Notre-Dame des Cyclistes

L’actualité tombe à pic avec la mort de Neil Armstrong, le premier homme à avoir posé le pied sur la Lune en 1969, et la disparition sportive de son homonyme Lance, le seul coureur cycliste à avoir remporté sept fois le Tour de France. Des extraterrestres (au propre comme au figuré ?) chacun dans son domaine ! L’un a décroché la lune, l’autre nous a ramenés plus bas que terre!

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Après l’évocation récente d’un pittoresque café d’Ariège, cette savoureuse brève de comptoir tirée de Charlie Hebdo me sert de transition pour vous faire visiter une chapelle des Landes dévouée aux cyclistes. Comme quoi, dans mes billets aussi, il y a souvent un bistrot tout près d’un lieu de culte !
En l’occurrence ici, de double culte ! Car la chapelle de Géou, située à deux kilomètres du village de Labastide-d’Armagnac, par la bonté de Sa Sainteté le Pape Jean XXIII, est depuis mai 1959, le sanctuaire national du Cyclisme et du Cyclotourisme sous la protection de la Vierge, Notre-Dame des Cyclistes.

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L’idée naquit le 22 août 1958 dans l’esprit de l’abbé Joseph Massie, curé de Créon d’Armagnac. Signe du ciel, alors qu’il devait dire la messe à Mauvezin, il fut bloqué par un très violent orage à quelques centaines  de mètres de la chapelle de Géou. Il décida alors de s’y réfugier et d’y célébrer l’office en compagnie de son enfant de chœur, le futur abbé Michel Busquet. Bien lui fit puisqu’il eut en ces circonstances, la révélation de consacrer cette chapelle aux cyclistes à l’image de la Madonna del Ghisallo près du lac de Côme en Italie. Forza Massie !
Je veille à l’orthographe car il est un autre Massi, prénommé Rodolfo, coureur cycliste justement, à qui on aurait pu donner le Bon Dieu sans confession et pourtant …
En effet, appliquant « méta-euphoriquement » l’affirmation biblique que les derniers sur terre seraient les premiers au paradis (des cyclistes), après avoir été lanterne rouge du Tour de France 1990 et dernier de l’étape passant par le col du Tourmalet, il remporta l’étape Pau-Luchon franchissant encore le même col lors de l’édition 1998. Mais quelques jours plus tard, il fut suspendu après qu’eussent été trouvés lors de perquisitions, des produits dopants, notamment la célèbre EPO. Pire encore, pour la même affaire, il fit également l’objet d’une inculpation sous les chefs d’importation, d’offre et de cession de substances vénéneuses ! De quoi devoir se repentir dans le confessionnal de son homonyme d’abbé qui allait décéder l’année suivante, peut-être affligé du comportement peu chrétien à vélo de ses ouailles.
Mes fidèles lecteurs et aussi les occasionnels doivent s’interroger pourquoi je rêve encore de la légende des cycles. Parce que comme tout bon natif sous le signe des Poissons, je suis un rêveur ! En guise de réponse, je vous livre un passage d’un livre fort intelligent de Dominique Jameux, Fausto Coppi, l’échappée belle, Italie 1945-1960 : « Le Tour, un peu mythique, possède ses résonances et ses indices. Il parle pour nous, au nom de tous les autres, le langage de la fête et des vacances. Lorsqu’il part … l’atmosphère dans les classes, est déjà aux vacances. C’est le moment des cours qui n’en sont plus, des leçons non apprises dans l’impunité, des devoirs oubliés par le prof. Il fait chaud, les fenêtres sont ouvertes sur les marronniers de la cour et le robinet de la fontaine qui fuit. La cloche qui sonne est le signal d’une cavalcade vers le café sur la place, dont le patron a affiché, sur une ardoise, les résultats de l’étape, avec beaucoup de noms inconnus- les « grands » ne daignent pas intervenir avant quelques jours. Il offre une limonade aux gosses. Quelle saveur à ce dispositif, qui mieux que tout dit les vacances proches ! Le soir, chaises de cuisine tirées sur le trottoir, les grandes personnes bavassent. Le crépuscule tiède s’obstine. Nous tournons et retournons inlassablement sur nos vélos, en s’apostrophant de noms magiques. La dernière corvée en vue est celle de l’interminable distribution des prix, si pesante à qui n’en méritera pas … Les vacances ont déjà commencé, en fait, et la villégiature s’enchaîne sans solution de continuité, étape après étape. Le marchand de journaux reçoit dans sa semaine triple livraison d’hebdomadaires sportifs : Miroir-Sprint, But et Club, où le sépia bleu alterne avec le sépia brun. Triple festin ! Poésie de ces photos souvent étonnamment bonnes –et prises acrobatiquement de l’arrière d’une moto- de ces légendes, de ces dessins, qui donnent soudain de l’image au son radiophonique journellement attendu et ingurgité dans la fièvre. Paris, Reims, Boulogne, Bordeaux, Luchon, le Tourmalet, l’Aubisque, l’Iseran, le Petit-Saint-Bernard, Colmar, le Parc des Princes … Les noms des villes, des cols, des côtes, défilent. On apprend un peu de géographie française et même étrangère ... »
Tout est dit. Voilà pourquoi après mon Voyage au bout de l’Enfer du Nord (billet du 15 avril 2011), je vous mène aujourd’hui au Paradis des cyclistes.


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Une fois franchi l’arc de triomphe surmonté d’une croix et de deux roues, je m’engage entre vignes et maïs dans l’allée Joseph Michaud baptisée ainsi en hommage au premier pèlerin qui hanta le lieu. Un nom prédestiné puisque son homonyme, Pierre Michaux, artisan serrurier et charron originaire de Bar-le-Duc, révolutionna l’histoire de la bicyclette, au dix-neuvième siècle, en ajoutant une manivelle à la roue avant d’une draisienne, créant ainsi les vélocipèdes à pédale (les michaudines). Invention capitale, la pédale était née.

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Quelques dizaines de mètres plus loin, je me retrouve dans une clairière semblable à l’airial typique du paysage landais. Je suis accueilli par la Vierge Marie, reine du monde (qui) protège la terre parcourue en tous sens par les cyclistes amoureux de la belle nature du Seigneur ! Si je comprends bien, elle protège la terre cependant dans un triste état mais pas les cyclistes, ainsi Fabio Casartelli qui chuta mortellement dans la descente du col du Portet d’Aspet lors du Tour de France 1995 (voir billet du 3 avril 2008 Les cols buissonniers dans les Pyrénées).
Pour être exact, j’étais déjà passé ici, voilà quelques années, mais j’avais trouvé porte close à ma grande déception.

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Autrefois laissée à l’abandon, la chapelle de style roman ne manque pas de charme avec ses vieilles pierres, son toit de tuiles et son clocher au faux air de pigeonnier.
Je pousse le grand portail en fer forgé par un ancien coureur cycliste de Mont-de-Marsan. Il représente deux Grands Bis avec les inscriptions : à gauche « Je suis l’immaculée conception », à droite « Aux cyclos évite l’abandon ».

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Un peu plus loin, dans ce qui fut sans doute un cimetière, je m’arrête quelques instants devant le buste de l’abbé Joseph Massie dont la passion pour le vélo (l’abbé Cane ?!) a permis ce lieu de pèlerinage. Une bonne tête de curé, ronde et joviale, comme on en voit sur les boîtes de fromage et les bouteilles de bière. Je partage volontiers avec lui sa foi … pour le vélo ! Pour le reste … les voies du Seigneur, même cyclables, sont impénétrables.

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Qui plus est, malgré mon obole versée hypocritement dans l’urne pour tenter de l’amadouer, l’hôtesse à l’accueil me prévient d’emblée que les photographies sont interdites depuis que des visiteurs peu scrupuleux en aient commercialisées en cartes postales. « Même pas une seule de la vitrine exposant trois maillots de Jacques Anquetil, l’idole de ma jeunesse ? ». « Même pas ! ». Comprenez que je reste définitivement athée !
En conséquence, excusez-moi, à partir de maintenant, les photos prises à l’intérieur de la chapelle sont l’œuvre de quelques privilégiés ou pirates du net.
Un Normand peut en cacher un autre. Je suis intrigué par un vélo avec son guidon rabaissé et un seul frein avant qui frottait sur le pneu. Léon Georget, surnommé Gros Rouge ou Le Brutal, courut le 1er Tour de France en 1903 avec. Il remporta aussi neuf Bol d’Or, une épreuve sur piste d’endurance sur 24 heures dont le trophée, un bol en bronze doré, était offert par les chocolats Meunier.
Mais ce drôle de vélo fut utilisé également par « un drôle de paroissien », à savoir Bourvil lors du tournage du film Les Cracks d’Alex Joffé en 1967.

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Voici des images de l’époque, tirées des archives de l’INA, avec en fond sonore l’inénarrable chanson À Bicyclette.

« … Dans les champs chantaient les grillons
Le soleil dardait ses rayons
De bicyclette.
Elle voulait que je chante un brin
Mais à cela j´ai mis un frein
De bicyclette.
Près d´un tournant y avait un bois
Où l´on se dirigea, ma foi
À bicyclette.
Mais comme elle roulait près de moi
Voilà qu´em´fait presqu´à mi-voix
À bicyclette :

- Ah! c´que vous êtes coureur!
– Moi… j´ne suis pas coureur.
– Ah! c´que vous êtes menteur!
– Moi, je suis balayeur.
– Vous savez faire la cour!
– Oui, j´y réponds, car pour
Ce qui est de faire la cour,
Je la fais chaque jour.
– La cour à qui?, qu´em´dit.
– La cour d´la ferme pardi!
– Vous êtes un blagueur.
Ah! C´que vous êtes coureur! ... »

Sur le tournage du film Les Cracks d\’Alex Joffé (archives de l\’INA)

Dans le film, Bourvil court sur les cycles Mulot et Duroc. Interprétant l’inventeur Jules Auguste Duroc, il met au point une bicyclette révolutionnaire avec une roue libre, ce qui lui évite de pédaler dans les descentes. Endetté, pour fuir l’huissier Mulot (alias Robert Hirsch), il s’engage dans la course Paris-San Remo.

Image de prévisualisation YouTube

La réalité rejoint parfois la fiction. Ainsi, lors du Tour de France en juillet dernier, un terroriste sportif s’est cru malin de disperser des clous de tapissier au sommet du col de Péguère en Ariège, provoquant ainsi une trentaine de crevaisons. Je doute cependant que dans la foule se pressant au bord de la route, il eût le même geste auguste du semeur cher au peintre Jean-François Millet !
Dans le film, le dopage est aussi d’actualité de manière humoristique. Ainsi, le redoutable maître Mulot administre quelques doses de somnifères aux coureurs, à l’insu de leur plein gré comme on dit désormais (!), pour freiner leur progression.
Le 28 janvier 1960, le Landais André Darrigade porta en ex-voto son maillot de champion du monde gagné l’été précédent sur le circuit de Zandvoort aux Pays-Bas. Ainsi, commença la collection de maillots (plus de 700 à ce jour) qui ornent les murs de la chapelle.
La relique arc-en-ciel ayant appartenu à l’ami et équipier d’Anquetil est toujours exposée dans une vitrine avec un autre de ses trophées, le maillot vert mythique qui récompensait le premier du classement par points du Tour de France.

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Vous ne pouvez pas imaginer mon émotion devant ces maillots en laine aux teintes passées, au look désuet avec leurs poches-poitrines qui donnaient aux coursiers de petits airs de kangourou et qui permettaient au romancier René Fallet, fada de vélo, d’y ranger ses cigarettes et son briquet.
Une admiratrice d’Hugo Koblet, champion suisse vainqueur du Tour de France 1951 (voir billet du 4 juillet 2011), voulant obtenir les faveurs de celui qu’on surnommait le Pédaleur de charme, émit cependant une condition : qu’il l’honorât en gardant sur lui son maillot de coureur. La légende ne dit pas lequel et je doute qu’il soit suspendu dans la chapelle. C’est peut-être cela finalement l’amour du maillot. Ô sacrilège !
D’antan, du temps de la TSF puis de la télévision en noir et blanc, on admirait uniquement ces maillots (souvent dépourvus de « réclames ») quand on voyait passer les coureurs au bord des routes ou sur les couvertures en couleurs des mensuels dédiés au cyclisme. Signe des temps, du merchandising et des produits dérivés, aujourd’hui, tout le monde peut jouer les hommes sandwiches en roulant avec les tuniques les plus prestigieuses. Je ne l’ai jamais fait par respect sans doute pour ceux qui les ont conquises aux prix d’efforts (trop) surhumains. Peu charitable, je souris quand je vois des silhouettes bedonnantes engoncées dans des maillots blancs à pois rouges de meilleur grimpeur, ahaner dans les cols des Pyrénées, même si leurs efforts sont valeureux. Il paraît qu’on peut être condamné pour port illégal de la légion d’honneur, on devrait pénaliser les usurpateurs cyclistes.
Bon ! Où se trouve le confessionnal ? Plusieurs dizaines d’années plus tard, je vais avouer un léger péché d’orgueil commis pendant mon enfance, pas si capital que cela, je l’ai d’ailleurs déjà évoqué dans un billet du 9 juillet 2008 Le Tour de France, Tours de mon enfance.
Mon Père, je dois me confesser d’avoir, tout gamin, mis à contribution les talents de couturière dans mon voisinage, pour me tricoter les maillots dont je rêvais. Une tante m’avait confectionné la tenue bleu blanc rouge du champion de France, et ma mère, celle arc-en-ciel de champion du monde. Cependant, le plus beau des cadeaux me vint de Mademoiselle Millet, une institutrice originaire de Grenoble, adjointe de ma maman, qui me cousit un magnifique maillot bouton d’or en soie avec les initiales H.D, Henri Desgranges, le fondateur du Tour de France en 1903, brodées dessus. Quel palmarès à sept ans ! Souvenirs de ma prime jeunesse, ces maillots sont restés longtemps dans le grenier avant que les mites ne s’en emparent.
Comme pénitence, vous prierez devant la vitrine dédiée à Jacques Anquetil ! Avec plaisir, mon Père, je peux même vous réciter le chapelet de ses victoires par cœur: un Tour d’Espagne, deux Tours d’Italie, cinq Tours de France …
Apparition, illumination soudaine, don du ciel, une image pieuse qui m’est refusée (!) une camiseta amarilla de la Vuelta, un maglia rosa du Giro et un maillot jaune de la Grande Boucle, ayant appartenu à mon champion, sont suspendus devant moi.
Mon cœur palpite comme quand j’étais tout gosse. Dans ma tête, défilent en accéléré des épisodes épiques des conquêtes européennes de Maître Jacques dont il ramena ces précieuses toisons.


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Les 3 maillots d’Anquetil et le maillot vert de Darrigade sont en bas à droite de la photo

Pour les dévots attachés à l’Anquetilisme, c’est presque le Saint-Suaire de Turin !
Autre moment d’émotion sur le chemin de la Passion cycliste, je me recueille devant les maillots, jaune du Tour de France et sang et or de champion d’Espagne, offerts par le regretté Luis Ocaña, un grand champion plein de panache disparu aussi prématurément. Il vivait non loin de là, dans sa propriété d’Armagnac. Son mariage et ses obsèques furent d’ailleurs célébrés dans la chapelle. Poulidor, Merckx, Anglade et Darrigade étaient présents pour porter son cercueil. Il lui est rendu aussi hommage à l’extérieur au pied de la Vierge.

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Dans d’autres vitrines, la légende des cycles défile devant moi avec des maillots des campionissimi italiens Fausto Coppi et Gino Bartali, avec ceux des champions français Louison Bobet, Bernard Hinault, Bernard Thévenet et Laurent Fignon, douze victoires dans le Tour de France à eux quatre, ceux d’Eddy Merckx, peut-être le plus grand coureur que le cyclisme ait connu, celui offert par la veuve de l’anglais Tom Simpson décédé tragiquement dans l’ascension du Mont Ventoux en 1967. J’ouvre l’armoire aux souvenirs de leurs exploits, de certains drames aussi malheureusement.
Étrangement, les tuniques des générations récentes de coureurs me semblent fades à côté. Que leurs anciens propriétaires me pardonnent. Paix à leurs âmes cyclistes, les Ullrich, Virenque, Museeuw, Boonen, Armstrong, Valverde ou Contador ne me font pas rêver.

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Aux murs latéraux de la nef, sont suspendus plusieurs centaines de maillots, dons de clubs cyclistes ou cyclotouristes. Le temps me manque de les observer tous en détail. Ils témoignent en tout cas de l’amour porté à la « petite reine » par de nombreux dirigeants bénévoles et pratiquants anonymes. Ce sont peut-être eux qui donnent les vraies lettres de noblesse au cyclisme d’aujourd’hui. Je pense notamment à l’un de mes fidèles lecteurs qui, durant l’été 2011, participa à deux épreuves de Paris-Brest-Paris. Ce n’est pas du gâteau même si cela en est un !
Je m’intéresse maintenant aux vitraux de la chapelle qui sont l’œuvre de l’ancien champion cycliste Henry Anglade. Deux fois champion de France sur route, il aurait mérité de gagner le Tour de France 1959 au sein de l’équipe régionale du Centre-Midi. Malheureusement, il eut à affronter la coalition des jaloux de l’équipe de France, Jacques Anquetil, Roger Rivière et Louison Bobet qui préféraient voir gagner l’espagnol Federico Bahamontès, plutôt qu’un autre rival français.

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Ah Bahamontès ! l’Aigle de Tolède, grimpeur ailé de légende sur lequel Jean-Louis Murat a écrit une chanson dans son CD Grand Lièvre :

« Le champion espagnol
Qui n’a pas froid aux yeux
Précédé de motos
En position tenace
Sur la route du ciel
Un film en noir et blanc
Aux portes des villages
À la faveur du vent
Sur les pentes légères
Pense à son temps compté
Le maillot jaune en tête
Comme un chien affamé … »

Sur France Culture, il confiait récemment sa passion pour le cyclisme : « J‘aime les champions, j’aime l’idée du tour de France, le circuit du tour de France. Le classement, le palmarès des étapes a participé à une sorte de mythologie intime. Le premier champion que j’ai vu était passé au-dessus de la ferme de mes grands-parents, échappé. J’étais petit, il s’appelait Gérard Saint, et je suis resté très longtemps avec l’idée que le coureur cycliste était un saint. Je ne voyais pas de différence entre un type qui courait le tour de France et Saint François d’Assise » !
Si je sais décrypter certaines paroles de sa chanson, il me semble que, comme moi, il ait un peu perdu le feu sacré : « Parmi ces charlatans/Quel est celui qui compte/Dans ce trop vieil Empire/Où est donc ton cheval/Vassal des bénéfices ?»
Reconverti maître verrier, Henry Anglade s’est attaché à évoquer quelques épisodes de l’épopée cycliste. Le vitrail à l’entrée constitue une allégorie avec la Vierge reine du monde, debout sur un globe devant un arc-en-ciel, au-dessus d’une route sinueuse.

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« Le Partage » s’inspire d’une célèbre photographie évoquant l’échange de bidon entre les deux grands rivaux italiens Fausto Coppi et Gino Bartali lors d’un Tour de France.

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Le cliché appartient tellement à la légende des cycles qu’avec le temps, sa localisation et son interprétation varient. On le situe dans le Tour de France 1949 ou 1952 (en fait, il y aurait eu deux échanges !), dans divers cols des Alpes et même des Pyrénées. On parle de bidon, de gourde, il semblerait qu’il s’agisse ici d’une bouteille d’eau. Et qui des deux compatriotes, fit offrande à l’autre ? Fausto prétendait que c’était lui, Gino soutenait mordicus que son rival ne lui avait jamais rien donné pendant sa carrière !
À l’heure où j’écris ces lignes, je suis bien incapable malgré mes recherches de trier le vrai du faux. Bartali portait comme surnom Gino le Pieux, faut-il donc le croire ? Mais j’adore la version d’un journaliste privilégiant la bonté de Coppi : « C’est comme si Picasso tendait sa palette au Douanier Rousseau. Ou que Rimbaud prêtait sa plume à Verlaine » !
La rivalité entre les deux champions enflamma l’Italie de l’après-guerre au point de diviser la botte en deux. Bartali était le favori de la Démocratie Chrétienne, Coppi avait la sympathie de la gauche et des progressistes. D’un côté, Bartali sur lequel veillait la Vierge Marie, de l’autre, Coppi qui n’avait personne au Ciel pour s’occuper de lui.  Cela donna lieu à des péripéties aussi tragicomiques que celles de Don Camillo alias Fernandel, et le maire communiste Peppone, sur les écrans dans les années 1950.
Surgit alors aussi le courant cinématographique du néo-réalisme italien avec, notamment, le superbe film de Vittorio De Sica, Le Voleur de bicyclette.

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De grandes plumes écrivirent sur les deux campionissimi. Ainsi Curzio Malaparte : « Bartali est un homme dans le sens ancien, classique, métaphysique aussi, du mot. Il sait qu’un seul raté dans le moteur de la Providence peut lui valoir une défaite. Il ne lève la tête que pour regarder le ciel. Fausto Coppi, au contraire, est un mécanicien. Il ne croit qu’au moteur qu’on lui a confié, c’est-à-dire son corps… »
Ainsi encore, Dino Buzzati, l’auteur du roman Le Désert des Tartares : « Le vieux champion parvenait-il à trouver le salut ? Ou était-ce l’heure où le destin frappait ? Le son d’une trompette retentit, que les échos des rochers répétèrent… Alors, Coppi cessa de se balancer au-dessus de sa selle. Il avait trouvé un souffle nouveau, venu de quelque zone inconnue, la main invisible de la victoire le tira de glacis en glacis, et le poussa dans la descente de la Valle Gardena. Désormais, il volait, terriblement heureux, bien que son visage ne parlât que de douleur... »
Pour en finir avec cette histoire (de) bidon, Bartali porta toujours des soupçons sur la « préparation » de son rival. Ainsi, dans la montée d’un col lors d’un Tour d’Italie, il vit Coppi boire puis jeter une fiole mystérieuse dans un pré. Ayant mémorisé le lieu exact, Bartali y retourna à la fin du Giro et se mit à fouiller alentour. Il trouva le flacon (miracle ?) et le fit analyser, croyant qu’il allait enfin percer le secret des exploits de son adversaire. En pure perte car le produit suspect n’était qu’un simple reconstituant en vente dans toutes les officines.
Gino était tellement persuadé que Fausto utilisait des substances prohibées que, juste avant le départ d’une étape, il fouilla dans la corbeille de sa chambre et trouva des fragments de cellophane qui avaient contenu des suppositoires inconnus dans le bagage pharmaceutique. Rentré chez lui à Florence, il fit analyser la cellophane suspecte dans un gros laboratoire pharmaceutique de la ville. Après moult recherches et enquêtes, il fut établi que les mystérieux suppositoires ne pouvaient provenir que d’un petit laboratoire de Gênes lequel reconnut que ces produits étaient effectivement confectionnés chez lui sur commande spéciale de Fausto Coppi.
Aussitôt, Bartali en commanda vingt boîtes et choisit un de ses équipiers pour les essayer. Quelques jours plus tard, la réponse du gregario cobaye fut sans équivoque : « J’ai essayé ton truc … je ne roule plus, je vole ! … »
Sans qu’il n’y ait de rapport, je pense à Il Bidone (expression signifiant escroquerie en italien), le film de Federico Fellini, dans lequel trois escrocs se déguisent en hommes d’église pour abuser leurs victimes. L’habit ne fait pas le moine !
Quoique pour Bartali, le vélo était presque une vocation monastique. Dans cet esprit, il a sauvé 800 Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Il garda cette histoire secrète jusqu’à sa mort. « Le Bien, c’est quelque chose que tu fais, pas quelque chose dont tu parles » disait-il. Son comportement exceptionnel qui lui vaudra peut-être d’être proclamé Juste parmi les nations par l’état d’Israël, n’est venu à la lumière que très récemment, grâce au livre d’un jeune coureur érudit Paul Alberati: Gino Bartali. « Mille diables au corps » .

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Quant à Fausto Coppi, à en croire le romancier Alphonse Boudard, il  offrit à quelques malades, un peu d’apaisement : « Mon cœur s’est rallié à Fausto Coppi. Sur un lit, à l’hôpital Bicêtre, j’ai suivi son Tour royal en 1952. Tous les malades s’arrêtaient presque de souffrir pendant le reportage de  Georges Briquet. »

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Le vitrail « Le chemin de la fraternité » symbolise paradoxalement un épisode épique d’Un Divorce français pour reprendre le titre d’un petit livre subtil de Jacques Augendre relatant la lutte qui déchira en deux la France des années 1960, bien au-delà des seuls sportifs.
Je l’ai en partie déjà évoquée dans mon billet du 11 mars 2010, Le beau vélo de Ravel ! Comme quinze ans plus tôt, l’Italie se passionnait pour le duel entre Coppi et Bartali, « Anquetiliens » et « Poulidoristes » s’invectivaient dans une France populaire sinon populiste.
Le petit écran était arrivé dans les foyers et lors des chaudes soirées d’été, on entendait aux terrasses des cafés, Guy Lux, Léon Zitrone et Simone Garnier commenter avec enthousiasme et une fausse mauvaise foi (!) les joutes d’Intervilles. Ah ces chamailleries mémorables entre les maires notables de Dax et Saint-Amand-les-Eaux !
Le Nord contre le Sud, Maître Jacques le normand contre Poupou le limousin, le châtelain du manoir de La Neuville-Champ d’Oisel contre le paysan de Saint-Léonard-du-Noblat.
La rivalité entre les deux coureurs frisa au moins une fois le ridicule lorsque dans un Tour d’Italie, Jacques s’acharna sur un coureur italien de réputation bien modeste. « Ton nom ne me plaît pas » ! Il s’appelait Polidori ! Nul n’est infaillible, vous voyez, pas même mon idole !
Un demi-siècle plus tard, quand je branche sur le sujet les anciens lors de mes séjours en Ariège, je sens encore parfois quelques jalousies et rancœurs à l’égard du champion normand. Vieilles querelles régionalistes ! Vous savez pour qui mon cœur balançait (voir billets du 15 avril et 22 août 2009).

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Le vitrail immortalise le fameux coude à coude entre Anquetil et Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme lors du Tour de France 1964. Duel sur le volcan écrivit Christian Laborde, le chantre de Claude Nougaro. « Anquetil côté roche, Poulidor côté ravin, un épique et tellurique combat » à l’issue duquel, mon champion conserva la toison d’or pour quatorze minuscules secondes.
« Main dans la main » ! Ce vitrail représente l’abbé Massie donnant à boire à Henry Anglade sur la route de Saint-Jacques de Compostelle. Encore une histoire d‘eau ! Encore, faudrait-il analyser le contenu de la gourde !
Cela me rappelle la parabole du Bon Samaritain et aussi une de ces magnifiques photos des Tours de France d’antan.

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Une cinquième verrière montre Luis Ocaña en pleine action lors de son Tour de France victorieux de 1973. Une juste revanche après son abandon, deux ans plus tôt, sur une chute dans la descente du col de Menté alors qu’il était en train de faire capituler pour la première fois le Cannibale Eddy Merckx (voir billet du 3 avril 2008 Les cols buissonniers dans les Pyrénées).

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Le Tour de France ne pouvait pas bouder un tel endroit ! Le peloton passa devant la chapelle à trois reprises, en 1984, en 1995 et en 2000. Mais mieux encore, en 1989, le départ de la huitième étape du Tour de France fut donné devant Notre Dame des Cyclistes pour le trentième anniversaire de sa création par le bon abbé Massie, presque un messie pour les amoureux du cyclisme.

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En cette occasion, le coureur américain Greg Lemond offrit son maillot jaune conquis la veille à Bordeaux. Il le perdit par la suite au profit de Laurent Fignon puis le récupéra le dernier jour, sur les Champs-Élysées, pour huit secondes. Un miracle de la Vierge Marie reconnaissante ?

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Chaque année également, une fête (un pèlerinage ?) se tient le lundi de Pentecôte. Heureusement, grâce au dérailleur, l’Ascension est moins pénible !
Comme Bourvil, je suis un drôle de paroissien attaché au culte … du vélo. Je ne pille pas les troncs mais je m’assoirais volontiers sur un banc pour glaner encore plein de souvenirs aux couleurs sépia. Malheureusement, ce n’est pas une sinécure de rejoindre l’Ariège par les routes sinueuses du Gers. Je dois partir.
Ite missa est !

Publié dans : Coups de coeur, Cyclisme, Ma Douce France |le 5 septembre, 2012 |4 Commentaires »

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4 Commentaires Commenter.

  1. le 10 septembre, 2012 à 18:53 jp77 écrit:

    Vous venez de me faire découvrir une destination pour un prochain voyage à vélo !
    Mais notre sport qui, s’il n’est plus aussi populaire que lors de l’âge d’or des années 50 à 80 (de Saint Robic à Saint Hinault…), peut encore réunir des passionnés.
    Ainsi samedi dernier, j’ai participé à une belle randonnée qui nous menait de Levallois à Honfleur. A l’arrivée j’ai pu applaudir M. Robert Marchand, le cycliste centenaire qui venait de parcourir les 50 derniers kilomètres. Il était encore vaillant ! J’ai même pu le prendre en photo (sans son vélo hélas…) : à voir sur mon blog.
    Pour le reste, le vélo « Motobécane » d’Ocana était vraiment magnifique : c’est autre chose quand même que les machines en carbone (et hors de prix…) que chevauchait la plupart de mes 2700 compagnons de route…
    Encore merci pour ce beau voyage !

    Répondre

  2. le 14 septembre, 2012 à 22:50 Armelle écrit:

    encore un bel article à partager sur le jlmforum et avec tous les amis fous de vélo!

    Répondre

  3. le 27 septembre, 2012 à 23:07 vienne écrit:

    Bonjour!!Bravo pour votre blog tres bien structuré!!
    Je me permets de vous poser une question…Je me rends a Dinard jeudi prochain (j’avais suivi vos peripeties l’annee derniere…)J’adore un des membres du jury…A quel sceance (du jeudi) pensez vous que j’ai le plus de chances de le croiser svp??J’assisterai a une seule sceance n’ayant aps de carte Pass…Vous pouvez me repondre directement sur ma boite mail.Merci pour votre reponse.cordialement.Aurelie

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  4. le 12 septembre, 2018 à 15:29 menad écrit:

    bonjour,dommage que Greg Lemond etait victime d’un accident de chasse en 1987.Il aurait pu gagner 5 tours de France malgré l’ère Indurain.Son tour de France 1989 pour 8 secondes restera mémorial.

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