La Violette, une fleur … impériale
Bien que soit venu le temps du muguet (voir billet du 1er mai 2010), c’est de violette que je souhaite vous parfumer.
« … Les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l’herbe, cette nuit, les reconnais-tu ? Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes … Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel , laideronnes, pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre… »
L’idée de ce billet m’est venue telle que Colette nous le raconte dans son recueil de nouvelles, Les vrilles de la vigne.
C’était un jour de mars, au lendemain d’une semaine neigeuse. Un tapis de pâquerettes, de ficaires et de violettes avait attendu sagement pour se mettre à nu que le soleil les débarrassât de leur manteau blanc.
Il était temps, je désespérais de connaître un printemps digne de ce nom. En apercevant l’église du village, je pensais à celle de Victor Hugo qui célébrait ce miracle de la nature :
« … Les clochettes sonnaient la messe.
Tout ce petit temple béni
Faisait à l’âme une promesse
Que garantissait l’infini.
J’entendais, en strophes discrètes,
Monter, sous un frais corridor,
Le Te Deum des pâquerettes,
Et l’hosanna des boutons d’or …
Les joncs, que coudoyait sans morgue
La violette, humble prélat,
Attendaient, pour jouer de l’orgue,
Qu’un bouc ou qu’un moine bêlât ... »
Devant un tel élan poétique, j’eus donc envie d’aller y voir de plus près au figuré comme au propre … car il faut ramper par terre pour tirer le portrait de Mademoiselle Viola.
Plante herbacée de la famille des Violaceae, il en existe une centaine d’espèces. Certaines troquent même leur robe mauve pour une tenue blanche ou bleue. On distingue aussi, selon la disposition des pétales, deux sous-genres, les pensées et les violettes.
Les violettes sont parfois bourgeoises voire même mondaines et cabotines. Elles posent par exemple pour Édouard Manet, en bouquet sur une table ou dans l’échancrure de la robe de Berthe Morisot.
Les deux tableaux inspirèrent l’écrivain Philippe Sollers dans son récent roman L’éclaircie :
« Un tel bouquet agit immédiatement sur ses environs. La rue monte vers lui, la Seine coule dans sa direction, les murs l’écoutent, la cheminée devient un autel. L’éventail fermé est un livre à lire. Être présent dans une chambre où se trouve ce tableau, c’est changer d’yeux, de poumons, de nez, de mains, de jambes. Les violettes ont un parfum de vin, elles viennent du corsage de la destinataire. Une femme en fleur surgit de la nuit. »
Une passion secrète liait en effet la jeune Berthe, elle-même peintre, au maître qui l’assit au Balcon de son chef-d’œuvre. Elle ne se concrétisa cependant pas et Berthe épousa quelques années plus tard, Eugène Manet, le frère d’Édouard.
http://www.ina.fr/video/I07040337
Dans ma prime jeunesse, en un temps où tous ces problèmes de cœur me passaient au-dessus de la tête, Luis Mariano chantait L’amour est un bouquet de violettes dans l’adaptation cinématographique de l’opérette Violettes Impériales. Mes parents m’emmenèrent également au théâtre Mogador voir Marcel Merkès et Paulette Merval interpréter les airs célèbres de la partition de Vincent Scotto, notamment La Valse des Violettes et Qui veut mon bouquet de Violettes.
« Toutes mes violettes sont à vendre
Mais mon cœur, lui, ne se vend pas
Et celui qui voudrait me le prendre
Tôt ou tard s´en repentira ... »
Les violettes apparues dans l’herbe d’Ariège, sont d’extraction plus modeste. Elles prennent le nom de l’endroit où elles poussent : Violette de Reichenbach ou violette des bois, Viola odorata, violette odorante, c’est la violette des haies et des prés encore appelée violette de carême ; celle que je contemple est peut-être une cousine, la Viola pyrenaica ou violette des Pyrénées.
Même mal attifée avec ses deux pétales qui pointent vers le haut et les trois qui piquent en bas, elle sourit au promeneur avec peut-être le secret espoir de séduire la bergère qui parque ses moutons non loin de là. Ainsi, la réalité rejoindrait la fiction de Charles-Julien Lioult de Chênedollé, un poète du début du dix-neuvième siècle qui n’était pas une andouille bien qu’il fût originaire de Vire.
« Pourquoi faut-il qu’à tous les yeux
Le destin m’ait cachée au sein touffu de l’herbe,
Et qu’il m’ait refusé, de ma gloire envieux,
La majesté du lis superbe ?
Ou que n’ai-je l’éclat vermeil
Que donne le printemps à la rose naissante,
Quand, dans un frais matin, les rayons du soleil
Ouvrent sa robe éblouissante ?
Peut-être pourrais-je en ces lieux
Captiver les regards de la jeune bergère
Qui traverse ces bois, et, d’un pied gracieux,
Foule la mousse bocagère.
Avant qu’on m’eût vu me flétrir,
Je me serais offerte à ses beaux doigts d’albâtre ;
Elle m’eût respirée, et j’eusse été mourir
Près de ce sein que j’idolâtre. »
Vain espoir ! on ne te voit pas ;
On te dédaigne, obscure et pâle violette !
Ton parfum même est vil ; et ta fleur sans appas
Mourra dans ton humble retraite. «
Ainsi, dans son amour constant,
Soupirait cette fleur, amante désolée ;
Quand la bergère accourt, vole, et passe en chantant ;
La fleur sous ses pas est foulée.
Son disque, à sa tige arraché,
Se brise et se flétrit sous le pied qui l’outrage ;
Il perd ses doux parfums, et languit desséché
Sur la pelouse du bocage.
Mais il ne fut pas sans attrait
Ce trépas apporté par la jeune bergère,
Et l’on dit que la fleur s’applaudit en secret
D’une mort si douce et si chère. »
Qui s’inspira de l’autre mais, outre-rhin, son contemporain Goethe écrivit un poème de la même (dé)veine.
« Une violette dans un pré,
Anonyme, la tête penchée :
Mignonne était la violette.
S’approche alors une jeune bergère,
Humeur joyeuse, démarche légère,
Chantonnant par les prés.
Que ne suis-je, se dit la violette,
La plus belle des fleurs !
Serait-ce un tout petit peu,
Le temps que la belle me cueille
Et m’écrase contre son coeur,
Ne serait-ce qu’un petit quart d’heure !
Lorsque la jeune fille arriva,
N’eut cure de la violette,
Simplement la piétina.
Fauchée, mourante, la violette
Se réjouit encore : certes, je meurs,
Mais c’est par elle, à ses pieds.
Pauvre violette ! Mignonne était la violette. »
De ce drame pastoral, Mozart composa un très beau lied interprété ici par une fleur exotique belle à croquer.
Franchement, je n’aurais pas imaginé une aussi cruelle indifférence de la part des bergères.
Violette et poésie vivent en harmonie depuis fort longtemps.
Ainsi, une société littéraire, l’académie des Jeux Floraux (du nom de la déesse romaine Flore) fut fondée à Toulouse en 1323. Sept poètes troubadours formèrent alors le « consistoire des mainteneurs du gai savoir » afin de renouveler la tradition du lyrisme courtois tombé en désuétude depuis la croisade des Albigeois, et organisèrent chaque année une joute poétique en langue d’oc, ce qui eut le don d’exaspérer Joachim du Bellay comme en témoigne ce passage de La Défense et illustration de la langue française : « Lis et relis premièrement, ô poète futur, feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires Grecs et Latins ; puis me laisse toutes ces vieilles poésies françaises aux jeux floraux de Toulouse et au Puy de Rouen : comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles épiceries, qui corrompent le goût de notre langue, et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance. »
Il fut entendu car, progressivement, la langue française supplanta la langue méridionale, ce qui permit notamment à Ronsard et Jean-Antoine de Baïf, ses amis de la Pléiade, à Voltaire, Chateaubriand, Fabre d’Églantine, Alfred de Vigny et Victor Hugo, de compter parmi les prestigieux lauréats.
Ces illustres écrivains reçurent sans doute les trophées en forme de fleurs d’or et d’argent, la Violette, l’Églantine, le Souci, l’Amarante et le Lys, qui récompensent les vainqueurs.
De nos jours, la manifestation se déroule toujours le 3 mai comme au quatorzième siècle.
« … Ô mon pays, ô Toulouse
Un torrent de cailloux roule dans ton accent
Ta violence bouillonne jusque dans tes violettes ... »
Dans son hymne, Claude Nougaro, un autre troubadour occitan, n’oublie pas les violettes de sa cité natale dont elles sont l’emblème.
Ses mémés qui aiment la castagne et supportent les rugbymen du Stade Toulousain, savent-elles que haka en maori signifie certes la danse guerrière des célèbres All Blacks mais aussi … la violette.
La violette de Toulouse appartient au groupe de la Viola Parmensis, ce qui explique sa couleur parme et bleutée très caractéristique. C’est une fleur double donc elle possède deux fois plus de pétales que les autres variétés. Sa floraison d’octobre à avril en fait l’une des rares fleurs vendues en hiver.
Les historiens en datent les premières cultures aux alentours de 1850, au nord de la ville (Saint-Jory). Les maraîchers allaient les vendre sur le marché aux violettes du quartier des Jacobins et dans les rues du centre ville.
La violette de Toulouse connut ses riches heures durant toute la première moitié du vingtième siècle. Elle était exportée partout en Europe. L’hiver très rigoureux de 1956 et le développement de fleurs hivernales selon des techniques de cultures sous serres, sonnèrent son déclin.
Belle à croquer au propre comme au figuré, la violette odorante est comestible et peut parfumer vos salades de printemps. Je me souviens y avoir goûté chez Michel Bras, le grand chef étoilé de l’Aubrac, notamment dans son célèbre gargouillou de jeunes légumes relevé de graines germées et d’herbes champêtres. Le cuisinier des alpages Marc Veyrat en exhale les parfums subtils avec ses soles grillées à la violette ou sa religieuse à la violette.
Confite, la violette entre dans la composition de plats sucrés, de petits gâteaux et participe à leur décoration.
Les bonbons à la violette, élaborés à partir de fleurs fraîches cristallisées dans le sucre, sont une spécialité de Toulouse, souvent offerte dans un petit carton à chapeau décoré de violettes.
La violette se décline encore en sirop (pour un kir impérial ?), en liqueur, en gelée, en glace, en miel, en tisane.
Jadis, les grand-mères administraient des décoctions de fleurs séchées de violette comme remède à la toux grasse, voire même à la bronchite. Certaines infusions étaient censées combattre l’acné et des infections de la peau.
Un ancien proverbe normand vantait la violette des haies : « La première violette que tu trouveras au printemps, mange-la, et l’an devant, tu n’auras jamais la fièvre. » Mes parents omirent de me la prescrire …
Les Romains tressaient des couronnes de violettes sur leur tête pour effacer les affres des migraines provoquées par leurs libations. Violette tendre et gueule de bois !
Bien évidemment, la violette est également prisée pour les effluves puissants qu’elle dégage. Elle entre ainsi dans la composition de divers parfums.
À la cour de Versailles, l’hygiène laissait fortement à désirer. Tout roi Soleil qu’il fût, Louis XIV ne se lava guère au cours de son règne. Comme ses prédécesseurs, il se poudrait à la violette pour estomper les odeurs corporelles.
Héritage d’une industrie vieille de près de deux siècles, du genre Parme à Toulouse, Victoria sur la Côte d’Azur (notamment à Tourrettes-sur-Loup), les violettes, aujourd’hui encore, sont distillées pour la parfumerie.
La (trop) modeste violette peut s’enorgueillir d’avoir prêté son nom à Napoléon 1er. Parce que lors de son exil à l’île d’Elbe, l’empereur avait promis dans son dernier message qu’il reviendrait avec la saison des violettes, les bonapartistes le surnommèrent Père la Violette. Des cartes postales d’un bouquet de violettes apparemment ordinaires circulèrent alors à travers le pays. En y regardant de plus près, s’y cachaient les profils de Napoléon, de l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche, et de leur fils Charles, roi de Rome et duc de Reichstadt. Les distinguez-vous ?
Cette fleur devint même le signe de ralliement des bonapartistes pendant la période des Cent Jours entre le retour de l’empereur et son abdication.
Bien que timide, la violette ose aussi s’exhiber parfois à la boutonnière de certains humains a priori méritants. En effet, elle a l’insigne honneur d’offrir sa couleur et familièrement son nom aux Palmes académiques, une décoration créée par décret impérial du 17 mars 1808. C’est Victor Duruy, ministre de Napoléon III, qui sollicita en 1866 le port du ruban mauve : « Je prie votre Majesté de bien vouloir, en signant le décret ci-joint, régulariser la coutume qui s’est instituée, de porter un ruban avec une broderie qui permettrait à l’instituteur de village de gagner, par de bons services, l’insigne que le Ministre de l’Instruction Publique s’honore de porter dans les cérémonies officielles, comme les maréchaux de France qui portent la Médaille Militaire que votre Majesté confère aux simples soldats... »
Violettes et empereurs semblent tellement complices qu’ils inspirèrent donc l’opérette … Violettes Impériales. C’est l’histoire romancée de Violetta, une petite marchande de violettes bien sûr, qui s’éprend du comte Juan d’Ascaniz et devient fleuriste à la cour de l’impératrice Eugénie de Montijo, l’épouse de Napoléon III.
Rose, Marguerite, Églantine, Iris, Jacinthe, Pâquerette … Violette ne fut pas oubliée dans la mode des prénoms qui fleurirent les faire-part de naissance. Une de mes tantes se prénommait ainsi. Moins réjouissante, Violette Nozière défraya la chronique judiciaire dans les années 1930. Convaincue d’empoisonnement et parricide, elle fut condamnée à la peine de mort qui fut commuée par le maréchal Pétain en douze ans d’emprisonnement à dater de son incarcération. Elle fut libérée en 1945 et réhabilitée en 1963. Ce fait-divers fascinant ne pouvait pas laisser indifférent le cinéaste Claude Chabrol qui aimait tant croquer les travers de la société française. Il choisit avec bonheur Isabelle Huppert pour interpréter l’ambigüe Violette.
Nom de Zeus, je découvre que la violette serait née dans un pré comme celui que je foulais au début de ce billet. Le roi des dieux grecs, transforma sa maîtresse Io en une génisse blanche pour que son épouse Héra ne la découvre pas. Pire encore, il se changea lui-même en taureau. Cependant, Io éclata en sanglots à cause de la médiocrité de l’herbe à brouter. Qu’à cela ne tienne, on n’est pas dieu pour rien, pour la nourrir dignement, Zeus mua les larmes de son amante en délicates violettes parfumées.
Je conclus avec ces quelques lignes tirées des Fleurs de Philippe Sollers :
« Violette, beau prénom féminin. Mot étrange : viol, viole, violon, violoncelle, voile, voilette. » Ô, l’Oméga, rayon violet de ses yeux « . Rimbaud, encore : » L’araignée de la haie ne mange que des violettes. « »
L’observation de la carte politique de la France au soir des élections lui inspire aussi ceci : « … Comme le bleu et le rose ont de plus en plus tendance à se conjuguer, vous êtes dans le violet … Moralité : le drapeau tricolore, alternativement agité par les deux partis en campagne, ne peut plus être le symbole de la nation en cours de mondialisation. Le bleu-blanc-rouge, avalant difficilement le bleu à étoiles européen, doit laisser la place à un drapeau violet de belle apparence. Comme, sous toutes les dénégations, la droite passe à gauche et la gauche à droite, la France, violée en douceur, est donc violette, et il s’agit d’un événement majeur. »
C’est tellement plus subtil que mon propos à l’encre … violette !
