Demain, sur la route de Narbonne … avec Charles Trenet et Claude Nougaro
Lors de mon dernier billet, je vous ai quitté à l’heure de l’apéritif, à la Pointe Courte, le pittoresque quartier de pêcheurs de Sète.
En soirée, j’ai goûté à une honnête bourride de baudroie, une spécialité locale, sans comparaison cependant avec celle que me préparait mon oncle autrefois.
Sur le chemin du retour vers mon hôtel, quelques couplets de Georges Brassens troublent soudain la quiétude d’une petite rue discrète à proximité du canal. Comme un phare dans la pénombre de la ruelle, une enseigne lumineuse m’informe que se trouve là le restaurant cabaret Les amis de Georges. Chaque soir, un ou deux artistes, accompagnés de leur guitare, leur accordéon ou du piano, y chantent encore et encore les refrains de la gloire locale et de ceux qui marquèrent son époque, souvenez-vous le Poinçonneur des Lilas, le Métèque, les Bourgeois, Anarchistes, la Bohême, Aragon et Castille. Certains de leurs inoubliables auteurs et interprètes sont même présents sur une photographie géante en vitrine de l’établissement.
Bien qu’à l’accueil de mon hôtel, soient exposées quelques belles photographies de l’ami Georges, de concert je n’aurai que des variations pour tubulures, tuyaux, canalisations et chasses d’eau, indignes de Pierre Henry !
Bientôt …
« … Il fera nuit mais avec l´éclairage
On pourra voir jusqu´au flanc du coteau
Nous partirons sur la route de Narbonne
Toute la nuit le moteur vrombira ... »
En fait, j’attends le lendemain matin pour me diriger vers Narbonne. J’ai rendez-vous là-bas, la lune a fait faux-bond (normal il lui faut la nuit !), avec le soleil évidemment, mais aussi et surtout avec Charles Trenet, autre grand poète qui a trempé sa plume dans l’encre bleue du Golfe du Lion.
Pour le profane, il peut paraître indécent ou incongru d’associer ces deux grandes figures du music-hall qu’un monde de différences semble opposer. Et pourtant, le fumeur de pipe, fils de maçon, évoqua souvent l’influence que l’amateur de havanes et fils de notaire exerça sur lui dans sa jeunesse : « Enfin quelqu’un essayait de sortir des sentiers battus de la guimauve et des roucoulades de la chanson dite de charme.Il m’a tellement impressionné que pendant des années, il m’a empêché d’écrire. Je ne chantais plus que du Trenet ».
Georges adorait les rythmes swing et la poésie légère de Charles. Il lui arrivait même comme ici de suppléer sa mémoire défaillante.
http://www.dailymotion.com/video/x1qwmd7
Je n’ai donc aucune honte à avouer ici mon goût pour leur immense talent artistique.
Ce matin-là, à défaut d’une superbe Panhard et Levassor que je conduirais en plein essor, je me satisfais d’une Renault Scenic sans vrombissement pour partir dans le vent entre mistral et tramontane.
Au nom d’une meilleure circulation des dites automobiles, les travaux d’aménagement du territoire me rejettent désormais vers les sables des vins de Listel, m’empêchant de contempler « la mer bergère d’azur qu’on voit danser le long des golfes clairs ».
Tant pis, je me console bien vite. J’ai programmé mon GPS pour qu’il me guide jusqu’à Narbonne, au 13 avenue Charles Trenet, anciennement 2 route de Marcorignan. C’est là que naquit le 18 mai 1913, par un dimanche très ordinaire, le « bébé blond, rond et tonique » de Marie-Louise Caussat, la jeune épouse de Lucien Trenet.
Celui-là même qui devint plus tard le « fou chantant » et qui, l’ordinateur de bord de mon véhicule était finalement inutile, me guette au coin de (sa) rue sur une grande fresque murale.
« Fidèle, fidèle je suis resté fidèle
À des choses sans importance pour vous
Un soir d’été, le vol d’une hirondelle
Un sourire d’enfant, un rendez-vous
Fidèle, fidèle, je suis resté fidèle
À des riens qui pour moi font un tout …
Ma vieille maison avec sa tonnellerie
Et près de la gendarmerie, les express... »
Plus encore que Cadet Roussel, Charles Trenet possédait de nombreuses maisons, à Juan-les-Pins, le « Domaine des esprits » à Aix-en-Provence, sa villa de La Varenne-Saint-Hilaire sur les bords de Marne.
« J’ai toujours été très sensible au mot maison. Parce que finalement, c’est un havre de paix, surtout la maison de Narbonne dans laquelle je suis né. Je dis toujours de mes autres maisons qu’elles m’appartiennent, mais celle de Narbonne, c’est la seule à laquelle j’appartiens … celle que des circonstances malheureuses de la vie m’ont contraint à quitter. »
Parce que Charles ne s’exprime jamais mieux qu’à travers ses couplets, il évoque le même attachement dans une chanson méconnue qu’il avait commencée dans son enfance, poursuivie étant jeune homme, et interprétée à ses débuts avec son acolyte duettiste Johnny Hess :
« Maman, ne vends pas notre vieille maison
Là, j’peux pas t’donner raison.
Elle est si jolie avec ses volets verts,
Sa fraîcheur l’été et sa douceur l’hiver.
Y a des souvenirs au fond de chaque tiroir,
Des parfums dans les placards.
Les trains qui vont la nuit, nous chantent des chansons.
Maman, ne vends pas la maison … »
Non seulement, elle ne la vendit pas mais Charles la céda à la ville de Narbonne, moyennant finances tout de même, quelques années avant qu’il décède.
Un proverbe affirme que pour bien connaître quelqu’un, il faut visiter sa maison. C’est ce que je mets en application, ce matin, en me plongeant dans l’enfance de Charles. Elle ne m’est d’ailleurs pas inconnue grâce à la riche biographie de Richard Cannavo, TRENET Le siècle en liberté, illustrée de dessins de Cabu, fan lui-aussi, que je m’étais procurée fortuitement chez un bouquiniste ariégeois.
Me voilà donc devant la maison aux pimpants volets verts. Le maître des lieux, souriant, un œillet à la boutonnière, m’accueille à bras ouverts dans la courette.
« Y’a d’la joie Bonjour bonjour les hirondelles Y’a d’la joie Dans le ciel par-dessus le toit ».
Cela ne ressemble pas à un musée. Un instant, j’ai l’impression de déranger, de m’introduire par erreur chez un particulier. Le cœur en fête, je sonne cependant à la porte d’entrée. Quelques secondes plus tard, une dame aimable m’ouvre et me prie d’avancer dans le vestibule. Le temps de prendre les billets, le charme opère déjà. Seule déception, il est interdit de photographier, je ne pourrai donc pas vous faire visiter l’endroit en images.
Le son d’une voix connue émane de la pièce en face. Je m’avance impatient et guilleret comme … beaucoup d’airs de Trenet. En guise de salon, j’entre dans la vaste salle de réception d’une demeure cossue, n’oublions pas que Lucien Trenet, le père, était notaire.
Je ne me suis pas trompé, Charles et sa maman bavardent tendrement sur le petit écran d’une copie de poste d’autrefois, au bon temps de la télévision en noir et blanc. Tandis qu’ils évoquent l’enfance et l’amour déjà naissant du tout petit Charles pour la musique, je fais le tour de la pièce observant avec intérêt les documents exposés.
Pour la scénographie, les glaces et les miroirs servent de support à quelques pensées de l’artiste : ici, « J‘ai toujours eu l’âme badigeonnée d’un produit isolant », ailleurs « Il faut garder quelques sourires pour se moquer des jours sans joie ». C’est cette philosophie qui lui permit d’écrire quelques chefs-d’œuvre d’optimisme aux heures les plus sombres de notre histoire.
1938, le gouvernement Daladier signe le fameux accord de Munich avec Hitler, Mussolini et Chamberlain. Dans une caserne d’Istres, le deuxième classe Trenet pour se donner du courage en balayant la cour, compose :
« … Le gris boulanger bat la pâte à pleins bras
Il fait du bon pain du pain si fin que j’ai faim
On voit le facteur qui s’envole là-bas
Comme un ange bleu portant ses lettres au Bon Dieu
Miracle sans nom à la station Javel
On voit le métro qui sort de son tunnel
Grisé de ciel bleu de chansons et de fleurs
Il court vers le bois, il court à toute vapeur ... »
À la même époque, il écrira :
« Un rien me fait chanter
Un rien me fait danser
Un rien me fait trouver belle la vie
Un rien me fait plaisir
Un rêve un désir
Un rien me fait sourire l’âme ravie
Quand le ciel est joyeux, je me sens le cœur heureux
Et quand, hélas, il pleut j’aime la pluie
J’aime la terre les fleurs la vie le ciel bleu
Et puis les femmes les femmes les femmes qui ont les yeux bleus … »
Ça fait boum dans le ciel de France. En 1939, il reçoit le Grand Prix du Disque pour :
« La pendule fait tic tac tic tac
Les oiseaux du lac font pic pic pic pic
Glou glou glou font tous les dindons
Et la jolie cloche ding din don
Mais …
Boum
Quand notre cœur fait Boum
Tout avec lui dit Boum
Et c’est l’amour qui s’éveille.
Boum
Il chante « love in bloom »
Au rythme de ce Boum
Qui redit Boum à l’oreille ... »
Il fallait en effet être un peu fou chantant pour écrire des chansons et célébrer la joie, la jeunesse et l’amour en des temps où ils étaient comme interdits de séjour !
C’est tout le génie de l’artiste, je vous prends la main chère lectrice pour esquisser quelques pas de Swing Troubadour. Écoutez, nous sommes en 1941 :
Il y a même un piano dans un coin du salon.
« Ne cherchez pas dans les pianos ce qu’il n’y a pas.
Soyez heureux d’avoir l’écho du temps de papa,
Valse espagnole
Des années folles
Ou bien Sardane que l’on dansait à petit pas
Après le repas.
Ne cherchez pas dans les couloirs de mes châteaux
Ce qu’il peut y avoir à l’intérieur de mes pianos ... »
Nous nous trouvons chez une « famille musicienne » :
« Mon père est musicien.
Mon frère est musicien.
Ma mère est musicienne,
Ell’ joue d’la harpe ancienne.
Mon père joue du violon.
Mon frère du cymbalum
Et moi, vous l’savez bien,
Je n’joue de rien.
Je joue à donner des visages
Aux nuages qui courent dans le p’tit jour.
Parfois, perdu dans le bocage,
Je joue comme les oiseaux d’amour…
Mon oncle est musicien,
Il joue du cor prussien.
Ma tante Adélaïde
Connaît l’ophicléide…
Mon jeune cousin Gaston
Tâte du biniou breton
Et même avec la bonne
Un peu d’trombone…
Le sam’di soir, il faut les voir, ah ! quell’ merveille,
Se réunir pour le plaisir de leurs oreilles.
Au piano droit se tient parfois monsieur l’abbé
Qui réussit à jouer aussi du galoubet ... »
La chanson est quasiment autobiographique. La tante Émilie qui s’installa à la maison après plusieurs deuils, se prénomme Adélaïde par licence poétique.
Des partitions de chansons de Charles nous guident dans l’escalier menant au premier étage. Dans la salle à manger, quelques menus traînent sur la table ronde familiale. Je relève l’un d’eux écrit de la main de Charles ( ?) :
Manière
Jambon de Parme
Escalopes de saumon
Faire un peu de riz blanc
Boucher Nauptes ? (guère lisible)
Trois tranches de gigot aux endives braisées
Pâtisserie au choix en bas dans la rue
« Essaye de trouver des pêches au sirop »
Il semble qu’avec ce gourmand de Trenet, le repas pouvait se prolonger durant six à sept heures. Un petit film d’archives nous le montre devisant gaiement à table avec un autre Charles célèbre, Aznavour.
Je jette un œil sous la table dès fois que le petit Charles s’y trouvât comme dans la Folle Complainte : « Je me cache sous la table/Le chat me griffe un peu ».
L’enfant curieux connut quelques scènes scabreuses à en croire certain couplet :
« Les jours de repassage,
Dans la maison qui dort,
La bonne n’est pas sage
Mais on la garde encore.
On l’a trouvée hier soir,
Derrière la porte de bois,
Avec une passoire, se donnant de la joie.
La barbe de grand-père
A tout remis en ordre
Mais la bonne en colère a bien failli le mordre... »
Je me glisse dans la pièce voisine aménagée en bureau où Trenet évoque deux années de pensionnat qui l’ont marqué pour la vie. En effet, les rires s’accompagnent souvent de larmes. En l’année 1920, tandis que son père tant rêvé, tant espéré, enfin démobilisé, rentre à la maison, c’est la maman qui s’en va pour suivre le beau Benno Vigny, homme d’esprit et de plaisir qu’elle avait connu en douce à l’hôpital de la Cité où il soignait une blessure de guerre ! Avec pour conséquence pour Charles et son frère aîné Antoine de se voir placés en pension. Voici Charles, orphelin et prisonnier à l’école libre de la Trinité de Béziers !
« … Je suis le petit pensionnaire
Qui rentr’ au bahut l’dimanch’ soir
Après un seul jour éphémère
De grand bonheur et d’espoir.
Après les minutes exquises,
Il faut retrouver le dortoir.
La veilleuse bleue,
La nuit grise
Et le pion, ce monstre noir
Comme un gendarme,
Il m’suit des veux.
La vie, pour moi, n’a plus de charme,
Dans le vacarme
Des heur’s de jeu.
Souvent je vers’ plus d’une larme.
J’m'endors en pensant à ma mère
Et à mon gros chien que j’aim’ tant.
Je suis le petit pensionnaire,
Qu’on vient d’enfermer pour longtemps…
.. Je suis le petit pensionnaire
Qui rêv’ de partir un matin
Sur une grand’route si claire
Qui m’conduira, c’est certain,
Vers le paradis de lumière,
La jolie maison de chez moi,
Le jardin fleuri
d’roses trémières... »
C’est sans doute là que le philosophe du bonheur décida qu’il aurait toute sa vie pour vivre son enfance à travers des chansons souvent joyeuses.
Par une des fenêtres, je jette un œil vers la voie ferrée en face, la passerelle est toujours là.
Les trains qui vont la nuit, nous chantent des chansons …
Je remarque dans un cadre accroché au mur, un certificat d’aptitude à l’enseignement primaire délivré à Marie-Louise Caussat. Il me plait d’apprendre que même si elle n’exerça jamais, la maman de Charles se destinait à une carrière d’institutrice. Vous savez désormais qu’elle préféra courir l’Europe au bras de son amant.
Je passe maintenant dans la chambre où Charles naquit et poussa son premier cri, un ré mineur dit la légende !
De nombreux documents tapissent les murs de la maison. Leur souvenir s’estompe déjà dans ma mémoire.
« … Que reste-t-il de ces beaux jours
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse
Que reste-t-il des billets doux
Des mois d’ avril, des rendez-vous
Un souvenir qui me poursuit
Sans cesse
Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela
Dites-le-moi … »
En fait, plutôt qu’observer en détail chacun d’eux, je me laisse bercer dans mon errance par les refrains qui surgissent à chaque coin de porte. Finalement, puis-je parler de Trenet autrement qu’avec ses mots à lui ?
Le temps me presse un peu, malheureusement. Je grimpe vers le second étage qui constituait l’appartement de Charles, signalisé par une sonnette et ses initiales sur la porte d’entrée.
Par une fenêtre, au loin, au-delà des toits de tuiles rouges, se détache la cathédrale Saint-Just. Je retrouve la même vue avec Charles jaillissant du toit, sur la pochette d’un disque 45 tours Narbonne mon amie. Un vieux pick-up Oscar Senior est prêt à jouer son hommage à sa ville natale.
« … Narbonne, mon amie,
Douceur des premiers jours,
Ce soir fait l’endormie
À l’ombre de ses tours.
Et sous la lune pâle,
Je marche allègrement
Dans la nuit provinciale
De ce décor charmant.
Personne ne me remarque,
Je passe en deux villes
Et soudain je débarque
Sur les barques tranquilles.
La rue du Pont m’accueille
Et, gentiment, me dit :
« Tu vois, les jours s’effeuillent,
Adieu, mon vieux petit ! »
Bonsoir, la rue Droite,
Où si l’on tourne à droite
On retrouve toujours
L’École Beau Séjour.
Bonsoir Quai d’Alsace,
Où tout est à sa place
Comme à la belle saison
Où vivait ma maison ... »
Pour ne pas rompre le charme, je ne me confronte pas au karaoké des chansons de l’artiste, proposé dans la pièce voisine.
La visite est passée trop vite. J’en prolonge la magie, encore quelques instants, en rejoignant au bas de la rue, à quelques pas de là, le quai d’Alsace.
« Ne cherchez pas sur le canal de la Robine
Le clair fanal d’une péniche qui se débine.
Ne cherchez pas, au pont d’Arcole,
Les murs de la vieille école.
Elle est devenue garage, rebut
Pour autobus. »
Je cherche pourtant même si je n’y trouve que la chanson du vent d’automne. J’imagine le petit Trenet traînant dans le quartier.
« Il revient à ma mémoire
Des souvenirs familiers
Je revois ma blouse noire
Lorsque j’étais écolier
Sur le chemin de l’école
Je chantais à pleine voix
Des romances sans paroles
Vieilles chansons d’autrefois
Douce France
Cher pays de mon enfance
Bercée de tendre insouciance
Je t’ai gardée dans mon cœur! »
« Drôle de pays, drôle de siècle, où un artiste à la personnalité controversée a servi de lien entre trois générations réputées irréconciliables! Détesté par la droite des années 30 et 40 parce qu’il apportait la musique des nègres et l’humour des fous (le jazz et le courant zazou ndlr) ; méprisé par les résistants de 1944, parce qu’il avait écrit justement «Douce France», et qu’on trouvait un parfum maréchaliste à ce vers : « Oui, je t’aime [la France], dans la joie et la douleur »; ignoré par les amateurs de chansons à message parce qu’il n’avait pas assez lourdement affirmé sa confiance en l’avenir de la révolution. Et pourtant, on s’est passé Trenet de droite à gauche et de père en fils pendant plus de soixante ans, à la fois comme un mistigri et comme un petit bout de jardin secret. Et c’est sans doute pour cela qu’il est si difficile de dire aujourd’hui pourquoi on l’aimait. »
Le temps de quitter Narbonne son amie pour Gruissan ses amours, à une vingtaine de kilomètres de là, je vous laisse en compagnie de Charles. Allez, « Joue-moi de l’électrophone, des airs qui disent qu’on est en France »
Dans le train de nuit, il y a des fantômes …
Un peu perdu dans l’urbanisation inflationniste, je parviens cependant au vieux village de Gruissan, l’un des plus beaux de France, enroulé autour d’un gros bloc de calcaire, au milieu des étangs. Longtemps, Gruissan a ignoré la Méditerranée, lui préférant les étangs poissonneux alentour.
« ... Gruissan, Gruissan mes amours
Je reverrai ton village à l’entour
Et la tour
Barberousse
Qui se mire, grave et douce
Dans les eaux de l’étang
Palpitant ... »
En ce samedi midi, jour de marché, les étals envahissent les ruelles piétonnes. Nous croisons des mines fatiguées par une longue nuit de fiesta. Ce week-end se déroule, en effet, les Festejades avec concerts, bodegas et bandas autour d’un seul objectif, la joie de vivre … comme une chanson de Trenet ?
Mon ventre crie famine. Question de pif, comme le nom du vin produit par le comédien Pierre Richard, vigneron local, je porte mon dévolu sur le restaurant La Cranquette, du nom d’un crabe femelle en occitan. Ici, en l’absence de carte, les plats sont détaillés sur un grand tableau noir faisant office de mur.
« Le vieux piano de la plage ne joue qu´en fa qu´en fatigué
Le vieux piano de la plage possède un la qui n´est pas gai
Un si cassé qui se désole
Un mi fané qui le console
Un do brûlé par le grand soleil du mois de juillet
Mais quand il joue pour moi les airs anciens que je préfère
Un frisson d´autrefois
M´emporte alors dans l´atmosphère
D´un grand bonheur dans une petite chambre
Mon joli cœur du mois de septembre
Je pense encore encore à toi
Do mi si la ... »
En fait de piano, c’est une plancha géante sur laquelle le chef cuisine devant nous de beaux produits de saison de la mer et du terroir. Il affirme n’acheter ni poisson congelé, ni poisson d’élevage et travailler en priorité les produits pêchés artisanalement à Gruissan.
Je me régale d’un cassoulet de seiche avec un aïoli maison, suivi d’un chèvre frais au confit de tomates vertes. Délicieux ! Il faudra que je revienne un jour goûter les tellines au foie gras, ces petits mollusques bivalves appelés aussi lagagnons sur la côte landaise. J’en salive déjà !
Pour l’instant, en guise de promenade digestive, j’entame la brève ascension vers la tour Barberousse. La seule véritable difficulté provient du sentier empierré et usé par l’érosion ainsi que des traîtrises des rafales de vent.
La tour est tout ce qui reste d’un château fort construit à la fin du Xème siècle pour protéger la cité contre les invasions maritimes. Son appellation légendaire aurait pour origine le souvenir d’un petit corsaire local surnommé Barberoussette, puis Barberousse, en souvenir du célèbre pirate turc, lorsque lui fut confié le commandement d’un fortin de la côte.
De là-haut, le panorama à 360 degrés est superbe sur le village, l’étang et la mer dans le lointain. Heureux Gruissanais qui s’est improvisé une terrasse avec barbecue en découpant le toit de tuiles de sa demeure !
De retour au pied du rocher, je trouve un peu de fraîcheur à l’intérieur de l’église Notre Dame de l’Assomption. Contemporaine de la tour, elle était à l’origine fortifiée comme en témoignent encore quelques meurtrières et le clocher, ancienne tour de guet. La nef est surmontée d’une charpente apparente en forme de cale de bateau.
Le maître-autel est coiffé d’un baldaquin composé de six imposantes colonnes en marbre rose de Caunes-Minervois et d’une statue en bois polychrome de l’assomption de la Vierge Marie.
Je remarque un bateau suspendu comme souvent dans les églises de bord de mer.
Je me garde bien de toucher à quoi que ce soit dès fois que l’on m’inflige pareil châtiment à celui du chevalier de La Barre dont le buste apparaît dans une petite niche non loin de l’église.
Accusé d’avoir dégradé la statue du Christ s’élevant sur un pont d’Abbeville, d’avoir fredonné deux chansons libertines irrespectueuses à l’égard de la religion et d’être passé devant une procession sans enlever son couvre-chef, ni s’être agenouillé, enfin de posséder chez lui des livres érotiques et le Dictionnaire philosophique de Voltaire, il fut condamné pour blasphème à subir la torture ordinaire et extraordinaire pour dénoncer ses complices, à avoir le poing et la langue coupés, à être décapité et brûlé avec l’exemplaire de l’ouvrage de l’ermite de Ferney. La sentence fut exécutée le 1er juillet 1776 ; c’est le bourreau Sanson (que j’ai évoqué dans mon billet du 1er avril 2012) qui lui trancha la tête. Tragique symbole de l’intolérance religieuse !
J’erre maintenant dans la circulade des maisons qui s’enroulent telle une coquille d’escargot autour du rocher. Sont-ce les effets d’une longue nuit de Festejades ou l’heure de la sieste, les ruelles étroites sont désertes en ce début d’après-midi.
« ... J’irai, si je m’en souviens
Jouer encore aux Indiens
Rêver dans les pilotis
Au temps où j’étais petit
Gruissan, d’hier ou d’alors
Et d’aujourd’hui, éblouissant décor ... »
… D’un film culte ! Plus que la chanson de Trenet, c’est surtout en souvenir du film de Jean-Jacques Beineix que je me dirige maintenant vers la plage des Chalets.
Aux abords, une maison de poupée me le rappelle en forme de clin d’œil.
37°2 le matin ! adapté du beau roman éponyme de Philippe Djian.
« Je suis sorti sur la véranda, armé d’une bière fraîche et je suis resté quelques instants avec la tête en plein soleil. C’était bon, ça faisait une semaine que je prenais le soleil tous les matins en plissant des yeux comme un bienheureux, une semaine que j’avais rencontré Betty ». Ainsi débute le livre.
Souvenez-vous maintenant de la séquence d’ouverture du film plus oppressante et plus torride ? Le générique défilant sur un écran tout bleu où se découpe l’effigie de Betty (Béatrice Dalle), accompagné d’une musique de limonaire, fait bientôt place aux soupirs et gémissements d’un couple nu faisant l’amour, dans une semi pénombre, sous un portrait de La Joconde. En zoom avant, la caméra s’en approche au rythme de la montée du plaisir jusqu’à l’orgasme. C’est alors que Zorg (Jean-Hugues Anglade) nous dit en voix off : « Ça faisait une semaine que je connaissais Betty. On baisait toutes les nuits. Ils avaient annoncé des orages pour le soir ».
Voilà alors qu’il apparaît exultant au volant de sa dépanneuse, traversant à fond la caisse la plage, pilant devant son bungalow sur pilotis, et sauvant in extremis un chili con carne mijotant sur le feu. Puis tandis qu’il déguste son plat à même la casserole, Betty apparaît sur le pas de la porte, une valise à la main : « Qu’est-ce que tu fais là ? C’est pas l’heure ! »
C’est parti pour un magnifique road movie qui s’achèvera du côté des Causses et de Marvejols (voir billet du 23 juillet 2009). Inoubliable !
Cet après-midi, j’arpente donc le coin de plage désormais célèbre à la recherche de ces chalets sur pilotis semblables à celui que Betty et Zorg peignent en rose saumon.
Les cabanes sur pilotis apparurent sous Napoléon III avec la mode des bains de mer. À l’origine, construites en bois, c’étaient des refuges de vacances pour les narbonnais en période estivale. Après qu’une forte tempête eût tout emporté en 1899, elles furent redressées, au début du vingtième siècle, sur des pilotis pour échapper aux inondations destructrices.
Il faut bien reconnaître que la plupart ont perdu beaucoup de leur charme depuis l’idylle tragique de Betty et Zorg. Une digue les protège désormais des hautes eaux hivernales et leurs propriétaires ont muré les « rez-de-plage » pour en faire des garages et des annexes. Ainsi s’est éteinte la vocation des pilotis de ne pas avoir les pieds dans l’eau.
Je ne suis pas encore au bout de mes joies musicales. Après le Swing Troubadour, je pars sur les pas de l’homme aux semelles de swing, ainsi l’écrivain Christian Laborde surnomme Claude Nougaro. Cap donc vers un petit coin perdu des Corbières que Claude fréquenta souvent à l’automne de sa vie.
Je retrouve la civilisation automobile pendant quelques kilomètres sur l’autoroute menant vers l’Espagne avant de bifurquer vers l’Ouest et de m’enfoncer dans les paysages sauvages des Hautes Corbières. La route tourne et vire dans une garrigue de vignes. Ici, c’est le pays du Fitou, la plus ancienne appellation contrôlée du Languedoc. « Dieu fit tout, même le Fitou », c’est déjà du Nougaro dans le texte. Un connaisseur, le Clodi Clodo : « Je suis né l’année (1929) d’un grand millésime du Bordelais et d’un grand bordel chez les milliardaires » !
Bientôt, se détache dans le lointain la silhouette du château d’Aguilar barrant le col de l’Extrême. C’est le premier des « cinq fils de Carcassonne », situés au sommet de pitons rocheux imprenables, tels les moulins à vent de Don Quichotte.
« Don Quichotte qui chevauche
Sur son pâle palefroi
Et Sancho qui le suit
En gardant son sang-froid
Chantent ça en duo
De moulin en château
Au p´tit trot des sabots
Et soudain au galop, au galop, au galop
La poésie c´est mon dada
Et l´utopie mon topo
La poésie c´est mon dada
Et l´utopie mon topo
Chantent Don Quichotte et Sancho ... »
Aguilar appartient à cet ensemble de forteresses bâties par le roi de France à l’issue de la croisade contre les Albigeois pour se protéger du Pays dagad’Aragon (et Castille ?), et appelées improprement châteaux cathares au nom de la promotion touristique. La dénomination de châteaux du Pays cathare est plus juste.
En Languedoc, les seuls vrais « châteaux cathares » furent les bourgades fortifiées de Laurac, Fanjeaux, Mas-Saintes-Puelles et certains sites comme Lastours, Termes, Puilaurens et Montségur qui abritèrent des « Parfaits ».
« S’il est un Dieu, Dieu est très bon
Or, dans le monde rien n’est bon
C’est donc que ce monde n’a pas été fait par Dieu
Et pourtant
Sous la cendre cathare
Je t’aperçois brillante comme un phare
Tout là-bas, Gloria…
Dans mon patois j’entends depuis toujours
Le choc sourd de ta beauté qui passe
Et de l’amour nous désigne l’espace
Gloria, Gloria…
Murmurait le vieux troubadour
Parfois j’ai peur, Gloria j’ai peur
Car je me sens fait comme un rat
Et puis de ma nasse, je vois scintiller ton aura
Gloria
De quel côté des notes
Tombe à mes pieds la noirceur de mes bottes
Gloria, Gloria
Ainsi chantait tout doux un troubadour
Debout sur
Le blanc donjon occitan
De Montségur
Face au soleil bourdonnant
De gloire, Gloria…
Un troubadour fredonnait ça. »
Me voilà à Paziols, un village de vignerons, un petit coin paisible presque retranché du monde. C’est là que vers le milieu des années 1990, Claude choisit de troquer sa vie de « Nougara des villes en Nougaro des champs ». Il s’y rend la première fois à la recherche d’un documentaire introuvable sur Django Reinhardt que possède un projectionniste se baladant pour faire son cinéma dans les villages de Hautes-Corbières. Il tombe sous le charme du lieu et d’une ruine utilisée une fois par an par les vendangeurs, qui n’est pas à vendre.
Je laisse ma voiture pour monter à pied via les ruelles étroites et sinueuses jusqu’en haut du village, place … Claude Nougaro.
L’émotion m’étreint aussitôt devant ce qui constitue un vrai décor de chansons. C’est la première fois que je l’arpente et pourtant, je me sens en pays de connaissance.
Pas âme qui vive sinon quelques rires d’enfant phare qui s’échappent d’une maison aux volets turquoise.
« Où est-il l’enfant
L’enfant l’enfant phare
Qui débarque en fan
En fan fanfare
Où est-il l’enfant ?
Où est-il
L’enfant qui chante
Les fameux lendemains
L’enfant qui enfante
Un nouveau genre humain
Où est-il ?
L’enfant qui tue
L’enfant qui tue le vieil homme
Et qui reconstitue
Le paradis, la pomme
Où est-il ?
Où est-il ?
Où est-il ? ... »
C’est dans cette maison que Claude créa une véritable ode à l’Aude, plusieurs chansons régionalistes « peignant » son havre de paix des Corbières.
« Les cigales crissent
Tandis que le vent
Sous les feuilles glisse
Son archet fervent
Les cigales crissent
Les cigales frottent
Maracas, crotales
L’endiablé fox-trot
Du règne animal
Les cigales frottent
Les cigales grattent
Sur leurs boîtes à rythmes
Une sorte d’hymne
De secte idolâtre
Les cigales grattent
Un oiseau sifflote
À parfait escient
Les limpides notes
Qu’adorait Messiaen ... »
Cela me dépayse agréablement des variations sur tubulures qui troublèrent mon sommeil à Sète !
« …Les cigales raclent
Les cigales nettes
Comme des Carmen
Jouent des castagnettes
Sur leur abdomen
Les cigales nettes
Et le vent se pâme
En longs soubresauts
Comme une gitane
Dans un flamenco
Et le vent se pâme
Et le petit Claude
Est tout épaté
D’entendre dans l’Aude
La rhapsodie chaude
Que lui joue l’été . »
En face de chez lui, se dresse l’église Saint Félix. C’est bien vrai qu’au sommet du tertre dénudé, elle ressemble à une chapelle mexicaine sortie d’un western spaghetti de Sergio Leone.
« ... Ici, tu vois tout est sauvage
Ici, la garrigue, le rocher
Avec la vigne pour faire bon ménage
La vigne a l’esprit de clocher
Les clochers, ils ont la dégaine
De clochers d’églises mexicaines
Imperturbablement laissant tomber leurs plombes
De bronze sur les saisons et sur les tombes … »
La brise est légère cet après-midi. Mais ici, autan et tramontane font souvent tourner les éoliennes moulins don quichottesques du vingt unième siècle, qui dominent la colline. De quoi évidemment inspirer notre « souffleur de vers » :
« … Et puis, puis surtout, bien souvent, très souvent
Y’a des coups, des beaux coups, beaucoup de vent
Tour à tour vent émouvant, enivrant, déchirant
Allégresse et détresse qui se mélangent
Vent de diable et vent d’ange
Et puis tout redevient paisible
Tu peux sortir ton cerf-volant
Et si ton chant passe à côté de la cible
Autant, autant en emporte le vent. »
Le Merle bleu, la « cantine » de Claude ainsi nommée rapport au drôle d’oiseau qui se tenait sur un fil électrique tendu devant chez lui, s’est brûlé les ailes suite à un incendie survenu il y a quelques années.
Je n’ai malheureusement pas le temps de me prélasser quelques instants au bord du ruisseau dont je suis les méandres jusqu’à Estagel.
« On l’appelle le Verdouble
La rivière qui déroule
Ses méandres sur les pierres
La rivière des hautes Corbières
Toi le pêcheur en eau trouble
Elle n’est pas faite pour toi
Le moindre poisson te double
Et te glisse entre les doigts
Mais si tu aimes la chanson
De son hameçon
Elle te servira comme un échanson
Les flots fous, les flots flous
De ses fraîches flammes … »
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Un disque naquit de cet amour pour ce petit coin de Corbières. Il fut même enregistré à l’ancienne salle des fêtes de Paziols. À cette occasion, Claude invita la population à un apéritif et lui réserva la primeur de son nouveau cru de chansons. Sa prestation dura finalement plus d’une heure et demie. Et L’enfant Phare, récompensé par le Grand Prix de l’Académie du disque Charles Cros, marqua le retour en fanfare de Nougaro sur la scène française.
À la fin de sa carrière, pour son dernier tour de piste sans musique, Claude choisit de réciter tel un « acteur de cinémot » les fables de ma fontaine, une quinzaine de textes écrits par lui.
Éjaculateur de mots, parfois précoce, parfois limant beaucoup, comme il aimait se présenter en plaisantant, il trouve, cette fois encore, l’inspiration auprès d’un papillon des Corbières :
« Après m’être branlé sous un figuier superbe
Je fis un bout de route avec un papillon
Il avait dû flairer parmi les fleurs les herbes
L’odeur encor sur moi de l’éjaculation
Ô ‘escorte jolie, gracieuse, guillerette
Corolle chaste et pure, quand soudain Cupidon
Revient, munie de rien, me flatter la braguette
Tandis qu’autour de moi flottait mon papillon
Tel que je me connais, il faut que j’exagère
Je bande et je suis seul. J’ouvre mon pantalon
Sur le membre raidi comme un barreau de chaise
Viens, gentil compagnon, t’asseoir sur cette tige
L’insecte s’est enfui, comme pris de vertige
Que ne t’es-tu pas posé sur mon nœud, papillon. »
Heureux Paziolais, c’est dans le Roussillon, à une dizaine de kilomètres de leur village, devant les plus anciens restes de l’Homo Erectus, cet homme préhistorique de Tautavel, que Nougaro déterre son silex de syllabes.
Le 29 avril 2002, après le premier tour des élections présidentielles de sinistre mémoire, il écrit un texte en faveur de la démocratie à lire sur la place de Paziols :
« À mes chers voisins
Salut Paziols !
Hautes Corbières
Qui m’accueillirent
Mais pas en vains.
Je suis des vôtres
Pour qu’on enterre
La Tyrannie
D’où qu’elle vient.
Elle pousse mal
Dans ce pays,
Dans nos terroirs,
Nos cyprès noirs,
Nos rouges vins
La seule torche
Que nous aimions
C’est les rayons
Sur le Mont Tauch
Alors, ici
Pas de Tyran
À part, merci,
Les tirants d’eau
De belles pluies
Sur nos fayots. »
Pour finir cette belle journée, je m’assieds à la terrasse d’un café d’Estagel, à l’ombre de la statue de l’enfant du pays, l’illustre astronome et physicien François Arago.
« Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
La foule les chante un peu distraite
En ignorant le nom de l’auteur
Sans savoir pour qui battait son coeur
Parfois on change un mot, une phrase
Et quand on est à court d’idées
On fait la la la la la la
La la la la la lé … »
Des images et des sons plein la tête, je savoure ma visite à deux artistes qui bercent mon cœur depuis mes jeunes années.
Comme Brassens, Claude Nougaro avait beaucoup d’admiration pour Charles Trenet. À sa mort, il rédigea un émouvant hommage :
« J’avais dix ou onze ans, lorsque j’écoutais Trenet à la TSF. Il est devenu une vedette juste avant la guerre, à la fin des années trente. J’aimais bien sa féerie enfantine, les atmosphères de château hanté, les souvenirs de collège dans les dortoirs glacés… Il est mon La Fontaine.
Dans mon disque Récréation, j’ai repris La Java du diable, une de ses chansons que j’aurais aimé écrire. Pour cet album, j’avais cueilli un petit bouquet de mes poètes préférés de la chanson – Trenet, Ferré, Brassens… Et j’avais écrit, pour chacun d’eux, quelques vers qui figurent dans le disque. Dans celui que j’ai destiné à Trenet, je parle comme si je m’adressais à mon enfant : » Pour tes jeunes étrennes/Je t’offre un vieux Trenet/Laisse-toi entraîner/Par ces monts, par ces plaines/Ces fantômes à traîne/Qui font des pieds de nez (…) »
On associe parfois le jazz à des chansons de Charles Trenet. Le jazz de sa jeunesse s’appelait déjà jazz, mais, me semble-t-il, Trenet a plutôt été influencé par le fox-trot, un rythme assez sautillant. Dans les ballades, il se faisait crooner, avec, en plus, la poésie de la langue française. Charles Trenet appartient à l’histoire de la chanson dite moderne. Il meurt immortel. »
Clin d’œil encore, durant l’été 2002, à Paziols toujours, lors d’un spectacle « Chansons de vingt ans, chansons de toujours » qu’il organisa avec d’autres amis artistes, Claude ouvrit la soirée avec Je chante et l’acheva avec Y’a d’la joie.
J’ai repris la route vers les gorges de l’Aude. À hauteur du village de Maury, renommé pour son vin cuit, je tourne à droite. Serait-ce une réminiscence de la période pipicaca de ma prime enfance ?
« — Voyons un peu : Cucugnan, disons-nous. Cu… Cu… Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan… Mon brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas une âme… Pas plus de Cucugnanais que d’arêtes dans une dinde ».
Gamin, je ne me lassais pas d’écouter Fernandel conter avec son accent savoureux l’histoire du curé de Cucugnan tirée des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet.
Pour être honnête, Daudet ne fit que traduire un conte trouvé dans l’Almanach provençal de Joseph Roumanille lequel avait repris la version originale Le sermon du père Bourras écrite par le poète narbonnais (comme Trenet !) Hercule Birat en 1796. Le plagiat n’est donc pas né avec internet.
Bref, il me prend l’envie de dire en vitesse un petit bonjour au curé du village de Cucugnan distant d’une dizaine de kilomètres. Pour cela, il faut franchir le grau (col en occitan) de Maury dominé par un second « fils de Carcassonne », le château de Quéribus.
Il y a longtemps que Monsieur Martin, le brave de Cucugnan, a rejoint le Paradis, ses ouailles également après qu’il leur eût fait son fameux sermon en chaire.
Cependant, sur les panneaux publicitaires de la production viticole locale, un de ses successeurs ne se contente pas de promouvoir le vin de messe.
Surprise en découvrant Cucugnan, niché au fond de la vallée du Verdouble, au pied du Mont Tauch, un moulin à vent, très ressemblant à celui de Daudet à Fontvieille, se dresse en haut du village. Ne voyez là aucun artifice publicitaire car le moulin d’Omer, propriété alors des seigneurs de Cucugnan, est mentionné sur des documents d’archives datant de 1692.
Réhabilité en 2003, ses ailes tournent de nouveau et un meunier a même repris du service.
Allez, cette fois, je rentre ! Enfin, peut-être car au centre de Quillan, une barrière interdit l’accès au col de Portel pour cause de course de côte automobile. Me voilà dévié dans des chemins de bout du monde, qui sait si je ne vais pas me retrouver tout près de là à Bugarach, la destination New Age à la mode qui selon des prédictions mayas, serait épargnée par la fin du monde en décembre 2012.
« … Des savants avertis par la pluie et le vent
Annonçaient un jour la fin du monde
Les journaux commentaient en termes émouvants
Les avis les aveux des savants
Bien des gens affolés demandaient aux agents
Si le monde était pris dans la ronde
C’est alors que docteurs savants et professeurs
Entonnèrent subito tous en chœur ..
Le soleil a rendez-vous avec la lune
Mais la lune n´est pas là et le soleil l´attend ... »
Je vous laisse, je commence à travailler du chapeau. Normal, je traverse Espéraza où un musée rappelle que le bourg fut un haut lieu de la chapellerie jusqu’au milieu du vingtième siècle.
Y’a d’la joie et bonne fête de la Musique 2012 !
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