Bonne année 2014
d’après « Retour à Nogent », une oeuvre du photographe JeanDenis Robert
Que le temps passe vite ! Avec ces vœux de nouvel an, j’entame la septième année de rédaction de mes billets à l’encre violette. Avec une motivation qui ne s’étiole pas malgré ou à cause, qui sait, de la morosité ambiante.
L’an passé, rappelez-vous, nous avions finalement échappé à la fin du monde annoncée par quelques illuminés réfugiés dans le petit village perché de Bugarach.
http://www.dailymotion.com/video/x9ja1p
Á défaut de Prévert pour faire le portrait d’un oiseau qui, de toute manière avec lui, ne serait pas de mauvais augure, j’en appelle à un autre poète qui le chanta beaucoup. En effet, pour m’être promené, il y a quelques jours, dans un square parisien dédié au regretté Marcel Mouloudji, me sont revenus aux oreilles quelques-uns de ses couplets pamphlétaires d’une actualité confondante. Jugez-en !
Y a plus d’jeunesse, y a plus d’saison
Y a plus d’printemps, y a plus d’automne, y a plus d’façons
Tout fout l’camp
Y a plus d’enfant
Y a plus d’famille, y a plus d’morale
Y a plus d’civisme
Plus d’religion
Tout fout l’camp
Y plus d’pognon
Y a plus d’pitié
Ya plus d’moisson
Plus d’charité
Y a plus d’joie de vivre
Y a plus d’gaieté
Y a plus d’travail
Y a plus d’santé
Y a plus d’chanson
Y a plus d’chanteur
Y a plus d’bonheur
Y a plus d’boxon
Y a plus d’boxeur
Tout fout l’camp
Y a plus d’français
Y a plus d’rosière
Y a plus d’fontaine
Y a plus d’chalet d’nécessité
Tout fout l’camp
Y a plus d’vrais hommes
Y a plus de drapeau
Y a plus d’Afrique
Y plus d’colonies
Y a plus d’bonniche
Plus d’savoir-faire
Plus d’tradition
Plus qu’des affaires
Á quoi bon
Á quoi bon hurler
Á quoi
Quoi bon gueuler
Á quoi bon
Á quoi bon s’griser
Á quoi bon
Quoi bon s’bomber
Á quoi bon
Á quoi bon s’muter
Á quoi bon
Quoi bon s’faire muter
Á quoi bon
Á quoi bon s’répéter
Le monde n’est plus ce qu’il était
Y a plus d’soleil
Y a plus d’chevaux
Y a plus d’romance
Y a plus d’bon air
Y a plus d’essence
Tout fout l’camp
Y a plus d’Paris
A plus de halles
Plus d’bords de Seine
Plus qu’des autos
Plus qu’des problèmes
Tout fout l’camp
Y a plus d’maison
Plus qu’la télé
Y a plus d’trottin
Plus qu’du lapin
Y a plus d’blés d’or
Y a plus d’louis d’or
Y a plus d’conscience
Y a plus qu’des banques
Y a plus d’bon pain
Y a plus d’bonne viande
Y a plus d’fromage
Y a plus d’poulet
Y a plus d’vrai lait
Tout fout l’camp
Y a plus d’amour
Y a plus d’serment
Plus d’clairs d lune
Plus d’galanterie
Plus que la pilule
Tout fout l’camp
Y a plus d’ferveur
Y a plus qu’du sexe
Y a plus d’fleur bleue
Plus qu’du pince-fesses
Y a plus d’héros
Plus d’héroïne
Y a plus qu’du hasch
Et d’la morphine
Á quoi bon
Á quoi bon hurler
Á quoi
Quoi bon gueuler
Á quoi bon
Á quoi bon s’griser
Á quoi bon
Quoi bon s’bomber
Á quoi bon
Adorer la vie
Á quoi bon
Quoi bon quoi qu’on s’dit
Á quoi bon
Puisque c’est fini
Ou c’est moi p’têt’ moi qui vieillis
Lors de sa création, il y a quarante ans, il me semblait devoir mettre sur le compte de l’humour, ce constat de l’auteur inoubliable de Comme un p’tit coquelicot. Il traduisait une certaine nostalgie à la sortie des « trente glorieuses ». C’était l’époque du premier choc pétrolier qui marquait les premiers signes annonciateurs de la crise que nous affrontons de plein fouet aujourd’hui. Placé dans le contexte actuel, il livre une vérité accablante et effrayante.
Bon, dans son inventaire désabusé, admettons qu’il y a encore assez de chevaux pour mettre dans la viande de bœuf, encore qu’on les recrute parmi les bêtes vouées à des expériences pharmaceutiques …
S’il n’y a plus que des banques qui nous ont privé du triple A, heureusement, la bonne andouillette de Troyes conserve son quintuple A !
Mais à part cela … ou alors, c’est p’têt moi qui vieillis !
Oui, on va dire les choses ainsi, je ne souhaite pas vous saper le moral d’emblée.
Je vais donc prendre exemple sur Philippe Delerm dont je lis justement quelques courtes chroniques d’atmosphère : « Á soixante ans on a franchi depuis longtemps le solstice d’été. Il y aura encore de jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. C’est peut-être un bon moment pour essayer de garder le meilleur : une goutte de nostalgie s’infiltre au cœur de chaque sensation pour la rendre plus durable et menacée. Alors rester léger dans les instants, avec les mots … »
Et fredonner quelques vers de Jean Ferrat, un autre grand poète. La chanson fut écrite précisément par Michelle Senlis pour Isabelle Aubret :
« Le vent dans tes cheveux blonds
Le soleil à l’horizon
Quelques mots d’une chanson
Que c’est beau, c’est beau la vie
Un oiseau qui fait la roue
Sur un arbre déjà roux
Et son cri par dessus tout
Que c’est beau, c’est beau la vie
Tout ce qui tremble et palpite
Tout ce qui lutte et se bat
Tout ce que j’ai cru trop vite
À jamais perdu pour moi
Pouvoir encore regarder
Pouvoir encore écouter
Et surtout pouvoir chanter
Que c’est beau, c’est beau la vie … »
C’est ce dont est sans doute persuadé un de mes lecteurs qui a déposé très récemment sur mon blog un émouvant commentaire au bas d’un billet à propos du pont de Bir-Hakeim (1er avril 2010). Il y a trente ans, un couple l’y empêcha de mettre à exécution son funeste projet.
Comme le chante Juliette Gréco dans son opus concept consacré aux ouvrages d’art enjambant la Seine : « Un pont, ça se traverse et c’est beau ».
Pour vous faire sourire, je vous cite encore un extrait des chroniques de François Morel sur France Inter, rassemblées dans Je veux être futile à la France, une de mes récentes lectures : « Du temps où les années étaient frivoles, les vieux n’avaient pas la maladie d’Alzheimer. Légers et insouciants, ils retombaient en enfance. Et l’on s’amusait la nuit de voir pépère mettre son imperméable sur son pyjama et chercher son vélo pour aller à l’église. Et le jour on rigolait bien quand on regardait pépère vider son tube de dentifrice dans l’aquarium et pisser dans la huche à pain. Aujourd’hui, l’époque est grave, M. Alzheimer n’a plus l’intention d’intégrer les brigades du rire ».
Vous faire partager l’idée que la vie est belle à travers une promenade, une exposition, une lecture, une musique, une rencontre, la « une » d’un journal, constitue inconsciemment le dénominateur commun de mes écrits à l’encre violette, même si … Mais chut !
Préparons-nous donc à rire un an de plus. Bonne et heureuse année 2014 !
