Au départ de Paris-Nice 2015 à Maurepas

N’en déplaise à quelques uns de mes lecteurs, mon département d’adoption des Yvelines se révèle être une terre de cyclisme. Ainsi, après que les championnats du monde sur piste se fussent déroulés, il y a un mois, à une lieue de chez moi, sur le tout nouveau vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, c’est la course par étapes Paris-Nice qui démarrait, ce dimanche, avec un prologue dans la commune de Maurepas, distante de mon domicile d’environ un kilomètre. L’aubaine était trop belle d’autant plus que la météo particulièrement printanière était au rendez-vous de cette épreuve surnommée, parfois abusivement, la course au soleil. Pour la première fois de la saison, pour rejoindre le parcours, j’ai donc enfourché mon vélo, tout de même plus perfectionné que les bécanes éparpillées par les organisateurs sur tout le trajet.

bécane blog

À deux reprises déjà, je vous ai entretenu de cette course mythique en y mettant cependant les formes pour ne pas exaspérer les réfractaires à la légende des cycles. Ainsi, j’avais eu recours à Anne de Bretagne et au musicien Maurice Ravel lors du départ de l’édition 2010 à Montfort-l’Amaury (voir billet Le beau vélo de Ravel du 11 mars 2010) ; de même, en 2011, j’avais été plus prolixe sur les cocottes de Houdan que celles de freins (voir billet du 8 mars 2011 Les mains aux cocottes ou Ah si vous connaissiez ma poule de Houdan !). « Les gens qui n’aiment pas le vélo nous ennuient, même quand ils n’en parlent pas » brocardait Michel Audiard. Ils n’y échapperont pas encore une fois, d’autant plus, que pour narguer (ou draguer ?) un de mes « admirateurs », rébarbatif à la chose pédalante, la petite reine a choisi de traverser un hameau qui lui est cher. J’ai souvent pensé que le cyclisme, spectacle populaire et gratuit qui va à la rencontre de son public, pourrait constituer un excellent thème de travail avec les élèves de primaire voire de collège. Ceux qui ont lu mon récent billet (11 février 2015) à propos du livre L’échappée de Lionel Bourg ont pu remarquer une photographie pittoresque montrant des écoliers d’un village normand avec leur pupitre dehors au bord de la route d’un Tour de France des années 1950. Comme un clin d’œil aux valeureux hussards de la République, pour nourrir mon propos, je pense au premier d’entre eux qui investit en 1895 l’ancienne mairie école de Maurepas (édifiée sur un terrain offert par la marquise d’Havrincourt) devant laquelle passeront bientôt les 160 coureurs. Il s’appelait Victor Décauchereux et rédigea en 1899 une monographie recouvrant onze siècles d’histoire locale.

Mairie ecole Maurepas blogmairie école Maurepas blog

C’était l’époque où, dans la perspective notamment de la future Exposition universelle de 1900, le ministère de l’Instruction recommandait la réalisation d’une monographie communale par chaque instituteur. Ces initiatives se poursuivirent fréquemment durant la première moitié du vingtième siècle et nombre d’élèves-maîtres des Écoles Normales apportèrent aussi leur contribution. Je fus effaré par le manque de respect et d’intérêt, quant à la conservation de ces travaux parfois de grande valeur, manifesté par certaines autorités pédagogiques tellement empressées de dépoussiérer les Écoles Normales en les remplaçant par les feus (déjà) Instituts de Formation Universitaire des Maîtres (IUFM). C’est aussi cela le progrès et l’innovation ! Selon les avis autorisés, la course Paris-Nice subirait, du moins cette année, une certaine désaffection des plus grands champions plus enclins à débuter la saison en s’engageant dans son homologue italienne Tirreno-Adriatico disputée aux mêmes dates, essentiellement à cause de conditions climatiques, en principe, plus clémentes. Mal leur en a pris, les violentes intempéries qui ont frappé le sud de l’Italie, ces derniers jours, ont obligé les organisateurs à en modifier l’itinéraire. Bien fait ! Il ne fallait pas bouder notre douce France. Je devine la mine circonspecte de nombreux collégiens (et d’adultes) si on leur demandait de localiser sur le globe les mers Tyrrhénienne et Adriatique ; c’est donc une bonne occasion de réviser la géographie de l’Italie. En effet, la mer Tyrrhénienne est la partie de la Méditerranée comprise entre la Corse et la Sardaigne à l’ouest, la Sicile au sud et l’île d’Elbe au nord tandis que la mer Adriatique mouille le mollet de la botte entre les péninsules italienne et balkanique. Je vous ai prévenu, vous n’allez pas pédaler idiot ! La qualité supposée moindre des concurrents au départ de « notre » course au soleil » est tout à fait relative : ainsi, les initiés relèvent la présence du Polonais Michal Kwiatkowski champion du monde sur route en titre, du Britannique Bradley Wiggins actuel champion du monde contre la montre et ancien vainqueur du Tour de France, du Norvégien Alexander Kristoff vainqueur l’an dernier de la Primavera (la fameuse classique Milan-San Remo évoquée dans un billet du 18 septembre 2014), du champion de France Arnaud Demare et de Jean-Christophe Péraud second du dernier Tour de France. Participe également l’Australien Rohan Dennis qui vient de battre, quelques jours auparavant, dans une presque confidentialité, le record de l’heure sur la piste de Granges, commune suisse dont l’économie est justement centrée sur l’horlogerie. Il a parcouru en soixante minutes 52,491 kilomètres soit 6 332 mètres de plus que mon idole Jacques Anquetil lors de sa tentative victorieuse, en 1956, sur le vélodrome Vigorelli de Milan, contre le record mythique du campionissimo Fausto Coppi. Hors toute partialité héritée de mon enfance, je suis en droit de manifester plus de scepticisme que d’admiration sur l’amélioration de la race vélocipédique !

pancartebois Prudhomme blog

Le prologue consiste en une épreuve contre la montre sur un parcours en partie tracé, cocasserie toponymique, autour du bois Prud’homme, du nom de l’ancien journaliste sportif et actuel directeur du Tour de France, Paris-Roubaix et Paris-Nice. Les coureurs s’élancent de minute en minute à proximité du centre commercial Auchan PariWest (excusez ce faux anglicisme en cette semaine de la langue française !) avant d’effectuer une virée, aux champs, de 6,7 km par les hameaux et le vieux village, puis revenir au centre de la ville nouvelle, manière de faire en quelques tours de pédales, un saut de plusieurs siècles dans l’histoire de la commune. Maurepas, modeste bourg agricole de 350 âmes en 1962, compte aujourd’hui près de 19 000 habitants, les champs et les prairies ayant cédé en partie la place à une urbanisation massive, mais cependant assez bien maîtrisée, consécutive à la création de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines au début des années 1970. Le slogan « une ville à la campagne » en tête de la revue municipale mensuelle n’est pas usurpé. Le nom de la commune vient du latin Mala Repasta devenu Malrepast au début du Moyen-Âge et finalement Maurepas à la Renaissance. Selon les sources, les interprétations divergent : mauvais repaire (endroit où on est mal reçu), mauvais passage dû à la présence de zones marécageuses, ou encore, peut-être plus justement, mauvaise pâture corroborée par l’existence des lieux dits voisins de la Malmedonne et des Champs pourris. Anachronisme du sport spectacle en représentation : les destriers sur leurs machines à pédaler futuristes, véritables hommes sandwichs pour la Quick Step société belge de revêtements de sol, la Cofidis organisme de crédit en ligne, la Movistar spécialiste espagnol de télécommunications mobiles, le team Sky opérateur britannique de télévision par satellite, Garmin entreprise américaine de systèmes de navigation par GPS – seule la société suisse BMC semble fabriquer des vélos ! – luttent pour la conquête d’un maillot jaune parrainé par le Crédit Lyonnais dans un décor champêtre aux noms poétiques de chemins de la Mare du Bois et des Chaudes Vallées, de Parc aux Loups et butte au Maréchal. Fi du radar fixe situé peu après le départ sur le plateau, ils dévalent à plus de soixante à l’heure la rue de la Butte Rouge, une chaussée, à travers bois, faite de déblais et remblais lors de la construction de la ville nouvelle, sans aucun lien avec la célèbre chanson de Montéhus.

Nizzolo côte blog

Aux beaux jours, l’instituteur Victor Décauchereux emmenait sans doute ses élèves jusqu’au bout de la rue de l’école pour les éveiller au relief de leur commune. Le point de vue est exemplaire pour une telle étude géomorphologique : le rebord du plateau avec le vieux village, le versant boisé du bois Prud’homme s’inclinant mollement jusqu’au large fond de vallée occupé par la plaine agricole de Villeneuve où courent le ru de Maurepas et … cet après-midi, les « géants de la route ».

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Le long faux plat de plus en plus montant à partir du bucolique cimetière à l’écart du village va enterrer les illusions de beaucoup d’entre eux. La Grande Illusion, c’est le chef-d’œuvre de Jean Renoir sorti sur les écrans en 1937. C’est l’idée que la première guerre mondiale est la dernière, c’est aussi l’illusion que chacun se fait du rôle qu’il joue dans l’existence, ce qui fit dire à François Truffaut que le film aurait pu aussi bien s’intituler La règle du jeu, un autre chef-d’œuvre de Renoir et du cinéma mondial. Souvenez-vous de l’officier allemand de La Grande Illusion aux côtés du lieutenant Maréchal (rien à voir avec la butte !) interprété par Jean Gabin et du capitaine de Bœldieu alias Pierre Fresnay. Cet homme inquiétant au crâne rasé, à la minerve autour du cou, un monocle sur l’œil droit, est l’immense acteur américain, d’origine autrichienne, Erich Von Stroheim. Il résida à Maurepas, y mourut en 1957 et repose dans le cimetière du village à l’ombre de cyprès.

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Figurant dans Naissance d’une nation de D.W. Griffith, film muet (1915) mythique de l’Histoire du cinéma, Von Stroheim connut une riche carrière d’acteur et réalisateur. Il reçut un Oscar, en 1951, pour son second rôle dans le film hollywoodien Sunset Boulevard. La route de Villeneuve, c’est un peu le Boulevard du Crépuscule pour l’ancien vainqueur du Tour l’anglais Bradley Wiggins qui a décidé de tirer sa révérence à l’issue du prochain Paris-Roubaix.

Bradley Wiggins blog

Lecteurs et lectrices de ma génération, souvenez-vous du temps de la communale et du collège. Peut-être, comme moi, eûtes-vous quelques enseignants dynamiques qui, de leur propre initiative ou dans le cadre de l’Union Française des Œuvres Laïques d’Éducation par l’Image et le Son (UFOLEIS), diffusaient en classe des copies 16mm de films.

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C’est comme cela que j’ai vu au moins une dizaine de fois le mémorable film de Christian- Jaque, Les Disparus de Saint-Agil. Qui ne vibra pas devant les tribulations nocturnes des jeunes membres de la société secrète des Chiches Capons ? Je vous offre l’extrait où les trois collégiens (l’un d’eux est Mouloudji !) intronisent monsieur Walter, leur austère et inquiétant professeur d’Anglais, interprété par … eh oui, Erich Von Stroheim.

https://www.dailymotion.com/video/x2v0k7

La confrérie des coureurs cyclistes de Paris-Nice possède également son disparu … ou presque. En effet, les minutes s’égrènent sans que n’apparaisse Geoffrey Soupe, jeune Bressan de la société Cofidis, pourtant ex vice-champion d’Europe du contre la montre dans la catégorie des moins de 23 ans. Victime d’une angine, il finira dernier à quatre minutes et abandonnera le lendemain. Pour le seul plaisir du jeu de mot (laid), je pourrais dire qu’il a trop « salé la soupe » (« absorber des produits dopants » dans le jargon cycliste) mais ne comptez pas sur l’amoureux du vélo pour cracher dans cette soupe ! D’ailleurs, pour m’excuser de mon mauvais esprit, je vous offre un sketch hilarant des Deschiens : vélo et littérature, des élèves qui ne lisent pas, des parents qui s’arrachent les cheveux, bref, la totale !

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Pour mieux apprécier les coureurs dans leur effort solitaire, je me poste à un endroit stratégique du parcours, le raidard qui les amène au pied des ruines de l’ancien château fort.

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C’est presque une nécessité de posséder un donjon pour accueillir le départ de la course au soleil dans les Yvelines : après Montfort-l’Amaury et Houdan, c’est au tour de Maurepas. Les trois forteresses avaient la même fonction de protéger des invasions la voie de Normandie à Paris. La véritable histoire de Maurepas commence au VIIIème siècle. Les terres de Malrepast appartiennent alors au roi de France Pépin le Bref qui les donne à l’abbaye de Saint-Denis en 768. L’abbé dionysien, face au danger normand (je ne suis arrivé là pourtant que 12 siècles plus tard !), décide de céder la châtellenie à une famille locale susceptible de la défendre efficacement. Cette famille prend alors le nom de Malrepast et construit sur la butte sa demeure en bois autour de laquelle les paysans se regroupent. Au XIème siècle, à la construction de bois succède une enceinte avec un donjon en meulière (matériau local) pour résister aux invasions, pillages et incendies. Avec la guerre de Cent ans, sous le règne de Charles VI, le château est abandonné et devient le repaire (ce fut donc aussi un mauvais repaire) de brigands commandés par un drôle de seigneur Haymon de Massy. C’est le Comte d’Arundel, seigneur de Maltravers et lieutenant général du roi d’Angleterre qui met fin à cette situation en 1432 en prenant la maison forte. Il envoie même 1200 archers et 400 lanciers chargés de détruire le donjon de moitié dans le sens de la hauteur, pour en empêcher la reconstruction !

Donjon coupé Maurepas blog

Après la guerre, le domaine de Maurepas fut restitué à la famille de Chevreuse avant de devenir par la suite propriété du duc d’Étampes puis du cardinal de Lorraine. Heureusement qu’une voiture suiveuse affiche sur la calandre le nom des coureurs car il est compliqué de les reconnaître tant ils se dissimulent dans leurs combinaisons moulantes couvertes de publicité, derrière leurs lunettes polarisantes et sous leurs casques profilés. Le survol d’un hélicoptère et la présence d’un caméraman juché sur une moto auprès de certains, laissent penser qu’il s’agit de candidats potentiels à la victoire. Erviti côteblog

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En constante recherche d’aérodynamisme, ils sont rares à lever les fesses de la selle dans ce « coup de cul » (élévation de la route sur une courte distance). Pour l’avoir fréquemment grimpé tant bien que mal, je comprends la valeur athlétique de leur performance. Ce ne sont pas les vociférations de leur directeur sportif dans la voiture suiveuse qui auraient beaucoup amélioré ma progression !

Minard côteblog

Dayer Quintana côte blogKristoff côteblogMarcel Sieberg côteblog

Un qui se la court pépère, préférant ménager ses forces pour l’étape en ligne du lendemain, c’est Nacer Bouhanni. Presque incognito dans son maillot rouge de la Cofidis, il est pourtant l’un des deux meilleurs sprinters du cyclisme français. En 2012, il est devenu le premier Français d’origine africaine (racines algériennes) à remporter le championnat de France sur route. C’est aussi cela l’identité nationale !

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Le jeune italien Niccolo Bonifazio n’a pas le temps d’implorer la vierge à l’enfant qui joue les madones ou les piétas de circonstance devant l’église Saint-Sauveur. Il est fait mention dès le XIème siècle d’une chapelle seigneuriale qui appartenait à un ensemble de bâtiments autour du donjon. En pierre de meulière, elle correspondait au chœur roman de l’édifice actuel.

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En 1659, la duchesse de Chevreuse Marie de Rohan commanda deux cloches imposantes. L’une fut transférée et sans doute fondue, à la Révolution, à Montfort-l’Amaury. Quant à l’autre, non seulement, elle sonne mais elle parle aussi : « J’ay esté fondue en l’an 1659 et fut nommée Marie par très haulte et très illustre princesse madame Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, comtesse de Charollois, ma mareine et par très puissant seigr Mre Lovis Charles d’Albert, duc de Luynes, pair de France, son fils, mon parein. J’ai esté bénite par Mr Olivier Vallet pre curé de Morepas. Pierre Bertin Marg. » Elle ne revint pas de son séjour à Rome pour les fêtes de Pâques 2010. Avec le soutien du conseil municipal, elle serait en passe de rentrer au bercail.

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En France, Martin, Thomas et Richard sont les patronymes les plus courants, au Danemark, prolifèrent les Jensen, Nielsen ou Sørensen, fils de Soren. Jusqu’au dix-neuvième siècle, les noms n’étaient pas héréditaires et changeaient à chaque génération. Les hommes du Nord nommaient volontiers leur progéniture d’après le prénom d’un parent décédé ou d’un héros, croyant que l’enfant hériterait des talents ou vertus de l’aïeul. Une flopée de Sørensen a déferlé dans le cyclisme, notamment un prénommé Rolf qui inscrivit à son palmarès de grandes classiques comme le Tour des Flandres, Liège-Bastogne-Liège et Paris-Tours ainsi que deux Tirreno-Adriatico et une médaille d’argent aux Jeux Olympiques. Il en est d’autres qui s’illustrèrent dans des disciplines plus savantes tels Peder, un alchimiste du XVIème siècle disciple de Paracelse, et Søren créateur de l’échelle de pH (potentiel hydrogène) mesurant l’acidité et la basicité des solutions.

Du sport Au « Café des sports » : Lever de coudes

Haïku gag en guise de clin d’œil dans le virage à l’ami poète Per Sørensen dont j’ai vanté la langue réjouissante dans plusieurs billets. Avec le débarquement des Vikings et le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911) entre Rollon et Charles III le Simple, le northman que je suis compte parmi ses « pays » de nombreux Ledanois (l’un d’eux, prénommé Yvon, fut d’ailleurs coureur cycliste professionnel et est directeur sportif de l’équipe Movistar sur Paris-Nice) et Sorin (déformation de Soren). De là à conclure que le cassoulet en boîte est d’origine danoise, il y a un pas que je ne franchirai pas !

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Chevaux et poneys paissent au pied du donjon sans faire cas du spectacle de l’autre côté de la clôture. Est-ce leur manière de contester l’affirmation du romancier René Fallet dans son savoureux essai Le Vélo : « Ce n’est pas le cheval qui est la plus belle conquête de l’homme, c’est le vélo. Il n’y a pas de boucheries vélocipédiques » ? Ils maudissent aussi sans doute le commissaire San Antonio, héros de Frédéric Dard, qui en remettait une couche : « Il y a des hommes qui prétendent que la plus belle conquête de l’homme, c’est le cheval. Ceux-là ne sont jamais montés à vélo ! »

Vas-y-Béru

Vas-y Béru ! Non, vas-y Démare, l’actuel champion de France sur route ! L’habit ne fait pas le moine : en effet, le règlement ne l’autorise pas à porter son maillot tricolore à l’occasion d’une course contre la montre. C’est le champion de France de la spécialité Sylvain Chavanel qui roule donc en bleu blanc rouge.

Arnaud Demare blog

Villa Coquerel Maurepas blog

Un à un, les concurrents défilent maintenant devant la maison dite de l’abbé Coquerel, curieuse aves ses vitraux dans les baies du rez-de-chaussée et avec l’observatoire qui la surplombe. L’ecclésiastique en avait fait une maison de retraite pour religieux avant que son successeur, passionné d’astronomie, érigeât la lanterne. Durant l’Occupation, les Allemands appréciant ce lieu d’observation y établirent une Kommandantur. Le coureur germanique Tony Martin, triple champion du monde du contre la montre, aimerait bien prendre le commandement de la course dans quelques minutes.

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Tandis que je remonte lentement le parcours, en poussant mon vélo le long du trottoir, un autre Tony me dépasse à hauteur de la si belle école chère à Victor Décauchereux. Il est bien français celui-là et je sais l’attachement que ce Gallopin, c’est son nom, qui mène plus un train d’enfer qu’un rythme scolaire, porte à l’école publique. Un de mes meilleurs amis, autrefois instituteur dans le village de Mondonville-Saint-Jean, en lisière de Beauce, actionna l’ascenseur social pour son père et ses oncles, une véritable dynastie de coureurs cyclistes à jamais reconnaissante.

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Un peu plus loin, place des Buttes, une antique machine témoigne du passé agricole de la commune. Dans le vieux Maurepas, on trouve encore plusieurs beaux corps de fermes qui ont cessé quasiment toute activité au tournant de ce siècle. Les ancêtres agriculteurs figurent, en tant que conseillers municipaux, sur les premiers registres communaux établis après la Révolution. L’engin exposé est une râteleuse qu’on utilisait après la faneuse quand le foin était sec. Le paysan, assis sur le siège en fer, rassemblait, avec les griffes du râteau, le fourrage en un gros boudin, puis actionnait la pédale pour le libérer. La personne qui suivait formait alors des tas prêts à être charriés. Comme la réclame le vante sur un cahier de devoirs d’écolier au temps de l’encre violette, beaucoup de ces ingénieuses machines agricoles étaient fabriquées dans les usines Puzenat à Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire). Choc de la technologie, un vieux biclou se pavane au passage des montures sophistiquées.

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C’est l’illustration des allégations de René Fallet : « La bicyclette, c’est la bécane tordue du facteur, le biclou rouillé du curé, la charrue de la grand-mère, la sœur jumelle de sa machine à coudre. La bicyclette, c’est le percheron couronné, le véhicule utilitaire. En raccourci violent, le tracteur auprès du bolide de Formule 1… Quittons la croûte pour le chef-d’œuvre, allons à Watteau, courons à Monet. Voici un vélo … ». Encore que, n’en déplaise au truculent romancier, les roues lenticulaires ou paraculaires qui remplacent désormais les rayons classiques pour une meilleure pénétration dans l’air, produisent un bruit qui rappelle les bons vieux chariots de nos grands-pères. Pire encore, de petites cornes de vache pointent souvent sur le cintre du guidon.

roue chariot blogFlorian Senechal blog

C’est maintenant tout droit et plat jusqu’à l’arrivée pour Florian Sénéchal qui vire au rond-point de la Croix Blanche. Il doit sans doute son patronyme à un de ses ancêtres, officier au service d’un roi, un prince ou un seigneur. Cette fonction apparut à l’époque des Mérovingiens et Capétiens. Il y eut un autre Sénéchal le magnifique interprété par Fernandel dans un de ces « nanars » sublimes du cinéma de papa. Ça ne rigole pas pour autant quoique les champions longent une des rigoles royales creusées lorsque le Roi Soleil décida de s’installer à Versailles. Les jardins ne se concevaient pas sans jeux d’eau, malheureusement, le terrain marécageux n’en produisait pas suffisamment. L’une des solutions adoptées fut le drainage du plateau de Rambouillet avec le creusement d’étangs dans la forêt (étangs de Hollande) puis l’acheminement de l’eau jusqu’aux réservoirs de Versailles par des rigoles.

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Les coureurs n’ont pas le temps de musarder, transgressant outrageusement les trente kilomètres heure réglementaires, mais, en se baladant sur la piste cyclable, on découvre de ci delà quelques bornes en pierre à fleur de lys. Elles marquent l’emprise des rigoles royales et furent posées entre 1819 et 1824 lorsque l’administration du domaine de la couronne effectua plusieurs missions à Maurepas.

Tom Dumoulin blog

Le ru (au nom approprié) de la Courance en contrebas sur leur gauche, un quartier pavillonnaire sur leur droite, sur le grand braquet, les champions foncent sous l’arche de la flamme rouge pour entrer au cœur de la ville nouvelle.

Kwiatowski blog

Le meilleur d’entre eux, le Polonais Michal Kwiatkowski (voir photo d’Eurosport ci-dessus) a parcouru les 6 km 700 en 7 minutes et 40 secondes. Les élèves studieux de Victor Décauchereux se seraient débrouillés sans calculette avec les nombres complexes. Levez les ardoises ! La moyenne du vainqueur est de 52,434 km/h ! Le 7 novembre 1869, fut disputée la première course de ville à ville entre Paris et Rouen (on ne craignait plus les Normands ?). L’Anglais James Moore remporta l’épreuve couvrant les 123 kilomètres en 10 heures et 40 minutes. Tandis que le speaker éructe les classements, de l’autre côté de la ligne d’arrivée, dans le petit bois de Nogent, espace végétal sauvage désormais cerné par l’urbanisation, on peut se détendre en observant et écoutant la Sitelle Torchepot, le Pinson des arbres et la Mésange charbonnière. Ironie du sport, un nommé Philippe De Balade aux moustaches en guidon de vélo s’aligna dans le premier Tour de France cycliste qui démarra le 1er juillet 1903 devant le café Le Réveil-Matin à Villeneuve-Saint-Georges. Victor Décauchereux et ses élèves suivirent peut-être sa folle aventure. Ma balade dominicale le long de la route de Paris-Nice n’avait pas d’autre fonction que de vous aérer l’esprit en vous instruisant.

Publié dans : Coups de coeur, Cyclisme |le 19 mars, 2015 |2 Commentaires »

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2 Commentaires Commenter.

  1. le 19 mars, 2015 à 8:56 Per Sørensen écrit:

    Merci pour Nacer Bouhanni !
    Et, aussi, salutations posthumes de la part de mon grand-père (danois, bien sûr) Søren Marinus Sørensen, d’abord charron (= menuisier) puis instit’ de campagne (spécialité : travaux manuels) qui dès la retraite sillonnait le sud de la Jutlande en vélo (vélo, grand et rigide, comme lui-même !) pour recueillir des soutiens à « Grænseforeningen », association défendant la « danicité » des anciens territoires allemands frontaliers.

    Répondre

  2. le 25 avril, 2015 à 23:43 jp77 écrit:

    C’est avec un peu de retard que je viens de découvrir votre Paris-Nice 2015 et c’est toujours un grand plaisir de vous lire. Merci beaucoup.

    Répondre

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