Rendez-vous à Henri IV

Je suis retourné au lycée ! La nouvelle ne manque peut-être pas de vous surprendre.
Qu’ai-je donc encore à apprendre dans ce type d’établissements que créa le Premier Consul Napoléon Bonaparte par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) ? Ils font partie de ces « masses de granit », comprenez ces institutions solides souhaitées par le futur empereur pour asseoir la République (mouais !).
Dans ce lycée, on vise le summum, le sommet, ce qui, déjà, est naturel de par sa situation géographique tout en haut de la montagne … Sainte-Geneviève.
Ici, on n’a pas attendu le slogan démagogique prononcé, il y a maintenant trente ans, par le ministre de l’Éducation nationale de l’époque qui souhaitait amener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat. Dans ce lycée d’excellence, le taux de réussite au bac atteint le plafond des 100% avec une écrasante majorité de mentions très bien.
En fait, même si je serais sans doute passionné par les cours de philosophie et de français qui y sont dispensés, je n’ai fait que visiter le prestigieux lycée Henri IV de Paris, profitant de l’aubaine que deux amis participassent à un salon d’éditeurs indépendants du Quartier Latin.
Il ne fut pas baptisé ainsi à l’origine. En effet, lorsqu’il décida de créer un lycée par département et quatre à Paris, Napoléon, dans sa grande modestie, choisit pour les établissements parisiens d’appeler tout simplement Napoléon l’actuel lycée Henri IV, Bonaparte le lycée Condorcet d’aujourd’hui, Impérial le lycée Louis-le-Grand de maintenant, et le dernier, Charlemagne qui a conservé son nom (entre empereurs, on ne cherche pas querelle).
Le lycée Napoléon prend le nom d’Henri IV sous la Restauration (chute du Premier Empire) puis de Corneille après la révolution de 1848. L’année suivante, il reprend le nom de Napoléon puis de nouveau Corneille à la chute du Second Empire. Enfin, en l’année 1873 où la majorité royaliste de l’Assemblée Nationale pensait voir le comte de Chambord accéder au trône, Henri IV s’impose définitivement.
Et pourquoi, au fait, s’être rallié à son panache blanc ? Louis XVI n’était pas conseillé (peut-être n’avait-il pas beaucoup de tête?!), Révolution de 1789 oblige. Louis XV était trop élégant, Louis XIII un peu triste, et Louis XIV déjà pris pour le lycée Louis-le-Grand. Bénéficiant d’une sorte de consensus, le plus populaire des rois de France Henri IV mit tout le monde d’accord.
« Il n’est pas de bon laboureur dans le royaume qui n’ait le moyen d’avoir une poule au pot ». Dans l’imaginaire collectif, sa réputation d’épicurien et de « vert galant » (on lui prête plus de 70 maîtresses) mais aussi et surtout, son rôle de pacificateur religieux avec la promulgation de l’édit de Nantes (1598) permettant aux protestants de pratiquer leur culte, participent au mythe du « bon roi Henri IV ». Le couteau régicide de Ravaillac ne fit que contribuer à sa légende.
Franchi le porche d’entrée, je me retrouve dans un cloître. Notre aimable guide nous en explique clairement les raisons. Le lycée Henri IV traîne derrière lui une très longue histoire qui se confond, 1 500 ans plus tôt, avec celle de l’abbaye royale de Sainte-Geneviève.
En 507, Clovis fonde une basilique dédiée aux saints apôtres Pierre et Paul, mais aussi pour honorer Geneviève qui, une cinquantaine d’années plus tôt, a sauvé Paris ou Lutèce des envahisseurs. Il y est inhumé à sa mort en 511 ainsi que Sainte Geneviève puis Sainte Clotilde en 545.
L’abbaye occupe une place importante durant le haut Moyen-Âge avant de connaître le déclin avec la chute de l’empire carolingien. Elle est pillée par les Vikings lors du siège de Paris entre 885 et 887. Autour de l’an 1000, les chanoines bénéficient de la protection de Robert le Pieux ; des travaux de reconstruction sont alors entrepris, notamment les deux premiers niveaux de la tour Clovis qui existe encore aujourd’hui. Le XIIe siècle marque une période de renaissance, les moines séculiers qui l’occupent sont réformés et Suger, l’abbé de Saint-Denis les remplace par des moines réguliers de la proche abbaye de Saint Victor qu’il oblige à constituer un atelier de copistes et une bibliothèque. C’est une époque intellectuelle faste, la montagne Sainte-Geneviève se couvre de « collèges » qui concurrencent l’école épiscopale. Abélard dont j’ai relaté récemment les frasques amoureuses avec Héloïse contées par le truculent Jean Teulé (voir billet du 6 mai 2015) y enseigne alors.
La fin du Moyen-Âge, les guerres de religion affaiblissent de nouveau l’abbaye. La bibliothèque et le trésor sont même vendus au poids par un chanoine. En 1590, les troupes d’Henri IV finissent de dégrader les bâtiments dont le cloître dans sa tentative de s’emparer de Paris, apparemment on ne lui en a pas tenu rigueur lorsqu’il s’est agi de donner un nom au lycée !
L’abbaye renaît véritablement lorsque Louis XIII la donne en commende au cardinal de La Rochefoucauld, évêque de Senlis. Celui-ci, nommé abbé en 1619, installe des chanoines réguliers observant la règle de saint Augustin. L’abbaye Sainte Geneviève devient chef d’ordre ; c’est à cette époque qu’on commence à parler de moines génovéfains (de la congrégation de Sainte Geneviève).
Le cardinal entreprend des travaux de reconstruction et d’embellissement qui ne prendront fin qu’à la Révolution avec l’achèvement de la nouvelle église Sainte Geneviève transformée par l’Assemblée constituante dès 1791 en … Panthéon des grands hommes. L’ancienne église pillée puis en ruines, est démolie en 1807. Il n’en reste plus que la tour Clovis qui se dresse dans un angle du cloître.

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Ses deux niveaux inférieurs de caractère roman avec des arcs en plein cintre datent du XIe siècle, la partie supérieure témoigne de l’architecture gothique ultérieure.
Le cloître présente plusieurs styles dus aux apports de chaque époque. Différents indices permettent de reconstituer ce qu’était la façade Ouest, celle qui a le mieux conservé son caractère médiéval primitif : les cuisines ouvraient sur le cloître avec au-dessus le réfectoire des moines devenu aujourd’hui chapelle ; à l’étage supérieur, se trouvaient les greniers, au-dessous, un cellier aménagé en deux salles superposées au XVIIe siècle, et un ensemble de galeries évoquant la nécropole mérovingienne.
En cet après-midi caniculaire, les quatre galeries entourant le cloître fournissent une ombre bienfaitrice. C’est dans ce lieu, consacré autrefois au recueillement de la prière et à la promenade silencieuse du moine, que les éditeurs et auteurs exposent leurs publications avec des séances de dédicaces. Qu’ils me pardonnent, je m’intéresse plutôt à quelques éléments décoratifs comme les plâtres moulés sur les marbres du sculpteur grec Phidias (Ve siècle avant J.C) et les faïences du céramiste toscan Luca della Robbia (XVe ssiècle).

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« Un homme sans culture est comme un zèbre sans rayures » : je souris du dessin de Pouch collé sur un des piliers à l’occasion du salon. Dois-je me sentir visé de ne point connaître Casimir Delavigne dont le buste trône avec celui d’Alfred de Musset ?
En fait, je connaissais pourtant ce poète et dramaturge français du XIXe siècle. Je me souviens maintenant avoir lu dans ma jeunesse quelques vers qu’il consacra à la découverte de la vaccine :

« Par le fer délicat dont le docteur arme ses doigts,
Le bras d’un jeune enfant est effleuré trois fois.
Des utiles poisons d’une mamelle impure,
Il infecte avec art cette triple piqûre.
Autour d’elle s’allume un cercle fugitif,
Le remède nouveau dort longtemps inactif.
Le quatrième jour a commencé d’éclore,
Et la chair par degrés se gonfle et se colore.
La tumeur en croissant de pourpre se revêt,
S’arrondit à la base, et se creuse au sommet.
Un cercle, plus vermeil de ses feux l’environne ;
D’une écaille d’argent l’épaisseur la couronne ;
Plus mûre, elle est dorée; elle s’ouvre, et soudain
Délivre la liqueur captive dans son sein ».

Quelques vers qui les précèdent dans cette courte pièce en comptant 218, ont une autre résonance aujourd’hui :

« Mais reculer l’instant qui nous plonge au tombeau,
Des misères de l’homme alléger le fardeau,
Détruire sans retour ce mal héréditaire,
Que l’Arabe a transmis au reste de la terre,
Qui trop souvent mortel, toujours contagieux,
D’une lèpre inconnue a frappé nos aïeux,
Qui n’épargne le rang, ni le sexe, ni l’âge,
C’est le plus beau laurier dont se couronne un sage… »

Delavigne faisait référence aux soldats d’Omar qui apportèrent la petite vérole en Egypte, d’où elle se répandit dans le reste du monde.
Le poète connut surtout une certaine notoriété en magnifiant la bataille de Waterloo dont on a fêté, cet été, le bicentenaire :

« Ils ne sont plus, laissez en paix leur cendre;
Par d’injustes clameurs ces braves outragés
À se justifier n’ont pas voulu descendre;
Mais un seul jour les a vengés :
Ils sont tous morts pour vous défendre.
Malheur à vous si vos yeux inhumains
N’ont point de pleurs pour la patrie!
Sans force contre vos chagrins,
Contre le mal commun votre âme est aguerrie;
Tremblez, la mort peut-être étend sur vous ses mains!
Que dis-je? Quel français n’a répandu des larmes
Sur nos défenseurs expirans?
Prêt à revoir les rois qu’il regretta vingt ans,
Quel vieillard n’a rougi du malheur de nos armes? … »

Cela me renvoie à un livre jubilant lu cet été : Comment les Français ont gagné Waterloo ! L’auteur, un anglais, avec un humour très british (of course), s’amuse des Français qui, deux cents après, continuent à ne pas admettre l’évidence de la capitulation du … récent créateur du (futur) lycée Henri IV.
Je ne vous fais pas l’injure de vous présenter Musset, ancien élève du lycée, voisin de Delavigne dans le cloître.

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Pour le clin d’œil, je vous offre son Rondeau : Dans dix ans d’ici seulement :

« Dans dix ans d’ici seulement,
Vous serez un peu moins cruelle.
C’est long, à parler franchement.
L’amour viendra probablement
Donner à l’horloge un coup d’aile.

Votre beauté nous ensorcelle,
Prenez-y garde cependant :
On apprend plus d’une nouvelle
En dix ans.

Quand ce temps viendra, d’un amant
Je serai le parfait modèle,
Trop bête pour être inconstant,
Et trop laid pour être infidèle.
Mais vous serez encor trop belle
Dans dix ans. »

Un chanteur populaire actuel donna aussi rendez-vous dans 10 ans, même heure, même jour, même pommes sur les marches de la place des Grands Hommes juste en face, à ses copains du lycée Henri IV. Oui, Patrick Bruel fréquenta les bancs du prestigieux établissement. Il y rata son bac qu’il réussit plus tard en auditeur libre.
La cour du cloître est égayée de parterres sur lesquels se dressent deux monuments.

Lycée Henri IV blog10Lycée Henri IV blog4henri_regnault_mort de Carolus DuranHenri Régnault mort, tableau de Carolus-Duran (1838-1917), Palais des Beaux-Arts Lille

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L’un est dédié à Henri Régnault, ancien élève devenu artiste peintre orientaliste, qui mourut, à l’âge de 28 ans, le 19 janvier 1871, atteint d’une balle prussienne lors de la bataille de Buzenval, ainsi qu’à certains de ses camarades tombés dans les mêmes circonstances.
L’autre rend hommage aux 436 jeunes gens élèves ou anciens élèves du lycée morts pour la France lors de la guerre 1914-18.

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Nous traversons maintenant une cour annexe dite cour des externes ou cour Musset. Les anciennes « eighties » se souviennent peut-être qu’ici furent tournées plusieurs scènes de La Boum 1 et 2. En effet, Sophie Marceau fut élève aussi à Henri IV … mais ça c’est du cinéma !
D’horribles préfabriqués (qui semblent être là depuis déjà quelques années !) défigurent cette cour qui sinon dégage un certain charme avec ses arbres centenaires et des bancs qui ne le sont guère moins.
Adossé à un des murs, se dresse le buste de Jean-Jacques Ampère, le fils du célèbre physicien.
Grand intellectuel (je n’ose pas dire une lumière !), il fit partie du cercle de Mme Récamier, fut professeur au Collège de France, conservateur de la Bibliothèque Mazarine, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1842) et de l’Académie française (1848).

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Par un escalier aux solides balustres de chêne sculptées, nous passons d’abord devant les appartements des proviseur et censeur, avant d’accéder au Cabinet des médailles et des curiosités.
À partir de la Renaissance, les riches amateurs des arts et des sciences prirent l’habitude de rassembler des collections d’objets rares, animaux ou végétaux naturalisés, minéraux, instruments scientifiques. Le Cabinet des curiosités fut créé dès 1660 par le père Claude du Molinet, bibliothécaire de l’abbaye et collectionneur dans l’âme. Très vite, il amassa les livres curieux, médailles, antiquités et des portraits des rois de France.
À sa mort, le cabinet demeura en sommeil avant qu’il ne retrouve son éclat au dix-huitième siècle sous l’impulsion du duc Louis III d’Orléans. Celui-ci très pieux quitte le Palais Royal pour s’installer près des chanoines génovéfains auxquels il fait don de ses curiosités, médailles, camées, intailles. Il fait aménager une splendide pièce, le « salon des antiques » dont on peut admirer encore quelques richesses architecturales, les trésors de ce lieu ayant été dispersés entre la Bibliothèque Nationale, le Louvre, la Bibliothèque Sainte-Geneviève et même le musée de l’Ermitage à Saint-Petersbourg.

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Les murs sont recouverts de boiseries en chêne massif délicatement sculptées. Des glaces remplacent aujourd’hui les grillages qui permettaient à l’origine d’observer les collections, ainsi par exemple, le crâne du bandit Cartouche (le vrai, pas Belmondo !) roué en place de Grève en 1721.
Au plafond en stuc, on admire des bas-reliefs représentant les continents sous une forme allégorique avec des personnages et des animaux censés les habiter tel l’alligator pour l’Amérique.
Ce cabinet sert aujourd’hui de salle de cours et d’examens.
Les armoires faillirent être transférées aux Tuileries pour abriter les collections d’armes de Napoléon III. On peut tout de même parler d’un incroyable gâchis suite à diverses interventions malheureuses pour la création de salles de classe. L’établissement souffre que son entretien dépende conjointement de la région Ile-de-France, la ville de Paris et les Monuments Historiques.
La pénurie, et pour cause, est encore plus flagrante dans la salle des Actes. Son état précaire fait suite à un chantier de fouilles archéologiques.

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Elle se trouve en lieu et place de l’ancienne chapelle de la Miséricorde qui servit aussi de sépulture aux abbés voire même à quelques laïcs. Deux moulages de pierres tombales choisies parmi celles toujours en place en-dessous sont fixés sur un mur.
Cette salle où enseigna l’ancien président de la République Georges Pompidou est dotée d’un plancher amovible permettant de poursuivre les fouilles … si des crédits sont accordés.
Le matériel audiovisuel (écran et micro) très succinct surprend encore une fois dans ce lycée d’élite. Décidément, ce sont les cordonniers les plus mal chaussés. Quand je repense à certains lycées d’Ile-de-France richement équipés que j’ai connus lors de ma carrière …
Je n’ai le temps, pour l’instant, que de jeter un regard furtif vers un escalier monumental avant d’accéder à une troisième cour dite du Méridien.

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En son centre, trône une sorte de cosmographe, une sphère armillaire (d’après armilla=cercle). Cet instrument d’astronomie est conçu pour montrer le mouvement des étoiles, du Soleil et de l’écliptique (trajectoire annuelle du soleil vue de la terre) autour de la Terre. Il comprend un anneau parallèle à l’équateur et un anneau vertical positionné dans le plan du méridien avec des repères pour les équinoxes et les solstices.

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Notre guide nous demande d’observer avec attention le cadran solaire, orné d’un beau drapé, situé sur la façade sud du bâtiment des novices. Sans montre, je ne puis effectuer l’exercice mais il apparaît aux dires des autres visiteurs que l’heure qu’il affiche est erronée d’une demi-heure environ. L’erreur proviendrait de sa mauvaise inclinaison lors de sa restauration.
Un autre cadran se trouvant dans la cour Descartes sur la façade plein nord, n’est éclairé par le soleil qu’à certaines heures de la journée (tôt le matin et tard le soir) et qu’à certaines époques de l’année. Y est inscrite la devise : Vix orimur et occidimus, « À peine paraissons-nous et nous disparaissons ».
Ces deux cadrans sont probablement l’œuvre du Père Alexandre Guy Pingré, prêtre, astronome et géographe de renom. Chanoine régulier, il rejoignit l’abbaye Sainte-Geneviève en 1753 où il fut nommé bibliothécaire et chancelier d’université. On lui construisit même un petit observatoire dans l’abbaye. Membre de l’académie des Sciences, on le chargea de plusieurs voyages d’études, ainsi une expédition à l’île Rodrigues (archipel des Mascareignes) pour observer le transit astronomique de Vénus. Il reprit les calculs de l’ouvrage L’art de calculer les dates sur les éclipses des dix-huit premiers de l’ère chrétienne et les étendit jusqu’à mille ans avant Jésus-Christ.
Retour à l’ancien point central de l’abbaye, le vestibule au centre de la croix qui sépare les trois cours et le cloître. C’est là que le Père Claude-Paul de Creil édifia les plans, entre 1672 et 1676, de son chef-d’œuvre, le somptueux escalier des Prophètes.

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Le vestibule, au pied de l’escalier, est décoré de quatre statues représentant les grands prophètes Daniel, Isaïe, Jérémie et Ezéchiel. Avec eux, on passe symboliquement de l’Ancien Testament au Nouveau figuré par une vierge à l’enfant.
Métaphoriquement, l’escalier signifie une montée vers la lumière, un accès au savoir puisqu’il mène à la bibliothèque.
Auparavant, on jette un œil sur l’ancien oratoire du père abbé, situé au-dessus de la salle des novices. Il a gardé son décor d’origine avec ses pilastres corinthiens et son dallage.

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Le lieu porte désormais le nom de salle Julien Gracq, le lycée ayant rendu hommage en 2010, pour le centenaire de sa naissance, à l’écrivain qui fut élève de khâgne de 1928 à 1930.
Son portrait offert par la famille de Robert Doisneau est accroché à un mur, ainsi que le fac-similé Familiarité du livre, un texte que l’auteur lui-même avait donné à l’association des anciens élèves du lycée. L’ayant lu avec intérêt, je ne résiste pas à vous en livrer deux extraits :
« Si l’écrivain avait la possibilité d’assister, invisible, au genre de tête-à-tête qu’entretient dans la solitude un de ses lecteurs, avec un de ses livres, il serait sans doute choqué du « sans façons », et même de l’extrême incivilité, qui s’y manifeste. Ce tête-à-tête est un mélange déconcertant de distraction et d’attention. La lecture est coupée, le plus souvent à des intervalles inégaux et assez rapprochés, par des pauses de nature diverse où le lecteur allume une cigarette, va boire un verre d’eau à la cuisine, ou replace un livre dans sa bibliothèque, ce qui l’entraîne à en feuilleter un moment un autre, téléphone une commande qu’il avait oubliée, ou s’informe des résultats du tiercé, vérifie l’heure d’un rendez-vous sur son agenda, ou repose un moment le livre sur la table pour une rêvasserie intime, dont le seul lien avec le contenu du livre est souvent celui du coq-à-l’âne. En gros – mobilité en plus – c’est le comportement moyen en classe d’un élève qu’on jugerait plutôt dissipé.
Qu’est-ce qui permet la bonne entente paradoxale de ce comportement distrait d’un isolé qui semble occupé à « tuer le temps » avec une lecture qui en fin de compte s’achèvera pour lui lisse, rassemblée, sans couture, exempte de toute solution de continuité ?
Pour tenter d’y répondre, il faudrait prendre en compte les singularités qui marquent les rapports d’un lecteur avec son livre. Il ne s’agit pas ici de la présence passive, entièrement évasive et congédiable, qui est celle d’un tableau accroché à un mur. Ni, non plus, de la parenthèse temporelle, rigoureusement close et même minutée, dans laquelle nous enferme, l’audition d’un morceau de musique. Le lien, qui relie le lecteur à sa lecture est certes inséparable de l’écoulement du temps, mais rien n’en marque la durée, le rythme, ni la fin, ni même la continuité (que de livres lus par tranches successives, que séparent parfois de longues années !) Un livre se perd de vue et se retrouve, tantôt fané, tantôt réarmé de séduction. Sa beauté est journalière, au sens balzacien ; il a ses bons et ses mauvais moments. On connaît avec lui la séduction à laquelle on cède trop vite, tout comme la lente reconquête, par des qualités d’abord voilées. Il se prête à des découvertes successives (tout n’y est pas apparent tout de suite) à l’automatisme de l’accoutumance, à l’usure rapide du premier éblouissement, tout comme à l’entente parfois nouée jusqu’à ce que la mort advienne. Il voyage avec nous, parfois convivial et disert, parfois plus fermé qu’on ne voudrait. Il vieillit près de nous, tantôt comme un vin, tantôt comme une femme, tantôt passivement, tantôt activement ; il ne déserte jamais tout à fait la mémoire ; on vieillit avec lui : commode, présent, familier, logeable. Bref, les rapports qu’on a avec lui sont, plus que pour un autre produit de l’art, proches de ceux qu’on entretient avec un vivant, qui, entré une fois dans votre existence, y reste, en sort, y revient, s’y fait place, s’éloigne, mais avec qui le contact plus familier qui a été une fois celui de l’intimité ne laisse jamais prescrire sa note singulière… »
«… Livres de chevet… Nulle production de l’art n’est plus que le livre familière de la chambre à coucher, nulle ne nous parle davantage, toute réticence, toute litote larguée, et, comme dans une promiscuité intime, sur l’oreiller. Il n’y a guère de cohabitation en art qu’avec un livre. Il n’est pas sûr que cela ait été dans le passé toujours le cas. Les rapports du lecteur de l’antiquité avec son rouleau manuscrit étaient autres, peut-être à-demi liturgiques : l’attitude, la lenteur des gestes, la station debout. Feuilleter un livre, et dans tous les sens, a été dans son histoire l’épisode dernier qui – autant sensuel que mental – a achevé pour lui la danse des sept voiles, a dévêtu le livre pour le lecteur comme aucune production de l’esprit ne l’avait encore été avant lui… De même qu’il n’est guère possible d’évoquer quelque détail physique d’une personne qui vous est familière, sans qu’elle reprenne vie sympathiquement et se réanime toute dans le souvenir, de même la faculté d’évocation caractéristique de la fiction écrite, ne s’exerce pas seulement sur les images et les souvenirs extérieurs à elle, mais s’exerce aussi de chacune de ses parties, même infimes, sur sa propre totalité. Si je reviens à une page d’un livre qui m’est familier, c’est le livre entier : sous ces espèces (comme on dit) qui vient me repeupler. La mémoire des livres est une mémoire bourgeonnante, étrangement multipliée parce que chacun de ses éléments est lui-même un petit monde toujours en puissance d’éclosion… »
Julien Gracq aurait-il aimé ces honneurs ? Voici comment, alors élève de cinquième, il jugea Georges Clémenceau en visite dans son lycée du bord de Loire: « Je puis dire que cette tache noire et suprêmement insolente, tapotant ses genoux du bout des doigts pendant que péroraient préfet, recteur et généraux, a dégonflé pour un enfant de douze ans en une minute de son prestige l’officiel aussi brutalement que la pointe d’une épingle dégonfle une baudruche. »
L’accès à la bibliothèque, à l’étage supérieur, s’effectue maintenant, médiocrement, par un escalier en tube. La déception est vite dissipée devant la vision à 360 degrés que nous possédons depuis la rotonde à l’aplomb de la coupole malheureusement masquée pour cause de restauration.

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C’est une bibliothèque quasiment vide d’ouvrages que trouva le cardinal de la Rochefoucauld nommé abbé en 1619. Ce qui avait échappé au pillage venait d’être vendu à la livre par un chanoine incapable. Qu’à cela ne tienne, le cardinal reconstitua un premier fonds en tirant de sa bibliothèque personnelle six cents ouvrages environ et nomma des chanoines bibliophiles passionnés, les Pères Fronteau puis Lallemant qui, en une quarantaine d’années, portèrent le fonds à huit mille volumes.
Mais c’est avec la nomination comme bibliothécaire, en 1675, du père Claude du Molinet, celui-là même qui créa le cabinet des curiosités, que le fonds atteignit un grand prestige. À sa mort, en 1687, il comprenait vingt mille ouvrages, nécessitant le réaménagement du bâtiment.
En 1710, le fonds fut presque doublé avec la donation de Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims, frère de Louvois, qui, redoutant la dispersion très probable après lui de sa collection, légua à l’abbaye Sainte-Geneviève un ensemble de 16.000 volumes « bien conditionnez », revêtus en partie de reliures en maroquin rouge, frappées sur leur plat aux armes du donateur.
On peut méditer sur l’évolution de tels espaces de culture, sur leur fragilité soumise à la passion ou, au contraire, le désintérêt, manifestés par quelques individus, encore plus aujourd’hui, à l’ère du jetable et du numérique. Je n’ai jamais jeté un livre et lorsque je dus me séparer d’une partie du fonds que possédaient mes parents, je l’offris à la bibliothèque d’un petit village.
C’est l’architecte Jacques de la Guêpière qui fut à l’origine, entre 1720 et 1730, des travaux d’agrandissement des combles et de la conception d’une bibliothèque en forme de croix, semblable à celle des Jésuites de Rome.
Des « gougnafiers » la transformèrent en dortoirs (au XIXe siècle mais des travaux récents lui redonnent cet aspect du siècle des Lumières, livres en moins, ceux-ci étant conservés à la Bibliothèque Sainte-Geneviève toute proche.
Il est dommage qu’une bâche nous cache la coupole décorée par la fresque de Jean Restout (1692-1768) représentant Saint Augustin foudroyant Pélage et quelques hérétiques.
Les quatre galeries ont des fonctions différentes, deux servent de salles d’examens, une abrite la bibliothèque des lycéens, une autre celle des classes préparatoires.
C’est dans cette dernière, prestige oblige (!) que nous nous asseyons un moment pour écouter le guide faire une brève présentation du lycée. Il comprend un collège dit « petit lycée » auquel on accède par la rue Clotilde et qui est ouvert à tous les enfants du quartier, le cinquième arrondissement de Paris. Par contre, l’inscription au lycée proprement dit s’effectue sur dossier, donc concerne les excellents élèves de toute la France, ce qui explique les pourcentages de réussite avec mention très bien au baccalauréat.
Le prestige du lycée provient aussi de ses nombreux lauréats au Concours général, et surtout de ses classes préparatoires créées au XIXe siècle. Elles ouvrent la voie aux concours scientifiques, quoique ce soit plus l’apanage de Louis le Grand le lycée voisin, littéraires (École Normale Supérieure, École des Chartes …) et économiques (HEC, ESSEC…).
Je réalise la faille abyssale entre l’atmosphère éminemment studieuse de ce lieu de savoir et la cacophonie que connaîtront parfois certains normaliens dans leurs lycées d’affectation future.
On ne compte plus les personnes illustres (dans divers domaines) ayant fréquenté les bancs du lycée. Allons-y pour une liste non exhaustive et nullement chronologique (!) : Prosper Mérimée, Ferdinand de Lesseps, Alfred de Musset, le peintre Pierre Puvis de Chavannes, les philosophes Jean-Paul Sartre et Paul Nizan, Jorge Semprun, Jean Plantureux alias le dessinateur Plantu, Victor Baltard, Édouard Branly, Léon Blum, Simone Veil, Georges Duhamel, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Louis Delluc, André Gide, le baron Haussmann, Alfred Jarry, Guy de Maupassant, Emmanuel Leroy-Ladurie, Jean Richepin, Philippe Léotard, Jean d’Ormesson, Patrick Modiano, Raphaël Enthoven … Imaginez s’il était possible d’organiser une réunion de ces anciens élèves !
Permettez-moi, au moment où j’écris ce billet, d’y ajouter le chanteur Guy Béart qui vient de nous quitter. Il suivit les classes de Maths sup et Maths spé avant d’être reçu à l’École Nationale des Ponts et Chaussées.
On a le temps, surtout en cette bibliothèque, d’un bref hommage. Je vous propose les paroles de sa chanson Chandernagor :

« Elle avait elle avait
Un Chandernagor de classe
Elle avait elle avait
Un Chandernagor râblé
Pour moi seul pour moi seul
Elle découvrait ses cachemires
Ses jardins ses beau quartiers
Enfin son Chandernagor
Pas question
Dans ces conditions
D’abandonner les Comptoirs de l’Inde

Elle avait elle avait
Deux Yanaon de cocagne
Elle avait elle avait
Deux Yanaon ronds et frais
Et moi seul et moi seul
M’aventurais dans sa brousse
Ses vallées ses vallons
Ses collines de Yanaon
Pas question
Dans ces conditions
D’abandonner les Comptoirs de l’Inde

Elle avait elle avait
Le Karikal difficile
Elle avait elle avait
Le Karikal mal luné
Mais la nuit j’atteignais
Son nirvana à heure fixe
Et cela en dépit
De son fichu Karikal
Pas question
Dans ces conditions
D’abandonner les Comptoirs de l’Inde

Elle avait elle avait
Un petit Mahé fragile
Elle avait elle avait
Un petit Mahé secret
Mais je dus à la mousson
Eteindre mes feux de Bengale
M’arracher m’arracher
Aux délices de Mahé
Pas question
Dans ces conditions
De faire long feu dans les Comptoirs de l’Inde

Elle avait elle avait
Le Pondichéry facile
Elle avait elle avait
Le Pondichéry accueillant
Aussitôt aussitôt
C’est à un nouveau touriste
Qu’elle fit voir son comptoir
Sa flore sa géographie
Pas question
Dans ces conditions
De revoir un jour les Comptoirs de l’Inde »

Ils ne sont sans doute plus de première jeunesse, ceux qui apprirent à l’école les cinq noms des comptoirs de l’Inde, et j’absous les jeunes générations de les ignorer. C’était l’occasion d’évoquer Colbert et la « Compagnie pour le commerce des Indes orientales » puis la politique colonisatrice de Dupleix.
En tout cas, c’était à la fin des années fifties, après m’avoir offert le premier disque de Guy Béart comprenant L’eau vive, mon père refusa alors de m’acheter le second. Dans le contexte de décolonisation de l’époque, avoir un Chandernagor de classe et deux Yanaon ronds et frais était d’un érotisme trop subversif pour le jeune adolescent que j’étais ! Ainsi va la vie …
Le lycée Henri IV a possédé aussi des professeurs célèbres : ainsi le philosophe Émile Chartier dit Alain et Henri Bergson y enseignèrent la philosophie, Victor Duruy l’histoire et Georges Pompidou, déjà cité, les lettres.
Il est honnête de signaler que, depuis une dizaine d’années, le lycée a créé un programme d’ouverture sociale aux classes préparatoires.

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Par une espèce de porte secrète, nous nous glissons maintenant hors de la bibliothèque. Nous découvrons sur le palier la magnifique porte en chêne que nous n’avons pas eu l’honneur de franchir. Je ne fus pas suffisamment maestro pour sortir par la grande porte ! Elle est finement décorée de sculptures évoquant l’étude.
Bombons le torse tout de même, nous redescendons au niveau de la cour Musset par l’élégant escalier des Grands Hommes en fer forgé. Il n’était pas question, à l’origine, que les visiteurs de la bibliothèque s’éparpillent dans l’abbaye et troublent la quiétude des chanoines.

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Au pied de l’escalier, se dresse le buste de l’illustre physicien André-Marie Ampère, le père de Jean-Jacques croisé plus tôt. Il a donné son nom à l’unité internationale d’intensité du courant.
Non loin de là, à l’abri de grilles, dans ce qui ressemble à un réduit, sont entreposés les bustes de Henri IV et du « roi-bourgeois » Louis-Philippe qui envoya ses cinq fils comme élèves du collège Henri IV. Grandeur et décadence ?
Le concert qui s’y tenait étant maintenant terminé, nous pouvons achever notre visite par la chapelle du lycée, une longue salle de style gothique qui abritait à l’origine le réfectoire des religieux.
Un moulage d’une statue provenant de l’ancienne abbatiale détruite représente Sainte Geneviève se rendant la nuit à Saint-Denis. Elle tient un livre de prières dans une main et un cierge dans l’autre. Sur son épaule gauche, un diablotin malicieux en piteux état, il n’en reste que les pattes fourchues, prend un malin plaisir à éteindre le cierge qu’un angelot, perché sur l’épaule droite, rallume constamment.

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Je conclus ma promenade par un dernier cliché de la tour Clovis au soleil déclinant.
Licence littéraire, j’ai envie de poursuivre par une nuit blanche (nom d’une manifestation artistique annuelle) que j’avais passée au Panthéon lors d’une flânerie précédente. La compagnie des grands hommes m’inspire.
D’autant que je ne suis nullement hors sujet car beaucoup d’entre nous l’ignorent, le Panthéon est l’église de la nouvelle abbaye Sainte-Geneviève reconstruite, selon le vœu de Louis XV, par l’architecte Jacques-Germain Soufflot (projet en 1764). Il prend ce nom à la Révolution et devient un temple destiné à recueillir les restes des hommes qui avaient inspiré la chute de l’Ancien Régime. Le premier hôte fut Mirabeau en 1791 mais il en fut exclu deux ans plus tard et ses restes balancés dans un caniveau, après la révélation de coupables compromissions avec le roi. Il fut remplacé par Marat, assassiné par Charlotte Corday dans sa baignoire, qui subit le même sort sous la réaction thermidorienne.
Durant le XIXe siècle, le monument fut, selon les régimes en place, balloté entre ses usages religieux ou laïc. Sous le Premier Empire, en 1806, il est rendu au culte mais la crypte continue de recevoir les dépouilles des illustres, elle est fermée sous la Restauration en 1821. Le « roi bourgeois » Louis-Philippe Ier rétablit la nécropole nationale, c’est alors que David d’Angers sculpte sur le fronton l’inscription Aux grands hommes la patrie reconnaissante qui sera effacée sous le Second Empire. Enfin, en 1885, les Républicains (pas ceux imaginés par un récent président de la République !) mais ceux de la jeune Troisième République profitent des funérailles de Victor Hugo pour retransformer définitivement l’église Sainte Geneviève en Panthéon. Deux millions de personnes rendirent hommage à l’immense écrivain (et homme politique) sur le parcours du cortège entre son domicile de l’avenue, déjà baptisée de son vivant, Victor Hugo, et directement le Panthéon.
À l’heure actuelle, 75 Grands Hommes dont 3 femmes sont entrés au Panthéon (physiquement ou pas). Napoléon et François Mitterrand en furent de grands fans, l’empereur « panthéonisant » 42 personnes et le premier président socialiste de la Vème République y fêtant son investiture en mai 1981.
Dans une démarche démocratique mais surtout artistique, le street artist JR dont je vous avais déjà entretenu pour d’autres installations (voir billet du 15 novembre 2009) a eu l’étonnante idée de faire entrer au Panthéon plusieurs milliers d’anonymes en combinant leurs selfies en noir et blanc au sol, dans la coupole et sur le dôme.

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On hésite à piétiner tous ces visages, venus du monde entier, braqués vers soi puis on s’y résigne respectueusement en leur lançant un regard attendri. C’est fou comme un artiste peut nous donner espoir en l’humanité … au moins durant quelques instants.
Je profite de l’occasion pour visiter l’exposition temporaire consacrée à Jean Jaurès, un Jaurès bien vivant tandis qu’il repose dans la crypte en-dessous.
Son entrée au Panthéon ne fut pas vue d’un bon œil par tous, et notamment, par le journal L’Humanité dont il fut pourtant le fondateur. Ainsi, voici ce que Paul Vaillant-Couturier y écrivit dans un article en date du 23 novembre 1924 :
« Sous couleur de conduire Jaurès au Panthéon, le Bloc des gauches a décidé de faire aujourd’hui pour six cent cinquante mille francs de publicité au ministère bourgeois du Quotidien-Hennessy.
C’est le deuxième assassinat de Jaurès. Poincaré-la-Guerre se hissant sur la pierre du Soldat inconnu, nous était odieux ; François-Albert, insulteur de Jaurès, faisant de sa dépouille une enseigne lumineuse et tricolore pour le gouvernement bourgeois ne l’est pas moins. Mais ceux qui les dépassent tous deux en ignominie ce sont ces socialistes qui, pour les besoins de leur politique de futurs ministres du capitalisme, livrent le cadavre de Jaurès en triomphe, à la bourgeoisie qui le fit assassiner.
Aujourd’hui, comme en 1914, les radicaux sont au pouvoir, et c’est la bourgeoisie qui convie le prolétariat, sa victime, à fraterniser avec elle en l’honneur de la dernière curée…
Elle a voulu faire bien les choses et, comme le cœur n’y était pas, elle l’a remplacé par la mise en scène hideuse des décors classiques en carton-pâte : tout son Art. Or, répétons-le pour la centième fois, Jaurès tombé au service d’un prolétariat qui voulait la paix, n’appartient pas plus à M. Renaudel qu’à Herriot. Par sa légende et par sa mort, c’est à la Révolution qu’il appartient.
C’est ce que Paris ouvrier et révolutionnaire notifiera ce soir aux exploiteurs de sa mémoire… »
Les choses n’ont pas changé : il est toujours quasiment impossible d’obtenir un consensus tant chaque événement est instrumentalisé.
L’exposition à travers des affiches et quelques textes nous fait voyager à travers la postérité considérable de Jaurès, il est même un candidat de droite aux dernières (et futures ?) élections présidentielles qui crut opportun de s’en réclamer !

Expo Jaurès Panthéon

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Une sorte de bibliothèque idéale est mise à la disposition du visiteur qui, s’asseyant à une grande table circulaire, peut essayer de trouver une réponse à la question chantée par Brel :

« Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s’appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grands-parents
Entre l’absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d’être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laisse au visage un teint de cendre
Oui, notre Monsieur oui notre bon Maître
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

On ne peut pas dire qu’ils furent esclaves
De là à dire qu’ils ont vécu
Lorsque l’on part aussi vaincu
C’est dur de sortir de l’enclave
Et pourtant l’espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux yeux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu’à la vieillesse
Oui notre bon Maître oui notre Monsieur
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

Si par malheur ils survivaient
C’était pour partir à la guerre
C’était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelques sabreurs
Qui exigeaient du bout des lèvres
Qu’ils aillent ouvrir au champ d’horreur
Leurs vingt ans qui n’avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui notre bon Maître
Couvert de prêtres oui notre Monsieur

Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l’ombre d’un souvenir
Le temps du souffle d’un soupir
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès? »

Avant de me retirer, je vous offre cette émouvante et généreuse interprétation par le groupe Zebda créée à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance.

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Publié dans : Ma Douce France |le 1 octobre, 2015 |3 Commentaires »

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3 Commentaires Commenter.

  1. le 11 juillet, 2016 à 15:08 Marie-Eve Bousquet écrit:

    Monsieur,

    je ne saurais vous remercier assez pour tout ce que vous avez bien voulu partager avec vos lecteurs à propos du Lycée Henri IV, information, commentaires, photos, tout me touche d’une façon que vous ne pouvez imaginer. Le Lycée Henri IV a été ma maison pendant 10 ans, j’y suis arrivée à l’âge de 5 ans, repartie à 15.
    Je le connais comme ma poche, y ai passé tout mon temps libre, à vadrouiller, découvrir et évoluer dans un cadre somptueux qui, pour une enfant, était quand même un lieu idyllique. Toutes les portes m’étaient ouvertes, car tous ceux qui ont contribué au fonctionnement du Lycée me connaissaient en tant que petite fille solitaire et curieuse, mais aussi en tant que petite-fille de l’Intendant. J’ai appris à faire du vélo dans la cour Musset, enterré de pauvres oiseaux sous les statues de la cour d’Honneur, célébré le bapteme de mes petits cousins dans la Chapelle, et tant et tant de souvenirs si heureux au cours rompu par la mort (non je ne suis pas aigrie :) )
    merci encore de m’avoir sans le savoir rendu une partie de mon enfance.
    Bien respectueusement
    Marie-Eve

    Répondre

    • le 11 juillet, 2016 à 17:28 encreviolette écrit:

      Madame,
      Je suis sincèrement ému par votre évocation d’un pan de votre enfance dans le cadre de ce prestigieux lycée.
      Je possède aussi des souvenirs inoubliables de ma « maison école » de Normandie, l’école primaire et le collège que dirigea ma chère maman jusqu’à mon adolescence. Elle était certes moins élitiste mais cependant porteuse d’un immense bonheur.
      On dit parfois qu’il y a des lieux qui ont fait la France, plus modestement, il en est qui ont construit notre enfance.
      Merci encore.
      Bien respectueusement.
      Jean-Michel

      Répondre

      • le 31 juillet, 2016 à 3:14 Marie-Eve Bousquet écrit:

        Monsieur,
        Merci pour votre aimable réponse; je savais que nous avions cela en commun après vous avoir lu.
        Je vous souhaite une bonne continuation, j’apprécie beaucoup votre style
        Toujours respectueusement
        Marie-Eve

        Répondre

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