Allez, Joyeux Noël quand même !
Même si n’opère plus la magie des Noëls de mon enfance, je ne peux pas ne pas évoquer la belle nuit d’hiver.
« Le talent provient de l’originalité, qui est une manière spéciale de penser, de voir, de comprendre et de juger ». Quitte à vous décevoir et contredire cette affirmation de Guy de Maupassant dans son roman Pierre et Jean, j’appelle justement à la rescousse ce « pays » à moi puisqu’il naquit au château de Miromesnil, près de Dieppe, à une quarantaine de kilomètres de mon bourg natal.
On l’oublie souvent, quand il n’écrivait pas ses romans et ses nouvelles, il s’adonnait volontiers à la poésie.
Ainsi, je dépose au pied de votre sapin virtuel, son poème Nuit de neige dont les plus anciens d’entre vous récitèrent peut-être un passage au temps de l’école communale.
« La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.
Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes.
L’hiver s’est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l’horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s’empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu’elle darde,
Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant ;
Et la neige s’éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées,
Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège.
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas. »
Vous l’avez bien compris, l’écrivain évoque une nuit banale parmi d’autres au cours d’un hiver sur le plateau de Caux. Toute vie est éteinte sous le morne regard de la lune, la nuit est terrible pour les petits oiseaux tandis que les enfants dorment et rêvent peut-être aux cadeaux que le monsieur à la barbe blanche leur a portés. Encore qu’au temps de Maupassant, dans les campagnes, ils ne trouvaient souvent dans leurs sabots qu’une orange enveloppée dans un papier de soie.
J’ai connu ces nuits d’hiver dans mon enfance normande. Le logement de fonction dont jouissaient mes parents enseignants était d’un confort rudimentaire. Ainsi, les chambres n’étaient pas chauffées. La bassinoire en cuivre était déjà accrochée comme antiquité aux murs de la salle à manger. Je me glissais sous les draps juste tiédis par une brique chauffée dans le poêle à feu continu du salon puis une bouillotte (le progrès!). La chaleur d’un dernier baiser de ma tendre maman, le temps embellit sans doute les souvenirs. J’aimais étrangement ces nuits, le froid, le silence juste troublé parfois par quelques craquements en provenance du grenier contigu. J’imaginais le lendemain matin la cour de l’école sous son manteau blanc immaculé bientôt souillé par mes gambadements et glissades avides.
Vint le temps de mes vingt ans, « le temps de l’amour, le temps des copains et de l’aventure » comme le chantait Françoise Hardy. Nous ne croyions plus, avec son époux, le fils du Père Fouettard alias Jean Balthazar, qu’en la Fille du Père Noël. C’était le temps des yéyés. Insouciants, nous rêvions encore. On nous le reproche aujourd’hui, vous savez le calamiteux héritage de 68, source de tous vos maux actuels.
Excusez mon inculture, j’ai découvert ces jours-ci une honteuse usurpation autour des lettres au Père Noël que des millions de bambins s’appliquent à rédiger. Déjà que sa houppelande avait pris les couleurs de Coca-Cola, à moins que ce ne soit l’inverse, un secrétariat du Père Noël, basé à Libourne, fonctionne depuis cinquante-deux ans, sous l’égide de La Poste, afin de répondre à leur courrier.
Il semblerait que les lutins du Père Noël qui participent à cette supercherie soient des employés de la Poste, volontaires ou intérimaires. Saviez-vous que la première réponse du Père Noël, en 1962, fut l’œuvre de la célèbre pédopsychiatre Françoise Dolto, mère du chanteur populaire Carlos (de son vrai prénom Yvan-Chrysostome), et surtout en la circonstance, sœur de Jacques Marette, alors ministre des PTT ?
En voici le texte intégral :
« Mon enfant chéri, ta gentille lettre m’a fait beaucoup de plaisir. Je t’envoie mon portrait. Tu vois que le facteur m’a trouvé, il est très malin. J’ai reçu beaucoup de commandes. Je ne sais pas si je pourrai t’apporter ce que tu m’as demandé. J’essaierai mais je suis très vieux et quelquefois je me trompe. Il faut me pardonner.
Sois sage, travaille bien. Je t’embrasse fort. »
Que celle qui vulgarisa la psychanalyse enfantine à la radio dans les années 1970, ait pu inaugurer cette supercherie organisée me déçoit un peu !
Auparavant, dans les années cinquante, les miennes donc, une postière de Veules-les-Roses, du nom de Magdeleine Homo (il serait prédestiné aux enfants du mariage pour tous !) avait pris l’initiative personnelle d’ouvrir le courrier et de répondre en cachette aux enfants de son village près de Dieppe.
Signe des temps et du progrès technologique, les enfants sont aujourd’hui en contact en quelques nanosecondes avec le Père Noël par un clic, texto ou tweet.
Le maire de ma commune, pour cause de réduction drastique des dépenses, a supprimé, cette année, les illuminations de Noël, une loi interdisant d’utiliser les anciennes guirlandes trop gourmandes en électricité. Les technocrates de Bruxelles imposent sans doute l’usage d’ampoules LED !
Sous le morne regard de la lune, les SDF ont rejoint les piafs parmi les victimes des glaciales nuits d’hiver. Mieux lotis, rennes et oursons font de la stabulation libre dans les allées des centres commerciaux.
Dans certaines écoles maternelles, les festivités de « l’Arbre de Noël » seraient supprimées pour ne pas froisser les familles musulmanes.
Où est le rêve? Ça sent le sapin, tout ça !
Acceptez donc que, pour fuir la morosité ambiante, je trinquasse aux vers de mon Bel-ami normand Guy de Maupassant.
Je cesse de jouer le rabat-joie. Il y a quelques jours, de retour dans mon Pays de Bray natal, quelle ne fut pas ma surprise de constater que le GPS de mon véhicule m’indiqua d’emprunter le chemin de Bethléem. Les propositions sont nombreuses pour expliquer la toponymie du lieu-dit, un bébé autrefois déposé sur le perron d’une maison, une ferme recueillant des orphelins, des gens très pieux …
Même si le divin enfant que je fus naquit non loin de là, il est cocasse d’imaginer que quelques fermiers brayons crèchent à Bethléem. Et pour que l’histoire soit plus belle encore, ma bonne étoile me conduisit jusqu’à une étable (certes modernisée) remplie de jolis cœurs tendres, ces succulents fromages de Neufchâtel qu’on appelait angelots au Moyen-Âge.
Allez, Joyeux Noël quand même ! Vous croiserez sûrement les yeux brillants d’un enfant qui vous feront oublier un instant l’hypocrisie et la médiocrité des adultes.
PS. 25 décembre 11 heures :
J’avais raison d’ajouter « quand même » à mon souhait.
Même si je n’accorde, depuis longtemps, qu’un crédit fort limité en l’homme à la barbe blanche, il y des jours comme ça où il est encore bon de croire en L’Humanité !
Ne voilà-t-il pas qu’à la Une numérique du quotidien fondé par Jean Jaurès, Soungoula le roi des piments joue les flambeurs :
http://www.humanite.fr/soungoula-le-roi-des-piments-et-ses-peres-noel-noirs-une-belle-idee-cadeau-561246
Vous me voyez ravi que soit encensé ce jour l’écrivain poète Per Sorensen pour ses aventures du lièvre Soungoula le roi des piments et ses Pères Noël noirs.
Je lui avais consacré mon billet du 2 juillet 2014. Sans que j’y sois pour quelque chose, j’en retrouve le lien à la fin de l’article ! Rouges sont mes joues, rouges comme le manteau du Père Noël, comme les idées du journal, comme les épices de Soungoula !

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