Formidable STROMAE !
Il est Formidable !
Et moi, j’ai été fort minable de ne pas tomber plus tôt dans le waterzoï, la marmite au fumet … formidable concoctée par le jeune chanteur bruxellois Stromae (prononcer Stromaï !).
Stromae comme maestro en verlan, de son vrai nom Paul Van Haver, né en 1985 d’une mère flamande et d’un père rwandais parti très tôt du domicile familial et décédé au cours du terrible génocide entre Hutus et Tutsis. Un melting « pot belge » aussi explosif que la concoction dopante des coureurs cyclistes mais tellement moins nocif ! À consommer donc sans modération.
« Qui dit étude, dit travail
qui dit taf te dit les thunes
qui dit argent dit dépenses
qui dit crédit dit créances
qui dit dettes te dit huissier
qui dit assis dans la merde
qui dit amour dit les gosses
dit toujours et dit divorce
qui dit proches, te dit deuils
car les problèmes ne viennent pas seuls
qui dit crise te dit monde
dit famine dit tiers monde
qui dit fatigue, dit réveil
encore sourd de la veille
alors on sort pour oublier tous les problèmes
ALORS ON DANSE …
et la tu t’dis que c’est fini
car pire que ça ce serait la mort
quand tu en crois enfin que tu t’en sors
quand y en n’a plus et ben y en a encore ... »
C’est en voyant notre jeunesse (pas seulement) se trémousser sur son premier grand succès, lors de quelques bals de village cet été, que j’ai pris conscience de la portée réelle de ses paroles. « En fait, ce n’est pas léger du tout ce qu’il raconte ».
J’ai achevé d’être conquis par le personnage lors de son récent passage à la télévision, dans l’émission de Ruquier. Comme quoi ça vaut parfois la peine de se coucher tard le samedi soir !
Une dégaine étonnante, une sympathie à revendre, une intelligence subtile et surtout, surtout, son nouvel album Racine carrée, savoureux cocktail décalé de textes profonds sur des musiques qui donnent envie de danser.
Le look d’abord, ce grand jeune homme métis et dégingandé à en être presque trop maigre, aime à porter, comme un « uniforme de travail », des chaussettes très colorées et des polos, chemisettes ou pulls inimitables avec des quadrillages isométriques (des cubes en suspension sur un de leurs sommets !) en référence, dit-il, à son esprit matheux déjà perceptible avec le titre de son album.
Beaucoup de personnalité ensuite, il séduit immédiatement ses interlocuteurs en leur assénant subtilement quelques certitudes qu’il modère aussitôt en énonçant tout aussi sincèrement un possible contraire. À l’image des histoires à sens multiples, à mots cachés qu’il nous chante : « Nous étions formidables, tu étais formidable, j’étais fort minable ».
Arno, un autre chanteur belge décalé, dérangeant et attachant, le considère volontiers comme un enfant de James Ensor, ce peintre né à Ostende qui ne peignait plus que des masques avec des collages de couleurs contraires et aux formes géométriques (comme les chemisettes de Paul) pour évoquer la mort, l’enfance, la mer, le rire, l’angoisse, bref le grand carnaval de l’humanité.
Un enfant également du surréaliste Magritte dont il pastiche la célèbre phrase au début d’une de ses vidéos : Ceci n’est pas un clip ! ou Ceci n’est pas une leçon!
Stromae est un enfant de son siècle, de l’ère du numérique. Ancien étudiant d’une école de cinéma, il en a compris tous les ressorts et la puissance de l’image.
Son immense succès actuel s’est forgé aussi en grande partie sur certains de ses passages à la télévision et sur les clips de ses chansons qu’il réalise lui-même avec une bande de potes.
Ainsi, il fait le « buzz », c’est comme ça qu’on dit pour faire d’jeun, autrefois j’aurais écrit qu’il creva l’écran lors de son interprétation de Formidable dans la (souvent) chouette émission de Frédéric Taddéi, Ce soir ou jamais :
Fooooormidable ! Stromae, est-il vraiment ivre, empoigne son micro pour venir se planter, gesticulant et titubant, apostrophant presque les invités de l’émission, et leur racontant l’histoire d’un mec « un peu fort bourré », stérile et viré par sa nana la veille :
« … Tu sais dans la vie y’a ni méchant ni gentil
Si Maman est chiante, c’est qu’elle a peur d’être mamie
Si Papa trompe Maman, c’est parce que Maman vieillit, tiens
Pourquoi t’es tout rouge ? Ben reviens gamin !
Et qu’est-ce que vous avez tous, à me regarder comme un singe, vous ?
Ah oui vous êtes saints, vous !
Bande de macaques ! ... »
La première fois que j’ai vu cet extrait, j’ai pensé instantanément à quelqu’un, pas vous ?
Un chanteur de Bruxelles aussi, avec ces bras ballants, avec cet accent-là, même si plus personne n’a cet accent-là … sauf à la télévision, disait-il ; j’ai eu le bonheur de le voir trois fois en scène, vous peut-être pas.
Oui, c’est le Brel de Jef, un autre paumé qui se retrouve minable, « largué par une fausse blonde ». Petit rappel :
http://www.ina.fr/video/I00008316
Ne soyez pas outré par ma comparaison, d’ailleurs, avec lucidité et humilité, Stromae reconnaît qu’il n’a rien prouvé à côté de l’immense Grand Jacques, et que si ressemblance il y a, elle réside dans la gestuelle et le phrasé.
Quelques jours après l’émission de France 2, court sur le Net le clip de Formidable et c’est … formidable !
Ça commence par des vues de tramway, pas le tram 33 emprunté par Brel pour aller voir Madeleine car il n’existe plus depuis les années 1960 (voir billet du 9 octobre 2010 La Madeleine de Brel). Stromae a dépensé ses trois sous à boire la nuit d’avant …
Un clip … formidable ! Du cinéma (presque) vérité ! Un petit matin pluvieux, sur la place Louise à Bruxelles, il interprète formidablement son héros minable en caméras cachées (des Iphone je crois) au milieu de la foule des passants en partance pour le boulot et ignorant tout de la supercherie. Et pour preuve, cette Une de presse :
Formidable pouvoir de l’image ! Bien au-delà de la chanson elle-même, c’est une formidable démonstration sur le regard d’autrui et l’indifférence. Seuls, une fan l’aide à se relever et … des policiers s’inquiètent de l’état du chanteur qu’ils ont reconnu. Et il avoue confondant de sincérité: « Si j’avais été à la place des témoins, j’aurais sans doute oscillé entre les indifférents et les voyeurs ».
Ajoutant mon petit clic aux millions d’internautes qui ont visionné ce clip sur la Toile, j’avoue être envoûté ou enivré plutôt.
À tel point que depuis, j’ai plongé complètement dans l’univers de Stromae. Car son formidable album ne se résume pas à cette unique chanson et vous ne pouvez pas ne pas avoir entendu au moins une fois son aussi formidable morceau Papaoutai :
Rançon de la gloire, les Guignols de Canal + se le sont accaparés et nous en offrent un hilarant pastiche dans la bouche de la marionnette affolée de François Hollande, Emploi où t’es !
Dans Papaoutai, on retrouve tout l’art de Stromae, les mots et la musique qui exorcisent les maux, le chic de nous balancer un sujet grave et de nous sortir de notre fauteuil pour nous balancer aussi à la recherche de notre père. Bref, comment ne pas danser idiot !
On a hâtivement catalogué cette chanson comme autobiographique, rapport à son papa qu’il n’a pratiquement pas connu. Stromae, comme pour la plupart de ses textes, affirme que son vécu personnel n’affecte que le quart de son œuvre. Comme une éponge, il s’imprègne surtout du quotidien qu’il contemple.
« … Un jour où l’autre on sera tous papa
Et d’un jour à l’autre, on aura disparu
Serons-nous détestables ?
Serons-nous admirables ?
Des géniteurs ou des génies
Dites-nous qui donne naissance aux irresponsables ?
Ah, dites-nous qui, tiens
Tout le monde sait comment on fait des bébés
Mais personne ne sait comment on fait des papas
Monsieur j’sais tout en aurait hérité, c’est ça ?
Il faut l’sucer d’son pouce ou quoi ?
Dites-nous où c’est caché ?
Ça doit faire au moins mille fois
Qu’on a bouffé nos doigts. »
Comme le rappeur et le bon percussionniste qu’il fut , il a le sens de la formule ramassée et percutante, tel un slogan, qui fait mouche. Eh oui, c’est une responsabilité d’être père.
Encore une fois, le clip est un petit bijou avec une chorégraphie poétique, tendre et surréaliste.
Racine carrée est un album rempli de plein d’autres surprises pas forcément joyeuses.
Les Moules frites sans frites et sans mayo de Stromae n’ont pas la saveur truculente et festive de celles que Brel mangeait chez Eugène. Elles évoquent le drame du sida.
« ...Mais il aurait dû s’en méfier, Paulo
Car on ne sait où elle s’est baignée, plus tôt
Comme elle était contaminée
Paulo ne chantera plus
Ou peut-être une fois enterré, Paulo
On chantera tous :
Paulo aime les moules-frites
Sans frites et sans Mayo (A toi Paulo)
Paulo aime les moules-frites (On chantera tous pour toi)
Sans frites et sans Mayo. »
Il nous fait frissonner avec Quand c’est, cancer qu’il personnifie un peu à la manière de Bertrand Blier avec son film Le bruit des glaçons.
« Mais oui on se connaît bien
T’as même voulu te faire ma mère hein ?
T’as commencé par ses seins
Et puis du poumon à mon père, tu t’en souviens ?
Cancer, cancer
Dis-moi quand c’est
Cancer, cancer
Qui est le prochain ?
Cancer, cancer
Dis-moi quand c’est
Cancer, cancer
Qui est le prochain ?
Et tu aimes les petits enfants
Décidément rien ne t’arrête toi
Mais arrête de faire ton innocent
Sur les paquets de cigarettes
« Fumer tue », tu m’étonnes
Mais tu m’aides. .. »
Avant que notre moral ne soit trop à zéro, alors on danse ( !) sur une morna cap verdienne, un hommage à la grande Cesaria Evora. Merci Cesaria, Obrigado, « Aux brigades, tu embrigadas des millions de soldats dans ta patrie ».
« Sacrée Cesaria, quelle belle leçon d’humilité
Malgré toutes ces bouteilles de rhum, tous les chemins mènent à la dignité … »
Quel (tit) punch !
Musique électro, rythmes africains, la musique de Stromae est aussi métissée que son auteur dont la chanson préférée est Chan Chan du Buena Vista Social Club.
« … Mais t’es Hutu ou Tutsi ?
Flamand ou Wallon ?
Bras ballants ou bras longs ?
Finalement t’es raciste
Mais t’es blanc ou bien t’es marron, hein ?
Ni l’un, ni l’autre.
Bâtard, tu es, tu l’étais, et tu le restes !
Ni l’un ni l’autre, je suis, j’étais et resterai moi… »
Reste comme tu es Stromae ! Reste ce formidable « saoul man » !
Es-tu un phénomène de mode, une étoile filante dans le ciel du music-hall ? Parlera-t-on de toi dans cinquante ans comme on le fait encore de Brel, Nougaro et Piaf que tu adores d’ailleurs ?
Peu importe, tu sais en tout cas rassembler toutes les générations confondues, j’en suis un exemple. Une formidable histoire belge !
