Archive pour le 1 avril, 2015

Et 1, et 2, et 3 musées dans le Marais …

Ce samedi-là, tandis que de nombreux curieux affluent vers les littoraux pour observer les grandes marées, je choisis une plongée au cœur de Paris dans le Marais.
Ce quartier tient son nom des marécages qui inondaient autrefois cette zone. Il est difficile d’imaginer qu’au XIIème siècle, il n’était occupé que par des pâtures et des cultures. Des institutions religieuses s’y établirent alors. Parmi celles-ci, l’ordre du Temple construisit un prieuré fortifié, à l’extérieur de l’enceinte de Philippe-Auguste, qui attira bientôt de nombreux commerçants et artisans désirant échapper aux redevances des corporations. L’exil fiscal existait donc déjà !
Vint le temps où les princes de sang et grands seigneurs souhaitèrent y élire résidence. Ainsi, dès 1270, le frère de Saint Louis, Charles d’Anjou, fraîchement couronné roi de Naples et de Sicile, fit construire son hôtel particulier dans l’actuelle rue de Sévigné. Puis au siècle suivant, Charles V le Sage, alors dauphin, encore choqué par la révolte des bourgeois d’Étienne Marcel, choisit de s’installer en un lieu plus à l’écart, l’hôtel Saint Pol vite intégré au domaine royal. Son fils et successeur Charles VI le Bien-Aimé ou le Fou y demeura aussi.
« Considérant que notre hostel de Paris, appelé l’hostel de Saint-Pol, lequel nous avons acheté et fait édifier de nos propres deniers, est l’hostel solennel des grands esbattements, et auquel nous avons eu plusieurs plaisirs, acquis et recouvré, à l’aide de Dieu, santé de plusieurs grandes maladies que nous avons eues et souffertes de nostre temps ; par lesquelles choses et autres qui à ce que nous ont esmus, avons audit hostel, amour plaisance et singulière affection ». Je ne saurais dire avec une absolue exactitude lequel des deux Charles,, le Sage ou le Fou, tint ces propos, en tout cas, il ne reste malheureusement rien, aujourd’hui, de l’hôtel Saint Pol. Cependant, la proximité de la résidence royale entraîna par la suite la construction d’hôtels aristocratiques dans le quartier.
C’est vers trois d’entre eux que je porte mon dévolu ce samedi. Et pour commencer, je me rends place des Vosges. Signe de notre époque futile, quelques badauds rôdent devant l’ex résidence d’un ancien candidat à la présidence de la République plus réceptif à l’hôtellerie lilloise.
Plus classique et romantique, je me dirige à hauteur du numéro 6 devant l’hôtel de Rohan-Guémené, du nom (rien à voir avec l’andouille quoique l’origine soit aussi morbihannaise) de ses anciens propriétaires, une branche de la famille des Rohan, descendante des ducs de Bretagne et particulièrement influente sous l’Ancien Régime. C’est ici, au second étage, que Victor Hugo loua un appartement pendant seize ans, de 1832 à 1848. Soit dit en passant, c’était un autre chaud lapin. Dans l’art d’être grand-père qu’il cultivait, à quatre-vingts ans, à son petit-fils qui lui demandait « Pépé, que veux-tu pour Noël ? », il lui répondit coquinement : « La bonne ! ».

Maison Hugo façade  blogMaison Hugo escalier blog

Il, du moins son portrait, nous accueille dans l’escalier. Je n’en garde aucun souvenir, mais j’étais déjà venu ici dans ma prime enfance à l’occasion d’un des traditionnels voyages de fin d’année avec les jeunes filles du collège normand dirigé par ma maman.
De ce temps, par contre, n’y voyez aucun penchant vénal, je me rappelle du billet de banque avec l’effigie de Victor Hugo à la barbe blanche et la place des Vosges en arrière-plan. D’une valeur de cinq cents francs à son impression en 1954, il résista au passage à la nouvelle monnaie en 1958 en apparaissant sur les billets de cinq nouveaux francs. À l’origine, la Banque de France avait envisagé un portrait de Hugo jeune devant le jardin des Feuillantines.
L’écrivain et l’homme politique visionnaire partisan déjà d’une monnaie européenne unique, même s’il sut de son vivant mettre en scène son image dans un tas de produits dérivés, n’imaginait évidemment pas en écrivant l’épisode de la pièce en argent du petit savoyard dérobée par Jean Valjean, qu’il apparaîtrait un jour sur nos billets de banque.

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En ce début de visite, j’ai une pensée profonde pour le chanteur acteur Gérard Berliner qui nous a quittés subitement en octobre 2010. Quelques mois auparavant, j’avais assisté à son spectacle Mon alter Hugo pour lequel il obtint un Molière. J’ai narré cette lumineuse et émouvante soirée dans un billet : http://encreviolette.unblog.fr/2010/02/11/mon-alter-hugo-a-moi/
Il y racontait d’ailleurs les circonstances de sa rencontre spirituelle avec son ami Victor : « Je regardais un buste de Hugo sur son bureau. J’ai touché la barbe de la statue qui a bougé sur son socle. J’ai pris cela pour un signe du destin ; je me suis mis à lire tout Hugo ».
C’est un Hugo beaucoup plus jeune que je croise dès l’entrée. Une étiquette me prie de ne pas le caresser.

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C’est donc le 25 octobre 1832, alors que les comédiens répètent Le Roi s’amuse, qu’il emménage ici avec son épouse Adèle Foucher et ses quatre enfants. Le bail signé fait état d’une surface de 280 m2 pour un loyer annuel de 1 500 francs payables en quatre termes égaux. L’écrivain bougea beaucoup au cours de sa vie. Il s’agit ici de son cinquième domicile depuis son mariage mais c’est celui où il effectua son plus long séjour.
Les multiples transformations des lieux après son départ ainsi que la dispersion du mobilier de l’écrivain proscrit lors d’une vente aux enchères en 1852 empêchent évidemment une reconstitution fidèle de l’appartement. Qu’à cela ne tienne, longtemps, longtemps, longtemps après que le poète a disparu, son âme court encore dans les pièces …
Hugo écrivit ici quelques-unes de ses œuvres majeures : Marie Tudor, Ruy Blas, Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures, Les Rayons et les Ombres, une grande partie des Misérables et le début de La Légende des Siècles et des Contemplations.

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Preuve éclatante qu’il est terriblement actuel, il est même Charlie ! Un bandeau le clame dans une vitrine en-dessous d’un exemplaire de son mémorable discours sur la Liberté de la Presse, prononcé le 9 juillet 1850 à l’Assemblée Nationale, dont voici quelques extraits :

« Quoique les vérités qui sont la base de toute démocratie et en particulier de la grande démocratie française aient reçu, le 31 mai dernier, une grave atteinte, comme l’avenir n’est jamais fermé, il est toujours temps de les rappeler à une assemblée législative. Ces vérités, selon moi, les voici :
La souveraineté du peuple, le suffrage universel, la liberté de la presse sont trois choses identiques, ou, pour mieux dire, c’est la même chose sous trois noms différents ; à elles trois, elles constituent notre droit public tout entier. La première en est le principe ; la seconde en est le mode d’action ; la troisième en est l’expression multiple, animée, vivante, mobile comme la nation elle-même. La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays ; elle se manifeste sous deux formes : d’une main, elle écrit, c’est la liberté de la presse, de l’autre, elle vote, c’est le suffrage universel.
Ces trois faits, ces trois principes liés d’une solidarité essentielle, ayant chacun leur fonction: la souveraineté du peuple vivifiant, le suffrage universel gouvernant, la presse éclairant, se confondent dans une étroite et indissoluble unité, et cette unité, c’est la République.
(Approbation à gauche.)
Et voyez comme toutes les vérités se retrouvent et se rencontrent, parce qu’ayant le même point de départ, elles ont nécessairement le même point d’arrivée ! la souveraineté du peuple crée la liberté, le suffrage universel crée l’égalité, la presse, qui fait le jour dans les esprits, crée la fraternité.
Partout où ces trois principes, souveraineté du peuple, suffrage universel, liberté de la presse, existent dans leur plénitude et dans leur toute-puissance, la République existe, même sous le mot monarchie. Là où ces trois principes sont amoindris dans leur développement, opprimés dans leur action, méconnus dans leur solidarité, contestés dans leur majesté, il y a monarchie ou oligarchie, même sous le mot république
(M. Bouhier de l’Écluse : C’est inexact.)
Et c’est alors, comme il n’y a plus rien qui soit dans l’ordre vrai et dans la logique, c’est alors qu’on peut voir ce phénomène monstrueux d’un gouvernement renié par ses propres fonctionnaires.
(À gauche : Très bien ! Très bien !)
C’est alors que les plus fermes cœurs se prennent à douter des révolutions, de ces grands événements si faciles à trahir, qui font sortir de l’ombre, en même temps, de si hautes idées et de si petits hommes.
(À gauche : Très bien ! Très bien ! – Applaudissements redoublés. – quelques applaudissements ironiques se font entendre à droite – Un membre à droite : C’est du gouvernement provisoire sans doute que vous voulez parler ; ce sont des épigrammes sur vos nouveaux amis. – Rumeurs à gauche.)
Des révolutions que nous proclamons des bienfaits pour l’humanité quand nous considérons leurs principes, mais qu’on peut, certes, appeler des catastrophes quand on voit les ministres qu’elles produisent.
(Applaudissements à gauche – Rires à droite et au banc des ministres.)
Messieurs, ces trois principes que je vous rappelais en commençant, prenons-y garde, sont solidaires, et, ne l’oublions jamais, nous législateurs, vivent d’une vie commune. Aussi voyez comme ils se défendent réciproquement. La liberté de la presse est-t-elle en péril, le suffrage universel se lève et la protège. Le suffrage universel est-il menacé, la presse accourt et le défend.
Messieurs, toute atteinte au suffrage universel, toute atteinte à la liberté de la presse, frappe la souveraineté nationale. La liberté mutilée, c’est la souveraineté paralysée ; la souveraineté du peuple n’est pas, si elle ne peut agir et si elle ne peut parler. Or, entraver le suffrage universel, c’est lui ôter l’action ; entraver la liberté de la presse, c’est lui ôter la parole… »
Victor Hugo acheva son discours ainsi :
« Je m’adresse au parti de la peur et je lui dis : « Regardez bien ce que vous voulez faire, réfléchissez à l’œuvre que vous entreprenez, et avant de la tenter, mesurez-la. Je suppose que vous réussissiez : quand vous aurez détruit la presse, il vous restera quelque chose à détruire, Paris. Quand vous aurez détruit Paris …
(Oh ! — Exclamations et rires à droite – Une voix : Et Versailles !)
Il vous restera quelque chose à détruire, la France. Quand vous aurez détruit la France, il vous restera quelque chose à tuer, l’esprit humain.
Oui, je le dis, que le grand parti européen de la peur mesure l’immensité de la tâche que, dans son héroïsme, il veut se donner.
(Rires et bravos.)
Il aurait anéanti la presse jusqu’au dernier journal, Paris jusqu’au dernier pavé, la France jusqu’au dernier hameau, il n’aurait rien fait… (Interruption et rires à droite) il lui resterait encore à détruire quelque chose, qui est toujours debout, au-dessus des générations, et en quelque sorte entre l’homme et Dieu ; quelque chose qui a écrit tous les livres, inventé tous les arts, découvert tous les mondes, fondé toutes les civilisations ; quelque chose qui reprend toujours sous la forme révolution ce qu’on lui refuse sous la forme progrès: quelque chose qui est insaisissable comme la lumière et inaccessible comme le soleil, et qui s’appelle l’esprit humain.
(Un grand nombre de membres de la gauche quittent leurs places et viennent féliciter l’orateur. La séance est suspendue.) »

Une telle éloquence valait la peine que je m’attarde. C’était un temps où les débats à l’Assemblée Nationale étaient de haute tenue. Alphonse de Lamartine, outre ses Méditations poétiques comme Le Lac, défendait le droit au travail ou l’élection du Président de la République au suffrage universel ; il fut même, quelques mois, ministre des Affaires étrangères.
Les députés, et pour cause, ne jouaient pas dans l’hémicycle comme maintenant avec leur tablette numérique ou leur smartphone ; sans parler du tweet écrit par un parlementaire UMP à la suite de la catastrophe aérienne dans les Alpes de Haute-Provence : « On croyait avoir perdu François Hollande depuis ce week-end électoral meurtrier. On vient de le retrouver comme commentateur du crash de l’A320 » ! Odieux et pitoyable !
« Les plus petits esprits ont les plus grands préjugés » affirmait justement Hugo qui sut mêler aussi une dimension politique à son œuvre littéraire.
Cela dit, on railla beaucoup sa trajectoire politique qui, de jeune royaliste ultra de la première Restauration, le mena à devenir, après avoir soutenu le régime de Louis-Philippe, républicain conservateur au début de la IIème République, puis républicain démocrate, puis, proscrit, républicain socialiste, avant de représenter au retour d’exil l’extrême gauche républicaine sur les bancs du Sénat. Son évolution fut moins opportuniste que le fruit d’une lente réflexion devant ce qu’il voyait et ressentait.
Dans l’antichambre, mon regard se tourne maintenant sur un tableau d’Albert Besnard La première d’Hernani. Avant la bataille.

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Nous sommes le soir du 25 février 1830, le lendemain Hugo soufflera ses 28 bougies (« Ce siècle avait deux ans … », vous vous souvenez). Le Tout-Paris remplit la salle Richelieu du Théâtre Français avant le lever de rideau pour la première d’Hernani, le drame de Victor Hugo. J’en ai déjà parlé dans le billet mentionné ci-dessus.
Je cherche, bien sûr, Théophile Gautier avec son gilet rouge à l’avant-plan. « Il suffisait, écrivit-il, de jeter les yeux sur ce public pour se convaincre qu’il ne s’agissait pas là d’une représentation ordinaire ; que deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même, — ce n’est pas trop dire — étaient en présence, se haïssant cordialement, comme on se hait dans les haines littéraires, ne demandant que la bataille, et prêts à fondre l’un sur l’autre … ». Ce fut finalement un triomphe pour Hugo. « Cette date reste écrite dans le fond de notre passé en caractères flamboyants : la toute première représentation d’Hernani ! Cette soirée décida de notre vie ! Là nous reçûmes l’impulsion qui nous pousse encore après tant d’années et qui nous fera marcher jusqu’au bout de notre carrière. » conclut Théophile.
À ses côtés, se trouvaient, probablement Gérard de Nerval, Alfred de Musset, Louis Boulanger aussi dont l’huile sur toile Le Feu du ciel, exposée ici, illustre le poème des Orientales mettant en scène la colère divine et la destruction de Sodome et Gomorrhe :

« … Ce peuple s’éveille,
Qui dormait la veille
Sans penser à Dieu.
Les grands palais croulent ;
Mille chars qui roulent
Heurtent leur essieu ;
Et la foule accrue,
Trouve en chaque rue
Un fleuve de feu … »

Ce tableau était réellement accroché dans le salon de l’écrivain.
Le salon de réception contigu est la pièce qui, par les œuvres et le mobilier exposés ainsi que les murs tendus de damas rouge, restitue le plus fidèlement l’atmosphère de l’époque, même s’il ne se situait pas exactement à cette place dans l’appartement.

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Un autre buste du maître des lieux s’y dresse. Il est encore l’œuvre de Pierre-Jean David dit David d’Angers pour y être né. Grand sculpteur, graveur et médailleur, il fut élu représentant du peuple, en 1848, par le département du Maine-et-Loire et entra à l’Assemblée nationale constituante.
Quand il lui fit don d’un de ces deux bustes, Victor Hugo le remercia ainsi : « Sous une forme magnifique, mon ami, c’est l’immortalité que vous m’envoyez. Une pareille dette est de celles dont on ne s’acquitte jamais ; j’essaierai cependant, non de la payer, mais de la reconnaître. »
Hugo dédia également deux longs poèmes au sculpteur.
L’un apparaît dans Les Feuilles d’automne :

« …Car c’est toi, lorsqu’un héros tombe,
Qui le relèves souverain !
Toi qui le scelles sur sa tombe
Qu’il foule avec des pieds d’airain !
Rival de Rome et de Ferrare,
Tu pétris pour le mortel rare
Ou le marbre froid de Carrare,
Ou le métal qui fume et bout.
Le grand homme au tombeau s’apaise
Quand ta main, à qui rien ne pèse,
Hors du bloc ou de la fournaise
Le jette vivant et debout !

Sans toi peut-être sa mémoire
Pâlirait d’un oubli fatal ;
Mais c’est toi qui sculptes sa gloire
Visible sur un piédestal… »

L’autre figure dans Les Rayons et les Ombres :

« DAVID ! comme un grand roi qui partage à des princes
Les états paternels provinces par provinces,
Dieu donne à chaque artiste un empire divers ;
Au poète le souffle épars dans l’univers,
La vie et la pensée et les foudres tonnantes,
Et le splendide essaim des strophes frissonnantes
Volant de l’homme à l’ange et du monstre à la fleur ;
La forme au statuaire ; au peintre la couleur ;
Au doux musicien, rêveur limpide et sombre,
Le monde obscur des sons qui murmure dans l’ombre.

La forme au statuaire ! – Oui, mais, tu le sais bien,
La forme, ô grand sculpteur, c’est tout et ce n’est rien.
Ce n’est rien sans l’esprit, c’est tout avec l’idée !
Il faut que, sous le ciel, de soleil inondée,
Debout sous les flambeaux d’un grand temple doré,
Ou seule avec la nuit dans un antre sacré,
Au fond des bois dormants comme au seuil d’un théâtre,
La figure de pierre, ou de cuivre, ou d’albâtre,
Porte divinement sur son front calme et fier
La beauté, ce rayon, la gloire, cet éclair !
Il faut qu’un souffle ardent lui gonfle la narine,
Que la force puissante emplisse sa poitrine,
Que la grâce en riant ait arrondi ses doigts,
Que sa bouche muette ait pourtant une voix ! … »

Maison Hugo portrait fils blogMaison Hugo père et fils blog

Attendri, je m’arrête quelques instants devant les portraits de deux des fils de Hugo, François-Victor et Charles qu’il protège de ses mains. Hugo eut trois autres enfants : un autre fils Léopold qui mourut à l’âge de trois mois, et deux filles, Léopoldine morte tragiquement par noyade dans la Seine, et Adèle, la seule qui survécut à son père mais qui plongea dans la démence.
Dans la famille Hugo, je demande la maîtresse, enfin … la plus célèbre et la plus durable, celle dont il fut le plus amoureux aussi, la jeune actrice Juliette Drouet.

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Elle écrivit des milliers de lettres à son « Toto » jusqu’à sa mort, il n’y avait pas Skype à l’époque. Après avoir risqué sa vie pour lui permettre de fuir après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, Juliette l’accompagna en Belgique puis dans les îles anglo-normandes. Sur sa tombe au cimetière de Saint-Mandé, quelques mots témoignent de leur passion de cinquante années :

« Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée,
Quand mes yeux fatigués seront fermés au jour,
Dis-toi, si dans ton cœur ma mémoire est fixée :
Le monde a sa pensée,
Moi j’avais son amour! «

À l’emplacement du vrai « grand salon » de Victor Hugo, est reconstitué fidèlement le salon chinois de Juliette à Guernesey. L’essentiel du décor relève complètement de l’imagination hugolienne avec les panneaux peints et dorés, à motifs de personnages, d’animaux et de fleurs, et les collections d’assiettes. C’est un peu chargé à mon goût !

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Je suis intrigué par une curieuse table aux encriers. En 1860, lors d’une vente de charité destinée à une crèche pour les enfants pauvres de Guernesey, Adèle Hugo (elle vécut aussi à Hauteville House) demanda à Lamartine, Alexandre Dumas, George Sand et son cher Victor de faire don de leur encrier. Hugo les fit monter sur une petite table Louis XIII et finit par acheter le meuble n’ayant pas trouvé d’acquéreur.
Le poète pensa peut-être à ces enfants pauvres quand il écrivit :

« Prenez garde à ce petit être ;
Il est bien grand, il contient Dieu.
Les enfants sont, avant de naître,
Des lumières dans le ciel bleu.

Dieu nous les offre en sa largesse ;
Ils viennent ; Dieu nous en fait don ;
Dans leur rire il met sa sagesse
Et dans leur baiser son pardon.

Leur douce clarté nous effleure.
Hélas, le bonheur est leur droit.
S’ils ont faim, le paradis pleure.
Et le ciel tremble, s’ils ont froid.

La misère de l’innocence
Accuse l’homme vicieux.
L’homme tient l’ange en sa puissance.
Oh ! quel tonnerre au fond des cieux,

Quand Dieu, cherchant ces êtres frêles
Que dans l’ombre où nous sommeillons
Il nous envoie avec des ailes,
Les retrouve avec des haillons ! »

Je me glisse maintenant dans la salle à manger, une reconstitution et une illustration du goût de Victor pour les meubles gothiques qu’il manifestait aussi bien ici qu’à Guernesey.
« J’ai manqué ma vocation : j’étais né pour être décorateur. » À Hauteville House, il mit en espace sa pensée. Son fils Charles parla d’ « un autographe de trois étages, un poème en plusieurs chambres ».
Hugo, souvent accompagné de Juliette ou avec ses fils, se livrait à la « chasse aux vieux coffres » guernesiais en même temps qu’il achetait des meubles Haute-époque ou Renaissance. Il les faisait démonter puis assembler à sa fantaisie ou pour les besoins de son décor, d’après ses dessins, par une équipe de menuisiers de l’île. Ainsi une porte devient table, les coffres se transforment en buffets ou en banc, les bobines de fil en bougeoirs, des pieds deviennent colonnes pour donner aux meubles des allures d’architecture gothique. Ce n’est pas encore ce que je préfère mais mon infirmité pour le bricolage me réduit au silence.

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Sur la table, une petite sculpture de Jean-Baptiste Deloye (c’est lui qui réalisa le monument à Garibaldi sur la place éponyme de Nice) avec le poète sur son rocher, rappelle le temps de l’exil.
Le salon dit du retour d’exil correspond à l’ancien cabinet de travail de l’écrivain. Je me retrouve nez à nez devant le tableau archi célèbre de Bonnat et un Hugo vieilli après les épreuves de l’exil et de la disparition de sa fille Léopoldine, le coude gauche appuyé sur le livre d’Homère.

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Histoire de vous détendre mais surtout vous horrifier quelques secondes, je pourrais suggérer que sa perplexité naît de sa lecture des tweets envoyés par quelques candidats débiles de l’épreuve anticipée de Français au baccalauréat de juin 2014 qui devaient réfléchir sur son poème Crépuscule : « C’est un baisé dans sa tête ! Un discours entre un brin d’herbe et une tombe », « Tu pu vraiment enfoiré avec ton crépuscule du cul » … Pas facile d’éduquer à la laïcité après ça ! Peut-être, leur faudrait-il un Fabrice Lucchini comme professeur pour que jaillisse la lumière dans leur crépuscule spirituel !

Buste héroique

« Je suis fait d’ombre et de marbre,
Comme les pieds noirs de l’arbre,
Je m’enfonce dans la nuit.
J’écoute ; je suis sous terre ;
D’en bas je dis au tonnerre :
Attends ! Ne fais pas de bruit.
Moi qu’on nomme le poète,
Je suis dans la nuit muette
L’escalier mystérieux ;
Je suis l’escalier Ténèbres ;
Dans mes spirales funèbres
L’ombre ouvre ses vagues yeux. »

Auguste Rodin prit au mot les vers d’Hugo tirés des Quatre vents de l’esprit. David d’Angers avait sculpté le jeune poète romantique, Rodin façonna les traits du patriarche après l’exil. En visitant le musée Rodin dans l’hôtel Biron, on découvre de nombreux bronzes, plâtres et terres cuites de l’écrivain.
Leur rencontre s’effectua deux ans avant sa mort. Hugo, fatigué, refusa les fastidieuses séances de pose mais ce rejet procura finalement une liberté artistique au sculpteur. Pour le bronze intitulé Buste héroïque, fondu après la mort de Hugo à l’occasion de l’ouverture de son appartement au public, Rodin maître du mouvement choisit d’incliner le visage du poète plongé dans une profonde méditation.
Ultime pièce en enfilade, j’entre dans la chambre de l’illustre locataire, ou plutôt la reconstitution de celle de sa dernière demeure, avenue d’Eylau rebaptisée de son vivant avenue Victor Hugo. Moment d’émotion, c’est dans ce lit qu’il rendit son dernier souffle le 22 mai 1885.

Maison Hugo chambre blogMaison Hugo mort blogMaison Hugo écritoire blog

De nombreux artistes se pressèrent autour du lit de mort de Victor Hugo pour « immortaliser » l’instant : les peintres Bonnat, Glaize, Laugée, le sculpteur Dalou, le photographe Félix Nadar. C’est sans doute le célèbre cliché de ce dernier qui colle au mieux à ce qui seraient les derniers mots d’Hugo : « Je vois une lumière noire », mais, au mur, c’est la copie d’une délicate huile sur toile de Léon Bonnat qui fige l’écrivain pour la postérité.
Au-dessous, encore une idée de bricoleur, se trouve une écritoire que Victor avait fait surélever en y ajoutant des pieds, afin qu’il puisse écrire debout.
Un peu en retrait, un des gardiens évoque la petite histoire de la porte de service juste à gauche. C’est par là que ce sacré « queutard » d’Hugo introduisait dans son bureau sa jeune maîtresse Léonie d’Aunet, écrivaine elle-aussi et épouse du peintre François-Auguste Biard. Après avoir été dérangés par un domestique, les deux amants choisirent de s’ébattre désormais dans un hôtel du passage Saint Roch. C’est là qu’en juillet 1845, ils furent surpris en flagrant délit d’adultère. Hugo ne fut pas inquiété invoquant son inviolabilité due à son statut de pair de France. Léonie, elle, fut emprisonnée deux mois à la prison Saint Lazare avant d’être transférée au couvent des Dames de Saint-Michel. Même sans les paparazzi de Closer ou Gala, les grands de ce monde n’étaient pas à l’abri.

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Ma visite s’achève, je rebrousse chemin pour retraverser tout l’appartement. Les salons donnant sur la place des Vosges, alors baptisée place Royale, devinrent au temps de Hugo, un haut lieu de rencontre des personnalités littéraires et artistiques, Théophile Gautier, Alfred de Vigny, Alphonse de Lamartine, Alexandre Dumas, David d’Angers, Berlioz, Rossini, Listz, Prosper Mérimée, Sainte-Beuve pour lequel la pieuse Adèle Hugo, un tantinet lassée par l’insatiable appétit sexuel de son époux, manifesta une passion moins contraignante mais nullement platonique.

Maison Hugo Bug Jargal blogMaison HugoNotre Dame blogMaison Hugo vitrail blog

En redescendant l’escalier, je remarque une affiche d’une représentation théâtrale de Bug- Jargal tiré du premier roman qu’Hugo écrivit, en quinze jours, à l’âge de seize ans. La majeure partie de l’action se déroule à Saint-Domingue durant l’insurrection des Noirs de l’île en 1791. Il semblerait que cette œuvre de jeunesse (que je n’ai pas lue) suscite parfois des interprétations controversées.
Le 24 juin 1848, les Insurgés firent irruption dans l’appartement. À la suite de cet incident, quelques jours plus tard, Victor Hugo déménagea pour aller s’installer au 5 rue d’Isly.

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À l’accueil, en sortant, mes pensées s’envolent vers mes regrettés parents. Une affiche avec Gérard Philipe dans son costume de Ruy Blas me renvoie à ma maman qui adorait cet acteur. Elle l’avait vu précisément dans ce rôle sur une mise en scène de Jean Vilar au théâtre de Chaillot. On appelait cela du théâtre populaire … en écho aux jeunes ignares des réseaux sociaux évoqués plus haut !
Sur le comptoir de la boutique, je feuillette, mis en page dans un joli format de poche, le poème préféré de mon papa. Je l’entends encore le déclamer à ses élèves (dont je fis partie) et leur expliquer avec ferveur. Beaucoup d’entre vous, sont partis avec Hugo à l’heure où blanchit la campagne, à l’heure de la récitation aussi :

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »

Poème de deuil dédié à sa fille Léopoldine ! Pour avoir lu la biographie de mon père, vous savez que je pense à lui et à Hugo quand je me recueille sur la tombe familiale. Ce matin encore, l’émotion m’étreint.
Ô souvenirs ! printemps ! aurore ! Rappelez-vous encore :

« … Connaissez-vous, sur la colline
Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
Une terrasse qui s’incline
Entre un bois sombre et le ciel bleu ?

C’est là que nous vivions, – Pénètre,
Mon cœur, dans ce passé charmant ! … »

Le soleil a eu raison de la pollution. Il éclaire les façades des beaux hôtels particuliers de la place des Vosges que les arbres non encore feuillus ne masquent pas.

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« C’est le coup de lance de Montgomery qui a créé la Place des Vosges » écrivit Hugo, rapport à la pique mortelle envoyée dans l’œil du roi Henri II de France par le capitaine de sa garde écossaise, en ce lieu.
La construction de cette place, baptisée donc à l’origine place Royale, débuta en 1605 sous le règne de Henri IV. Le couteau de Ravaillac l’empêcha de la voir achevée. Elle est la sœur de la place Ducale de Charleville-Mézières grâce aux frères Métezeau, Louis pour Paris et Clément, qui en furent les architectes. Les principaux matériaux utilisés sont la brique rouge et la pierre de calcaire blanche pour les murs, l’ardoise bleue pour les toits.
Lors de la Révolution française, elle fut successivement appelée place des Fédérés, place du Parc d’Artillerie, place de la Fabrication-des-Armes et place de l’Indivisibilité. En 1800, elle est nommée place des Vosges en l’honneur du premier département à s’être acquitté de l’impôt sous la Révolution française. Le retour de la monarchie lui rendit son nom initial de place Royale. Elle redevint place des Vosges avec la Troisième République.

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La place fut inaugurée en 1612 à l’occasion des fiançailles de Louis XIII et Anne d’Autriche. En 1639, fut érigée une statue en bronze du roi à la demande du cardinal de Richelieu. Elle fut fondue à la Révolution pour en faire des canons. Un nouveau monument en marbre blanc a repris place en 1825 : Louis XIII y est représenté en empereur romain. Un tronc d’arbre est placé sous le ventre du cheval pour éviter l’affaissement.
Le temps de me rassasier de quelques nourritures terrestres, en l’occurrence un saucisson de Lyon chaud et des pommes de terre tièdes, dans un vieux bistrot du Marais, puis je pars vers le magnifique hôtel des archevêques de Sens, un des rares vestiges de l’habitat du Moyen-Âge à Paris. S’il portait ce nom, c’est qu’à cette époque (fin du XVème siècle), de nombreuses communautés religieuses s’étaient installées dans le quartier et Paris n’était qu’un évêché dépendant de l’archevêché de Sens.

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L’hôtel fut prêté, en 1605, au roi Henri IV pour qu’il puisse reloger son ex, Marguerite de Valois, la célèbre Reine Margot. Ainsi, durant huit mois, il devint un hôtel de sens … très, très, très en éveil !
Il abrite, depuis la fin du XIXème siècle, la bibliothèque Forney spécialisée dans les collections autour des arts décoratifs, des métiers d’art et de leurs techniques, des beaux-arts et arts graphiques.
Rien d’étonnant donc à ce qu’elle nous convie à une exposition sur le textile.

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Plus qu’une exposition, c’est un voyage de rêve en bleu autour du monde dans des pays où le quotidien se teint en bleu indigo. Je me sens un peu passager clandestin parmi la très large majorité féminine des visiteurs mais j’arriverai quand même à bon port.
L’indigo, la « septième couleur » de l’arc-en-ciel, est un pigment végétal connu depuis plus de 4 000 ans extrait des feuilles de diverses plantes tout à fait vertes que l’on nomme « plantes à bleu ». Les indigofera sont plus à l’aise dans les milieux tropicaux tandis que le pastel, isatis tinctoria, est plus adapté aux climats tempérés.
Aux XVème et XVIème siècles, la culture du pastel, aussi appelé guède, était très prospère entre Carcassonne, Albi et Toulouse (le pays de Cocagne) d’où son nom vernaculaire d’herbe du Lauragais. On le surnommait aussi l’or bleu du fait de ses fleurs jaunes et de son commerce lucratif. Il fut supplanté par la suite par le pigment indien au taux d’indigotine trente fois supérieur, puis à la fin du XIXème siècle, par un indigo de synthèse mis au point par l’industrie chimique allemande.
Jusqu’au milieu du siècle dernier, le paysan, le pêcheur, l’ouvrier, portaient des vêtements de travail bleus, tabliers, blouses, vestes, vareuses, casquettes. Ne parlait-on pas couramment de bleus de travail ?
Dans une de ses lettres de Nuenen, Vincent Van Gogh écrivait à son frère Théo : « Je suis toujours à la recherche du bleu. Les figures de paysans, ici, en règle générale, sont bleues. Dans le blé mur, ou se détachant sur les feuilles sèches d’une haie de hêtres, de sorte que les nuances dégradées de bleu sombre et de bleu clair reprennent de la vie et se mettent à parler en s’opposant aux tons dorés ou aux bruns rouges, cela c’est très beau, et dès le début, j’en ai été impressionné. Les gens d’ici portent aussi instinctivement des vêtements du plus beau bleu que j’aie jamais vu. C’est du drap rude qu’ils tissent eux-mêmes, le fil de chaîne est noir, la trame bleue et cela donne des dispositions lignées de noir et de bleu. Quand ces étoffes passent de ton et sont décolorées par le temps et la pluie, elles prennent un ton fin extrêmement doux, bien fait pour relever les couleurs de la chair. Un ton tout juste assez bleu pour réagir sur toutes les couleurs dans lesquelles il y a des éléments cachés d’orange et assez décoloré pour ne pas faire hurler »

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Il est émouvant de retrouver la biaude berrichonne de tous les jours et la blaude normande du dimanche brodée. Je me souviens que mes aïeux paysans les portaient.
Un peu plus loin, une veste d’homme en toile de coton dite toile de Nîmes, tissée dans la région gardoise, exportée par le port de Gênes, rappelle qu’elle est l’ancêtre du denim (« de Nîmes ») le tissu du mythique blue jean, celui des cow-boys dans les westerns, celui des rockers des années 60.

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La salle suivante est dédiée à l’Asie, et pour commencer à l’aizome, le « bleu japonais ».
« L’aizome représente le bleu du ciel, de l’eau, de la mer et du Japon » affirme un vieil adage. C’était la teinte préférée des samouraïs. Elle fut ensuite utilisée pour les kimonos et les vêtements de travail aux champs. Elle aurait un effet répulsif pour les serpents et insectes. On dit encore que les livres anciens recouverts d’indigo posséderaient un excellent état de conservation. L’indigo trouverait aujourd’hui principalement son usage dans les arts martiaux.

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Dans la Chine du sud-ouest, l’histoire et l’identité de chaque ethnie se brodent ou s’impriment sur l’étoffe indigo. Les femmes Miao, Buyi, Dong, Shui, Gejia sauvegardent les traditions vestimentaires. Hommes, femmes et enfants sont habillés en bleu de la tête aux pieds. Et les visiteuses de l’exposition collent leur nez sur les tissus pour en apprécier toute la délicatesse.

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L’Afrique de l’Ouest possède ses propres plantes à bleu, telles l’indigofera arrecta en brousse et une liane buissonnante l’indigo yoruba.

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La dernière salle nous emmène en Inde et en Amérique.
L’Inde est le berceau de la variété la plus répandue l’indigofera tinctoria. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’origine du mot indigo vient d’Inde.
Longtemps, l’Inde fut le principal producteur de ce pigment qui était commercialisé et exporté sous forme de blocs de sédiment séché, ce qui fit penser à certains que l’indigo était une pierre.

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Je m’intéresse particulièrement à la partie consacrée à l’Amérique latine pour avoir, du temps où je vécus à Mexico, fréquenter les villages des Chiapas et du Guatemala où se fabriquent ces merveilleux tissages. Certains illuminent encore mon domicile.
Bien avant la noche triste du 30 juin 1520 avec l’arrivée des Espagnols d’Hernan Cortès, les Aztèques connaissaient les propriétés d’une haute herbacée, l’indigofera suffruticosa ou xiquilite qui donne la tinta añil.
Les spécialistes de la couleur évoquent aussi un bleu maya issu de la région des Chiapas, un mélange d’indigo et d’argile qui était utilisé pour les fresques.
Je toucherais presque les tissus exposés tant ils me semblent encore familiers. Je me remémore une journée à Aguascalientes, à quelques kilomètres d’Antigua Guatemala, au milieu de des femmes en train de tisser à la main leurs huipiles chamarrés. Je me souviens aussi de la descente à pied jusqu’aux hameaux sur les rives du lac Atitlan surplombé par trois volcans. Là aussi, je fis emplette de tissus de ces femmes mayas Tz’utujil avant de remonter sous un extraordinaire coucher de soleil. Inoubliable !
Je ne suis pas certain que je pourrais effectuer pareille promenade aujourd’hui encore que, à l’époque, le couvre-feu était déjà de mise, guerre civile oblige.

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Sur des écrans et des panneaux didactiques, sont expliqués tous les processus qui mènent, à travers le globe, des plantes à bleu jusqu’aux tissus. Je suis admiratif de l’ingéniosité et du savoir-faire ancestral de toutes ces femmes, malheureusement en voie de disparition. Allez, l’indigo doit être inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO !
Le temps de la visite, la pollution a repris le dessus sur le bleu du ciel.
N’empêche, si vous êtes curieux, il y a toujours quelque chose à découvrir dans le Marais. Ainsi, se dresse, à l’angle des rues de Jouy et de Fourcy, une jolie sculpture d’un rémouleur affûtant ses outils.

Rémouleur blog

L’œuvre originale, polychrome, se trouve, non loin de là, au musée Carnavalet qui conte l’histoire de Paris. Il s’agit d’une copie d’une enseigne datant de 1767 indiquant qu’un rémouleur tenait boutique « Au gagne-petit », en compagnie d’un marchand de vin, si l’on fait référence au verre que l’artisan tient dans sa main gauche.
Plus loin, en face de l’ancien marché des Blancs-Manteaux, une plaque sur le mur de l’école élémentaire des Hospitalières-Saint-Gervais retient mon attention : « À Joseph Migneret instituteur et directeur de cette école de 1920 à 1944 qui par son courage et au péril de sa vie sauva des dizaines d’enfants juifs de la déportation ».
En juillet 1942, la Rafle du Vel’ d’Hiv’ menée par les policiers parisiens toucha durement les enfants et les enseignants de l’école. À la rentrée scolaire, le 1er octobre 1942, il n’y avait que 4 élèves présents. La plupart des enfants et leurs parents furent déportés à Auschwitz, et 165 élèves juifs de cette école y périrent.
Joseph Migneret s’engagea activement dans la Résistance, fabriquant des faux papiers et cachant des enfants chez lui. Il mourut peu après la guerre « de tristesse au constat de ce qui a été fait à ses élèves ». Il a été admis au nombre des Justes parmi les nations.
Ce type de plaque est tristement fréquent sur les façades des écoles de Paris et, particulièrement, dans le Marais. Le Pietzl (petite place en yiddish, par opposition à la grande place des Vosges) est le quartier juif le plus célèbre de la capitale et date du XIIIème siècle.
Des synagogues, librairies hébraïques, restaurants, boucheries casher, marchands de falafels abondent toujours. Souhaitons qu’un antisémitisme détestable ne pousse pas ces commerçants à baisser le rideau et fuir.

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Sur le mur de l’école, surgissent curieusement deux têtes de taureaux d’aspect assyrien grandeur nature. En fait, à l’origine (1819), ce bâtiment scolaire était la halle de la boucherie distincte du marché des Blancs-Manteaux juste en face. L’artiste Edme Gaulle avait sculpté de chaque côté de l’entrée, deux fontaines avec l’eau sortant des deux têtes de taureaux en bronze décorées de fruits et de pendentifs.
Et un, et deux, et trois musées ! Je rejoins maintenant le musée de la Chasse et de la Nature installé dans les hôtels de Guénégaud, chef-d’œuvre de François Mansart, et de Mongelas.
En y réfléchissant bien, mon goût pour ce lieu que j’ai déjà visité plusieurs fois, vient possiblement de mon enfance et de la lecture des romans de Maurice Genevoix. Cet écrivain et académicien à l’humeur exquise, à la belle langue poétique, très prisé dans ma jeunesse, trop oublié aujourd’hui, célébra la beauté vivante de l’animal et de la nature dans de nombreuses œuvres : Raboliot bien sûr, prix Goncourt en 1925, mais aussi La dernière harde avec son héros le cerf Rouge, La forêt perdue, plusieurs Bestiaires, le chaton Rroû.
Je ne sais plus qui décrivit Maurice Genevoix comme « une sorte de Montaigne qui promènerait ses pensées non dans la bibliothèque de sa tour, mais le long de la rivière ou bien dans la forêt ». Ses livres sont toujours à portée de main sur mes étagères quand je désire me replonger dans quelques pages au style ciselé.
Il se régalerait notre délicieux Maurice, aujourd’hui, en parcourant l’exposition Les Chasses nouvelles qui mettent en perspective des œuvres de Jean-Baptiste Oudry, célèbre peintre et graveur animalier de la première moitié du XVIIIème siècle et les travaux du jeune artiste contemporain Julien Salaud.

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Jean-Baptiste Oudry était un observateur de la nature. Il étudiait et dessinait sans relâche dans les forêts royales de Saint-Germain, Chantilly et Compiègne. Peintre des chasses, il savait restituer la beauté du pelage ou du plumage du gibier mort ou vif.
Nommé peintre de la manufacture de Beauvais en 1726, Oudry donna l’année suivante six cartons destinés à remplacer ceux de la tenture des Petites chasses et verdures. Dans ces Chasses nouvelles faites de laine et de soie, le loup, le renard, le cerf et le sanglier sont figurés dans des clairières, à proximité de cours d’eau. Leur mise à mort par les chiens constitue le sujet principal, les hommes d’équipage étant représentés comme de simples spectateurs de la violence et la souffrance animales. Ces remarquables tissages évoquent le prestige de la chasse à cette époque, réservée aux élites, qu’il s’agissait donc de montrer « bellement ».

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Pour dialoguer avec ces tapisseries d’exception, Julien Salaud en appelle à la taxidermie et met en scène un cerf élaphe en majesté qui semble s’être échappé des tissages. Son pelage scintille de minuscules perles de rocaille et ses bois sont prolongés par des branchages naturels.
Métaphoriquement, cela rejoint la description du héros le cerf Rouge de Genevoix : « la beauté de ses lignes en mouvement, de sa couleur, de sa couronne puissante et rameuse … sa haute et fine silhouette, ses jambes jointes, sa tête dressée soulevant sa ramure. Entre ses bois scintillaient les étoiles ».
Les romans de Genevoix dégageaient un esthétisme cynégétique. L’écrivain n’ignorait pas la mort, il l’avait tellement tutoyée lui-même aux Éparges et racontée aussi dans son émouvant ouvrage Ceux de 14, mais, avant tout, il louait la beauté de la forêt où évoluait la harde.
Il m’est arrivé lors d’une promenade en forêt de Rambouillet d’assister au dénouement d’une chasse à courre avec l’hallali du cerf épuisé dans la mare Vilpert, la meute aboyant. J’ai préféré bien sûr la fois où, caché derrière un arbre, dans le silence du bois, j’observais la harde se déplacer lentement.

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Dans la salle voisine, le jeune plasticien associe une double créature à deux tapisseries de la série Petites chasses et verdures traitant de la fauconnerie et de la chasse au sanglier. Son Faisanglier est constitué du corps du sanglier harnaché de longues plumes bariolées du volatile.

FaisanglierMusée Chasse blog8 faisanglierMusée Chasse blog9 faisanglier

Jean-Baptiste Oudry s’attacha à l’illustration des fables de La Fontaine entre 1729 et 1734. Ce sont des dessins à la plume et au pinceau, à l’encre noire et au lavis.
Il y a quelques années, j’avais admiré dans ce même musée d’étranges « fables » imaginées par la photographe allemande Karen Knorr. Plutôt que travestir les animaux pour parler des hommes et dénoncer leurs travers, elle photographia (réellement ou par incrustation numérique) des animaux naturalisés (parfois vivants) investissant leurs intérieurs luxueux : un musée « contre nature » le temps d’une exposition.
J’ignore si ce cerf était rouge … de confusion de voir une Diane chasseresse dénudée poser à ses côtés. Á moins qu’il ne fût tout simplement Actéon, le jeune chasseur qui, selon la mythologie grecque, fut transformé en cerf après qu’il eût surpris au bain Artémis, la déesse de la chasse, assimilée à la Diane des romains.

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Les animaux se plaisent au musée. À chacune de mes visites, je m’attendris devant un renard qui se prélasse dans un fauteuil Louis XVI tel un animal domestique. Il est vrai que le héros du roman médiéval éponyme écrit en octosyllabes mérite mieux qu’un vulgaire terrier.

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Maurice Genevoix écrivit une adaptation du Roman de Renart. Il vouait pour le goupil « une amitié obscure, profonde et chaude », celle-là même qui emplit peut-être mon bref billet du 16 janvier 2008 (http://encreviolette.unblog.fr/2008/01/16/le-renard/)
Je poursuis ma déambulation à travers le musée. À l’arrêt comme un chien de chasse, je contemple les trésors picturaux accrochés aux cimaises : outre Oudry, on retrouve de ci delà des œuvres d’André Derain, Chardin, François Desportes, Albrecht Dürer, Cranach l’Ancien et même un tableau à quatre mains de Pier-Paul Rubens et Jan Brueghel l’Ancien dit de Velours.

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Une salle est consacrée à l’exposition Trophées subjectifs de Pierre Abensur. Curieusement, le photographe nous présente une série de portraits composés selon le même procédé. Son sujet, l’homme prédateur, au centre du paysage, son territoire de chasse, nous fait face avec son trophée, l’animal empaillé : une trilogie qui pose bien des questions.

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Acte sans doute délibéré, je traverse sans m’y arrêter la salle réservée aux armes.
Je m’inscris maintenant dans un cercle d’enfants attentifs aux explications d’une conférencière devant l’original du célèbre tableau La Lice allaitant ses petits, peint par Jean-Baptiste Oudry pour le Salon de 1753.

Musée Chasse blog La Lice d'Oudry et le chien de Koons

À l’époque, le chien n’était pas encore le meilleur ami de l’homme. On ignorait tout ou presque de son instinct maternel. Descartes parlait même d’animaux-machines. Oudry lui-même l’avait jusqu’alors représenté dans ses toiles, dans un comportement sauvage, débusquant le gibier ou se disputant les abats avec ses congénères.
Il lui revint la tâche d’immortaliser les chiennes favorites de Louis XV. La Lice allaitant ses petits n’appartient pas à la prestigieuse série de portraits des chiens royaux mais il apparut comme un tableau révolutionnaire et connut un succès considérable. Mettant en scène la maternité, il attribuait à l’animal la vigilance et l’inquiétude d’une mère. Certains critiques osèrent comparer le tableau à la Sainte famille de Rembrandt.
Presque trois siècles plus tard, l’Assemblée nationale vient de s’exprimer en faveur d’un statut juridique des animaux domestiques leur reconnaissant un caractère d’être sensible.
Sur la commode au-dessous du tableau ovale, je repère le « chien-chien » au plasticien américain Jeff Koons, celui-là même qui avait suscité la polémique avec ses clowneries de balloon dogs installés dans la Galerie des glaces du château de Versailles.
Ce mois-ci, à l’Assemblée nationale encore, dans un projet de loi Biodiversité, a été rejeté un amendement visant à reconnaître les animaux sauvages comme des êtres sensibles. De ce fait, les délits d’actes de cruauté ou de maltraitance à leur encontre ne sont pas applicables donc non punissables.
Est-ce pour montrer son courroux devant cette décision que se dresse le gigantesque ours blanc de la salle voisine ? Je ne préfère pas affronter non plus l’ire du locataire de l’étage supérieur.

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Le musée de la Chasse et de la Nature n’est pas un espace vieillot simple témoin d’une activité ancestrale. Ses nombreuses animations, expositions, conférences et concerts, témoignent de sa volonté, outre de célébrer la chasse par les arts, d’amener les visiteurs à repenser le rôle de l’homme face à la nature et l’animalité. En croisant les disciplines, il cherche à susciter une réflexion sur les usages et les représentations de la nature.
Le musée publie même une intéressante revue semestrielle dont le nom Billebaude me renvoie à un joli roman de Henri Vincenot. Le truculent écrivain bourguignon, merveilleux conteur par ailleurs, évoquait son enfance en Bourgogne, dans les années vingt, puis ses études à la ville, avant de nous entraîner au hasard des promenades et des parties de chasse dans les bois qu’il aimait tant.
L’art de chasser à la billebaude, c’est aller à la rencontre devant soi, sans plan arrêté, un peu comme j’ai chassé l’art ce samedi-là.

« Il était cinq heures du matin
On avançait dans les marais
Couverts de brume …
… Avec mon fusil dans les mains
Au fond de moi je me sentais
Un peu coupable
Alors je suis parti tout seul
J’ai emmené mon épagneul
En promenade
Je regardais
Le bleu du ciel
Et j’étais bien »

Ce n’est sûrement pas moi le chasseur de Michel Delpech, avec un fusil dans les mains. Il est cinq heures de l’après-midi, j’avance dans le Marais. Je suis bien même si la pollution me masque le bleu du ciel … En retournant vers la place des Vosges, quoi de mieux qu’une ballade de Victor Hugo pour achever ma balade ? Il composa en janvier 1828 La Chasse du Burgrave, un poème où il s’amuse avec les rimes échos :

« … Voilà ce que dit le burgrave,
Grave,
Au tombeau de saint-Godefroi,
Froid.

«Mon page, emplis mon escarcelle,
Selle
Mon cheval de Calatrava ;
Va !

Piqueur, va convier le comte.
Conte
Que ma meute aboie en mes cours.
Cours !

Archers, mes compagnons de fêtes,
Faites
Votre épieu lisse et vos cornets
Nets.

Nous ferons ce soir une chère
Chère ;
Vous n’y recevrez, maître-queux,
Qu’eux.

En chasse, amis ! je vous invite.
Vite !
En chasse ! allons courre les cerfs,
Serfs !»

Il part, et madame Isabelle,
Belle,
Dit gaiement du haut des remparts :
«Pars !»

Tous les chasseurs sont dans la plaine,
Pleine
D’ardents seigneurs, de sénéchaux
Chauds.

Ce ne sont que baillis et prêtres,
Reîtres
Qui savent traquer à pas lourds
L’ours,

Dames en brillants équipages,
Pages,
Fauconniers, clercs, et peu bénins
Nains.

En chasse ! – Le maître en personne
Sonne.
Fuyez ! voici les paladins,
Daims.

Il n’est pour vous comte d’empire
Pire
Que le vieux burgrave Alexis
Six !

Fuyez ! – Mais un cerf dans l’espace
Passe,
Et disparaît comme l’éclair,
Clair !

«Taïaut les chiens, taïaut les hommes !
Sommes
D’argent et d’or paieront sa chair
Cher !

Mon château pour ce cerf ! – Marraine,
Reine
Des beaux sylphes et des follets
Laids !

Donne-moi son bois pour trophée,
Fée !
Mère du brave, et du chasseur
Sœur ! … »

Publié dans:Coups de coeur, Leçons de choses |on 1 avril, 2015 |2 Commentaires »

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