Archive pour septembre, 2013

Mes Journées du Patrimoine 2013

Il y a quelques jours, étaient organisées les Journées Européennes du Patrimoine. De manière modeste sinon chauvine, j’ai souhaité visiter, à cette occasion, quelques lieux et monuments parisiens que je ne connaissais pas, pour la simple raison d’ailleurs qu’ils ne sont que rarement accessibles au public.
Pour tout vous dire, j’avais jeté mon dévolu en priorité sur le mythique 36 quai des Orfèvres, siège de la célèbre Brigade criminelle de la Police Judiciaire qui va bientôt migrer dans le quartier des Batignolles.
Je devais déchanter très vite car, erreur de communication, aucune manifestation n’était prévue finalement cette année. Cela pourrait éventuellement m’inquiéter sur l’efficacité de notre Police. Je connais bien un moyen pour entrer dans la fameuse maison sur les traces de Maigret, mais vous m’excuserez de ne pas y avoir recours.
À défaut donc, j’ai traversé la Seine pour me rendre à l’École nationale supérieure des beaux-arts, communément appelée Beaux-arts de Paris. Ce vaste ensemble situé au cœur de Saint-Germain-des-Prés, en face du Louvre, comprend notamment la chapelle des Petits-Augustins.
Ce monument doit son origine à la reine Marguerite de Valois, l’épouse répudiée d’Henri IV, célèbre sous le surnom de Reine Margot. Elle envisagea la construction, à proximité de son palais, d’un couvent dit des Petits-Augustins, des religieux d’un ordre mendiant qui se distinguaient des grands Augustins par le fait de marcher pieds nus ; et en particulier, d’une chapelle dite des Louanges car la reine souhaitait que les Augustins déchaussés y chantassent jour et nuit louanges, hymnes, cantiques et actions de grâce de son choix.
À la mort de Marguerite, Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, posa, en mai 1617, la première pierre de l’église, annexée à la chapelle des Louanges, qui constitue à peu de choses près, l’édifice que je visite ce matin.
En ce week-end dédié à la célébration du patrimoine, il n’est pas inutile d’évoquer la mémoire d’Alexandre Lenoir qui en fut un grand défenseur. À la Révolution, il chercha énergiquement à sauver de nombreuses œuvres d’art du vandalisme des sans-culottes. Ainsi, en 1791, il obtint de l’Assemblée constituante l’autorisation de rassembler les vestiges architecturaux des églises et palais détruits, dans le couvent des Petits-Augustins à Paris, auxquels vinrent s’ajouter en 1792 les tombeaux royaux saccagés à Saint-Denis. La notion de conservation du patrimoine était née. Cette collection de sauvegarde prit en 1795 le nom de musée des Monuments français dont Lenoir devint le conservateur. La Restauration qui littéralement porte mal son nom le supprima.
Plus tard, les architectes François Debret et Félix Duban transformèrent la chapelle en un musée des Moulages du Moyen Âge et de la Renaissance, inauguré en 1879. Le conservateur encouragea la réalisation de moulages antiques et modernes à Rome et en Toscane pour constituer, à des fins pédagogiques, une réserve de modèles dans la chapelle.
La création contemporaine du musée de la Sculpture comparée, initiée par l’architecte Viollet-le-Duc, entraîna le démantèlement progressif des collections de moulages de l’école des Beaux-arts.
Ce n’est qu’un siècle plus tard, en 1979, que la chapelle des Petits-Augustins a retrouvé sa vocation de musée de copies avec la remise en valeur des collections exceptionnelles de l’école dont j’ai le bonheur, aujourd’hui, d’admirer quelques pièces d’une grande beauté.

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La chapelle n’est absolument pas un lieu de culte et offre, au premier regard, l’étrange aspect d’un vaste entrepôt d’art, voire presque même de capharnaüm où s’entassent une multitude d’œuvres de la Renaissance.
Enfin, pas tout à fait … car il faut avoir constamment à l’esprit qu’on est ici dans la copie, certes brillante et parfaite, de peintures et de sculptures du Trecento et Quattrocento.
Oui, c’est du toc, et même du mastoc, ainsi le Colleone, imposant moulage en plâtre de la statue équestre du condottiere Bartolomeo Colleoni dont l’original en bronze, œuvre d’Andrea del Verrochio et d’Alessandro Leopardi, se dresse sur une place de Venise.

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Sur le mur, en arrière-plan, est représenté le Jugement dernier, une copie au demi de la fresque peinte par Michel-Ange au plafond de la chapelle Sixtine du Vatican. Commandée par le pape Clément VII, l’œuvre immense, de treize mètres de haut sur douze de large, comporte plus de quatre cents personnages. Elle apparaît ici bien sombre mais ce serait justement son intérêt de la voir comme l’original fut avant sa restauration controversée. Tel un hommage à Michel-Ange, le « terrible souverain de l’ombre », maître des tons sombres et fumés!
J’avoue n’avoir pas observé avec suffisamment d’attention si on retrouve la nudité de certains corps peints par Michel-Ange, ce qui lui valut à l’époque les critiques d’opposants farouches. Ainsi, la Congrégation du concile de Trente décida le 21 janvier 1564, quelques jours avant sa mort, de faire voiler certains corps considérés comme obscènes. Danièle Ricciarelli da Volterra, chargé de la besogne, hérita bientôt du surnom de braghettone, le « faiseur de caleçons ».

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Une autre pièce majeure, située près de l’entrée, est un moulage de la chaire à prêcher de la cathédrale de Pise. L’original fut sculpté entre 1302 et 1311 par Giovanni Pisani (Jean de Pise). Il repose sur six colonnes de porphyre et cinq piliers représentant des figures allégoriques et religieuses. Sa construction aurait été financée par les butins que les Pisans ramenèrent des pays arabes.
L’éclairage de l’église est déconcertant, aveuglant lorsqu’on passe devant le faisceau des projecteurs ou, à l’inverse, presque absent, nous plongeant dans une pénombre regrettable. Ainsi, il est même parfois difficile de lire le nom des œuvres et des artistes talentueusement copiés. Pourtant, il y a du beau monde … et des copieurs de génie !
Accrochées bien trop en hauteur pour les admirer pleinement, les copies de peintures sont essentiellement des tableaux exécutés durant leur séjour à la Villa Médicis par les artistes ayant remporté le Prix de Rome de peinture. Ainsi, on relève parmi les maîtres copiés, Raphaël, Carpaccio, Fra Angelico et Giotto. Le Louvre a exposé récemment quelques merveilles de ce dernier, vraies celles-ci, issues de la chapelle Scrovegni de Padoue.
J’ai l’air de me plaindre, mais, en réalité, je tombe sous le charme de cette vaste farfouille artistique. Bas-reliefs, bustes, gisants, tableaux se mêlent dans un réjouissant bric-à-brac qui me rappelle notamment mes promenades à Florence avec ses palais et églises regorgeant de trésors d’art. Comment rester de marbre, en plus c’est du plâtre ou de la terre cuite!

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Le must de la visite se situe dans un recoin, dans l’espèce d’absidiole hexagonale qui correspond à la chapelle des Louanges, souhaitée par la reine Margot. Y sont rassemblés des moulages de plusieurs œuvres prestigieuses de Michel-Ange.
Ainsi, l’on se retrouve quasiment dans l’église San Lorenzo à Florence devant les monuments funéraires de deux célèbres Médicis, Laurent le Magnifique (au sens de généreux) et son frère Julien assassiné lors de la conjuration des Pazzi.

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Chaque tombeau est surmonté de deux personnages couchés dos à dos (un homme et une femme), qui constituent des allégories des quatre moments personnifiant la fuite du temps : le Jour et la Nuit, l’Aurore et le Crépuscule.
Le duc Laurent surplombe son tombeau, assis sur une boîte, dans une attitude songeuse. Je doute qu’il en soit ainsi ici, mais la boîte originale contient une chauve-souris, symbole du sens caché des choses. Il doit y avoir une multitude de ces mammifères volants dans les palais de nos gouvernants si l’on se réfère à leur politique opaque et incompréhensible.
Aujourd’hui, j’ai (presque) plus de chance que les visiteurs de la basilique Saint-Pierre de Rome. En effet, la copie de la Pietà de Michel-Ange n’est pas protégée par une vitre blindée comme là-bas, depuis qu’un déséquilibré eût mutilé la pauvre vierge, un jour de Pentecôte 1972.

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On saisit l’immense talent de Michel-Ange qui sculpta son chef-d’œuvre dans un seul bloc de marbre de Carrare.
Le copiste n’a pas poussé le détail, déontologie oblige, à reproduire la signature que le maître florentin grava après avoir entendu à l’époque quelques visiteurs lombards prétendre que l’auteur de son œuvre était un certain « bossu de Milan ».
Il me faut louer encore, c’est le lieu ou jamais, des répliques « michelangéliques » de la Madone de Bruges et du Moïse, personnage central du tombeau du pape Jules II dans l’église Saint-Pierre-aux-liens de Rome.

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Il tient sous son bras les tables de la loi et porte sur sa tête une paire de cornes. Non que son épouse Tsippora l’ait fait cocu mais ces attributs sont la représentation traditionnelle des personnages touchés par Dieu.
Après cette débauche d’art, c’est l’heure de goûter à quelques nourritures terrestres dans un sympathique bistrot en face des Beaux-arts. Je me régale d’une andouillette aligot, un fleuron du patrimoine culinaire français.
L’après-midi, je me transporte vers le quatorzième arrondissement pour m’y entendre conter une histoire d’eau à la maison des Fontainiers, sise près de l’Observatoire.
Pour faire le lien avec ma promenade du matin, une Médicis peut en cacher une autre. Après les générations de mécènes florentins qui encouragèrent les artistes, parmi lesquels Laurent le Magnifique, grand-père de Catherine de Médicis, c’est, cette fois, Marie de Médicis qui, sous sa Régence, mit en œuvre le projet de son époux défunt Henri IV en faisant construire le pavillon des fontainiers pour alimenter en eau de source Paris et plus particulièrement la rive gauche qui ne disposait jusqu’alors que des eaux de la Seine et de puits empoisonnés par les suintements des fosses d’aisance.
Construite, en 1619, la maison, d’un beau style Louis XIII, servit jusqu’à la Révolution, de logement de fonction à l’intendant général des Eaux et Fontaines du roi.
Elle est appelée également Grand Regard de l’Observatoire car y débouche l’aqueduc dit de Médicis qui apporte les eaux de la nappe phréatique de Rungis et Wissous.
Cet aqueduc, reprenant le tracé gallo-romain antique, commence sa course de treize kilomètres au Carré des eaux de Rungis, entre dans Paris par la porte de Gentilly, passe sous le parc Montsouris, traverse le parc de l’Observatoire pour aboutir enfin dans les sous-sols de la maison du Fontainier. Il est jalonné de 27 regards qui permettent de contrôler le système hydraulique mais aussi d’aérer l’eau pour en maintenir la fraîcheur.
Comment mettre du vin dans son eau … Un impôt sur les vins franchissant les octrois de Paris permit de financer les travaux accomplis par 500 ouvriers entre 1613 et 1623.

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Par un escalier étroit et pentu, nous descendons dans les sous-sols pour visiter trois petites salles voûtées constituant les bassins de décantation et de répartition (inégale) de l’eau à destination des trois ordres de la société.
Au centre, c’est là que débouche l’aqueduc, le bassin des Carmélites acheminant l’eau vers les congrégations religieuses nombreuses dans le quartier ; de chaque côté, le bassin du Roi, le plus grand, alimentant les jeux d’eau et le Palais du Luxembourg occupé par la régente, et le bassin du Tiers État, le peuple parisien (15% de la capacité totale !).
Par un très étroit passage (pour cause d’andouillette aligot ?), je me glisse ensuite dans le réservoir voûté avec plusieurs rangées de colonnes. Construit en 1845, alimenté par le bassin du Roi, il n’a que peu servi. En effet, avec la construction de l’aqueduc de la Vanne par l’ingénieur Eugène Belgrand, dont on peut admirer encore les arcades en meulière à Cachan, la maison des Fontainiers perdit son rôle de distribution des eaux.

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L’aqueduc Médicis, cependant, alimente encore eau le lac artificiel du parc Montsouris.
Le patrimoine réside parfois en des lieux que l’on ne soupçonne plus, et même au-dessous de la ceinture. Ainsi, en repartant, je suis surpris de trouver, boulevard Arago, le long du mur d’enceinte de la prison de la Santé, le dernier témoignage d’un mobilier urbain qui permit aux Parisiens de soulager leur prostate durant un siècle et demi.

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Il s’agit en effet d’un de ces urinoirs publics pour hommes, placés sur les trottoirs ou dans les parcs, à partir de 1834.
Autrefois, à Paris comme partout dans le royaume, un édit royal interdisait de satisfaire ses besoins naturels n’importe où dans les rues. Vous savez que les passants dans notre douce France ont été souvent oublieux de l’hygiène publique. Vers 1770, le lieutenant général de la police Antoine de Sartine prit la décision de faire « disposer des barils d’aisance à tous les coins de rue » de la capitale.
Gontran Peupot, un industriel dans le textile, conçut même une garde-robe ployante dissimulant un seau de bois sur lequel on pouvait s’asseoir et faire ses besoins en toute intimité.
Enfin donc en 1834, le préfet de la Seine, Claude-Philibert Barthelot, comte de Rambuteau, fit installer sur la voie publique 478 édicules, précurseurs de celui que j’ai photographié.
L’opposition frondeuse les baptisa très vite colonnes Rambuteau. Le préfet raillé lança alors l’expression de « colonne vespasienne » en référence à l’empereur romain Vespasien (69 à 79 après J.C) qui fit installer des urinoirs publics à Rome et qui créa un impôt spécial et original sur la collecte d’urine. Elle était à l’époque utilisée par les teinturiers pour préparer les étoffes avant de les mettre en couleur, ou dégraisser les laines. Moqué pour cette taxe, l’empereur aurait alors rétorqué : « pecunia non olet », le proverbe connu « l’argent n’a pas d’odeur ».
Au début, les colonnes Rambuteau, outre leur fonction de toilettes publiques, servaient aussi à l’affichage public alors non réglementé. En 1868, elles furent remplacées par les colonnes Morris pour l’affichage, telles qu’on les trouve encore partout dans Paris, et les vespasiennes comme lieux d’aisance, telles que celle que j’ai photographiée.
La suppression progressive de ces dernières fut entérinée en 1961 par un vote du conseil municipal de Paris pour des motifs certes hygiéniques mais surtout à cause de la mauvaise fréquentation de ces endroits.
L’ère des sanisettes commercialisées par la société Decaux est alors venue pour la plus grande satisfaction de la gente féminine. C’est aussi cela l’égalité des sexes !
La transition pour évoquer ma balade du lendemain n’est pas chose aisée. ou comment avoir de l’esprit pour en trouver les forces. Si je vous dis toilettes, vespasienne, urinoir, lieu d’aisance, édicule, pissotière, tasse, l’énumération de ces synonymes vous fait penser peut-être au dictionnaire, certes peut-être pas celui auquel les membres de l’Académie Française consacrent leurs travaux sous la Coupole de l’Institut de France, quai Conti.

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En effet, en ce dimanche matin, j’ai souhaité être « immortel » au moins le temps de quelques heures avant de mourir. Ce surnom provient de la devise « À l’immortalité » qui figure sur le sceau donné à l’Académie par son fondateur, le cardinal de Richelieu et qui se réfère à sa mission, porter la langue française. C’est celle‑ci qui est immortelle.
Bien que n’ayant pas encore atteint la limite d’âge de 75 ans pour poser ma candidature, j’ai conscience qu’elle ne sera jamais retenue même si le blog que vous avez plaisir à lire vient de dépasser les 500 000 visites.
Remarquez que je ne suis pas en mauvaise compagnie car parmi les écrivains illustres qui n’ont jamais été élus à l’Académie, figurent Descartes, Molière, Pascal, Rousseau, Diderot, Balzac, Flaubert, Stendhal, Maupassant, Baudelaire, Zola ou encore Proust ! Marcel Aymé, sollicité par François Mauriac, refusa carrément.
J’entre par une minuscule cour pavée au fond de laquelle, par une sorte de porte dérobée, je monte quelques marches pour me retrouver nez à nez avec Bossuet.

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Le sens de la visite m’indique de partir vers la droite, mais comme la majorité des visiteurs, impatients, je fais quelques pas vers la gauche pour découvrir la mythique salle dite de la Coupole.

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Ce que l’on nomme familièrement la Coupole est l’ancienne chapelle située au centre du collège des Quatre-Nations que le cardinal Mazarin souhaita créer avec son immense fortune pour qu’y soient éduqués soixante gentilshommes originaires des quatre provinces acquises par la France par les traités de Westphalie (1648) et des Pyrénées (1659) : Artois, Alsace, Roussillon et Pignerol (en Savoie). Colbert fut chargé du projet par Louis XIV et Louis Le Vau en fut l’architecte.
La Révolution ayant supprimé les Académies royales jusqu’alors au Louvre, le Directoire va créer l’Institut de France que Napoléon 1er déménagera en 1805 de l’autre côté de la Seine.
Installé dans l’ancien bâtiment du collège, l’Institut est le regroupement de cinq académies : l’Académie française créée en 1635 par le cardinal Richelieu, l’Académie des inscriptions et belles-lettres fondée en 1663 par Colbert, l’Académie des sciences créée aussi par Colbert en 1666, l’Académie des beaux-arts née en 1803, et l’Académie des sciences morales et politiques.
En hommage à ce « parlement de savants », Ernest Renan déclara : « La France, seule, a un Institut où tous les efforts de l’esprit humain sont comme liés en un faisceau, où le poète, le philosophe, l’historien, le critique, le mathématicien, le physicien, l’astronome, le naturaliste, l’économiste, le juriste, le sculpteur, le peintre, le musicien peuvent s’appeler confrères. »
Je rebrousse chemin pour me retrouver devant le cénotaphe du maître des lieux, le cardinal Jules Mazarin.

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Démonté à la Révolution, récupéré par Alexandre Lenoir (vous le connaissez maintenant) pour son musée des Monuments français, le tombeau a longtemps séjourné au Louvre avant de retrouver sa place initiale dans les années 1960.
En marbre blanc, il représente le cardinal dans un geste d’offrande de sa personne, la main gauche sur le cœur, à coté d’un ange. À ses pieds, trois figures féminines de bronze symbolisent les vertus : la Prudence, la Paix et la Fidélité.

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Plus loin, sur les marches d’un escalier, un mannequin revêtu de « l’habit vert » nous contemple.

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Bonaparte fit réaliser en 1801 une tenue « uniforme et distinguée ». L’habit de l’académicien, en réalité noir ou bleu nuit, doit son nom au vert des feuilles d’olivier qui sont brodées.
Henri Lavedan, un membre de l’Institut, en justifia le choix de manière sensuelle et poétique : « Le rouge était d’une humeur violente et guerrière incompatible avec nos honnêtes travaux. Le bleu ? Par galanterie anticipée, on le réservait aux dames porteuses de bas de cette même nuance, pour le jour où elles deviendraient, elles aussi, membres de l’Institut. Le blanc, si salissant, sentait d’ailleurs trop son roi. Le violet était trop d’église, l’orangé d’un vaniteux fracas et le jaune eût fait sourire. Alors ? Il ne restait donc que le vert de vraiment qualifié pour un habit qui déchaîne à la fois tant de convoitises, de dédains, de sarcasmes, d’ambitions et de rêves, le vert qui est justement la couleur de l’absinthe, de la bile et de l’espérance … Et fallait-il, étant donné l’inévitable vert que ce fût un vert « artiste » et poétique, le seul qui s’imposait, était bien celui qui sut nous échoir, le vert particulier, savant et pédagogique, acide et rigide, un vert d’abat-jour, de drap de bureau et de reliure de dictionnaire. »
Les ecclésiastiques en sont dispensés, mais le port du costume d’académicien est requis pour tous les membres de l’Institut prenant la parole lors des séances solennelles.
Je reviens, au sens géographique du terme, sous la Coupole, symbole flamboyant de l’ancienne chapelle. Chef-d’œuvre de Le Vau, elle est circulaire à l’extérieur et ovale à l’intérieur.

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De son passé religieux, elle conserve dans son dôme, les médaillons des douze apôtres, le blason de Saint Louis et la frise de l’entablement qui reprend un verset du prophète Ezéchiel :
Sedebit sub umbraculo ejus in medio nationum, « Il siègera sous son ombre au milieu des nations ».
Les nations, ce sont les quatre territoires évoqués plus haut que la diplomatie du cardinal Mazarin avait apportés au royaume de France. L’ombre est celle d’un grand arbre évoqué par Ezéchiel, et pour Mazarin, la métaphore du pouvoir de son roi, Louis XIV. Le grand arbre, c’est donc la France.
Les fauteuils verts sont réservés aux académiciens, les gris aux invités. En ces journées du patrimoine, il nous est prié de ne pas nous y asseoir. Par contre, nombre de visiteurs posent à la tribune pour être « immortalisé » sur la photographie. Puisse leur donner éloquence et maîtrise de la langue …
Je ne résiste pas à vous livrer les états d’âme d’un académicien actuel :
« … Ce n’est pas de cela que l’on se plaint ici, mais de cette averse de signes de ponctuation qui, pour leur donner un ton de proximité, s’abat aujourd’hui sur tant d’écrits – et qui éclabousse les yeux du lecteur.
Que de points d’exclamation, d’interrogation, de suspension, crochets, tirets, virgules et virgules, parenthèses et guillemets, que de postillons du stylo ! Et faut-il aussi regretter les soulignages superflus, et que les pauvres guillemets, signes si beaux, soient ridiculement relayés, en plus, par ces simagrées des doigts crochus autour des oreilles ?
… Les phrases sont des rivières dont la fluidité, la limpidité ne doivent pas être corrompues par ces allusions.
Faut-il s’y faire ? Non ! Bien que nous restions menacés à tout moment de recevoir cette carte postale :
« Chers amis !
Enfin arrivés !!! Athènes est intacte (?). Hôtel moyen… Demain – indeed – piscine ! Mardi : Parthénon et/ou restaurant. Les restaurants « typiques » sont typiquement nuls (!!!). Mercredi : l’Agora – Marc (ça vous étonne ?) déteste d’avance. Jeudi – ça dépend du temps –en principe quartier libre ! Et vous, Bangkok ? Toujours pollué ?! Rentrons le 15, si les avions décollent (???). Des baisers…
P.-S. Bon anniversaire Jocelyne !!!!!! » »

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Dans l’aile est de la chapelle, je remarque la statue de Fénelon, homme d’église et écrivain, élu à l’Académie Française en 1693. Il tient entre ses mains Les Aventures de Télémaque dont il est l’auteur, ce qui lui valut la disgrâce de Louis XIV voyant en ce roman une satire de son règne. Il est cocasse que sa statue soit située diamétralement à l’opposé de celle de Bossuet, son farouche adversaire dans la querelle théologique sur le quiétisme, une doctrine mystique permettant d’atteindre une communion totale avec Dieu.
On peut se poser d’ailleurs des questions sur le choix de la décoration sculpturale. En fait, la Révolution supprima le collège des quatre nations et employa les bâtiments à toutes sortes d’usages : école, grenier à grains, prison. La chapelle fut dépouillée de ses œuvres d’art vendues, détruites ou parfois sauvées en étant envoyées au musée des Petits-Augustins, la farfouille visitée la veille.
En 1805, pour occuper les quatre niches vides aux quatre piliers séparant les arcades de la chapelle, on choisit la facilité et l’on puisa dans les magasins du musée, c’est ainsi qu’on transporta très arbitrairement Descartes, Bossuet, Fénelon et Sully.

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Pourquoi ce dernier, étranger à l’esprit et aux travaux de l’édifice ? Ministre d’Henri IV, vous le connaissez pour sa fameuse phrase : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France ».
Pourquoi pas Colbert, Racine, Poussin, Montesquieu, d’Alembert ou Molière ? Peut-être, tout bêtement, parce qu’ils étaient assis et ne pouvaient entrer dans les niches !
J’hume une dernière fois l’atmosphère sereine de ce lieu dévoué au savoir et à l’intelligence. En consultant la liste des académiciens actuels, je note que, dans ma jeunesse sportive, j’ai croisé sinon l’épée du moins la raquette avec l’un d’eux, Marc Fumaroli pour ne pas le nommer, à l’occasion de tournois de tennis.
Je traverse maintenant la cour d’honneur de l’Institut pour me rendre, en face, à la bibliothèque Mazarine.

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C’était la bibliothèque personnelle du cardinal dont le buste nous accueille à l’entrée. Elle fut ouverte au public dès 1643. Et le prénom de la fille adultérine d’un ancien président de la République n’est pas sans rapport avec elle.
Pour y accéder, j’emprunte l’élégant escalier d’honneur en marbre éclairé par une verrière et couronné par une galerie ornée de bustes antiques.

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Le charme opère dès l’entrée dans la salle de lecture en forme de L dont un côté plonge vers la Seine. Les tables de consultation, les boiseries dont certaines datent de l’époque de Mazarin, les lustres (certains auraient appartenu à la marquise de Pompadour), les échelles pour atteindre les ouvrages vous imprègnent imperceptiblement d’une atmosphère particulière propice à la lecture et à l’étude.

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Je m’arrête devant les bustes de Sophocle et Aristote ou encore un globe céleste de Coronelli avec un méridien en cuivre.
Je m’attarde devant quelques ouvrages de l’abbé Raynal dont on salue là le tricentenaire de sa naissance, à travers une exposition mettant en valeur le regard porté sur l’Amérique au dix-huitième siècle. S’y trouvent évoquées les figures de La Fayette, Benjamin Franklin et aussi Condorcet dont la statue sur le quai au-dessous est curieusement coincée en ce moment entre plusieurs Algecos.

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En sortant de l’Institut, après un petit salut amical à Voltaire, je fais une courte halte, à l’ombre de la Coupole, dans le bucolique petit square Gabriel Pierné. On a craint pour lui lorsqu’en 1944, un architecte en chef des Bâtiments civils envisagea en guise de restauration de la Coupole, l’édification d’un immeuble plus fonctionnel empiétant sur le dit square.
À l’ombre d’un imposant catalpa, vous pouvez lire assis sur un banc en forme de livre ou simplement admirer Carolina, une adorable enfant nue en bronze.

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Pour rejoindre mon véhicule, j’ai le choix entre la rue de Seine et la rue Mazarine. J’opte pour cette dernière, sans doute inconsciemment, pour retrouver l’esprit d’Antoine Blondin qui vécut là une grande partie de sa vie. Il aurait aimé être académicien mais … : « Il y a cinq cafés entre mon appartement et l’institut, je n’y arriverai jamais. L’habit vert m’irait extrêmement bien mais comme j’habite à cent cinquante mètres, je laisserais mon épée dans le premier bistrot, mon bicorne dans le second et j’arriverais en caleçon là-bas ».

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Cela, je vous l’ai déjà raconté dans mon billet du 18 janvier 2010 (« Rive gauche à Paris : de Saint-Germain-des-Prés au Pont des Arts »).

Publié dans:Coups de coeur |on 23 septembre, 2013 |Pas de commentaires »

Mirabelle, mire la belle prune!

Au mois de juillet, une mini tornade a dévasté le verger de la ferme d’Ariège où je séjourne souvent, brisant maintes branches des arbres fruitiers et faisant même exploser certains de leurs troncs. Malgré tout, les fruits étant proches de leur maturité, nous avons pu tout de même goûter aux diverses variétés de prunes que l’on peut y cueillir ou, plus exactement, ramasser. En effet, pour les récolter, il est préférable de secouer l’arbre pour faire tomber les fruits mûrs sur une toile étendue au sol.
Il y en a pour tous les goûts ou plutôt pour plusieurs usages culinaires : à manger comme cela cru à table, en tartes, en confitures au petit déjeuner, ou encore en eau-de-vie … pour « faire passer » le cassoulet. Localement, on la prépare aussi en « pruade » (de prua, la prune en gascon, vous savez maintenant que je possède des rudiments de patois), une sorte de compote à déguster très fraîche au dessert, savoureuse mais … redoutable pour les intestins.
Cela dit, à titre personnel, ma « madeleine de Proust » concerne la mirabelle, une jolie blonde qui ne compte pas pour des prunes, quoique si, puisqu’elle est le fruit du mirabellier, une sous-espèce de prunier, Prunus domestica subsp. Syriaca. Pour une fois qu’on peut évoquer la Syrie en termes goûteux !

Mirabelle, mire la belle prune! dans Leçons de choses mirabelleblog4

Mirabelle, quel joli nom déjà, presque un prénom même, certaines s’appellent bien Framboise, quelle avanie !
Elle tiendrait peut-être son nom d’une origine latine mirabilis, « belle à voir ». Dans Les Bucoliques, une œuvre visant à ramener les Romains à l’agriculture, le poète latin Virgile chante la mirabelle : « J’ajouterai des prunes couleur de cire : ce fruit sera, lui aussi, à l’honneur ».
D’autres ont avancé une lignée italienne incertaine, mirabella, une altération de mirobolano, mirobolant.
Les Lorrains qui tiennent à ce fruit comme à la prunelle de leurs yeux (!) ne détestent pas l’idée que son nom dérive de Mirabel, maître-échevin de Metz au début du quinzième siècle.
De manière plus vraisemblable, n’en déplaise au haut dignitaire de la République Messine, sa dénomination viendrait certes de Mirabel, mais du nom d’une localité provençale où cet arbre fruitier aurait été d’abord cultivé. Une prune de mirabel est attestée en effet dans le Midi en 1649 par Comenius (On était 200 à l’enterrement de Comenius, houlà, l’alcool blanc de mirabelle fait déjà son œuvre).
Cependant, la mirabelle a fini par avoir la Lorraine et une partie de l’Alsace. Il en existe principalement deux variétés : la mirabelle de Metz, et la mirabelle de Nancy, plus ronde et plus grosse, nommée aussi Drap d’or, qui fourniraient 80% de la production mondiale.
Loin de cette querelle d’allemands, si l’on s’en tient au temps de l’annexion de la Moselle par l’Empire germanique en 1871, la mirabelle que je préfère, c’est celle que je cueille à même l’arbre, aux heures chaudes de la journée, dans le verger d’Ariège.

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Mal en point suite à l’ouragan, le mirabellier ployait aussi sous le poids de ses nombreux fruits.
Ils ne sont certes pas aussi réguliers et aussi présentables que ceux que vous trouvez dans le commerce, mais ici, on n’a que faire des canons de la beauté. On déteste l’artifice et on promeut les produits bio. Le léger voile blanc et cireux qui protège parfois le fruit s’appelle la pruine. Il est tout à fait naturel et garantit même la fraîcheur du fruit.
Je leur trouve un charme fou à ces petites boules, voire même bouilles rondes, avec leurs taches de rousseur. Timides, elles rougissent même lorsque vous les regardez avec envie.

mirabelleblog2

Pourtant, je ne suis pas sûr qu’elles apprécient tant que cela notre compagnie si j’en crois le bref poème d’Eugène Guillevic :

 La mirabelle
Cessa de rire
Quand apparut la main

Ni d’ailleurs celles des éléphants blancs de Maurice Carême, rappelez-vous sa comptine :

« C’était deux petits éléphants,
Deux petits éléphants tout blancs.
Lorsqu’ils mangeaient de la tomate,
Ils devenaient tout écarlates.
Dégustaient-ils un peu d’oseille
On les retrouvait vert bouteille.
Suçaient-ils une mirabelle,
Ils passaient au jaune de miel … »

Mais bon, l’Ariège est loin d’Angkor !
Les guêpes, elles, s’agglutinent autour des mirabelles qui, lasses de faire du trapèze sur la branche, ont roulé dans l’herbe.

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Les mirabelles font également tourner la tête des étourneaux qui fréquentent le verger plus que de coutume.
« À la Saint Abel, faites vos confitures de mirabelles » ordonne le dicton. C’est fichu pour cette année, mais, sur les étagères de la cave, subsistent quelques bocaux qui permettront, l’hiver prochain, d’éclairer mes petits déjeuners.

mirabelledejeunerblog

Mais le plaisir de manger les mirabelles chauffées par le soleil, au pied de l’arbre, est incomparable !
J’espère que ce billet aura émoustillé vos papilles et que je ne l’aurai pas écrit pour des prunes. Saviez-vous que cette expression remonte au temps des croisades lorsque les perdants ramenèrent des pruniers à leur souverain pour mieux faire passer leur échec de n’avoir pas pu prendre la ville de Damas ? Que nous rapportera notre président s’il persiste dans son projet d’intervention en Syrie ?

Publié dans:Leçons de choses |on 13 septembre, 2013 |3 Commentaires »

Un soir au Café du P’tit bonheur

« On est tout simplement, simplement un samedi soir sur la terre » comme le chante Francis Cabrel. Un pastis, pardon un pastiche : « On est tout simplement un samedi soir à Sauveterre de Comminges » ! Tout simplement, c’est vite dit, tant cette petite commune de la Haute-Garonne se cache discrètement dans les premiers contreforts des Pyrénées, à une dizaine de kilomètres de Saint-Gaudens.
Il est vingt heures. Le café où l’on m’a donné rendez-vous n’est pas encore ouvert. Pour patienter, je me promène aux alentours et découvre juste derrière un stade bucolique avec sa rangée de platanes, le long de la main courante, offrant un abri naturel en l’absence de tribune, aux heures chaudes de l’après-midi. Ici, on pratique le jeu à treize … parce qu’il manquait deux joueurs pour pratiquer le rugby, aurait peut-être brocardé Coluche. En fait, il y a dans cette région du Comminges une vieille tradition de dissidence du ballon ovale. Détail piquant, le club porte le sobriquet de frelons, peut-être à cause du maillot jaune et noir.
J’ai encore le temps de vous dire que naquit ici Jean Allemane, une grande figure syndicaliste de la Troisième République. « Monté » à Paris avec ses parents qui y ouvrent un commerce de vins, puis embauché dans une imprimerie, il est emprisonné dès 1862, à 19 ans, pour avoir pris part à la première grève des ouvriers typographes de la capitale, un mode d’action alors illégal.
Il participe aux événements de la Commune, devient compagnon de route de Jean-Baptiste Clément, l’inoubliable auteur du Temps des Cerises, crée son propre mouvement, le Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire qui fusionnera en 1902 avec la Fédération des Travailleurs Socialistes de France pour créer le Parti Socialiste Français avec Jean Jaurès comme porte-parole. « Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? » questionnait Brel.
Voyez, on en revient toujours à des chansons. Et ce soir-là, ce qui aurait pu s’appeler à l’évidence le café des sports jouxtant le complexe sportif est baptisé joliment café du p’tit bonheur, un bistrot pas comme les autres où se réunissent d’anciens chanteurs de salle de bain qui se sont jetés à l’eau … pas dans la Seine mais sur la scène.
Ils s’appellent Gilles, Nathalie, Gérard ou Suzanne, ils sont dans la vie, psychiatre, dentiste, institutrice et même tenancière de café-brasserie, et tous, élèves assidus du p’tit atelier de la chanson qu’anime Patricia Damien, depuis plus d’une décennie, à son domicile de La Bastide du Salat, un petit village d’Ariège dont je vous ai encore entretenu récemment (voir billet du 25 août 2013). Elle a même « ramené un batave en pleine lumière » (sic Brel dans Amsterdam) qui, plutôt que des tulipes, cultive son savoureux accent dans la commune voisine de Betchat. Je doute cependant qu’il trouve un « bulot » au Pôle Emploi de Saint-Girons !
Un autre néerlandais a choisi le Comminges comme terre d’élection. En effet, le chanteur Dick Annegarn, après avoir longtemps vécu sur une péniche en région parisienne, a posé sa guitare maintenant non loin de Saint-Gaudens, à Laffite-Toupière précisément, où il organise un festival du Verbe. Vous connaissez sans doute son grand succès Mireille, une mouche comme toutes les mouches … enfin presque :

« Si je me faisais dompteur de puces, de cafards et d’abeilles
Je me ferais manager, la bête de scène serait Mireille »
« Voyons ce que ça donne, voyons si tu étonnes
Les clients de ce bistro, Mireille, va faire ton numéro …
Voyons ce que ça donne, voyons si tu étonnes
Les clients de ce bistro, Mireille, va faire ton numéro.
Tiens une mouche, pardon, dit le garçon
Et d’un pouce farouche ... »

Zoum zoum zoum … À propos, je ne sais pas chez vous mais on a été envahi de mouches cet été à la campagne.
Bon, je m’égare. Après deux week-ends de répétition et quatre jours en immersion totale à Sauveterre, c’est soir de générale de « Le café du p’tit bonheur cherche repreneur », la suite d’un spectacle qui connut un franc succès, il y a une dizaine d’années.

Un soir au Café du P'tit bonheur dans Coups de coeur mail-affiche-cafe

Je ne pousserai pas l’outrecuidance à affirmer que ces chanteurs bénévoles sont des piliers de bistrot même si la plupart d’entre eux mirent leur talent au service du film que j’ai réalisé l’an dernier sur l’histoire vraie du pittoresque café, plus que centenaire, de La Bastide du Salat (voir billet du 28 août 2012).
Ce soir, ils ont peut-être besoin d’un petit remontant pour vaincre le trac très légitime qui les tenaille. Par exemple, un de ces cocktails que propose Suzette la patronne en reprenant d’entrée Rhum Pomme, une chanson enivrante de Juliette ?

« ... Seulement voilà par ces temps d’crise
Faut pas r’fuser la clientèle
Ni une ni deux, hop ! j’improvise
J’vais leur en faire, moi, des cocktails !

En v’là du rhum pomme
Du Viandox on the rocks
Du Cinzano Tabasco
Du Pernod Porto pruneau
Du Guignolet lait
Du Bartissol Menthol
Du Ricard poire
Du Whisky Kiri kiwi

Vous me croirez, si vous voulez
Ils sont rev’nus dès le lendemain
Avec la gueule enfarinée
Et une brochette d’autres clampins ... »

Hips ! Voilà une toulousaine, petite fille de kabyle, qui s’est parfaitement intégrée aux mœurs de notre pays.
L’argument du spectacle est simple. Comme son titre l’indique, le café du p’tit bonheur est à vendre. C’est prétexte, comme dans une opérette, à une succession de saynètes et de chansons tirées du répertoire français, parfois relookées par les chanteurs eux-mêmes pour les besoins de l’intrigue. C’est empreint de bouffonnerie et de tendresse. La poésie s’invite aussi avec l’apparition épisodique d’Anny Zett, une fée aussi verte que l’absinthe, le spiritueux préféré de Van Gogh dont Zola décrivit les méfaits dans L’assommoir.
Le public commence à taper dans les mains ou battre la mesure avec les pieds sur le rythme d’un pastiche de la chanson de Julien Clerc Lili voulait aller danser, ce qui a pour conséquence de décontracter définitivement la joyeuse troupe de dix chanteurs comédiens vêtus d’impayables accoutrements dignes des Vamps et des Deschiens.
La chorégraphie est plaisante et mon œil balaie la vaste scène pour appréhender les mini situations variées qui se déroulent simultanément.
Je suis intrigué par un client, veste blanche et panama, qui, depuis un quart d’heure, demeure silencieux, assis devant son guéridon et plongé dans la lecture attentive du journal The Economist dissimulant son visage. Il a une drôle de tête ce type-là!
Bientôt, resurgit le souvenir de concerts mémorables de la fin des années 1960, et d’abord, en première partie d’Alan Stivell, Steve Waring à la guitare et Roger Mason aux cuillères, interprétant à Bobino :

« Jolie bouteille, sacrée bouteille
Veux-tu me laisser tranquille ?
Je veux te quitter, je veux m’en aller
Je veux recommencer ma vie ... »

Vœu pieux, son auteur Graeme Allwright s’en enfila sans doute quelques lampées lors des rassemblements mythiques sur le causse du Larzac pour la défense des moutons contre les canons.
Maintenant, je me souviens d’un récital poétique et hilarant des Frères Jacques au théâtre Saint-Georges à Paris : une histoire d’eau et une amourette de quarante jours, le temps que saint Médard et saint Barnabé règlent leurs comptes avec la météo. Paul Tourenne est le dernier bien cher frère encore de ce monde.
Le brave hollandais recruté comme serveur est plutôt confronté à une histoire d’Ô. Il connaît toujours des difficultés de compréhension avec la langue française, confondant blanc sec et plan sexe ! Cela dit, à sa décharge, nous sommes ici dans le terroir du tariquet !

« Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ?
Complètement figé, ce mec-là,
Mais qu’est-ce qu’il fait là ?
Et il attend quoi ce type-là
Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a ?
Et puis son costume, c’est pas ça !
Il est drôlement ringard oh les gars !
Y a quequ’chose qui va pas ! »

L’identité de l’énigmatique client au panama va enfin nous être révélée dans un pastiche de Michel Jonasz qui, le mois dernier, fut la vedette des fêtes de Saint-Girons :.

« Je voudrais vous dire que je l’attends
Et tant pis si je perds mon temps
Je l’attends, je l’attends tout le temps
Sans me décourager pourtant …
… Je n’sais pas encore à quoi elle ressemble
Mais rien que d’y penser j’en ai la voix qui tremble.
Lorsqu’elle rentrera au milieu de la scène
Chacun le verra, je n’aurai plus de peine
Si je la regarde
Et qu’elle me regarde ... »

Ça devrait vite s’arranger … après que deux des chanteuses eussent réglé quelques problèmes existentiels.
On est samedi soir à Sauveterre. Et au bout du comptoir, du comptoir du p’tit bar de Madame Suzette, Cocolle (ça rime avec picole) pense : « Pourquoi m’appelle-t-on Six roses ? »
« Zezette sers-moi un muscadet/ Car il ne faut pas l’oublier/ Les fleurs il faut les arroser ! ».
Et pour compléter le tableau, voilà que Katy la serveuse saisit sa guitare pour nous avouer :

« Quand j’suis paf paf paf paf
Ça me chatouille le pif pif pif pif
Ça fait que j’ai l’pif paf paf paf
Et que j’ai mal aux tif tif tif tif
Quand j’suis paf paf paf paf
J’ai l’oeil contemplatif tif tif tif
Mai j’ai la bouche en staf staf
Et mes tifs tifs ont le taf
Quand j’suis paf ! …
… Quand je bois du Moulin à Vent
Mon esprit tourne à tous les vents
Une petite bouteille de Chablis
Me berce l’oubli.
Quand j’ai bu un peu d’Saumur
J’m’amuse à faire les pieds au mur
Je comprend tout de travers
J’vois tout à l’envers
Dans tout je me perds
Mais ça prouve tout simplement
Que j’ai du cran et du tempérament »

C’est pas beau décidément une femme qui boit ! On lui pardonne car c’est l’occasion d’entendre un air que les moins de quatre-vingts ans ne peuvent pas connaître. Ce fut un immense succès en 1932, extrait de l’opérette Mon amant et interprété par Marguerite Deval.
L’ivresse a gagné tout le café et les verres s’entrechoquent joyeusement. Pour pasticher certain tonton flingueur, dans le Rhum Pomme, il y en a … du rhum !
Dans la salle, on est moins euphorique : en prévision d’un karaoké, Katy (quand elle est paf ?) descend avec un petit air sadique dans le public pour distribuer des catalogues de chansons. Les spectateurs regardent leurs pieds. Avec ma chance …. Ouf ! Y’a d’la joie, elle choisit un homme et une femme au bout de ma rangée … deux alcooliques, pardon deux acolytes, puisque après leur prestation, ils resteront sur scène jusqu’à la fin.
Tous ces mélanges me font tourner la tête, permettez que j’abrège mon billet et que je m’assieds à une table du café qui n’a jamais mieux porté son nom. En effet, le bonheur semble y régner pleinement. Chacun y a trouvé sa chacune ou, à défaut, un « bulot », euh, un boulot !
Il y aura encore de jolis moments de tendresse et de nostalgie, ainsi avec la chanson de Michel Delpech juste rebaptisée :

« Après les cours on allait boire un verre
Quand on entrait Suzette souriait
Et d’un seul coup nos leçons nos problèmes
Disparaissaient quand ell’ nous embrassait

C’était bien, chez Suzette
Quand on faisait la fête
Elle venait vers nous.. Lau – rette

C’é tait bien, c’était chouette
Quand on était fauché
Elle payait pour nous.. Su-zette »

C’est vrai que c’était chouette les années yéyés : du « bulot » pour tout le monde (excusez Heeré, c’est la dernière fois !), pas de sida, peu de pollution … !
Et ce soir, tous dansent un rock endiablé avec Suzette sur la musique de Dany Brillant :

« On va faire la fête
Dans le café de Suzette
Tous à l’unisson
Entre cocktails et chansons … »

Les vignes du Seigneur sont même honorées avec un gospel, Allez Luia ! L’énigmatique vieux monsieur au panama et sa dulcinée qu’il a attendue quarante ans nous font verser une larme avec leur interprétation de L’adolescente, une émouvante chanson écrite par Jeanne Moreau. Qu’ils ne s’offusquent pas si je vous offre ici la version originale :

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Suzette, la propriétaire du café (comme elle le fut dans la vraie vie) chante magnifiquement ses rêves :

« J’aurais voulu être une artiste
Pour pouvoir faire mon numéro
Mais avant que tout ça existe
Il me faut vendre le bistrot
J’aurais voulu être une chanteuse
Pour pouvoir crier qui je suis ... »

Mais vous l’êtes Suzanne ! Comme d’ailleurs toute votre clientèle et votre personnel !
En guise de dernier petit verre, chez moi en Normandie, on appelle ça le coup de pied au cul ou la revoyure, la troupe au complet, sur le devant de scène, rend hommage à l’ami Georges Moustaki disparu cet été.

« S´ils passent parmi vous, regardez-les bien vivre
Et comme eux soyez fous, et comme eux soyez ivres
Car leur seule folie, c´est vouloir être libres
Ils n´ont dans la vie que cette philosophie

Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer

Ils vieilliront aussi, qu´ils restent ce qu´ils sont
Des viveurs d´utopie aux étranges façons
Des amants, des poètes, des faiseurs de chansons
Ils n´ont dans la vie que cette philosophie

Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer… »

Dans le Sud-Ouest, ça s’achève souvent autour d’un buffet, ce soir-là, un vrai comptoir au fond de la salle. Autour de quelques pâtisseries et d’un verre de cidre, les « chanteurs de salle de bain » confient leur trac et leurs petits couacs (ah bon, il y en eut ?).
Je vous rassure, ils seront fin prêts pour la première à La Bastide du Salat, le 14 septembre. Je me suis laissé dire qu’ils reposeraient leurs tréteaux, calicots et carafes de Pernod, en fin d’année 2013, à Sauveterre du Comminges.
Le Café du p’tit bonheur cherche spectateurs. Venez-y trinquer s’il s’installe près de chez vous !

cafe-2013-flyer-recto dans Coups de coeur

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Un bravo particulier à Philippe Morin, mon coéquipier sur mes réalisations vidéo (voir billet du 25 août 2013), qui assure avec talent la régie son et la mise en lumière du spectacle.

Publié dans:Coups de coeur |on 3 septembre, 2013 |Pas de commentaires »

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