Un vieux Prix Goncourt
Les feuilles se ramassent à la pelle. C’est la saison des prix littéraires. Chez les libraires, les livres primés s’exposent en tête de gondoles, promesse d’une certaine explosion de leur vente. C’est le cas du plus prestigieux d’entre eux, le Prix Goncourt. C’est également le plus ancien. Il fut créé par Edmond de Goncourt, lui-même écrivain souvent en collaboration avec son frère Jules : « Je nomme pour exécuteur testamentaire mon ami Alphonse Daudet, à la charge pour lui de constituer dans l’année de mon décès, à perpétuité, une société littéraire dont la fondation a été, tout le temps de notre vie d’hommes de lettres, la pensée de mon frère et la mienne, et qui a pour objet la création d’un prix de 5000 F destiné à un ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année, d’une rente annuelle de 6000 francs au profit de chacun des membres de la société. » Aujourd’hui, avec l’inflation, le montant du prix ne possède plus qu’une valeur symbolique de 10 euros que les lauréats ont l’habitude d’encadrer.
Le prix Goncourt récompense des auteurs d’expression française depuis 1903. Il ne peut être décerné qu’une seule fois au même écrivain. Supercherie qui confirme la règle, Romain Gary l’obtint deux fois, d’abord en 1956 pour son roman Les racines du ciel, puis en 1975 avec La vie devant soi qu’il écrivit sous le pseudonyme d’Émile Ajar.
Quelques heureux élus ont connu une remarquable postérité, tels Marcel Proust avec À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919), volume 2 de À la recherche du temps perdu, Maurice Genevoix avec Raboliot (1925), André Malraux pour La condition humaine (1933), ainsi que l’auteur de l’inoubliable Guerre des Boutons, Louis Pergaud, pour un roman naturaliste De Goupil à Margot. Ma liste n’est pas exhaustive et de nombreux autres écrivains de valeur figurent au palmarès, ainsi Michel Tournier, Bernard Clavel, Patrick Modiano, Julien Gracq, Érik Orsenna pour citer quelques-uns qui peuplent ma bibliothèque.
Le premier lauréat fut John-Antoine Nau avec son roman Force ennemie. Connaissez-vous le second ? J’ai eu l’occasion de le découvrir récemment en ouvrant un carton un peu poussiéreux de livres que j’avais « judicieusement » conservés lorsque j’avais vidé la maison familiale à la mort de ma maman, il y a déjà quinze ans. Voilà que dessous Laframboise et Bellehumeur, un roman de Maurice Genevoix, et Histoires naturelles de Jules Renard, j’exhume un document protégé d’un papier bleu, je reconnais bien là le soin minutieux apporté par nos aïeux ; c’était le temps où l’on couvrait livres et cahiers.
Á la vue du titre de la première page, La Maternelle, je soupçonne un manuel scolaire ancien. La couverture me corrige : « La maternelle de Léon Frapié, roman ayant obtenu le Prix Goncourt 1904, Calmann-Lévy éditeurs, nouvelle collection illustrée de 1910 ».
Instant d’émotion : ce livre, vieux de cent-cinq ans, appartenait donc à mon grand-père Ernest Roulland, valeureux instituteur et directeur d’école de la Troisième République dont j’ai évoqué le souvenir dans mes deux billets consacrés à ma maman (voir billets des 14 et 19 mai 2014).
Excusez mon manque de curiosité, je comprends mieux aussi l’existence, en région parisienne notamment, de nombreuses écoles maternelles ou primaires baptisées du nom de Léon Frapié.
L’écrivain (1863-1949), fonctionnaire employé à la préfecture de la Seine, épousa en 1888 une institutrice, Léonie Mouillefert. De son expérience professionnelle qu’elle lui faisait partager, il tira la matière de plusieurs romans et nouvelles, ainsi L’institutrice de province (1897), L’Écolière (1905), La boîte aux gosses (1907), Les contes de la Maternelle (1913), Les nouveaux contes de la Maternelle (1919), et donc le prix Goncourt 1904. On peut presque parler d’une œuvre autobiographique par alliance.
La mise en page est surprenante : le texte occupe deux colonnes et est aéré avec des croquis de Poulbot, celui-là même dont les dessins de gosses, caricatures commerciales de son talent, s’exposent toujours sur les présentoirs des boutiques de souvenirs à Montmartre.
Grâce notamment à une inspectrice générale Pauline Kergomard, l’école maternelle remplace en 1881 ce qu’on appelait jusqu’alors les salles d’asile : une curieuse dénomination assimilant ces lieux à « des bagnes d’enfants, enfants enrégimentés, casernés, à la chaîne comme des forçats, dressés, soumis au rythme du claquoir, privés de liberté de mouvement, de personnalité, des locaux inadaptés, une hygiène défaillante … »
Avec les lois Jules Ferry de 1881, « pour recevoir tous les enfants de France, le pays se couvre d’un blanc manteau d’écoles (allusion au blanc manteau des églises romanes de l’an mil ndlr), et dans ces écoles, il n’y a plus ni enfants de riches ni enfants de pauvres, il n’y a plus que des égaux traités avec les mêmes soins, objet des mêmes égards. »
Ce sont Les bienfaits de l’Instruction, chanson d’un anonyme, reprise par Christiane Oriol pour la commémoration du centenaire des lois Ferry :
Pour en savourer le lyrisme républicain, je vous livre l’intégralité des paroles :
« Instruction, cette noble devise
Que tout Français répète à l’unisson,
Ce mot sacré, que l’écho le redise,
Instruction ! Instruction !
La France, un jour s’éveillant mutilée,
Se lève et dit en s’adressant à tous :
Partout le sang arrose la vallée,
Par ce spectacle, enfants, instruisez-vous !
Chacun comprit ces sublimes paroles,
Pour éloigner un passé malheureux,
De tous les coins surgissent des écoles
Et l’avenir apparaît radieux…
Instruisons-nous, que ce soit notre gloire.
Sous ton égide, ô sainte liberté,
Bravant l’astuce, interrogeons l’histoire,
Cherchons partout lumière et vérité.
Plus de combats, plus de guerres civiles,
Le despotisme a fait place au progrès,
Le peuple instruit, et des champs et des villes,
En souverain, a rendu ses arrêts.
Par ce levier, tout homme devient libre,
L’enfant grandit et devient citoyen,
Par ce levier, ce jeune cœur qui vibre
Comprend ses droits, les défend au besoin.
Le malheureux, que l’ignorance aveugle,
Courbe l’échine à la voix du tyran
Et ressemblant à l’animal qui beugle,
Il porte au cou le sinistre carcan.
Instruction, mère de la science,
Répands à flots tes bienfaits généreux,
Que devant toi, la servile ignorance
S’enfuie, voyant tes rayons lumineux.
Vous, partisans d’une marche en arrière,
Sachez-le bien, qu’un peuple instruit est fort :
S’il peut parfois s’attarder dans l’ornière,
Un jour pourtant, il touchera au port. »
La réalité du terrain est moins optimiste : malgré la gratuité et l’obligation de la scolarité, il semble qu’à l’époque où se situe le roman, dans le département de la Seine, dix pour cent des classes d’âge scolarisables échappent encore à la classe.
Il est difficile de qualifier de « palais scolaire », comme on dit à l’époque, l’école maternelle de la rue des Plâtriers dans le quartier populaire de Ménilmontant, au nord-est de la capitale : « L’école est dans une rue pauvre d’un quartier pauvre … Voici le paysage : les ruisseaux ont une maladie noire ; la chaussée, de la largeur de deux fiacres, sue gras quand elle n’est pas noyée par la pluie ; les trottoirs, trop peu respectés des chiens, des enfants et des ivrognes, abondent en épluchures traîtresses.
Les boutiques à badigeon sombre portent une gourme négligée d’éclaboussures ; les maisons, au-dessus, tendent leurs faces chiffonnières, cendrées, avec des traînées de larmes couleur de café ; les fenêtres étroites, malsaines n’ont que de la friperie à laisser voir. Des lanternes interlopes, çà et là, dépassent seules l’alignement…
Sur vingt boutiques, on en compte quatorze de marchands de vins et quatre de brocanteurs. Il y a le vins-restaurant, le vins-épicerie, la fruiterie et vins, le vins-crémier, le vins-tabac, le vins-concert et bal musette, le charbon et vins, le bar, la distillerie, le grand comptoir et, pour chaque débit, un hôtel meublé…
Un drapeau déteint signale de loin un local d’utilité publique. De près, on reconnaît une école, aux fenêtres élevées du rez-de-chaussée, à boiseries jaune foncé et à l’architecture de pierres de taille agrémentée, dans le bas, d’affiches officielles et d’inscriptions scabreuses charbonnées par les gamins. »
Les tags, pas forcément artistiques, étaient déjà donc d’actualité.
C’est la zone que chantait Edith Piaf, une enfant de « Ménilmuche », une description fortement réaliste que n’aurait pas désavouée Émile Zola mort deux ans auparavant.
Rose, la narratrice du roman, se trouve dans l’obligation de travailler dans cette école pendant un an : « Je fus fiancée à vingt-trois ans. Il était temps.
Par une grâce, dit-on, assez rare, le surmenage des études classiques n’avait rien détraqué en moi, la longue attente virginale n’avait pas perverti mon imagination. Elevée sans mère depuis l’âge de douze ans, j’étais très simple, très saine, très « nature » : de visage coloré, de caractère gai, de gestes vifs. Mais, enfin, il était temps que la certitude d’un prochain mariage vînt secourir la belle patience de mon tempérament. » Qu’en termes châtiés, cela est confié !
Cette jeune fille de bonne famille, d’excellente morale (!), bardée de diplômes, était promise à un bel avenir et déjà à un beau mariage avec un garçon « au profil chevaleresque d’un Louis XIII adouci (dont) la conversation mettait en poésie les plus ordinaires circonstances de la vie » ! Malheureusement, son père mourant subitement d’une désastreuse affaire d’argent, elle se retrouve orpheline, pauvre et … délaissée car la poésie du fiancé style Louis XIII ne survit pas à la perte de la dot.
Pour ne pas sombrer dans l’ennui et dans la dépression, Rose envisage de trouver un emploi dans l’enseignement. Mais au ministère de l’Instruction publique, c’est déjà la cacophonie de notre actuel ministère de l’Éducation nationale. Voici ce qu’en dit l’oncle de Rose : « Comprends-tu ? Le brevet d’aptitude à l’enseignement primaire, c’est le brevet élémentaire. L’as-tu ? Non. Eh bien, tu collectionnerais tous les diplômes de la création, licenciée, doctoresse, agrégée, académicienne et même décorée, tu ne pourrais pas enseigner la grammaire. » L’enseignement secondaire était bouché par des postulantes moins nombreuses que les primaires mais mille fois plus pistonnées. Rose ne pouvant attendre six mois pour passer l’examen du brevet élémentaire, est prête à accepter n’importe quel travail quitte à cacher ses sacrés diplômes. C’est ainsi qu’elle se fait embaucher comme femme de service (l’équivalent des ATSEM de maintenant) à l’école maternelle des Plâtriers, XXe arrondissement de Paris : environ (!) 200 élèves, de deux à six ans, répartis en trois classes, une directrice, deux adjointes dont une normalienne, deux filles de salle dont Rose.
Elle reçoit sa nomination de la directrice. « … Car c’est la directrice qui nomme ; seulement (il y a un petit seulement), sa délégation est soumise à l’agrément du préfet, et, lorsqu’une place est vacante, la préfecture a soin d’envoyer plusieurs postulantes et de faire savoir que l’une d’elles, expressément désignée, étant particulièrement recommandable et recommandée « l’administration serait très heureuse » de lui voir accorder la préférence. Á part cela, le choix de la directrice est absolument libre. »
Rose est priée d’arriver strictement à six heures du matin, pour l’allumage des poêles en hiver, pour l’arrosage de la cour et l’aération des classes en été. Ensuite, elle est à la complète disposition de la directrice et des adjointes pour tous les soins matériels aux enfants, conduite aux cabinets et lavabos (à neuf heures avant l’entrée en classe et à treize heures après le déjeuner). Pendant la classe, elle entretient les feux, prépare les paniers et les tables de réfection, répond à tous les appels, garde les élèves si une maîtresse s’absente, puis sert le déjeuner, aide les plus petits à manger. Après le repas et le service de cour, il faut dégraisser les tables et parquets ; à quatre heures, il s’agit d’habiller les enfants et organiser la sortie. Vient ensuite le temps de nettoyer les classes, et de balayer le préau après le départ du dernier enfant et de remonter de la cave en hiver des seaux de charbon pour le feu du lendemain. Ce n’est déjà pas mal, n’est-ce pas ?
« Je m’inclinai en grande satisfaction. Je n’entrevoyais pas plus de treize à quatorze heures de travail quotidien pour mes quatre-vingts francs par mois et je me disais : il n’y a encore rien de tel que l’Administration. »
En fait de roman, l’auteur restitue globalement le journal que Rose tient au quotidien, dans sa chambre au sixième étage d’un modeste immeuble du quartier, sur son observation passionnée des enfants.
Ah ces enfants efflanqués, une galerie de petits monstres que Poulbot (dont les parents étaient instituteurs) croque avec un réalisme poignant : « Quelle lamentable espèce d’enfants ! J’en compte çà et là une quantité, filles et garçons, grands, petits, moyens, qui, sans erreur possible, ont le visage modelé par les coups. En a–t-il fallu des brutalités depuis leur naissance ! Car la chair reprend sa forme après une torgnole, le sourire renait après les pleurs, en a-t-il fallu des réitérations pour que des coins de visage restent de travers, pour que les joues gardent l’air giflé, pour que l’apparence de renifler des larmes s’installe définitivement, même quand l’enfant rit !
Mais il y a pis que les déformations accidentelles ! Cette enfance pêche par mille stigmates de dégénérescence. Voici la petite Doré atteinte de strabisme et vingt autres victimes de la même hérédité alcoolique. Quand ce ne sont pas les yeux, ce sont les hanches qui chavirent : nous possédons toute une collection de coxalgies ; nous recélons trois boiteux, sans compter Vidal, le bossu ; quant aux rachitiques, aux noués, aux scrofuleux, on ne les distingue même pas : autant prendre l’effectif entier, à un degré près … »
« Je donne sept balles à un enfant, il les renvoie en annonçant avec moi : dimanche, lundi, mardi, mercredi, etc… tous ces jours-là font une semaine. Chaque jour a ses qualités : le dimanche est le premier jour de la semaine ; le samedi est le dernier, le jour numéro sept, le jour où l’on distribue les croix, etc.
À Julie Leblanc (trois ans) :
– Qu’est-ce ce que c’est le samedi ?
Julie devine qu’on veut lui faire dire une gentillesse ; elle se contorsionne, baisse les paupières et sourit sans répondre.
– Tu ne sais pas ?
– Si.
– Tu ne veux pas le dire ?
– Si
– Eh bien, qu’est-ce que c’est le samedi ?
Alors, la mignonne, délicieuse, fière, séraphique :
– C’est le jour où qu’on se saoule. »
La petite Louise Guittard manque à l’appel depuis trois semaines suite à une chute dans l’escalier, il a fallu la placer à l’hôpital. Des mères d’élèves bavardent entre elles : « -Pauv’gosse ! D’avoir la jambe cassée, elle n’a jamais été à pareille fête … – Figurez-vous que Louise a un lit ! Un vrai lit ! Du linge blanc, des repas réguliers. Madame la directrice lui a apporté une poupée. »
Les enfants sont souvent vêtus de robes, les deux sexes confondus, et pour les reconnaître en début d’année, rien de mieux que la méthode de la grosse Madame Paulin, l’autre femme de service, qui les retourne la tête en bas et regarde la marque : « Allez, c’est une fille. Et toi ? Fais voir un peu ton bulletin. Crac ! Les pattes en l’air. »
Durant une année scolaire, Rose la bourgeoise est confrontée à une réalité sociale dont elle n’avait pas conscience, celle de la misère, de l’alcoolisme, de la violence, de la délinquance même (c’était le temps du phénomène des Apaches et de Casque d’or). Peu à peu, sa pitié pour ces pauvres mioches innocents se transforme en élan maternel.
Dans un tel milieu, comment mettre en application les belles préconisations du « petit livre bleu », le règlement des écoles maternelles ? « L’école maternelle n’est pas une école, au sens ordinaire du mot ; elle forme le passage de la famille à l’école ; elle garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille, en même temps qu’elle initie au travail et à la régularité de l’école…
Un commencement d’habitudes et de dispositions sur lesquelles l’école puisse s’appuyer pour donner plus tard un enseignement régulier ; le goût de la gymnastique, du chant, du dessin, des images, des récits, l’empressement à voir, à observer, à écouter, à imiter, à répondre, l’intelligence éveillée enfin et l’âme ouverte à toutes les bonnes impressions morales, tels doivent être les effets des quelques années d’école maternelle … La méthode sera nécessairement celle qui consiste à imiter les procédés d’éducation d’une mère intelligente et dévouée. » Mais c’est bien sûr, chers concepteurs des programmes et instructions !
En ces jeunes années de l’école de Jules Ferry, règnent déjà des jalousies et des querelles d’égo au sein du personnel enseignant selon que l’on est normalienne ou pas.
Les parents d’élèves, les mères en l’occurrence, ignorent leurs devoirs élémentaires mais savent réclamer leurs droits.
Au fil des pages, Rose s’épanche sur ses peines en évoquant des bribes de vie des malheureux petits êtres qui, peu à peu, se rapprochent d’elle.
Elle clame aussi ses révoltes contre l’institution : « Je l’ai entendu conseiller presque crûment par la directrice et par l’inspecteur, dans l’enseignement, le mot d’ordre n’est pas de fournir des leçons qui profitent aux enfants, il s’agit de leçons qui fassent de l’effet au regard du public… Extérieur ! Extérieur ! Apparence ! »
Son constat est sévère à la fin de son journal :
« Juillet – Je voulais constater un résultat à la fin de l’année scolaire, le voici : tout le monde a perdu de son essence propre, tout le monde subit l’influence occulte de « l’administratif ».
Dès l’entrée, à cause de l’odeur unique, de la construction générale haute et déserte, du mobilier symétrique, fait pour l’alignement, à cause du règlement affiché, imprégné dans l’air, les enfants et les grandes personnes prennent une âme « de commande ».
Les enfants arrivent, ils décrivent un salut spécial « qui ne sert qu’à l’école », ils composent leur voix, leur regard.
Combien de force, de beauté, de possibilité heureuse apportée là, et détruite ! Car, il faut le dire : c’est le meilleur de l’individu qui se dissout à l’école.
De même que l’art est vivifié et renouvelé par les excessifs, par les « sauvages », de même, la vie est orientée vers le mieux par les turbulents. « L’espoir de la génération est dans les mauvais écoliers. »
C’est Adam, surnommé par ces dames « l’Exempt de bien faire » qui représente pour moi l’avenir en progrès. »
C’est bien joli l’école républicaine mais elle est si mal adaptée au quotidien vécu par les enfants qui fréquentent la maternelle de l’école de la rue des Plâtriers. On leur apprend à être soignés alors qu’ils ne possèdent ni veste ni chaussures. On leur inculque le devoir d’aimer et respecter leurs parents qui les battent sous l’emprise de l’alcool.
« J’ai eu la vision de la petite Doré … avec un cabas au bras où se dissimulait à moitié une bouteille contenant un liquide verdâtre.
– Qu’est-ce que tu apportes là ?
– Du lait, Rose.
Elle ajouta tout bas : « quatre sous de lait pour eux cinq, il n’y en aura pas assez pour les faire dormir ; quatre sous d’absinthe, y en aura assez … Dodo, l’enfant do. » »
Est-ce mon goût prononcé pour l’image, j’ai aimé telle une métaphore la traditionnelle séance de la photographie de classe effectuée l’ultime jour de l’année scolaire : « Il faudrait à chaque enfant une mise en lumière à part, devant l’appareil photographique ; de même qu’il faudrait une éducation pour chaque tempérament bien défini et bien situé. »
« Ah ! La photographe déclare que le groupe est enfin « bien composé » ; les enfants immobiles ont compris la nécessité du signe extérieur de sagesse, la normalienne les hypnotise, sculpturale, un livre à la main (le livre bleu)… Tout à coup, dans un éclair de révélation, j’ai découvert ce qui couvait sous la couche de morale. Pendant un instant, les têtes se sont offertes déscolarisées, naturelles, transparentes, vers l’appareil et il m’a semblé voir ces innocents de cinq à sept ans, dans leur faiblesse, tendre la gorge à l’avenir. » Quel sera en effet leur avenir ? Dans dix ans de là, ils seront jetés au cœur de la « grande guerre ».
Le président du jury du Goncourt, le Bernard Pivot de l’époque clama à propos de La Maternelle : « Ça pue le paupérisme. » C’est vrai que le roman s’achève sur un drame qui survient au soir du dernier jour de l’année scolaire : « La mère Cloutet vient de se fiche dans le canal avec ses deux gosses ; on l’a retirée encore vivante et c’est une grande chance, car elle est enceinte, mais les deux pauv’ gosses (la Souris et le poussin) sont noyés. »
« Il paraît qu’on ne s’évade pas de sa classe » sociale. Rose va retrouver la sienne ; demain, son oncle lui présente son soupirant dont l’ombre traverse très discrètement le roman. Elle a des envies de maternité …
Cent dix ans ont passé. En rédigeant ce billet, j’ai découvert sur la Toile le blog d’une école maternelle Léon Frapié de la région parisienne. Il était réconfortant et attendrissant de voir les bouilles heureuses des enfants d’origines multiples pendant leurs activités, dans des classes au décor chatoyant.
Je me suis souvenu de Ce matin-là, un film émouvant que j’avais réalisé sur la première matinée de toute la future vie scolaire de bambins. Quelques larmes perlaient aux paupières de certains parents.
J’ai pensé à mon grand-père que je n’ai jamais connu, à ma tendre maman, à mon école maternelle qui fut aussi la maison de mon enfance (voir billet du 17 décembre 2008).
La Maternelle de Léon Frapié n’est pas un livre désuet. On le lit comme on relit Émile Zola. Au-delà de sa valeur documentaire d’une époque, sa lecture permet de rebondir de manière actuelle et moderne sur le rôle de l’école aujourd’hui.
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