Mon Festival du film britannique de Dinard 2013
Mardi 1er octobre, après avoir fait l’impasse sur l’édition 2012 pour raisons familiales, je mets le cap sur la côte d’émeraude pour assister au 24e festival du film britannique de Dinard.
Tandis que je franchis le barrage de la Rance, un minuscule rayon de soleil troue subitement le ciel désespérément chargé, signe précurseur d’une météo réjouissante qui nous accompagnera tout au long de la semaine. Vous savez bien que ce sont les mauvaises langues qui prétendent qu’il pleut toujours en Bretagne
Ouf, tant mieux, car rien n’est plus désagréable que de se tremper sous la pluie en attendant l’ouverture des portes des salles de projection. D’année en année, les queues de spectateurs s’allongent et l’attente se prolonge malgré la possession d’une carte pass, obtenue en juin avec de plus en plus de difficulté.
En cette veillée d’armes, je retire justement le précieux sésame à l’accueil du palais des arts et du festival (PAF) ainsi que le package (tolérez les anglicismes pour l’évocation d’un événement dédié au cinéma britannique) du festivalier comprenant le catalogue, la grille des programmes et l’affiche de la manifestation.
L’affiche, un brin victorienne, est l’œuvre de Jean-François Rozier, spécialiste de l’hyperphoto, un concept consistant en un assemblage de plusieurs clichés pris au téléobjectif.
Ainsi, chaque partie de la photo offre une netteté optimale mêlant l’infiniment grand et l’infiniment petit dans un même cadre.
La présence surprenante, à première vue, d’un ours dans le champ s’explique par la toponymie de la ville, Dinard provenant en breton de din, colline, et arz, ours. Rien à voir avec les ursidés slovènes d’Ariège qui ont encore fait des leurs en provoquant le dérochement de quarante brebis à l’estive où j’ai tourné cet été (voir billet Là-haut … Amédée Soucasse du 25 août 2013) !
En revanche, je me régale, en ce premier soir, d’un foie gras et d’un parmentier de confit de canard dignes justement du terroir ariégeois. Ainsi repu, je peux organiser avec lucidité (?) mon programme du lendemain sachant que je souhaite voir en priorité les six films en compétition pour le Hitchcock d’or, récompense suprême du festival, et que le bon « timing » pour accéder à la place de mon choix (question de longueur de jambes !) est de se présenter environ une heure avant le début de la séance.
Pour tempérer l’ire des festivaliers de plus en plus mécontents, les organisateurs ont décidé, cette année, de projeter tous les films de la compétition et quelques avant-premières dans deux salles en même temps.
Mercredi 2 octobre, 9h 30 : après un bonjour à Alfred, je me dirige le long de la plage de l’Écluse vers le Balnéum, une nouvelle salle de projection au sous-sol du PAF, qui remplace désormais la bulle Hitchcock définitivement dégonflée.
Dans la queue, plein de visages ne me sont pas inconnus, des fidèles du festival bien sûr. Cela facilite les conversations pour tromper l’attente. On se remémore avec un brin de nostalgie (il paraît que c’est le dénominateur commun de la programmation de cette année) de beaux moments cinéphiliques des éditions passées; éternelle litanie,on se lamente aussi évidemment sur la difficulté croissante pour obtenir les précieuses cartes pass. Aucun souci pour mon camarade et moi, nous sommes … les premiers au guichet.
Allez, s’ouvre le 24e festival du film britannique de Dinard dont la bande annonce, instantanés de quelques succès passés, est projetée au début de chaque séance.
Au programme ce matin, Spike Island, un film de Mat Whitecross qui nous avait déjà régalés ici en 2010 en signant Sex&Drugs&Rock&Roll, un biopic de Ian Dury, un rocker britannique célèbre dans les années 1970 avec son groupe The Blockheads.
Cette fois encore, le réalisateur plonge dans l’univers musical en nous contant la virée de cinq lycéens un peu branleurs de Manchester, eux-mêmes membres d’un petit groupe de rock indépendant Shadowcaster, pour se rendre au concert mythique que donnèrent leurs idoles, le groupe des Stone Roses, le 27 mai 1990, à Spike Island.
Cela ne vous rappelle rien les Stone Roses emmenés par leur chanteur Ian Brown ? Alors, écoutez :
I Wanna Be Adored, je veux être adoré, … et dans le film, j’adore d’emblée les jeunes fans qui reprennent cet immense succès. Il fait déjà chaud au Balnéum, au propre comme au figuré.
Mat Whitecross montre une nouvelle fois sa virtuosité à faire bouger sa caméra, dès qu’il s’agit de filmer de la musique rock, empruntant même quelques codes à la bande dessinée.
Il ne faut cependant pas réduire le film à sa seule dimension musicale. C’est aussi une histoire d’amitié entre les cinq adolescents, singulièrement mise à mal dans leur road movie de soixante-douze heures pour rejoindre Spike Island et obtenir les indispensables billets d’entrée au concert.
C’est encore, en toile de fond, une esquisse de l’Angleterre thatchérienne et de sa jeunesse désargentée, désespérée, recourant parfois à quelques paradis artificiels. L’action se déroule notamment à Manchester dans les quartiers ouvriers en briques rouges noircies dont sont originaires aussi bien les Stone Roses que leurs fans. C‘est sale et pourtant chaleureux.
Spike Island, c’est aussi l’île éponyme, située dans l’estuaire de la Mersey, au nord-ouest de l’Angleterre, sur laquelle s’amassaient de nombreuses usines chimiques extrêmement polluantes. Au pied des cheminées de centrales, la sympathique bande de jeunes vit un moment de bonheur intense en entendant (sans les voir et pour cause, c’est l’argument du film) leurs idoles. Explosion de mélo, leur chef Tits et la craquante Sally interprétée par Emilia Clarke, connue pour son rôle dans la célèbre série Game of Thrones, ont envie de s’adorer sous le ciel étoilé d’un feu d’artifice.
Le soleil brille à Dinard, d’ailleurs George Harrison chante même Here comes the sun dans les enceintes installées le long du tapis rouge qui mène vers le Palais du festival. C’est là que je vois en début d’après-midi The Sea, second film de la compétition officielle.
Ce n’est pas l’homme qui prend la mer mais c’est la mer qui prend l’homme ! Premier long-métrage du réalisateur Stephen Brown, The Sea raconte les tourments de Max, un historien d’art spécialiste du peintre Pierre Bonnard, qui, suite au décès de son épouse, revient dans un petit village au bord de la mer d’Irlande où il passait ses vacances dans son enfance. Il se souvient alors d’un certain été durant lequel il vécut son éveil à la sexualité ainsi qu’une terrible tragédie.
Cela pourrait peut-être s’intituler La mémoire et la mer comme la magnifique chanson que Léo Ferré composa dans sa demeure de l’île du Guesclin, non loin de Dinard, entre Saint-Malo et Cancale.
Le film souffre de sa lenteur ou de sa langueur océane, à moins que ce ne soit une de ses qualités. Le récit est construit sur une alternance entre instants du présent et moments du passé, ces derniers étant traités avec des images superbement lumineuses, presque surexposées (comme une peinture de Bonnard ?).
Aux côtés de Charlotte Rampling, Ciaràn Hinds, dans le rôle de Max, accomplit une performance remarquable qui, à elle seule, justifierait presque de recommander ce film intimiste.
Contrairement à mon habitude, je n’attends pas la fin du générique et sors en trombe de la salle pour … me glisser dans la file d’attente de la projection suivante. Eh oui, à Dinard, la vie de festivalier n’est pas une longue mer tranquille !
Au programme, troisième film en lice pour le Hitchcock d’or, The Selfish Giant (Le géant égoïste) de la réalisatrice plasticienne Clio Barnard qui s’est inspirée lointainement d’un conte d’Oscar Wilde.
Petit clin d’œil à Claude Sautet et Romy Shneider, après Max (de The Sea), voici les ferrailleurs : Arbor et Swifty, deux gosses issus d’un quartier populaire de Bradford, au nord de l’Angleterre.
Ce conte crasseux commence comme un roman de Dickens : lors d’une virée nocturne à cheval, les deux adolescents surprennent deux voleurs de câbles dont ils subtilisent le butin.
Ils comprennent très vite tout le parti qu’ils peuvent tirer de la fauche de métaux usagés en les refourguant à Kitten, le ferrailleur du coin, moyennant quelques sous.
Virés de l’école, ils ont bientôt tout loisir de battre la campagne environnante de Bradford avec un cheval et une charrette pour une ruée vers le fer qui s’avèrera, l’appât du gain aidant, de plus en plus dangereuse, et même tragique.
Sur fond d’évocation d’une Angleterre profonde misérabiliste, la réalisatrice narre l’amitié entre ces deux jeunes mal assortis: d’un côté Arbor, un petit nerveux, rebelle à toute forme d’autorité, obnubilé par l’idée de monnayer ses larcins, et de l’autre, le rondouillard et débonnaire Swifty, dont les racines gitanes expliquent peut-être son don de « murmurer à l’oreille des chevaux ». Le géant égoïste, Kitten le ferrailleur, joue de leurs différences pour creuser un fossé entre eux afin de les exploiter.
Faut-il reprocher à la réalisatrice le sentiment de déjà vu qui se dégage de son film, sachant qu’effectivement, on pense immédiatement au cinéma social de Ken Loach et notamment à Kes. Je trouve pour ma part, qu’il s’agit au contraire d’un beau compliment dans la lignée de l’accueil que le film a reçu à Cannes, en mai dernier, à la Quinzaine des réalisateurs.
En homme d’image que je fus (et que je suis encore parfois) je suis séduit par la caméra virevoltante de Clio Barnard ainsi que par l’esthétisme presque poétique des paysages post-industriels.
Au-delà de la violence sociale qu’elle décrit, Clio Barnard apporte, conte oblige, une touche de tendresse et de merveilleux à travers l’amour de Swifty pour les chevaux qui finit par séduire aussi Arbor.
Je suis conquis aussi par le jeu des deux adolescents et, en particulier, l’énergie dévastatrice du petit blondinet Conner Chapman.
Sur un sujet assez proche, le cinéma français n’a pas été capable, à ce jour, de produire un film aussi efficace sur les émeutes de Clichy-sous-Bois qui conduisirent, il y a cinq ans, à l’électrocution de deux adolescents.
Bref, vous comprenez pourquoi je dépose le coupon « j’ai beaucoup aimé » dans l’urne recueillant les votes du public à la sortie de la salle.
Sur les marches du palais, je surprends Elliott Titensor, le chef de bande des fans des Stones Roses dans Spike Island. Cela se vérifie encore, à Dinard, particulièrement les acteurs britanniques sont très disponibles avec le public.
Il est temps bientôt de nous retrouver, face à la mer, au premier étage du Café Anglais tenu par Franck et Vincent, deux frères très sympathiques. Pour ne pas déroger à nos habitudes festivalières, nous nous régalons d’une savoureuse choucroute de la mer arrosée d’un gouleyant Riesling. Si indigestion, il doit y avoir, elle provient des refrains des Beatles qui tournent en boucle dans l’avenue au-dessous.
Trois zéro, c’est un nanar de Fabien Onteniente, c’est aussi le score à la mi-temps du match de ligue des champions entre le PSG et l’équipe portugaise de Benfica, retransmis sur l’écran derrière le comptoir. Ne vous moquez pas, cinéma et football font parfois bon ménage, je vous le prouverai bientôt.
Profitons de la vie car tout le monde doit mourir… Everyone’s going to die, c’est ce film qui conclut ma première journée de festival. Un drôle de titre, avant d’aller dormir, pour un drôle de film : un film d’amour sans amour, un film de gangsters sans gangsters !
Deux âmes paumées, une dernière chance ! On se retrouve encore dans une station balnéaire. Il ne m’arrive pas tant d’aventures au bord de la mer.
Mélanie, une jeune femme allemande qui se trouve là pour être près d’un fiancé fantomatique, croise dans une cafétéria, Ray, un type divorcé, un peu louche, on ne sait pas pourquoi, qui vient voir sa famille suite au décès de son frère. Il manque vingt pences à Mélanie pour régler son café. Ainsi va la vie …
C’est un film irracontable qui peut apparaître ennuyeux en racontant l’ennui et la vacuité de leur vie mais sont-ce les profiteroles que j’ai mangées au dessert, j’entre volontiers dans cette histoire sombre, loufoque, sans avenir et pourtant… Il y a un petit côté « frères Coen » avec les deux personnages déjantés. Ainsi Ray laisse échapper de son veston, un revolver qui explose le pauvre chat (Reservoir Cats ?) ; finalement, n’est-ce pas une bonne nouvelle puisque les chats ont la chance de connaître neuf vies, et le frère de Ray est donc possiblement réincarné.
J’aime le jeu minimaliste de Rob Knighton dans la peau de Ray, juste un peu énervé quand il s’agit d’ouvrir ses petites boîtes de lait (!) ou qu’il tombe systématiquement sur une publicité de rencontres gays lorsqu’il allume sa télé. Mélanie alias Nora Titschner est magnifique.
Je glisse ma vignette « j’ai bien aimé » dans l’urne, je ne suis pas certain que la majorité des spectateurs partagent mon avis.
Jeudi 3 octobre : la pluie fait des claquettes sur les vitres de la maison. Au petit déjeuner, café et marmelade d’oranges au désespoir de mon camarade qui a acheté spécialement pour moi une plaquette de beurre doux. J’adore le beurre salé breton sauf …
Dépêchons-nous pour profiter de la zone abritée de la file d’attente. Amusé, je tends l’oreille, une Dinardaise bon chic bon genre confie (à la cantonade ?) sa vive réprobation sur le choix d’Éric Cantona comme président du jury du festival. Pourtant, l’ancien footballeur que les kops de Grande-Bretagne surnommèrent King Eric, mène, depuis qu’il a raccroché les crampons, une carrière au cinéma avec un certain bonheur. Il a joué dans des films populaires comme Le bonheur est dans le pré et Les Enfants du marais ainsi que dans un remake du Deuxième souffle. Le grand Ken Loach lui a fait interpréter son propre rôle dans Looking for Eric, présenté au festival de Cannes. Depuis un an, Cantona propose une série d’excellents documentaires sur les grands derbies du football. Le dernier Looking for Athens évoque la rivalité entre les deux clubs phares de la capitale hellène sur fond de crise grecque. Alors même s’il fut Picasso dans les marionnettes des Guignols, ce n’est pas un « peintre » au cinéma. Et pour clore le bec à ma voisine, Lino Ventura fut bien catcheur avant de débuter dans Touchez pas au grisbi.
Au programme ce matin, Believe de David Scheinmann ! Encore du foot, qui plus est à Manchester, là même où Cantona construisit sa légende !
Georgie 11 ans, un gosse de la classe ouvrière qui a besoin de quelques livres pour payer les frais d’inscription à la Manchester Football Junior Cup, dérobe le portefeuille de Sir Matt Busby. Beaucoup de spectateurs dans la salle ignorent qui est ce vénérable septuagénaire (moi je sais, la la la !).
Un flashback nous montre, trois heures auparavant, Georgie jonglant dans son salon devant une vidéo de son idole, le légendaire footballeur brésilien Pelé, tandis que M. Busby, tout en se préparant pour un enterrement, surprend sur son petit écran, un reportage qui le concerne à l’occasion de son soixante-quinzième anniversaire.
Matt Busby est une légende du football britannique et, en particulier, du club de Manchester United. Sous ses ordres, l’équipe mancunienne devint championne d’Angleterre dans les années 1950 avec une bande de jeunes joueurs talentueux qu’on surnomma même les Busby babes. Elle était promise à un avenir radieux lorsque, le 6 février 1958, au retour d’un match à Munich, huit joueurs périrent dans un crash aérien. Sir Matt survécut à la catastrophe et MU devint en 1968 le premier club anglais à remporter la coupe d’Europe des clubs champions.
Sur toile de fond de ce tragique accident, le réalisateur nous narre un conte tendre et émouvant. Dans la poursuite de son voleur, à travers les rues et centres commerciaux, Matt Busby découvre la virtuosité de Georgie à manier un ballon, voire même tout objet de forme ronde. Il se propose alors de prendre sous sa coupe Georgie et ses copains et de les « manager » comme autrefois avec ses Busby babes.
Les épreuves au propre comme au figuré seront nombreuses avant le happy end car Georgie, outre son habileté avec les pieds, est un brillant élève en passe d’obtenir une bourse pour la très chic Lancashire Grammar School.
Foot et études semblent incompatibles. Au « le savoir s’ose » du docteur Farquar, Busby oppose son Belie(eee)ve, Crois !
David Scheinmann nous offre un plan profondément émouvant lorsque dans la brume d’un terrain de banlieue où s’entraînent les jeunes pousses de Sir Matt,, surgissent les fantômes des vrais Busby babes. Brian Cox dans le rôle de Matt Busby est magistral. Est-ce un hommage au roi Pelé mais la bande son constituée de batucadas brésiliennes est une heureuse trouvaille.
S’il existait un palmarès pour les films en avant-première, nul doute que Believe ne serait pas loin de rafler le prix du public.
Ça donne la pêche ce genre de film, pour un peu, je shooterais dans la première boîte de bière à portée de mes pieds, sur le chemin de la brasserie le Cancaven où je me restaure d’un sandwich américain.
Pas de temps à perdre, en effet, il faut déjà se glisser dans la queue pour la projection de Titus de Charlie Cattrall, cinquième film en compétition.
En ouverture, Hussam Hindi, directeur artistique du festival, qualifie Titus d’OFNI (objet filmique non identifié), une œuvre fragile qu’il faut défendre. Alors, je la recommande ardemment.
Titus raconte la déchéance d’un génial saxophoniste de jazz. Camé, il vit dans la banlieue londonienne au crochet de Marina qui le soutient, mais il ne parvient pas à retrouver le feu sacré pour la musique, sa seule raison d’exister. Pour sa fille qu’il a quittée alors qu’elle n’avait que dix-huit mois, il va jouer une dernière fois.
Nous ne savons qu’à la fin du film qu’il souffre d’un cancer du larynx et qu’il va mourir. Le dernier plan dans sa baignoire, identique au premier, laisse suggérer un flas-back.
Titus n’est pas un film qui se raconte mais une œuvre qui se ressent, qui vous traverse les veines comme l’injection que s’administre le héros.
L’image d’un noir et blanc profond avec quelques effets expérimentaux est splendide. L’acteur Ron Cephas Jones et sa vraie fille Jasmine sont remarquables. La musique, évidemment, porte le film avec en point d’orgue, la séquence dans le club avec un envoûtant morceau d’Archie Shepp.
J’ai adoré Titus, un excellent film pas uniquement pour ceux qui aiment le jazz.
Encore sous le charme, il me faut reprendre la queue dehors pour en finir avec la sélection des films en compétition. Et qu’apprends-je ? Pendant que nous visionnions leur film, Charlie Cattrall, le réalisateur de Titus, et le scénariste Nico Mensiga prenaient en charmante compagnie, un bain en tenue d’Adam sur la plage de l’Écluse.
Je trouve une place pour étendre confortablement mes jambes. Heureusement car Hello Carter, le premier long-métrage de Anthony Wilcox, ne va pas me passionner.
En l’espace d’un an, Carter a perdu son travail, son appartement et sa petite amie. Il semble essentiellement préoccupé de reconquérir son ex-girlfriend. Pour cela, il se lance dans une folle poursuite, embarquant avec lui les plus improbables complices dans sa traversée de Londres.
Mon ennui provient peut-être simplement qu’après Spike Island et Everyone’s going to die, Hello Carter décrit (avec moins d’humour) une fois encore une envie d’ailleurs, un désir de prendre un nouveau départ dans un quotidien difficile, une situation malheureusement de plus en plus banale en cette époque de crise.
À la sortie, je me console très vite. Je fais connaissance enfin en chair et en os avec Renée Bonneau. Outre qu’elle soit une de mes lectrices assidues, elle est surtout écrivain de romans historiques sur fond d’intrigues policières. J’en ai évoqué ici quelques-uns, Meurtre au cinéma forain, sur les pas de Méliès (billet du 1er mars 2012) et du cinéma d’arrière grand-papa, ainsi que deux « pol’arts », Nature morte à Giverny et Sanguine sur la butte (billet du 2 avril 2013). C’est Dinard et Hitchcock qui nous ont rapprochés : en effet, tandis que je vous procurais quelques Sueurs froides (billets des 18 mai et 30 juillet 2008) avec la découverte d’un mystérieux cadavre dans un terrain vague de la station balnéaire, Renée commettait Séquence fatale à Dinard, un roman policier (malheureusement épuisé) sur fond de … festival du film britannique.
Comme dans un roman d’Agatha Christie, les deux présumés coupables de ces écrits devaient tôt ou tard se retrouver ! Lavés de tout soupçon, nous avons des projets en commun … ! Oserais-je prétendre (pour le plaisir respectueux du calembour) que j’appartiens désormais à la bande à Bonneau ?
Pour éviter tout interrogatoire fastidieux, je vous avoue que ce soir-là, je me régale au Grill de la Croisette Côté Soleil (vous voyez qu’il brille en Bretagne !), d’une salade tiède de raie aux câpres et d’une poêlée de noix de Saint-Jacques.
Menu succulent et suffisamment léger pour ne pas somnoler plus tard devant l’enquête emberlificotée de Sherlock Holmes, un film de Guy Ritchie projeté dans le cadre de la Carte blanche au directeur de la photographie Philippe Rousselot.
Après qu’une série de meurtres rituels ait ensanglanté Londres, Holmes et son acolyte Watson réussissent à intercepter le coupable, Lord Blackwood. À l’approche de son exécution, ce sinistre adepte de la magie noire annonce qu’il reviendra du royaume des morts pour exercer la plus terrible des vengeances.
Question à Sherlock, y a-il vraiment un rapport avec ses aventures écrites par Conan Doyle ? Scénario endiablé, combats d’arts martiaux, courses poursuites, effets numériques, une reconstitution de Londres superbe, bravo au travail de Rousselot (le film est projeté pour cela), on passe un bon moment, mais je préfère entendre aboyer le chien démoniaque des Baskerville.
Vendredi 4 octobre 9 heures, retour au Balnéum pour une avant-première : toujours pas de beurre salé au petit dej’ mais une copieuse cuisine indienne avec Jadoo de Amit Gupta. Ce n’est peut-être pas le sujet idéal pour ma voisine victime d’un début de gastro.
Le film s’inspire de la vie réelle du réalisateur dont la maman tient toujours un restaurant à Leicester. Il narre la rivalité entre deux frères chefs cuisiniers qui, au cours d’une de leurs nombreuses disputes, déchirent en deux le livre familial de recettes. À la suite de cela, ils en récupèrent chacun la moitié, l’un gardant les entrées et l’autre les plats de résistance, puis ils ouvrent deux restaurants face à face, dans la même rue. Il leur faut attendre dix ans avant que le mariage de la fille de l’un d’eux soit l’ingrédient miracle dans leur réconciliation
Je ne me sens pas en terre culinaire inconnue car, il y a quelques années, pour les besoins d’un film sur un lycée hôtelier, je dus tourner une séquence sur le pliage des samoussas, c’est tout un art qu’on enseigne dans certaines écoles en Asie.
Dans cette comédie familiale, la nourriture, après avoir été motif de rupture, devient source de guérison. C’est tendre, souvent amusant, parfois émouvant. Je reste cependant un peu sur ma faim … que je calme au Café Anglais d’un boudin aux pommes.
En dessert, j’aurais volontiers mangé une part du gâteau d’anniversaire offert à Shane Meadows juste avant la projection de son documentaire The Stone Roses : Made of Stone.
Considéré comme l’un des plus talentueux de la jeune génération de cinéastes britanniques, Shane entretient une histoire d’amour avec le festival de Dinard qu’il fréquente assidûment depuis dix ans. Il décrocha en 2004 le Hitchcock d’or avec Dead Man’s Shoes. Il offre régulièrement sa dernière production en avant-première au public dinardais. Happy birthday Shane reprend en chœur la salle !
Cette année, il présente donc The Stone Roses : Made of Stone, un documentaire mêlant des images d’archives sur un des groupes les plus adulés de l’histoire de la musique britannique, et un reportage sur sa résurrection en 2012. Un excellent complément donc à Spike Island !
Pour l’anecdote, Shane nous confie même que c’est en atterrissant à l’aéroport de Dinard pour l’édition 2011 du festival, qu’il apprit que le groupe le chargeait de filmer son second coming.
Présent fréquemment dans le champ de la caméra, on le voit très ému quand il filme les répétitions. Gamin, il vécut en immersion dans la musique des Stone Roses, sans les voir une seule fois en concert, faute d’argent.
Shane montre tout son talent de documentariste notamment dans une séquence d’anthologie où il interroge dans la rue des fans de la première heure (avec parfois leur progéniture) tentant d’obtenir le précieux billet pour le concert surprise au Parr Hall de Warrington. Il saisit tout le bonheur et l’émotion dans leurs yeux, la déception aussi de certains d’entre eux.
Il surgit encore à l’écran, dans sa chambre d’hôtel, nous informant qu’il tourne peut-être là la conclusion du film en raison des chamailleries qui menacent de diviser le groupe (une pierre donc friable). Heureusement le batteur Reni revient à de meilleurs sentiments, et nous pouvons vivre la liesse de la tournée européenne (on aperçoit même Cantona lors du concert aux Nuits de Fourvière, et Bruce Springsteen) avec en point d’orgue final, l’immense rassemblement de Heaton Park où 75 000 fans répondent au vœu d’Ian Brown : I wanna be adored.
Pour un peu, on se lèverait aussi dans la salle pour se trémousser.
Poussé par les Alizés (ainsi se nomme le cinéma de Dinard), je mets le cap vers la salle Bouttet pour une autre avant-première : Uwantme2killhim? d’Andrew Douglas. Un titre bizarre pour les non initiés aux pseudos et à l’écriture phonétique des chats.
Vaguement fondé sur une histoire qui s’est réellement produite en Angleterre, le film est un cyber thriller qui nous plonge dans les travers les plus sombres de l’Internet. Il montre comment Mark, un lycéen apparemment d’excellente réputation, est entraîné dans le monde complexe et dangereux des salons de discussion en ligne. Mark y rencontre Rachel (interprétée par la belle Jaime Winstone qui fut membre du jury du festival, il y a quelques années) et noue bientôt avec elle une relation virtuelle passionnée. Il se prend aussi d’amitié « facebookienne » avec John, le frère de la belle, persécuté au lycée par ses camarades. Cela se complique lorsque Rachel est assassinée par son vrai compagnon dans la vie. La santé mentale de Mark se dégrade tellement qu’il tente de poignarder son ami John. Surgit alors, toujours en ligne, Janet, un mystérieux agent des services de renseignements du MI5. Au final, on nous révèle que tout cela est du pipeau dramatique et que John a orchestré toute une manipulation en se cachant derrière plusieurs pseudos, ainsi Rachel et Janet n’ont jamais existé. Je simplifie car c’est bien plus compliqué et sophistiqué que cela !
Le réalisateur Andrew Douglas nous amène avec beaucoup de virtuosité à réfléchir sur la question de l’identité à travers internet, un monde vertigineux de portes fermées et « d’amis » masqués, et au-delà, sur la culture en ligne et ses effets sur la vie des jeunes générations (et peut-être des moins jeunes ?).
Jeunes gens, croisez les doigts devant votre clavier pour que vos parents ne voient pas ce film haletant, sinon ils risquent de vous supprimer illico l’accès à facebook et autres « réseaux sociaux ».
Vent contraire vers (la salle) Alizés pour une séance de nuit. L’attente se prolonge sans que l’on en soit averti, en fait pour cause de projection privée réservée aux généreux sponsors du festival.
Traditionnellement, dans la programmation du festival figure un film à classer dans le genre horreur. Ne vous sauvez pas ! Bien que je ne sois pas un fanatique, j’ai vu dans de précédentes éditions, quelques joyaux comme Severance, Eden Lake et Black Death.
Le film en avant-première de Kevin Macdonald How I live now appartient-il à ce genre ? Il consiste durant un long moment (presque de mélo) en une parenthèse enchantée avec Daisy, jeune américaine de seize ans, qui passe pour la première fois ses vacances chez ses cousins dans la campagne anglaise. Ça rit, ça joue et bientôt on s’aime … lorsque éclate brutalement la Troisième guerre mondiale. Ce ne sont pas des farfadets ou korrigans qui envahissent la lande mais des mystérieux militaires casqués et armés (on ne les voit jamais de près) qui sèment la terreur avec une violence inouïe. Ils ont même recours, tiens donc, aux armes chimiques en polluant eau et aliments. De mystérieux haut-parleurs distillent des consignes à la population pour échapper au massacre.
Comment vit-on maintenant ? Daisy et sa petite cousine (une rouquine trognonne) fuient et survivent dans une forêt. La séquence de leur retour au village est horrible : des chiens roux irradiés à moins que ce ne soient des renards errent au milieu d’un alignement de corps enveloppés dans des linceuls en toile. Kevin Macdonald ne montre guère finalement l’horreur, juste trois ou quatre scènes, mais il parvient à créer l’effroi à travers l’errance des deux cousines et la bande son off. L’ennemi est là autour. Le pire, c’est que sa fiction est en réalité presque plausible.
Le film s’achève sur une « half » happy end, je ne ferai pas de cauchemar cette nuit quoique …
Samedi 5 octobre : c’est le dernier jour du festival, du moins en ce qui me concerne. N’en déduisez pas que je suis contre le travail de festivalier le dimanche !
Week-end oblige, les files d’attente s’allongent. Les « actifs » sont arrivés ; ils nous sollicitent pour qu’on les renseigne sur les films à ne pas manquer. Pour ma part, par rapport à ceux en compétition, je réponds : Titus et The Selfish Giant.
Ce matin, je m’intéresse à la compétition des courts-métrages. Le public est amené à voter pour un des six films d’étudiants de la FEMIS (École Nationale Supérieure des Métiers de l’Image et du Son) et de la FNTS, son homologue britannique. Mon choix dicté par aucun chauvinisme se porte sans hésitation sur Trucs de gosse d’Émilie Noblet, un film qui se déroule dans un cinéma.
Le point de départ est simple : Julie partage sa vie entre la fin de ses études et un boulot d’agent d’accueil dans un multiplex parisien. Un soir, en plein travail, son chemin croise celui de Matthieu qui vient tout juste d’être embauché. Vous pouvez deviner ce qui se passe entre les chariots bourrés de sacs de pop corn. C’est drôle, léger, plein d’humour, bien interprété, et surtout, plein de clins d’œil astucieux au cinéma dans tous ses états, publicité, comédie musicale, mélo etc…
J’accorde aussi une mention à ZI, un film britannique dérangeant où Max, pas libre du tout à cause de la désunion de ses parents, se comporte étrangement en mordant férocement père, chien et médecin.
Je termine ma semaine cinématographique (en beauté ?) avec About time de Richard Curtis, scénariste en d’autres temps de Quatre mariages et un enterrement et Coup de foudre à Notting Hill. Cette fois, pour sa comédie, il utilise la science-fiction : le héros principal Tim Lake apprend, à sa majorité, par son père que tous les hommes de la famille maîtrisent depuis des générations la capacité de voyager dans le temps. Tim ne peut changer l’histoire, mais il a le pouvoir d’interférer dans le cours de sa propre existence passée ou à venir. Il va en profiter au maximum pour arranger sa vie amoureuse.
Ce subterfuge est le prétexte à trousser une chouette comédie romantique truffée de scènes paradoxalement bien moins improbables qu’il n’y paraît. Richard Curtis nous fait prendre conscience que l’ordinaire peut être extraordinaire si on prend la mesure de la fugacité de l’existence.
Les acteurs sont excellents avec une mention à Domhnall Gleeson, encore un rouquin qui devient beau tellement sa sympathie et son humour nous confondent.
Il est presque 16 heures. How I eat now ?
À la crêperie Côté mer, je choisis une galette aux noix de Saint-Jacques. Elle est pas belle la vie de festivalier ? ( !)
Bientôt, membres du jury, acteurs, réalisateurs et producteurs foulent le tapis rouge jusqu’au palais du festival pour la proclamation du palmarès.
Gardiens de la paix français et policemen british assurent une sécurité très cool malgré le portrait inquiétant que je tire d’un presque sosie de L’Irlandais (celui qui inaugure la bande annonce du festival). Je m’attends même à ce qu’il éructe : What a beautiful fucking day !
Sa majesté King Eric, président du jury, fait le service minimum devant les flashes. Hippolyte Girardot et la délicieuse Alice Eve sont plus chaleureux.
Ô surprise, Conner Chapman et Shaun Thomas, les deux adolescents de The Selfish Giant, arrivent enlacés, presque mal à l’aise dans leur tenue de cérémonie, sous les applaudissements de la foule. Heureux présage ?
En effet, quelques minutes plus tard, The Selfish Giant de Clio Barnard glane le Hitchcock d’or 2013 ainsi que le Prix de l’image et le Prix « coup de cœur » décerné par l’association La Règle du jeu.
Le Prix du Public revient à Titus de Charlie Cattrall, preuve de la maturité cinéphilique des spectateurs face à ce soi-disant OFNI.
Le Prix du Scénario récompense Spike Island de Mat Whitecross.
Le jury accorde une mention spéciale à Nora Tschirner et Rob Knighton, les deux héros de Everyone’s Going To Die.
Enfin, Trucs de gosse d’Émilie Noblet remporte le Prix du meilleur court-métrage.
Mes impressions étaient perspicaces et, en dépit du mauvais esprit d’une certaine spectatrice, Eric Cantona a su mener son jury à un palmarès de qualité.
Vivement le festival du film britannique de Dinard 2014!