« Les petits corbillards de nos grands-pères … » : jour de Toussaint avec Georges Brassens
C’est curieux comment naît un billet : ainsi celui que je vous livre aujourd’hui m’a été inspiré par une balade dans un modeste village d’Ariège au cœur du mois d’août.
Ma curiosité toujours en éveil, alors que j’envisageais de visiter la petite église, je tombais nez à nez sous le porche avec un antique corbillard de nos grands-pères et arrière-grands-pères.
Rattrapé, peut-être inconsciemment, depuis par une actualité familiale, je tenais là mon sujet de Toussaint ainsi qu’un nouvel hommage à Georges Brassens décédé le 29 octobre 1981 et inhumé discrètement, au petit matin du 31, dans le caveau de famille du cimetière du Py à Sète.
Connaissez-vous l’origine du mot corbillard ? Au Moyen-Âge, Paris dépendait, pour son ravitaillement en céréales, vins, bois, matériaux de construction, de plusieurs ports de banlieue dont celui de Corbeil-Essonnes. Le transport s’effectuait sur des bateaux à fond plat nommés corbeillards en raison de leur provenance. Lors de la pandémie de peste noire de 1348, ces coches d’eau servirent à évacuer les morts de la capitale. Ils donnèrent ainsi leur nom aux véhicules funéraires qui devinrent par déformation langagière, les corbillards.
C’est l’occasion de se plonger dans la mythologie grecque et se souvenir de Charon, le passeur des enfers, fils d’Érèbe (les Ténèbres) et de Nyx (la Nuit), chargé sur sa barque de faire traverser le fleuve Styx aux âmes des personnes défuntes pour les mener jusqu’au royaume d’Hadès. Il est souvent représenté comme un vieillard fort laid, tyrannique et irascible, à l’aspect revêche, bref avec une « tête d’enterrement ».
Mine (patibulaire) de rien, les pompes funèbres constituaient déjà un commerce : il fallait payer une obole pour ce voyage vers l’au-delà et il était donc d’usage de déposer une pièce de monnaie sous la langue du mort. Ceux qui ne pouvaient payer devaient rester cent ans sur la berge du fleuve. La ségrégation par l’argent ne date donc pas d’aujourd’hui !
Pire encore, il revenait aux défunts de ramer eux-mêmes, le sinistre Charon se contentant de tenir la barre ! Ce n’est pas Pigeon mais Charon qu’il fallait s’inscrire sur le front !
Retour à la fin des années 1950 : alors que je goûtais à la vie à pleins poumons, dans la maison familiale, parvenaient en boucle de la chambre de mon frère des couplets et refrains joyeux et entraînants qui intriguaient le gamin que j’étais par leur teneur :
« Mais où sont les funéraill’s d’antan ?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-pères
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu’-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les r’verra plus
Et c’est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans »
Replaçons la scène dans le contexte de l’époque comme nos professeurs nous y invitaient pour nos dissertations. C’était dans la décennie après la guerre, la France retrouvait une certaine joie de vivre et une partie de sa jeunesse s’abreuvait des vers d’un nouveau venu dans le paysage du music-hall français, un trublion moustachu avec une guitare, le « polisson de la chanson » comme l’on surnomma l’ami Georges Brassens.
Bien sûr, mon frère tomba dans sa potion magique et posait inlassablement sur son tourne-disque Teppaz les microsillons 25 cm de celui qu’on ne considérait pas encore comme un poète ; il fallut un peu de temps (que ses cheveux et sa moustache grisonnent peut-être ?) et pas mal de conversations épiques autour de sa soi-disant vulgarité (!) pour convaincre les ainés et notamment notre paternel.
Allez, suivons avec tonton Georges, pipe au bec, l’œil malicieux, les petits corbillards de mon enfance.
https://www.dailymotion.com/video/xcxovb
La mort est un thème récurrent dans l’œuvre de Brassens. Elle figure directement ou indirectement dans une part importante de son répertoire. Était-ce pour la narguer ou l’exorciser, il lui donne le nom populaire de faucheuse ou camarde, ou fait référence aux Parques fileuses du destin. « Chez tous les poètes on parle beaucoup de la mort. Je ne suis pas poète, moi, entendons nous bien. Mais je veux dire que tous les gens que j’ai lus parlaient beaucoup de la mort, alors je me suis dit : « Tiens, c’est un thème comme un autre la mort ». Enfin, la terminologie de la mort et tout l’attirail qu’il y a autour facilitent quand même bien les choses. Le mot corbillard me plaît, le mot croque-mort me plaît. Les tombes, les tombeaux…allez savoir pourquoi. Et puis peut-être parce que j’y ai un peu pensé… » (Brassens, Propos d’un homme singulier de Loîc Rochard)
Dès le début de sa carrière, il s’était fait une « mauvaise réputation » (titre donné à son premier album en 1953) en évoquant la personne du fossoyeur :
« Dieu sait qu’je n’ai pas le fond méchant
Je ne souhait’ jamais la mort des gens
Mais si l’on ne mourait plus
J’crèv’rais de faim sur mon talus
J’suis un pauvre fossoyeur … »
Voilà un métier qui ne connaît pas la crise!
J’imagine qu’entre les multiples écoutes des Funérailles d’antan, les conversations entre mon frère et son copain Michel allaient bon train sur l’impertinence, les traits d’humour ainsi que le style et la justesse du propos du poète.
Tombée dans une certaine désuétude, l’appellation populaire de croque-mort apparut à la fin du XVIIIème siècle pour désigner l’employé des pompes funèbres chargé de la mise en bière et du transport des défunts au cimetière.
Il existe plusieurs versions pour en expliquer l’origine. L’une, assez gore, remonterait au Moyen-Âge et les épidémies de peste : le « croche-mort » était chargé de suspendre le défunt infecté avec une longue perche munie d’un croc de boucher pour éviter tout contact. Selon une seconde, largement répandue mais sans doute assez fantaisiste, le mot viendrait du fait que la personne chargée de s’occuper de la dépouille mortelle, autrefois, croquait ou tordait un doigt du défunt pour s’assurer de sa mort certaine. La troisième, plus académique, d’ordre linguistique et probablement la plus fiable, avancée par les « immortels » de l’institut, tire son sens de croquer, « faire disparaître » en vieux français.
Au-delà de sa connotation lugubre, avouez que le mot était beaucoup plus imagé que les dénominations actuelles de conseiller ou opérateur funéraire.
« Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez l’pleurer avec nous sur le coup de midi... »
La médicalisation de la fin de vie éloigne aujourd’hui très souvent les mourants de leur demeure. La plupart des défunts décédés chez eux rejoignent rapidement une chambre funéraire. Le rapport à la mort a changé, les rites et les croyances aussi, et les vivants s’empressent souvent à mettre à distance le corps du défunt.
Il était autrefois d’usage de mourir (comme de naître) à son domicile. Cette coutume perdure encore principalement dans certaines campagnes, à défaut, le corps est rapatrié vite à la maison. Sitôt que la cloche de l’église a sonné le glas et que la nouvelle s’est répandue, il s’en suit la traditionnelle visite au mort par la quasi totalité des gens du village pour un dernier adieu. Les rares exceptions dont souffre cette règle concernent de vieilles fâcheries, survivances peut-être d’histoires de partage ou de querelles électorales. Encore que, devant Dieu, il ne s’agit pas de faire le Malin.
Pour rester dans l’impertinence et l’humour caustique de Brassens, ce témoignage de compassion envers la famille endeuillée était parfois mu aussi par un soupçon de curiosité malsaine. C’était en effet l’occasion de découvrir l’agencement d’un intérieur inconnu et quelques signes cachés de « richesse », une belle armoire rustique, une batterie de cuivres ou d’étains, avec toutes les déductions et commentaires que je vous laisse supposer.
Dans le film Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau, l’une des dernières volontés du défunt Jean-Louis Trintignant est d’être inhumé à Limoges, berceau de la famille. Ainsi, « ceux qui l’aiment » prennent le train gare d’Austerlitz pour Limoges : les vrais amis et les faux-jetons, les héritiers légitimes et les non légitimes, la famille naturelle et non naturelle, les amants et les amis des amants. Le cinéaste mettait en scène avec beaucoup de finesse cynique les vieilles rancœurs, les faiblesses et les mesquineries, les disputes sans objet qui resurgissent alors que tous se rassemblent autour du cercueil. Il y a des familles qui ne se réunissent qu’aux enterrements.
« Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu’-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre … »
Il est toujours de tradition à l’issue des obsèques de préparer une collation pour les membres de la famille et les amis proches, surtout ceux qui sont venus de loin : un moment bref mais apaisant pour ceux qui vont devoir affronter l’absence et la solitude.
J’ai connu le temps conté par Brassens où l’assistance se retrouvait au café du village. Plus on s’éloignait des tables occupées par les proches du défunt, plus régnait une atmosphère de réjouissance. Certains attendaient avec impatience le départ du curé pour commander une ch’tiote goutte. Finalement, n’appliquaient-ils pas à la lettre la recommandation du grand Jacques Brel que Le Moribond de sa chanson soit enterré dans la liesse : « J’veux qu’on rie, j’veux qu’on danse, j’veux qu’on s’amuse comme des fous. J’veux qu’on rie, j’veux qu’on danse quand c’est qu’on m’mettra dans l’trou. » ?
J’en ai vu défiler des corbillards depuis la fenêtre de ma maison d’école (voir billet du 17 décembre 2008) qui se trouvait sur le trajet entre l’église et le cimetière. Je me souviens du claquement des sabots, des « brioches chaudes » comme écrivait Pagnol, qui jonchaient la chaussée après le passage des chevaux, des mines de moins en moins éplorées, derrière la famille, à mesure que s’écoulait le cortège.
Elles ont fait leur temps les belles pom pom pom pom pom pompes funèbres des vingt ans de Brassens. Notez que pour marquer la tarentelle enjouée de sa chanson, il emprunte les onomatopées souvent utilisées pour fredonner La marche funèbre, une sonate pour piano, de Chopin. Quand on vous dit que la musique de Brassens est bien loin d’être anodine !
Bientôt, les automobiles remplacèrent les véhicules hippomobiles avec des conséquences imprévues que l’ami Georges se complait à stigmatiser : « On s’aperçut qu’le mort avait fait des petits … » Pour le « pornographe du phonographe », la mort ne porte pas atteinte aux facultés génétiques. Il s’agit même d’un clin d’œil aux chansons paillardes qu’il adorait et qu’il reprit dans les Quat’z’arts :
« Et les bonshomm’s chargés
De la levée du corps
Ne chantaient pas non plus
Saint Eloi bande encore »
Ainsi que dans son excitante Fernande :
« À l’Etoile où j’étais venu
Pour ranimer la flamme
J’entendis ému jusqu’aux larmes
La voix du soldat inconnu :
Quand je pense à Fernande,
Je bande … »
Pour l’Oncle Archibald, Georges, égrillard, mettait la mort en scène sous les traits d’une fille de joie :
«… Oncle Archibald, coquin de sort !
Fit, de Sa Majesté la Mort
La rencontre
Telle un’ femm’ de petit’ vertu
Elle arpentait le trottoir du
Cimetière
Aguichant les hommes en troussant
Un peu plus haut qu’il n’est décent
Son suaire. »
Quelques années plus tard, Brassens fut le témoin direct d’une anecdote qui aurait pu faire l’objet d’un couplet de ses truculentes funérailles d’antan. Elle survint alors qu’il se rendait au cimetière de Cachan, à l’enterrement de René-Louis Lafforgue, l’auteur de Julie la rousse un grand succès de l’époque. La voici relatée par son secrétaire particulier, le fameux Gibraltar : « En conduisant Georges, je me suis trompé de chemin. On suivait un corbillard et, à un moment donné, Georges voit sur un panneau « Paris 3 kilomètres ». Il me demande : « Pierre, es-tu bien sûr que c’est Lafforgue ? » J’avais suivi un autre corbillard. J’ai donc fait demi-tour et tous ceux qui nous suivaient, au moins vingt voitures, en ont fait autant ! »
Voilà ce que c’est que d’emporter les trépassés jusqu’au diable vauvert ! L’origine de l’expression qui évoque une contrée très éloignée, fait débat. Tous les Vauvert de France, la cité gardoise en tête, se l’approprieraient volontiers ; il semblerait qu’elle remonte en fait au Moyen-Âge et au château de Val Vert, à proximité de Paris, où des actes blasphématoires étaient commis. Saint Louis décida de purifier l’endroit en y créant un couvent.
La réalité tutoie parfois la fiction : s’agit-il d’un fan sétois de Brassens ou une façon gardoise d’aller au diable, voici en tout cas le curieux chargement d’un touriste languedocien croisé sur une route de Corse !
Quant à ce cercueil à roulettes, fruit de l’imagination de Claudius de Cap Blanc, génial affabulateur (voir billet du 18 juin 2013) du Mas d’Azil, il pourrait bien illustrer littéralement l’expression rouler à tombeau ouvert, c’est-à-dire à une vitesse trop grande mettant en péril sa vie. Datant de la fin du XVIIIème siècle, elle était employée à l’époque avec le verbe galoper, cheval oblige.
Au fait, il existe un musée du Corbillard, qui paraît-il n’engendre pas la mélancolie, à Cazes-Mondenard, un petit village du Tarn-et-Garonne. Il n’est pas impossible d’ailleurs que l’attelage funéraire qui transportait les défunts autrefois dans votre commune, y passe une paisible retraite.
Lors de mes promenades ariégeoises, j’ai vu un autre corbillard de nos grands-pères sous le porche de l’église de Roquefixade.
Qui sait si ces véhicules funéraires de jadis ne retrouveront pas une nouvelle jeunesse avec une hypothétique prise de conscience écologique, encore que la tendance soit à l’incinération.
Bien avant Brassens, Verlaine manifesta une gaieté iconoclaste de la même veine dans son sonnet « saturnien » L’Enterrement.
« Je ne sais rien de gai comme un enterrement !
Le fossoyeur qui chante et sa pioche qui brille,
La cloche, au loin, dans l’air, lançant son svelte trille,
Le prêtre en blanc surplis, qui prie allègrement,
L’enfant de chœur avec sa voix fraîche de fille,
Et quand, au fond du trou, bien chaud, douillettement,
S’installe le cercueil, le mol éboulement
De la terre, édredon du défunt, heureux drille,
Tout cela me paraît charmant, en vérité !
Et puis, tout rondelets, sous leur frac écourté,
Les croque-morts au nez rougi par les pourboires,
Et puis les beaux discours concis, mais pleins de sens,
Et puis, cœurs élargis, fronts où flotte une gloire,
Les héritiers resplendissants ! »
Manière de trinquer respectueusement, Brassens cogna ses vers en récitant L’enterrement de Verlaine écrit par Paul Fort, un autre poète.
https://www.dailymotion.com/video/x4sinn
Le Bibi la Purée évoqué était un compagnon fidèle de Verlaine. Figure trouble de Montmartre, toujours entre deux vins ou deux absinthes, il s’était spécialisé dans le vol de parapluies et le cirage des pompes … pas funèbres celles-ci !
Par la suite, Brassens enregistra une version chantée du poème en utilisant la musique de sa Marche nuptiale.
Après la mort de sa maman, en 1962, puis de quelques amis, sa Jeanne notamment, le temps des « vrais enterrements » vint pour l’ami Georges. Il continua souvent à taquiner la mort de sa verve poétique mais avec sans doute moins d’insouciance, comme ici dans Le Grand Pan :
« Et quand fatale sonnait l’heure
De prendre un linceul pour costume
Un tas de génies l’œil en pleurs
Vous offraient les honneurs posthumes.
Pour aller au céleste empire,
Dans leur barque ils venaient vous prendre.
C’était presque un plaisir de rendre
Le dernier soupir.
La plus humble dépouille était alors bénie,
Embarquée par Charon, Pluton et compagnie.
Au pire des minus, l’âme était accordée,
Et le moindre mortel avait l’éternité.
Aujourd’hui ça et là, les gens passent encore,
Mais la tombe est hélas la dernière demeure
Les dieux ne répondent plus de ceux qui meurent.
La mort est naturelle, et le grand Pan est mort.
Et l’un des dernier dieux, l’un des derniers suprêmes,
Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même
Un beau jour on va voir le Christ
Descendre du calvaire en disant dans sa lippe
» Merde je ne joue plus pour tous ces pauvres types.
J’ai bien peur que la fin du monde soit bien triste. »
Aïe aïe aïe, on partira avant, hein ?
Brassens chanta également avec légèreté et humour la Ballade des cimetières, en souvenir peut-être des visites qu’il effectuait dans son enfance avec sa mère, tous les jeudis, sur la tombe de son premier époux. Il faisait le tour des grandes nécropoles de la capitale. J’eus l’occasion de vous en évoquer deux dans mes billets Le cimetière du Père-Lachaise musical(e) (12 novembre 2008) et Rameaux au cimetière Montmartre (1er avril 2012).
« J’ai des tombeaux en abondance
Des sépultur’s à discrétion
Dans tout cim’tièr’ d’quelque importance…
À la vill’ comme à la campagne,
Partout où l’on peut faire un trou,
J’ai mêm’ des tombeaux en Espagne
Qu’on me jalouse peu ou prou … »
Il se lamentait juste qu’il n’en ait pas au cimetière du Montparnasse à quatre pas de (sa) maison, au fond de l’impasse Florimont.
N’y voyez surtout pas un quelconque goût pour la morbidité, j’aime parfois flâner et méditer dans ces lieux de mémoire. L’erreur serait de croire que les cimetières ne sont faits que pour les morts. On y a rendez-vous, dans une sorte de jeu de piste à travers les « divisions », avec l’Histoire de grands hommes et beaucoup d’histoires de gens humbles. On est confronté à une esthétique de la statuaire, on découvre la langue des disparus à travers une épitaphe.
C’est ainsi qu’en ce début d’après-midi du mois d’août, je pousse la grille du petit cimetière qui entoure l’église paroissiale. Je ne sais pas si vous avez remarqué, les grilles des cimetières de campagne grincent toujours comme pour alerter leurs habitants de l’arrivée d’un visiteur ! Comme dans une chanson de Trenet, je crains d’indisposer les hôtes de ce lieu et que l’un d’eux se manifeste : « Ça fait une éternité pourtant qu’on dit au maire de faire réparer cette fichue grille ! » Je pense à Antoine Blondin et à un passage de son roman L’Humeur vagabonde : « Le Père Lachaise est un lieu très poétique. C’est un cimetière où l’on sait vivre… J’ai vu tout de suite que ce cimetière n’était pas comme les autres, pas comme celui de notre village par exemple, qui est situé derrière le tennis, et d’où une main invisible vous renvoie la balle chaque fois qu’elle passe par-dessus le mur … »
Avec les poètes, il s’en passe de belles, même l’amour règne encore au cimetière. Ainsi, Brassens dans sa Supplique pour être enterré à la plage de Sète :
« Et quand prenant ma butte en guise d’oreiller
Une ondine viendra gentiment sommeiller
Avec moins que rien de costume
J’en demande pardon par avance à Jésus
Si l’ombre de ma croix s’y couche un peu dessus
Pour un petit bonheur posthume »
Ou encore Trenet dont Georges connaissait toutes les chansons, presque mieux que son auteur :
« Mam’zelle Clio
Je suis bien mort quoi qu’on en dise
Oui mais le diable m’a permis
De revenir toutes les nuits
Dormir avec vous sans vous faire peur
Caresser vos cheveux toucher votre cœur vous dire à l’oreille
» Je t’aime chérie je t’aime et j’en meurs «
Et tirer les poils du petit cocu qui veille
La commode qui grince un bruit sur le toit
Le lit qui gémit c’est moi dans le bois ma brune
Je suis courant d’air et rayon de lune
J’ai l’éternité pour chanter tout bas
Je dors avec toi »
Pour vous consoler ou vous rassurer, Brassens n’était malgré tout pas pressé de partir :
« S’il faut aller au cimetière,
J’ prendrai le chemin le plus long,
J’ ferai la tombe buissonnière,
J’ quitterai la vie à reculons…
Tant pis si les croque-morts me grondent,
Tant pis s’ils me croient fou à lier,
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.
Avant d’aller conter fleurette
Aux belles âmes des damnés… »
Et comme chacun de nous en ce jour de Toussaint, il pensa, plus classiquement, à nos chers disparus en mettant en musique quelques strophes d’un poème de Lamartine :
« C’est l’ombre pale d’un père
Qui mourut en nous nommant
C’est une sœur, c’est un frère
Qui nous devance un moment
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l’autre ravie,
Emporte une part de nous
Murmurent sous la pierre
« Vous qui voyez la lumière
De nous vous souvenez vous? » … »
Je ne vous ai pas dit mais mon nom de famille en anglais signifie un cercueil. N’avancez cependant aucune hypothèse psychanalytique pour expliquer le thème de ce billet. Seule une pensée pour nos proches de cœur ou d’esprit qui se sont absentés pour l’éternité dont l’ami Georges fait partie, m’a guidé en ce jour particulier.
