Un jour de mai à la Pointe Courte …
Bigre, un mois déjà que je n’ai rien partagé avec vous ! Ce n’est certes pas dans mes habitudes. Allez, ne soyez pas inquiet à mon sujet ! Bien au contraire même, tout va bien.
J’ai juste été touché par le virus de la « normalitude » qui m’a terrassé le 6 mai dernier, peu après 20 heures. Vous n’avez pas ressenti pareils symptômes ?
Je n’irai pas jusqu’à avouer que je vois la vie en rose depuis, pour tout vous dire, je l’aurais préférée un peu plus rouge, cependant, ce mois de mai a exhalé un parfum longtemps absent. Ce fut au sens propre le temps des fraises du jardin familial, ces sublimes fruits rouges qui constituent le meilleur souvenir gastronomique de Michel Onfray, le philosophe hédoniste, si je me réfère au prologue de son essai La Raison gourmande.
Et s’il était encore trop tôt pour en faire des pendants d’oreilles, ce fut au sens figuré le temps des cerises. Le gai rossignol et le merle moqueur sifflaient un peu comme à l’époque de Jean-Baptiste Clément.
La France était douce, l’air était léger comme une chanson de Trenet, tiens pourquoi vous parle-je du fou chantant ? … suite peut-être dans le prochain billet ;
« De toutes les routes de France d’Europe
Celle que j’préfère est celle qui conduit
En auto ou en auto-stop
Vers les rivages du Midi
Nationale Sept
Il faut la prendre qu’on aille à Rome à Sète
Que l’on soit deux trois quatre cinq six ou sept
C’est une route qui fait recette
Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence
Qui fait d’Paris un p’tit faubourg d’Valence
Et la banlieue d’Saint-Paul de Vence
Le ciel d’été
Remplit nos coeur de sa lucidité
Chasse les aigreurs et les acidités
Qui font l’malheur des grandes cités ... »
Je n’ai pas emprunté la mythique Nationale 7 mais je me suis retrouvé quand même à … Sète pour embrasser la chère sœur de ma tendre maman. Vous connaissez ma tante, je vous l’avais présentée dans mon billet « Le 6 avril 2008, la Centenaire ». Elle a fêté depuis ses 104 printemps. Bon sang de normande ! Comme à l’accoutumée, nous sommes allés manger au bord de l’étang de Thau, la grand-mare des canards où l’ami Brassens et ses copains naviguaient jadis en père peinard.
Puis, comme à chacun de mes passages sur la presqu’île singulière, j’ai sacrifié à ma traditionnelle visite au pittoresque quartier de pêcheurs de la Pointe Courte (voir billets du 3 décembre 2007 et du 1er juillet 2009) où une heureuse surprise m’attendait.
Pour être honnête, une fois n’est pas coutume, ma promenade avait plutôt mal commencé.
Tandis que je photographie paisiblement le capharnaüm servant de décoration à un cabanon chargé en couleurs et en objets hétéroclites, la maîtresse des lieux plus rugissante que le tigre aux aguets au-dessus d’elle, me claque violemment la porte au nez, ne laissant aucune équivoque sur la considération qu’elle nourrit à mon égard. J’espère que ce n’est pas un effet secondaire de la parité féminine.
Les « Pointus » sont habituellement si joviaux et sympathiques que je pardonne volontiers l’attitude ombrageuse de leur compatriote.
Pour rassurer la dame, le retour de la retraite à soixante ans ne me concerne plus, je suis un « vieux con des neiges d’antan » et le temps qu’il me reste à l’être m’est compté !
Pour preuve de la convivialité des autochtones, une boîte à lettres offre un sourire ravageur au moins au facteur qui fait sa tournée.
Ici vit un Corse ! J’aurais engagé volontiers un brin de causette avec lui, mais la porte est close … pour cause de fermeture !
Le motif est imparable. Je passe mon chemin.
Dehors, tandis que quelques anciens reprisent des filets, d’autres plus jeunes dans leur tenue immaculée de jouteur s’affairent à ouvrir quelques douzaines d’huîtres locales.
L’idée me traverse soudain la tête, qui sait, c’est peut-être l’occasion de faire la connaissance de Monsieur Zambrano, le président de l’Amicale des Jouteurs de la Pointe Courte.
Il était entré en contact avec moi suite à mon billet rédigé à l’occasion de la fête du quartier en juin 2009. Il souhaitait que je l’autorise à faire usage d’une de mes photographies du tournoi de joutes pour la fournir comme modèle à Cathy Driedzic, une artiste peintre canadienne en villégiature à Sète.
Bien évidemment, j’avais accédé à sa demande.
La fin d’après-midi s’annonce sous les meilleurs auspices, voilà que la première personne qui s’avance vers moi, c’est justement Pierre Zambrano. Nul besoin de long préambule, blog encre violette, photographie, peinture suffisent comme mots de passe pour amorcer une conversation immédiatement naturelle et chaleureuse.
Après m’avoir présenté à quelques membres de l’amicale, Pierre Zambrano m’invite à prendre part à l’apéritif organisé pour honorer les meilleurs jouteurs locaux de la saison dernière. Quelle chance, Cathy Driedzic sera même présente avec son aquarelle peinte à partir de mon cliché.
Je ne pouvais espérer meilleur cadeau de bienvenue. Cela appartient aux rencontres aussi réjouissantes qu’inattendues, suscitées par la rédaction d’un blog.
En attendant 7 heures, l’heure du Berger, allusion à une réclame de mon enfance (en fait, il s’agit ce soir plutôt de Ricard !), je déambule entre la Pointe du Rat, toujours aussi fréquentée par les chats, et le quai du Mistral complètement désert. Ce n’est pas encore la saison où les Pointus guettent les daurades migrant de l’étang à la Méditerranée.
J’emprunte les « traverses », ces ruelles qui quadrillent le quartier, et notamment, petite coquetterie d’homme d’image, celle dédiée à la cinéaste Agnès Varda. Il y a près de soixante ans, elle réalisa ici son premier long métrage, La Pointe Courte, projeté au festival de Cannes 1955. La distribution du film était brève : Silvia Monfort dans le rôle d’Elle, Philippe Noiret interprétant Lui, et les habitants de la Pointe Courte.
« Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi, si on m’ouvrait, on trouverait des plages ». Agnès Varda est revenue en 2008 sur les lieux de son joli méfait cinématographique pour tourner quelques scènes de son documentaire Les Plages d’Agnès. Depuis le temps de la Nouvelle Vague, combien de déferlantes …
Je franchis la porte du foyer Louis Roustan qui présente une exposition Du rugby et des hommes rassemblant des peintures d’Anne Papineschi. Le rugby et les joutes, sports d’hommes forts, ont toujours fait bon ménage en Languedoc et en particulier à la Pointe Courte. Je me souviens d’un mémorable tournoi de la Saint-Louis où le vainqueur André Lubrano, par ailleurs talonneur talentueux du XV de France et de l’A.S Béziers club emblématique des années 1970 et 80, fut ramené à la Pointe, juché sur le pavois tel un gladiateur.
Les agapes sont imminentes. On déverse des casiers de moules dans la grande poêle pour la brasucade.
Les habitants de la Pointe se rapprochent du buffet. Même les minots dans leur poussette ont revêtu une marinière.
En remerciement de la gentillesse manifestée à son égard durant son séjour, Cathy Driedzic offre son tableau au bureau de la société nautique. Il constituera un des prix du prochain loto de l’amicale.
Son site témoigne du coup de foudre que l’artiste, domiciliée à St. John, port de la province de Terre-Neuve, ressent pour ce coin délicieux de l’étang de Thau.
C’est le moment de la remise des trophées et des médailles aux jouteurs valeureux et aux dirigeants dévoués.
Hautboïstes et tamborinet assurent l’ambiance musicale. Chargés habituellement d’encourager les jouteurs lors de l’assaut, ils n’ont pas besoin aujourd’hui de stimuler l’ardeur des convives autour du buffet.
« … C’est une plage où même à ses moments furieux,
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux,
Où quand un bateau fait naufrage,
Le capitaine crie : « Je suis le maître à bord !
Sauve qui peut, le vin et le pastis d’abord,
Chacun sa bonbonne et courage »… »
Dans sa fameuse supplique, Brassens évoquait ici la plage de la Corniche, mais il me plait de reprendre ses vers au moment de me mêler aux hommes en blanc.
Outre de délier les langues, l’apéritif anisé abolit les frontières linguistiques. J’entreprends une brève conversation en anglais avec Cathy Driedzic. Il est malheureusement l’heure de mettre un terme à cet impromptu. It was a pleasure ! me confie-t-elle en guise d’au revoir.
Oubliées les « fouquetteries » de 2007, quand je vous disais que vous n’aviez rien à craindre avec le virus inoffensif de la « normalitude » … ! De plus, c’est beaucoup moins coûteux que les vaccins contre la grippe A !

Vous pouvez laisser une réponse.
Superbe : la pointe courte à Sète (2012) et l’ancien doc sur le marché de St-Girons.
Texte et photo d’une grande qualité : bravo
Secrétaire de l’Assos « Les Cartophiles Ariégeois » je vais faire commaître « A l’encre violette »
Merci encore
Michel
Bravo pour ce que vous faites ! Et qui vous êtes ne changez rien !!Une nouvelle Fan !