Requiem pour un jeune soldat, un roman de Renée Bonneau

Décidément, l’Italie est souvent présente dans mes récents billets.
Après avoir longé la Riviera Ligure avec une évocation de la Primavera la mythique classique cycliste Milan-San Remo, après la projection de The trip to Italy, le savoureux film de Michael Winterbottom, lors du festival du cinéma britannique de Dinard, je vous invite, aujourd’hui, à une plongée dans l’histoire contemporaine de la péninsule avec Requiem pour un jeune soldat Monte Cassino, un livre de Renée Bonneau.
J’ai fait la connaissance de l’auteure (je me sens coupable désormais de faire une faute si je ne mets pas la marque du féminin), de manière tout à fait fortuite, suite à une fantaisie que j’avais écrite ici autour de la disparition de la statue d’Alfred Hitchcock sur la digue de l’Écluse à Dinard. Je découvris qu’elle avait également manié le suspense dans une intrigue policière sur fond du festival du film britannique qui se déroule annuellement dans la station balnéaire huppée de la Côte d’Émeraude.
Curieux, je lui emboîtai bientôt le pas à la suite de Georges Méliès dans Meurtre au cinéma forain (billet du 1er mars 2012 Silence on tourne ! … et on lit !). Définitivement conquis, je me délectai ensuite des petits meurtres entre amis et artistes qu’elle nous concocta avec pour détectives Claude Monet dans Nature morte à Giverny et Toulouse-Lautrec dans Sanguine sur la Butte (billet du 2 avril 2013).
Quand elle n’écrit pas ses réjouissants « pol’arts », elle cultive aussi l’art d’être grand-mère, par exemple en rédigeant une tendre anthologie sur nos aïeules (voir billet du 1er mars 2013 Grand-mères au fil des pages).
Cette fois, Renée Bonneau nous emmène au cœur de l’Italie pour nous conter un épisode de la bataille du Monte Cassino que se livrèrent les Alliés et les forces allemandes, de janvier à mai 1944.
Son Requiem pour un jeune soldat a été publié en 2011 aux éditions du Nouveau Monde mais, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la bataille, il a l’honneur d’une traduction dans la langue de Dante : Requiem per un giovane soldato.

Couverture Requiem

Couverture requiem 2

Sans me comparer à son héros germanique qui, bercé par la musicalité de la langue italienne, souhaite qu’on lui lise quelques vers de La Divine Comédie dans sa version originale, plutôt qu’un passage du guttural Faust, je désire juste vous faire partager le plaisir que m’a procuré la lecture (en français) du roman historique de Renée Bonneau.
La genèse de son émouvante histoire n’est révélée que dans la postface.
Professeure agrégée de Lettres classiques à la retraite, Renée Bonneau, outre sa sensibilité pour l’Histoire et l’amour profond fait de joies et de peine qu’elle voue à l’Italie, exerce sa curiosité et sa perspicacité en toute circonstance.
Ainsi, au cours d’une visite au monastère cistercien de Casamari, dans les Abruzzes, alors qu’elle se promenait dans le paisible cimetière, son attention fut attirée par un médaillon en porcelaine, un nom et une date sur une tombe murale.

Tombe Requiem

La photographie était celle d’un jeune homme, le nom allemand et la date de la mort renvoyaient possiblement aux combats de Monte Cassino, tout proche.
Comment justifier la présence dans un enclos religieux, au milieu des sépultures de moines, où jamais les civils n’ont place, de ce jeune soldat qui aurait dû reposer avec ses camarades dans le cimetière militaire allemand de Cairo au pied de la montagne où ils étaient tombés ?
Avec l’explication du père abbé auquel elle écrivit, à son retour en France, Renée Bonneau tenait là son sujet : « Ne sachant rien de la vie de ce jeune soldat avant que la guerre ne s’empare de lui, ni des échanges qu’il a pu avoir avec le moine, de ces derniers jours face à la mort, je les ai imaginés en lui donnant un double littéraire, figure emblématique des soldats des deux camps fauchés en pleine jeunesse par la fureur de la guerre … »
Ainsi, son livre est une histoire à demi fictive qui se déroule dans le décor tragiquement réel des batailles de Monte Cassino : « Depuis six mois les Abruzzes étaient le théâtre de combats acharnés dont les échos retentissaient dans les vallées alentour et parvenaient jusqu’à notre monastère de Casamari, pourtant situé à quelque quarante kilomètres du lieu des batailles. Les Alliés avaient lancé en janvier, février, mars, des assauts infructueux contre la ligne Gustav installée par Kesselring et qui leur barrait la route vers le Nord… »
Une coupe de vin d’Asti (j’aurais opté personnellement pour un Brunello di Montalcino !) à la main, le maréchal allemand Kesselring présentait métaphoriquement la situation à ses officiers : « Les Anglo-Américains et leurs alliés français occupent le fond de ce verre. Et nous, nous sommes assis sur le bord ! »
En effet, après l’opération Husky (prise de la Sicile en septembre 1943) puis le débarquement en Calabre et la prise de Naples, les troupes alliées, au sein desquelles combat un certain caporal Alain Mimoun, futur champion olympique de marathon (il évitera de justesse l’amputation de sa jambe gauche lors d’un assaut), sont coincées en bas de la botte étroite, dans leur marche sur Rome. Les Allemands, bien que moins nombreux, sont effectivement retranchés sur de solides lignes de défense parmi lesquelles la fameuse ligne Gustav. Celle-ci s’étend au niveau le plus resserré de la péninsule depuis la Méditerranée à l’Ouest jusqu’à la mer Adriatique à l’Est, en longeant notamment le petit fleuve du Garigliano … dont un pont de Paris a pris le nom suite à une victoire du Corps expéditionnaire français du maréchal Juin (mai 1944). En son centre, la ligne croise la vallée du Liri où sera édifiée, après-guerre, la future autostrada del Sole, à hauteur du Monte Cassino coiffé en son sommet de la vieille abbaye fondée par Saint Benoît de Nursie. Un endroit stratégique dont les Alliés veulent s’emparer coûte que coûte.
Ainsi, entre le 15 et le 18 février 1944, sous le commandement du général néo-zélandais Freyberg, 224 appareils larguent 420 tonnes de bombes sur le monastère : un véritable outrage à l’égard du magnifique monument de la civilisation chrétienne et 300 morts civils qui s’y sont réfugiés pensant être en sécurité dans ce lieu saint. Tragique erreur car les « Diables verts » n’ont jamais occupé le lieu ! Par contre, les ruines leur fourniront bientôt un abri sûr.

Monte Cassino

Cour Bramante Monte Cassino

Ainsi que le confie le père Matteo que Renée Bonneau a choisi comme narrateur de son roman : « Tout cela, naturellement, nous n’en savions à l’époque que peu de choses. Les étapes de la guerre ne parvenaient à Casamari que par ses bruits lointains, canons, mitrailleuses, roulement sourd des blindés, grondement des bombardiers … Leurs hôpitaux de campagne établis en arrière du front étant surchargés, les Allemands en avaient installé un dans notre monastère. Nous dormions sur des lits de camp dans la salle capitulaire pour leur laisser notre dormitorium, avec sa trentaine de lits séparés par des cloisons basses… »
Je rassure le lecteur qui garde de mauvais souvenirs de ses cours d’Histoire au lycée : loin de nous infliger un rapport aride des épisodes meurtriers du Mont Cassin, Renée Bonneau, bien au contraire, nous distille avec subtilité les éléments nécessaires à la compréhension du conflit, à l’absurdité de la guerre pour faire progresser son récit.
Car son propos est tout autre et se construit dès l’arrivée, à l’abbaye de Casamari, de Franz Neimann, un jeune sous-lieutenant de la division viennoise blessé au combat : « Tout le côté gauche de son uniforme n’était qu’une large tache sombre … n’eût été la boue séchée qui recouvrait une partie de son visage, un peintre de la Renaissance en eût fait un ange. »
Après quelques considérations (pieux mensonges) sur la gravité de ses blessures, le dialogue se noue entre le soldat, qui n’est déjà plus un ennemi, et le moine italien : « … Il paraît que votre salle capitulaire est la plus belle d’Italie !
– On le dit, en effet.
– Décrivez-la moi !
– Vous la verrez bientôt. Nous descendrons ensemble, quand vous serez rétabli … »

abbaye de Casamari 1

Abbaye de Casamari 2

Abbaye de Casamari 3

L’Art s’invite comme dans beaucoup de romans de Renée Bonneau. Apaisera-t-il les souffrances de Franz ?
Ce n’est pas le moindre paradoxe de la guerre, Franz nous apprend que le colonel allemand Schlegel, catholique et amateur d’art, conscient des dommages que les bombardements pourraient causer, avait demandé, dès octobre 1943, à l’abbé Monseigneur Diamare que les trésors d’une valeur inestimable du monastère de Monte Cassino soient évacués. Ainsi, avec une minutie bien germanique, tout fut inventorié, emballé avec soin et dirigé sur le Vatican. Certains frères, de retour de Rome, après s’être acquittés de cette mission font une courte apparition dans le récit.
Quand, à l’issue du bombardement de février, Franz pénétra dans l’abbaye, il ne restait plus rien de la cour de Bramante et de la basilique, que des colonnes abattues, des statues brisées, des morts écrasés sous les murs, des blessés qui hurlaient … « et puis, soudain, nous avons entendu des voix et des chants venant de la crypte. Les dix moines qui n’avaient pas voulu être évacués en octobre célébraient la messe ! C’était un miracle qu’ils n’aient pas été ensevelis et pulvérisés. Au bout d’un moment, nous les avons vus sortir en procession, portant un grand crucifix. Ils chantaient le Salve Regina. C’était si impressionnant, ce cortège de silhouettes blanches, avançant parmi les ruines encore fumantes, que tous, croyants ou pas, nous avons enlevé nos casques et nous sommes inclinés à leur passage … »
Ces lignes admirables me renvoient à quelques moments du magnifique film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, ces moines cisterciens vivant dans un prieuré isolé au milieu des montagnes algériennes. Qu’il y ait du septième art dans ce passage (j’allais écrire séquence) ne me surprend pas de la part de l’écrivain professeur qui anima longtemps de multiples pratiques audiovisuelles au lycée de Sèvres.
L’Art encore ! « « Père Matteo, racontez-moi votre Toscane ». Il ferma les yeux. Alors je lui racontai la douceur des collines, le vert tendre des oliviers répondant au vert sombre des cyprès, la splendeur rousse des vignes de Chianti à l’automne, les longues allées de pins menant à d’invisibles demeures, la place des Miracles de Pise, le Campo de Sienne en forme de coquille Saint-Jacques, l’austère cité étrusque de Volterra … »
Quand je vous dis parfois dans mes billets que l’Italie a été imaginée par un Artiste … ! Pour la sillonner fréquemment, Renée Bonneau la raconte drôlement bien « sa » Toscane. Un trip qui prend aux tripes tant ces beautés qu’évoquent le moine et le soldat ne sont qu’artifices ou remèdes pour oublier, durant quelques brefs instants, la saloperie de la guerre et les souffrances souvent horribles des blessés de Casamari.
L’Art toujours ! : « J’étudiais le violoncelle au Konservatorium. Je voulais en faire mon métier. Mais au lieu d’un violoncelle, c’est une mitrailleuse qu’on m’a mise entre les mains ! Savez-vous que parfois je rêve quand je joue ? J’échappe un moment aux cauchemars des bombes, des grottes obstruées par les éboulements, aux rats me grimpant dessus, au char qui va m’écraser dans la boue où je suis enfoncé. » Le Père Matteo l’avait déjà deviné à ses doigts qui montaient et descendaient sur les draps.
À l’origine, le requiem était une composition musicale classique jouée lors du service funèbre ou des cérémonies du souvenir. A travers l’amour que ses deux personnages partagent pour la musique, Renée Bonneau a trouvé la corde sensible pour faire vibrer le lecteur.
Pour m’accompagner dans la lecture de son roman, parfois même l’ai-je suspendue, j’ai souvent écouté les œuvres évoquées, ainsi le Concerto en la mineur pour violoncelle et orchestre de Schumann dont Franz avait interprété l’adagio à son concours de conservatoire.

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Joseph Kreinstein, son professeur, n’avait qu’un défaut : il était juif. Deux jours après qu’il eût déposé son violoncelle, un Ruggieri fabriqué à Cremone, chez les parents de Franz, il était arrêté et emmené avec le dernier convoi du ghetto de dans un camp d’internement …
Le jeune soldat autrichien manifeste peu à peu une forme d’indifférence, de désolidarisation, d’incompréhension et de rejet, vis-vis de la folie criminelle SS, encore qu’il n’en sache que peu de choses : « Vous avez lu ce qu’il y a écrit sur nos boucles de ceinturons ? Dieu est avec nous. Quelle imposture ! … Vous savez, père, je n’ai jamais compris le massacre des saints Innocents ! »

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Les moins initiés d’entre nous connaissent évidemment les premières mesures de la Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach. « Franz pleurait » : depuis l’église, la porte ouverte, le père Bernardo, organiste de l’abbaye de Casamari, lui offrait ce cadeau.
Requiem pour un jeune soldat, au propre comme au figuré, est une œuvre littéraire musicale, sonore plutôt, car en arrière-plan, les bruits de la guerre, les cris des soldats blessés et mourants ne cessent de brouiller l’harmonieux accord des deux héros et la musique destinée à adoucir la mort annoncée qui ronge Franz.
La guerre n’épargne personne, même pas le père Mattéo frappé en son cœur par les dernières représailles de la Wehrmacht qui se replie. Sa maman est une des victimes du massacre de Sant’Anna di Stazzema, l’Oradour-sur-Glane toscan. Le 12 août 1944, trois bataillons de SS, aidés de quelques collaborateurs italiens, montent à travers les collines vers le hameau de la province de Lucques : « Et ce fut la tuerie, impitoyable. Pendant une demi-heure, ils ont mitraillé, lancé des grenades incendiaires dans les maisons, brûlé des femmes au lance-flammes et certains enfants qui essayent de s’échapper ont été tirés comme des lapins … »
De cet épisode barbare, Spike Lee a tiré un film, Miracle à Santa Anna. En 2005, un procès a condamné à la réclusion à perpétuité dix anciens SS ayant participé au massacre, une sentence probablement symbolique vu l’âge de ces abjects nonagénaires.

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Permettez, cher futur lecteur, que je respecte l’intimité de Franz Neimann et du père Mattéo pour la fin de l’histoire qui les réunit.
Méditons plutôt quelques instants en écoutant le poignant lied de Schubert La jeune fille et le mort qui fait l’objet d’une page du livre.

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Un jour de l’été 1946, une femme en deuil se rendit à l’abbaye de Casamari. Elle avait apporté deux photographies au père Matteo : « Sur l’une d’elles, prise un an avant son enrôlement, Franz joue du violoncelle, le visage irradié de bonheur. Cette photo est celle devant moi, sur la table de ma cellule. »
C’est ainsi que sur une tombe murale du cimetière de l’abbaye cistercienne de Casamari, un beau garçon blond, sur fond de son Autriche natale, rit au soleil d’été et à la vie, ignorant qu’il va trouver la mort, à vingt ans, à Monte Cassino.
De cet huis clos humaniste et éminemment documenté, je ressors l’esprit cultivé et l’âme plus riche. S’intéresser à ce passé qu’ont connu nos parents et grands-parents et dans lequel nous plonge salutairement Renée Bonneau, nous aide à comprendre le présent, du moins à plus et mieux y réfléchir.
Ainsi, en notre époque où l’on assaisonne l’identité française à toutes les sauces, il n’est pas inintéressant de revenir sur un épisode que l’auteure ne manque pas d’évoquer même brièvement. En mai 1944, dix mille « goumiers » marocains, ainsi appelés parce qu’ils appartenaient à des goums, unités d’infanterie légère de l’armée d’Afrique sous encadrement français (notamment le général Guillaume), pénétrèrent dans les monts Aurunci, bastion sud de la position allemande de Monte Cassino et éliminèrent en trois semaines de combats les unités allemandes les mieux entraînées, provoquant la rupture de la ligne Gustav. Beaucoup d’analystes militaires considèrent leur manœuvre comme l’opération décisive qui a ouvert aux alliés la route de Rome. Le général Kesselring en personne loua leur furieuse combativité.
On leur fit porter la responsabilité des marocchinate, les odieux viols et homicides commis sur les populations civiles. Ces événements ont servi de toile de fond à un roman d’Alberto Moravia La Ciociara adapté au cinéma par Vittorio De Sica (Sophia Loren obtint un Oscar pour son interprétation). Sortes de coupables passe-partout, ils furent loin d’être cependant les auteurs de toutes ces atrocités.
Faute de croire en l’Homme, il est bon de croire aux hommes quand ils évoluent sous les traits du père Matteo et de Franz, le jeune soldat.
Pour remercier Renée Bonneau du message d’espoir et de fraternité que véhicule son roman, c’est mon tour de lui offrir un petit plaisir musical, un chant grégorien interprété par le chœur Jucunda Laudatio … de l’abbaye cistercienne de Casamari.

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Vous pouvez faire l’acquisition du livre sur internet et dans les bonnes librairies (sur commande).

Requiem pour un jeune soldat Monte Cassino, Renée Bonneau, Nouveau Monde éditions.

Requiem per un giovane soldato Montecassino 1944, Renée Bonneau, Paoline Edizioni.

 

Publié dans : Coups de coeur |le 15 novembre, 2014 |Pas de Commentaires »

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