Cavanna est mort
Hier soir, je lisais encore sa dernière chronique consacrée à la prise en charge du viol, parue le jour même dans l’hebdomadaire Charlie-Hebdo.
La nouvelle est tombée, ce matin, dans toutes les rédactions : Cavanna est mort ! Hara Kiri, Hara Kipleure titre joliment le quotidien Libération.
Nous le savions malade. Dans son livre Lune de miel ainsi qu’épisodiquement dans ses billets, il nous entretenait de celle qu’il nommait la salope à savoir la maladie de Parkinson dont il était atteint.
Parce qu’il avait accompagné ma jeunesse, parce que j’accompagnais sa vieillesse, parce que je l’avais fréquenté à une époque, je le croyais immortel au sens spirituel de l’académie française.
Plutôt que vous en parler maladroitement en ce jour de profond chagrin, je préfère vous renvoyer à deux de mes anciens billets consacrés, l’un à une exposition organisée en son honneur à Nogent-sur-Marne, l’autre à mon aventure d’un mois avec l’équipe de Charlie Hebdo.
Mon admiration, ma jubilation et mon affection y transpirent.
http://encreviolette.unblog.fr/2009/05/26/
http://encreviolette.unblog.fr/2010/12/23/
Cependant, je ne résiste pas à vous faire partager ici malgré tout une chronique en date du 20 février 2013, intitulée Fragment de l’Histoire du monde, celui qu’il vient de quitter :
- J’aimerais savoir
– Savoir quoi ?
– S’ils chantent.
– Qui donc ?
– Les soldats français. Nos petits soldats. J’aimerais savoir si, avant le combat, ils chantent La Marseillaise.
– Comme avant le match ?
– Voilà. Comme avant le match. Si le foot vaut bien une Marseillaise, que dire de la guerre ?
– Et ceux d’en face, je veux dire l’ennemi, chanteraient aussi leur propre hymne national ?
– Les deux armées l’une en face de l’autre, sur le champ de bataille bien balayé, drapeaux au vent, coup de canon solennel pour annoncer le début de l’action, je ne sais pas si vous voyez…
– Oh, parfaitement. Mais un seul coup de canon, alors. Il ne faut pas que l’adversaire puisse deviner quelle est l’importance de notre artillerie.
– Ce serait grandiose. Surtout aujourd’hui. Le Mali est vaste, vide, du sable à perte de vue. Il suffit de tracer les limites à la peinture blanche, ça fait un terrain de football parfait … Je veux dire un champ de bataille, bien sûr …
– Certes, ce serait fort émouvant. Cependant, je me demande …
– Quoi donc ?
– La Marseillaise avant le match, ou le combat, n’est-ce pas un peu prématuré ? c’est plutôt une prière qu’une action de grâce, n’est-ce pas ? On ne sait rien encore. On saura à la fin du match qui fut l’élu des dieux. C’est là qu’il faudrait chanter. Les vainqueurs entonneraient « On a gagné /Les doigts dans le nez », les vaincus « On a perdu/Les doigts dans le cul ». Ce serait beaucoup plus significatif que chanté avant l’empoignade.
– Je ne connaissais pas ces vers de La Marseillaise.
– Il faut les y incorporer. C’est la ferveur populaire toute spontanée. Notre chef suprême des armées, le généralissime François Hollande, vient de remporter un match décisif. A-t-on chanté La Marseillaise ? Je n’ai rien entendu.
– Vous n’écoutiez pas au bon endroit. Chez Paris-Match, par exemple … mais, pour la victoire définitive, nous ferons ce qui doit être fait, avec le secours des grosses cloches de Notre-Dame qu’on a fondues exprès pour fêter la croisade contre les Sarrasins maudits. Le pape en personne les fera sonner, les frais seront couverts par Calgon.
– Ah, non. Je vous interromps. Il n’y a plus de pape. Il a démissionné, c’était trop fatigant.
– Plus de pape ! démissionné ? Il nous a fait ça ? alors, nous sommes sans pape ! Dieu est sans pape ! Le Vatican est sans défense ! Il faut délivrer Saint-Pierre ! Dieu le veult ! Sus à l’infidèle !
Ainsi débuta, en février 2013, la grande Croisade de reprise en main, qui aboutit à la disparition totale des pays occidentaux, laissant la Chine et l’Inde seules face à face, telles que nous les voyons aujourd’hui.
Comme tu fis avec tes copains Reiser, Choron et Gébé quand la faucheuse les emporta, j’ai envie, le cœur gros, de te dire, irrévérencieusement mais affectueusement : « Chouette, je vais pouvoir lire enfin L’œil du lapin qui sera, sans doute, réédité ! »
