L’accent circonflexe est mort, vive l’accent circonflexe!
C’était un mercredi pluvieux. Les mouvements de grève et les manifestations de colère des chauffeurs VTC et des agriculteurs bretons embouteillaient Paris et sa périphérie. Bref, un jour à ne pas mettre le nez dehors.
Quelques têtes (bien ?) pensantes ne trouvèrent rien de mieux pour mettre un peu de couleur à ce matin maussade, que d’annoncer la mort de l’accent circonflexe.
Les Français, la tête déjà farcie par l’embrouillamini de la question de la déchéance nationale, exaspérés même au point de s’en désintéresser, crurent un instant que cet encart nécrologique glissé discrètement dans l’actualité du jour était une blague de carnavaux, pardon de carnavals.
D’où émanait-il d’ailleurs ? Contactée par le journal Le Monde, la ministre de l’Éducation nationale fit mine de ne pas comprendre : il ne s’agissait pas d’une réforme mais d’une simple mise à jour des manuels scolaires à partir d’un texte de 2008. L’Académie française y alla aussi de son communiqué pour affirmer qu’elle n’avait jamais rien imposé dans l’affaire.
Bref, « c’est pas moi, maitresse », ce n’étaient les ognons de personne précisément ! En tout cas, il y en a un qui n’a pas perdu de temps, ainsi, le correcteur orthographique de mon ordinateur est resté impassible devant mon audace post-moderne d’écrire les mots en gras ci-avant.
Bon, cela ne s’est, probablement, pas passé comme je le raconte, mais c’est un peu ce que l’on ressent ! En attendant le prochain remaniement ministériel, pourquoi ne pas donner quelques coups de canif à notre belle langue française.
« L’orthographe ? moi, je la trouve très bien telle qu’elle est. J’ai toujours été bon, vous comprenez. D’ailleurs, il n’ y a pas tellement longtemps, tout un chacun était à peu près bon. À douze ans (de mon temps) puis à quatorze, âges successifs du certificat d’études primaires, chaque Français savait écrire correctement sa langue, même s’il butait sur quelques malicieuses vacheries surgies sous le pied çà et là, comme « châtaignier », « silhouette », « chausse-trape » ou « chariot », qui mettaient un peu de piment dans la page d’écriture et faisaient de la plus bucolique des lettres d’amour une aventure aussi semée d’embûches qu’un roman de chevalerie. Ne me parlez pas de « pou », « hibou », « joujou » et de leur « x » au pluriel, non plus que de « festival », « carnaval », « naval » et compagnie, dont justement la bizarrerie même mobilise l’attention et fait qu’on risquera plutôt de coller au pluriel un « x » à verrou qu’un « s » à hibou … Car notre esprit est ainsi fait que l’anormal pique notre curiosité et se fixe mieux dans la mémoire. Les verbes irréguliers anglais sont ceux qu’on retient le plus vite, parce qu’irréguliers, justement. »
Ce n’est pas de moi mais j’adhère complètement au propos du regretté François Cavanna, fils d’immigré des Ritals, anar provocateur de Charlie-Hebdo (dont il fut le fondateur), et surtout, en la circonstance, jaloux de la langue française comme on l’est d’une femme aimée.
Il la défend, la vénère même avec tellement de talent et de truculence que, pour nourrir ce billet, je puiserai sans doute encore dans Mignonne, allons voir si la rose … (premier vers d’un célèbre poème de Ronsard), un livre qu’il écrivit, en 1989, pour déclarer son amour au français.
Coïncidence probablement pas fortuite, il y avait donc anguille sous roche, ce savoureux ouvrage était sous presse tandis que se profilait cette fameuse réforme de l’orthographe qu’on nous ressert un quart de siècle plus tard.
En effet, le texte à l’origine de nos « mots de tête » émane du Conseil supérieur de la langue française (mis en place par Michel Rocard, Premier ministre de l’époque), on a donc trouvé un coupable. Il avait été publié dans les « Documents administratifs » du Journal officiel le 6 décembre 1990. Étant donné la mission de défense et d’illustration de la langue française assignée à l’Académie par son fondateur, il était naturel que Maurice Druon, secrétaire perpétuel à cette date, fût étroitement associé à la préparation de ce rapport. Alors qu’elle ne disposait pas encore du texte du rapport, l’Académie, dans sa séance du 3 mai 1990, fut informée des idées directrices du projet, dont elle approuva l’inspiration et le principe.
Ce qui est assez cocasse, c’est que parmi ceux qui appartinrent, à l’époque, à cette commission chargée de plancher sur des « rectifications orthographiques », on relève les noms de Bernard Pivot, populaire animateur des fameuses Dictées télévisées et des émissions Apostrophes et Bouillon de culture, et de Erik Orsenna, romancier et académicien, auteur de plusieurs ouvrages La grammaire est une chanson douce, La Révolte des accents et La Fabrique des mots, bref deux vrais amoureux de la langue française qui sont d’ailleurs restés très discrets dans la tempête médiatique de ces derniers jours.
En ce qui me concerne, alors que la réforme était encore au placard, j’avais exprimé mon amour de l’orthographe et mon indignation de la voir parfois bafouée ou maltraitée, dans un précédent billet en date du 15 février 2014 : http://encreviolette.unblog.fr/2014/02/15/au-bon-temps-des-dictees/
Pour commenter sur un mode autant taquin que subtil, les fantaisies de notre langue, je citerai volontiers le savoureux article pamphlétaire Je suis orthographe que rédigea Philippe Sollers en 1989 : « Oui, il y a une rectification à faire, et c’est, comme le voulait Littré, de reprendre le mot d’orthographie au lieu d’orthographe ».
Le géographe étudie la géographie, un biographe rédige une biographie, un démographe pratique la démographie … donc logiquement, celui ou celle qui se conforme correctement à l’orthographie devrait être un orthographe ! Oui, mais voilà, le français n’est pas logique, ainsi l’orthographe ne désigne pas la personne mais la science que certains contempteurs eurent vite de qualifier de science des ânes. À moins que l’âne ne fût, tout bêtement, sinon un mangeur de son du moins un bouffeur de lettre, un imprimeur inattentif qui, autrefois, aurait omis le i d’orthographie car c’est bien le mot orthographia dont nous avons hérité du latin !
Le français n’est certes pas une langue figée. Certains d’entre vous se souviennent peut-être qu’au collège, le professeur de Lettres, perfectionniste ou un tantinet sadique (vous choisissez), inscrivait dans le programme des récitations, la célèbre Ballade des dames du temps jadis de François Villon avec les traits de la langue mouvante du XVe siècle :
« Ou est la tres saige Esloÿs,
Pour qui chastré fut et puis moyne
Piere Esbaillart a Saint Denys ?
Pour son amour eust ceste essoyne.
Semblablement, ou est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust gecté en ung sac en Saine ?
Mais ou sont les neiges d’antan ? … »
Dans ma jeunesse, Georges Brassens me facilita l’apprentissage du poème en déposant sa musique sur les vers modernisés.
Souvenez-vous aussi de Jason, le cestuy-là de Du Bellay qui conquit la toison d’or avant de revenir vivre entre ses parents le reste de son âge !
Même si ces formes anciennes nous compliquaient la tâche, nous étions surpris et fiers de nos quelques rudiments de vieux françoué.
Au Moyen-Âge, la langue française était en réalité constituée d’une multitude de dialectes variant considérablement d’une région à l’autre, les parlers d’oïl au Nord, les parlers d’oc au Sud, la langue d’oïl s’imposant progressivement sous la monarchie capétienne.
Pour être plus proche de la réalité, la France était un pays bilingue, une grande partie de la population parlant une langue dite vulgaire (qui est cependant celle de chefs-d’œuvre comme la Chanson de Roland, le Roman de Renart et le Roman de la Rose), une petite minorité constituée des moines, clercs et savants pratiquant le latin.
On situe globalement l’extension et la généralisation de l’usage du français en 1539 lors de la proclamation de l’ordonnance de Villers-Cotterets par François Ier : « Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus dans lesdits arrêts, nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel français et non autrement. »
C’est dans le même esprit que Richelieu fonda l’Académie française en 1635 pour « donner à l’unité du royaume forgée par la politique une langue et un style qui la symbolisent et la cimentent ».
Tant qu’à plonger dans les profondeurs de l’Histoire, je vous offre en prime ce petit cours enseigné par Cavanna avec sa langue fleurie :
« Quand, en cette mémorable année 1066 presque aussi fameuse pour l’écolier que 800 et 1515, Guillaume le Bâtard, qui n’était pas encore le Conquérant, s’embarqua avec ses barons, rudes estafiers pour aller conquérir l’Angleterre et donner à sa femme Mathilde, un sujet de broderie qui occuperait ses doigts de fée jusqu’à l’extrême vieillesse, quand, donc, il s’embarqua, Guillaume , vigoureux quoique illégitime rejeton de la tige du Viking Rollon, parlait français, exclusivement français, français de Normandie, et toute sa joyeuse bande aussi. Son aventure, ayant eu l’heureuse issue que nous enseigne l’Histoire, Guillaume, que nous pouvons désormais surnommer le Conquérant, partagea son tout neuf royaume d’outre-Manche entre ses vaillants, et l’Angleterre désormais parla français, plaise ou non, tout au moins sa caste dirigeante », d’autant plus naturellement qu’aucune langue officielle n’existait alors sur la terre des Angles.
À partir du règne de Guillaume et jusque après la guerre de Cent ans, la langue officielle de la Grande-Bretagne fut le français. La cour et les seigneurs locaux ne parlaient que le français, les décrets royaux promulgués en français, l’enseignement était donné en français ou en latin. Jusqu’à Richard II, le français fut la langue maternelle des rois d’Angleterre.
Si le roi de France avait finalement perdu la guerre de Cent ans, le monde entier, à l’heure actuelle, parlerait français. Si Jeanne d’Arc était resté sagement à garder ses moutons au lieu de vouloir bouter l’ennemi hors de France, le français occuperait dans le monde la place que tient l’anglais, nous ne suerions pas sur les listes de verbes irréguliers et … Le Pen n’aurait pas de vierge symbolique. Saleté de pucelle !
Depuis l’époque de Henry V, roi d’Angleterre de 1413 à 1422, la devise de la monarchie britannique est même d’origine française : Dieu et mon droit.
Force est de reconnaître que les quatre pour cent de notre orthographe affectés par les « rectifications » pèsent bien peu à l’échelle de l’évolution gigantesque de notre langue au cours des siècles.
Malgré tout, comme Cavanna, je l’aime bien notre orthographe, et ce serait sympa de la conserver intacte encore deux bonnes décennies, rien que pour moi, le temps que j’achève mon séjour sur cette terre, les académiciens sont immortels, eux.
Alexandre Vialatte ne suggérait pas autre chose dans les délicieuses chroniques qu’il délivrait dans le quotidien auvergnat La Montagne :
« La grammaire est, après le cheval, et à côté de l’art des jardins, l’un des sports les plus agréables. Il faut toujours garder un vice pour ses vieux jours. La grammaire est l’un des meilleurs. Je serais assez d’avis, avec Audiberti, que l’orthographe est toujours trop simple, il y aurait intérêt à compliquer ses règles … Quand on est amoureux de la langue, on l’aime dans ses difficultés. On l’aime telle quelle, comme sa grand-mère. Avec ses rides et ses verrues. Avec son bonnet tuyauté qui donne tant de mal à la repasseuse. On ne veut pas la faire visager. On la trouverait méconnaissable. Et en serait-elle plus belle ? On ne sait jamais d’avance. Il y a des expériences qui ratent… »
Déjà que Cavanna, encore lui, ne se consolait pas du remplacement de l’apostrophe au charme suranné de grand’mère par un banal trait d’union.
Dire, ma bonne dame, qu’il faille que ce soit un Rital qui nous fournisse de savoureux arguments pour continuer à nous servir de la bonne langue française :
« Je ne sais trop à quoi ressemblent les patronymes grecs dans la langue d’origine, et je préfère ne pas le savoir. Ils sont venus jusqu’à moi tels qu’en bon parler de cheux nous les siècles naïfs les changèrent, et c’est si beau, si merveilleusement harmonieux, cela sonne si juste, qu’il est impossible qu’ils aient été plus réussis en leur originelle, naturelle et vraie de vraie version …
Qu’était en grec Andromaque ? Qu’importe ! C’est en français qu’elle s’est accomplie pleinement … Andromaque, a-q-u-e, c’est là qu’elle triomphe, la brune indomptable, là que son adorable profil prend toute sa séduction et toute sa majesté, oui, là même, par la magie de cet « e » muet qui tendrement féminise l’emphase du « a » sonore. Andromaque, c’est la douleur et la passion, c’est la veuve sublime, de par son deuil même désirable, si désirable … Andromaque, quand on a quinze ans, c’est la mère du copain, une de ces mères aux longues jambes et au chignon bien tiré. Nous sommes tous des Pyrrhus aux pieds d’Andromaque … »
Intarissable notre moustachu ! Il n’y a pas photo, entre Andromaque et Goldorak ! Il est vrai qu’un Italien dès qu’on lui parle d’amour et du vin … Et il continue :
« Agamemnon et Clytemnestre … Quand ces deux-là faisaient l’amour, quel entrechoc de syllabes sonores ! Quel raffut dans le palais de marbre !
En quelle autre langue, ces noms pourraient-ils être aussi beaux ? Là, l’orthographe non phonétique crée du sublime. Les sons tombent à plat si tu n’as pas en même temps la vision du mot. C’est le mot, le mot écrit, qui fait surgir la femme ou le guerrier. Ton œil voit le mot, il ne le déchiffre pas, ne l’épelle pas, mais le survole, d’un coup le reconnaît comme on reconnaît un visage, et voilà : elles sont là, immenses, verticales, terribles, les héroïnes, terribles et femmes, éperdument … »
Vialatte, encore, ne dit pas autre chose : « Les mots d’une langue ont une physionomie ; on peut même dire qu’ils en ont deux : l’une sonore et l’autre graphique entre lesquelles le temps, l’usage, les habitudes ont créé des correspondances qu’on ne détruit pas impunément. L’orthographe purement phonétique défigure à tel point le langage qu’il faut longtemps pour retrouver le sens de la phrase. On la déchiffre comme un rébus … »
C’est sans doute pour cela que vous êtes chagrinés de la cure d’amaigrissement imposée au mot nénuphar emblématique de la réforme.
Sans que vous puissiez croire en une sympathie de ma part à l’égard de ce changement, il faut savoir tout de même que l’Académie française a écrit nénufar de 1762 jusqu’à la huitième édition de son Dictionnaire en 1935. La préconisation de revenir à cette écriture trouve sa justification dans l’origine arabo-persane fā du mot alors que le digramme ph correspond au phi du grec ancien. Voilà donc la première victime de la déchéance des binationaux et, en cette époque sensible, la maladresse de stigmatiser inutilement une origine !
Ne culpabilisons pas trop hâtivement, il y eut bien pire, ainsi à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, une chanson très populaire interprétée par Alibert qui racontait l’histoire d’un « p’tit négro qui avait du r’tard » nommé Nénufar (avec un f) partant à la conquête des belles Parisiennes. Elle portait même le sous-titre de Marche de l’Exposition coloniale : racisme affiché et humour douteux, voyez que ce n’était pas toujours mieux avant !
La grenouille de La Fontaine qui avait des rêves d’opulence serait-elle en équilibre instable sur le nénuphar rachitique anémié de son taux de ph ? Balzac dans La Comédie humaine et Chateaubriand dans Le Génie du Christianisme optèrent pour le nénufar.
Certes, les deux orthographes vont cohabiter. Je pense même que le nénuphar a encore de beaux jours au moins auprès des écoliers admiratifs des nymphéas de Claude Monet !
Par contre, pour ce qui est des ognons, nul besoin de les (é)peler, mes yeux pleurent déjà.
L’accent circonflexe me rend perplexe, du moins sa suppression partielle. Cavanna, viens à mon secours !
« Ces accents circonflexes, coquins petits chapeaux posés comme des ex-voto au-dessus d’une lettre pour conserver le souvenir d’une compagne disparue : « carême », « mêler », « tâche », « impôt » … Je ne sais pas si c’est pour ces coquetteries que j’aime le français, j’ai bien d’autres raisons de l’aimer, mais il me semble que je l’aimerais moins sans elles, et je sais avec certitude que je souffrirai beaucoup si, maintenant que j’y ai pris goût, on me les supprime. »
Pour faire le savant, l’accent circonflexe (collage d’un accent aigu et d’un accent grave) est l’un des cinq signes diacritiques utilisés en français (avec les accents aigu et grave, le tréma et la cédille). Il a pour fonction principale de coiffer les voyelles de certains mots homophones ou d’indiquer la disparition de certaines lettres du français ancien. Clin d’œil toponymique, Cavanna, si ému devant cet accent, habitait un hameau de Seine-et-Marne nommé Forest, subsistance d’une ancienne forêt.
L’accent circonflexe est assez récent puisqu’il fut adopté par l’Académie seulement en 1740, après avoir été vigoureusement décrié et placé au centre de vives polémiques de puristes pendant deux siècles. Il était alors considéré comme le signe même de l’innovation et de la modernité de la langue française tout en étant refusé et moqué par les tenants de l’orthographe traditionnelle. En cette France catholique d’avant 1700, il ne fallait pas prononcer le mot circonflexe sous prétexte que les imprimeurs hollandais (la famille Elzevier), tous protestants, éditaient des œuvres en français justement avec cet accent. Voilà comment cet accent si progressiste, pour ne pas dire gauchiste, est devenu terriblement conservateur de nos jours !
J’avoue que cela me chagrine d’être possiblement catalogué comme réac (ou « vieux con » allez-y), mais renoncer en plus à laisser choir, comme je le fais depuis plus d’un demi-siècle, le chapeau de cime dans l’abîme, ça me trouble « grave » (expression de rajeunissement !).
Je n’ai aucune prétention, ni compétence, pour argumenter mot à mot sur les bienfaits ou non de l’accent circonflexe, mais il faudra que l’on m’explique en quoi nous faciliterons la tâche des élèves en faisant cohabiter un fruit mûr et une poire mure. Ils attendront peut-être que cette dernière soit blette pour contourner la difficulté ! Et pour ne pas lui compliquer la vie, je n’irai plus dans les ronciers autour de chez moi, cueillir des mûres mures avec ma petite fille ! « Il est sûr », «êtes-vous sure ?», je n’ai aucune certitude mais je crois bien que le circonflexe vous snobe désormais, mesdames !
Bon, il me semble qu’on a sauvé d’un élagage intempestif l’imparfait du subjonctif dont il me plaît de truffer parfois mes billets.
Pour détendre l’atmosphère, je file dans le parc de Saint-Cloud avec Hortense, une jeunette de vingt ans, des yeux bleus et un nez en trompette :
« Elle me dit » Ça colle-t’y ? »
« Ouais » qu’ j’y dis
« Bon » qu’elle dit
Je lui plus, elle me plut
On se plut, nous nous plûmes
Avec rage, sans partage
Nous nous p’lures d’oignons
Je lui plus, elle me plut
On se plut, nous nous plûmes
Un nid d’ plumes sans costume
Et aïe donc, Cupidon ! … »
Bon, cela ne fera pas trop de dégâts phonétiquement car il s’agit là d’une chanson très populaire du début 1900 reprise par Marie-Paule Belle dans les années 1970. Cela ne m’empêchera pas d’aller « plumarder » avec Hortense à l’issue de la promenade.
Par contre, la question de l’accent circonflexe peut faire naître quelques perles avec le poème en prose L’huître de Francis Ponge, fréquemment proposé aux candidats du bac de français :
« L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.
A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en dessus s’affaissent sur les cieux d’en dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner. »
En fait cette réforme de l’orthographe, d’ailleurs déjà presque désavouée par Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française, irrite parce qu’elle semble surgir pour de médiocres raisons, à savoir elle donne l’impression d’une « simplification » à l’usage d’élèves qui ne lisent jamais de littérature, qui liront de moins en moins, qui n’écrivent guère, sinon des sms et tweets rédigés phonétiquement, afin qu’ils puissent un jour décrocher un bac. « C Kler ? » ! D’ailleurs, ils écrivent hashtag correctement, sans aucun problème, comme quoi lorsqu’ils veulent … Le logeur de l’appartement de Saint-Denis où se replièrent des terroristes du 13 novembre 2015 fait de l’humour involontaire en écrivant au juge: il ne veut pas être le « bouquet missaire » dans cette affaire!
Cavanna était plus virulent voire violent que moi : « Je sais, c’est très mal porté de dire ça, au jour d’aujourd’hui. L’orthographe est un instrument de torture forgé par la classe dominante pour snober les croquants, la grammaire un galimatias insultant toute logique et toute cohérence, la langue française dans son ensemble un tas de boue juste bon à entraver l’essor de la pensée. Voilà comme on doit causer, qu’on le veuille jeune loup dans le vent ou contestataire bon teint. Allez vous faire foutre ! Le français est la plus amusante, la plus scintillante, la plus stimulante pour l’esprit et l’imagination de toutes les langues qu’il m’a été donné de connaître avec quelque intimité. Tas d’imaginations débiles que vous êtes, bandes de feignasses à qui il faut tout mâcher, saletés de sociétaires de la Comédie Française qui supprimez les « e » muets dans les alexandrins, si vous saviez, petits cons, ce qu’on peut se marrer avec des virgules et des passés simples (que vous appelez « imparfaits du subjonctif », en vous croyant malins !), si vous saviez ! Plus qu’avec une guitare, merdeux, bien plus ! Et sans faire chier les voisins. »
J’essaie parfois de rassembler mes derniers neurones pour me souvenir de mon bon vieux temps des dictées, et surtout comprendre pourquoi l’orthographe ne constitua jamais pour moi un instrument de torture. Il y avait le temps de l’école évidemment, mais il y avait également le temps de la lecture à la maison des romans de Maurice Genevoix, Louis Pergaud, Alexandre Dumas, Pagnol, ou encore, oui, oui, la légende des cycles contée par Antoine Blondin et Abel Michea dans L’Équipe ou Miroir-Sprint. Chaque année, à l’approche du Tour de France, je vous en offre quelques morceaux choisis. Gamin, j’ai su vite écrire correctement le mot dithyrambe, je sais même qu’il est du genre masculin !
J’y pense maintenant, au fait, que vais-je faire de la dictée de Prosper Mérimée encadrée avec une collection de plumes dans mon entrée (voir photo dans l’avant-propos du blog) ?
« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient et quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis et de leur infliger une raclée alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires… »
Avec le nouveau charcutage orthographique, on dégustera plutôt désormais un cuisseau de chevreuil à la sauce grand veneur, je suis vraiment « vénère », Maurice Genevoix et Paul Vialar doivent se retourner dans leur tombe, souvenez-vous La dernière harde et La grande meute.
Plutôt que m’exciter, on va achever ce billet avec Alexandre Vialatte :
« Et c’est d’ailleurs probablement le but des réformes qui visent à supprimer le souvenir de ce que sut l’homme en ne lui laissant pour tout potage que la connaissance limitée de quelques philosophes d’aujourd’hui et de quelques journaux dirigés. N’en sachant pas plus long, l’ « imprégné », le « matraqué », l’ « intoxiqué » n’aura plus de sens critique. Il acceptera le joug sans peine. Ce sera la fin de la liberté, la dictature de la sottise, le règne total d’une tyrannie sans opposant…
… Que restera-t-il d’écrivains, de public, de littérature, de juges sérieux des choses de l’art et de la culture dans une génération composée d’ « imprégnés » ?
Surtout si ce sont des « imprégnés » qui se mêlent de « simplifier » les choses. J’en ai un exemple éclatant. Celui d’un grammairien « imprégné » qui avait « simplifié » la grammaire à l’usage des analphabètes. Il enseignait, aux cours du soir, les illettrés dans les casernes. Ce devait être aux environs de 1910. J’extrais de sa magnifique brochure cette belle règle qui laisse rêveur : « Il n’y a que les verbes en insse qui s’écrivent insse (que je vinsse, que je tinsse), à l’exception de « je pince », « je rince », « je grince », parce que ce sont des verbes en er. »
Voilà ce que donne l’imprégnation. De qui se moque-ton ? »
Plein d’humour et anti conventionnel, Alexandre Vialatte achevait traditionnellement ses chroniques du quotidien La Montagne par cette chute, sans aucun rapport avec le sujet : « Et c’est ainsi qu’Allah est grand. »
Ce ne peut évidemment pas être ma conclusion même pour quelques terroristes de la langue française qui ne réussiront qu’à embrouiller plus encore les pauvres écoliers ainsi que leurs maîtres.
Quelle sera la norme dans la rédaction des lettres de motivation ? Selon que vous choisirez l’orthographe ancienne ou nouvelle, décèlera-t-on en vous des aptitudes pour être rond-de-cuir ou cadre d’une start-up ? En attendant, des ceusses qui se frottent les mains, ce sont les éditeurs de manuels scolaires qui appliqueront la réforme dès la rentrée 2016 !
Ici, tolérez que je continue à écrire … comme avant !