C’est une habitude lors de mes séjours en Ariège. Au marché de Saint-Girons, après avoir fait provision de bons produits du terroir, j’envisage quelques éventuelles nourritures intellectuelles en fouillant les rayons d’un valeureux libraire vendeur d’ouvrages d’occasion, sous les arcades près du Champ de Mars.
Dès qu’il m’aperçoit, il me fait un petit geste de dénégation signifiant qu’il n’a toujours pas déniché L’œil du lapin de François Cavanna que je guigne désespérément. Qui sait, cher lecteur, si vous ne serez pas plus heureux en arpentant les vide-greniers et brocantes de votre région … pensez alors à moi.
Qu’à cela ne tienne, il est rare cependant que je reparte les mains vides. Rien, ou plutôt tout guide mes choix, un titre auquel je n’avais pas prêté attention à l’époque de sa sortie, parfois, simplement, un détail anodin comme la couverture ou quelques lignes lues furtivement.
J’aime caresser le livre en tant qu’objet. J’adorais dans ma jeunesse en découper les feuilles non rognées avec le coupe-papier en ivoire que me prêtait ma maman, sans atteindre néanmoins le degré de jouissance décrit par l’écrivain transalpin Italo Calvino :
« Les plaisirs du coupe-papier sont des plaisirs tactiles, acoustiques, visuels, et plus encore mentaux. Pour avancer dans la lecture, il faut d’abord un geste qui attente à la solidité matérielle du livre, pour donner accès à sa substance incorporelle. Pénétrant entre les pages en dessous, la lame remonte vivement, ouvre une fente verticale par une succession régulière de secousses qui attaquent une à une les fibres et les fauchent, avec un crépitement amical et gai, le papier de qualité accueille ce premier visiteur, annonce que d’innombrables fois tourneront les pages, poussées par le regard ou par le vent … le son, là, est celui d’une déchirure étouffée, avec des notes plus sourdes. Le bord des pages révèle un tissu filamenteux … S’ouvrir un passage dans la barrière des pages au fil de l’épée, voilà qui va bien avec l’idée d’un secret caché dans les mots : tu te fraies un chemin dans la lecture comme au plus touffu d’une forêt. »
Ces instants sensuels sont à ranger dans l’armoire des plaisirs disparus. Les livres d’occasion que je feuillette me procurent d’autres frissons. J’essaie d’imaginer le lecteur qui m’a précédé. Une émouvante dédicace manuscrite ou quelques annotations en marge des pages fournissent parfois des informations sur son identité. Quelques pliures, cornes et taches révèlent son manque de soin voire de respect. Quels événements de la vie font que l’ouvrage se retrouve aujourd’hui dans le bac du libraire ?
Vous ne pouvez pas imaginer combien, récemment, je fus malheureux qu’une fuite d’eau provenant d’un plafond trempe complètement quatre livres que j’avais prêtés. Ils sèchent depuis plusieurs semaines …
Vous ne pouvez pas savoir quel crève-cœur ce fut aussi lorsque je dus me résigner, à la mort de mes parents, à un tri drastique dans leur bibliothèque pléthorique. J’ai gâté alors plusieurs médiathèques d’écoles et de modestes villages.
Ce samedi-là, mon regard est attiré par un livre à la couverture rigide anonyme de couleur brune. Seule la tranche révèle son contenu en lettres dorées : LE CRÈVE-CÉVENNE J.P Chabrol France-Loisirs.
L’auteur ne m’est bien sûr pas inconnu. J’ai lu dans ma jeunesse sa trilogie Les Rebelles : « D’après Zola, y a-t-il autre chose en art que de livrer ce qu’on a dans le ventre ? Alors cet été là, pardonnez-moi, je me suis soulagé : ma Cévenne, mes voisins, mes parents, mes amis, les mineurs, les paysans, mon atavisme huguenot, mes idéaux marxistes, sur la terre comme au ciel, et sous la terre, la tramontane, la vigne et le charbon, un cocktail, un » mescladis » selon le vocable occitan, tout cela partait d’un lieu, un village que je nommais Clerguemort, qui rayonnait comme un soleil… »
Je me rappelle aussi la diffusion par feu l’Office de la Radio Télévision Française, de l’adaptation de Les Fous de Dieu, un roman où Chabrol évoquait la guerre des Camisards du dix-huitième siècle au cours de laquelle les Huguenots (protestants) cévenols menèrent une insurrection contre les persécutions consécutives à l’Édit de Fontainebleau.
Je me souviens encore et, peut-être surtout, des merveilleuses veillées au coin du feu auxquelles Chabrol nous conviait dans les séries Les Conteurs d’André Voisin et La nuit écoute de Claude Santelli.
En notre époque du zapping, texto et tweet, ce genre d’émissions où on donnait le temps au temps de l’oralité, apparaîtrait comme surréaliste et inconcevable. En l’état, elles seraient même interdites en raison des mesures contre le tabagisme sur les plateaux de télévision. Dans l’extrait ci-après tiré des archives de l’INA, Claude Santelli qui réalisa par ailleurs de magnifiques adaptations de nouvelles de Maupassant, tire sur sa cigarette tandis que Chabrol sa bouffarde à la main, captive l’attention de trois enfants avec son histoire.
La Nuit écoute Jean-Pierre Chabrol
Comme son homonyme cinéaste mettait en scène les petites histoires souvent sordides de notre bourgeoisie, Jean-Pierre nous racontait sa Cévenne : « C’est un espace romanesque qui répand le parfum perdu des puissantes armoires de jadis que l’on ne préservait pas des mites avec du poison, mais avec des sachets de lavande »
Chabrol , ça sent bon le terroir, les aïeux occitans qui faisaient chabrot (on dit même chabròl en occitan) en diluant un peu de vin rouge dans le reste de soupe au fond de l’assiette.
Est-ce mon goût prononcé pour la géographie de ma douce France que m’enseigna mon professeur de père, j’ai toujours montré une attirance pour la littérature régionaliste et pour ces écrivains qui racontent leur pays et ses gens.
« Les Cévennes… où c’est ? On me l’a posée bien souvent, cette question. Longtemps, elle m’irrita, mon amour-propre en souffrait, en souriait aussi, comme, celui de Picasso si, supposition absurde, un préposé lui demandait d’épeler son nom. J’eus bientôt toute une série de réponses toutes prêtes, une sorte de tirade, un pied-de-nez. De la vulgarisation la plus vulgaire : « vous voyez le Massif Central ? Vous voyez la Méditerranée ? à mi-chemin par le chemin le plus court, la ligne droite… » Du technique amer pour ignorants susceptibles : «vous connaissez Nîmes ? Bien sûr… quand vous quittez la Cité romaine en direction du nord-ouest, avant d’arriver au Puy, vous connaissez ? Naturellement ! Vous traversez tout un fourmillement de montagnettes désolées, quelques villages dépeuplés que personne ne connaît. Les Cévennes sont ce désert où personne ne passe, dont personne ne parle, vous voyez, il n’y a pas de honte… » De la poésie pratique pour les simples biens intentionnés : « Les Cévennes, c’est quand le Massif Central met les pieds dans le plat, ce sont ses gros orteils qui se tendent vers la Méditerranée, pour voir si l’eau est bonne entre Sète et Marseille… » Du touristique moralisant pour vacanciers communs : « au lieu de dévaler à 150 la trop fameuse Nationale 7, prenez donc à droite après Moulins, par Thiers et la Chaise-Dieu et vous m’en direz des nouvelles ! Si vous connaissez déjà la Côte d’Azur, il y a un endroit où vous aurez envie de vous arrêter, en sachant ce qui vous attend deux cents km plus loin , cet endroit, c’est les Cévennes. » De l’orgueil ancestral pour le curieux historique : « Comment, vous ignorez ça, vous ! Mais les Cévennes, c’est le petit pays devant lequel le Roi Soleil dut mettre les pouces ! », ou mieux : « utilisez le De Bello Gallico, mon cher, Jules César vous renseigne… Et bien d’autres, devenues machinales, et qu’on ne me laisse pas oublier, hélas ! si bien qu’il m’arrive de répondre : « Où sont les merveilleuses Cévennes ? Je ne vous le dirai pas, si trop de gens le savaient, elles ne seraient plus ce qu’elles sont ! »
En me penchant sur sa biographie, j’appris qu’il était né de parents instituteurs dans un modeste village au pied du mont Lozère. Comme moi donc, il passa son enfance dans une maison d’école. Écoutez comment il conte sa venue au monde à l’occasion d’une autre veillée.
Les Conteurs
Je découvris aussi qu’au printemps 1944, alors qu’il passait un certificat de grec en classe de khâgne, il sauta par une fenêtre de la Sorbonne pour échapper à la Gestapo. Il se retrouva dans un maquis Francs-tireurs et Partisans (FTP) puis engagé dans l’armée du général de Lattre de Tassigny qui le conduira jusqu’à Berlin. Qui sait, j’aime l’imaginer, s’il ne côtoya pas mon regretté ami forgeron ariégeois dont je vous ai parlé dans mon billet du 17 décembre 2012 La mort de quelqu’un de vrai, un délicieux conteur lui aussi.
Sans doute, ai-je aussi une sympathie naturelle pour son appartenance à la cour du roi Geo(rges) Brassens. Ainsi, fustigea-t-il la « bande de cons », les « copains d’abord » dans un article du Figaro littéraire de 1957 :
« Comme dans la plupart des cours, la conversation ne s’anime un peu que pour calomnier les maréchaux absents. Brassens adore ça. Il s’amuse à dresser ses féaux les uns contre les autres. Il gourmande, tonne, décore, exile, mord le chien, refait le monde, accuse n’importe qui de lui voler ses pipes, oppose Lepoil à Lénine, me jette dessus son perroquet, qui, déjà, m’en veut depuis toujours, se goinfre soudain d’infâmes galettes aux algues que les maréchaux s’empressent de trouver délicieuses avant de repartir chacun chez soi, tristes ou guillerets pour une moue ou une algarade souvent mal interprétée, tandis que le souverain réhabilite Victor Hugo en réclamant son café sur un ton pleurnichard. Bref, il règne. » Je précise que, beau joueur, Chabrol avouait appartenir à cette armée de maréchaux.
Ce sont probablement tous ces souvenirs qui font qu’inconsciemment, mon choix se soit porté sur Le Crève-Cévenne, ce jour-là.
Ce recueil de nouvelles, publié en 1972, constitue en quelque sorte l’épilogue des Rebelles. Il évoque la mort de son vieux pays. En voici les premières lignes :
« C’est long de mourir. C’est insupportable, une langueur ! Y aurait de quoi se flinguer un bon coup. Surtout quand il ne s’agit pas que de sa propre mort, quand se mourir soi-même ne suffit plus, quand il faut bien, se mourant, mourir aussi son pays. Crever sa mort dans la mort de sa terre. On ne peut que rester le soir au coin de sa cheminée, quand on en a encore une, à regarder flamber les dernières bougnes des derniers mûriers. Mais il y a pire, mais il est des soirs, des nuits, l’hiver surtout, par des temps à ne pas mettre un assureur dehors, où personne ne passe, où personne ne vient s’accroupir dans l’autre coin, outre-flammes. Alors on se résout à sortir, à chercher un toit, un autre feu, un autre coin, un autre agonisant, un mourant veinard qui voit, lui guilleret, quelqu’un venir mourir avec lui dans la crève du vieux pays. »
Jean Ferrat ne disait pas autre chose quand il chantait, non loin de là, la montagne d’Ardèche.
« … Le boulanger m’a dit que Mme Sirven était bien « fatiguée », ce qui signifie, chez nous, qu’elle est à l’article de la mort. Elle a quatre-vingt-cinq ans. Elle a inventé une sorte de métier qu’elle a exercé tout au long de sa vie.
Aussi loin que remontent mes souvenirs, je la revois toujours au même endroit, toujours pareille : à l’entrée du grand tournant, quand on quitte le village en direction de la montagne. Très maigre, à peine voûtée, toute vêtue de noir, d’étranges yeux, très clairs, bordés de sang. Je ne l’ai jamais vue jeune, je ne l’ai jamais vue vieillir.
L’après-midi de ce lundi 5 novembre 1971 tire à sa fin. À l’auberge, il y a le Fossoyeur, le père Louiset, l’Aubergiste et moi. La nuit tombe. Mme Sirven se meurt, et nous parlons. »
Mieux que ce livre, la voix chaude et caressante de Chabrol et ses citations en patois raconterait la vie des aïeux et ancêtres de son pays, avec nostalgie et aussi colère car il enrage de voir sa « Cévenne » disparaître.
Madame Sirven fut « une femme ni grande ni grosse, une jeune femme, une femme mûre, une vieille femme tout en os » qui, pour quelques sous, passa sa vie à gravir la montagne, avec sur le dos les sacs de charbon de cinquante kilos auxquels les mineurs avaient droit chaque semaine mais dont, travaillant à cette heure-là, ils ne pouvaient prendre livraison.
Ce ne sont pas les chèvres et les sangliers ni la fonte des neiges qui creusèrent le sentier abrupt qu’elle empruntait, mais ses deux pieds, en sandales l’été, en sabots l’hiver. Ce que Chabrol qualifie joliment de « l’érosion d’une vie ».
L’écrivain questionne aussi sa maman, notamment sur le temps où elle faisait la lessive à la cendre : Pâques, vers à soie, moissons, vendanges, quatre grands lavages de linge sale couronnant chacun une période pénible de gros travaux. Il en fallait des armoires bourrées de linge. On se mariait avec un trousseau complet.
Cela me rappelle le grenier dans la maison d’école de mon enfance. Dans un coin où il m’était interdit de fureter, il y avait des cartons remplis de draps, torchons, nappes et serviettes de table soigneusement pliés dans des housses en plastique. J’ai encore en ma possession un cahier où ma maman directrice consignait consciencieusement le trousseau de linge dont chaque jeune fille entrait en possession à sa sortie du collège. Je me demande même s’il n’était pas brodé à ses initiales. Anecdote surréaliste en notre époque où l’on collectionne les couettes imprimées made in … (?)
Chez les Chabrol, chaque grande lessive durait huit jours. Le linge était entassé dans une grande cuve puis recouvert de la cendre de bois du four de boulanger du papé. Puis, étaient déversés lentement de grands chaudrons d’eau de plus en plus chaude.
– Et ça suffisait à laver un linge si sale ?
– Si ça suffisait ! Le linge était merveilleux ! Et il sentait bon ! C’était la lessive naturelle.
La lessive non essorée et le linge de couleur, emportés sur une charrette étaient ensuite trempés dans l’eau de la Cèze, à quelques kilomètres de là.
Et puis ? « Et puis, on allait manger. Des omelettes. Des salades de haricots. Des aubergines aux tomates, parce que c’est bon froid. Et tout était fameux là-bas, quand tu avais travaillé la matinée entière … »
C’était aussi l’occasion de ramener un gros galet de la rivière qui, mis dans l’âtre, servait de chauffe-lit l’hiver.
Dois-je le considérer comme un privilège, j’ai connu cela aussi chez ma mémé Léontine. Ses chambres étant non chauffées, elle mettait une brique dans le four de son vieux poêle à charbon, puis l’enveloppant d’un papier journal, elle la glissait entre les draps de mon lit. Ça suffisait pour que je sois heureux !
« J’ai souvent pensé c’est loin la vieillesse
Mais tout doucement la vieillesse vient
Petit à petit par délicatesse
Pour ne pas froisser le vieux musicien
Si je suis trompé par sa politesse
Si je crois parfois qu’elle est encore loin
Je voudrais surtout qu’avant m’apparaisse
Ce dont je rêvais quand j’étais gamin
Ah qu’il vienne au moins le temps des cerises
Avant de claquer sur mon tambourin
Avant que j’aie dû boucler mes valises
Et qu’on m’ait poussé dans le dernier train … »
Je voulais vous offrir ces couplets poétiques (et politiques) de Jean Ferrat avant que Chabrol évoque le cerisier de son grand-père qui produisait de juteuses « caillettes ».
Le Papé d’Avéjan choisit, la dernière année de sa vie (1945), d’y creuser dessous un caveau à deux places pour son épouse et lui-même. Une vingtaine d’années plus tard, Chabrol y revint :
« J’ai traversé le village, je suis passé devant la vieille maison vide, je suis descendu derrière la colline, vers le grand cerisier …
Le tombeau est vide. Vidé.
La dalle, descellée, a été jetée sur le côté. Devant le trou béant, on a fait un feu. Parmi les cendres, j’identifie quelques clous, une poignée de cercueil en mauvais métal qui a dû être doré ou argenté et qui n’est plus qu’un paquet de rouille. »
Le petit champ du cerisier avait été mis en vente. Les éventuels acheteurs étaient ennuyés par la présence du tombeau, de ces deux morts. « Il n’y a qu’à les enlever ! … On a bien essayé de faire comprendre à l’héritier que ces choses-là ne se font pas, mais il est de ces gens qui haussent les épaules. « tout ça, c’est des vieilleries. Nous sommes de notre époque, il faut aller de l’avant ». »
Chabrol descendit dans le caveau et s’allongea dans la position exacte du Papé : « Je n’avais même pas à relever la tête. Je voyais là-haut sur la colline, les tuiles rondes du village et, nettement, l’angle du logis, la terrasse où la petite vieille étendait son linge, où le vieux Louis jadis exposait au soleil les rayons de ses ruches … » Son grand-père « apercevait nettement son village, et le toit de sa maison … Il y était né, y avait grandi, s’y était marié, y avait élevé ses trois enfants… Il y avait été paysan, boulanger puis sur la fin de ses jours, pour ne rien laisser perdre de son courage de vivre, apiculteur et chevrier. »
Le grand-père n’est pas le seul à avoir connu telle profanation. « Pauvres ossements huguenots, s’ils sont là, c’est qu’on leur refusait la sépulture chrétienne des cimetières. On pourrait croire qu’enfin là, chez eux, on va leur foutre la paix éternelle. Ah mais non ! Des siècles après leur mort, on les expulse encore. »
Madame Sirven a « crevé » elle-aussi. « Sur le chemin du village, sur le pont, dans la rue principale, des groupes de femmes et des groupes d’hommes se dirigeaient à pas lents vers la maison mortuaire sous les grands platanes qui pleuraient. En chapeaux, vernis, cravates, voilettes, sacs à main, dans un sombre silence, ces gens passaient parmi les groupes bariolés et criaillants des touristes et des vacanciers. Le peuple éternel parmi la population saisonnière, les pays parmi les passagers. Parenthèse d’une heure dans la vie laborieuse de la vallée…Et c’est ainsi encore dans mon village : quand un vivant s’en va, les autres l’accompagnent le plus loin possible, quand un mort arrive, tous les morts en profitent. »
Chabrol poussait son cri de colère au début des années 1970 contre les routes, les promoteurs, les résidences secondaires qui profanaient sa « Cévenne », les riches étrangers qui rachetaient, restauraient et clôturaient les mas cévenols puis regardaient les vieux comme des Indiens. « Crever sa mort dans la mort de sa terre ! »
Vint le temps des concessions. Au soir de sa vie, l’écrivain se réconcilia étrangement avec le Parc National des Cévennes dont il avait farouchement combattu la création : « Moi, j’ai toujours dit qu’être cévenol n’est ni un métier, ni une excuse. Ceux qui viennent s’installer ici, et ils sont nombreux, ont à mon avis plus de mérite que ceux qui ne se sont donné que la peine de naître ici… l’important, c’est de savoir où on veut aller, ce qu’on apporte au pays, à ce pays qui a besoin des hommes. »
Il m’a plu de revivre durant deux centaines de pages une époque que racontait la carte économique de la France accrochée au mur de ma classe. Entre Rhône et Causses, nous y lisions « houille » et « vers à soie » avec les dessins d’un wagonnet et d’une chenille de bombyx.
« Tu sais, la «noblesse paysanne», ce n’est pas un vain mot. Je ne sais pas comment dire… Mes parents n’étaient pas orgueilleux, puisqu’ils n’avaient rien, et ils l’étaient un peu quand même. Ils ne devaient rien à personne » disait maman Chabrol. Comme ma mémé Léontine qui s’appelait même Noblesse de son nom de jeune fille !
J’ai fait fort (avec) Chabrol. Ce jour-là, chez mon libraire ariégeois, je fis aussi l’acquisition de Les petites Espagnes, un autre ouvrage de l’auteur cévenol qu’il écrivit avec le chanteur poète occitan Claude Marti. Peut-être, vous en parlerai-je un jour …