Archive pour le 1 janvier, 2015

Heureuse Année 2015

Année 2015blog

Par facilité, je pourrais reprendre mon billet du jour de l’An 2014. Je m’étais appuyé alors sur une chanson de Mouloudji. Et comme tout continue à foutre le camp … !
Ce n’est pas le jour pour me lamenter de la possible suppression des notes à l’école et plus généralement de la déliquescence de notre Éducation Nationale. Ayant appartenu au sérail, il me faudra bien vous livrer mes réflexions sur la question dans un billet futur. D’ailleurs, mes tendres hommages à mes parents fournissent indirectement quelques éléments de de réponse.
Allez, un dernier (léger) coup de gueule sur l’année passée ! Il y a quelques jours la presse audiovisuelle s’est beaucoup plus longuement épanchée sur la sortie de prison de Nabila que sur la mort de Maurice Duverger. Qui ça ? En la circonstance, j’absous volontiers les jeunes générations.
Les étudiants et même les professeurs de moins de cinquante ans ne peuvent, en effet, imaginer la place qu’occupa Duverger dans le monde intellectuel français. À la fac, je dus bûcher sur son manuel de droit constitutionnel, ouvrage incontournable à l’époque.
Je me souviens aussi de ses débats de haute tenue avec Léo Hamon à la télévision. Je me rappelle encore les références fréquentes de mon père à Duverger après sa lecture quotidienne du journal Le Monde. Ses pourfendeurs lui cherchaient épisodiquement des poux sur ses écrits de jeunesse durant l’Occupation, en particulier son analyse sur « la situation des fonctionnaires depuis la révolution de 1940 », une étude portant sur les lois de Vichy excluant les juifs et les femmes mariées de la fonction publique.
En 1989, à la veille de la chute du mur de Berlin, s’étant fait élire député européen sur une liste du Parti Communiste Italien, il écrivit cette jolie phrase : « Parce que l’orientation de ce parti conduit à son intégration pleine et entière dans la démocratie, les cyprès dont il entoure les tombeaux de la place Rouge pourraient devenir aussi vivaces que ceux de la voie Appienne auprès des mausolées qui la bordent. »
Allo ! Non, mais allo quoi ! Plutôt que parler de parasite née de la télé-réalité, en cet an neuf, je préfère vous entretenir d’un autre vivant au crochet des autres en s’accrochant aux branches de différents arbres. Il s’agit du gui (Viscum album en latin) qu’on nomme aussi poétiquement bois de la sainte Croix, vert de pommier, verquet, blondeau, bouchon, glu ou gu, herbe de chèvre ou pain de bique.

Boules de gui

photo Wikipédia

Du gui dans l’arbre ?
Des maladies ?
Des nids de grands oiseaux ?
(haïku de Per Sørensen)

« Ces épaves restant accrochées aux branches des arbres à l’étiage des brouillards de décembre » comme l’écrivit Francis Ponge, sont apportées par les grives qui mangent ses fruits. En perchant sur d’autres arbres, elles laissent des fientes contenant des graines qui germent à leur tour. Faute de grives, il y a peut-être les merles mais surtout la mésange bleue et la fauvette à béret qui en sont très friandes pour « casser la graine ».

Baies de guiphoto Wikipédia

Les lecteurs d’Astérix savent que du temps des Gaulois, les druides allaient en forêt pour couper le gui, ingrédient essentiel de la potion magique, avec une serpe d’or. Cela constitue d’ailleurs l’intrigue de l’une des aventures : Panoramix ayant brisé sa faucille sacrée, Astérix et Obélix quittent leurs terres armoricaines pour rejoindre Lutèce à la recherche d’Amérix, le marchand de serpes.
Plus sérieusement (quoique !), Pline dit l’Ancien, et pour cause une vingtaine de siècles avant Uderzo et Goscinny, nous éclaire sur cette coutume dans son encyclopédie Histoire naturelle :
« On ne doit pas oublier, dans ces sortes de choses, la vénération des Gaulois; les druides, car c’est ainsi qu’ils appellent leurs mages, n’ont rien de plus sacré que le gui et l’arbre qui le porte, supposant toujours que cet arbre est un chêne. À cause de cet arbre seul, ils choisissent des forêts de chênes et n’accompliront aucun rite sans la présence d’une branche de cet arbre […] Ils pensent en effet que tout ce qui pousse sur cet arbre est envoyé par le ciel, étant un signe du choix de l’arbre par le dieu en personne. Mais il est rare de trouver cela, et quand on le trouve, on le cueille dans une grande cérémonie religieuse, le sixième jour de la lune, car c’est par la lune qu’ils règlent leurs mois et leurs années, et aussi leurs siècles de trente ans; et on choisit ce jour, parce que la lune a déjà une force considérable, sans être encore au milieu de sa course. Ils appellent le gui par un nom qui est: « celui qui guérit tout ». Après avoir préparé le sacrifice sous l’arbre, on amène deux taureaux blancs dont les cornes sont liées pour la première fois. Vêtu d’une robe blanche, le prêtre monte à l’arbre et coupe avec une faucille d’or le gui qui est recueilli par les autres dans un linge blanc. Ils immolent alors les victimes en priant la divinité qu’elle rende cette offrande propice à ceux pour qui elle est offerte. Ils croient que le gui, pris en boisson, donne la fécondité aux animaux stériles et constitue un remède contre tous les poisons. Tel est le comportement d’un grand nombre de peuples à l’égard de choses insignifiantes ».
De quelle lune s’agit-il ? Mystère et boules de gui ! Cela pourrait bien être celle de Samain (31 octobre de notre calendrier), première des quatre fêtes religieuses majeures chez les Celtes, qui célèbre la fin de l’année et le début de la nouvelle, le passage de la saison claire à la saison sombre. Nous les modernes, on plaiderait plutôt pour celle du solstice d’hiver où le gui est beaucoup plus visible dans les arbres effeuillés.

Image d'Epinal druide

Plante sacrée par excellence, celle qui guérit tout, le gui est symbole de l’immortalité car il est toujours vert et reste vivant quand l’arbre qui le porte paraît mort. Bien qu’il fut employé pour ses propriétés antispasmodiques pour combattre l’épilepsie et l’apoplexie, il n’y a aucun rapport avec les maladies nerveuses ou chorées dites danse de saint Guy.
Dans la culture druidique, le gui sacré était cueilli sur un chêne car la rareté du phénomène le rendait d’autant plus symbolique ; il s’invite principalement sur les pommiers et poiriers, les peupliers, trembles, et saules, les cerisiers, les robiniers et aubépines.
Lors de la cueillette, les druides prophétisaient aux cris de la formule Ô Ghel an Heu, traduisez du celte « Que le blé germe ! » L’expression celtique est devenue par homophonie, au Moyen-Âge, le fameux « Au gui l’an neuf ».
L’Église substitua le houx au gui pour services rendus à la Sainte Famille. Pour échapper au roi Hérode cherchant à massacrer tous les nouveaux nés pour éliminer celui que l’on annonçait comme le roi des Juifs, Marie, Joseph et l’enfant divin s’enfuirent en Égypte. À l’approche des soldats d’Hérode, ils se cachèrent dans un buisson de houx qui dans sa bonté miraculeuse étendit ses branches. Ses épines rappelleraient aussi la couronne de Jésus et les boules rouges, son sang.
La tradition du baiser sous le gui, selon une vieille légende galloise, remonterait à un roi au nom imprononçable de Gwydyr dont les trois filles étaient fiancées. Leurs compagnons, en partance pour la guerre, retrouvant leurs promises à l’ombre de vieux chênes chargés de gui sacré, leur demandèrent un gage d’amour. Chaque fille enleva une plume de paon ornant sa chevelure pour l’offrir à son fiancé. « Encore » réclamèrent les trois hommes. Chaque fille enleva cette fois une branche de houx qui avait soutenu la plume de paon. « Encore » insistèrent les fiancés. Les filles de Gwydyr accordèrent alors un baiser à leur chevalier servant. L’histoire s’arrête là, nous n’étions pas dans un trivial strip.
La légende est moins pacifique dans la mythologie nordique. Le dieu Baldr, fils d’Odin, était rendu invincible par sa mère Frigg qui avait fait jurer à toutes choses, plantes, pierres et êtres vivants de ne pas faire du mal à son fils. Sauf que le dieu malin Loki, un diable en somme, obtint de Frigg l’aveu qu’elle avait oublié de demander au gui de prêter serment, tant cette plante semblait frêle et jeune. Alors Loki prit un bâton de gui, le donna à Höd, le dieu aveugle, guida son bras pour le pointer vers Baldr qui fut transpercé et mourut aussitôt.
Nos aïeux confectionnaient la glue en faisant bouillir les baies de gui dans l’eau puis en les pilant, celle-là même employée pour les gluaux que les chasseurs, peu reconnaissants, posaient pour attraper les grives. Avant de vous coller avec mes élucubrations arboricoles, je vous offre la belle Chanson du gui du poète libertaire beauceron Gaston Couté :

« Le soir étend sur les grands bois
Son manteau d’ombre et de mystère ;
Les vieux menhirs, dans la bruyère
Qui s’endort, veillent et des voix
Semblent sortir de chaque pierre.
L’heure est muette comme aux temps
Où, dans les forêts souveraines,
Les vierges blondes et sereines
Et les druides aux cheveux blancs
Allaient cueillir le gui des chênes.

Réveillez-vous, ô fiers Gaulois,
Jetez an loin votre suaire
Gris de la funèbre poussière
De la tombe et, comme autrefois,
Poussez votre long cri de guerre
Qui fit trembler les plus vaillants,
Allons, debout ! brisez vos chaînes
Invisibles qui vous retiennent
Loin des bois depuis deux mille ans.
Allez cueillir le gui des chênes.

Barde, fais vibrer sous tes doigts
Les fils d’or de la lyre altière,
Et gonfle de ta voix de tonnerre
Pour chanter plus haut les exploits
Des héros à fauve crinière
Qui, devant les flots triomphants
Et serrés des légions romaines
Donnèrent le sang de leurs veines
Pour sauver leurs dieux tout puissants
Et le gui sacré des grands chênes.

Envoi

Gaulois, pour vos petits-enfants,
Cueillez aux rameaux verdoyants
Du chêne des bois frissonnants
Le gui aux feuilles souveraines
Et dont les vertus surhumaines
Font des hommes forts et vaillants.
Cueillez pour nous le gui des chênes. »

Qui sait si je ne vous emmènerai pas, quand les blés lèveront, au vent de Beauce, pour mieux vous faire connaître ce merveilleux souffleur de vers qu’était Gaston Couté.
Car la première bonne nouvelle de cette année, s’il y a une chose qui n’fout pas l’camp, c’est ma motivation à poursuivre une huitième année l’aventure de ce blog, grâce à votre fidélité et vos encouragements.
Le compteur défile de plus en plus vite mais plus que les cent-cinquante mille visites enregistrées en 2014, ce sont les correspondances aimables, les rencontres enrichissantes, les retrouvailles émouvantes et même les amitiés chaleureuses, nées au sein de cet espace, qui me poussent, sans lassitude, à plonger ma plume dans l’encre violette.
Heureuse année, chers lecteurs ! Projetons nous-y avec la célérité des cyclistes de ma carte de vœux, clin d’œil à ma passion incontrôlable pour le vélo (de papa). Tant pis si ça casse, à défaut d’avoir chassé les démons, vous cueillerez peut-être les quelques petits bonheurs qui surgissent ça et là.

PS. Pour les lecteurs passionnés de cyclisme, il y en a (!), voici quelques précisions sur la carte de vœux: la photographie a été prise en 1949 lors d’un championnat de Suisse de vitesse sur piste, probablement sur le vélodrome d’Oerlikon. Le coureur au vélo brisé s’appelle Armin Von Büren. L’autre, Siegenthaler, contrairement aux apparences, termine second. Ce pourrait être un démenti helvétique de notre proverbe: « Qui veut voyager loin, ménage sa monture ».

Publié dans:Almanach |on 1 janvier, 2015 |2 Commentaires »

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