Mirabelle, mire la belle prune!
Au mois de juillet, une mini tornade a dévasté le verger de la ferme d’Ariège où je séjourne souvent, brisant maintes branches des arbres fruitiers et faisant même exploser certains de leurs troncs. Malgré tout, les fruits étant proches de leur maturité, nous avons pu tout de même goûter aux diverses variétés de prunes que l’on peut y cueillir ou, plus exactement, ramasser. En effet, pour les récolter, il est préférable de secouer l’arbre pour faire tomber les fruits mûrs sur une toile étendue au sol.
Il y en a pour tous les goûts ou plutôt pour plusieurs usages culinaires : à manger comme cela cru à table, en tartes, en confitures au petit déjeuner, ou encore en eau-de-vie … pour « faire passer » le cassoulet. Localement, on la prépare aussi en « pruade » (de prua, la prune en gascon, vous savez maintenant que je possède des rudiments de patois), une sorte de compote à déguster très fraîche au dessert, savoureuse mais … redoutable pour les intestins.
Cela dit, à titre personnel, ma « madeleine de Proust » concerne la mirabelle, une jolie blonde qui ne compte pas pour des prunes, quoique si, puisqu’elle est le fruit du mirabellier, une sous-espèce de prunier, Prunus domestica subsp. Syriaca. Pour une fois qu’on peut évoquer la Syrie en termes goûteux !
Mirabelle, quel joli nom déjà, presque un prénom même, certaines s’appellent bien Framboise, quelle avanie !
Elle tiendrait peut-être son nom d’une origine latine mirabilis, « belle à voir ». Dans Les Bucoliques, une œuvre visant à ramener les Romains à l’agriculture, le poète latin Virgile chante la mirabelle : « J’ajouterai des prunes couleur de cire : ce fruit sera, lui aussi, à l’honneur ».
D’autres ont avancé une lignée italienne incertaine, mirabella, une altération de mirobolano, mirobolant.
Les Lorrains qui tiennent à ce fruit comme à la prunelle de leurs yeux (!) ne détestent pas l’idée que son nom dérive de Mirabel, maître-échevin de Metz au début du quinzième siècle.
De manière plus vraisemblable, n’en déplaise au haut dignitaire de la République Messine, sa dénomination viendrait certes de Mirabel, mais du nom d’une localité provençale où cet arbre fruitier aurait été d’abord cultivé. Une prune de mirabel est attestée en effet dans le Midi en 1649 par Comenius (On était 200 à l’enterrement de Comenius, houlà, l’alcool blanc de mirabelle fait déjà son œuvre).
Cependant, la mirabelle a fini par avoir la Lorraine et une partie de l’Alsace. Il en existe principalement deux variétés : la mirabelle de Metz, et la mirabelle de Nancy, plus ronde et plus grosse, nommée aussi Drap d’or, qui fourniraient 80% de la production mondiale.
Loin de cette querelle d’allemands, si l’on s’en tient au temps de l’annexion de la Moselle par l’Empire germanique en 1871, la mirabelle que je préfère, c’est celle que je cueille à même l’arbre, aux heures chaudes de la journée, dans le verger d’Ariège.
Mal en point suite à l’ouragan, le mirabellier ployait aussi sous le poids de ses nombreux fruits.
Ils ne sont certes pas aussi réguliers et aussi présentables que ceux que vous trouvez dans le commerce, mais ici, on n’a que faire des canons de la beauté. On déteste l’artifice et on promeut les produits bio. Le léger voile blanc et cireux qui protège parfois le fruit s’appelle la pruine. Il est tout à fait naturel et garantit même la fraîcheur du fruit.
Je leur trouve un charme fou à ces petites boules, voire même bouilles rondes, avec leurs taches de rousseur. Timides, elles rougissent même lorsque vous les regardez avec envie.
Pourtant, je ne suis pas sûr qu’elles apprécient tant que cela notre compagnie si j’en crois le bref poème d’Eugène Guillevic :
La mirabelle
Cessa de rire
Quand apparut la main
Ni d’ailleurs celles des éléphants blancs de Maurice Carême, rappelez-vous sa comptine :
« C’était deux petits éléphants,
Deux petits éléphants tout blancs.
Lorsqu’ils mangeaient de la tomate,
Ils devenaient tout écarlates.
Dégustaient-ils un peu d’oseille
On les retrouvait vert bouteille.
Suçaient-ils une mirabelle,
Ils passaient au jaune de miel … »
Mais bon, l’Ariège est loin d’Angkor !
Les guêpes, elles, s’agglutinent autour des mirabelles qui, lasses de faire du trapèze sur la branche, ont roulé dans l’herbe.
Les mirabelles font également tourner la tête des étourneaux qui fréquentent le verger plus que de coutume.
« À la Saint Abel, faites vos confitures de mirabelles » ordonne le dicton. C’est fichu pour cette année, mais, sur les étagères de la cave, subsistent quelques bocaux qui permettront, l’hiver prochain, d’éclairer mes petits déjeuners.
Mais le plaisir de manger les mirabelles chauffées par le soleil, au pied de l’arbre, est incomparable !
J’espère que ce billet aura émoustillé vos papilles et que je ne l’aurai pas écrit pour des prunes. Saviez-vous que cette expression remonte au temps des croisades lorsque les perdants ramenèrent des pruniers à leur souverain pour mieux faire passer leur échec de n’avoir pas pu prendre la ville de Damas ? Que nous rapportera notre président s’il persiste dans son projet d’intervention en Syrie ?

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J’ai adoré ces moments où toute la famille s’asseyait autour de la table et se mettait à équeuter des fraises, à dénoyauter les cerises ou à trier framboises, myrtilles ou mûres..!!
On avait tous le bout des doigts rouges et on discutait de tout et de rien. Puis on démarrait la première cuisson et les odeurs arrivaient tranquillement à nos narines. Ces odeurs sont ancrées dans mes souvenirs.
Je fais toujours mes confitures et je touille….amoureusement.
A la fin de l’été prochain, je me promets de tenter l’expérience de la confiture aux mirabelles, elle doit être excellente.
Mais le plaisir de manger les mirabelles chauffées par le soleil, au pied de l’arbre, est incomparable ! Que diriez-vous alors si l’arbre en question se trouvait en Lorraine pays incontestable du royal fruit. Je ne doute pas de la qualité de ce vous nommez mirabelle en Ariège dont, ni le sol ni le climat ne peuvent donner à votre petite prune, cette texture et ce goût incomparable
de celui de chez moi.
Il y eut en Ariège une guerre des Demoiselles au début du XIXème siècle. On ne va pas engager ici une guerre des Mirabelles!
Je sais que la Mirabelle de Lorraine jouit d’une appellation protégée et d’un label rouge.
Comprenez que loin du Pays messin, on puisse trouver tout de même beaucoup de plaisir à déguster ces petites prunes.
Bien cordialement.