Vacances romaines (7)
Domenico 29 maggio 2016
C’est la dernière journée de mon séjour à Rome. Au programme, j’ai coché quelques lieux que je souhaiterais encore visiter avant mon départ.
Ainsi, pour commencer, après repérages, le photographe d’encre violette a prévu de prendre le petit déjeuner à la terrasse d’un café de la Piazza Santa Maria in Trastevere afin de profiter de la meilleure lumière possible sur la splendide façade de la basilique.
Le quartier du Trastevere, si animé et bruyant en soirée, est quasiment désert en cette heure matinale. Les services municipaux de nettoyage débarrassent les abords de la fontaine de son amoncellement de détritus et de canettes.
Rome est sale, la maire populiste nouvellement élue en avait fait un de ses thèmes majeurs de campagne. Les goélands, voraces et coriaces (c’est presque un calembour de Corneille !), se repaissent, à bec que veux-tu, des vestiges de la nuit festive, version des années 2 000 de la Dolce Vita.
Une légende court qu’en cet endroit, une source d’huile surgit en 38 avant J.C. La population juive alors nombreuse dans le quartier aurait interprété cela comme un signe annonçant la naissance du Messie.
Plus sûrement, la basilique Sainte-Marie du Trastevere est considérée comme le premier bâtiment chrétien officiellement ouvert dans la ville éternelle et le premier édifice religieux de Rome destiné au culte de la Vierge Marie. Dans une petite niche au sommet du campanile qui date du XIIe siècle, elle apparaît portant son enfant.
Très présente, elle est célébrée encore au centre de la frise en mosaïque de la façade. Entourée de dix femmes portant chacune une lampe à huile, elle allaite l’enfant Jésus.
Au-dessous, sur le parapet, au mépris du vide, le martyr Calépode et les trois papes, Calixte Ier, Corneille (rien à voir avec l’auteur d’Horace rival de … Curiace) et Jules Ier, se chauffent leurs arpions de pierre au soleil déjà généreux du matin.
La fontaine de forme octogonale, au centre de la place, existait déjà, selon certains documents, au XVe siècle. Elle fut remaniée, au milieu du XVIIe par Le Bernin puis par le justement nommé Carlo Fontana qui la décora de doubles coquillages affublés du sigle de Rome, SPQR « Senatus populusque romanus », craignait-il qu’on les vole ?
Ce matin, on peut détailler son architecture habituellement masquée en soirée par les grappes de noctambules et fêtards qui s’agglutinent sur les marches, sans doute pas pour goûter son eau au vu des montagnes de bouteilles ramassées par les services de voirie.
Comme presque toujours à Rome, je suis admiratif de l’intérieur de la basilique.
Tout circule dans Rome, même les vestiges antiques. Ainsi, les chapiteaux ioniques qui séparent la nef des bas-côtés furent récupérés dans les ruines des Thermes de Caracalla et du temple d’Isis sis sur la colline voisine du Janicule. Au cours du XIXe siècle, des étudiants mirent à jour les visages des divinités égyptiennes Isis, Sarapis et Harpocrate. Le pape Pie IX eut vite fait de marteler les figures offensantes !
Le pavement du sol est d’inspiration cosmatesque, vous connaissez l’origine de ce style depuis mon précédent billet.
Le plafond à caissons en bois est l’œuvre du peintre italien baroque Dominiquin (XVI-XVIIe)
Dans le dôme, quatre anges émergent d’un oculus et portent un Tempietto, un petit temple rond.
Au centre de l’abside, se trouve la mosaïque Le Christ et la Vierge sur un trône. Ils sont entourés à gauche par les saints Calixte et Laurent et le pape Innocent II, à droite par Pierre, Corneille, Jules Ier et Calépode. Au-dessous, deux files d’agneaux transhument depuis Bethléem et Jérusalem pour rejoindre l’Agneau de Dieu.
Attention joyau artistique, dans une des chapelles collatérales, est conservée la Madonna della Clemenza, une peinture à l’encaustique du VIe ou VIIe siècle, possiblement venue de Grèce à l’époque du pape Jean VII, considérée aujourd’hui comme une icona maior de l’Occident chrétien. Ce pontife de la papauté byzantine semble avoir possédé quelque penchant narcissique car il se fit représenter de son vivant sur de multiples fresques. Les nombreuses restaurations opérées au fil des siècles l’ont quasiment fait disparaître de celle-ci.
Il est temps de prendre le tram « otto » pour rejoindre mes amis à la Piazza del Campidoglio.
La Place du Capitole, vous avez traduit, c’est presque un décor de théâtre voire même de poupée, on surplombe en effet l’entrée du musée du Risorgimento (consacré à l’histoire de l’Unité italienne) où se tient curieusement une exposition sur Barbie, la première idole des jeunes filles.
Discrète, la place, exclusivement autorisée aux piétons, se trouve en retrait de l’imposant monument dédié à Victor-Emmanuel II sur la Piazza Venezia. D’ailleurs, il faut la traverser pour accéder, à l’arrière, à l’ascenseur qui mène à la terrasse panorama du Vittoriano.
Aucun jacassement d’oie n’annonce, ce matin, mon arrivée sur la célèbre colline, ne m’en voyez nullement déconfit (de canard, je préfère !) !
Évitons tout amalgame susceptible d’enrichir un recueil de perles du bac : la place romaine n’a absolument aucun lien avec l’édifice au pays du cassoulet devant lequel la population toulousaine fête ses gladiateurs rugbymen après la conquête du bouclier de Brennus.
Ce Brennus-là, Charles de son prénom, créateur du trophée, est un graveur parisien du siècle dernier, à ne pas confondre avec le chef gaulois éponyme qui, en 390 avant J.C, envoya une nuit ses soldats à l’assaut du Capitole. Selon la légende, les cris des oies consacrées à la déesse Junon, pas si bêtes que cela finalement, alertèrent la garnison romaine en faction.
Tant qu’à fouiller dans mes souvenirs scolaires, c’est le moment de vérifier la justesse géographique s’il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne. La légende naquit de l’enlèvement des Sabines : la colline n’étant quasiment peuplée que d’hommes, Romulus décida de ravir les jeunes filles en âge de se marier dans le peuple des Sabins qui vivaient à proximité. Titus Tatius, le roi des Sabins entreprit alors de marcher sur le Capitole afin de récupérer les malheureuses. Tarpeia, la fille du gardien de la citadelle romaine, lui en facilita l’accès, en échange de son amour ou de bijoux (le motif varie selon les versions). Pour la punir de sa traîtrise, Tarpeia fut précipitée depuis un abrupt vertigineux qu’on situe sur le versant sud vers l’actuelle Via della Consolazione. Par la suite, nombreux traîtres à la patrie subirent le même sort. C’est ainsi que, proverbialement, la déchéance n’est souvent pas très loin de la gloire.
Á l’époque antique, la colline qui surplombe le Forum romano était couverte d’une multitude de temples, arcs de triomphe et colonnes, parmi lesquels les temples dédiés à Jupiter (plusieurs fois reconstruits) et à la « mère des muses » Junon. Tous ces monuments s’écroulèrent au fil des siècles.
C’est Michel-Ange qui tira le lieu de ces ruines en dessinant, en 1536 à la demande du pape Paul III, les plans de la place actuelle. Il ne la verra cependant jamais achevée.
En gravissant l’escalier, mon regard est attiré par une modeste mais touchante statue d’un certain Cola di Rienzo qui, au XIVe siècle, bafoua l’autorité du pape en voulant rétablir la république.
En haut des marches, m’accueillent les statues monumentales des Dioscures, les jumeaux Castor et Pollux dont je vous avais entretenu lors de ma visite au Quirinal.
Au milieu de la place, trône une copie de la statue équestre de Marc-Aurèle dont l’original peut être vu juste à côté, à l’intérieur du Palazzo Nuovo. On dit qu’elle aurait été sauvegardée parce qu’on crut longtemps qu’il s’agissait de Constantin, un empereur qui mit fin à la persécution des chrétiens.
Au fond, le palais des Sénateurs fut construit au XIIe siècle sur les ruines de l’antique Tabularium lorsque, encouragé par Arnaud de Brescia qui stigmatisait la corruption du clergé, le peuple instaura la Commune romaine. Il abritait alors les réunions des magistrats. Il ne se visite pas et est aujourd’hui le siège de la municipalité de Rome.
Devant, une fontaine rend hommage, à travers ses sculptures, à la déesse Minerve ainsi qu’aux fleuves du Tibre et du Nil.
Á l’angle, Romulus et Remus, futurs fondateurs de Rome, se régalent aux mamelles de la louve capitoline. Vous connaissez la légende, ils seraient le fruit de l’union improbable du dieu Mars lui-même et de Rhéa Silva élevée à la dignité de vestale et donc condamnée au célibat. Il n’en fallait pas plus pour que le roi Amulius ordonnât de noyer les jumeaux dans le Tibre. C’est là que la louve, attirée par leurs vagissements, les sauva.
Quatre cyclotouristes quinquagénaires font irruption sur la place, revêtus de la tunique rose de leader du Tour d’Italie : clin d’œil à Vincenzo Nibali qui, dans quelques heures, célèbrera dans Milan en liesse son triomphe au Giro.
Depuis un coin de la place, on jouit d’une vue magnifique sur le Forum romano. Pour le plus grand bonheur des touristes paparazzi, un goéland s’extasie devant l’arc de triomphe de Septime Sévère, réfutant ainsi l’allégation du dessinateur Chaval qui prétendait que les oiseaux sont des cons !
Tant pis pour nos lombaires, nous prenons un vétuste bus (pléonasme) pour rejoindre la Piazza della Repubblica, aussi nommée place de l’Exèdre en raison de la forme demi-circulaire des deux élégants édifices avec portiques qui la bordent.
Même si c’est dimanche, il faut être vigilant pour s’approcher, en son centre, de la fontaine des Naïades.
Dans le plus pur style baroque, les poses lascives de ces nymphes dévouées au lac, à la rivière, à l’océan et aux eaux souterraines, suscitèrent de nombreuses controverses dans la Rome puritaine du siècle dernier.
Je retraverse la chaussée, avec la même prudence, pour m’approcher maintenant de la basilique Sainte Marie des Anges et des Martyrs.
Pie IV ordonna au vieux Michel-Ange (il avait alors 86 ans) de la construire sur les ruines des thermes de Dioclétien. Maintes fois remaniée, sa façade surgit curieusement des ruines antiques.
M’inspirant d’une des sculptures, je médite devant la profusion de marbres, dorures et fresques, cela en devient presque banal dans les édifices religieux de Rome.
Je suis intrigué par la ligne Méridienne que le pape commanda à l’astronome et mathématicien Francesco Bianchini et inaugura le 6 octobre 1702. Le pontife souhaitait vérifier l’exactitude de la réforme grégorienne du calendrier et prévoir précisément la date de Pâques. Il désirait également que Rome soit donc dotée d’une méridienne comme celle réalisée à Bologne par Cassini.
Un petit trou percé dans le mur laisse passer les rayons du soleil qui frappent, selon la période de l’année, plus ou moins loin la méridienne matérialisée par une lame de bronze longue de 45 mètres et sertie dans le marbre.
Cette curiosité servit à régler l’heure de Rome jusqu’en 1846, date à partir de laquelle, ce sont les tirs du canon installé sur la colline du Janicule qui informèrent les Romains de l’heure de midi afin que les cloches sonnent en même temps.
Ça change un peu, je m’intéresse dans la sacristie à une exposition de quelques sculptures de style contemporain.
Nous apaisons notre légère faim dans une brasserie cossue de la Via Nazionale avec quelques antipasti qui ne nous laisseront pas un souvenir impérissable. Nos compagnes améliorent ce très ordinaire en filant en face à la Gelateria Verde pistacchio. Vert pistache comme le van Volskwagen qui sert de comptoir à l’intérieur et le scooter Vespa sur le trottoir que j’enfourcherais bien subrepticement pour emmener dans mes rêves ou plutôt mes souvenirs Rossana Podesta (voir billet précédent !). Encore qu’un peu plus bas, je guigne une rutilante Ferrari !
La Via Nazionale est une artère très commerçante dont les boutiques sont pratiquement toutes ouvertes, même en ce dimanche après-midi, pour le bonheur des … mangeuses de glace.
Le temps est lourd et nous envions Diane, Junon et Triton le dieu des mers qui se prélassent dans leurs fontaines respectives aux abords de la place Barberini.
Pendant que ces dames poursuivent leur lèche-vitrines dans la galerie commerciale Alberto Sordi luxueuse comme un temple romain, les messieurs savourent leur première gorgée de bière de la journée.
Juste en face, la Piazza Colonna tire son nom de la colonne élevée en son centre, à la fin du IIe siècle, en l’honneur de l’empereur Marc Aurèle. Comme pour Trajan, des bas-reliefs racontent les épisodes marquants de ses guerres.
Le drapeau tricolore vert blanc rouge flotte sur la façade du Palazzo Chigi. Siège du chef du gouvernement à l’époque fasciste, ce palais abrite aujourd’hui le conseil des ministres.
Les journalistes du quotidien Il Tempo, installé dans l’immeuble voisin, sont aux premières loges pour être informés de l’actualité politique nationale.
J’emprunte la longue Via del Corso pour regagner une dernière fois la Piazza Venezia avec le Vittoriano dans la perspective.
Curieux, je passe sous un porche et découvre en plein cœur de Rome un verger d’orangers et de citronniers déjà couverts de fruits.
Allez, encore un petit effort jusqu’au Largo di Torre Argentina. Au centre de cette place, en contrebas, subsistent les ruines de quatre temples de l’époque de la République. On dit que Jules César aurait été assassiné à cet endroit le 15 mars 44 av. J.C.
Cette zone de fouilles archéologiques est interdite au public. Par contre, de nombreux chats y rôdent tranquillement au milieu des colonnes antiques. Un refuge pour les parrainer est même installé.
Sur un côté de la place, on peut voir la façade du Teatro Argentina où, en 1816, se tint la première mondiale du Barbier de Séville, l’opéra de Rossini. Figaro qua Figaro là, Figaro su Figaro giù, je ne me risque pas à en chanter l’air principal, il pleut suffisamment comme ça en France !
Nous décidons de passer notre dernière soirée romaine avec nos amis dans le quartier du Trastevere. Après une balade dans les ruelles déjà animées à l’approche de l’aperitivo, nous nous asseyons à la terrasse de la Piazza Santa Maria où nous avons presque pris nos habitudes. Je ne peux quitter Rome sans avoir goûté à l’Aperol Spritz, l’apéritif qui fait fureur en Italie. Deux doses d’Aperol ou Campari, trois de pétillant Prosecco, un trait d’acqua frizzante, un quartier d’orange, et paille aux lèvres, vous sirotez le cocktail à la mode tandis que l’habituel avaleur de poignards entame son spectacle de rue.
On ne change pas de trattoria quand on est satisfait : comme la veille, nous allons manger à la terrasse de chez Ivo. Nous ne pouvons échapper à l’incontournable chanteur de rue, un très lointain ersatz de Zucchero. Á défaut d’un peu de son talent, il en possède l’aspect hirsute. Confondu par tant de ringardise sympathique, je lui donne l’euro que je n’ai pas lancé dans la fontaine de Trevi.
Le temps de déguster mes délicieux spaghetti a la carbonara arrosés d’un vin blanc du Lazio bien frais, je vous offre une rasade de Zucchero, le vrai, dans un duo, qui plus est, avec Luciano Pavarotti. Miséreux, trinque à la vie !
Il n’y a pas de gelateria chez Ivo. Le couple assis à la table à côté dissipe vite ma déception en prononçant au serveur trois mots magiques : affogato al caffé ! La gastronomie italienne associe deux de ses fleurons pour un dessert divin : un espresso brûlant répandu sur une ou deux boules de glace à la vanille. Si on y ajoute de fins copeaux de chocolat (blanc pour moi), cela devient un tartufo bianche affogato al caffé. C’est le petit Jésus, Saint Pierre, Saint Paul, et les autres apôtres en culotte de velours !
Après un tel délice, les langues se délient volontiers avec nos charmants voisins. Quadragénaires, ils habitent à quelques pas de là et manient avec excellence la langue de Molière. Lui, il a effectué plusieurs stages de voile aux Glénans en Bretagne, elle a séjourné pour ses études à Aix-en-Provence, Toulouse et Strasbourg. Ils répondent avec objectivité aux interrogations que nos promenades ont pu faire naître sur la Rome actuelle. Bientôt, sans doute après avoir livré nos impressions sur Cinecittà, la conversation prend une tournure très Cahiers du Cinéma. Il avoue une préférence pour Robert Bresson, ce n’est pourtant pas le réalisateur français le plus accessible, mais c’est vrai que Une femme douce avec Dominique Sanda marqua ma jeunesse. On évoque l’âge d’or des cinémas français et italiens. On parle du festival du film britannique de Dinard que nous fréquentons chaque automne, et bien sûr du vieux mais toujours jeune Ken Loach, fraîchement primé à Cannes la semaine précédente.
On va quitter Rome à regret. Qui sait si je n’aimerais pas y vivre s’il venait aux Français la funeste idée de succomber l’an prochain aux dérives extrême-droitières ?