Archive pour juillet, 2015

Ici la route du Tour de France 1965 (2)

« Dans le salon à lambris dorés, mille glaces piégeaient la silhouette perchée d’un vieil oiseau à queue de pie.
Légèrement fourbu sous le poids de trop de lustres croulants de pendeloques, le visage penché par trop d’années de servitude hautaine, il écarquillait sous une crinière blanche un œil fait pour le monocle et la réprobation. On eût dit Léopold Stokowski dirigeant la répétition de solistes particulièrement obstinés dans l’erreur. Mais l’immense partition cartonnée sur laquelle il tapotait d’un index nerveux n’était autre que le menu… »
Non, je ne me trompe pas, il s’agit bien de mon second billet consacré au Tour de France 1965. Je vous avais quitté après un « demi-Tour » à Barcelone où les coureurs profitent d’une journée de repos bien méritée. Enfin, faut-il parler d’un repos dans la bruyante et chaude nuit catalane ? Aussi, les directeurs sportifs se rendent en délégation auprès des organisateurs qui procèdent à quelques déménagements.
C’est comme cela que les coursiers des équipes Mercier-B.P et Pelforth-Sauvage-Lejeune se retrouvent, pour leur seconde nuit, dans le décor d’un palace pour milliardaires, et qu’Antoine Blondin, cédant sa chambre au breton François Mahé, nous livre une chronique surannée et surréaliste intitulée Poulidor of the Ritz :
« … Devant lui se tenaient de jeunes gaillards en maillots de corps, traînant la mule ou la savate, et leur porte-parole, un monsieur réservé et têtu, drapé dans une blouse blanche d’apothicaire, largement échancrée. Des tapis persans, des tentures de brocarts feutraient le dialogue, où s’affrontaient Antonin Magne et le maître d’hôtel du Ritz.
Aussi loin qu’on remontât dans les annales, et Dieu sait si le grossium de palace peut être capricieux, on n’avait jamais vu des clients aussi court vêtus perturber le thé de l’après-midi pour revendiquer un petit déjeuner du lendemain à sept heures, en Espagne s’il vous plaît, et composé pour l’essentiel d’une soupe avec de gros légumes …
Antonin Magne, directeur sportif des cycles Mercier, auquel s’était joint le sémillant Maurice De Muer, directeur sportif des cycles Pelforth-Sauvage-Lejeune, rétorquaient en substance qu’aussi loin que l’on remontât dans ces mêmes annales, on n’avait jamais vu non plus des coureurs s’alimenter en course de potage Alphonse XIII au coulis Du Barry, de bœuf Strogonoff ou de tegamino de cervelle à la sauce.
Apparemment, deux planètes étrangères recherchaient une coïncidence improbable. Dans les fauteuils d’alentour, des magnats américains, habillés comme de vieux gentlemen de Cocody dans des complets immaculés, s’éventaient avec leur panama, mobilisant leur peu de curiosité pour se distraire un œil de la lecture du Financial Times. Leurs épouses, trois rangs de perles sous trois mentons, dardaient en revanche vers la conjecture des faces-à-main de présidentes de ligues et s’oubliaient jusqu’à réprimander leurs garnements en socquettes, ce qui ne s’était encore point vu de mémoire d’Américain. Un peu à l’écart, une demoiselle anglaise, à la peau plus blanche que la tranche de veau froid dans l’assiette du même nom, se demandait quel Baedeker aberrant l’avait aiguillée vers ce caravansérail, avec l’esprit d’y croiser un matador à tous les étages. Poulidor, El Limousino, n’atteignait apparemment pas aux sommets d’émotion éveillée par le Cordobès sous un corsage britannique.
La chronique de la guerre d’Espagne est riche de récits où le Ritz de Barcelone est le siège de scènes contrastées. On y voit des correspondants de guerre barbus et dépenaillés retrouver pour un soir le mode d’emploi de la civilisation dans le regard d’une jolie femme, au fond d’un verre, dans une baignoire. La bataille et les duvets de l’existence s’y côtoient, mêlant le satin et la charpie, le parfum de la lavande et l’odeur de la poudre. C’est vers cinq heures, en ce samedi où les trottoirs de Barcelone fumaient sous la canicule, que les clients habituels du Ritz, persuadés qu’ils allaient « passer à côté », s’aperçurent qu’ils étaient beaucoup plus près du front qu’ils ne l’imaginaient… »
C’est reparti sur la, toujours savoureuse, route buissonnière d’Abel Michea : « En ce dimanche, c’était presque avec joie qu’on reprenait le vélo. Oh, pas pour se faire mal. Simplement pour aller prendre un bol d’air le long de la Méditerranée. Alors commença une délicieuse promenade au travers de toutes ces plages qui festonnent la Costa Brava. Les coureurs ne se pressaient guère. Ils n’avaient, présentement, que deux espèces de soucis : se désaltérer et lorgner les jolies filles.

Tour65 Barcelone Perpignan blog

Tour65 Barcelone Perpignan 2 blog

Pour ce qui était de l’œil, nous étions servis avec ces filles à l’épiderme de pain d’épice, à l’œil étincelant, à l’éclatant sourire et qui expédiaient à notre caravane des baisers et des saluts. Ça c’est le Tour de France ! Nous n’avions pas à nous exciter sur nos chronos. Le peloton roulait sans histoire et se disait qu’il serait bien temps le soir, à Perpignan, de s’agiter sur sa feuille blanche. On devrait inventer, pour les journalistes du Tour, un néologisme. Le verbe parcheminer qui rappelle à la fois la route et la feuille de papier. Ce papier qu’on maudit quand il reste désespérément blanc, parce qu’on a rien à y aligner …
… Le peloton oubliait ses malheurs barcelonais. Il continuait de regarder les belles filles, de se désaltérer. La route boudeuse et jalouse avait décidé de quitter ces plages qui nous faisaient tourner la tête et de nous emmener au travers des Monts Gavaras…
L’orage a pété. Aïe, aïe, aïe, messieurs dames. L’eau dégringola à pleins seaux et la petite route du col de Fraila était transformée en torrent. Et Désiré Letort s’amuse à jouer les truites, à remonter le courant tout seul. Mais il fut bien repêché par le peloton.

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Sous le déluge on plongea vers la mer à la recherche d’un peu de soleil. Angelino Soler était tout désigné pour se charger de la commission. Il dévala vers Port-Bou, grimpa le col des Balitres et entra en France alors que la pluie avait cessé.
Maintenant c’était Banyuls que traversa un peloton sérieusement égrené par le petit col. Puis Port-Vendres et le peloton petit à petit se reformait.
Devant Angelino Soler ne pouvait plus résister. Dans le petit port de Collioure, il était rejoint par sept gaillards que le champion du monde Jan Janssen emmenait à toute allure. Il la voulait son étape. Depuis Perpignan, il est rassuré. »

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Voilà comment, dans ma jeunesse, à défaut d’une étape enthousiasmante, j’apprenais la géographie et découvrais les curiosités touristiques de la côte … Vermeille.
« Excusez-moi, mais de Perpignan à Montpellier, le Tour de France a fait la route … boissonnière ! Des Corbières à Frontignan, la route flirtait les clairettes, les picpouls, les bourrets. Mais si le peloton tanguait sur la route, ce n’était pas la faute du vin, mais celle du vent. Parce que, messieurs dames, nous avons été servis : vent, tramontane, cers, zef, appelez ça comme vous voulez. En fait, c’était un fameux cocktail et qui soufflait plein pif comme disent ces messieurs de l’académie vélocipédique. Vous pensez bien qu’avec un truc pareil, on ne s’aventure à sortir du peloton que sur la pointe des pneus … »
Cela me laisse un peu de temps pour une de ses délicieuses histoires que l’épicurien Abel Michea racontait à Nounouchette, l’hiver, au coin du feu. Je l’ai déjà évoquée dans un billet sur une vieille dame de Béziers (11 février 2011), à savoir le mythique stade des Sauclières. Elle avait pour décor justement la, vraiment bien surnommée, route « boissonnière » empruntée aujourd’hui.
« Verse-moi ma Nounouchette un verre de Meursault, je vais te la dire la vérité sur la cuite de Zaaf. Zaaf, tu le connais. On a été chez lui à Alger. C’était en 1950. L’étape Perpignan-Nîmes. Encore une où Râ, comme disent les cruciverbistes, faisait des heures supplémentaires. Tu avais beau avoir une feuille de chou sur la cafetière, tu sentais quand même passer le truc. Alors, de temps en temps, un petit coup de Roussillon, histoire de s’humecter les papilles… Et finalement, c’est Abdel Kader qui a trinqué. Zaaf, il avait pris la tangente avec un pote à lui, Molinès. Et il pensait bien la gagner son étape. Il n’avait rien négligé pour cela. Surtout les « conseils » d’un copain belge qui lui avait vanté les mérites de petites pilules « comme ça ».
Et le coureur belge, grand ami de Zaaf, lui avait remis la boîte, sans comme dit le prospectus, préciser la posologie. Voilà donc mon Abdel Kader qui prend un peu plus de pilules qu’il eût été … enfin, disons normal… Si tu avais vu Zaaf tanguer sur la route, la balayer, éviter … un platane, avant de s’écrouler dans un fossé, en bordure d’un vignoble. Et il allait peut-être bien tomber dans les pommes quand un vigneron lui passa sa gourde. Zaaf ne buvait pas de vin. Mais il s’aspergea le visage, la nuque. À tel point que, quand on s’empressa autour de lui, il puait le pinard. Et tout aussitôt naquit la légende de la biture sensationnelle. Tu vois, ma Nounouchette, comme il faut toujours se méfier des apparences et des mauvaises langues. »

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Perpignan, Narbonne, Sète, la mer aux reflets d’argent, les golfes clairs, notre douce France, ça ne vous fait pas penser à Charles Trenet ? J’ai découvert, ces jours-ci, un texte inédit qu’il avait écrit, en 1952, en hommage au Tour de France :

« Les voyant partir de Bretagne
Subito presto
Cent quatre-vingts champions triés sur le vélo
Courant à travers la campagne
Courant après la gloire
J’ai l’impression bizarre
Qu’ils vont faire le tour de mon répertoire
De la mer aux Pyrénées
De mes Vertes années
Pour enfin voir Paris
Et ses taxis
Bref, comme disait mon distingué
Confrère Maurice Chevalier
Ce tour à ma façon
C’est ma route et mes chansons
Partout où passe le Tour de France
C’est la fête, c’est dimanche
C’est dimanche de la France
On distribue des chapeaux en papier
De mirlitons, des savonnettes
On voit passer Georges Briquet
On voit même des coureurs à bicyclette
Maman, v’là le maillot jaune canari
V’là Coppi
Bartali et Geminiani
Et puis voilà ils sont passés
Y’en a jusqu’à l’année prochaine
Il reste des prospectus froissés
Sur la route comme une traîne
Sur la route des Tours passés. »

En effet, je me souviens, lors des voyages de mon enfance, l’écologie et l’environnement étaient encore des notions inconnues, on retrouvait au sommet des cols pyrénéens et alpins, encore au mois d’août, les stigmates du passage, le mois précédent, du Tour de France et de sa caravane publicitaire. Cela aussi attisait l’imaginaire du gamin que j’étais.

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In vino veritas disait-on à Rome, mais en ce qui concerne le Tour, la vérité surgira bientôt au sommet du Ventoux. Pour l’instant, si l’Italien Durante gagne à Montpellier, d’extrême justesse, au sprint, le fait du jour est que le Normand Jean-Claude Lebaube, qui s’est immiscé dans l’échappée, subtilise la seconde place du classement général à Poulidor.

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Orphelins des exploits d’Anquetil, les journalistes de Paris-Normandie peuvent vanter les mérites du valeureux Firmin, habituel majordome de Maître Jacques : « Long comme un jour sans pain, le visage en lame de couteau, orné d’un nez en coupe-vent, l’air compassé, Jean-Claude Lebaube a été surnommé Firmin par ses camarades, il y a bien longtemps de cela. Il faut reconnaître que ce surnom lui convient admirablement. D’autant que courant dans l’ombre de Jacques Anquetil, Normand comme lui, il était la plupart du temps voué au rôle de subalterne. »
Ça y est, on y est au pied du Mont Ventoux, le Géant de Provence ! C’est le jour ou jamais pour Raymond Poulidor d’enfiler enfin la tunique jaune tant convoitée. Il se retrouve dans un scénario quasi identique à celui du duel sur le volcan du Puy-de-Dôme, il y a un an. Il lui avait manqué quatorze malheureuses secondes pour dépasser Anquetil, il lui faut, cette fois, reprendre trois minutes et douze secondes à Felice Gimondi. La France y croit.
Blondin aux abonnés absents, j’appelle Abel Michea au secours :
« Le Ventoux, ils n’étaient pas beaucoup à l’avoir appris dans son édition complète. La plupart des gars n’en connaissaient que l’édition expurgée, celle où, arrivé au Chalet Reynard, on se dépêche de redescendre sur Sault.
De toute façon, on avait 170 km pour discuter de braquets à employer. Parce que nos lascars avaient décidé d’y aller à pédalées comptées au pied du Ventoux.
La route pour une fois, ne criait pas les mérites de Poulidor, Van Looy ou Jimenez. Non, en grandes lettres blanches, elle répétait : « Pisani (ministre de l’Agriculture ndlr) hors d’ici… ». Et Poulidor hochait la tête : « Ces Italiens, on n’en sort jamais … »
… Ce n’était pas le moment de faire les malins. On traversa donc sans se presser Carpentras, pas pour enfiler des berlingots, mais pour retenir à l’auberge, un cabri à la broche, un pâté de grives avec quelques-unes de ces truffes parfumées du Ventoux…parce qu’une fois escaladé « Lou Ventoux » c’est à Carpentras que la caravane revenait pour la nuit … »
Après Bédoin, le passage à niveau du Ventoux, après le fameux virage de Sainte-Estève relevé à 35%, « Joaquim Galera venait de démarrer et tout de suite, derrière lui le peloton fut écrémé. Jimenez, Motta, Poulidor, Gimondi restaient seuls derrière Joaquim, ça n’avait pas traîné. Mais Jimenez, champion de toutes les Espagnes de la montagne – ou de toutes les montagnes de l’Espagne – démarra. Ce fut sec, brutal, des trucs à faire éclater les muscles, et que vit-on ? Le maillot chamois de Motta s’en aller à la dérive. Mais l’Italie allait perdre, coup sur coup, ses deux nouvelles idoles. Poulidor accélérait. Gimondi serra les dents, pâlit.

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Maintenant c’était fait, Poulidor et Jimenez étaient seuls en tête, ils arrivaient dans ce paysage lunaire qui termine la route du Ventoux, cet océan de cailloux, sans l’ombre d’un brin d’herbe où viennent au clair de lune, rêver les lièvres blancs, remontant de la forêt où ils se sont gavés de serpolet.

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Des milliers de spectateurs se pressaient sur les flancs du géant de Provence et Poulidor recevait les encouragements à pleines brassées. Ce fut bientôt du délire ! Qui allait gagner du petit Espagnol sautillant ou du Limousin qui à grands coups de pédales arrachait son vélo de la route ?
Jimenez creva. C’en était fait. Alors dans la tranchée humaine du dernier kilomètre, Raymond
Poulidor, de Saint-Léonard-de-Noblat, se hissa jusqu’à la victoire. Alors la foule explosa, Antonin Magne essuya le coin de son œil, et Poupou, heureux, essoufflé, sourit de son beau sourire. Alors Tonin le regarda chaleureusement et dit tout simplement : « La maison se construit ».
Sentencieux, il confie également à l’excellent journaliste du Parisien Libéré Roger Bastide : « Raymond vient enfin de réaliser aujourd’hui qu’il doit gagner ce Tour. Il fallait qu’il s’en persuade. Dans la montée du Ventoux, il a enfin débouché son gicleur cérébral ! »

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Poulidorissimo ! « Le long du boulevard Albert-Durand, à Carpentras, autour de la Place des Papes en Avignon, on a longtemps chanté, mardi soir : « Viens Poupou, viens Poupou, viens, j’t’emmènerai voir Motta … » C’est fou comme le public adore son Poulidor. Il s’était quand même un peu lassé de le voir toujours battu et toujours content. Et voilà que le Ventoux nous le rendait tel qu’on l’avait toujours rêvé : un Poulidor triomphant. Parce que Poupou, pour la foule, c’est Monsieur Tout-le-Monde. Anquetil, c’était une espèce de demi-dieu, de héros à qui il paraissait impossible de s’identifier. Tandis que Poupou, c’est votre voisin, le boucher, le facteur.
Anquetil, c’était l’exploit froid, net, sans bavure. De l’acier. Poupou, c’est tressé comme le font les gens de chez nous de la vannerie. C’est solide aussi, et brillants ces brins d’osier entrelacés, mais ça paraît simple comme une maille endroit, une maille envers. Tandis que tailler dans le marbre, ça vous laisse tout froid. C’est pourquoi le public admire Anquetil et qu’il aime bien Poulidor. C’est pourquoi on dit presque toujours Anquetil, rarement Jacques et jamais Jacquot. Mais on appelle Poulidor Poupou … Anquetil c’est un personnage pour Max-Pol Fouchet. Poupou, c’est une vedette pour Jean Nohain. »
Bon, d’accord, Poulidor a été à la hauteur de l’événement et a tenu avec brio son rôle de favori, cela dit, il n’occupe, pour l’instant, que la seconde place, à trente-quatre secondes de Gimondi toujours en jaune.
Au fait, j’ai découvert la raison des étonnantes « absences » de Blondin lors de certaines étapes phares en lisant, ces jours-ci, un livre généreux sur Antoine Blondin la légende du Tour.

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Retrouver en couverture Antoine et Anquetil ne peut que m’intriguer et m’émouvoir. On y parle aussi beaucoup de Poulidor et joliment même.
Donc, Blondin estimant que Jacques Goddet, Pierre Chany et Jacques Augendre avaient effectué une analyse exhaustive de la course, il n’avait rien à ajouter à ce qu’avaient écrit avec talent ses confrères de L’Equipe, et préférait exercer sa verve sur des étapes, factuellement, moins animées. Plus que sur la course elle-même, Antoine aime écrire sur les hommes.
C’est justement le cas, le lendemain du Ventoux, entre Carpentras et Gap, en brossant les portraits croisés de deux héros, chacun à leur façon, de l’étape.
« Son pauvre visage d’Adémaï enfoncé dans les épaules, les pieds tournés en dedans exprimant la plus intense confusion, il pleurait. En vain, une toute jeune enfant, médusée par ce désarroi, essayait-elle d’attirer son attention pour lui extorquer un baiser. Il la considérait d’un œil mort, puis se remettait de plus belle à lécher les larmes qui lui dégoulinaient aux commissures des lèvres, deux cicatrices plutôt, creusées par l’amertume et le dégoût de tout. On lui tendait de-ci, de-là, un bouquet (Merci Monsieur), un fanion (Merci Monsieur), une assiette en céramique (Merci Monsieur), il saisissait maladroitement ces présents dans ses grandes mains balourdes, laissait choir le bouquet pour rattraper l’assiette, se collait à l’envers le fanion sur le ventre, redécouvrait la jeune enfant à son côté et cette foule à ses pieds, qui ne clamait pas son nom pour la bonne raison que c’est un nom barbare et ignoré, mais qui semblait en revanche s’intéresser vivement à ses états d’âme.
Car cette épave n’était autre que le vainqueur de l’étape. Un vainqueur controversé qu’on avait dû faire monter et redescendre du podium deux ou trois fois, comme un ludion. Et il avait effectivement tout du ludion du village. La circonstance indiquait cruellement que la postérité ne s’emparerait vraisemblablement de Fezzardi Guiseppe, bien que nos confrères italiens s’ingéniassent à créer autour de lui un grand climat d’exubérance.
Pouvait-on prêter à ce Giuseppe, ce Joseph apeuré auquel la gloire faisait le coup de Madame Putiphar (un grand roman du dix-neuvième siècle écrit par Pétrus Borel ndlr), suffisamment d’imagination pour envisager qu’il ait pu rêver ce jour ?Son sprint très décidé contre Gilbert Desmet semble bien souligner qu’il n’avait nullement le trac, mais simplement la volonté arrêtée de faire le boulot pour quoi on l’avait convoqué, un peu plus reluisant que d’habitude, et que le reste lui était donné par surcroît. Pourtant tel que le voilà, il demeure pour l’éternité au centre d’une conjecture qui associe une date, un nom de ville et un nom d’homme, qu’on le veuille ou non : un moment de l’histoire du Tour.

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Cette humble scène trouvait son pendant, à l’autre extrémité de la course, dans une défaite majestueuse. Il faut convenir que Rik Van Looy ne fait pas les choses à moitié : quand il perd, il arrive centième sur cent, mais ce centième est encore gagnant. Un petit quart d’heure après les autres, entouré des plus fidèles éléments de sa garde rouge qui conserve fière allure, même lorsqu’elle se présente comme une arrière-garde, escorté par une escadrille de photographes, il donne à sentir que c’est lui et personne d’autre qui habille l’événement …
… Perdre par la grande porte, gagner par la petite, cette péripétie double et nuancée faisait que les deux cortèges qui se croisaient sur la ligne d’arrivée offraient un contraste bizarre. On ne pouvait s’empêcher d’évoquer le poème de Joséphin Soulary, où la jeune mère en train d’enterrer son enfant sourit à celui qu’on vient baptiser … »
Je n’aurai probablement jamais plus l’occasion de vous entretenir de Joséphin Soulary, poète lyonnais du dix-neuvième siècle qu’on surnomma le Benvenuto de la rime pour sa maîtrise consommée du sonnet. Voici son poème Les deux cortèges :

« Deux cortèges se sont rencontrés à l’église.
L’un est morne : il conduit le cercueil d’un enfant ;
Une mère le suit, presque folle, étouffant
Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise.

L’autre, c’est un baptême. Au bras qui le défend
Un nourrisson gazouille une note indécise ;
Sa mère, lui tendant le doux sein qu’il épuise,
L’embrasse tout entier d’un regard triomphant.

On baptise, on absout, et le temple se vide
Les deux femmes alors, se croisant sous l’abside,
Échangent un coup d’œil aussitôt détourné ;

Et, merveilleux retour qu’inspire la prière,
La jeune mère pleure en regardant la bière,
La femme qui pleurait sourit au nouveau-né. »

Le lendemain, à l’arrivée à Briançon de la grande étape alpestre empruntant les fameux cols de Vars et Izoard, Blondin, pastichant Victor Hugo, cultive l’art d’être … grimpeur :
« « C’était à Briançon, vieille ville … » Non, nous savons que Victor Hugo n’est pas né ici… Briançon se présente pourtant ce soir comme une ville espagnole, puisque l’Andalousie y a triomphé en la personne de Galera qui, lui, a vu le jour aux environs de Grenade et ne s’en cache pas.
En fait, Galera est également d’ici. Avec ses compères Jimenez et Gabica, il est de tous les paysages d’Europe où le chemin s’élève à travers les mélèzes d’abord, les sapins ensuite, les rochers enfin. Et c’est une nouvelle sociologie qui apparaît à travers cette redistribution des espèces en fonction des terrains. S’il est vrai qu’un sursaut superbe incitera toujours le régional de l’étape à s’y surpasser, d’où certaines victoires que les mauvais esprits ont beau jeu de mettre au compte de complaisances sentimentales, la course se joue réellement à la rencontre d’un climat, d’un sol et d’un tempérament, ù qu’elle se déroule et quels qu’en soient les protagonistes.
Depuis les Pyrénées, à des exceptions près, de taille il est vrai, la montagne appartient aux équipiers de la marque Kas dont les maillots bleus remplissaient proprement, aujourd’hui, la fameuse « Casse » déserte, pour ne pas chercher plus loin. Ce sont des personnages plutôt rabougris, à mine triste, que ces nains de la montagne, lorsqu’ils jaillissent de leur boîte pour donner ce festival aérien qui semble leur unique spécialité. On les distingue mal les uns des autres, et c’est rarement le même qu’on retrouve à l’extrême pointe des mouvements tournants où les lance leur directeur Langarica … »

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Tour65 Col de Vars blogTour65 Col de Vars 2 blogTour65 Cap Briançon blogTour65 Izoard blogTour65 Jimenez dans Izoard blog

Au final, Blondin regrette les exploits d’antan de Coppi, Bobet, Gaul, dans ces lieux grandioses, mais l’Izoard n’est plus ce qu’il était : la caillasse, le chemin raviné, les lacets rocailleux ont fait place à une route large et belle comme une avenue.
« Tout se passe comme si la montagne n’était plus un moyen d’expression, mais un mauvais moment à passer, comme si elle confinait les champions « au pain sec et au cabinet noir » (pour en revenir à L’Art d’être grand-père du vieil Hugo) et comme si le Tour devait se parcourir comme un feuilleton à suivre, dont ces petits grimpeurs noirauds seraient les points de suspension. »
Ce qu’il faut retenir, c’est que Poulidor, en ne collaborant pas avec Gianni Motta dans la descente du col de Vars, a gâché une belle occasion de distancer Gimondi. Pire encore, en sprintant dans les derniers hectomètres vers la citadelle, le maillot jaune a grignoté encore cinq secondes au Limousin.
Pour rejoindre Aix-les-Bains, les coureurs traversent la massif de la Chartreuse, théâtre du fameux duel Anquetil-Bahamontès lors du Tour 1963, mais surtout de la légendaire chevauchée de Charly Gaul, l’ange qui aimait la pluie, en 1958 dont je vous ai entretenue dans mon billet sur le beau livre de Lionel Bourg, justement intitulée L’échappée (voir billet du 11 février 2015).
Poulidor est fort, sans doute le plus fort, voici ce qu’en dit Maurice Vidal : « Bien sûr, il faisait beau, on ne peut pas être tous les ans en 1958. Poulidor était souverain. Gimondi l’attaqua à plusieurs reprises. Poulidor revint chaque fois à sa hauteur, l’air de lui dire : – Je vous rappelle, mon cher, que vous êtes mon prisonnier. Ça rappelait « 7 ans de malheur », justement un film italien. Deux soldats italiens, placés par les hasards de la guerre des deux côtés du front, se gardent mutuellement dans une cabane de montagne. Mais quel est le prisonnier de l’autre ? Il faut attendre que la porte s’ouvre … sur quel uniforme ? »

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On le saura demain. Pour l’instant, on se lamente de l’abandon du Hollandais Kees Haast dans l’ascension du col du Lautaret. Victime d’une chute en apparence bénigne, le médecin du Tour l’oblige à quitter la course, ne pouvant stopper l’hémorragie créée par un silex ayant sectionné une artère.

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Le Tour va se jouer sur l’escalade du Mont Revard contre la montre. Poulidor a, jusqu’alors, été présent aux rendez-vous qu’il avait fixés. Ses supporters sont confiants. Certains brandissent même des pancartes : « Ci-git … Mondi ! »
Installons-nous sur le bord de la route buissonnière d’Abel Michea : « Et le grand instant arrivait. Les Poulidoristes furent cueillis à froid. Après dix kilomètres de faux plat, Gimondi accumulait déjà plus de 20 secondes d’avance, c’était trop brutal pour être vrai, sans voix, les Poulidoristes se regardaient : « Ce n’est pas possible, il doit se passer quelque chose … » Il ne se passait rien d’autre qu’une jeunesse rayonnante en train de réaliser un rêve immense. Les Gimondistes exultaient … ; Puis insensiblement, l’ange faiblissait, oh ! il n’était pas défaillant. D’abord, il avait cassé un de ses pignons, ensuite averti du k.o qu’il venait de réussir, il récupérait. Il accusait aussi la fatigue après son départ foudroyant, enfin, Poulidor, excité par ses adorateurs, aiguillonné, se faisait violence. Au 15ème km, il avait fait pencher la balance.
Cette fois, il n’y avait plus de doute. Poupou volait vers la victoire, vers le maillot jaune. Alors les pancartes surgirent de plus belle, les cris montèrent sous la voûte des sapins. Poulidor gravissait les escaliers de la gloire. Son avance augmentait : dix secondes à sept kilomètres de l’arrivée. Mais, subitement, on eut l’impression qu’il venait de rater une marche. Son coup de pédale se fit plus heurté, plus saccadé. Dans le même temps, informé de son retard, Felice lança à Luciano Pezzi, son directeur sportif : « Ce n’est rien, j’y vais … »
Il était maintenant à peine besoin de jeter un coup d’œil sur la trotteuse du chronomètre. L’impression était formidable de ce Gimondi devenu aérien, terrassant un Poulidor soudain devenu plus lourd. Le dernier kilomètre vit Poupou secouer rageusement sa machine et Gimondi finir en météore… Nous venions de vivre un beau moment de sport. Et nous nous devions de partager, tout à la fois, la peine du vaincu et la joie du vainqueur. »

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Poulidor qui avait tout misé sur cette montée, avait raté son rendez-vous avec l’Histoire du Tour. On le sait aujourd’hui, le prisonnier c’est Poulidor !
Roger Bastide résume : « Poulidor a accepté sa défaite avec une parfaite loyauté, mais sans mouvement de révolte non plus. La fatalité le reprenait, c’était écrit. On ne subit pas, pendant les meilleures années de sa carrière, la loi de l’impitoyable Anquetil sans en être marqué. »
Abel Michea en rajoute une couche : « Nous aurions aimé le voir pleurer, se révolter, blasphémer comme Geminiani en 1958. Non, il était ce bœuf placide qu’Antonin Magne désespère transformer en taureau furieux. »
Commence alors la remontée vers Paris. D’Aix-les-Bains à Lyon : « Rik Van Looy à la tête de la course, c’était un peu le retour d’un convalescent que l’on fêtait après les Alpes tragiques du seigneur d’Herentals. Depuis près d’une semaine, le fier Sicambre pédalant baissait la tête et l’on avait même craint de le perdre. C’était mal le connaître. Rik Van Looy avait perdu ses forces, non sa fierté et il s’était obstiné. L’homme d’honneur avait sauvé le champion amoindri. Rik II dans ses grands jours, ne fait pas de quartier à ses rivaux. Il n’en a pas demandé non plus dans l’adversité et il a finalement gardé le droit de juger sans indulgence ceux qui désertent le combat dès que tout ne va plus comme ils l’espéraient. C’est encore une grande leçon qu’il a donnée. »
L’étape d’Auxerre, « Encore une que les Français n’auront pas !… » En dépit du succès du Britannique Wright, cela n’empêche pas Blondin de rendre hommage à un champion français qui effectue sans doute son dernier Tour : « Nous avons pourtant, durant une trentaine de kilomètres, bercé le fol espoir de voir André Darrigade mettre un terme à la fatalité qui semble contenir nos concitoyens dans des stratégies de peloton et les induit à sacrifier leurs velléités à des ambitions assez médiocres. La chose eût été d’autant plus belle que l’homme n’est pas n’importe qui et qu’il colore admirablement tout ce qu’il touche.
Je ne me cache pas d’aimer Darrigade, et à travers lui un cyclisme de la haute époque. Le public ne s’y trompe pas, qui continue d’en faire son idole. La course dans son sillage devient un roman courtois, où il y a autant de chevalerie que de gentillesse, et nous savons que le Tour de France est l’affaire qui lui tient le plus à cœur. Jusqu’ici, frôlant la limite d’un âge qui, finalement, n’est pas celui de son tempérament, il s’y retrouvait pleinement. « C’est le plus gentil » disent les gens sur le pas de leur porte. « Celui-là, c’était un coureur » disent les connaisseurs. Car il faut désormais parler d’André Darrigade à l’imparfait, il n’empêche que notre flèche blonde mérite encore qu’on attende de lui ces surprises, où le cœur s’attache à parler au cœur.

Tour65 Darrigade 2 blogTour65 Darrigade 1 blog

Ancien champion de France et champion du monde, maintes fois porteur du Maillot Jaune, vainqueur de vingt-deux étapes et postulant la gageure, apparemment impossible, d’atteindre le record d’André Leducq qui est de vingt-cinq, Darrigade avait pris le départ de ce Tour, qui est probablement le dernier qu’il accomplisse, avec des tas d’idées derrière la tête … Il s’offrit durant plus d’une demi-heure en point de mire et en exemple. L’espace qu’il avait creusé entre lui et ses poursuivants lui ouvrait-il le boulevard d’une apothéose ou celui d’un crépuscule. La marge qu’il s’accordait lui serait-elle un socle ou cette réserve de solitude que les animaux de grande race choisissent pour mourir ?… »
Il me faut aussi rendre hommage à Henry Anglade. Discret et élégant, le coureur lyonnais qui aurait peut-être gagné le Tour en 1959 sans une coalition de l’équipe de France préférant la victoire de Bahamontes à celle d’un « modeste » régional, va terminer cette année à une valeureuse quatrième place.

Tour65 Anglade blogtour65 Poulidor Gimondi Dourdan blog

Poulidor a bien, la veille, planté, sans grande conviction, quelques banderilles dans les côtes de Dourdan et de Chateaufort, mais nous voilà, un an après, de retour à Versailles, au départ de l’ultime étape contre la montre, avec toujours Poulidor dans le rôle du challenger, et, cette fois, Felice Gimondi en détenteur du maillot jaune.
« Au départ, Poulidor, ou à son défaut Antonin Magne, pouvait fort bien figurer le laboureur de la fable. L’un et l’autre de ces hommes en ont les vertus robustes, la santé morale, et l’un des deux au moins est fort judicieux. Chez eux, certainement, c’est le fond qui manque le moins. Cette fois, pourtant, le laboureur, sentant la fin prochaine, n’a pas convoqué ses enfants autour de lui pour leur dire : « Travaillez, prenez de la peine … », il s’est endormi dans la certitude qu’il avait lui-même laissé propager : « Qu’un trésor était caché dedans. » C’est ce que l’on saura tout à l’heure sur le chemin du Parc des Princes, mais il est certain que la veillée d’armes versaillaise ne présente pas l’extraordinaire caractère d’incertitude et de passion qu’elle offrait l’année dernière … Certes, notre vœu le plus cher serait qu’après nous avoir démontré que la mobilisation n’était pas forcément la guerre, ce Tour de France nous révèle que l’armistice n’est pas forcément la paix et, sans doute, aucun traité de Versailles n’a-t-il encore été signé. Il n’en reste pas moins que l’épilogue est déjà fortement contenu dans le propos et que celui-ci, tous ces temps derniers, n’était apparemment pas de mourir au champ d’honneur
Antoine Blondin, guère optimiste sur les chances du champion limousin, pronostique qu’il faudrait, selon son bon mot, un Poulimultiplié pour espérer reprendre les soixante-douze secondes qui le séparent du surprenant coureur italien.
Je me suis souvenu en écrivant ces lignes que j’étais présent avec mon oncle dans le vieux Parc des Princes. Peut-être, avais-je étrenné mon permis de conduire à cette occasion. Sans doute aussi, avais-je été alléché par la participation de Jacques Anquetil à l’omnium de la réunion d’attente.

Tour65 départ Versailles blog

J’avais été témoin à Rouen de la prise du pouvoir de Felice Gimondi, j’allais assister à son sacre … car de suspense, il n’y en aura pas. Aux soixante-douze secondes qu’il possédait au départ, le Bergamasque ajoute 1 minute et 28 secondes en remportant l’étape avec panache. Pire même, Poulidor est privé de sa seconde place de prédilection par l’autre transalpin Gianni Motta.

Tour65 Gimondi fonce vers le Parc blogTour65 Poulidor avant Parc blogTour65 Gimondi avant Parc blogTour65 Poulidor arrivée Parc blogTour65 Gimondi vainqueur blog

« Il y avait du monde au Parc. Beaucoup de monde. Beaucoup d’Italiens. Il y avait aussi, en réunion d’attente, Jacques Anquetil, chaleureusement applaudi.
Poupou aussi, lui, fut applaudi. Mais ce n’était pas l’ovation que depuis le départ, dans le fond des cœurs, on lui avait réservée. C’était à la fois un prix de consolation, en même temps qu’un peu de résignation. Le gagnera-t-il un jour ce Tour de France, notre Poupou qui s’est pourtant si intimement lié à l’histoire de la Grande Boucle ? » (Abel Michea)

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Antoine Blondin conclut son Tour royalement :
« Il (Poulidor) estime, pour qui veut l’entendre, que la bicyclette lui a beaucoup donné et qu’il n’a, somme toute perdu que d’une courte tête.
Louis XVI, aussi, perdit d’une courte tête, qui lui non plus n’était pas un champion, mais simplement un brave homme. On voudrait plus d’autorité, de hargne, voire d’amertume chez celui qui vient de perdre une course où il avait été investi de tous les pouvoirs.
Á travers notre champion-laboureur, ce que nous avons ramené de Versailles, c’est le boulanger, la boulangère et le petit mitron. »
Quant à Pierre Chany, ses pensées s’envolent vers la Creuse :
« Apprenant que son fils avait définitivement perdu le Tour de France, le 14 juillet au cours de l’après-midi, la mère de Raymond Poulidor fondit en larmes. Jusqu’au dernier moment, elle avait espéré un providentiel renversement de situation, partageant en cela l’espérance secrète, et un peu folle, de tous ceux qui, chez nous, aiment bien le coureur limousin.
La déception de ces gens fut cruelle, à la mesure d’une amitié profonde, et même d’une complicité, fondée et entretenue par des épreuves communes. Ces gens n’ont pas toujours eu la partie facile, au cours des dernières années et chacun d’eux, en son for intérieur, souhaitait cette victoire qui lui eut permis de poursuivre la polémique, au Café du Commerce, avec les fervents de Jacques Anquetil. L’affaire a raté, et c’est encore le champion normand que le public du Parc des Princes a réclamé sur l’air des lampions, après qu’il eut acclamé Felice Gimondi, le jeune héros de l’aventure. »
Il faudra attendre 49 ans pour assister à une autre victoire italienne, en la personne de Vincenzo Nibali, le « requin de Messine ». J’anticipe car je doute qu’en 2064, je vous emmène encore sur la route des Tours de France d’il y a cinquante ans !
Felice Gimondi, s’il ne renouvela pas son exploit sur le Tour, effectua cependant une très grande carrière. Il fait partie des rares coureurs qui ont remporté les trois grands tours nationaux : Tour de France, Giro (3 fois) et Vuelta. Il fut également champion du monde et gagna de prestigieuses classiques telles Paris-Roubaix, Milan-San Remo et le Tour de Lombardie. Son mérite est d’autant plus grand qu’il courut surtout à l’époque d’Eddy Merckx, le Cannibale.

Tour65 Miroir du Tour blogTour65 Miroir des Sports blog

Forza Gimondi, forza Motta et forza Paolo Conte dont je vous offre son ode à la bicyclette, Velocità silenciosa, générique télé du Giro en 2007 :

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Un immense merci à tous ces écrivains et journalistes qui me font toujours rêver en racontant la légende des cycles :
Antoine BLONDIN : Tours de France Chroniques de « L’Équipe » 1954-1982, La Table Ronde
Abel MICHEA : chroniques La route buissonnière, Miroir-Sprint juin-juillet 1965
Maurice VIDAL: chroniques Une course et des hommes, Miroir-Sprint 1965 et Miroir du Cyclisme

Roger Bastide : chroniques Les maillons de la chaîne, But&Club juillet 1965
Pierre CHANY, article dans journal L’Équipe-Magazine Spécial Tour juillet 1964
Et à tous les photographes pour leurs belles images

Publié dans:Coups de coeur, Cyclisme, Ma Douce France |on 27 juillet, 2015 |Pas de commentaires »

Ici la route du Tour de France 1965 (1)

Depuis l’été 2011, j’ai pris l’habitude, au moment où les coureurs cyclistes effectuent leur périple de trois semaines sur les routes de l’hexagone, de conter ici les Tours de France d’il y a cinquante ans à travers les récits des grandes plumes journalistiques de l’époque.
Ainsi, ce n’est sans doute pas un hasard, j’ai évoqué les quatre éditions remportées consécutivement par le champion normand Jacques Anquetil, l’idole de ma jeunesse. Il avait déjà gagné le Tour de 1957 … mais en 2007, je n’avais pas encore écrit la première ligne de mon blog. Faudra-t-il que j’attende la date anniversaire de 2017 pour réparer cette lacune ? Sachez, en tout cas, que cet hiver, lors d’une bourse aux vélos dans le Loiret (voir billet du 6 décembre 2014), j’ai déniché quelques anciens numéros des magazines Miroir-Sprint et But&Club, consacrés à l’événement, pour compléter ma documentation.
Je me suis posé la question : avais-je l’envie de poursuivre ma rétrospective avec l’évocation du Tour de France 1965, le premier Tour « désanquetilisé » ? En effet, quintuple vainqueur (record absolu à l’époque), considérant qu’il n’avait plus rien à y prouver aux yeux du public, surtout après sa formidable empoignade avec Raymond Poulidor, l’année précédente, sur les pentes du Puy-de-Dôme, Jacques Anquetil avait donc décidé cette année-là de faire l’impasse sur l’épreuve.
J’ai essayé de me souvenir quel était mon état d’esprit au départ de ce Tour de France, an 1 après Anquetil et … aussi, à quelques jours du passage de la seconde partie de mon baccalauréat (eh oui, il y en avait deux !).
Pour le bac, ça allait être bientôt dans la poche, question vélo, je me résignais à vivre un Tour sans sel au contraire de nombreux journalistes qui se frottaient les mains à l’idée d’assister à une course très débridée avec en apothéose, peut-être enfin le sacre de Poulidor, l’éternel second.
Le champion limousin, fidèle à sa réputation ou plutôt à sa légende (car il possède tout de même un brillant palmarès), venait, encore une fois, de terminer deuxième des deux grandes courses à étapes auxquelles il avait participé, la Vuelta (le Tour d’Espagne) derrière l’allemand Wolfshohl, et le Critérium du Dauphiné derrière … Anquetil ! Lequel pour frapper les esprits et bien marquer sa suprématie, allait, le lendemain de cette épreuve alpestre, réaliser l’extraordinaire exploit de remporter la course légendaire Bordeaux-Paris disputée derrière derny.

Tour 65 Anquetil Bordeaux-Paris blog

Vacciné avec un rayon de bicyclette, je n’ai pas réfléchi longtemps : selon mon humeur littéraire, je m’installe donc à l’arrière de la fameuse Peugeot 403 rouge n° 101 du journal L’Équipe, la « résidence d’été » d’Antoine Blondin (comme il disait) et de Pierre Chany, ou embarque avec les valeureux journalistes du Miroir du Cyclisme, le directeur Maurice Vidal, Abel Michea et Émile Besson. Ce dernier qui vient de nous quitter au mois de mars, inventa le fameux « Vas-y Poupou » que des millions de spectateurs clamèrent sur les routes de juillet.
En cette année 1965, Poulidor va avoir particulièrement besoin de ces encouragements car, en l’absence d’Anquetil, les spécialistes n’ont qu’une confiance limitée en sa science de la course.

Tour65 avant tour MC blog

Certes, le champion creusois apparaît souriant en couverture du numéro spécial d’avant-Tour du Miroir du Cyclisme aux côtés du champion belge Rik Van Looy qui n’a pas son pareil pour animer une course.
À l’intérieur du magazine, Jacques Périllat (de son vrai nom Pierre Chany, il écrit sous ce pseudonyme dans le journal concurrent !) pose le problème : « Cette année, un redoutable honneur échoit au chef de file des Mercier-B.P, celui de régenter la course, car chacun l’a choisi, d’ores et déjà, pour assurer la succession de Jacques Anquetil. La responsabilité est écrasante, cette fonction de leader désigné implique une foule de servitudes, elle réclame une grande fraîcheur physique, une autorité sans faille. Enfin, elle s’accommode d’un égocentrisme qui constitue, en fait, le dénominateur des grands capitaines de route. Raymond Poulidor, le challenger sacré champion à la suite d’un désistement, sera-t-il l’homme de la situation ? »

Tour65 Pellos Sus à Poupou blogTour65 Pellos ça se bouscule blog

Comme l’illustre le talentueux dessinateur Pellos, ça se bouscule au portillon et beaucoup prédisent une course ouverte, un « Tour à la Walkowiak » selon l’expression née en 1956 à la suite de la victoire inattendue (mais méritée) d’un valeureux coureur de l’équipe régionale du Nord-Est-Centre.
En cette année 1965, le Tour démarre à l’étranger, à Cologne, dans une presque indifférence générale, comme la décrit Maurice Vidal dans sa première chronique du bihebdomadaire Miroir-Sprint, Une course … et des hommes :
« Grands dieux du Rhin, qu’allons-nous faire en Allemagne ? Je veux dire : Que va faire le Tour de France en Allemagne ?
Nous nous étions posé la même question l’an dernier à Fribourg sans y trouver de réponse. Encore n’avions-nous fait qu’y passer, au milieu d’une foule qui, faute de reconnaître le Tour, reconnaissait au moins l’un des siens (Rudi Altig ndlr). Mais aller prendre le départ à Cologne !
Oh ! La ville en vaut le voyage, le Rhin est bien ce fleuve fantastique qui fascina notre père Hugo. Mais quoi, il y a des occasions plus favorables au tourisme.
Les hôteliers mis à part (auprès desquels les hôteliers français si critiqués, sont des anges de courtoisie), on n’a rien à reprocher aux habitants de Cologne. Ils vont, viennent, très affairés. Circulent dans leurs grosses automobiles sur de larges avenues. Il y a peu de piétons : ici la population est roulante. Ils ne lâchent pas leur cigare au passage d’un de nos véhicules bariolés. Il m’a bien semblé surprendre une lueur dans certains yeux, mais c’était de surprise. Une surprise polie : les Allemands qui adorent se grouper en sociétés aux buts les plus divers, admettent fort bien que quelques maniaques mobilisent une armada pour suivre 130 cyclistes qui désirent accomplir le Tour de France.
Mais franchement, cela ne leur paraît guère sérieux. Or, nous avons besoin qu’on nous prenne au sérieux. Qu’autour de nous, la foule étaie notre croyance, anoblisse nos fonctions. Le doute nous déprime, le scepticisme nous écrase.
En dernier ressort, généralement, il nous reste la jeunesse. À Cologne, elle était plus absente que toute autre catégorie. Un bulletin touristique nous signalait que Cologne est la ville la plus gaie d’Allemagne, la plus méridionale. Disons alors que ses habitants ne partagent leur gaieté avec personne. Et si certains de nos Méridionaux jouaient à la pétanque devant la Sporthalle où se déroulaient les opérations de départ, c’est qu’ils disposaient du terrain nécessaire.
Quand le départ a lieu en royaume de vélocipédie, à Rennes ou à Nantes, à Strasbourg ou à Reims, je vous défie de trouver un mètre carré laissé libre par les amateurs du cyclisme.
Cologne n’est pas en vélocipédie. Cologne, citadelle du moteur, j’ai le regret de vous le dire, se f… éperdument de la bicyclette à pédales, de ses pompes et de ses tours … »

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Voilà, le Tour a pris La route buissonnière, direction Liège, telle est le titre du savoureux carnet de route que nous offre Abel Michea, également dans Miroir-Sprint :
« Puisqu’on partait, Cologne allait faire un petit effort. Et sagement, applaudissant du bout des doigts, ils étaient quand même assez nombreux à nous faire escorte le long de leurs rues, les habitants de Cologne. On fit une petite halte à l’ombre des hautes flèches de la cathédrale. Du parvis, Monseigneur l’Archevêque de Cologne nous administra quelques gouttes d’eau bénite et un sermon d’où il ressortait clairement que le cyclisme était un support de la religion. Á tout hasard, Raphaël Géminiani s’est empressé de prendre des contacts avec une fabrique d’objets religieux pour créer une nouvelle équipe extra-sportive : « Je faucherai les maillots violets du père Tonin (l’équipe de Poulidor). Avec des scapulaires, ça fera l’affaire ! » …
… Le voilà donc, notre Tour de France, parti sur les routes d’Allemagne. Là où la ligne Siegfried montre encore les dents de ses barrages antichars. Il y a vingt-cinq ans, j’y rêvais de cette route et, dans ma musette, j’emportais le linge que j’allais y faire sécher sur cette ligne Siegfried. Aujourd’hui, elle est là dérisoire, inoffensive, mangée par les hautes herbes, ses blockhaus éventrés… Mais il y a d’autres souvenirs sanglants. Cette forêt de Hurtgen où, de septembre à décembre 1944, des dizaines de milliers d’hommes se sont entretués … Triste pèlerinage qui va nous mener jusqu’à la frontière belge … »

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Á Liège, la Belgique hurle, Rik Van Looy l’empereur d’Herentals l’emporte au sprint, empoche la minute de bonification attribuée au vainqueur, et enfile le premier maillot jaune de sa carrière. Il sait que c’est de cette façon, en gagnant huit étapes comme lors de la récente Vuelta et en raflant les bonifications, qu’il pourra amasser un capital temps suffisant sur Poulidor et envisager la victoire finale à Paris.

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L’après-midi, sur deux tours du marché de Liège, la demi-étape contre la montre par équipes voit la victoire de la bande des Ford-France-Gitane, les habituels équipiers de … Jacques Anquetil. Ce qui rend hilare leur directeur sportif Géminiani : « J’ai téléphoné à Anquetil pour lui faire remarquer que sans lui, l’équipe marchait beaucoup mieux contre la montre. Je ne comprends pas pourquoi. Anquetil n’est pourtant pas plus mauvais rouleur qu’un autre ! »
Anquetil est présent, le lendemain, au vélodrome de Roubaix où il participe à la réunion d’attente. Il assiste à la victoire d’un Flahute, ce qui est presque naturel sur les pavés du Nord : « Nous ne sortions pas de la famille, avec la victoire à Roubaix de Van de Kherkove. En prenant son maillot jaune à son équipier Van Looy, comme il l’avait déjà pris l’année dernière à son autre coéquipier Sels, sensiblement à la même époque, ce coureur sacrifiait à une tradition qui l’installe au demeurant dans la vocation du coucou, qui pond volontiers dans le nid le plus proche. Toutefois, en dédiant officiellement son bouquet à sa maman, il nous a remis au diapason de la tendresse ambiante. » Ce que ne précise pas Blondin, c’est que parmi les trois échappés, figure le jeune italien Felice Gimondi, vainqueur du Tour de l’Avenir, l’année précédente.

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Cette étape aura été l’enfer du Nord pour Georges Groussard, longtemps maillot jaune dans le Tour précédent. Quatre kilomètres après le départ, le petit coq de Fougères s’est étalé sur les pavés. Victime d’une fracture du fémur, il est contraint à l’abandon.
Le soir, en visite à l’hôtel, plus sur le ton de la boutade que sérieux, Anquetil s’adresse à ses troupes : « Que Poulidor gagne le Tour, je veux bien. Mais qu’il gagne l’étape à Rouen, non, je me ferais trop charrier. Alors, débrouillez-vous et qu’un Ford-France triomphe chez moi. »
Sortant des ultimes épreuves du bac, je suis présent, boulevard de la Marne, pour assister (soulagé ?) au succès du jeune campionissimo en herbe Felice Gimondi. Déjà second la veille, il endosse le paletot jaune. L’Italie cycliste a un nouveau dieu à honorer.

Tour65 Gimondi vers Rouen blogTour65 Gimondi à Rouen blog

« La nuit rouennaise fut courte pour quelques-uns. Jacques Anquetil recevait une poignée d’amis. Disons qu’il les a arrangés comme des adversaires d’une étape contre la montre … Ils sont sortis de chez Maître Jacques avec des gueules de coureurs outrageusement dopés ».
Pour tout arranger, cette bande de joyeux noctambules doit se lever aux aurores pour prendre le train de 8h 20 pour Caen, point de départ de l’étape suivante. Je me souviens de m’être retrouvé aussi sur le quai pour assister à l’embarquement des coureurs. Je n’ai pas la patience de chercher dans mes collections de diapositives pour en extraire quelques clichés.

Tour65 Gare de Rouen blog

La course en direction de la Bretagne prend un air de procession, aussi mes chers journalistes, plutôt qu’en conter les insipides péripéties, trouvent leur inspiration ailleurs. Á Saint-Brieuc, Blondin consacre sa chronique à son cher compagnon Roger Nimier qui repose au cimetière Saint-Michel de la ville. Il est mort trois ans auparavant, au volant de son Aston Martin DB4 sur l’autoroute de l’Ouest. Romancier, journaliste et scénariste (il signa le scénario du beau film de Louis Malle Ascenseur pour l’échafaud), il est considéré comme le chef de file du mouvement littéraire dit des Hussards, référence à son roman le plus célèbre Le Hussard bleu.
« Tout s’est passé comme si cette étape désolante n’avait eu d’autre objet que de me conduire en procession au pied de la tombe de l’écrivain Roger Nimier où mes pas devaient fatalement me ramener. Le cimetière marin où il repose est le jardin secret de beaucoup d’hommes de ma génération. J’ai déjà, sur la route du Tour, célébré trop d’écrivains disparus, Hemingway, Céline, pour ne pas y attarder une méditation qui se tourne spontanément vers lui tous les jours de l’année.
Ce meilleur ami, noble et familier, dont l’approche était parfois abrupte et qu’un génie exceptionnel retranchait des vulgarités de la vie, était à sa manière fougueuse un compagnon du Tour de France. C’est d’ailleurs la grandeur de celui-ci de mobiliser une telle escorte, invisible et présente, dont les morts après tout ne sont peut-être pas exclus.
Je suis allé tout à l’heure lui murmurer l’étape comme il exigeait que je le fisse naguère par téléphone, dans les instants qui suivaient l’arrivée. Il en inférait des commentaires très pertinents qu’il classait en fichiers pour me les retourner sous forme de pronostics exubérants… Je me rappelle une pathétique ascension de l’Izoard où Pascal avait mis un quart d’heure dans la vue à Descartes.
Mais, entre tous, le cyclisme breton, qui entoure maintenant de tous côtés son île déserte et silencieuse, lui tenait particulièrement à cœur. Il se voulut l’ami des Bobet, fêtant Louison en compagnie d’écrivains avec un sens profond des rimes secrètes qui unissent le sport et la littérature, éditant le beau livre de Jean
Maurice Vidal se lamente aussi à Quimper : « Dire que je suis là sur les bords de l’Odet chevauché de ponts dérisoires pour se donner des airs de Seine ou de Danube, ou peut-être d’Arno. Dire que ce dimanche matin est ensoleillé, l’air plus transparent que le cristal. Dire que les crêperies vont ouvrir, que le cidre de Fouesnant va couler. Que la ville est si gaie, pimpante pour les vacances proches, que les filles de Cornouaille sont si belles, qu’un bateau nous attend pour descendre à la mer. Et que nous allons repartir dans un grand concert de poussière et de bruit. Ah ! nous ne sommes que des vagabonds inefficaces.
Alors je pense à l’oncle Grésillard de Jacques Prévert. Vous savez, celui qui … » Autant que je vous livre le poème intégral Le retour au pays, tiré du recueil Paroles :

« C’est un Breton qui revient au pays natal
Après avoir fait plusieurs mauvais coups
Il se promène devant les fabriques à Douarnenez
Il ne reconnaît personne
Personne ne le reconnaît
Il est très triste.
Il entre dans une crêperie pour manger des crêpes
Mais il ne peut pas en manger
Il a quelque chose qui les empêche de passer
Il paye
Il sort
Il allume une cigarette
Mais il ne peut pas la fumer.
Il y a quelque chose
Quelque chose dans sa tête
Quelque chose de mauvais
Il est de plus en plus triste
Et soudain il se met à se souvenir :
Quelqu’un lui a dit quand il était petit
« Tu finiras sur l’échafaud »
Et pendant des années
Il n’a jamais osé rien faire
Pas même traverser la rue
Pas même partir sur la mer
Rien absolument rien.
Il se souvient.
Celui qui avait tout prédit c’est l’oncle Grésillard
L’oncle Grésillard qui portait malheur à tout le monde
La vache !
Et le Breton pense à sa sœur
Qui travaille à Vaugirard
À son frère mort à la guerre
Pense à toutes les choses qu’il a vues
Toutes les choses qu’il a faites.
La tristesse se serre contre lui
Il essaie une nouvelle fois
D’allumer une cigarette
Mais il n’a pas envie de fumer
Alors il décide d’aller voir l’oncle Grésillard.
Il y va
Il ouvre la porte
L’oncle ne le reconnaît pas
Mais lui le reconnaît
Et il lui dit:
« Bonjour oncle Grésillard »
Et puis il lui tord le cou.
Et il finit sur l’échafaud à Quimper
Après avoir mangé deux douzaines de crêpes
Et fumé une cigarette. »

« Quel d’entre nous n’a pas son oncle Grésillard ? » s’interroge Maurice Vidal. « Il devait y en avoir un pour le minuscule Georges Groussard tombé lourdement alors qu’il s’embarquait pour rentrer au pays, et pour l’immense Michel Nédélec qu’un génie de la cabriole nommé Sels précipita aux enfers au moment précis où son nom rebondissait aux échos de l’Argoat. Malheureux Bretons, valeureux compagnons, l’un cherchait à retrouver son Tour passé, l’autre à le faire oublier. Le sort est donc injuste, qui ne leur a pas donné une chance. Puissent-ils lui tordre le cou, quelque jour prochain

Tour65 chute Nédelec 2 blogTour65 chute Nédelec 1 blog

En attendant ce temps béni, revenons au Tour de France. Puisqu’il se dirige maintenant vers la montagne par vent arrière, c’est le moment d’y voir clair dans une course qui a revêtu jusqu’ici un aspect inhabituel … »
S’il faut citer les victoires d’étapes anecdotiques du belge Sorgeloos de l’équipe Solo-Superia, et du hollandais Van Espen de la formation Flandria-Romeo, c’est surtout pour la guerre fratricide que se livrent les frères Clayes. Flandria est la marque le plus ancienne mais lorsque Rémy Claeys s’est fâché avec son frère Paul, il a fait construire à côté de la maison mère, l’usine moderne de Superia. Un terrain neutre et un mur séparent les deux frères ennemis. Cette rivalité affective et industrielle a ses résonances sur le plan sportif, chaque coureur des deux équipes ayant pour consigne absolue d’empêcher une victoire de la formation rivale.
Les frères Claeys pourraient prendre exemple sur les industriels italiens qui sponsorisent la formation hybride Ignis-Molteni. Pour participer à la grande boucle, le constructeur d’électroménager et le fabricant de saucissons ont fusionné avec chacun cinq coureurs de leur équipe habituelle.
Il faut tout de même mentionner aussi le succès de Raymond Poulidor contre la montre sur le circuit de l’Aulne à Châteaulin. Tout le monde l’attendait au tournant dans cet exercice, habituel apanage d’Anquetil. Il a répondu présent en reléguant Bahamontès à deux minutes et trente-six secondes, mais le hic, c’est que son dauphin est Felice Gimondi qui, en ne s’inclinant que de sept secondes, consolide finalement son maillot jaune.

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Après La Baule, le Tour met le cap sur La Rochelle dont les filles de la fameuse chanson que nous apprenions à la communale, inspirent Antoine Blondin : « Nous avons retrouvé le charmant hôtel, son étrange jardin où la pluie distille des essences rares … L’invitation au voyage s’y convertit en invitation à rester. Nous sommes quelques-uns à aimer La Rochelle, non seulement à travers Simenon, mais pour l’alliance précieuse qu’elle instaure entre le large et l’intimité, ses lourds secrets, ses embellies piégées dans l’échancrure d’une arcade.
Tout l’après-midi, le déluge qui infligeait au peloton, fermé pour cause d’aventures, de cuisantes hallebardes, avait fait de l’échappée une manière d’arche de Noé. On eût dit qu’effectivement le dessein qui préside à l’étape s’était complu à y embarquer un échantillonnage extrêmement complexe des espèces qui contribuent à l’animer : sur neuf coureurs, sept équipes représentées. On notait l’absence des Salvarani qui comptaient parmi eux le maillot jaune, plus généralement celle des Italiens, et accessoirement la carence des Ford-Gitane de Geminiani. Il y avait du protestantisme dans l’air.
Il y en eut aussi chez les spectateurs, frustrés d’une arrivée sur le vélodrome local, rendu périlleux en raison de l’averse. La course dut s’achever à la sauvette sur le limon, beaucoup moins avenant que celui du mont Ararat, d’une avenue banlieusarde, où l’on distinguait à peine une banderole dégoulinante. ..
… Le peloton, qui n’avait même pas pris la peine de mettre pied à terre, accélérait soudain au mépris des tours d’honneur et des reines d’un tour. On ne dira jamais assez la grâce de ces demoiselles de grande vertu, décorées comme des animaux de comices, qu’on voit parquées au pied du mirador des chronométreurs dans des costumes régionaux. Toutes coiffées sur la ligne d’arrivée, pâles comme des communiantes, on leur précipite dans les bras un garçon poussiéreux, le plus souvent hagard, et qu’elles n’ont pas eu le loisir de choisir. On pense à ces infantes qui découvraient leur mari avec stupéfaction au matin de leurs noces. Ces brèves rencontres, au nom de la raison d’étape, n’ont à notre connaissance jamais eu de suite, sauf en une circonstance, au critérium de Kercanic-en-Nevez : le vainqueur demanda la miss locale en mariage ; elle y mit pour prix qu’il renonçât à la bicyclette ».
Deux Flahutes trempés, Ward Sels vainqueur de l’étape et Van de Kherkove qui reprend le maillot jaune, ont droit aux baisers des filles de La Rochelle.

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Tandis que les coureurs se dirigent vers Bordeaux, il en est un, il est vrai, qui devait tout casser dont l’ami Antoine stigmatise le manque d’entrain dans sa chronique intitulée Les animaux malades de la veste : « Nous voici au pied des montagnes ; pour un peu, on s’attendrait à les voir s’annoncer au bout du somptueux et chaotique pavé des Chartrons. La hantise qu’elles dressent à l’horizon du peloton meuble depuis le départ les arrière-pensées de celui-ci. On avait évoqué de folles attaques préliminaires pour conjurer ses effets désastreux. Huit étapes étaient proposées pour donner l’occasion de s’exprimer à ceux dont l’avenir n’est pas sur le haut. La crainte qu’elle provoque et l’espérance qu’elle éveille dominaient également la course.
Van Looy, qui fait un peu figure de roi des animaux, avait jusqu’à Bordeaux fait tourbillonner la guérilla, où il excelle. On sait maintenant qu’il s’était embarqué dans ce Tour de France comme on pénètre dans un magasin, sans idée préconçue : il est bien rare qu’on en ressorte sans avoir acheté quelque chose. Van Looy était là pour susciter et exploiter l’occasion à enlever de suite. Le grand magasin, la braderie des étapes de plat, vient de fermer et le Belge se retrouve les mains vides. Ce serait prêter à ce réaliste une sentimentalité un peu excessive que d’imaginer qu’il puisse se sentir comblé d’avoir endossé quelques heures le Maillot Jaune, comme pour un essayage. Autour de lui, ses gorilles ont fait sur le papier ce que l’on attendait d’eux, sans pour autant qu’il s’en dégage l’évidence d’un plan directeur ! Gorilla plus que guérilla, les opérations qu’ils mènent aux avant-postes du classement général sont celles qui peuvent vous faire gagner des batailles mais certes point la guerre.
Au départ de La Rochelle, huit coureurs sur dix savaient qu’il leur restait une ultime et tardive cartouche à brûler. Ils n’en firent rien, se blottissant les uns contre les autres dans une trompeuse illusion. Celle que l’art de grimper leur viendrait en dormant ? Pour ménager des forces en jachère sur un terrain où ils devraient pourtant savoir depuis longtemps qu’il n’y a pas, entre les champions, une différence de degrés mais une différence de nature ? En vérité, le mal qui répand la terreur parmi ce troupeau paralysé est la sainte crainte de la bagarre qui se retournerait contre eux … »
Je croyais que c’était l’intraitable domination d’Anquetil qui cadenassait les stratégies de course !
« La victoire de Jo De Roo contribue une fois encore à renforcer la tradition, qui veut qu’un Hollandais gagne à Bordeaux. Cette fatalité n’a pas encore trouve d’explication définitive. On hésite à l’attribuer à un phénomène d’autosuggestion débouchant automatiquement sur un renoncement devant le fait inexorable ou à la situation même de cette ville, placée soit à l’entrée soit à la sortie, de la montagne, incitant les représentants des plats pays à dilapider leurs dernières forces avant le naufrage ou à célébrer leur retour sur une terre dont ils retrouvent enfin le mode d’emploi … Autre tradition respectée, déplorable cette fois : le public de Bordeaux a naturellement sifflé le vainqueur, tout Hollandais qu’il soit, sans comprendre que son exploit même consolidait ce genre de légendes, qui en vaut bien d’autres et contribue à donner aux vieilles cités leurs lettres de noblesse. »

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Les coureurs découvrent enfin la montagne avec entre Dax et Bagnères-de-Bigorre, le franchissement des cols d’Aubisque et du Tourmalet. « Quand un individu normalement constitué qui s’avère difficilement capable de suivre un peloton progressant en terrain plat, s’envole littéralement dès que la route s’élève, on dit alors que c’est un grimpeur. »
Maurice Vidal en brosse deux portraits aux destins contraires lors de cette étape :
« C’est le cas de ce ouistiti maigrichon, le champion d’Espagne Julio Jimenez. Depuis Cologne, il occupait systématiquement, je dirais même avec ostentation, la dernière place du peloton, et en conséquence l’une des dernières places du classement général. Ceci jusqu’aux environs d’Eaux-Bonnes qui précède traditionnellement l’ascension du col d’Aubisque. Alors il se dresse sur les pédales, et sans dire au revoir à ceux qui l’avaient cru moribond, s’en va cueillir à Bagnères-de-Bigorre la plus belle victoire d’étape de ce Tour 1965. Ce n’est certes pas une histoire morale mais ce Picador un peu rétréci au lavage, court décidément un autre Tour de France que les autres… »

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Puis, en intitulant superbement sa chronique Le romancero est fini, il évoque le chant du cygne… d’un aigle, le magnifique champion Federico Bahamontès l’un des plus grands grimpeurs de l’Histoire du cyclisme : « Nous avions donc raison d’émettre de sérieuses réserves sur les possibilités de celui qui restera l’Aigle de Tolède, et qui aura marqué le Tour pendant plus de dix ans.
« Comment peut-on imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne va commencer ? »
Á croire que Jean Ferrat a dédié sa belle chanson au Castillan. Eh oui, l’automne a sans doute commencé pour lui, et ce n’est pas sans mélancolie que j’écris cela. On n’a pas bourlingué sur tant de routes avec un compagnon de cette trempe sans être capable de se mettre à sa place. Federico, la fierté faite homme, n’était pas fait pour naviguer à l’arrière en traversant ses montagnes. Il aurait pu abandonner comme tant d’autres qui n’ont pas ses titres. Il a choisi de parvenir à Bagnères-de-Bigorre qui le vit triomphant, quelques minutes seulement avant la fermeture du contrôle. Federico, tu as eu là un geste de seigneur. Ton romancero est peut-être fini mais ta grandeur mérite une dernière revanche. Nous te la souhaitons tous. »

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Dans l’intégrale des chroniques de Blondin, ne figure aucune trace de cette étape pyrénéenne. Á croire que l’Antoine avait dû arroser plus que de coutume ses retrouvailles avec ses amis landais et basques …
Je rejoins donc la route buissonnière d’Abel Michea pour relater la fin de l’étape :
« Ceux qui savent que le Tourmalet c’est un os, se dépêchaient de prendre un peu d’avance pour essayer d’aller l’amadouer. Les Foucher, Lebaube, Delisle, Simpson etc …y allaient de bon cœur, tandis que devant, Julio Jimenez et Armand Desmet pédalaient toujours ensemble. Pas pour longtemps.
Sur notre tête, la route allait s’enrouler pour atteindre Barèges et l’Espagnol prit congé du Belge.
Le peloton se désagrégea vite. Mais, surprise, Van Looy, Janssen étaient toujours là. Ça ne pouvait durer. Bientôt, ils ne furent plus que cinq seulement : trois Italiens, Gimondi, Motta, De Rosso, et deux Français, Poulidor et Zimmermann. Poulidor, lui, avait son regard des mauvais jours. Décidément, le Tourmalet lui restera toujours sur l’estomac. Heureusement, Gimondi et Motta ne sont pas au courant des allergies du Limousin. Et gentiment ils restèrent avec lui … jusqu’à un kilomètre du sommet où quand ils accélèrent, ils lâchèrent Poupou. Et voilà nos deux Italiens se précipitant à toutes pédales sur la vallée de Grip. « Ça va être la fête à Poupou » prédisent les mauvais augures. En fait, ce fut Gimondi qui trinqua. Il creva, laissa Motta s’envoler, Poulidor le dépasser. Le jeune Italien parvint, quand même, à rejoindre Poulidor et ensuite il lui donna un sérieux coup de main pour limiter les dégâts face à Motta. Et à Bagnères-de-Bigorre, Felice Gimondi retrouvait son maillot jaune, tandis que s’épongeant le front, Antonin Magne soupirait : « Nous l’avons échappé belle. » »

Tour65 Motta Poulidor dans Aubisque blogTour65 Etape Pyrénees blogTour65 sommet Tourmalet blogTour65 Jimenez Foucher blogTour65 Foucher dans Tourmalet blogTour65 Foucher blogTour65 dans l'Aubisque blog

La grande bataille du Tour est lancée et Poulidor a désormais deux coriaces adversaires, deux Ritals, avec en plus de Felice Gimondi, le beau Gianni Motta.
Mais le fait majeur de l’étape est probablement l’hécatombe incroyable et imprévisible avec les défaillances brusques et apparemment insurmontables d’un certain nombre de coureurs de renom : Aimar à pied dans la fin de l’Aubisque, Den Hartog les bras en croix, l’Italien Adorni récent vainqueur du Giro di Italia, l’ex maillot jaune Van de Kherkove. La liste s’allongera le lendemain. Évidemment, on mit cela sur le compte de la canicule, la chaleur d’orage accablante privant l’atmosphère et les organismes d’oxygène. Resurgit une nouvelle affaire des poissons ou poisons (c’est au choix) comme quelques années auparavant du côté de Luchon, les victimes invoquant des truites pas fraîches au repas, la veille au soir.

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Voici l’analyse indulgente d’Antoine Blondin à Ax-les-Thermes :
« Les Pyrénées qui, depuis quelques années, se révélaient incapables de créer la décision, viennent d’écrémer la course. On a vu tomber, comme à Gravelotte, des têtes de haut prix. Une immense langueur semble s’être abattue sur certains champions, et si la compétition s’avère aussi ouverte qu’elle le promettait au départ, c’est d’une ouverture sur la sortie qu’il s’agit.
Le grave problème du doping est une nouvelle fois invoqué, à juste titre, dans la mesure où des responsabilités sont en jeu. Mais il ne serait pas mauvais non plus de jeter un coup d’œil sur le profil de l’étape et sur la météorologie. La montagne plombée par la chaleur, le bocal oppressant de ces vallées, les exigences du climat et de la topographie requièrent des procédés d’exception.
C’est une tentation permanente que d’assimiler l’organisme humain à un moteur. Les améliorations qu’on peut apporter à ce dernier, dans le domaine de la mécanique, éveillent en général l’admiration des spécialistes. Qu’un coureur se traficote ne regarde que lui, jusqu’au moment où les conditions de l’exploit risquent de devenir insalubres. Il reste qu’à un moment et qu’en un lieu donné hic et nunc, on lui a demandé de se surpasser. Il s’efforce de faire face à cette obligation ».
Un demi-siècle plus tard, le problème du dopage est toujours d’actualité avec notamment la « moulinette » Froome ».
Dans la traversée de mon Ariège adoptive, sur les pentes du Portet d’Aspet où trente ans plus tard, l’italien Fabio Casartelli perdra la vie dans une terrible chute, nous assistons encore au renoncement de l’allemand Wolfshohl, récent vainqueur de la Vuelta, victime lui aussi d’une « sole pleureuse », et à l’adieu au Tour définitif de Bahamontès.

Tour65 abandon Wolfshohl blogTour65 abandon Bahamontes blog

Ax-les-Thermes est témoin d’un nouvel épisode de la guéguerre des frères Clayes, et Reybroeck de chez Flandria règle au sprint, après ne l’avoir jamais relayé, Rik Van Looy de chez Superia, c’est dire au passage que la seconde étape de montagne pyrénéenne a accouché sinon d’une souris, du moins de deux sprinters.

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Sur la route de Barcelone, je retrouve Blondin en pâmoison devant le beau et fier hidalgo José Perez-Frances :
« Perez-Frances est un fort beau garçon au visage fin, à l’œil clair, au poil noir. Son maillot rose lui fait un torse d’estivant. Même dans les moments difficiles de la condition cycliste, il préserve une harmonie qui plaide en faveur de la race. Comme tel, il est entouré de femmes de tous côtés. La sienne d’abord, qui n’a guère plus de quinze ans, sa belle-mère qui en a à peine trente, la grand-mère qui va sur les quarante-cinq ans et ainsi de suite jusqu’à la trisaïeule qui pourrait être la fille de Marlène Dietrich. Cet affectueux couvent s’était rendu en procession sur le circuit de Montjuich dans des robes plus roses encore que le maillot de don José. »

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Au meilleur de sa forme, l’ami Antoine relate l’échappée fleuve de l’Espagnol dans sa chronique qu’il intitule, en maître es calembour, Le voilà Perez ! :
« Cette contrepèterie, qui évoque la banlieue parisienne (et le fief actuel du couple Balkany ndlr), c’est dans celle de Barcelone que l’écho en a retenti, renvoyé par des dizaines de milliers de bouches délirantes. La belle aventure qui a promené seul en tête, durant six heures et sur plus de 225 kilomètres, l’enfant chéri du pays traversé est l’un de ces cadeaux que le Tour concède aux âmes sensibles. Il s’y révèle que le monde est bien fait sous ses dehors bourrus et parfois douloureux.
Dans le vide majestueux ménagé par les motocyclistes mêlés des polices espagnoles et françaises, suivi par Jacques Goddet casqué comme aux plus beaux jours, José Perez-Frances nous a prouvé en quelques coups de pédales qu’il possédait l’art et la manière de rentrer chez soi, non certes sans se faire remarquer, mais en s’entourant de prétextes excellents.

Tour65 Sur la route de Barcelone blogTour65 Perez-Frances 2 blog

Il ne faudrait pas mettre au compte d’un attendrissement folklorique cet exploit solitaire devant un peloton dégoulinant sous le soleil de Catalogne. Perez-Frances n’a pas quitté ses compagnons de route en leur disant : « Excusez-moi si je passe devant pour vous montrer le chemin mais je suis de la région. » C’est mètre par mètre qu’il a conquis l’espace libre où il se proposait de s’offrir à ses concitoyens, minute par minute, qu’il l’a dilaté, puis protégé.
Passer cette frontière montagnarde, amicale et complice, de part et d’autre de laquelle, on parle déjà l’espagnol en France, encore le français en Espagne, c’était mettre la fleur au guidon, payer l’accueil par la présence. S’arroger pour soi, tout seul, la domination de l’étape la plus longue et non la moins meurtrière que nous avions connue depuis le départ, c’était une gageure d’ordre strictement athlétique. Et il n’est pas exclu que son retentissement influe sur le reste de l’épreuve. Elle possède un parfum d’insurrection. »
Mais de cela et … du, peut-être, futur premier maillot jaune de Raymond Poulidor, je vous entretiendrai dans un second billet, la semaine prochaine.

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Publié dans:Cyclisme, Ma Douce France |on 19 juillet, 2015 |1 Commentaire »

Trois jours en Alsace … et en Lorraine (3) : le pays du Saulnois

« Par un épais brouillard du mois de septembre, deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu’on appelle porte de France. »
Pour commencer ma troisième balade dans l’Est de la France, il me plait de citer les premières lignes du Tour de France par deux enfants, le célèbre manuel de lecture, écrit par Augustine Feuillée sous le pseudonyme de G. Bruno, publié par Belin en 1877, qu’utilisèrent des générations d’écoliers des classes de cours moyen de la Troisième République. Son succès fut tel que son tirage atteignait les sept millions d’exemplaires en 1914 et qu’il était encore utilisé au début des années 1950.
Quitte à me reprocher, à juste raison quelque part, un certain passéisme, il faut reconnaître que ce livre très patriotique visait à la formation civique, géographique et historique, scientifique de nos chères têtes blondes en leur apportant des éléments vivants d’une véritable culture.
Certes antérieur à la seconde guerre mondiale, sa conception évitait sans doute le type de perle telle que celle commise récemment par la fille d’une amie, bonne candidate au brevet des collèges au demeurant. À la question – qui étaient les Résistants des maquis ? – elle répondit, imprégnée sans doute des sushis et makis du pays du soleil levant – Des Japonais ! Je sais bien qu’en souvenir de l’Occupation, Jean Yanne tourna (en dérision ?) dans les années 1970 Les Chinois à Paris, un film iconoclaste sur leur invasion de la capitale.
Je ferme la parenthèse car si le fameux manuel scolaire fut écrit dans un contexte de reconquête de l’Alsace et la Lorraine, c’est bien dans notre douce France que ce matin, mon frère et moi choisissons de nous promener, précisément dans le Saulnois ou pays du sel, une contrée rurale du sud la Moselle, au cœur du Parc Naturel Régional de Lorraine.
Après une courte halte à l’office de tourisme de Dieuze pour glaner quelques informations relatives à notre projet de visites, nous rejoignons le village de Lindre-Basse. Ce n’est pas un hasard si le coin s’appelle le pays des étangs, il en compte en effet plus de cent-trente, l’étang de Lindre étant le plus grand avec ses 1 000 hectares. Classé réserve naturelle, c’est un havre de paix où il fait bon vivre pour nombre d’espèces animales et végétales.

Lindre étang blog 4Lindre cigogne blog2

Tiens une cigogne ! C’est le réflexe classique et la remarque certes banale de tout touriste se promenant en Alsace et découvrant soudain dans son champ de vision un spécimen de ces échassiers emblématiques de la région.
Mon étonnement se justifie ici par le fait qu’outre nous soyons en Lorraine, ce sont plusieurs dizaines de cigognes qui nous contemplent du haut de leurs perchoirs aménagés.

Lindre cigogne blog1Lindre cigogne blog3

Leur présence s’explique par un programme de réintroduction de l’espèce, commencé il y a trente ans, pour sa préservation en Moselle.
A partir des années 60, le nombre de cigognes blanches avait considérablement baissé en France, notamment à cause des modifications de l’agriculture qui les privaient de leur nourriture, et la multiplication des lignes électriques sur lesquelles elles s’électrocutaient.
À Lindre, les oiseaux (moins cons que l’affirmait Chaval !) nous donnent une bonne leçon d’intégration et de migrations : c’est une population mixte, avec une vingtaine de sédentaires, jusqu’à soixante en hiver, qui réside aux abords de l’étang.
J’aperçois même quelques cigogneaux au nid. Dans quelques semaines, ils migreront, à raison de 300 kilomètres par jour, en suivant les courants ascendants de la vallée du Rhône puis du golfe du Lion. Puis en passant par le détroit de Gibraltar, ils s’établiront durant l’hiver au Maroc, Algérie jusqu’à la Mauritanie.

Lindre étang blog3Lindre étang blog1Lindre étang blog2

Loin du luxe et la volupté du musée Lalique visité la veille (voir billet du 3 juillet 2015), tout est calme sur les rives de l’étang, une invitation à un voyage bucolique dans les sous-bois. En cette heure apéritive, les oiseaux se sont réfugiés dans les roseaux, il est vrai qu’aujourd’hui mardi, c’est relâche, le pavillon des expositions racontant la vie au cœur des étangs est aussi fermé.

Lindre escargot blog

À défaut de grives, merles, foulques et autres poules d’eau, je m’attarde devant le spectacle attendrissant d’un splendide escargot de Bourgogne et d’une limace (elles pullulent sur le sentier).
Plutôt qu’appeler au secours le fabuliste en chef Jean de La Fontaine (dont j’aurai l’occasion de déclamer quelques vers plus avant dans mon billet), en voici un autre anonyme et talentueux déniché sur la Toile :

« Un bel escargot de bourgogne
Se promenait sur un chemin
Avant que le soleil ne cogne
Il avait plu de bon matin

Il était fier de sa coquille
Une confortable maison
Heureux d’être dans la famille
Des gastropodes du canton

Vint à croiser une limace
Sa cousine, nue comme un ver
Elle était beaucoup plus vivace
Mais elle n’avait de couvert

-Que tu dois être malheureuse
De circuler sans protection
Et ta queue est souvent terreuse
Que je te plains mon limaçon

C’était sa dernière parole
Un soulier s’abattait sur lui
Ecrabouillé, ce n’est pas drôle
Il rejoignait le paradis

Sur la limace la chaussure
N’eut pas du tout le même effet
Elle n’avait pas la peau dure
De ce contact elle en sortait

Ce ne sont pas les plus solides
Qui résistent aux mauvais coups
Soyez prudents, soyez lucides
Ne soyez jamais sûr de vous »

Je vous rassure de suite, mes souliers ont bien pris soin de laisser les deux gastéropodes à leurs conciliabules.
Je me rends maintenant, à une dizaine de kilomètres de là, dans le petit village de Marsal dont l’histoire est liée au sel, matière première d’importance en ces temps anciens exempts de réfrigérateur et où toute conservation d’aliments passe par la saumure.
Il doit son nom à ses nombreuses sources salées à l’origine d’ailleurs d’une végétation typique comme la salicorne ou passe-pierre.
Depuis le premier âge du fer (1 000 à 500 av. J.C), une activité d’extraction du sel s’est manifestée en Lorraine. Le bourg voisin de Château-Salins et le Saulnois, le pays naturel où je me trouve, tiennent aussi à l’évidence leur nom de l’exploitation du sel.
Ce qui va suivre ne manque pas de sel ou plutôt en manque singulièrement.
Nom de Dieuze ! Je comptais bien visiter le musée départemental du Sel installé dans la Porte de France, vestige des fortifications de Vauban, mais contrairement aux informations fournies par l’office de tourisme de Dieuze, c’est jour de fermeture. Dépliant à l’appui, je plaide ma déception mais la personne à l’accueil, quoique aimable, est intraitable.
À mon vif regret, vous devrez vous contenter de quelques photographies fournies par mon frère qui avait déjà visité ce musée retraçant à la fois l’histoire de l’ancienne place forte de Marsal et celle de l’or blanc à travers les techniques de production.

Marsal Maison du Sel blog1Marsal Maison du Sel blog2Marsal tableau reddition blog

À défaut, je peux tout de même vous entretenir d’un tableau (du moins une copie) du peintre flamand Van Der Meulen représentant la Reddition de Marsal, accroché aux cimaises du musée.
Artiste du XVIIe siècle réputé pour ses peintures de chevaux et paysages, appelé à Paris par Charles Le Brun Premier Peintre du roi et directeur de la Manufacture des Gobelins, il vient renforcer en 1665 l’équipe du souverain chargé de mettre en image les événements marquants de son règne.
Parallèlement, la reddition de Marsal (on dit aussi la réduction) fit également l’objet d’une tapisserie des Gobelins à partir de fils de soie, de laine et d’or, d’après un carton dessiné par le même Le Brun. Elle est visible au musée du Château Royal de Blois.
Jean de La Fontaine qui manquait un peu de liquidités à l’époque, flatta aussi le souverain avec ces quelques vers :

« Monarque le plus grand que révère la Terre,
Et dont l’auguste nom se fait craindre en tous lieux,
Près de toi le pouvoir des plus ambitieux
A moins de fermeté que l’argile et le verre.
Marsal qui se vantait de te faire la guerre,
Baissant à ton abord son front audacieux,
Dès le premier éclair qui lui frappe les yeux,
Se rend et n’attend pas le coup de ton tonnerre.
Si la fierté rebelle eut irrité ton bras,
Qu’il se fut signalé par de fameux combats,
Et qu’il m’eut été doux d’en célébrer la gloire.
Mais ma muse déjà commence à redouter
De ne te voir jamais remporter de victoires
Pour manquer d’ennemis qui t’osent résister. »

L’histoire de Marsal est mouvementée comme beaucoup de villes frontières en raison justement de la proximité de territoires ennemis.
Dès le XIIIe siècle, Marsal était une véritable ville fortifiée qui éveillait les convoitises des ducs de Lorraine, des Evêques de Metz, et des rois de France.
De 1553 à 1593, Marsal fut occupée par le roi de France avant qu’il ne doive la céder à Charles III duc de Lorraine. Le traité de paix de Vic-sur-Seille de 1632 fait à nouveau de la ville une possession royale pendant trois ans. En 1643, le traité de Saint-Germain prévoit le restitution au duc de Lorraine. En 1648, la reprise des hostilités entre la France et la Lorraine rendent cet accord caduc et la Lorraine retourne au roi de France. En 1659, le traité des Pyrénées redonne à Charles IV duc de Lorraine la possession de ses terres précédemment perdues. En 1662, par le traité de Montmartre, Charles IV accepte que la Lorraine revienne à la couronne de France à son décès, à l’exception de Marsal qui doit être restituée de suite. Mais il tarde à remettre la ville à Louis XIV, si bien que ce dernier décide de s’en emparer par la force. Quel bazar !
En tout cas, Vauban vient préparer le plan Marsal (!) au printemps 1663. Puis le 17 août, Louis XIV ordonne à François de Pradel et au comte de Guiche, lieutenant-général de Lorraine et du Barrois depuis 1662, d’investir la place défendue par le marquis d’Haraucourt gouverneur de Marsal. Le 18 août, ils sont suivis par le maréchal de La Ferté gouverneur de Lorraine qui dirige le siège avec des troupes levées dans les Trois Évêchés. Le 25 août, le roi se met en marche et arrive à Metz le 30 « suivi de Monseigneur le duc d’Orléans, son frère unique, des Princes de Condé et duc d’Anguien père et fils, de Monsieur le prince de Turenne maréchal général de France, du duc de Bouillon son neveu, des mareschaux de Grammont et Du Plessis, du comte de Soissons, du duc de Crequy et de plusieurs autres grans seigneurs, avec la plus belle troupe de gardes, gens d’armes et chevaux légers que jamais Roy de France ait eue. »
Le 2 septembre, la place forte est cédée au maréchal de La Ferté qui reçoit les clés de la ville des mains du prince de Lixen.
Entre temps, Louis XIV est rentré à Paris sans avoir participé à l’événement. On peut conclure donc que sa présence sur la tapisserie et le tableau est incongrue et que ces œuvres d’art constituent donc des images de propagande royale commandées par Colbert afin de « conserver la splendeur des entreprises du Roy ». 350 ans avant Photoshop, on savait déjà manipuler le peuple !
Je me console en franchissant la Porte de France. Constituée de deux arches, elle était percée de deux passages parallèles précédés de pont-levis, l’un pour la place forte, l’autre pour la saline. Sous ce dernier, est exposée une pompe d’extraction de la saumure.
Puis je retrouve mon véhicule à proximité des casernements de type Vauban érigés après la reddition. Ils contenaient à l’origine douze écuries, vingt-quatre chambres et un grenier à vivres.

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En route vers, à deux lieurs de là, Vic-sur-Seille où le peintre Georges de La Tour naquit le 15 mars 1593 et vécut son enfance. Sur la place Jeanne d’Arc du bourg (sa statue y trône évidemment), un musée départemental est dédié à l’artiste. Quelle veine, il est même ouvert ce mardi-là !

Vic Jeanne d'Arc blogVic cabine blog

Mon regard est d’abord attiré par une cabine téléphonique recyclée en … cabane à livres.
De La Tour lisait Sénèque, Épictète et Montaigne, les Vicois d’aujourd’hui déposent et empruntent gratuitement dans ce fonds original, exemple de transmission littéraire participative.
Le sous-sol du musée abrite des collections reprises à l’hôtel de la Monnaie tout proche et des œuvres exhumées lors de fouilles dans les environs : ainsi, l’émouvante sculpture de La pâmoison de la Vierge du Maître de Chaource, l’artiste le plus marquant de la sculpture troyenne du XVIe siècle.

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Accomplis-je pêché de gourmandise si je bois un calice jusqu’à la lie d’un vin de Moselle pour accompagner mon chaource, un fromage très ancien de l’Aube et l’Yonne que Marguerite de Bourgogne exigeait à sa table ?
Loin de moi l’idée de blasphémer mais il est d’autres œuvres, par leur originalité, à exposer des saints à la damnation, ainsi Saint Livier et un Saint Christophe géant, en bois polychrome.

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Bien que portant son nom, le musée de Vic ne possède en son sein que deux tableaux du maître du clair-obscur. Cet après-midi, ils sont d’ailleurs plus obscurs que clairs, accrochés aux murs d’une pièce minuscule dans laquelle un artisan bricole dans une semi pénombre.
Attention chefs-d’œuvre ! Il me demande de ne pas trop m’en approcher au risque de déclencher l’alarme.Georges_de_La_Tour_Tête_de_femme

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Acquise avec l’aide du Conseil général de Moselle (190 000 euros tout de même sans les frais !), la Tête de Femme, possiblement Sainte Anne, serait un fragment d’une Éducation de la Vierge datée entre 1646 et 1650.
En 1992, suite au décès d’un riche parisien, un commissaire-priseur évalua à 1 500 francs l’autre tableau Saint Jean-Baptiste dans le désert. Mise aux enchères à la galerie Drouot en 1993, l’œuvre acheva sa course marchande dans une vente Sotheby’s à Monaco où elle fut préemptée par l’État pour le département de la Moselle, afin qu’elle retournât sur la terre natale de l’artiste. Jean-Baptiste y est représenté sous les traits d’un maigre adolescent androgyne donnant à manger à son agneau.
« Véritable défi à la raison raisonnante, Georges de La Tour reste une exception et une énigme dans l’histoire de l’art. À peine est-il mort qu’il disparaît totalement dans les oubliettes de la mémoire malgré la renommée qu‘il a connue en son temps, particulièrement dans sa Lorraine natale. Pire même : pendant plus de deux cents ans, ses œuvres seront attribuées à d’autres, Zurbaràn, Murillo, Vélasquez, notamment. Redécouvert à l’aube du XXe siècle, le maître de Lunéville connaît désormais une gloire égale à celle d’un Vermeer ou d’un Rembrandt, en dépit des nombreux mystères qui entourent sa vie et son œuvre.
Son œuvre, il est peu de dire qu’elle pose problème, même aux meilleurs spécialistes. La rareté des toiles identifiées à ce jour, une quarantaine, la difficulté d’attribution de certaines autres, l’interrogation continue sur leur chronologie, le grand nombre de copies, laissent la place à toutes les hypothèses et à des reconstitutions plus ou moins arbitraires. Tout, chez lui, tient du probable et de l’ambigu.
Malgré cela – et peut-être à cause de lui -, l’œuvre de la Tour ne lasse pas de fasciner … »
Fils de boulanger devenu hobereau par la grâce d’un mariage avisé, Georges de La Tour fut aussi un artiste béni des rois et des ducs de Lorraine. Il vécut près de soixante ans, traversant les mouvances de l’Histoire, la prospérité lorraine comme la famine, la peste et le début de la guerre de Trente ans.
« Peintre des clairs-obscurs, artiste sans visage – on ne possède même pas un portait de lui !-, Georges de La Tour est un artisan des lumières. Flamme, flammèche, chandelle, torche, flambeau … illuminent de leur éclat sélectif ses personnages. ».
Je suis ému de pouvoir admirer, presque confidentiellement, deux de ses toiles dans le village de son enfance.

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Changement d’ambiance et de motif : surgit en pleine lumière, dans la cage d’escalier, une toile gigantesque destinée à l’origine au Sénat. En pleine nature est une œuvre d’Émile Friant, peintre et graveur naturaliste né à Dieuze en 1863.
Le temps passe trop vite, malgré tout, mon regard s’attarde encore, allez savoir pourquoi, sur une vanité, une scène évoquant L’attente, une toile pastorale du peintre mosellan Edmond Louyot Le mouton à la porte rouge, et là c’est mon sang normand qui ne saurait mentir, un paysage des falaises de Varengeville où vécut son auteur Eugène Isabey.

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À quelques pas du musée, j’admire maintenant la façade, remarquablement ouvragée, de l’hôtel de la Monnaie, un bâtiment, entre gothique et renaissance, édifié au XVe siècle. Malgré son nom, rien ne permet d’affirmer qu’on y battait la monnaie. Il semble plutôt qu’il abritait une recette épiscopale où les taxes étaient perçues.

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Encore quelques pas et j’atteins l’église paroissiale Saint Marien, là-même où fut baptisé Georges de La Tour.
À l’extérieur, sur un tympan gothique, un sculpteur a représenté, vers 1 300, plusieurs épisodes de la vie du patron de la paroisse. Plus probablement, l’hagiographie emprunterait à plusieurs saints légendaires. Clin d’œil à mes amis d’Ariège mécontents de leurs ursidés slovènes, la première scène montre deux ours apportant du miel et du pain à Saint Marien qui vit en ermite dans la forêt.

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Je me glisse dans les rues étroites pour rejoindre le château des évêques de Metz dont il ne subsiste aujourd’hui qu’une porte flanquée de deux tours et une partie des douves.

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La promenade s’achève par une petite halte fraîcheur à la terrasse du café Au Vic tu ailles. Au-delà du jeu de mots, vous savez qu’il me plait souvent d’associer nourritures spirituelles et terrestres. On a toujours besoin de petits pois chez soi, dit-on, alors même s’il n’appartient pas aux collections du musée, j’ai envie de vous offrir le tableau de Georges de La Tour Les mangeurs de petits pois.

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On y retrouve les caractéristiques de sa peinture, le fond sombre, la scène peu profonde arrachée à la pénombre par une lumière rasante, l’expressivité des personnages par leurs mains et leur regard, le motif aussi, des gens de peu qui mangent leur pitance même pas cuisinée.
N’était-il pas beau mon petit tour par la Lorraine même sans sabots ?

Publié dans:Ma Douce France |on 9 juillet, 2015 |2 Commentaires »

Trois jours en Alsace (2): Le musée Lalique à Wingen-sur-Moder

Pour ma seconde balade en Alsace, je me rends précisément à Wingen-sur-Moder, modeste village du Bas-Rhin, situé à une trentaine de kilomètres au nord de Saverne.
Dans cette commune appartenant au parc naturel régional des Vosges du Nord, s’est ouvert en juillet 2011, un musée consacré au maître verrier et bijoutier René Lalique et à ses successeurs.

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Lalique, un nom mythique pour faire rêver mes lectrices et sans doute quelques lecteurs : « Un seul artiste, et des plus grands, René Lalique eut le don de faire passer sur le monde un frisson de beauté nouvelle » écrivit l’historien d’art Henri Clouzot. Comment cette personnalité, pour ne pas dire cette marque de fabrique, se retrouve-t-elle associée à ce Pays de la Petite Pierre méconnu aux confins de la Moselle ? Née en 1860 à Aÿ en Champagne, n’y ayant jamais vécu, rien ou presque ne l’y prédisposait.
La tradition verrière dans les Vosges du Nord est cependant ancienne. Elle semble remonter à la fin du XVe siècle. Les maîtres-verriers trouvèrent là les matières premières nécessaires à l’exercice de leur art : la silice provenant de la désagrégation du grès, une roche prépondérante dans la région, et le bois des forêts abondantes comme combustible.
Il s’agissait à l’époque de verreries itinérantes, les verriers s’installant en pleine forêt, de préférence une hêtraie, en exploitaient le bois le plus accessible durant quelques saisons avant de migrer vers d’autres clairières. C’est dire le préjudice écologique de cette activité à laquelle la guerre de Trente Ans et les guerres de Succession portèrent le coup de grâce.
Avec le retour à la paix, l’industrie du verre connut un nouvel essor. Cette fois, les verreries se sédentarisèrent et parmi celles fondées au siècle des Lumières (est-il nécessaire de préciser qu’il s’agit du XVIIIe siècle, l’étude de cette période devenant optionnelle dans les programmes de la réforme contestée de l’Éducation Nationale ?!) certaines, dans la région, accédèrent à la renommée, telles celles de Meisenthal, Goetzenbruck et Saint-Louis en Lorraine, et celles du Hochberg et de Wingen en Alsace.
Ça ne vous explique toujours pas pourquoi et comment René Lalique a débarqué à Wingen-sur-Moder ! Justement, je vais l’apprendre au long de la visite du musée qui lui est consacré. L’artiste nous accueille d’ailleurs sur une découverte grandeur nature, tenant entre ses mains une de ses œuvres, un vase Lézards et bleuets.

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Petit garçon adorant sa campagne champenoise natale, René aime à rêver devant la nature qui va constituer une inspiratrice féconde. Observateur attentif des êtres et des choses, il les examine, épie leurs lignes, leurs formes, leurs structures. Il scrute les plantes et les fleurs, il étudie la vie aquatique, les reptiles, les oiseaux, les insectes, il interroge le sol et le ciel, les plantes et les arbres. Il aime dessiner aussi et même bien.
René a seize ans quand son père décède. Le temps de la jeunesse insouciante s’arrête. Il entre en apprentissage chez le bijoutier parisien Louis Aucoc. Tout en apprenant les techniques de la bijouterie et joaillerie, il suit des cours à l’École des Arts décoratifs de Paris puis séjourne deux ans à Londres au Sydenham Art College.
En 1882, il s’installe à son compte comme dessinateur de bijoux et crée pour de grandes maisons de joaillerie tells que Jacta, Aucoc, Cartier, Hamelin, Boucheron, Destape. Il a vingt-cinq ans lorsque Jules Destape lui vend son atelier, place Gaillon à Paris.

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Volant désormais de ses propres ailes (de libellule ?), René Lalique se révèle bientôt comme l’inventeur du bijou moderne (selon l’expression d’Émile Gallé) malgré le scepticisme du joaillier Vuilleret : « Tu veux faire des dessins de bijoux, mais cela ne mène à rien ! Tu verras que dans deux ou trois mois, tu ne sauras plus qu’inventer et, arrivé au bout de ton rouleau, tu seras bien obligé de t’arrêter. »
C’est ainsi qu’en dépit de ces conseils « clairvoyants », environ cent trente ans plus tard, le public (pas uniquement féminin) s’extasie toujours devant les vitrines d’une première salle dédiée à ses créations de bijoux. Dans la pénombre du musée, de microscopiques projecteurs LED mettent en lumière les œuvres.

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Ses bijoux avant-gardistes plaisent avant tout à une élite intellectuelle et artistique, éloignée des conventions, susceptible d’en apprécier la beauté malgré la relative pauvreté de certains matériaux utilisés. Ainsi, il n’hésite pas à associer à l’or et aux pierres précieuses, des matières moins nobles comme la corne, l’ivoire, l’émail, des pierres plus modestes comme les corindons et sardoines, agates et cornalines, jaspes et opales, bien entendu aussi le verre. Foin de la valeur monétaire, « mieux vaut la recherche du beau que l’affichage du luxe ».
La comédienne Sarah Bernhardt figure parmi ses clients les plus illustres et lui commande pour la scène, diadèmes, colliers, ceintures, en fonction de ses rôles.
Les bijoux ne sont pas seulement destinés aux femmes, ils sont souvent eux-mêmes femme. Selon sa règle des 3 F, Faune Flore Femme, il a l’audace d’utiliser le corps féminin, osant même la nudité, comme élément d’ornementation.
Visages de face ou de profil, sous les traits de son épouse Alice ou de divinités de l’Antiquité, femme mutante se métamorphosant gracieusement en partie en scarabée, libellule, paon, cygne, et évidemment fleurs, la femme est omniprésente.
À propos, savez vous que le cygne, monogame et fidèle, symbolise l’amour éternel. Je ne veux pas être le vilain canard du conte d’Andersen, ma gente lectrice masculine peut donc offrir en toute confiance un pendentif avec cygnes et lotus à la bienaimée …
Il y a dans les bijoux de Lalique, la délicatesse de l’art japonais, des références à la mythologie, des ambiances fantastiques. Marqué par le naturalisme, Lalique baigne aussi dans le symbolisme, courant qui surgit justement à son époque. Certains de ses bijoux rappellent des toiles de Gustave Moreau, comme sa Fée des eaux. Ne me demandez pas pourquoi, j’ai envie de vous citer ici l’énigmatique Sonnet en X de l’hermétique Mallarmé, chef de file de ce courant artistique :

« Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d’inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor. »

Pour prolonger le chapitre littérature, René Lalique, bien qu’inspiré par le corps de la femme et le siècle des Lumières, n’alla pas jusqu’à concevoir Les Bijoux indiscrets tels que les imaginait Diderot (que je rencontrerai bientôt dans un très prochain billet) dans son roman libertin publié anonymement en 1748. L’homme de l’Encyclopédie y racontait l’histoire du sultan Mangogul du Congo qui recevait du génie Cucufa un anneau magique possédant le pouvoir de faire parler les « bijoux » (les parties génitales) des femmes. Les contemporains reconnurent facilement derrière le sultan et sa favorite Mirzoza, leur souverain Louis XV et la marquise de Pompadour.

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Dans le cabinet graphique qui succède à la salle des bijoux, un panneau didactique présente le livre de vérité de René Lalique : « Ses études, ses projets préliminaires, ses dessins préparatoires annotés montrent comment il mûrit ses créations. Ses dessins, empilés par centaines, constituent le livre de vérité de l’artiste, sorte de confession graphique de son labeur quotidien. Toute sa vie, il gardera dans sa poche de petits carnets de croquis recouverts de toile noire, des carnets qu’il remplit de figures et d’arabesques frémissantes de vie, entremêlées de réflexions de toutes sortes, de recettes de cuisine, d’adresses d’artisans, de citations poétiques. »
René Lalique est révélé définitivement au grand public à l’occasion du Salon de 1895. Sa renommée devient internationale lors de l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Son stand Art Nouveau connaît un triomphe. Devant un grand format de photographie de son stand Art Nouveau, on plonge dans l’ambiance de cette manifestation.

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Un autre visuel animé cette fois nous montre la foule exclusivement masculine des officiels en redingote et chapeau haut de forme caractéristiques de la bourgeoisie de la Troisième République.
J’imagine un instant ma si chère mémé Léontine, modeste paysanne de Picardie, éblouie devant tant de merveilles, elle qui s’extasiait souvent par un « Oh q’c’était beau ! », elle pour qui son mari, à partir de divers objets de cuivre et laiton ramassés sur les champs de bataille de la Grande Guerre, cisela des … léontines, ces chaînes ornementales tenant le milieu entre le collier et la ceinture.
Une autre photographie géante immortalise la fontaine lumineuse Les sources de la France, un des symboles de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et modernes de Paris sur l’esplanade des Invalides, en 1925, à l’occasion de laquelle René Lalique connut un véritable triomphe.

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Entre temps, la notoriété acquise et la reconnaissance internationale lui ont permis progressivement de se consacrer à son intérêt premier, l’art du verre.
Au début du XXe siècle, les femmes n’ont en matière de parfumerie que les fioles d’apothicaires et les luxueux flacons en cristal fabriqués par les grandes manufactures.
Sa rencontre, en 1907, avec le parfumeur François Coty ouvre à René Lalique de nouvelles perspectives. Un sacré personnage aussi que ce François Coty qui comme son patronyme ne l’indique pas est corse (de son vrai nom, Joseph Marie François Sportuno). Homme politique, artiste, économiste, financier, sociologue, industriel, il révolutionne le monde des parfums et des cosmétiques.
« Donnez à une femme le meilleur produit que vous puissiez préparer, présentez-le dans un flacon parfait (d’une belle simplicité mais au goût impeccable), faites-le payer un prix raisonnable, et ce sera la naissance d’un grand commerce, tel que le monde n’en a jamais vu ». Coty a compris déjà l’importance du packaging et fait donc appel au désormais célèbre René Lalique qui inaugure leur longue collaboration avec le flacon du parfum L’Effleurt aux lignes pures en cristal, une étiquette vignette en verre collé et un bouchon orné de deux cigales inspirées de l’art naturaliste.

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Sollicité par d’autres parfumeurs de renom, Lalique crée pour D’Orsay la série des Roses, Ambres et Poésie, puis pour la Maison Worth, les emblématiques Vers le jour, Dans la nuit, Sans adieu, Je reviens … de véritables invitations à l’amour.

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Par transparence, les nus sculpturaux de femmes ondines ou sirènes, chevelures dénouées et nageoires ondulantes, semblent en suspension dans l’ambre des parfums. Cela me renvoie à la poésie des nageuses photographiées par John Batho dans la piscine de Trouville (voir billet du 16 septembre 2009 Croisière dans la couleur avec John Batho). Carrément enivrant !
Il est temps que je vous dise qu’après avoir construit un atelier dans sa propriété de Clairefontaine près de Rambouillet, Lalique loue, en 1909, la verrerie de Combs-la-Ville en région parisienne, puis en 1919, se rend en Lorraine et en Alsace à la recherche d’un lieu approprié à la production d’objets en verre en série avec des ouvriers qualifiés. C’est ainsi qu’il installe, en 1920, la verrerie d’Alsace à Wingen-sur-Moder, un demi-siècle après la fermeture de la verrerie du Hochberg, vous comprenez maintenant la présence du musée dans ce village. Il bénéficie en la circonstance des faveurs du Président de la République Alexandre Millerand qui cherche à faire de la Lorraine et l’Alsace retrouvées des vitrines de la France.
Après les flacons de parfums, René Lalique diversifie son champ d’activité et, grâce à ses techniques de production en série, il s’intéresse notamment aux arts de la table.
Je m’attarde devant la pièce « royale » du musée, un surtout offert par la Ville de Paris à leurs majestés britanniques le roi George VI et la reine Elizabeth lors de leur visite en France en 1938.

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Le surtout était un centre de table très en vogue du XVIIe au début du XXe siècle. Il apparut alors que le service de table se transformait, au lieu de disposer tous les plats au centre de la table, on les apportait un à un, ce qui laissait donc un vide à combler.
La caravelle rappelle le blason de la ville de Paris, la corporation des Nautes et la devise Fluctuat nec mergitur. À la quête de quelque poisson rejeté (?), des mouettes accompagnent le navire. Un service Mouettes fut aussi créé pour la circonstance.
J’adore le poisson mais j’avoue que je ne me vois pas savourer un cabillaud à la sauce Dugléré, comme le préparait excellemment ma chère maman, avec « ça » devant mon assiette, sinon que, eh oui ça en jette, c’est un Lalique !
Dans le même esprit, je ne suis pas trop fan de quelques objets décoratifs et trophées que René ajoute bientôt à son catalogue.

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« La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux cheval, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats », ainsi Buffon commençait son Histoire naturelle consacrée à l’équidé. En 1929, Lalique créa deux chevaux dédiés aux deux courses hippiques les plus célèbres et élégantes de l’époque, le Derby d’Epsom en Angleterre et le Longchamp du nom du champ de courses où se dispute le prix de l’Arc de Triomphe.

3_slide_19Il n’oublia pas les chevaux vapeur et, en 1925, il conçut des bouchons de radiateur pour décorer les calandres de prestigieux véhicules des années folles.
Ses héritiers ont créé en 2014 une série Éléphant dansant en cristal moulé d’après un modèle de Rembrandt Bugatti de 1903.
De même, on peut voir des médailles récompensant les lauréats de Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville en 1992. Je me suis souvent demandé si les récipiendaires de ces trophées avaient conscience de leur valeur artistique et n’y attachaient pas plus d’intérêt que pour la peluche du sponsor qu’on leur fourrait dans les bras.
« J’estime que quand un artiste a trouvé une belle chose, il doit chercher à en faire profiter le plus grand nombre de gens possible. » Ainsi, René n’avait aucun état d’âme à fabriquer ses créations en série.
Il s’intéresse également à l’architecture religieuse. Ainsi, on peut admirer une représentation photographique de son travail pour le chœur de l’église Notre-Dame de Fidélité à Douvres-la-Délivrande dans le Calvados.

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« C’est à vous, verriers du siècle, que reviendra l’honneur d’avoir senti et affirmé les admirables ressources qu’offre à l’architecte et au décorateur l’emploi de cette matière brillante et discrète à notre choix, solide et complaisante, qui se prête à des combinaisons utilitaires ou ornementales quasi infinies » déclare-t-il. C’est ainsi que lys et anges se sont invités sur l’autel et la grande croix de l’église St-Matthew de Jersey.
Cet éclectisme le conduira vers des pistes insoupçonnées. « Que de chemin accompli par cet artiste dont l’œuvre a commencé par orner des chignons, des corsages et des bustes autour de 1900, puis fini par garnir des paquebots (le Normandie), des églises, des wagons-lits (l’Orient-Express) et des hôtels de luxe. »

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René Lalique meurt le 1er 1945 mais la pérennité de la maison est assurée. En effet, Lalique est une histoire familiale qui continua avec ses enfants Suzanne et Marc, et sa petite-fille Marie-Claude. C’est Marc qui abandonna définitivement le verre au profit du cristal, le contraste entre la transparence et le satiné trouvant dans la pureté de cette matière, son expression maximale.
Lalique appartient désormais depuis 2008 à la société suisse Art et Fragrance.

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Mon fantasme le plus fou ne serait-il pas de devenir objet-livre pour être étreint par deux jeunes femmes au corps sublime ? Prient-elles pour qu’il se réalise ? J’en doute ! L’œuvre s’appelle Rêverie. Qui sait si elles ne désespèrent pas plutôt de l’inculture naissante.
Je me pose quelques instants devant une réédition d’un des fleurons de la marque, le célèbre vase Bacchantes. Il serait produit à 1 800 exemplaires par an. Trente heures et vingt-cinq personnes sont nécessaires à la réalisation d’un vase.

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De jeunes prêtresses de Bacchus offrent leurs courbes voluptueuses en bas-relief. Le satiné du cristal rappelle la finesse du grain de la peau. Une véritable ode à la sensualité même si je ne suis pas persuadé que j’aimerais voir trôner ce vase avec des fleurs dans l’entrée de mon domicile. De toute manière, j’ai une héritière qui préfère les meubles IKEA à une ancienne armoire normande, alors … !
Près de la sortie, sur un mur d’images, ont peut découvrir quelques étapes de la fabrication de ces œuvres. Rééditions d’œuvres et créations contemporaines naissent toujours dans l’usine de Wingen-sur-Moder qui ne se visite pas.
Je m’inquiète pour ma carte bleue, sa grand-mère semble plus sensible au charme du poète du verre et s’attarde devant la vitrine des bijoux en vente à l’accueil.
Les collectionneurs ne s’intéressent qu’aux pièces produites par le maître de son vivant, signées René Lalique et considérées comme originales. Le R fut abandonné en 1945 par Marc Lalique et la signature des pièces en cristal devint Lalique France. Le prix varie en conséquence d’un coefficient de 1 à 5. Pourvu que … !

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 2 juillet, 2015 |1 Commentaire »

valentin10 |
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