le musée Étrusque, la Galerie nationale d’Art moderne riche de quelques nymphéas de Claude Monet, et surtout la Galleria Borghèse qui détient des chefs-d’œuvre du Caravage, du Titien et du Bernin, Napoléon Bonaparte n’emporta pas tout au Louvre.
Un peu fourbus et accablés par la chaleur, non sans nous être désaltérés auparavant d’une seconde gorgée de birra a la spina (!), nous rejoignons la Piazza Venezia.
C’est l’occasion de constater l’état de vétusté des bus romains. L’usure quasi totale des amortisseurs ne contribue pas à la douceur de vivre de mon postérieur sur l’asphalte de la mythique Via Veneto. Cette célèbre avenue fut un des phares de la vie sociale romaine durant les années 1950-60, avec ses restaurants et cafés de luxe. Elle assied encore une bonne part de sa réputation pour avoir été un lieu de tournage essentiel de La Dolce Vita, le film de Federico Fellini. Une plaque rend d’ailleurs hommage au maestro qui, en fait pour commodité, reconstitua quelques tronçons de la Via Veneto dans les studios de Cinecitta, mais ceci est une autre histoire que je vous relaterai sans doute bientôt.

Dolce Vita Via Veneto blog

Affiche La Dolce Vita blogVia Veneto blog

À propos, La Dolce Vita, Palme d’or à Cannes, Oscar à Hollywood, sortit initialement en France sous le titre La Douceur de Vivre : celle, hormis les douleurs fessières, qui nous accompagne jusqu’au Trastevere, notre quartier d’attache.
Vous commencez à connaître la suite, non ? Le « petit » vin blanc Vernaccia di San Gimignano que je vais boire sous ma tonnelle …

Publié dans:Coups de coeur |on 12 juillet, 2016 |Pas de commentaires »

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