Ay Leny Escudero rum balarum balarum bam bam (*)
Même s’il vaut mieux (trop) tard que jamais, je vous ai confié mon attirance pour une certaine chanson française, souvent malheureusement, après la disparition des artistes qui l’incarnaient.
Alors, cette fois, mieux qu’un hommage, j’ai envie de vous faire partager ma tendre admiration pour Leny Escudero. Ne vous inquiétez pas ; même s’il se fait discret, guère loin, je crois, du bassin des nymphéas de Claude Monet, l’artiste engagé est bien vivant et n’a toujours pas déposé les armes. Il soufflera ses quatre-vingts bougies en novembre prochain et comme dans son arbre de vie, figurent des arrières et arrières grands parents qui ont tous vécu jusqu’à cent cinq ans, nous risquons de devoir le supporter (au sens de l’encourager bien sûr !) longtemps encore. Pour mon plus grand plaisir !
« Moi qui rêvais étant enfant
Que je vivrais plus de mille ans
Que j’irais plus loin que le vent
Moi qui ne rêvais qu’océans
Parce que mes rêves étaient trop grands
Quand j’y pense
J’ai parcouru les continents
Du plus petit jusqu’au plus grand
Connu toutes sortes de gens,
J’ai vu des couchers de soleil
Qui devaient se croire sans pareils
D’importance
D’arrogance
Mais c’est à toi que je pense
Malenfance
Malenfance
J’en ai gardé souvenance
Je ne t’oublierai jamais ... »
Malenfance, le coeur du petit Joaquim Leni Escudero bat au rythme de la guerre d’Espagne. Son père est bûcheron et républicain. Ses camarades vont chercher le lait à la ferme, lui, il ramène des cartouches. Un jour, dans son village de la province de Navarre, débarquent des membres des Brigades internationales, ces volontaires antifascistes engagés auprès des Républicains contre les rebelles nationalistes . On leur fait la fête, un avion les mitraille. Le père soulève le drap blanc qui recouvre les cadavres : « N’oublie jamais. Ils sont morts pour que tu sois libre ». Leny se souviendra :
« Il était à Teruel et à Guadalajara
Madrid aussi le vit
Au fond du Guadarrama ... »
Leny a sept ans, en mars 1939, quand la grande marée des réfugiés républicains espagnols qui fuient leur pays ravagé par le franquisme, submerge nos frontières. Officiellement, la guerra civil s’achève le 1er avril 1939 après la chute de Madrid mais pendant plusieurs années encore, le dictateur Franco continue à faire fusiller des opposants dans les cours des prisons. La guerre d’Espagne est le conflit mondial qui a fait plus de victimes après que pendant.
Leny se retrouve en Mayenne. Son p’tit père, ainsi l’appelle-t-il affectueusement, est interné au camp d’Argelès, dans le Roussillon, mis en place au moment de la Retirada républicaine. Il s’en évadera.
Pour Leny, c’est Le temps de la communale / Des premières initiales / Que l’on grave en se disant / Je défie le temps. Malenfance, mal en France aussi ! Il ne sait ni lire ni écrire et les trois seuls mots de français qu’il connaît sont « Comment tu t’appelles ? », cette question que posaient systématiquement les brigades internationales quand elles entraient dans les villages en Espagne. Il a la rage d’apprendre notre langue dont les autres gamins, en le traitant de sale espagnol, veulent le tenir à l’écart. En hommage à cette époque et à l’artiste qu’il devint, la petite commune de La Baconnière, près de Laval, a donné son nom à l’école.
Leny obtient le « certif », se marie puis s’installe à Paris dans le quartier de Belleville :
« Ma rue de Bell’ville
Mon vieux faubourg
Tu dormais tranquille
Sur mes amours,
La vieille rengaine
Des mômes à Poulbot
Fredonnait je t’aime
Au creux d’ ton métro.
Ma rue de Bell’ville
Ma vieille cité
Qu’ Paris s’ illumine
Toi seule savais
Planquer tes ruelles
Loin des étrangers
Qui crèchent à Courcelles
Aux Champs Elysées.
Où sont mes rêves de gosse?
Que sont devenus mes amis?
Moi j’ voulais rouler ma bosse … »
Oui, il faut bien vivre, il survit grâce à des « petits » métiers, terrassier, métreur, carreleur, chômeur parfois, alors il décharge des camions aux anciennes halles ou sale des ponts à La Villette. Il écrit aussi des chansons, souvenirs de son adolescence, que dédaigne la maison de disques Philips. La reconnaissance artistique ne vous tombait pas toute crue dans le bec comme pour les « graines de stars » de maintenant.
Et puis, en 1962, Leny a trente ans, en pleine vague yéyé, voilà qu’une amourette passe par là !
« … Tu aimeras encore
A la belle saison
Une petite Amourette
Jamais trop jolie
Quand on sait d’avance
Ce que dure la vie. »
Un demi-siècle que ça dure et que passe et repasse la petite amourette ! Nul concert ne saurait s’achever sans que Leny ne l’interprète.
Je n’ai jamais oublié la pochette de ce premier disque microsillon 33 tours 25 cm édité par la société Bel Air ; je la sors de ma discothèque pour vous :
Au recto, Leny, agenouillé un peu dans la position d’un carreleur, contre-plonge son regard dans le nôtre. Au verso, de son écriture manuscrite, il a rédigé quelques mots embarrassés avec beaucoup de points de suspension comme pour répondre, par anticipation, à tous ceux, perplexes, qui, cinquante ans après, ne comprennent toujours pas les raisons de l’immense succès de Pour une amourette :
« Pourquoi chercher à expliquer une chanson. On me demande … embarras … patience … On ne peut pas tout dire à la fois. Ce sont les mots qui manquent … trop faibles les mots … ou trop forts les sentiments … Tous les mots qui n’existent pas … il reste les sentiments. On en a besoin … pour soi.
Écrire une chanson, c’est souvent faire mourir un souvenir parce qu’il n’est plus à nous tout seul.
Ne plus rien savoir … Ressentir, encore une fois … rien qu’une fois. »
Des mots simples, des mots venus du cœur qui signifient à nos cœurs d’adolescents de l’époque. On a tous connu une amourette. J’adhère au cabotinage de l’acteur Fabrice Luchini encensant sur un plateau de télévision, cette amourette qui a le génie d’être légère et qui, par sa légèreté devient grandiose. Une valse musette à siffler dans la rue comme cela se faisait souvent autrefois.
Comme un symbole, pour vous faire prendre conscience de son étonnante longévité, dans la version que je vous offre, Leny est accompagné par deux de ses petits-fils et l’accordéoniste virtuose Clarisse Catarino.
Curieusement, en fouillant pour vous dans ma discothèque, juste à côté du disque de Leny, j’ai retrouvé un autre microsillon 25 cm 33 tours, sorti également en 1962. Cette année-là, un petit taureau toulousain découvre aussi le succès avec …
« Une petite fille en pleurs
Dans une ville en pluie
Et moi qui cours après
Et moi qui cours après
Au milieu de la nuit
Mais qu’est-ce que je lui ai fait … »
Avec Escudero et Nougaro, commence le parcours de deux cœurs battants.
Dans le même disque que Pour une amourette, Ballade à Sylvie fait partie des slows qu’on danse joue contre joue dans les surprises parties. Et pourtant, ce n’est guère de circonstance …
« … J’ai perdu mon âme
En perdant Sylvie
J’ai perdu mon âme
En perdant ma mie.
Par un soir d’automne
Elle est arrivée
Elle m’a dit : « Pardonne ! »
Et j’ai pardonné
Mais malgré moi-même
Tout au fond de moi
Etait née la haine
Qui dictait sa loi.
Et devant ma porte
Son regard caressant le mien
Là mon âme est morte
Dans le creux de ma main. »
L’année suivante, pour un disque plus accompli à mon goût, Leny cisèle neuf nouvelles chansons taillées dans la même veine de la tendresse, de la nostalgie, de la pudeur aussi.
Certains dénient injustement leur registre à l’eau de rose. « On m’a reproché d’avoir un vocabulaire qui ne dépasse pas mille mots. J’ai fait avec ce que j’avais. C’est long de reprendre leurs mots aux riches », leur répond Leny. Ne t’en fais pas, au cœur des années twist, moi je souscris à leur romantisme loin de toute mièvrerie.
Honni soit qui mal y pense ! J’ignore s’il savait que cette devise fut celle de l’Ordre de la Jarretière et du souverain d’Angleterre Edouard III, mais Leny s’en inspire pour baptiser joliment un petit village dans lequel il vécut longtemps et où il était répréhensible de s’aimer ouvertement aux yeux de tous.
« A Malypense, un jour,
Si revient mon amour
Je lui dirai tout bas
Rappelle-toi
Rappelle-toi le temps
Le temps de nos quinze ans
Nous devions nous cacher
Pour nous aimer ... »
Leny, alors trentenaire, a déjà beaucoup vécu et nous (dés)enchante en faisant rimer l’amour, non pas avec toujours, mais avec le désamour.
« … Aujourd’hui, quand je prends ta main
Elle meurt tout contre ma main
Aujourd’hui, quand je te souris
Dans tes yeux soudain, c’est l’ennui
Mais tout ça, je le sais déjà
Mon amour, c’est le désamour ... »
Tandis qu’avec Nougaro, la java, la rage au cœur, se fait la malle, ses petites fesses en bataille, à cause du jazz, Escudero nous invite à gambiller avec une petite garce, La Malvenue :
Si quelqu’un est le bienvenu par contre, c’est Clovis (qui) est revenu ! Une magnifique chanson sur l’amitié et la solitude ; elle m’émeut toujours cinquante après, peut-être parce qu’elle demeure d’une cruelle actualité.
Fiction et réalité cultivent le paradoxe ; la notoriété acquise, c’est le moment que choisit Leny pour fuir le star system. Non, sa petite amourette ne lui a pas fait perdre la tête qu’il a fort bien faite. Il n’a que fichtre des plans de carrière. Sans concession, il fournit la preuve de sa force de caractère, de son indépendance d’esprit et de son intégrité.
Il aspire à vivre les rêves forgés durant sa malenfance. Il veut parcourir les continents, connaître toutes sortes de gens. Il commence par l’Amérique du Sud. Le vent le pousse au Moyen-Orient, au Cambodge, en Union Soviétique, en Israël, au Japon, en Pologne, aux Etats-Unis. Il se pose au Dahomey (le Bénin actuel) où, se souvenant de ses premiers métiers dans le bâtiment, il aide à construire une école en pleine brousse : « J’ai pu laisser derrière moi deux maçons qui savent maintenant tenir une truelle ». Il en tire autant de fierté que pour la plus réussie de ses chansons, sacré Leny ! Peut-être, nous racontera-t-il un jour ces quelques années où il court le monde, ce sera sans doute une belle leçon d’humanisme et d’humanité.
De temps en temps, au milieu de ses années de bourlingue, il réapparaît pour enregistrer un disque. L’artiste a mûri dans son répertoire. À la Saint-Jean, il supplie :
« … Je voudrais tant ma mère
Que tu ne sois pas femme
Et pouvoir dire enfin
Qu’elles sont toutes des putains
Je voudrais tant ma mère
Que tu ne sois pas femme
Et pouvoir dire enfin
Qu’elles sont toutes des
Qu’elles sont toutes des
Qu’elles sont toutes
RACHEL »
En 1964, Barbara évoque la seconde guerre mondiale avec son hymne à l’amitié franco-allemande :
« Et tant pis pour ceux qui s’étonnent
Et que les autres me pardonnent,
Mais les enfants ce sont les mêmes,
A Paris ou à Göttingen.
O faites que jamais ne revienne
Le temps du sang et de la haine
Car il y a des gens que j’aime,
A Göttingen, à Göttingen ... »
Un an plus tard, Leny s’adresse aux poilus de la grande guerre 14-18 dans Tant pis pour Verdun :
« … J’t’en prie grand-père
Oublie-tout ça
Puisque demain je me marie
Qu’importe Berlin ou Paris
Grand-père, ne m’en veux pas …
… Elle avait les yeux bleus d’outre Rhin
Et moi quand on s’est r’gardé
Sans remords et sans regrets
J’ai oublié Verdun
Et tant pis pour le chemin des Dames
L’Argonne et tous les Saint Privat
L’inconnu me pardonnera
Elle était belle à perdre l’âme… »
Un sacré brûlot à l’époque même si « faites l’amour, pas la guerre » est la morale de ce tango irrévérencieux ! Un demi-siècle plus tard, Nicolas et Angela, deux pas en avant, trois en arrière, en dansent un autre sur fond de guerre économique.
En 1967, Leny écrit Je t’attends à Charonne, une chanson dédiée aux victimes de la manifestation du 8 février 1962. Ce jour-là, huit personnes trouvèrent la mort à la station de métro Charonne lors de la charge des forces de police. Elles faisaient partie des dizaines de milliers de gens qui défilaient à l’appel du Parti communiste français et de divers organismes de gauche, en faveur de l’indépendance de l’Algérie et contre les agissements de l’O.A.S. (organisation de l’armée secrète). Leny était présent.
Il enveloppe ses colères dans la tendresse. En 1962, c’était l’année de Pour une amourette. Plutôt qu’écrire alors une chanson réaliste avec le bain de sang sous les matraques des groupes d’intervention du préfet Papon, il attend cinq ans pour en faire une chanson « pour », une chanson d’amour, à la manière du Temps des cerises. Farouche mais toujours fleur bleue !
« … On l’appelle à Charonne
Et moi je reste là
Ni Dieu ni la Madone
N’ont plus d’amour que moi
Ça me brûle le coeur
D’une douleur si tendre
Que c’est encore bonheur
Pour moi que de t’attendre
Je t’attends je t’attends
Comme l’oiseau qui mourut
D’attendre le printemps
Où ils s’étaient connus ... »
Escudero 71, Leny est de retour avec toute une galerie d’amis.
« … Pauvre Diogène, pauvre Diogène
T’as pas fini de tendre le dos
Les tiens ignorent qu’on peut encore
Être libre dans un tonneau
Dans un tonneau … »
A-t-il fait siens les préceptes du philosophe grec Diogène le Sinope, célèbre représentant de l’école cynique, qui ne se gênait pas pour critiquer les grands hommes de son temps, Platon y compris, et préconisait une vie simple, proche de la nature, se contentant d’une jarre pour dormir ?
On rigole avec lui quand Le vieux Jonathan raconte comment il perdit un bras et gagna une médaille en or dans les tranchées.
Il rend hommage à Vincent Van Gogh, son frère :
« … Quand t’as vu ton premier sermon
Tu n’as pas pensé au pardon
Mais tu as pensé à la croix
Qu’on porte la dernière fois
Quand sur tes bras et sur ton dos
Viendront s’abattre les corbeaux
Et c’est comme ça qu’on devient fou ... »
Pour l’écouter, rejoignez mon billet L’Auvers du décor du 1er juin 2011 lorsque j’arpentais le champ aux corbeaux.
Il évoque le temps de l’exil où il fait vivre sa petite soeur en prélevant sa dîme sur le rata d’une base militaire :
« T’en souviens-tu Sarah ?
On n’a pas eu le temps
Lorsqu’on était enfant
De connaître l’enfance
Si le monde était fou
Il n’y avait pas chez nous
De corne d’abondance
Nous rêvions des festins
Dont parlaient les anciens
Jusqu’au jour qui se lève
Mais au petit matin
Devant un bout de pain
Nous regrettions nos rêves
Mais y avait d’l'amour plein la maison
Ça tenait chaud quatre saisons
Un soleil dans la nuit noire
Il brille encore dans ma mémoire
Mais y avait d’l'amour plein la maison
Il y avait mille caresses
Y avait tant de tendresse
Que j’en suis riche
Pour mille vies »
Ce beau disque, empreint de mélancolie, obtient la reconnaissance de la profession avec le grand Prix de l’Académie Charles Cros. Et maintenant qu’il a fait le tour du monde, il remonte enfin sur scène, un peu dans l’indifférence des médias: « Je voyageais, ne vous déplaise, Vous voyagiez? nous en sommes fort aise … ». Qu’importe, peu à peu, un nouveau public rejoint les anciens adolescents qui lui sont restés fidèles.
Après Jean Ferrat et ses adieux au Palais des sports, je compte bien assister aux retrouvailles de Leny Escudero avec son public, à Bobino, sur les pavés du Montparnasse. C’est raté ! Il apparaît seul devant le rideau et, durant de longues minutes, il explique pourquoi, par solidarité avec une grève en faveur des intermittents du spectacle, il renonce à chanter ce soir-là. Malgré la déception et la frustration légitimes, je me souviens qu’il n’y eut aucun mouvement d’humeur de la part d’un public comprenant les engagements qu’il défendait. Sans vouloir cultiver le paradoxe, nous admirons presque autant Leny en cette circonstance, par respect pour les combats qu’il n’a de cesse de mener.
Quelques semaines plus tard, enfin, je peux voir le poète chanter en scène son militantisme contre toutes les formes d’injustice. Brassens ne veut pas mourir pour des idées sinon de mort lente ; Leny, à la même époque, sans que cela soit un écho au viatique de l’ami Georges, clame Vivre pour des idées :
« … Il m’a serré fort contre lui
«J’ai honte tu sais mon petit
Je me demandais, cette guerre
Pour quelle raison j’irais la faire ?
Mais maintenant je puis le dire :
Pour que tu saches lire et écrire»
J’aurais voulu le retenir
Alors mon père m’a dit : «Mourir
Pour des idées, ça n’est qu’un accident.»
Je sais lire et écrire
Et mon père est vivant. »
Il écrit même très bien, de mieux en mieux même, pour défendre ses idées. « Ça se passe en l’an 3 000 sur terre, notre paradis / Comment c’était fait un arbre ? / C’était en pierre ou bien en marbre ? » Faisons gaffe, il y a quarante ans qu’il a écrit cela et … bientôt la question sera pertinente.
« Mon voisin est mort, je n’l'ai pas connu
Je n’l'ai jamais vu, mon voisin est mort
A part quelques bruits à l’étage en d’ssous
Et des riens du tout, je n’sais rien d’sa vie
C’est drôle l’émotion ! Je n’l'ai pas connu
Et j’ai l’impression de l’avoir perdu
T’es dans l’escalier, tu ne me vois pas
T’es sur le palier, je n’te salue pas ... »
Ça date de 1973 également et pourtant … il y a peu, un de mes voisins fut retrouvé à son domicile, quelques jours après mort, oublié du reste de sa famille !
« Il va mourir le bohémien
Mais, citadins dormez tranquilles !
Sa mort n’est pas sur le chemin
Du centre ville ... »
Ça sort en 1974 et pourtant … aujourd’hui encore, les chemins de l’expulsion mènent aux Roms !
Je crains que son manifeste de 1974 soit de plus en plus vain même si son symbole l’emporte dans quelques semaines.
« … Que rien ne soit immobile
Dans notre vie de demain
Nos enfants vers l’impossible
Nous montreraient le chemin
Nous montreraient le chemin
Nous montreraient le chemin
Et je voudrais que leurs rêves
Viennent un peu bousculer les miens
Viennent un peu bousculer les miens
Viennent un peu bousculer les miens
Car ils voudront, car ils voudront
La liberté qui leur fait envie
Et ils prendront et ils prendront
Et ils prendront pour changer la vie
Le poing et la rose, la rose et le poing
Le poing et la rose, la rose et le poing. »
Avant que le vingtième siècle ne s’achève, Leny Escudero chante la Liberté (trop souvent bafouée) en reprenant des chants révolutionnaires, pacifistes et engagés qui ont fait l’Histoire. Un florilège d’œuvres immortelles écrites par des auteurs essentiels, j’ai envie de vous en citer quelques-unes : Les canuts d’Aristide Bruant sur la révolte des ouvriers lyonnais tisserands de la soie au dix-neuvième siècle, Le temps des cerises et de la Commune de Jean-Baptiste Clément, La butte rouge de Montehus, triste épisode de la bataille de la Somme durant la première guerre mondiale, L’affiche rouge de Louis Aragon, « Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes / Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants / L’affiche qui semblait une tache de sang / Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles / Y cherchait un effet de peur sur les passants », et aussi Bella Ciao, un chant traditionnel des repiqueuses de riz de la plaine du Pô avec des paroles réécrites pour la lutte antimussolinienne, sans oublier bien évidemment El paso del Ebro, chant anarchiste réactualisé par les soldats républicains lors de la guerre d’Espagne.
Ce n’est pas que Leny soit en panne d’inspiration mais cela correspond bien à l’homme constamment en lutte pour un monde meilleur, plus juste. D’ailleurs, c’est peut-être l’artiste qui, tout au long de sa carrière, a fait le plus de galas de soutien, des vrais à la porte des usines, hors la présence des médias. C’est également une manière de dire qu’on n’a pas de futur si on ne se rappelle pas le passé.
Vous voyez que l’ami Leny ne chante vraiment pas pour passer le temps. Et c’est pour cela qu’il me touche tant.
J’ai revu Leny sur scène, un peu par hasard, dans une petite salle proche de chez moi. Ça s’est passé un peu après l’an 2000, les arbres fleurissaient encore … Il était là, tout proche, à quelques mètres de moi, presque statufié devant le micro. Le temps avait blanchi sa crinière et creusé plus encore ses joues, mais avec sa tête de Geronimo, il décochait ses flèches avec la même ferveur que trente ans auparavant. Je ne quittais pas son visage si « vivant », si sincère, qui traduisait intensément toutes ses colères, ses révoltes, ses peines, quelques espérances peut-être quand même. Bien évidemment, il chanta Pour une amourette. Lorsque, vers la fin de son récital, il demanda ce qu’on souhaitait qu’il interprétât, son public lui réclama, peut-être aussi pour le garder plus longtemps, deux magnifiques chansons fleuves, deux brûlots sur l’église et l’école dans lesquels il exprimait aussi des talents de comédien qu’il révéla d’ailleurs dans plusieurs films..
« Le professeur m’a dit que j’étais intelligent, mais pas comme il le faudrait, c’est pas d’la bonne intelligence ». Ne culpabilise pas cher Leny, on s’en fout de la date de la bataille de Marignan, c’est un professeur licencié d’histoire qui te l’affirme !
Au contraire même, tes concerts sont des leçons de citoyenneté et de militantisme. Quand on en sort, on se sent plus intelligent, plus fort, enrichi même si le monde que tu exècres nous bouffe à nouveau très vite. Il est temps alors de réécouter tes disques.
Vous avez compris pourquoi, en ce mois de mars, plutôt que de Cloclo, j’ai préféré vous parler de Leny Escudero, un homme chaleureux et un artiste intègre dont la vie et la carrière sont admirablement cohérentes.
« … Pour vaincre l’éphémère
Pour vaincre le néant
M’allonger sur la terre
Et lui faire un enfant
Un enfant sans mémoire
Un qui n’aurait pas peur
Qui prendrait la nuit noire
Pour un bouquet de fleurs
Pour un bouquet de fleurs
Puis reviendrait sur la terre pour sa dernière escale
Et là deviendrait femme le ventre mis à nu
Balaierait de la main temples et cathédrales
Remettant à genoux les dieux non advenus
Et dirait je reviens pour donner à la terre
Un enfant qui veut vivre qui veut vivre debout
Le droit divin est mort il est comme ses frères
Celui-ci aimera la planète des fous. »
« C’est peut-être pour demain, qu’est-ce que ça s’ra chouette »! Merci à cette belle âme de France et de Navarre !
(*) Le titre du billet est un clin d’œil à El paso del Ebro, le chant repris par les soldats républicains lors de la guerre d’Espagne

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Bonjour Jean-Michel,
j’ai vraiment apprécié ton article !
J’ai revu Leny à la télé il y a quelque temps, avec ses petits-fils et cela m’a fait chaud au cœur. Dommage qu’on ne lui fasse chanter que « pour une amourette ». J’ai découvert ici « Clovis est revenu » que je trouve fort belle, d’autant plus que mon père se prénomme Clovis.
A-t-on encore des artistes de cette trempe ? j’en doute.
Tout comme Jean Ferrat ou Nougaro que tu cites, ce sont des hommes authentiques que le système n’a pas pourris et je me demande bien si on reverra ça un jour.
Sur ce, je te laisse, et bien amicalement.
Que vive la chanson engagée ! Mais qui écoute encore les mots ? Je crois que les gens entendent souvent du bruit. Dommage !
J’aime beaucoup cet article que je suis revenue voir à plusieurs reprises avant de déposer mon commentaire.
Je dois avouer que je ne connaissais pas beaucoup le chanteur avant cet article. « Pour une amourette » était le refrain un peu lancinant qui me revenait en mémoire. À part ça, pas grand chose. Merci de me permettre d’accroître un peu ma culture.
J’en apprends un peu plus sur ces réfugiés espagnols. Mes grands-parents paternels ont fui l’Espagne (l’Andalousie, ce qui n’est pas tout à fait pareil pour un Andalou) en 1923 ou 24, à pied, leurs premiers enfants à la main. Mon oncle Jean est né en France en 24 et mon père en 26. J’ai donc l’air d’être une bonne Française. Mon nom de famille aidait aussi à l’intégration.
Finalement, ces Espagnols ont donné du caractère à bien des villes françaises, je pense en particulier à Toulouse. Les émigrés qui veulent s’intégrer sont une richesse pour un pays. Mais les temps changent…
Chacun se renferme. Communautarisme primaire. Pourvu qu’il n’y ait pas de vagues. On ne crie plus « vive la liberté » mais « À moi la tranquillité ».
« Il va mourir le bohémien
Mais, citadins dormez tranquilles !
Sa mort n’est pas sur le chemin
Du centre ville … »
Bonne journée quand même et à bientôt.
Merci de nous faire nous souvenir de ce grand chanteur. Il en reste encore quelques-uns, quand même ! La Chanson française, même sans Cloclo, est fort belle.
Votre article à l’encre violette est formidable, Lény vous a touché comme il m’a touché, il y a quelque chose en lui d’étrange, de familier, d’humain et ses révoltes sont sans haines. Lény que je ne connais pas, est un proche, un ami et ses mots je les comprends, ce sont ceux du coeur et de l’intelligence. Lény n’a pas attendu 2012 pour chanter « Je t’attends à Charonne » mais selon certains il ne serait pas encore temps d’en parler. Merci beaucoup vous avez dit beaucoup et bien. Amitié. (Amalypense)
LENY l’inoubliable !
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et de plaisir ce très bel article sur Lény d’autant que je suis un admirateur de cet artiste que j’ai vu 3 fois sur scène dans les années 70.
C’est d’ailleurs au cours d’un concert de 1974 que je l’ai véritablement découvert, avec des chansons comme le Bohémien, Si j’en ai vu, Vivre pour des idées, le Cancre etc. Avant je ne connaissais que les succès de ses débuts.
Je viens d’écrire un article sur et je m’aperçois que parmi mes nombreux commentaires, la plupart ne connaisse que le Lény de « Pour une petite amourette ».
trouve-t-on encore les disques vinyl ou cd de Leny ..ou?
Bonjour,
Il est possible que les CD, et encore plus, les vinyles, de Leny se fassent rares.
Je pense par contre que vous trouveriez des CD dans pas mal de médiathèques.
D’autre part, on peut écouter de nombreuses chansons sur Deezer.
Cordialement