Bruce Springsteen, 4th of July, Paris Bercy
Une actualité plus brûlante a ajourné la publication de ce billet auquel je tiens cependant beaucoup. Un concert de Bruce Springsteen ne peut laisser indifférent.
Cela fait déjà quatre ans, le temps passe vite ou plutôt fut trop long en la circonstance, que Bruce Springsteen ne s’était pas produit à Paris (voir billets des 19 décembre 2007 et 1er juillet 2008). C’est donc avec impatience et ferveur que, le 4 juillet, je me suis rendu au premier des deux concerts qu’il donnait au Palais Omnisports de Paris-Bercy.
Encore une fois, à lire les plaques minéralogiques des véhicules garés dans le parking de Bercy et à entendre les accents étrangers dans la longue file d’attente des spectateurs pour accéder à la fosse, outre les Parisiens, ce sont de nombreux fans provinciaux et touristes étrangers qui affluent ce soir. Mon voisin de parking arrive directement de la Haute-Saône ; il avait vu Vesoul et il voulait voir Springsteen !
Dans les coursives de Bercy, les supporters de longue date, à voir leurs tempes grisonnantes, portent comme des reliques des tee-shirts, véritables toisons rapportées d’anciennes campagnes de leur champion à travers l’Europe.
Peut-il encore me surprendre et m’enthousiasmer, moi qui l’ai déjà vu à six reprises ? Certes, spécialiste des concerts marathons, sa venue est précédée d’un nouveau record établi le 19 juin dernier à Madrid, au stade Santiago Bernabeu, l’antre habituelle de footballeurs soi-disant galactiques (même Benzema ?!) : 3 heures et 48 minutes de concert, soit la plus longue prestation en public de la carrière du Boss ; le précédent record remontait au 31 décembre 1980 au Nassau Coliseum d’Uniondale, dans l’État de New York.
Avec The Boss, soixante-trois ans depuis la fin septembre, d’un continent à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un soir à l’autre, aucun concert ne se ressemble. Il respecte trop ses fans pour leur servir deux fois la même soupe. Ainsi, ce n’est pas moins de quinze chansons différentes qui composeront son récital, le lendemain, dans la même salle.
En ce mercredi, il y a de l’électricité dans l‘air au propre comme au figuré. Quelques minutes avant le spectacle, Antoine De Caunes, admirateur inconditionnel de Bruce, monte sur la scène pour demander, en anglais avec son délicieux accent franchouillard, au public de rester cool si les plombs sautent comme ce fut le cas à trois reprises dans l’après-midi. Ça promet !
Lors de son dernier passage à Bercy à l’approche de Noël 2007, le concert s’était ouvert avec un limonaire scintillant de mille feux et laissant échapper quelques flonflons. Les guinguettes du bord de Marne sont proches, cette fois, Roy Bittan et Charles Giordano, les deux claviéristes du légendaire E Street Band, débarquent sur scène en jouant à l’accordéon La vie en rose, le grand succès d’Édith Piaf.
Tout de noir vêtu, les manches de chemise déjà retroussées, Bruce jette un œil hilare à ses deux compères, musiciens de « baloche » improvisés, avant, one two three four, d’attaquer pied au plancher We take care of our own, le premier morceau de Wrecking Ball, son dernier opus.
« … Où sont les yeux, les yeux qui ont la volonté de voir
Où sont les cœurs qui débordent de miséricorde
Où est l’amour qui ne m’a pas abandonné
Où est le travail qui libérera mes mains, mon âme
Où est l’esprit qui régnera, qui se déversera sur moi
Où est la promesse qui va de la mer à la mer scintillante
Où est la promesse qui va de la mer à la mer scintillante
Partout où flotte ce drapeau
Partout où flotte ce drapeau
Partout où flotte ce drapeau
Nous prenons soin des nôtres
Nous prenons soin des nôtres... »
Car, aux États-Unis comme en France, la vie est loin d’être rose et, une fois encore, Springsteen se fait le porte-parole indigné d’une Amérique ouvrière en plein marasme et crie sa colère aux apprentis sorciers de la finance, responsables de la crise économique.
Il poursuit avec Wrecking Ball, titre éponyme de son récent album :
« J’ai été élevé dans l’acier, ici dans ces marécages du New Jersey
Il y a quelques brumeuses années
À travers la boue et la bière et le sang et les acclamations
J’ai vu des champions aller et venir
Donc si vous avez des tripes, Monsieur
Si vous en avez le courage
Si vous pensez que c’est votre heure, alors avancez jusqu’à cette ligne
Et amenez votre boule de démolition ... »
En le personnifiant et en lui donnant la parole à la première personne, Bruce rend en fait un hommage émouvant au Giants Stadium, stade mythique situé dans le New Jersey, en banlieue ouest de New York, promis prochainement aux coups de boules de démolition (wrecking balls). Gamin, il venait y voir jouer les Giants et les Jets, équipes fameuses de football américain. Plus tard, il y donna des concerts monstres. Une arène comme il les adore, où il peut mettre en valeur toute sa puissance vocale et scénique.
Au-delà de la destruction de cette enceinte géante que j’eus l’occasion de visiter lors d’un séjour à New York, il s’agit d’une métaphore sur la crise qui bouleverse son pays :
« ...Quand tout cet acier et ces histoires
Ne seront plus que rouille
Et que toute notre jeunesse et notre beauté
Seront livrées à la poussière
Et que vos jeux seront faits
Et que notre compte à rebours aura commencé
Et que toutes nos petites victoires et gloires
Se seront transformées en parkings
Quand vos espoirs et désirs les plus chers
Sont dispersés dans le vent
Et que les temps difficiles vont et viennent
Les temps difficiles vont et viennent
Les temps difficiles vont et viennent
Les temps difficiles vont et viennent
Les temps difficiles vont et viennent
Pour revenir à nouveau
Amenez votre boule de démolition
Amenez votre boule de démolition
Venez et visez de votre mieux, montrez-moi ce que vous savez faire ... »
One two three four, le Boss enclenche maintenant la machine de guerre avec le toujours somptueux Badlands.
« Badlands, you gotta live it everyday
Mauvaises terres, tu dois y vivre chaque jour
Let the broken hearts stand
Laisse les coeurs brisés se lever
As the price you’ve gotta pay
Comme le prix que tu dois payer
We’ll keep pushin’ till it’s understood
On continuera à pousser jusqu’à ce que ça soit compris
And these badlands start treating us good
Et ces mauvaises terres commencent à bien nous accepter.»
Comme d’habitude, ce n’est pas la peine de payer une centaine d’euros (il n’y a pas de crise dans la billetterie !) une place assise. La foule est déjà debout, les bras en l’air, à reprendre en chœur les inévitables oh oh oh oh oh que Bruce alimente par de grands gestes. Frissons garantis d’autant que soudain retentit le saxophone de Jake Clemons, le neveu de l’inoubliable Clarence « Big Man » décédé l’été précédent. Tonnerre d’applaudissements, la filiation est évidente, le talent aussi !
Sans répit, Bruce enchaîne avec Death to my hometown, troisième chanson tirée ce soir de son dernier disque. Violons et accordéon apportent une coloration folk celtique. Bruce, la voix de conteur nourrie à la bière et ses musiciens marquent le rythme presque martial sur le devant de la scène, comme s’ils voulaient marcher sur l’ennemi et le piétiner, toujours les mêmes « voleurs avides », les promoteurs immobiliers chassant de leur domicile les habitants incapables de payer des loyers exorbitants.
« … Ils ont apporté la mort dans ma ville natale
Ils ont détruit nos usines familiales
Et ils ont pris nos maisons
Ils ont laissé nos corps sur les plaines
Les vautours ont dévoré nos squelettes
Alors écoute bien, mon fils
Sois prêt quand ils arriveront
Car ils vont revenir
Aussi sûr que le soleil se lève
Trouve-toi une chanson à chanter
Et chante-la jusqu’au bout
Chante-la fort et chante-la bien
Envoie ces barons voleurs droit en enfer (
Les voleurs avides qui sont venus
Et ont mangé la chair de tout ce qu’ils ont trouvé
Dont les crimes sont impunis à ce jour
Qui marchent maintenant dans la rue en hommes libres... »
Pour un peu, la harpe celtique en moins, on se croirait presque dans un fest-noz ou un concert d’Alan Stivell des années 1970, ou mieux encore, autour d’un feu de camp dans la country américaine. On retrouve la veine de l’album (Pete) Seeger Sessions et des protest songs de Woody Guthrie.
Les fidèles sont aux anges, les autres sont conquis et convertis. Le pasteur du rock peut commencer son prêche.
« The church door’s thrown open
La porte de l’église est grande ouverte
I can hear the organ’s song
Je peux entendre le chant de l’orgue
But the congregation’s gone
Mais l’assemblée des fidèles est partie
My city of ruins
Ma ville de ruines
My city of ruins
Ma ville de ruines
Come on, rise up ! Come on, rise up !
Allez, debout ! Allez, debout ! »
Dans la tradition du gospel, Bruce se révolte contre sa ville en ruines, My city of ruins, morceau tiré de The Rising, son album fortement imprégné du traumatisme des attentats du 11 septembre 2001 détruisant les tours jumelles du World Trade Center.
Durant quelques minutes, la salle profane de Bercy possède un faux air de chapelle de Harlem. Le Boss prédicateur, dansant presque en chaire, harangue, hypnotise même ses ouailles qui, bras levés, prient avec lui :
« I pray lord
With these hands,
I pray for the strength, Lord
With these hands,
I pray for the faith, Lord
We pray for your love, Lord
We pray for the lost, Lord
We pray for this world, Lord
We pray for the strength, Lord
We pray for the strength, Lord
Come on, rise up ! »
Chanson de deuil mais aussi de reconstruction. Des chœurs qui donnent du baume aux cœurs. Frissons garantis !
Bruce en profite pour présenter tous les membres du E Street Band. Standing ovation spéciale pour le saxophoniste Jake Clemons dont chaque solo sera acclamé, vous savez pourquoi, et pour son épouse Patti Scialfa de retour. Oui, « Patti est là ! » comme il soulignera plusieurs fois malicieusement au cours de la soirée.
La messe n’est pas tout à fait dite. On le croit déjà sonné, les années commencent à compter peut-être, il s’affaisse sur son pied de micro … mais c’est pour mieux embraser aussitôt Bercy avec Spirit in the night. La communion est totale. All night, évidemment, lui répond comme d’habitude en écho la foule. Bruce la remercie en allant à son contact. Il serre les mains qui se tendent, il se laisse caresser les cheveux comme s’il fallait s’entraider et se réconforter en ces temps de crise.
Des banderoles dans le public rappellent que nous sommes le 4 juillet. Ce même jour de 1776, les treize colonies britanniques d’Amérique du Nord, faisaient sécession du Royaume-Uni dans un texte politique qui constituait la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis.
Ce soir, first hommage à ce jour de fête nationale, Bruce nous offre un oldie de 1973, 4th of July, Asbury Park. À l’époque, son premier album s’intitulait déjà Greetings from Asbury Park, New Jersey, une station balnéaire de la côte est comme on en trouve chez nous au bord de la mer du Nord. Et en cette nuit de fête nationale, Bruce nous raconte son histoire sentimentale avec Sandy, eux qui ne rêvent que de s’enfuir de ce lieu mortel.
« This boardwalk life for me is through
Cette vie de ponton pour moi c’est fini
You know you ought to quit this scene too
Tu sais tu devrais quitter ces lieux aussi
Sandy the aurora’s rising behind us,
Sandy, le jour se lève derrière nous
The pier lights our carnival life forever
L’embarcadère illumine notre vie de carnaval pour toujours
Oh love me tonight and I promise I’ll love you forever
Oh aime moi ce soir, et je promets que je t’aimerai pour toujours »
On t’aime Bruce, ce soir et toujours ! Une chanson d’amour qui devient presque un hymne en ce jour particulier. C’est sans doute pour cela que les spectateurs l’écoutent avec recueillement.
« Cette chanson est pour tous ceux qui souffrent et qui luttent ». Bruce nous présente Jack of all trades, un homme à tout faire, dans une attaque virulente contre les banques et leurs traders.
« Le banquier s’engraisse, l’ouvrier s’amaigrit
Tout ça est déjà arrivé avant et ça arrivera encore
Et ça arrivera encore, ils mettront votre vie en jeu
Je suis un homme à tout faire et ma chérie tout ira bien pour nous
Parfois, les lendemains arrivent chargés d’un coût matériel et humain (1)
Ici, nous avons subi la sécheresse, nous subirons le déluge
Il y a un nouveau monde qui se lève, je vois la lumière
Je suis un homme à tout faire, tout ira bien pour nous
Alors, tu utilises ce que tu as et tu apprends à faire avec
Tu prends l’ancien, tu en fais du neuf
Si je pouvais me procurer un flingue, je trouverais ces salauds et je les tirerais à vue
Je suis un homme à tout faire, tout ira bien pour nous ... »
La ballade est magnifique avec un accompagnement de cuivres poignant.
Une Patti peut en cacher une autre.
« Take me now baby here as I am
Prends moi maintenant bébé, comme je suis
Pull me close try an understand
Prends moi dans tes bras, essaie de comprendre
I work all day out in the hot sun
Je travaille toute la journée dehors sous le soleil qui tape
Stay with me now till the mornin’ comes
Reste avec moi maintenant jusqu’à ce que le matin vienne
Come on now try and understand
Allez maintenant essaie de comprendre
The way I feel when I’m in your hands
Comment je me sens quand je suis dans tes mains
Take me now as the sun descends
Prends moi maintenant alors que le soleil décline
They can’t hurt you now (x3)
Ils ne peuvent pas te blesser maintenant (x3)
Because the night belongs to lovers
Parce que la nuit appartient aux amoureux
Because the night belongs to us
Parce que la nuit nous appartient«
Springsteen avait co-écrit cette chanson avec Patti Smith à la fin des années 1970. Il ne l’interpréta pas pendant longtemps. Ce soir, il en reprend un couplet, presque lèvres contre lèvres, avec son épouse Patti Scialfa.
Les deux tourtereaux ne se privent pas de recommencer encore plus lascivement un plus tard sur Easy money, argent facile :
« Tu mets ton manteau, je mettrai mon chapeau
Tu mets le chien dehors, je mettrai le chat dehors
Tu mets ta robe rouge ce soir pour moi, ma chérie
Nous allons en ville maintenant, à la recherche d’argent facile
C’est un jeu d’enfant monsieur, vous n’entendrez aucun bruit
Quand tout votre monde s’écroulera
Et que tous ces gros nababs penseront simplement que c’est drôle
Je vais en ville maintenant, à la recherche d’argent facile… »
Une chanson facile aussi, tirée encore de l’opus Wrecking ball, propice à être reprise en chœur par les fans.
Auparavant, Bruce nous a fait swinguer sur Johnny 99, un bon vieux rock des familles. La sono est à fond, les musiciens s’en donnent à cœur joie, gaffe à mon acouphène ! On ne devrait pas se réjouir pourtant car le Johnny en question vient d’être condamné à 99 ans de prison pour avoir tué un veilleur de nuit sous l’emprise de l’alcool.
Aucune chance donc qu’il attende un jour ensoleillé, Waitin’ on a sunny day, une chanson de l’album Rising que le public entonne en chœur et de bon cœur.
« I’m waitin’, waitin’ on a sunny day
J’attends, j’attends un jour ensoleillé (un jour meilleur)
Gonna chase the clouds away
Qui chassera les nuages
Waitin’ on a sunny day
J’attends un jour ensoleillé
Hard times baby, well they come to us all
Les mauvais temps bébé, ils nous arrivent tous
Sure as the tickin’ of the clock on the wall
Aussi sur que le tic-tac de l’horloge sur le mur
Sure as the turnin’ of the night into day
Aussi sur que le passage de la nuit au jour
Your smile girl, brings the mornin’ light to my eyes
Ton sourire, fille, apporte la lumière du matin à mes yeux
Lifts away the blues when I rise
Fait disparaître le blues quand je me lève
I hope that you’re coming to stay
J’espère que tu arrives pour rester »
Ce soir, c’est une nuit étoilée pour une jeune fille que Bruce hisse sur scène. Elle massacre un peu le refrain, mais saluons son courage.
Je préfère cependant vous offrir en clip le moment d’anthologie sur la même chanson lors du concert du lendemain. Nul doute qu’il restera gravé dans la mémoire de cette adolescente. Et dans cinquante ans, elle racontera encore à ses petits-enfants le concert où le Boss la porta dans ses bras.
Tout le contraire d’un intermède, Bruce nous offre maintenant un concentré de musique soul intitulé Apollo Medley, avec notamment des reprises de Wilson Pickett et des Temptations. Ça sent bon les années 1960 !
Jake Clemons rampe tel un serpent sur scène. Bruce la quitte pour descendre dans la fosse et continuer à chanter au milieu de ses fans enthousiastes. Ils lui tendent leurs mains, le caressent et même le portent à bout de bras. C’est du délire et le bonheur total.
C’était la première tournée du « patron » toujours aussi généreux ! Il n’a plus vingt ans certes et les déjà deux heures de concert semblent l’avoir entamé physiquement à juger de sa démarche un peu titubante à la fin de cette « soulerie ». En fait, elle est plus à mettre sur le compte de l’émotion. Le moment est venu d’une seconde célébration du Fourth of July, jour de fête nationale aux Etats-Unis. Seul au piano, dans un silence impressionnant, Bruce interprète … Independence Day.
Joli clin d’œil car, en réalité, la chanson raconte le jour où un fils prend son indépendance et quitte son père et le domicile familial.
« Now I don’t know what it always was with us
Maintenant je ne sais pas ce qu’il y avait entre nous
We choose the words, and yeah, we drew the lines
On a choisi les mots et ouais, on a tracé les limites
There was just no way this house could hold the two of us
Il n’y a aucun moyen pour que l’on puisse rester tous les deux dans cette maison
I guess that we were just too much of the same kind
Je pense que nous nous ressemblons juste trop
Well say goodbye it’s Independence Day
Eh bien, dis au revoir c’est le jour de l’Indépendance
It’s Independence Day all boys must run away
C’est le jour de l’Indépendance, tous les garçons doivent s’enfuir
So say goodbye it’s Independence Day
Alors dis au revoir c’est le jour de l’Indépendance
All men must make their way come Independence Day
Tous les hommes doivent tracer leur chemin quand vient le jour de l’Indépendance »
Bruce souffle à la fin du morceau ; il est visiblement très ému, nous aussi et Thomas Jefferson, un des rédacteurs de la Déclaration de 1776, peut-être également là-haut.
Moment de grâce ! Qui se prolonge avec un autre, magique comme à chacun de ses concerts à Paris. Quelques notes d’harmonica, voici The River reprise comme d’habitude par tout Bercy. C’est toujours un étonnement pour moi, même si de nombreux américains sont présents ce soir. Quant à Bruce, son interprétation est poignante avec sa voix grave qui vibre aussi dans les aigus.
Come on up for the rising, allons tous nous élever cette nuit à Bercy. La la la lalala reprend la salle à l’unisson.
Ç y est, le Boss lance la grande artillerie avec Out in the street. When I’m out in the street … Woh-Oh-Oh Oh Oh Oooooh !Yeah ! Yeah ! Yeah ! Yeah ! Dans la chaleur de la nuit de Bercy, il commence à distribuer des boissons énergétiques (d’un bleu vert guère naturel) aux spectateurs des premiers rangs. Paris ! Paris ! Il s’asperge à grande eau, une vraie douche. Mais au figuré, il mouille sa chemise depuis déjà un bon bout de temps.
Et le Boss repart de plus belle ; que les gens se préparent, nous avons un train à prendre. Non pas en face à la gare d’Austerlitz mais vers un pays d’espoir et de rêves :
« This train
Ce train
Carries saints and sinners
Transporte des saints et des pêcheurs
This train
Ce train
Carries losers and winners
Transporte des perdants et des gagnants
This Train
Ce train
Carries whores and gamblers
Transporte des putains et des flambeurs
This Train
Ce train
Carries lost souls
Transporte des âmes perdues
This Train
Ce train
Dreams will not be thwarted
Les rêves ne seront pas contrariés
This Train
Ce train
Faith will be rewarded
La foi sera récompensée
This Train
Ce train
Hear the steel wheels singin’
Écoute les roues d’acier chanter
This Train
Ce train
Bells of freedom ringin’
Les cloches de la liberté retentissent
This Train
Ce train
Carries broken-hearted
Transporte des coeurs brisés
This Train
Ce train
Thieves and sweet souls departed
Des voleurs et des âmes douces évanouies
This Train
Ce train
Carries fools and kings
Transporte des idiots et des rois
This Train
Ce train
All aboard
Tout le monde à bord
This Train
Ce train
Dreams will not be thwarted
Les rêves ne seront pas contrariés
This Train
Ce train
Faith will be rewarded
La foi sera récompensée
This Train
Ce train
Hear the steel wheels singin’
Écoute les roues d’acier chanter
This Train
Ce train
Bells of freedom ringin’
Les cloches de la liberté retentissent »
Ah, this train, il n’a rien à voir avec celui que Richard Anthony écoutait siffler. Celui-là, sous forme de métaphore, apporte une note d’optimisme. Le pays a connu d’autres revers et il s’est toujours relevé.
Dans son dernier album Wrecking Ball, Bruce a choisi un enregistrement de Land of hope and dreams effectué avec son grand ami Clarence Clemons. « Cette perte est incommensurable et nous sommes honorés et reconnaissants de l’avoir connu et d’avoir eu l’opportunité de le côtoyer pendant près de 40 ans. » avait-il déclaré au moment de son décès. Ce soir, le neveu Jake lui succède avec moins de puissance mais beaucoup de vitalité.
« The earth rose above me, my eyes filled with sky ». On se retrouve six pieds sous terre mais avec du ciel plein les yeux ! We are alive, nous sommes toujours vivants, ouf, avec une chanson finalement festive avec cuivres et violons, Bruce nous rassure avant de s’éclipser avec ses musiciens.
Ce serait mal le connaître que d’imaginer que le concert s’achève ainsi. Il supplie le public, « Fatigué », « fatigué », pour lui confier aussitôt qu’il est heureux de jouer à Paris, un 4 juillet : « La France était l’amie de l’Amérique avant qu’elle soit l’Amérique », avant de repartir dans un ultime sprint d’enfer en enchaînant « one two three four » trois de ses immenses succès et, d’abord, fête nationale oblige, oui bien sûr, Boooorn In Ze Iouaisssaihaiiii I was ! Assourdissant, tout Bercy chante et quelques fans privilégiés vont même jusqu’à pincer les cordes de la guitare du patron sur Born to run.
« Fatiguééééé ! » Non, lui répond la salle, ivre de bonheur, qui chante et danse. Toutes les lumières sont rallumées. Pourtant le moment est venu de Dancing in the dark :
« I ain’t nothing but tired
Je ne suis rien d’autre que fatigué
Man I’m just tired and bored with myself
Mon gars, je suis juste fatigué et ennuyé de moi-même
Hey there baby, I could use just a little help
Hé là ma chérie, je pourrais avoir besoin d’un petit coup de main
You can’t start a fire
Tu ne peux pas allumer un feu
You can’t start a fire without a spark
Tu ne peux pas allumer un feu sans étincelle
This gun’s for hire
Ce pistolet est à louer
Even if we’re just dancing in the dark
Même si nous ne faisons que danser dans le noir... »
Hey baby ! Il y a vingt-cinq ans, à l’hippodrome de Vincennes, Bruce choisissait une « jeunette mignonne » dans le public avant de rouler des mécaniques avec elle sur scène. Par la suite, il s’assagit après son mariage avec Patti.
Une pancarte est brandie dans la fosse : « Bruce, will you dance with ma Mom fan since 1975 ? ». Il exauce le vœu en esquissant quelques pas de danse « mémère » avec la maman cinquantenaire comblée.
C’est du délire. Nous ne sommes pourtant pas au bout de nos émotions. Il fend maintenant littéralement la foule et monte sur une estrade au milieu de la fosse en chantant « Tenth Avenue Freeze Out » quand soudain, avec ses musiciens, il se « freeze », il se fige le bras tendu vers les écrans qui balancent des images de Clarence Clemons. Instant de stupeur avant que durant de longues minutes, les spectateurs applaudissent à tout rompre en hommage au fabuleux saxophoniste du E Street Band. Je n’ose détourner mon regard, mais beaucoup de larmes ont coulé.
Fatiguééééé ! Oui, sûrement, épuisé même ! Dans un dernier sursaut, Bruce délivre son traditionnel final, American land, une ébouriffante gigue celtique punk rock façon The Pogues et Shane Mc Gowan, racontant l’histoire de Etats-Unis à travers la classe ouvrière et les immigrés.
« … Il y a des trésors à prendre pour n’importe quell homme qui aime le dur labour
Celui qui bâtira sa maison dans cette terre américaine
Les Mac Nichols, les Molsowskis, les Smith les Rileys aussi
Les noirs, les irlandais, les allemands et les juifs
Les Portoricains, les sans papiers, les asiatiques, les arabes à mille lieues de chez eux
Ont traversé les flots avec du feu à leur trousses
Ils ont construit les buildings, les chemins de fer, forgé leur os et leur peau
Ils sont morts dans les champs et les usines, ils ont été écorchés dans le vent
Ils sont morts d’avoir eu cela il y a un un siècle, ils sont sous terre maintenant
Les mains qui ont construit le pays, nous allons essayer de nous en souvenir… »
Paris ! Paris ! Paris ! « You’ve just seen the heart-stopping, pants-dropping, hard-rocking, earth-shocking, booty-shaking, love-making, viagra-taking, history-making, legendary: E STREET BAND! » Aussi difficile de traduire cette phrase leitmotiv de chaque fin de concert que de restituer l’extraordinaire ambiance de celui de ce 4th of July, Paris Bercy. Trois heures et vingt-huit minutes, le record n’est pas battu. Il le sera, quelques semaines plus tard, à Helsinki, avec quatre heures et six minutes.
La rumeur enfle déjà que Springsteen reviendrait pour un concert au Stade de France à l’été 2013. Auparavant, il aura donné un coup de main à Barak Obama en chantant lors de quelques meetings de sa campagne présidentielle. Comme il dit : « Je me suis toujours identifié au personnage des Raisins de la colère, quelqu’un sans aucune éducation politique mais qui, à travers ses expériences, comprend des choses et tente de sauver ceux qui l’entourent.»
On t’aime Bruce !