Vacances romaines (4)
Giovedi 26 maggio 2016
Je me demande si, inconsciemment, je ne visite pas Rome pour la conformer aux images des films qui enchantèrent ma jeunesse. En tout cas, nous avons fixé rendez-vous à nos amis à neuf heures trente devant la Fontaine de Trevi.
Comme la veille, tram 8 jusqu’à la Piazza Venezia, puis, après un petit salut à Victor-Emmanuel II toujours aussi royal sur son cheval, je fais connaissance avec les bus romains effectivement en piteux état. Une passagère très agréable vérifie sur son smartphone la station où je dois descendre. Parce que je lis sur divers sites des avis négatifs, n’engageant heureusement que leurs auteurs, je me permets de louer l’amabilité de nombreux Romains à mon égard durant mon séjour, le feeling, ça se cultive ou ça se mérite !
Les nuits romaines sont-elles agitées, le rione (quartier) de Trevi est encore presque endormi. La jouissance est d’autant plus vive, après m’être glissé à travers les ruelles désertes, de déboucher sur la minuscule place où s’encastre presque la célèbre fontaine.
Un éblouissement : celui du marbre blanc tout récemment restauré que le soleil montant dans le ciel illumine progressivement de ses rayons, celui de la musique rafraîchissante de ses eaux vives turquoises.
Pourtant, dans mon imaginaire, le monument est attaché à un souvenir nocturne. Je cite le billet que j’avais consacré à une exposition sur Federico Fellini au musée du Jeu de Paume à Paris :
(http://encreviolette.unblog.fr/2010/01/26/cinema-paradiso-fellini-parigi/)
« C’est l’heure du bain ! Qui plus est, passé minuit, dans la fontaine de Trevi, en compagnie de la plantureuse Sylvia! « Tu es tout, la première femme du premier jour de la création, la mère, la sœur, la maîtresse, l’amie, l’ange, le diable, la terre, le foyer … Ah, voilà ce que tu es, le foyer » : Anita Ekberg en personne, Miss Suède 1950, dont un de ses partenaires disait que ses parents auraient mérité le prix Nobel de l’architecture !
Je ne me lasse pas de voir et revoir cette scène somptueuse en noir et blanc qui appartient à la légende du septième art : « Marcello, come here ! » Qui n’a pas rêvé d’être Mastroianni à ce moment ? J’apprends que cette séquence s’inspire d’un fait divers réel survenu quelques mois auparavant. Dans une vitrine, un exemplaire d’Il Tempo daté de 1958, montre, en effet, quelques photographies de la pin up scandinave, vêtue d’une robe blanche cette fois, se rafraîchissant dans la célèbre fontaine à l’occasion d’une de ses folles nuits romaines. Anita Ekberg et Marcello Mastroianni font partie des couples mythiques de l’histoire du cinéma et pourtant, à aucun moment, leurs lèvres se rejoignent. Vingt-sept ans plus tard, par un artifice dont il a le secret, Fellini scellera enfin un vrai baiser en modifiant dans Intervista la scène de la fontaine projetée au duo d’acteurs vieillis. Dans Nous nous sommes tant aimés où les clins d’œil aux chefs-d’œuvre du cinéma sont nombreux, Ettore Scola reconstitue les répétitions nocturnes de La Dolce Vita, autour de la fontaine de Trevi, avec Mastroianni et Fellini dans leur propre rôle … »
Permettez-moi de photographier la fontaine mythique avant que les dingues du selfie, enfin réveillés, ne débarquent bientôt par grappes.
La fontaine de Trevi est un de ces lieux où les gens se regardent. Ils ne regardent pas le blanc et le bleu des pierres et des eaux. Dans la foule, peu nombreux sont ceux qui réellement la regardent. Non, je vous jure, ils se regardent. Une tradition les invite même à lui tourner le dos pour lancer dans le bassin deux pièces de monnaie, l’une pour revenir un jour dans la Ville éternelle, l’autre pour exaucer un vœu. Je serais surpris que mes parents aient sacrifié à cette coutume lorsque nous visitâmes Rome il y a plus d’un demi-siècle ; si tel fut le cas, c’est donc que c’est efficace, pour l’autre souhait, je ne le saurai jamais !
Près d’un million d’euros serait jeté annuellement par ces visiteurs superstitieux, cette manne étant repêchée chaque jour par l ‘association catholique Caritas et reversée aux Romains dans le besoin. Qu’il ne vous vienne pas à l’idée de plonger la main pour récupérer quelques sesterces, les policiers en faction sur la place ont l’œil. Seul, un goéland (Rome est située à une vingtaine de kilomètres de la côte) profite de la somptueuse douche à l’italienne.
La fontaine est alimentée en eau par l’aqueduc de l’Acqua Vergine construit par Agrippa, le gendre d’Auguste, en l’an 19 avant J.C. Commandée par le pape Clément XII au sculpteur architecte Niccolò Salvi en 1732, elle fut achevée trente ans plus tard.
Sa majestuosité vient de ce qu’elle épouse la façade du palais Poli à laquelle elle est adossée. Comme au théâtre, j’ai envie de m’asseoir sur la rangée de gradins circulaires qui lui fait face et de savourer le spectacle, d’observer en détail toutes les sculptures, d’autant mieux que, ce matin, tel un projecteur de poursuite suspendu aux cintres célestes, les rayons du soleil les éclairent progressivement.
Au centre de la vasque, la niche principale abrite Neptune, le dieu Océan, debout sur un char en forme de coquillage tiré par deux chevaux marins. L’un des équidés semble paisible, l’autre, plus agité, se cabre, à l’image de la mer, tantôt calme, tantôt furieuse.
De chaque côté de Neptune, deux statues symbolisent l’Abondance et la Salubrité.
Au-dessus, deux bas-reliefs représentent la jeune fille vierge indiquant la source à des soldats romains altérés, et Agrippa constructeur de l’aqueduc.
Maintenant que la foule a envahi la place, il est temps de lever l’ancre, non sans vous avoir, auparavant, livré quelques lignes tirées de l’ouvrage La perle et le croissant, de Dominique Fernandez, grand voyageur et membre de l’Académie française :
« … Cent ans après la Fontaine des Fleuves (de la piazza Navona ndlr), l’architecte romain Nicolas Salvi construirait la gigantesque Fontaine de Trevi, apothéose de rochers, d’eaux bouillonnantes, de tritons, de chevaux marins. Deux cents ans plus tard, Anita Ekberg se jetterait tout habillée, lors de la séquence la plus spectaculaire de La Dolce Vita : noces de la beauté moderne et du décor baroque, image qui révèle les racines historiques de Fellini, le dernier Berninien.
Fluidité, mouvement, labilité, les propriétés de l’eau sont aussi les caractéristiques du baroque et, de la première fontaine qui utilisa l’eau comme réfutation et négation de la dureté minérale de la pierre (Bernini, Fontaine du Triton, piazza Barberini 1642) à la Fontaine de Trevi, façade de palais transformée en spectacle aquatique, s’affirme la tendance à répudier l’idéal classique des formes fixes et intemporelles, la volonté de privilégier ce qui bouge, ce qui change, l’insaisissable, le fugace, le chatoyant … »
Les cloches sonnent à l’église Santi Vincenzo e Anastasio a Trevi au coin de la place. Elle n’est plus catholique depuis qu’en 2002, Jean-Paul II l’eut donnée aux orthodoxes bulgares.
Les reliques de vingt-cinq cœurs de papes, de Sixte-Quint à Léon XIII y sont conservées.
Cette église fut bâtie au milieu du XVIIe siècle sur commande du cardinal Mazarin (il naquit dans les Abruzzes). Son nom figure sur le fronton ainsi qu’un mascaron de sa nièce Marie Mancini connue pour avoir été le premier amour du jeune Louis XIV.
À quelques pas de là, il me faut « gravir le Quirinal », la plus élevée des sept collines légendaires de Rome. Au sens géographique de l’expression, cela ne présente aucune difficulté, juste une rue en légère montée et un large escalier pour finir.
Dans son acception politique, la tâche est beaucoup plus complexe puisqu’elle signifie le long chemin pour accéder à la présidence de la République italienne.
C’est, en effet, sur cette place que se trouve le palais du Quirinal, résidence officielle du président de la République depuis 1948. Il fut la résidence d’été des papes lorsqu’ils régnaient sur Rome. Lors de l’annexion des États pontificaux en 1809 par la France sous le Premier Empire, Napoléon Ier l’aménagea puis le rebaptisa palais de Monte Cavallo pour en faire son palais impérial à Rome. Le pape Pie VII retrouva sa résidence à la chute du Premier Empire après avoir été en exil à Fontainebleau. Le Quirinal devint résidence royale à partir de 1870 quand Victor-Emmanuel II fut à la tête de l’Italie unifiée.
Le président de la République italienne est élu au suffrage indirect par la Chambre des députés, le Sénat de la République et des représentants de régions, pour un mandat de sept ans renouvelable sans limitation. Il jouit d’un certain prestige bien que son rôle soit essentiellement honorifique. Le pouvoir exécutif est entre les mains du président du Conseil des ministres, actuellement Matteo Renzi beaucoup plus connu que Sergio Mattarella l’hôte du Quirinal.
Par hasard, j’assiste à la relève des gardes en faction devant le palais. On est loin de la solennité de Buckingham Palace à Londres.
C’est ce qui explique peut-être la presque confidentialité de la cérémonie. En effet, hors de rares badauds, la place quasiment vide est juste occupée par quelques voitures de police et de la sécurité, ce qui laisse présager une sortie prochaine du président.
À côté du palais, se trouve le Palazzo della Consulta qui abrite la Cour constitutionnelle.
À Rome, une piazza ne mériterait pas son nom si elle ne possédait pas son obélisque, sa fontaine et quelques imposantes statues, quitte à aller faire son marché dans d’autres monuments. Le Quirinal ne déroge pas à la tradition grâce à plusieurs papes qui apportèrent leurs pierres de divers endroits.
C’est d’abord, Sixte-Quint qui, à la fin du XVIe siècle, fit amener deux imposantes statues qui ornaient les thermes de Constantin. Elles représentent les Dioscures Castor et Pollux. Selon la mythologie grecque puis romaine, ils seraient venus au monde, en même temps, de deux œufs différents pondus par leur mère Léda après s’être unie à Zeus (Jupiter pour les Romains) changé en cygne et, la même nuit, à son époux légitime Tyndare. Ces divinités ont tout de même de drôles de mœurs.
Manière de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, Pollux serait issu avec sa sœur Hélène de l’œuf du dieu, quant à Castor, il serait avec sa sœur Clytemnestre, les enfants de Tyndare.
Ils sont ici représentés sur leurs chevaux blancs Xanthos et Balios qui leur auraient été offerts par Neptune que vous avez croisé à la fontaine de Trevi.
En 1783, le pape Pie VI fit déplacer légèrement les deux statues équestres pour ajouter un obélisque provenant du mausolée d’Auguste.
Enfin, en 1818, Pie VII effectua un dernier ajout, une vasque de granit ayant servi d’abreuvoir et qui fut retrouvé lors de fouilles du campo vaccino au forum romain effectuées sous l’occupation de Napoléon. Une toile du campo vaccino de William Turner a été vendue récemment à Londres 35,7 millions d’euros, je n’ai pas calculé en livres après le Brexit !
Dans la via del Quirinale, mon regard est attiré par deux statues dans de jolis jardins bien ombragés. La première célèbre le roi Carlos Alberto de Sardaigne connu aussi sous le nom de Charles Albert de Savoie en raison de son appartenance à cette famille. C’est d’ailleurs lui qui, par ordonnance, créa la future station olympique d’Albertville, en réunissant les deux bourgs de Conflant et de l’Hôpital. Il abdiqua pour son fils Victor-Emmanuel II, celui à qui le Vittoriano est dédié piazza Venezia.
Je vous avoue sans honte que lorsque j’ai découvert le nom de Carlos-Alberto gravé dans la pierre, j’ai pensé en priorité au capitaine de l’équipe du Brésil lors de la Coupe du Monde de football 1970. C’était au stade Azteca que, quelques semaines plus tard, j’allais fréquenter lors de mon séjour au lycée français de Mexico. Souvent, j’ai essayé de reconstituer la scène mythique. C’était la première fois que cette compétition était intégralement diffusée en mondiovision, les rencontres étant même programmées à 12 heures pour qu’en dépit du décalage horaire, on puisse assister aux matches à une heure décente.
« Malgré sa position d’arrière, en ce 21 juin 1970, jour de finale contre l’Italie (4 à 1), Carlos Alberto a transformé d’une frappe limpide une action de légende. Cette action, au cours de laquelle le ballon est passé dans les pieds de tous ses coéquipiers avant de terminer sa course au fond des filets, est restée jusqu’à aujourd’hui l’un des plus beaux buts collectifs de l’histoire de la compétition ».
Pour ne pas paraître trop primaire dans mes références, je m’abrite derrière les propos de deux professeurs agrégés de Géographie :
« … Pelé, face au but, glisse, à l’aveugle le ballon exactement dans la course de l’arrière droit Carlos Alberto, en principe défenseur, qui vient de l’autre bout du terrain, conclure et marquer. C’est l’un des buts qui marque l’histoire sur le plan de la qualité du jeu, et qui reste une référence pour tous les amateurs de ce sport. Nous ne sommes pas ici des spécialistes du football à proprement parler, mais n’importe quel amateur de football voit là une opposition énorme de style de jeu, et même de culture et d’identité. Les représentations mentales, l’idée qu’on se fait de soi, l’appartenance à une aire culturelle et ses valeurs, sont des entrées majeures de la géopolitique. On retrouve dans le football et sa culture propre des oppositions comme dans tous les autres champs de la culture, de l’art, de l’expression humaine. » (Jean-André L’Hôpitault et Gérard Buono)
Ça vous en bouche un coin que la statue équestre de Carlos Albert me renvoie au génie du roi Pelé terrassant l’Italie. Je n’étais pas si hors sujet que cela, c’était tout de même une histoire de souverains !
La seconde statue, d’un style beaucoup plus moderne, constitue un hommage aux carabiniers. Deux d’entre eux, emmitouflés dans leur cape, bravent une tempête imaginaire.
Encore quelques pas et j’entre dans l’église Saint André du Quirinal dont la façade ne paye pas de mine. Elle est considérée comme un des bijoux du baroque italien. Elle est l’œuvre de Bernini dit Le Bernin, sculpteur architecte et peintre du XVIIe siècle, qui fut surnommé le second Michel-Ange. Elle surprend par sa forme ovale, le maître-autel étant situé dans l’axe le plus court de l’ellipse. Elle est entourée sur son pourtour de plusieurs chapelles richement décorées.
Encore un petit effort pour parvenir à l’Incrocio delle Quattro Fontane, en langue de chez nous, le carrefour des 4 fontaines. De cette intersection assez passagère, on possède une perspective sur trois obélisques érigés par Sixte Quint. À ses quatre coins, bien postérieures au pape bâtisseur (leur construction fut effectuée par des particuliers propriétaires des terrains limitrophes en échange de la gratuité de l’eau), des fontaines nous rafraîchissent : deux d’entre elles, féminines, représentent Junon et l’oiseau, et Diane et le chien, les deux autres personnifient les fleuves du Tibre et de l’Arno.
Nous sommes au point culminant du Quirinal d’où nous redescendons, cette fois, par une rue plus pentue. Fontaines, je ne boirai pas de votre eau, pendant que ma compagne assure le ravitaillement en bouteilles d’eau, j’observe derrière les grilles la façade du Palazzo Barberini, en partie œuvre du Bernin. Le palais abrite la Galerie nationale d’Art ancien qui réunit des œuvres majeures de la peinture italienne, Titien, Le Tintoret, le Pérugin, Caravage, juste pour vous mettre l’art à la bouche, car pour l’eau je garde la bouteille précieuse avec le mercure qui grimpe.
Piazza Barberini, que découvre-je ? Je vous le donne en mille, une fontaine ! Commandée par le pape Urbain VII, la Fontaine du Triton est l’œuvre du prolifique Bernin. Elle représente le dieu grec des mers Triton, fils de Poseidon et Amphitrie, mi-homme mi- poisson, soufflant dans une conque, juché sur une vaste coquille soutenue par quatre dauphins.
L’obélisque de la Trinita dei Monti en guise de phare, je monte vers le Pincio à la pente raide bien qu’il n’appartienne pas aux sept collines. Je récupère quelques minutes à la fraîcheur de l’église de la Trinité-des-Monts.
« Il y a ici quelques bons tableaux anciens », écrivait Stendhal « et une foule de croûtes modernes. Les artistes allemands viennent dans cette église se moquer de nous, car la plupart de ces croûtes sont françaises ». Est-ce une façon de nous consoler de ne pouvoir visiter l’église pour cause d’office ?
Ce que peu de touristes savent, mais malheureusement c’est interdit à la visite, c’est que dans le cloître, sont peints en haut des murs tous les portraits des rois de France depuis l’origine y compris le premier roi des Francs, Pharamond, l’ancêtre des Mérovingiens.
C’est encore ma déveine, le célèbre escalier de 137 marches qui descend vers la place d’Espagne est recouvert de bâches en plastique sans qu’il s’agisse d’un travail artistique du sculpteur emballeur Christo.
Pour faire avaler la pilule aux nombreux touristes déçus, des silhouettes d’acteurs et actrices célèbres qui ont fait la gloire de Rome au cinéma, sont disposées le long des marches.
Tiens, cette fois, Claudia ma chère connaissance d’enfance m’a reconnu !
Je dépasse aussi Elizabeth Taylor et Richard Burton en tenue de ville. Ils se connurent à Rome dans les studios de Cinecitta en 1961, à l’occasion du tournage de Cléopâtre, le mythique péplum de Joseph Mankiewicz. Elle avait déjà été mariée quatre fois, ils se marièrent deux fois ensemble. Sa vie sulfureuse ressemblait un peu à celle de Cléopâtre qu’elle allait interpréter, la reine d’Égypte ayant épousé successivement Ptolémée XIII son premier frère, Ptolémée XIV son second frère, fut amante de Jules César dont elle eut un fils Césarion, puis la maîtresse de Marc Aurèle qui lui donna trois enfants et était incarné par Richard Burton dans le film.
« Un des grands avantages de tourner Cléopâtre à Rome était la proximité de la délicieuse boutique Bulgari » confiait l’actrice aux gazettes. Peut-être que ce matin, ils descendent justement jusque chez le grand joaillier un peu plus bas !
Au pied de l’escalier, jaillit évidemment … une fontaine, la Fontana della Barcaccia. Elle serait l’œuvre du père du Bernin au XVIIe siècle. Elle représente une barque semblant faire naufrage dans son bassin.
Nous donnons quartier libre une demi-heure aux compagnes, nous savons qu’elle ne pourront pas être dispendieuses dans les boutiques de la Via dei Condotti, une des rues les plus élégantes et luxueuses de Rome. Ici, les enseignes les plus prestigieuses d’Italie y ont pignon sur rue, Gucci, Valentino, Versace Bulgari, Armani, Ferragamo, Ferdi, et à quelques centaines de mètres de Saint Pierre, le diable peut même s’habiller en Prada. Hermès. Dior et Saint-Laurent portent aussi haut nos couleurs.
Je glisse un œil à l’entrée de l’Antico Caffé grec fondé en 1760 pour y surprendre les fantômes de Goethe, Wagner, Berlioz, Andersen, D’Annunzio ou Stendhal qui le fréquentèrent.
Pour que nos compagnes se confessent de leur péché d’envie, je vous avais prévenu qu’elles n’achèteraient rien pourtant, nous entrons, sur la Via del Corso, dans la première église venue, la basilique Saint-Ambroise de Milan et Saint-Charles Borromée. Construite au XVIIe siècle, c’est une ode au baroque avec sa coupole décorée de stucs, ses fresques colorées, ses nuances de marbre, ces colonnades massives, ses plafonds à caissons.
C’est un peu sacrilège dans la ville éternelle, nous cédons cette fois au péché de gourmandise au restaurant d‘Il Brillo Parlante, littéralement « L’ivrogne bavard », j’ignorais être bavard. La terrasse est à l’ombre dans une petite rue étroite à l’écart de la bruyante Via del Corso. Encore que ce soit un ballet répété de limousines noires, les chauffeurs tournant sans doute dans le quartier en attendant que leurs clientes fortunées eussent effectué leurs emplettes dans la via dei Condetti.
Je ne garde pas un souvenir impérissable de ma pizza, par contre, je me délecte au sous-sol d’une exposition photographique sur le thème des acteurs et actrices et des pâtes. Y figure même notre Charles Aznavour … sans la Mamma ni Giorgio le fils maudit !
À deux rues de là, Federico Fellini et Giuletta Masina vécurent au 110 de la Via Margutta. En témoigne une plaque que l’on peut traduire approximativement ainsi :
« Que de rues rares et belles
Qui sont la fierté de ce monde
Et qui enchantent le regard.
Sais-tu, pourtant, ce que je réponds ?
Désormais il est évident
Que c’est la Via Margutta
Qui les bat toutes
Tant elle est unique et spéciale
Et de part le monde elle n’a pas d’égale ! »
Je retrouve la Via del Corso, une large rue absolument rectiligne de 1 500 mètres qui emprunte le parcours urbain de l’antique Via Flaminia. Elle tiendrait son nom des courses de chevaux que le pape Paul II y organisait au XVe siècle. Selon que je regarde derrière ou devant moi, je découvre dans la perspective, ou le Vittoriano de la Piazza Venezia ou l’obélisque de la Piazza del Popolo que j’atteins maintenant.
Son entrée est encadrée par deux églises jumelles, Santa Maria di Montesanto, et Santa Maria dei Miracoli malheureusement en travaux et complètement masquée par une publicité géante pour la compagnie Allitalia.
Le miracle provient, en face, côté Nord de la place, de la Basilica di Santa Maria del Popolo. De construction Renaissance, le quasi incontournable Bernin apporta sa note baroque en ajoutant des statues en stuc sur les arcades de la nef qui distribuent une série de chapelles regorgeant de chefs-d’œuvre, des fresques du Pinturicchio, des statues de Bernini, je vous offre la coupole de la chapelle Gigi dessinée par Raphaël avec la mosaïque de La Création du monde, ainsi que la Crucifixion de Saint-Pierre du Caravage.
On frise le syndrome de Stendhal, il faut éviter la station prolongée. Donc je sors !
En ce milieu d’après-midi, est-ce la chaleur qui accable les touristes (il paraît qu’il pleut toujours chez vous … enfin, chez nous !), la place semble presque déserte. Il est vrai qu’elle est tellement vaste. Je vous parie cependant qu’elle sera absolument comble dans quelques jours si la Squadra Azzura remporte notre Euro de football.
Les obélisques circulent plus facilement dans Rome que les automobiles ! Celui-ci fut ramené d’Héliopolis (en 10 avant J.C) en Basse-Égypte et érigé au Circus Maximus sous le règne d’Auguste. Le pape bâtisseur Sixte Quint commanda au XVIe siècle de le dresser ici.
Il semblerait que ce soit l’architecte Valadier, celui-là même que Stendhal fustigeait pour sa restauration de l’arc de Titus (voir billet précédent), qui soit à l’origine de la forme ovale actuelle de la place ainsi que de l’installation des fontaines. Celle, au pied de la colline du Pincio, est particulièrement majestueuse avec la déesse Rome flanquée de figures allégoriques représentant le fleuve Tibre et son affluent Aniene, avec en-dessous la louve du Capitole allaitant les jumeaux.
Je poursuis ma vaste déambulation dans le centre historique : prochain objectif, la piazza Navona, en empruntant la Ripetta, une autre des trois grandes artères (avec la via del Corso et la via del Babuino) qui forment le « trident » avec la Piazza del Popolo à la pointe. Certaines sources affirment que le coût de sa construction aurait été financé par une taxe sur les lupanars.
C’est une rue qui dégage une atmosphère plus populaire mais loin d’être dénuée de charme avec ses vieilles façades parfois décrépies, ses magasins d’alimentation, ses brocanteurs. On y trouve aussi l’institut des Beaux-Arts.
Très proche de la rive droite du Tibre, un port s’y trouvait encore au XIXe siècle, non loin du pont Cavour, à hauteur des églises quasi contiguës de San Rocco et Saint Jérôme des Croates. Stendhal eut la chance de pouvoir l’évoquer dans ses Promenades.
Son aspect ombragé et son calme relatif sont bienvenus en ce chaud après-midi avant de retrouver l’affluence à l’approche du Panthéon.
Stendhal était dithyrambique à son sujet : « Le plus beau reste de l’antiquité romaine, c’est sans doute le Panthéon ; ce temple a si peu souffert qu’il nous apparaît comme aux Romains … Le Panthéon a ce grand avantage : deux instants suffisent pour être pénétré de sa beauté. On s’arrête devant le portique, on fait quelques pas, on voit l’église et tout est fini. Ce que je viens de dire suffit à l’étranger ; il n’a pas besoin d’autre explication, il sera ravi en proportion de la sensibilité que le ciel lui a donnée pour les beaux-arts. »
Je ne verrai malheureusement pas l’intérieur car la longueur de la file d’attente nous enlève tout courage.
Le Panthéon fut construit en 27 avant notre ère par Agrippa, général (et plus tard gendre) d’Auguste. Ravagé par plusieurs incendies, il fut reconstruit vers 125 après J.C sous le règne de l’empereur Hadrien.
À la différence de celui de Paris, c’est une église, Santa Maria Rotonda, et non une nécropole, encore qu’il abrite quelques rares tombeaux dont le plus célèbre est le peintre de la Renaissance Raphaël. Sur son sarcophage, on peut lire cette inscription : « Ci-gît Raphaël. À sa vue, la nature craignit d’être vaincue ; aujourd’hui qu’il est mort, elle craint de mourir ». Le désastre écologique aurait-il trouvé son coupable ?
Par contre, Stendhal était fort critique sur l’obélisque qui s’élance devant le monument sur la Piazza della Rotonda en mentionnant même un détail cocasse : « Cet ornement est on ne peut pas plus mal entendu. Au lieu de charger la place qui enterre le Panthéon, il faudrait en faire enlever douze pieds de terre. Lorsque le Tibre inonde Rome, tous les rats du quartier se réfugient sur la partie du pavé du Panthéon, qui est placée au-dessus de la lanterne, où on les fait attaquer par des troupes de chats. » Chacun ses plaies, aujourd’hui j’empeste contre la « geste autocentrée des addicts aux selfies » !
Sinon, que voulez-vous, Rome est embarrassée avec ses obélisques qu’elle promène au fil des siècles. Celui-ci, en marbre rouge, couvert de hiéroglyphes, construit à l’origine par le pharaon Ramsès II pour un temple d’Héliopolis, ramené à Rome dans l’Antiquité pour un temple dédié à Isis sur le Champ de Mars (aujourd’hui disparu), fut finalement dressé en 1711 sur la piazza della Rotonda à la demande du pape Clément XI.
La fontaine en marbre qu’il surmonte est plus ancienne (1578) et appartenait au projet d’un autre pape Grégoire XIII d’étendre la distribution de l’eau de l’Acqua Vergine (aqueduc) à 18 nouvelles fontaines publiques.
Pour pondérer l’opinion de Stendhal, je trouve tout de même beaucoup d’élégance à « cet ornement » avec en arrière-plan les maisons ocres et jaunes qui entourent la place.
Pour achever en grande beauté notre promenade, nous rejoignons la Piazza Navona toute proche, un des hauts lieux touristiques de Rome. Près des fontaines, on laisse couler la vie devant soi, c’est sans doute cela le farniente à la romaine, le mot vient d’ailleurs de l’italien fare, faire, et niente, rien. Goûtons donc une demi-heure à une des spécialités du pays, ne faisons rien en savourant à une terrasse notre birra a la spina tandis que des musiciens de rue distillent quelques succès internationaux.
Ça a un côté presque intime, du moins paisible, qui surprend sur cette place démesurément allongée. Sa forme oblongue épouse exactement les dimensions du stade que l’empereur Domitien avait construit au 1er siècle de notre ère.
Il y organisait, non pas des combats de gladiateurs, mais des jeux à la grecque, concours d’éloquence, de poésie et de musique, course à pied, pugilat (ce devait être ce qu’on appelle la lutte gréco-romaine), lancers de disque et de javelot.
Désormais, ce ne sont plus que jeux d’eau. Au centre de la place, majestueusement baroque, se dresse la Fontana dei Fiumi (Fleuves) commandée par le pape Innocent X au Bernin, il a dû tremper dans des délits d’initiés celui-là, ce n’est pas possible !
Comme son nom l’indique, elle représente les quatre fleuves symbolisant les quatre parties du monde : le Danube pour l’Europe, le Gange pour l’Asie, le Rio de la Plata pour l’Amérique et le Nil pour l’Afrique.
La légende prétend que trois des quatre statues, gesticulantes, lèvent le bras pour se protéger de l’éventuel écroulement de la façade de l’église Santa Agnese in Agone. L’écrivain Dominique Fernandez y voit avec humour un refus aux gelati du glacier en face. Plus sérieusement, si l’Afrique se voile la face, c’est pour marquer l’ignorance dans laquelle on était du lieu de la source du Nil à l’époque. Pas d’interprétation hâtive donc !
J’oubliais, cerise sur la pièce montée berninienne, il fallait bien sûr un obélisque. Il porte le nom de Domitien en hiéroglyphes et est surmonté d’une colombe emblème de la famille Pamphili dont le palais se trouve en face.
La fontaine des Quatre fleuves éclipse celles, pourtant gracieuses, du Maure et de Neptune, situées aux extrémités de l’ancien cirque.
Tandis que je tente de sortir du dédale de ruelles du Campo de Marzo, une vieille bigote me fuit devant mes demandes répétées (et polies) de renseignements. Je désirais juste la direction du palais Farnese,
Celui-ci est, depuis la fin du XIXe siècle, le siège de l’ambassade de France en Italie et de l’École française de Rome. Symbole de l’amitié franco-italienne, en dépit de la grenouille de bénitier romaine, le palais fait l’objet d’un bail jusqu’en 2035 en échange de l’hôtel de La Rochefoucauld-Doudeauville, siège de l’ambassade d’Italie à Paris.
Quelques pas encore, nous nous retrouvons vite sur les bords du Tibre, qui plus est, à hauteur du Pont Sixte par lequel on accède directement au Trastevere qui commence à s’animer.
Un petit salut au poète Trilussa, vous le connaissez de l’avant-veille, qui surgit de son mur.
Une pensée aussi pour Alberto Sordi dont je découvre qu’il naquit dans ce quartier populaire : « Acteur et inoubliable interprète de l’histoire de tous les Italiens » !
Il fut l’un des quatre mousquetaires de la comédie à l’italienne avec Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman et Nino Manfredi. Il tourna avec les grands maîtres du cinéma de l’époque Mario Monicelli, Ettore Scola, Dino Risi, Luigi Comencini, Mauro Bolognini, Federico Fellini, dans « tous les films italiens qu’on allait voir dans les années 70 » comme le chantait nostalgiquement Yves Simon.
Cet air va m’accompagner jusqu’à la location où m’attend une bouteille de blanc bien frais de Vernaccia de San Gimignano ! « À Paris, la Seine était grise … », il paraît qu’elle déborde en ce moment ?
