« C’était mes vingt ans » avec Michel Delpech
Je n’imaginais pas que j’irais, un jour, de mon petit hommage à Michel Delpech.
Et puis, il m’a semblé, à l’annonce de son décès au lendemain du jour de l’An, que j’aurais quelques mots à écrire sur lui. Cela m’est venu comme une évidence.
Excusez-moi de ne pas être original mais j’étais alors à cent lieues de penser que la disparition du sympathique artiste déclencherait une telle vague d’émotion à travers notre douce France. Marie Drucker a consacré un long dossier au chanteur disparu dans le journal de 20 heures de France 2, les chaînes d’information et les radios ont passé ses grands succès tout au long de la journée de dimanche, les chaines de France Télévision ont bousculé leur grille de programmes pour rediffuser d’anciennes émissions qui lui étaient consacrées, et il semblerait que Michel Drucker prépare une soirée spéciale dans la seconde quinzaine de janvier.
Pourquoi pour lui ? Pourquoi les obsèques de Jean Ferrat, dans son village d’Ardèche, furent-elles retransmises en direct (et suivies par cinq millions de téléspectateurs un mardi après-midi) sur une grande chaîne nationale alors que Georges Brassens fut inhumé dans une presque stricte intimité à Sète ? Pourquoi tant de compassion pour Michel Delpech alors que, deux mois auparavant, l’annonce de la mort de Leny Escudero fut accueillie avec discrétion ? Pourquoi Chez Laurette plus que Pour une amourette ? Au-delà des volontés des défunts et de leur famille, de leur personnalité artistique, il faut peut-être y voir la reconnaissance d’une chanson populaire qui signifiait au cœur des gens. Encore qu’il ne faille pas trop caricaturer un répertoire.
Oui j’aimais bien Michel Delpech même si je n’ai jamais acheté un vinyle ou un CD de lui. Il ne m’était pas indispensable dans ma discothèque mais comme on a plaisir à croiser quelqu’un sans le fréquenter particulièrement, mes oreilles l’accueillaient toujours avec bienveillance lorsque ses chansons surgissaient soudain sur les ondes. Pour être honnête, par manque de curiosité pour sa discographie assez riche, je me satisfaisais de la dizaine d’énormes succès qu’il avait écrits (parfois en collaboration avec d’autres) dans « notre » jeunesse.
« Notre », car, à une petite année près, nous avions le même âge, c’est d’ailleurs pour cela sans doute que ses chansons de cette époque sont indémodables à mon cœur et mon esprit. Elles m’accompagnent comme des souvenirs de mes vingt ans. Ses couplets « parlent » à ma génération car, avec des mots simples fleurant bon souvent la nostalgie, Michel captait l’humeur de ce temps-là, racontait notre insouciance et notre bonheur de vivre durant ce que Françoise Giroud dénomma la « parenthèse enchantée »:
« C’était nos 15 ans
La bande aux copains, les cocas, le ciné
le madison twist et les petits baisers
sur la bouche des fiancés
C’était nos 15 ans
C’était « Only you », les boutons, le printemps
Les boums du sam ‘di, les cibiches à 100 francs
Le premier été sans parents … »
Pour tout avouer, j’étais peut-être un peu moins précoce, encore que … en tout cas, je n’ai jamais fumé !
Cependant, en l’été 1965, même si nous n’étions pas encore majeur à dix-huit ans, nous commencions à serrer d’un plus près les jeunes filles en dansant sur une voix de crooner interprétant Chez Laurette. En plus, le jeune homme apparaissait sympathique aux yeux de mon paternel, avec son costume bien coupé, sa cravate à pois (comme Bécaud) et ses cheveux raisonnablement longs !
L’année suivante, il chante, à l’Olympia, en première partie de l’immense Jacques Brel qui fait ses adieux au music-hall. Oui, rien que ça !
Le succès explose avec un curieux tube, sans phrases, juste une litanie d’événements, un inventaire à la Prévert qui retrace l’actualité de l’année 1966 sur fond d’une mignonne histoire d’amour (le p’tit raton laveur, le poète surréaliste oblige), une vraie chanson documentaire ou vintage dit-on aujourd’hui. La minijupe inspirée par Mary Quant de plus en plus mini, mini, mini (dixit Jacques Dutronc), les bottes du créateur de mode Courrèges mort ces jours-ci aussi, Georgette Lemaire une « nouvelle Piaf » (bien vite oubliée), un piaf de toutes les couleurs chanté par Bécaud, le scandale de La Religieuse de Diderot adaptée au cinéma par Jacques Rivette, la pièce Les Paravents de Jean Genet qui ravive les plaies de la guerre d’Algérie au théâtre de l’Odéon investi par les « paras », la naissance de David le fils de Johnny et Sylvie couple mythique des yéyés, Parly 2 un nouveau concept de centre commercial, un drugstore aussi, il y a tout cela et bien autre chose en 1966 … et malheureusement, toujours le général de Gaulle comme président, sous le regard curieux de Barbara et Serge Reggiani et au grand désespoir d’une jeunesse bouillonnante. Mais Mai 1968 approche !
Il y a un peu de laisser-aller, le col de chemise ouvert succède à la cravate ! Mais le pire est à venir avec bientôt, les chemise à fleurs, vêtements quasi incontournables pour chanter le mouvement hippie : Wight is Wight, référence aux immenses rassemblements pop et rock de l’île au sud de l’Angleterre de la fin des sixties et aussi clin d’œil au Black is Black (le Noir c’est noir de Johnny), autre succès de l’époque. C’est comme un soleil dans le gris du ciel, c’est sûr, Bob Dylan, Joe Cocker, Jimi Hendrix, The Who, The Moody Blues, The Doors, Miles Davis, Leonard Cohen, Donovan, Supertramp, entre autres, y participèrent. On planait.
Après la grande messe peace and love, voilà Pour un flirt qui, dans la bouche du jeune homme gentillet, passe mieux sur les ondes que le « j’aimerais simplement faire l’amour avec toi » de Polnareff et le « Je t’aime moi non plus » de Gainsbourg et B.B (Brigitte Bardot). La révolution sexuelle est en marche : Un petit tour, au petit jour, entre tes draps !
Faire écouter cela à sa petite amie, ça pouvait nous faciliter la tâche, du moins, cela pouvait peut-être l’éclairer sur nos intentions sans qu’il faille comme les Don Jujus, les Don Juans de Nougaro, dire des fadaises/Pour voir enfin du fond de son lit/Un soutien-gorge sur une chaise/ Une paire de bas sur un tapis. J’arrête là car pour un billet avec vous, je ne suis pas prêt à écrire n’importe quoi !
Et puis, les histoires d’amour finissent mal en général, dit-on dans une autre chanson, la preuve, deux ans plus tard, Michel Delpech écrit Les divorcés, il en sera un :
« … Les amis vont nous questionner
Certains vont se croire obligés
De nous monter l’un contre l’autre
Ce serait moche d’en arriver
Toi et moi à se détester
Et à se rejeter les fautes.
Alors il faut qu’on ait raison
Car cette fois-ci c’est pour de bon :
C’est parti pour la vie entière … »
Cela semble bien banal aujourd’hui, mais lorsque cette chanson fut écrite, la loi autorisant le divorce par consentement mutuel n’existait pas. On comprend que cette chanson toucha les cœurs déjà meurtris par la désunion.
« … Par dessus l’étang
Soudain j’ai vu
Passer les oies sauvages
Elles s’en allaient
Vers le midi
La Méditerranée
Un vol de perdreaux
Par dessus les champs
Montait dans les nuages
La foret chantait
Le soleil brillait
Au bout des marécages
Avec mon fusil dans les mains
Au fond de moi je me sentais
Un peu coupable
Alors je suis parti tout seul
J’ai emmené mon épagneul
En promenade
Je regardais
Le bleu du ciel
Et j’étais bien … »
J’ai toujours eu un faible pour cette ode à la nature, difficile à fredonner quand l’air prend, comme les perdreaux, de l’altitude. Plus que la fable écologique, j’aime l’atmosphère romantique, bucolique. J’y retrouve peut-être un petit quelque chose de mes lectures de mon enfance, de Raboliot et des romans de Maurice Genevoix, écrivain au style remarquable qui savait si bien nous captiver quand il racontait la même forêt solognote.
La discographie de Michel Delpech est souvent autobiographique, ainsi ici il puise dans ses souvenirs d’enfance dans sa famille (qui) habite le Loir-et-Cher, un département qui prête bientôt son nom à un autre grand-succès.
Dans ce rock mâtiné de bourrée, Michel croque avec humour le contraste marqué qui existe dans une France encore rurale, entre la ville et la campagne. Je me souviens que pour exprimer leur caractère rustique, les paysans étaient catalogués parfois, de manière un peu méprisante, péquenauds, bouseux, glaiseux ou culs-terreux.
Aujourd’hui, juste revanche, les vrais gens de la campagne se gaussent des néo-ruraux dérangés par le chant trop matinal du coq ou lles cloches de l’église qui sonnent l’Angelus.
Effet collatéral de la chanson, beaucoup de Français découvrirent un peu mieux ce département méconnu souvent confondu avec le Loiret et la région des châteaux de la Loire. Constitué de paysages et terroirs très variés, il recouvre une partie de la Beauce, la Gâtine tourangelle, la Grande Sologne, le Perche Vendômois, les plateaux et collines du Cher et la Sologne viticole. Il tient son nom de deux rivières le traversant, le Cher et le Loir (sans e). Il compte comme hommes célèbres, outre Michel bien sûr (!), l’inventeur Denis Papin et le poète Ronsard dont Les amours de Cassandre auraient été inspirés par un bal au château de Blois. Voyez quelles considérations peuvent naître d’une chanson même de variétés. !
Digression en forme de conclusion : j’ai appris la mort de l’artiste en me rendant un dimanche à Roissy. Gilbert Bécaud qu’il admirait beaucoup avait choisi l’aéroport d’Orly dans sa chanson. Je venais chercher une nièce en provenance de Caracas, est-ce plus loin que Pézenas, s’interrogeait Boby Lapointe … il ne savait pas ! La jeune fille descend du jet tandis que des militaires lourdement armés nous éloignent d’un tapis où roule un bagage étrangement seul. Cela me laisse le temps de vous parler de l’ascendance de l’inénarrable Boby pour un simple plaisir homophonique :
« Le papa du papa du papa de mon papa
Etait un petit pioupiou
La maman du papa du papa de mon papa,
Ell’, ell’ était nounou
Lui son nom, c’était Aimé Dépèch’
Et elle s’appelait Amélie Vite
Et attendez, attendez vous allez voir la suite…
… Dans l’opprob’ du ruisseau
J’vas d’ce pas demander à son papa
La main de la belle Amélie Vite
Qui de ce fait va devenir Amélie Dépêche
Et leur fils, le papa du papa de mon papa
Qu’on nomma : Yvan Dépêche
Eut pour fils mon grand’papa Guilo qui était
un saint
C’était Saint Guilo Dépêch’… »
Comprenne qui voudra mais ce qui est vrai, par contre, c’est que dans l’atmosphère pesante qui régna soudain, j’ai pensé à … la jolie Marianne de Michel Delpech :
L’ancien professeur ne va pas chicaner, Marianne symbole de la République naquit en septembre 1792 mais l’auteur, par licence poétique, devait bien trouver une rime aux fleurs de lys.
La vie mouvementée de Marianne et ses cinq enfants trouve une résonance dans les événements tragiques qui nous bouleversent aujourd’hui, et est souvent chantée sur les ondes. Elle marcha même près de moi dans les rues de Paris, il y a presque un an. Nul doute qu’elle m’accompagnera encore longtemps.
J’ai deux raisons très personnelles d’avoir un petit faible pour Michel Delpech : d’abord, il se prénommait, en réalité, Jean-Michel comme moi, ensuite, dans notre jeunesse, il ressemblait à un ami très cher qui est parti trop tôt lui aussi.
Voici une photographie de Michel vieillissant que j’avais prise, en 2008, à l’issue d’un concert de Bruce Springsteen auquel il avait assisté près de moi.
On l’accompagne dans La fin du chemin, une chanson, presque un conte un peu mystique, en guise d’adieu. La voix est encore belle, le regard toujours aussi doux, romantique, un brin nostalgique. Lui aussi a accepté l’inéluctable avec dignité et sérénité.
15 janvier 2016
Ce qui suit fait partie des petits bonheurs de tenir un blog.
Une de mes lectrices, touchée par mon hommage à Michel Delpech, m’a offert un émouvant poème écrit par sa maman dont elle a effectué la nostalgique illustration.
Plutôt que le publier dans l’anonymat des commentaires, je préfère le mettre en lumière en conclusion de mon billet.
L’ami Michel était un chanteur populaire par excellence. Ses couplets parlaient au cœur des gens parce qu’ils leur racontaient des pans de leur vie avec simplicité et tendresse.
Que l’auteure et l’illustratrice de ce témoignage plein de douceur et d’affection en soient remerciées !

Vous pouvez laisser une réponse.
C’est une magnifique rétrospective et un bien bel hommage que vous rendez à Michel Delpech. Pour ma part je l’ai évidemment beaucoup entendu dans ma jeunesse, et l’un de mes premiers achats de vinyle fut pour le 45t « Vue d’avion un soir », une chanson intemporelle dont les paroles restent gravées : « … D’ici, il n’y a pas de guerre(…) d’ici on pourrait croire que les gens sont heureux, la terre est un Paradis vue d’avion… ». J’ai appris sa disparition au matin dimanche dernier, un peu avant de traverser le Loir-et-Cher (où mes pensées se sont tournées vers lui-même s’il n’y a pas vraiment vécu) en remontant d’Amboise vers les Yvelines… On ne pouvait qu’aimer cet homme!
Je vous remercie pour ce chaleureux commentaire.
En effet, la tendre et belle chanson que vous évoquez (dont la musique fut composée par un populaire animateur de jeux de fin d’après-midi !) trouve une émouvante (mais aussi dérangeante) résonance aujourd’hui, « tous les hommes s’aiment vu d’avion »…
Je vous en offre le lien ainsi qu’aux autres lecteurs:
https://youtu.be/DN1AghN15Rw
Puissent Michel le romantique, mais aussi Cabu, Wolinski, Tignous, Charb, Bernard Maris et leurs amis voir ainsi le monde de là-haut. Pardonnez-moi, cependant, si j’en doute.
C’est avec une certaine fierté que ma mère a pu voir sur mon téléphone portable la publication de son poème sur votre blog! Et puis les couleurs sont en parfaite harmonie avec celles de vos pages… C’est une belle mise en valeur! Solange vous remercie infiniment!