Archive pour juin, 2013

Claudius de Cap Blanc, un artiste (af)fabuleux

Un poète belge voulait voir Vesoul, il vit Vierzon. Je voulais voir un peintre emboîteur au Carla-Bayle et j’ai vu (aussi) un affabulateur au Mas d’Azil.
Pour être plus clair, alors que le hasard de mes errances m’offrait d’assister, dans le petit village d’Ariège cher au philosophe Pierre Bayle, au vernissage d’une nouvelle exposition de mon ami Marc Giai-Miniet (voir billets des 20 mars 2008 et 20 avril 2012), celui-ci me recommanda vivement de me rendre, non loin de là, à la découverte d’un artiste fabuleux. Je devrais même plutôt dire « affabuleux ».
Sitôt dit, sitôt fait, je précédai donc de quelques heures, au Mas d’Azil, la ministre de la Culture Aurélie Filipetti. Tandis qu’elle inaugurait au pas de course les travaux d’aménagement de la grotte haut lieu de la préhistoire, j’occupai l’après-midi à arpenter une fabrique d’histoires, au sens latin du mot fabrica qui signifie à la fois l’œuvre et l’atelier de l’ouvrier ou de l’artiste.

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Une ancienne fabrique de meubles reconvertie en espace d’art installé au zéro rue de l’Usine, c’est déjà tout un symbole.
Dans un billet récent, j’avais évoqué le point Z qui signifie une bifurcation des rails dans la signalétique ferroviaire. Ici, on est aiguillé vers un monde où se mêlent art, artisanat et industrie, poésie et subversion, humour et dérision, insolite et insolence. Il porte un nom : L’affabuloscope.
Aussitôt franchi le seuil de la porte, je suis dans l’ambiance. À l’accueil, un panneau m’informe des différents moyens pour signaler ma présence : en premier lieu, en rugissant à la façon du lion de la Metro-Goldwyn-Mayer, à défaut en poussant une gueulante scatologique de charretier berrichon ou, plus glamour, en susurrant Vous les femmes le refrain de Julio Iglesias. J’opte pour l’ultime alternative en actionnant un bruiteur de type crécelle, le premier objet surprenant de la visite. Il semble efficace puisque immédiatement, j’entends descendre des étages supérieurs, l’artiste en personne.

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Vêtu d’une blouse blanche dans laquelle il « opère », un chapeau de paille vissé sur la tête, un faux air de Nino Ferrer, un délicieux accent chantant, voici qu’apparaît Claudius de Cap Blanc, un pseudonyme très probablement ; je ne lui demanderai même pas, d’ailleurs vous comprendrez bientôt que vouloir démêler le vrai du faux avec un affabulateur serait une entreprise complètement vaine qui, de plus, enlèverait beaucoup de saveur au propos. Au pire, je conjuguerai, plus que de coutume, mes phrases au conditionnel.
Si je m’en tiens à sa biographie, Claudius serait né « trois ans après la moitié du vingtième siècle, l’année même où Staline faisait à l’humanité l’honneur de se retirer de la scène terrestre » !
« Je n’ai rien appris à l’école, en tout cas rien de ce que je rêvais confusément d’apprendre, à savoir, comment employer mon existence et être en mesure de tout vivre? » Et vlan, l’ancien enseignant que je fus, prends-toi ça dans les gencives ! Je souris : boudu, ce réfractaire à l’école républicaine m‘est déjà sympathique. À méditer, Monsieur Peillon pour vos futures réformes.
Qu’à cela ne tienne, après ses études qu’il qualifie de « primaires », Claudius recherche la zénitude en se plongeant dans la lecture d’ouvrages traitant prétendument de la vérité (!) : la Bible, le Coran et le Vedanta pour la philosophie indienne.
Insatisfait, il se tourne alors vers la philosophie, d’Héraclite d’Éphèse, penseur grec du sixième siècle avant notre ère, à notre Jean-Paul Sartre contemporain en passant par Plotin, Descartes, Spinoza, Hume, Hegel, Bergson et Teilhard de Chardin.
Claudius constate que chaque vision du monde qu’on lui propose remet en question la précédente. À peine une doctrine vient-elle de le séduire, qu’une autre lui fait de l’œil.
Il bifurque vers la littérature. Il dévore les auteurs russes du dix-neuvième siècle Tolstoï, Dostoïevski, Gogol, fréquente Stendhal, Balzac, Chateaubriand, Flaubert, visite Freud, Jung, Marx, Alexis de Tocqueville, Kundera.
Quand je pense que, quelques jours plus tard, le maire d’un autre petit village d’Ariège, soumettant à la population son projet de construction d’une médiathèque, s’entendra répondre par un con(citoyen) : à quoi ça sert une bibliothèque ? … ! Une pseudo autobiographie de Franck Ribéry est sans doute insuffisante pour structurer une pensée.
Pour digérer ses connaissances, pour s’y confronter ou les mettre en pratique, Claudius entreprend de courir le monde.
L’aventurier cher à Dutronc et Lanzmann faisait la vie à Varsovie, le mort à Baltimore, le rat à Canberra. On retrouve Claudius peintre aux Etats-Unis, laveur d’assiettes en Australie, colporteur au Canada, baroudeur au Pérou, en Inde et au Sri Lanka, chasseur de rat musqué à la Réunion et … sans doute cueilleur de champignons en Ariège, ils abondent dans son coin du Plantaurel.
Voilà, succinctement, comment il devient métahistorien à trente-sept ans … la métahistoire étant une branche de l’histoire qui étudie à la fois l’historien et son travail.

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Avant d’entamer ma visite, l’artiste affable, outre d’être affabuliste, me développe en quelques mots son concept de création : « L’Histoire est pleine de ce qui a été et vide de ce qui aurait pu être ». Partant donc du principe que les objets qui auraient pu exister sont infiniment plus nombreux que ceux qui existent dans l’univers, il tente (et réussit) le pari fou de les imaginer, les créer et les exposer sur trois niveaux d’une friche industrielle d’environ 1500 mètres carrés.
Ébouriffant ! Macarel s’exclame-t-on plutôt en Ariège ! La fiction devient réalité grâce à cet émule génial du Professeur Tournesol de Tintin ou du Savant Fou des aventures d’Adèle Blanc-Sec. Pour pasticher le titre de l’émission littéraire, sur la chaîne Histoire, de mon ancien collègue Michel Field, c’est métahistoriquement show !
C’est de l’invention pure mais sûrement pas simple !
Pour preuve, « le premier geste d’un métahistorien lorsqu’il s’agit de créer un univers métahistorique, est d’inventer un inventeur. Lui donner un nom, un visage, le situer dans une époque donnée … et lui confier la tâche d’inventer ce qui n’a jamais été inventé. » !
Pour illustrer son propos, Claudius nous conduit dans la salle des machines à la découverte de Georges Planchet, personnage emblématique de son art.

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Georges Planchet n’a jamais existé. L’Histoire a oublié de lui donner vie. Pour ma plus grande jubilation, Claudius répare cet oubli et fait passer à la postérité l’inventeur du … judas portatif.
Il s’agit bien de l’instrument optique permettant de voir sans être vu à travers une petite ouverture pratiquée dans une paroi. Planchet eut l’idée, du moins bien sûr dans l’imagination foisonnante de Claudius de Cap Blanc, d’en concevoir un avec lequel on pourrait se déplacer

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Il paraîtrait que des gens illustres comme Flaubert, Maupassant, Victor Hugo, Alphonse Daudet et Mérimée ne sortaient jamais sans leur judas en bandoulière. Il est certain que certains personnages de L’éducation sentimentale et de Bel-ami, notamment, n’auraient pas dédaigné cet objet.
Claudius Planchet ou Georges de Cap Blanc, je ne sais plus tant ils sont intimement mêlés, encouragé par le succès du judas portatif standard (il en fut vendu près de deux mille exemplaires durant la seule année 1844 !), inventa alors des modèles plus élaborés tous exposés à l’affabuloscope.

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L’un des plus populaires fut le « nocturne » (voir ci-dessus) « doté d’une bougie permettant d’épier dans les recoins les plus obscurs du dédale parisien, et très prisé par les prêtres en quête de rincette pour l’œil aux abords des hôtels borgnes » (sic!).
Parmi ces trésors d’ingéniosité, j’ai un faible pour le judas pour jouvenceaux qui valut à Planchet la médaille de Meilleur Ouvrier de France 1853 bien qu’il fût conçu en fait à partir d’un croquis de son fils alors âgé de quatre ans.

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Il en est un destiné aux Corses de Paris, avec un volet surmonté d’une girouette qui s’ouvre et se ferme sous la seule action de la moindre brise, en réponse à la « légendaire nonchalance des exilés de l’île de Beauté. Oserai-je montrer la photographie à mes amis corses dans quelques semaines ?

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Planchet conçut le judas blindé lors des émeutes qui ensanglantèrent Paris en 1848.

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Le galant, le mélomane et même l’espion ne sont pas oubliés. Ce dernier modèle fut même commandé par Vidocq, ancien bagnard devenu chef de la Sûreté qui souhaitait équiper chaque membre de sa brigade d’un judas susceptible de prêter main douce lors d’enquêtes requérant une discrétion absolue.
Summum de l’absurde, Planchet fabriqua un judas pour aveugle. En effet, l’engouement pour le judas portatif était tel dans les fifties (1850 je précise) que se promener au bois ou participer à une soirée sans judas constituait une faute de mauvais goût, même pour les non-voyants de la haute société.

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Les idées fourmillèrent dans l’esprit de Georges Planchet jusqu’au jour ultime de sa vie. Ainsi, dans son testament, il exprima le souhait d’être inhumé dans un cercueil à judas périscopique de sa fabrication. Malheureusement, son vœu ne fut pas exaucé, l’Église obscurantiste considérant les volontés du défunt comme « fantaisistes, contre nature et sacrilèges ».

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N’apprivoisant pas encore complètement la démarche de Claudius en ce début de visite, je m’interroge par instants si c’est de l’art ou … du cochon du grenier à jambons de Rimont (private joke ariégeoise).
(Af)fabuleux, tu avais raison Marc ! L’artiste et écrivain rend Georges Planchet plus réel que s’il avait réellement existé. « À ce stade, où se trouve la vraie réalité des choses, s’il y en a une ? »
L’enseignant qui sommeille encore en moi imagine les activités autant plastiques que littéraires qui pourraient s’organiser avec des écoliers autour d’une visite à l’Affabuloscope … du moins au rez-de-chaussée, vous comprendrez pourquoi plus tard.
Mine de rien, de manière ludique, jouissive même, en inventant un inventeur et ses inventions, Claudius, outre son œuvre d’artiste et d’artisan, en l’occurrence ici d’ébéniste d’art, manie avec talent la langue française et différents types de récits comme la biographie, la description et le mode d’emploi. Grâce à sa culture tirée de ses connaissances livresques, il émaille son discours de références historiques, philosophiques et sociologiques qui le rendent (presque) complètement crédible. Avec subtilité, il sait jusqu’où aller pour nous embrouiller afin que la supercherie se confonde avec l’authenticité, sans que l’une l’emporte sur l’autre.
Je ne suis qu’au tout début de mes étonnements et ravissements. À leur grande époque sur Canal +, les Nuls brocardaient de manière hilarante la publicité : « Avec Hassan Cehef, c’est possible ! » Aujourd’hui, j’ajoute : Avec Claudius de Cap Blanc, tout est possible ! »

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Partant du constat que la machine a souvent fait de nous des esclaves, il suffit simplement de voir dans quel état de dépendance nous mettent l’ordinateur et le téléphone portable, l’affabuliste invente donc une technologie au service du rêve et de l’esprit.
J’arpente la salle des machines, une véritable caverne d’Ali Baba qui regorge d’engins jusqu’alors inconcevables, essentiellement sculptés dans le bois.
Délirant ! Hilarant ! Il faudrait que je me plonge dans le dictionnaire de Pierre Larousse pour trouver les adverbes les plus extravagants pour qualifier ces inventions.
Justement, le célèbre lexicographe aurait usé du semoir à tout vent pour répandre le savoir dans les faubourgs illettrés de Paris et ainsi éradiquer l’analphabétisme !

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Ci-dessus, la machine à battre la semelle pour tromper l’ennui dans les longues attentes qui jalonnent notre vie. En effet, n’attend-on pas un enfant, la retraite, la mort, la fortune, le bus et même que ça passe !
Connaissiez-vous Sylvain Converset, un petit banquier suisse ruiné lors de la grande crise de 1929 ? Je suppose que non. Décadence puis grandeur, il fit fortune en quelques années en fabriquant et commercialisant des distributeurs de billets … doux.

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« Il y en a qui contestent
Qui revendiquent et qui protestent
Moi je ne fais qu’un seul geste
Je retourne ma veste, je retourne ma veste
Toujours du bon côté »

Pour l’opportuniste du duo Dutronc-Lanzmann encore, un porte-manteau astucieux dit « le pétiniste » permet, selon le vent capricieux de l’Histoire, de retourner sa veste vers la gauche ou la droite. Il serait boudé par les hommes politiques centristes et ignoré des extrémistes rivés sur leurs positions.
Il y aurait sans doute des débouchés pour la machine à nouer des intrigues en temps de campagnes électorales. Elle fut très populaire à la Cour royale de Versailles.
Non loin de là, la machine à creuser les déficits serait aussi très prisée par les élus, quoi qu’ils réussissent très bien sans elle.

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Le pèse-mots par un système d’immobilisation des mâchoires rend impossible de proférer des inepties.
Dans son combat des Lumières contre l’obscurantisme catholique, Voltaire aurait condamné véhémentement l’usage dominical du redresseur de torts par les anglicans intégristes dans le Sud de l’Irlande.
J’apprends que l’œuvre de Jean-Paul Sartre aurait donné une substance liquoreuse, trouble et voire même opaque, une fois passée dans l’extracteur de quintessence des idées philosophiques floues.
Un illustre inconnu a inventé au dix-neuvième siècle le maïeutiqueur, une machine destinée à faire exprimer un savoir caché en soi. Socrate aurait-il apprécié ?
Claudius donne vie à un psychanalyste suisse lui-même inventeur de l’auto-aliénateur. Son usage à raison de deux heures par jour pendant trois semaines permettrait de s’aliéner soi-même sans le concours du monde extérieur !

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Il est même une machine à tenter d’éradiquer les trois plus grands fléaux de la planète, à savoir l’hypocrisie, le cynisme et la TVA … sans jamais y parvenir car la technologie montre là ses limites à l’inverse de celles, insoupçonnées, de Claudius !
En effet, le bougre ose exposer une pièce sans intérêt, ce serait peut-être d’ailleurs là son intérêt !
J’abuse du point d’exclamation mais ne fut-il pas appelé autrefois point d’admiration, une ponctuation fort à propos en la circonstance, pour saluer l’artiste aussi singulier que les cycles qu’il fabrique.

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À quelques semaines du Tour de France, vous comprenez que le passionné de vélo puisse être intrigué par les folles bicyclettes de Claudius, toutes en état de marche.
Je remarque même un cercueil à roulettes pour illustrer, peut-être, l’expression descendre un col à tombeau ouvert. Elle prit malheureusement tout son sens, il y a une vingtaine d’années, lorsque le coureur italien Fabio Casartelli chuta mortellement dans un col ariégeois, non loin d’ici.
Commençant à flairer le trublion, je ne suis guère surpris de trouver un panneau didactique de la pharmacopée des vainqueurs du Tour ainsi que des échantillons de produits (prohibés mais permis à l’insu du plein gré de tout le monde) cédés gracieusement par des fournisseurs du cyclisme compétitif contemporain.
Au TYLAN BB Ultra transfusine, la « sanquette véloce » des laboratoires Lafourbe, j’avoue cependant préférer la sanquette qu’on cuisinait autrefois avec le sang des animaux de basse-cour dans la ferme familiale. Cela ne m’empêchait cependant pas d’escalader le col du Portet d’Aspet (voir billet Les cols buissonniers du 3 avril 2008).
Un coin discret de l’atelier de cycles est dédié, entre deux vasques d’urinoirs, à un cabinet d’hommages à des personnalités dont on comprend qu’elles aient marqué Claudius.
Ainsi, Boris Vian : « Je me demande si je ne suis pas en train de jouer avec les mots. Et si les mots étaient faits pour ça ? ». Claudius ne fait que cela avec volupté et habileté.
Ou encore, Georges Brassens : « Les chemins qui ne mènent pas à Rome », citation tirée de sa chanson La mauvaise réputation mais aussi titre de son pamphlet Réflexions et maximes d’un libertaire. Vous saurez bientôt comment Claudius a appris à ses dépens que certains n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux.
Y figurent aussi l’ubuesque Alfred Jarry et Marcel Duchamp. Me trompe-je, je n’y vois pas Pierre Dac dont je rongeais autrefois L’Os à moelle, le journal officiel des loufoques « Pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour ».
Cela fait presque une heure que je déambule dans la galerie du rez-de-chaussée. À tort (tant pis, j’envisagerai l’acquisition d’un redresseur !), je fais l’impasse sur les travaux ethnologiques consacrés aux Pankous. « Bien qu’il n’y ait pas un seul ethnologue dans le monde pour attester l’existence des Pankous, j’affirme qu’ils existent puisque je les ai créés. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi on oppose le réel et l’imaginaire. Le réel est déjà de l’imaginaire puisque notre regard le reconstruit pour nous le rendre intelligible. » Irréfutable finalement quand on y réfléchit !

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« Le siècle le plus technique, le plus riche en progrès dans tous les domaines est aussi celui qui nous a donné deux guerres mondiales, deux bombes atomiques, une kyrielle de génocides associée à autant d’idéologies broyeuses … et une planète où l’on continue de s’écharper ».
Ce constat implacable a amené notre olibrius de Claudius à imaginer le sèche-larmes et évidemment ses inventeurs géniaux. Reconnaissance donc à Anton Lyssenko, G.Weiss, Jacques Buffard, Adrien Lenoir-Dufresne, Roland Cassignol, Lucien Valette, François Durin et François Rey, concepteurs des machines plus hilarantes les unes que les autres. J’ai un coup de cœur pour l’engin inventé par les deux derniers à usage des personnes handicapées.

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J’ai l’embarras du choix, ou le choix de l’embarras comme disait Coluche, pour sécher mes larmes de rire, quitte même à utiliser le traditionnel mouchoir, non pas de Cholet mais de Daniel Puget.
En effet, Claudius, maniant l’auto-dérision, se lance dans un réjouissant brocardage de l’art contemporain avec l’installation « post-moderne » du séchoir de Madame Lacryme.

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Il est génial ce mec ! Ne le mésestimez pas, lisez par exemple ce qui suit : « L’histoire du sèche-larmes est l’histoire d’une désillusion. Il y a toujours eu des gens, qu’ils soient religieux, politiques, philosophes ou psychanalystes, pour nous faire croire qu’on pouvait éradiquer le mal, trouver le bonheur, installer le paradis sur terre. C’est une manière de nier la moitié de la vie. La vie c’est autant de rire que de larmes, c’est autant de blanc que de noir, autant de bon que de mauvais. La vie, c’est une totalité. Vouloir en nier ou en éradiquer ce qui n’est pas à notre goût n’est rien d’autre qu’une amputation. Voilà pourquoi le but du sèche-larmes, parti de bonnes et naïves intentions, était voué à l’échec. Mais il montre, en même temps, que l’homme est toujours capable de rêver, et que s’il y a un bonheur à trouver, il est dans la poursuite de ce qui est là-bas, au bout de l’horizon, ou au fond de nous, et que, peut-être, le pire serait de l’atteindre ». Nul besoin de le passer à l’extracteur de quintessence !
« La bandaison Papa, ça n’se commande pas » chantait Brassens. Devant cette grande peur, l’homme aurait trois recours : le divin mais il répugne à implorer les dieux en une telle circonstance, la pharmacie avec les potions, et en dernier lieu, la technologie affabuliste.
C’est ainsi que Claudius expose une collection unique d’amidonnoirs. J’imaginais derrière ce nom bizarre quelconque instrument agricole ; en fait, ces outils sont conçus pour provoquer l’érection.
Des dessins rupestres issus de la grotte ariégeoise de Niaux attestent leur existence dès le paléolithique. À ma grande surprise, j’ignorais que j’en possédais un, en terre cuite, datant de l’époque phénicienne. Ce n’est évidemment qu’une copie dont je n’ai d’ailleurs jamais fait l’usage qu’on lui prête.

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Certaines de ces machines à bander ressemblent à des instruments très raffinés de torture. D’ailleurs, un des modèles, mis au point par Francisco Quesada avec les encouragements de la fille de Philippe II, s’appelle Inquisition !
L’un des plus cocasses est celui fabriqué sur mesure pour Casanova. J’ignorais, et pour cause (!), que le grand séducteur souffrait d’une distorsion du pénis suite à une blennorragie contractée à dix-sept ans, qui nécessita un amidonnoir à chambre de réception coudée.

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Chaque pièce exposée est accompagnée d’un dossier très documenté que je me régale à compulser.
Malheureusement, je ne puis m’attarder devant chacune d’elle. Je vous offre cependant le modèle Landru qui vous met le feu au … et le spécial frères Dalton, les héros de bande … dessinée !

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Bandant tout cela, du moins au figuré !
L’écrivain Pierre Bourgeade aurait écrit (je me méfie toujours avec Claudius) : « Si on dévissait le crâne d’un homme, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, on y trouverait le sexe de la femme ». Pas faux, en tout cas, l’étage supérieur de l’affabuloscope, réservé à un public adulte, est entièrement dédié au signe de la vulve.
En contrepoint des monuments érigés à la gloire de nos soldats morts pour la France sur les places de nos villages, Claudius a élevé une stèle dédiée aux femmes vivantes, en haut de l’escalier.
Je parle sous son contrôle, je n’ai plus la lucidité pour discerner le vrai du faux dans ses affabulations, le sexe féminin serait l’objet le plus représenté symboliquement dans le monde depuis l’Acheuléen, une période du Paléolithique inférieur.
Preuve encore de sa haute culture, pour nous confondre dans ses inventions délirantes, Claudius  détourne avec humour et subtilité un extrait du Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant : « Le propre du symbole est de rester infiniment suggestif : chacun y voit ce que sa puissance visuelle lui permet de percevoir. Faute de pénétration, rien de profond n’est perçu. »
Avec la minutie d’un géologue et d’un paléontologue, il propose une classification des symboles vulvaires en dix catégories selon la forme géométrique que prend la mandorle qui entoure la fente verticale. Je souris notamment devant les représentations corporatistes :

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Aussi vrais que nature, des objets gravés au silex dans la pierre, la corne ou le bois, datant des faciès industriels de l’Aurignacien et du Moustérien, sont conservés précieusement dans des vitrines. À tel point que quelques visiteurs crédules demandent parfois au grand ordonnateur du lieu comment il a pu dénicher ces pièces !

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La salle est pleine d’arbres de vie aux branches desquelles pendent de nombreuses pierres vulvaires. Dans les bois environnants, des maquettes de dinosaures rappellent aux enfants la faune qui existait ici il y a plusieurs millions d’années. Il y a des fantasmes pour tous les âges.
Récemment, Claudius suscita la réprobation de quelques bien-pensants locaux, de randonneurs de sentiers de montagne, et de pèlerins sur les chemins de Saint-Jacques, lorsqu’il entreprit de graver et de disperser dans la nature ariégeoise plusieurs dizaines de pierres présentant des ovales et traits suggestifs. Il en a même confié à certains voyageurs sympathisants pour les déposer dans les contrées lointaines qu’ils visiteront.
Sur le site du Cap Blanc (coïncidence ?) en Dordogne, non loin de Lascaux, des peintures rupestres semblent honorer le squelette d’une femme défunte … c’est parfaitement véridique, c’est moi qui vous le dis !
Depuis la nuit des temps, chacun célèbre à sa manière l’origine du monde. Cela causa même bien des ennuis à Gustave Courbet dont le célèbre tableau dut attendre la fin du vingtième siècle pour trouver sa juste place dans l’histoire de la peinture moderne et être exposé en public.
Plus ou moins fréquemment, quelques culs bénis manifestent contre des images cinématographiques et publicitaires choquant leur vertu. Rappelez-vous en 1981 de la série d’affiches de Myriam en bikini qui nous aguichait dans les rues en promettant d’enlever le haut puis le bas. Ces jours-ci, le baiser homosexuel de l’affiche du film L’Inconnu du lac a attiré les foudres de quelques moralisateurs de Saint-Cloud et de Versailles.
Que dire de la complaisance encore à l’égard de certains tags qui souillent le paysage ? Claudius se justifie en citant une correspondance de Flaubert : « Il n’est pas aisé de trouver sa voie. Il y a bien des chemins sans voyageurs. Il y a encore plus de voyageurs qui n’ont pas leur sentier.« 
J’ai trop jubilé tout l’après-midi devant les excentricités décapantes de l’ami Claudius pour lui jeter l’opprobre à cause de quelques pierres subversives.

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En redescendant, je m’arrête quelques secondes devant un marteau corse à ressort ne réclamant aucun effort d’utilisation. Les stéréotypes ont la vie dure, je vous assure Claudius que j’ai déjà vu un corse planter un clou ! Peu, je vous le concède !
Je m’acquitte de mon droit de visite en glissant un billet dans le collecteur de contributions inévitables (il y a même des réductions pour les anciens communistes reconvertis verts !), avant de m’entretenir quelques minutes avec l’artiste à fables, affable, affabuliste et affabuleux. Voyez, je joue avec les mots à mon tour.

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Si la route de vos vacances vous mène en Ariège, rendez-vous au Mas d’Azil ! Outre la grotte, haut lieu de la préhistoire, visitez donc absolument l’Affabuloscope, haut lieu de la métahistoire. Un musée comme aucun autre puisque vous y rencontrerez même le créateur de toutes les œuvres qui y sont exposées, Claudius de Cap Blanc, un artiste cultivé et malicieux qui pose peut-être les vraies questions quand d’autres ont la prétention d’apporter les vraies réponses.

Mes vifs remerciements à l’artiste pour son chaleureux accueil.

  Ainsi va la vie …

Après bien des démêlés judiciaires, Claudius de Cap-Blanc alias Jean-Claude Lagarde (on peut dire son nom désormais), artiste singulier mais aussi tellement pluriel, a jeté l’éponge et s’est résigné à vendre son extraordinaire friche artistique en 2017. L’Affabuloscope, plus solide sans doute dans le « politiquement correct », est devenu aujourd’hui le musée de l’Affabuloscope, aussi grand et aussi riche qu’avant. Pour vous lecteur, et peut-être futur visiteur, vous y côtoierez toujours l’imaginaire, la dérision, l’insolite et l’insolent, la poésie et l’humour : le génial iconoclaste est parti mais son œuvre demeure. Une histoire toujours aussi fabuleuse et affabulante donc, à la gloire de son créateur!

Site actuel du musée : https://museeaffabuloscope.fr/

 

Publié dans:Coups de coeur |on 18 juin, 2013 |4 Commentaires »

Voyage dans le cinéma de Jean-Jacques Beineix

L’histoire de Boulogne-Billancourt est imprégnée depuis longtemps de celle du 7e art. Dès la fin du dix-neuvième siècle, Etienne-Jules Marey réalisa plusieurs expériences cinétiques à la station physiologique du parc des Princes. Il y mit au point le fusil photographique et la caméra chronophotographique, ouvrant la voie vers le cinématographe.
En 1912, le studio cinématographique « L’Éclipse » s’installa rue de la Tourelle à Boulogne. Il accueillit le tournage de La Reine Élisabeth avec Sarah Bernhardt avant de devoir fermer précipitamment pour cause de Première Guerre mondiale.
En 1923, Henri Diamant-Berger transforma les ateliers d’une société d’aviation, rue du Fief à Billancourt, en studios de prises de vues. Puis, il fonda en 1926, le « Studio de Billancourt », quai du Point-du-Jour. C’est là qu’Abel Gance tourna son Napoléon. Dreyer, Jean Renoir, Marcel Pagnol, notamment, y filmèrent quelques-uns de leurs chefs-d’œuvre. En 1933, le studio devint les « Paris-Studios-Cinéma ». « Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? », la savoureuse séquence avec Arletty et Louis Jouvet sur la passerelle devant L’Hôtel du Nord fut tournée dans ces studios. En 1947, les studios du « Monde Illustré » créés par le réalisateur Léo Joannon en 1941 changèrent de nom pour prendre celui de « Studios de Boulogne ». Les bâtiments sis avenue Jean-Baptiste-Clément accueillirent alors une nouvelle génération de réalisateurs comme Claude Autant-Lara, René Clair, Jacques Tati…

Voyage dans le cinéma de Jean-Jacques Beineix dans Histoires de cinéma et de photographie beineixblog1bis

Avec l’arrivée des cinéastes de la Nouvelle Vague qui préféraient tourner en extérieur, s’amorça le déclin des studios. Ceux de Billancourt disparurent tandis que ceux de Boulogne se reconvertirent en studios de télévision où sont encore enregistrées de nombreuses émissions.
Il est donc presque naturel que le musée des Années Trente, installé dans l’espace Landowski, du nom du sculpteur des Fantômes d’Oulchy-le-Château (voir billet du 4 janvier 2013), consacre une exposition à la gloire d’un cinéaste, en l’occurrence, Jean-Jacques Beineix, auteur de quelques films cultes des années 80. Il monta même La Lune dans le caniveau, sans vraiment la décrocher ( !), dans les hangars du quai du Point-du-Jour.

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L’affiche de la manifestation, placardée sur la façade du musée constitue déjà un clin d’œil plein d’humour à l’œuvre d’un réalisateur ambitieux, original et dérangeant.
La première phrase du premier volume de son autobiographie Les chantiers de la gloire correspond bien au personnage : « Je suis né dans le quartier des Batignolles le 8 octobre 1946, plus précisément à dix-neuf heures quinze ; je jure que je ne recommencerai plus. »
Beineix nous invite dans un vaste loft agencé en appartement dont chaque pièce restitue l’ambiance de ses films.
Ainsi, en guise de couloir et vestibule, pour pénétrer dans l’univers de ce dompteur d’images, on emprunte le tunnel des fauves qui mène à la piste de cirque de Roselyne et les lions.

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Le fouet de Roselyne est posé sur un de ces tabourets qui peuvent supporter le poids d’un lion, soit entre 150 et 290 kilos.
Il ne s’agit pas du premier long métrage réalisé par Beineix mais comme dit Philippe Clevenot, le professeur d’anglais dans ce film, « le chemin le plus court d’un point à un autre n’est pas la ligne droite, mais le rêve ».
Alors, rêvons ! J’en ai déjà parlé (voir billet du 24 septembre 2009 ), le cirque enchanta mon enfance lorsque Bouglione, Amar, Pinder, Rancy, Jean Richard plantaient leur tente dans mon bourg natal. Mes parents m’emmenèrent au Grand Rex voir Sous le plus grand chapiteau du monde, une projection permanente au vrai sens du terme, le mot fin disparaissait de l’écran qu’immédiatement, sans aucune publicité, les premières images surgissaient de nouveau. De la même génération que moi, Beineix le vit et le revit également.
Beineix aime les fauves, plus tard au cours de ma visite, je remarquerai quelques statuettes de lions sorties de son cabinet de curiosités.

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Il tire son scénario d’une histoire vraie, à la différence de ses autres films adaptés de livres.
Alors qu’il tournait un film publicitaire avec une panthère noire pour la marque de peinture Valentine, Beineix rencontra Thierry Le Portier, un dresseur de fauves, qui lui raconta sa vie romanesque, son enfance, son amour pour sa femme Roselyne. Subjugué, il choisit d’en faire un film et de prendre la sculpturale Isabelle Pasco, sa compagne à l’époque, pour interpréter le rôle de Roselyne.
Beineix y développe les thèmes de la transmission, de la passion, de l’apprentissage et la dureté de la vie de saltimbanque : « Les animaux représentent la matière brute, la cage le lieu scénique. C’est dans la cage que le dompteur trouve l’inspiration et qu’il met la matière en forme l’espace d’un instant. Sur la page, l’écrivain trouve les mots. Dans cette histoire, ce n’est pas le cirque qui m’a tant intéressé que cet effort, cette tension qui a lieu dans un cercle, au centre, convergence du rayon de tous les regards ».
Le tournage demanda une préparation de neuf mois avec les fauves
« Au cirque on tente à chaque tour de piste de résoudre la quadrature du cercle, la piste est un anneau magique mais la part de magique n’appartient qu’au moment où l’on est dans le cercle, dès qu’on en sort, l’artiste n’est plus rien et la magie est partie dans le cœur des spectateurs. Pour l’artiste, il faut recommencer, toujours recommencer. »
Pour Beineix, les acteurs acceptèrent de se mettre en danger en rentrant dans la cage. Le résultat fut splendide même si le film ne reçut qu’un accueil mitigé à sa sortie. Il fut réhabilité, dix-sept ans plus tard, lors de son passage à la télévision dans une version longue.

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Aujourd’hui est un fauve, demain verra son bond écrivait René Char. Pour l’instant, je me glisse maintenant dans la cuisine de 37°2 le matin.

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Tous mes sens sont en éveil, même virtuellement l’odorat avec les senteurs de la spécialité de Zorg, le chili con carne qui doit mijoter dans la cocotte sur la gazinière.
Je crois que si j’en avais le temps, je me poserais là sur une chaise pour l’après-midi tant cette romance passionnelle adaptée d’un roman de Philippe Djian me procura quelques-unes de mes plus belles émotions de cinéma. La quarantaine me guettait et j’enviais Béatrice Dalle et Jean-Hugues Anglade, ces deux tourtereaux insouciants prêts à s’aimer jusqu’à la mort.

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Tout y est beau et étonnant, les lieux déjà ! J’ai voulu les arpenter pour y retrouver leur magie, Gruissan d’abord, pour Charles Trenet certes, mais aussi pour la plage des chalets sur pilotis. Elle a perdu son âme depuis, et le bungalow de Zorg construit et incendié pour les besoins du film ne s’y trouve évidemment plus. Seule une maison de poupée à l’entrée de la plage en témoigne.

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Le Causse Méjean ensuite, un désert jaune brûlé de landes et de pierres comme royaume, un coucher de soleil incandescent : « Putain, j’adore ce coin ! » Moi aussi, j’aime ce coin de Lozère ! Du coffre de la Mercédès jaune, Zorg avec une veste jaune sort un gâteau aux bougies déjà allumées : « Á tes vingt ans Betty ! » « Tout ce qui est ici est à toi » … « Tu veux dire que le coucher de soleil accroché dans les arbres, c’est à moi ? … Le silence et le petit courant d’air qui descend de la colline, c’est à moi aussi ? » Beineix décida de faire le livre à cause de cette scène.

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Qui n’a pas rêvé d’un anniversaire aussi surréaliste et poétique ?
Tout y est beau, ainsi aussi la musique de Gabriel Yared que j’entendrai à la fin de la visite. Des frissons me traversent à chaque fois que je vois Zorg pianoter la mélodie du vent. Petite musique à trois mains car Betty joue aussi avec un doigt … « C’est pas chrétien ce que vous faites !… Mais si c’est chrétien ! » rassure Gérard Darmon dont la maman repose sur son lit de mort à l’étage au-dessus.

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La robe de Betty est accrochée à un porte-manteau : « Elle m’a fait penser à une fleur mauve munie d’antennes translucides et d’un cœur en skaï mauve, et je ne connaissais pas beaucoup de filles capables de se fringuer comme ça avec autant d’insouciance.
Ils avaient annoncé des orages pour la fin de la journée mais le ciel restait bleu et le vent était passé. »
Cet ouragan de femme allait dévaster la vie de Zorg.

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Vingt ans plus tard, Beineix sortit une version longue de trois heures. Le charme opérait toujours, plus encore même.
« Les cuisines et les salles de bain sont des lieux que j’aime. Nous y passons une grande part de notre vie, et bien des choses s’y disent »
Ça tombe bien, j’entre maintenant dans la salle de bains de Diva, le premier long métrage de Beineix, son premier grand succès récompensé par quatre Césars bien qu’il fut descendu par la critique à sa sortie.

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Gorodish le sage alias Richard Bohringer nous accueille en fumant le cigare dans sa baignoire au milieu de son loft bleu.
Comme Luc Besson eut son Grand Bleu, Beineix voulut son bleu Diva : « Je passai outremer. En avant toute dans le bleu ! On n’est pas dans le jour, on n’est pas dans la nuit. On est ailleurs, dans le rêve. Le bleu des rêves … »

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L’idée d’un film tout bleu surgit involontairement de la découverte par Beineix d’une série de toiles intitulée Opéras glacés du peintre Jacques Monory qui travaillait presque exclusivement en monochromie sur des variations de cette couleur.
D’Opéra Furia dont une copie est accrochée au mur, à Diva, sur fond de polar, la correspondance n’était pas forcément évidente. Ce fut toute l’originalité du maestro Beineix que d’associer suspense et art lyrique.

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Á l’entrée du loft, est posé l’objet du délit, le magnétophone Nagra utilisé par le jeune fan postier à l’insu de la diva qui refuse tout enregistrement de ses récitals. Outre que deux taïwanais souhaitent qu’il restitue la bande pirate, le héros est également poursuivi par deux autres gangsters à la recherche d’une cassette déposée dans la sacoche de sa mobylette dans laquelle une ancienne prostituée révèle sa liaison avec un commissaire divisionnaire de la criminelle.
Un méli-mélo(mane) à ne plus retrouver la bonne piste sonore qui déconcerta les critiques de l’époque. Trente ans plus tard, la piraterie d’œuvres et les flics pourris n’appartiennent plus à la seule imagination de Beineix, loin s’en faut.
Je n’ai pas revu Diva. Peut-être, aujourd’hui, ne surprendrait-il plus. Il fut l’un des premiers films français laissant cours à une esthétique de l’image proche de la publicité et du clip.
« Notre époque commençait sérieusement à penser les villes comme un panneau d’affichage. La pub et les néons éclairaient les façades. Cela donnait à notre paysage urbain une dimension mercantile affichée mais aussi poétique, irréelle. »
C’était aussi l’époque des premières friches industrielles transformées en lofts. Beineix investit l’ancienne manufacture de tabacs de la SEITA à Issy-les-Moulineaux.
De jeunes futurs enseignants de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres où j’exerçais, avaient sans doute été conquis. Dans un module de formation à l’image que j’animais, ils choisirent de réaliser une parodie à partir de la bande son originale de la séquence de la poursuite : ni gangsters ni femmes de mauvaise vie pour préserver la bonne morale de l’institution pédagogique, une moto en guise de mobylette, le grand parc de l’établissement en lieu et place du métro, et une cassette mystérieuse contenant … les sujets d’examen de fin d’année !
Ici, je vous offre une ballade sentimentale dans l’aube bleue (bien sûr) du jardin des Tuileries. Il s’agit de la première séquence que tourna Beineix, un petit matin de quinze août.

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Il faut lire son autobiographie pour appréhender les difficultés et les hasards qui firent de Diva une aventure épuisante mais exaltante. Parmi une foule d’anecdotes, Beineix vous y raconte par exemple comment il aborda rue de Vaugirard une honnête femme pour lui demander sa robe parce qu’elle arborait l’Opéra sur ses fesses ; celle qu’Alba porte dans le film. C’est aussi cela toute la magie du cinéma.

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Seize ans après la scène de 37°2 le matin, Beineix apprit à jouer du piano. Dans le salon de musique de l’exposition, un de ses tableaux, La Fin du monde, se reflète en une anamorphose sur un piano. Posée sur un pupitre, la partition de Vexations est une œuvre d’Erik Satie que Beineix aime interpréter selon les préconisations du compositeur, soit 840 exécutions successives de ce court motif musical qui peuvent varier entre quatorze et vingt-quatre heures, selon le tempo adopté.
Très éclectique, Beineix a écrit aussi des paroles de chansons, ainsi celles d’un rap Taggeur hagard que l’on entend en ouverture de son film IP5.

« Je suis le taggeur hagard
Je bombe le mur des gares
Les guichets et les wagons
Les quais et les piles de ponts

Abri-bus ou devantures
Pierre ou béton c’est l’aventure
N’importe quoi je m’en fiche
Pourvu que je m’affiche

Avec mon aérosol
Je massacre les idoles
Les sales pubs qui grimacent
Je les remets à leur place … »

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Dans le cabinet de curiosités contigu, sont entreposés des objets appartenant à l’univers intime du cinéaste animé par diverses passions : quelques statuettes de fauves, un crâne bleu du décor de Diva, un exemplaire de son autobiographie Les chantiers de la gloire ainsi intitulée en clin d’œil à Stanley Kubrick, des photographies de voiliers, un clap du film L’aile ou la cuisse dont il fut l’assistant réalisateur de Claude Zidi, un modèle Motobécane lui ayant appartenu et visible dans Roselyne et les lions.

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Je pénètre maintenant dans un décor qui m’est étranger à double titre ; il s’agit des cabinets des deux psychanalystes de Mortel Transfert, le seul film évoqué dans l’exposition que je n’ai pas vu.

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Pour la première fois, Beineix mettait en scène quelques-uns de ses tableaux dans un de ses films. Faut-il s’allonger sur le divan ou sur la carpette copie de sa toile L’origine d’Edmonde, clin d’œil évident au chef-d’œuvre sulfureux de Gustave Courbet ?
Dans l’autre pièce, les sous-vêtements d’Hélène de Fougerolles négligemment abandonnés sur le sofa ne manquent pas de faire fantasmer.

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Je me glisse dans l’impasse de La lune dans le caniveau ; après son premier film Diva, un échec transformé en succès, son second fut un événement qui devint un échec.
Tourné dans les studios mythiques de Cinecitta à Rome, ceux-là mêmes où le maestro Federico Fellini mit en scène ses chefs-d’œuvre, il fit l’ouverture du festival de Cannes 1983 avant d’être éreinté par de nombreux critiques : « Tout à l‘égout », « Bas-fonds de luxe », « Objectif Lune … Tintin », « Le cinéma dans l’impasse » …
Justement, je suis à l’entrée du décor de l’impasse du port de nulle part : une tache de sang, une chaussure blanche et un couteau indiquent que c’est là que la sœur du docker ivre alias Gérard Depardieu (pas seulement saoul pour les besoins du scénario) s’est donné la mort.
Derrière moi, sur une grande découverte, en écho, surgit la voiture décapotable de couleur rouge sang conduite par Loretta alias Nastassja Kinski.

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Un slogan publicitaire « Try another world » entre les deux : jamais, le docker n’atteindra le monde des nantis et des rêves factices.
La lune dans le caniveau est le premier film à avoir été tourné en grande partie avec la caméra Louma, révolutionnaire à l’époque, presque banale aujourd’hui lors des retransmissions sportives à la télévision. Elle donne une fluidité et une grâce à chaque plan.

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« De l’art sur toile » : pour être née trente ans trop tôt, la lune a manqué son rendez-vous avec le public et la critique. Voilà ce que c’est d’être précurseur.

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Je médite maintenant dans le décor d’IP5, l’île aux pachydermes. Métaphoriquement, un « éléphant » du cinéma français, Yves Montand, s’avance dans l’eau.
Il interprète Léon Marcel, un étrange vieillard qui parcourt la France avec une carte où tous les lacs sont cerclés de rouge, un Luger rouillé chargé de deux balles, et quelques sentences presque philosophiques : « Dans le végétal, il y a la mémoire de l’univers, peut-être une partie de l’univers », « Une vie sans amour est une vie foutue » …

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Quand la réalité pervertit la fiction … on frissonne avec l’acteur pénétrant, nu, dans l’étang glacial. Yves Montand décéda d’une crise cardiaque dans les derniers jours du tournage.
Je regarde avec émotion quelques vêtements qu’il portait lors du film.

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La visite s’achève … dans un sentiment d’inachevé au vrai sens du terme. En effet, la dernière salle est réservée à L’Affaire du siècle, le projet de film que Beineix soumit en vain aux plus grands spécialistes américains du cinéma d’animation en 3D.

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Il y a vingt ans, Hollywood ne croyait pas au succès de films avec des vampires.
Preuve encore que Jean-Jacques Beineix a souvent été trop en avance sur son époque. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cet artiste qui occupe une place originale dans le paysage du cinéma français.
L’exposition permet de le faire connaître aux plus jeunes et de le réhabiliter aux yeux de ceux qui avaient raté ses voyages dans l’esthétisme. Merci au musée des années trente de sa plongée dans le cinéma des années 80!





 



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