Archive pour mars, 2012

Revoir un Printemps en 2012 ?

J’ai l’habitude de célébrer le printemps lorsqu’il pointe son nez.
Pour ne pas y déroger, j’ai choisi cette année le groupe IAM avec sa chanson (?), du moins son texte, Revoir un printemps. Cela vous surprend, peut-être, que je trempe des mots de rappeurs dans mon encre violette. Ce n’est finalement pas plus incongru que de lire un sonnet de Ronsard sur une tablette numérique. Et puis surtout, l’école de la République a raison d’être fière quand certains de ses élèves issus de l’immigration sont aussi créatifs
Mon choix n’est pas innocent en ces saisons où la notion d’identité française est à géométrie variable et où l’on parle (peut-être) hâtivement de printemps arabe. IAM est un groupe de rap, originaire de Marseille, dont les membres ont notamment comme pseudonymes, Akhenaton, du nom du dixième pharaon de la dix-huitième dynastie, Imhotep, « celui qui vient en paix », personnage historique de l’Égypte antique, et Khephren, une des trois pyramides de Gizeh.
Revoir un printemps est sorti en 2003, après donc le tragique 11 septembre 2001 et le très indigeste 21 avril 2002 ! C’est toujours d’actualité à une quarantaine de jours d’une nouvelle échéance électorale nationale.
C’est cadeau, chers lecteurs, parents et grands-parents de bouts de choux. Le clip est agréable et pour ceux que les accents et les gesticulations des rappeurs agaceraient, je joins les paroles. Cela change, excusez-moi, de l’éclosion des narcisses et du gazouillis des petits oiseaux. Revoir un printemps en 2012 ? C’est mal engagé après la tragédie de Toulouse.

http://www.dailymotion.com/video/xkma1

« Comme quoi la vie finalement nous a tous embarqués,
J’en place une pour les bouts de choux, fraîchement débarqués
À croire que jusqu’à présent, en hiver on vivait
Vu qu’c'est le printemps, à chaque fois que leur sourire apparaît
Je revois le mien en extase, premier jouet téléguidé
Déguisé en cosmonaute, souhait presque réalisé, instant sacralisé
Trésor de mon cœur jamais épuisé, pour mon âme apaisante, Alizée.

Revoir le rayon d’lumière, transpercer les nuages,
Après la pluie, la chaleur étouffante assécher la tuile
Revoir encore une fois, l’croissant lunaire embraser la nuit
Embrasser mes anges, quand l’soleil s’noie
Faire du sommeil une terre vierge, converser dehors sous les
Cierges, revoir son sourire au lever quand j’émerge, sur
Au-delà des turpitudes, des dures habitudes de l’hiver
Peut-être mon enveloppe de môme, abrite un coeur d’Gulliver
Revoir les trésors naturels de l’univers, douce ballerine
L’hirondelle fonde son nid dans mes songes, sublime galerie
À ciel ouvert, les djouns rampent à couvert, nous à l’air libre
Mais les pierres horribles, cachent souvent des gemmes superbes
Sous le couvercle
Revoir la terre s’ouvrir, dévoiler la mer
Solitaire dans la chambre, sous la lumière qu’les volets lacèrent
Impatient de l’attendre, c’printemps en décembre, en laissant
Ces mots dans les cendres, de ces années amères

Comme quoi la vie finalement nous a tous embarqués,
J’en place une pour les bouts de choux, fraîchement débarqués
À croire que jusqu’à présent, en hiver on vivait
Vu qu’c'est le printemps, à chaque fois que leur sourire apparaît
Je revois le mien en extase, premier jouet téléguidé
Déguisé en cosmonaute, souhait presque réalisé, instant sacralisé
Trésor de mon cœur jamais épuisé, pour mon âme apaisante, Alizée

La patience est un arbre, dont la racine est amère et l’fruit doux
J’aimerais revoir mes premiers pas, mes premiers rendez vous
Quand j’pensais, qu’la vie, pouvait rien nous offrir, à part des sous
Maintenant j’sais qu’ça s’résume pas à ça, et qu’c'est un tout,
L’tout est d’savoir, voir, penser, avancer, foncer
On sait qu’le temps, dans c’monde n’est pas notre allié
J’aimerais revoir, l’instant unique, qu’a fait d’moi un père
Un homme, un mari, on m’aurait dit ça avant, j’aurais pas t’nu l’pari
Normal dans mon cœur, y avait la tempête, les pressions et l’orage
Et pas beaucoup d’monde qui pouvait supporter cette rage
J’aimerais revoir, ces pages, où on apprenait la vie, sans dérapage
L’partage d’l'évolution, à qui j’rends hommage, loin des typhons
J’aimerais revoir, l’premier sourire, d’mon fiston, mon cœur
D’puis c’jour là, j’me sens fier, c’beau gosse, c’est ma grandeur
Un printemps éternel, une source intarissable, plein d’couleurs
C’est l’jardin d’Eden, qui m’protège d’mes douleurs,

Revoir l’époque où y avait qu’des pelés sur le goudron s’arrachant
Autant de printemps répondant à l’appel d’un air innocent
Moins pressé d’aller à l’école pour les cours que pour les potes
S’y trouvant revoir les parties de bille sous le préau se faisant avec acharnement
Tendre moment jalousement gardé comme tous
Avènement d’une jeune pousse que l’on couvre d’amour…..
Pour que rien ne salisse mille fleurs jaillissent
Dès que son sourire m’éclabousse ça m’électrise cette
Racine va devenir chêne massif sève de métisse
Annonçant le renouveau le retour de mes printemps
À travers les siens et construire les siens pour que un jour
Il puisse les revivre à son tour
Comme volant à mon secours ces graines fleurissent
Dans ma tête quand la grisaille
Persiste mur d’images refoulant mes tempêtes
(Voir un printemps superbe à nouveau fleurir)

Comme quoi la vie finalement nous a tous embarqués,
J’en place une pour les bouts de choux, fraîchement débarqués
À croire que jusqu’à présent, en hiver on vivait
Vu qu’c'est le printemps, à chaque fois que leur sourire apparaît
Je revois le mien en extase, premier jouet téléguidé
Déguisé en cosmonaute, souhait presque réalisé, instant sacralisé
Trésor de mon cœur jamais épuisé, pour mon âme apaisante, Alizée »

 

Publié dans:Almanach |on 20 mars, 2012 |2 Commentaires »

Ay Leny Escudero rum balarum balarum bam bam (*)

Même s’il vaut mieux (trop) tard que jamais, je vous ai confié mon attirance pour une certaine chanson française, souvent malheureusement, après la disparition des artistes qui l’incarnaient.
Alors, cette fois, mieux qu’un hommage, j’ai envie de vous faire partager ma tendre admiration pour Leny Escudero. Ne vous inquiétez pas ; même s’il se fait discret, guère loin, je crois, du bassin des nymphéas de Claude Monet, l’artiste engagé est bien vivant et n’a toujours pas déposé les armes. Il soufflera ses quatre-vingts bougies en novembre prochain et comme dans son arbre de vie, figurent des arrières et arrières grands parents qui ont tous vécu jusqu’à cent cinq ans, nous risquons de devoir le supporter (au sens de l’encourager bien sûr !) longtemps encore. Pour mon plus grand plaisir !

« Moi qui rêvais étant enfant
Que je vivrais plus de mille ans
Que j’irais plus loin que le vent
Moi qui ne rêvais qu’océans
Parce que mes rêves étaient trop grands
Quand j’y pense
J’ai parcouru les continents
Du plus petit jusqu’au plus grand
Connu toutes sortes de gens,
J’ai vu des couchers de soleil
Qui devaient se croire sans pareils
D’importance
D’arrogance
Mais c’est à toi que je pense
Malenfance
Malenfance
J’en ai gardé souvenance
Je ne t’oublierai jamais ... »

Malenfance, le coeur du petit Joaquim Leni Escudero bat au rythme de la guerre d’Espagne. Son père est bûcheron et républicain. Ses camarades vont chercher le lait à la ferme, lui, il ramène des cartouches. Un jour, dans son village de la province de Navarre, débarquent des membres des Brigades internationales, ces volontaires antifascistes engagés auprès des Républicains contre les rebelles nationalistes . On leur fait la fête, un avion les mitraille. Le père soulève le drap blanc qui recouvre les cadavres : « N’oublie jamais. Ils sont morts pour que tu sois libre ». Leny se souviendra :

« Il était à Teruel et à Guadalajara
Madrid aussi le vit
Au fond du Guadarrama ... »

Leny a sept ans, en mars 1939, quand la grande marée des réfugiés républicains espagnols qui fuient leur pays ravagé par le franquisme, submerge nos frontières. Officiellement, la guerra civil s’achève le 1er avril 1939 après la chute de Madrid mais pendant plusieurs années encore, le dictateur Franco continue à faire fusiller des opposants dans les cours des prisons. La guerre d’Espagne est le conflit mondial qui a fait plus de victimes après que pendant.
Leny se retrouve en Mayenne. Son p’tit père, ainsi l’appelle-t-il affectueusement, est interné au camp d’Argelès, dans le Roussillon, mis en place au moment de la Retirada républicaine. Il s’en évadera.
Pour Leny, c’est Le temps de la communale / Des premières initiales / Que l’on grave en se disant / Je défie le temps. Malenfance, mal en France aussi ! Il ne sait ni lire ni écrire et les trois seuls mots de français qu’il connaît sont « Comment tu t’appelles ? », cette question que posaient systématiquement les brigades internationales quand elles entraient dans les villages en Espagne. Il a la rage d’apprendre notre langue dont les autres gamins, en le traitant de sale espagnol, veulent le tenir à l’écart. En hommage à cette époque et à l’artiste qu’il devint, la petite commune de La Baconnière, près de Laval, a donné son nom à l’école.
Leny obtient le « certif », se marie puis s’installe à Paris dans le quartier de Belleville :

« Ma rue de Bell’ville
Mon vieux faubourg
Tu dormais tranquille
Sur mes amours,
La vieille rengaine
Des mômes à Poulbot
Fredonnait je t’aime
Au creux d’ ton métro.
Ma rue de Bell’ville
Ma vieille cité
Qu’ Paris s’ illumine
Toi seule savais
Planquer tes ruelles
Loin des étrangers
Qui crèchent à Courcelles
Aux Champs Elysées.
Où sont mes rêves de gosse?
Que sont devenus mes amis?
Moi j’ voulais rouler ma bosse … »

Oui, il faut bien vivre, il survit grâce à des « petits » métiers, terrassier, métreur, carreleur, chômeur parfois, alors il décharge des camions aux anciennes halles ou sale des ponts à La Villette. Il écrit aussi des chansons, souvenirs de son adolescence, que dédaigne la maison de disques Philips. La reconnaissance artistique ne vous tombait pas toute crue dans le bec comme pour les « graines de stars » de maintenant.
Et puis, en 1962, Leny a trente ans, en pleine vague yéyé, voilà qu’une amourette passe par là !

« … Tu aimeras encore
A la belle saison
Une petite Amourette
Jamais trop jolie
Quand on sait d’avance
Ce que dure la vie. »

Un demi-siècle que ça dure et que passe et repasse la petite amourette ! Nul concert ne saurait s’achever sans que Leny ne l’interprète.
Je n’ai jamais oublié la pochette de ce premier disque microsillon 33 tours 25 cm édité par la société Bel Air ; je la sors de ma discothèque pour vous :

Ay Leny Escudero rum balarum balarum bam bam (*)  dans Coups de coeur Escuderoblog1

Au recto, Leny, agenouillé un peu dans la position d’un carreleur, contre-plonge son regard dans le nôtre. Au verso, de son écriture manuscrite, il a rédigé quelques mots embarrassés avec beaucoup de points de suspension comme pour répondre, par anticipation, à tous ceux, perplexes, qui, cinquante ans après, ne comprennent toujours pas les raisons de l’immense succès de Pour une amourette :
« Pourquoi chercher à expliquer une chanson. On me demande … embarras … patience … On ne peut pas tout dire à la fois. Ce sont les mots qui manquent … trop faibles les mots … ou trop forts les sentiments … Tous les mots qui n’existent pas … il reste les sentiments. On en a besoin … pour soi.
Écrire une chanson, c’est souvent faire mourir un souvenir parce qu’il n’est plus à nous tout seul.
Ne plus rien savoir … Ressentir, encore une fois … rien qu’une fois. »
Des mots simples, des mots venus du cœur qui signifient à nos cœurs d’adolescents de l’époque. On a tous connu une amourette. J’adhère au cabotinage de l’acteur Fabrice Luchini encensant sur un plateau de télévision, cette amourette qui a le génie d’être légère et qui, par sa légèreté devient grandiose. Une valse musette à siffler dans la rue comme cela se faisait souvent autrefois.
Comme un symbole, pour vous faire prendre conscience de son étonnante longévité, dans la version que je vous offre, Leny est accompagné par deux de ses petits-fils et l’accordéoniste virtuose Clarisse Catarino.

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Curieusement, en fouillant pour vous dans ma discothèque, juste à côté du disque de Leny, j’ai retrouvé un autre microsillon 25 cm 33 tours, sorti également en 1962. Cette année-là, un petit taureau toulousain découvre aussi le succès avec …

« Une petite fille en pleurs
Dans une ville en pluie
Et moi qui cours après
Et moi qui cours après
Au milieu de la nuit
Mais qu’est-ce que je lui ai fait … »

Avec Escudero et Nougaro, commence le parcours de deux cœurs battants.
Dans le même disque que Pour une amourette, Ballade à Sylvie fait partie des slows qu’on danse joue contre joue dans les surprises parties. Et pourtant, ce n’est guère de circonstance …

« … J’ai perdu mon âme
En perdant Sylvie
J’ai perdu mon âme
En perdant ma mie.

Par un soir d’automne
Elle est arrivée
Elle m’a dit : « Pardonne ! »
Et j’ai pardonné
Mais malgré moi-même
Tout au fond de moi
Etait née la haine
Qui dictait sa loi.
Et devant ma porte
Son regard caressant le mien
Là mon âme est morte
Dans le creux de ma main. »

L’année suivante, pour un disque plus accompli à mon goût, Leny cisèle neuf nouvelles chansons taillées dans la même veine de la tendresse, de la nostalgie, de la pudeur aussi.

Escuderoblog2 dans Coups de coeur

Certains dénient injustement leur registre à l’eau de rose. « On m’a reproché d’avoir un vocabulaire qui ne dépasse pas mille mots. J’ai fait avec ce que j’avais. C’est long de reprendre leurs mots aux riches », leur répond Leny. Ne t’en fais pas, au cœur des années twist, moi je souscris à leur romantisme loin de toute mièvrerie.
Honni soit qui mal y pense ! J’ignore s’il savait que cette devise fut celle de l’Ordre de la Jarretière et du souverain d’Angleterre Edouard III, mais Leny s’en inspire pour baptiser joliment un petit village dans lequel il vécut longtemps et où il était répréhensible de s’aimer ouvertement aux yeux de tous.

« A Malypense, un jour,
Si revient mon amour
Je lui dirai tout bas
Rappelle-toi
Rappelle-toi le temps
Le temps de nos quinze ans
Nous devions nous cacher
Pour nous aimer ... »

Leny, alors trentenaire, a déjà beaucoup vécu et nous (dés)enchante en faisant rimer l’amour, non pas avec toujours, mais avec le désamour.

« … Aujourd’hui, quand je prends ta main
Elle meurt tout contre ma main
Aujourd’hui, quand je te souris
Dans tes yeux soudain, c’est l’ennui
Mais tout ça, je le sais déjà
Mon amour, c’est le désamour ... »

Tandis qu’avec Nougaro, la java, la rage au cœur, se fait la malle, ses petites fesses en bataille, à cause du jazz, Escudero nous invite à gambiller avec une petite garce, La Malvenue :

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Si quelqu’un est le bienvenu par contre, c’est Clovis (qui) est revenu ! Une magnifique chanson sur l’amitié et la solitude ; elle m’émeut toujours cinquante après, peut-être parce qu’elle demeure d’une cruelle actualité.

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Fiction et réalité cultivent le paradoxe ; la notoriété acquise, c’est le moment que choisit Leny pour fuir le star system. Non, sa petite amourette ne lui a pas fait perdre la tête qu’il a fort bien faite. Il n’a que fichtre des plans de carrière. Sans concession, il fournit la preuve de sa force de caractère, de son indépendance d’esprit et de son intégrité.
Il aspire à vivre les rêves forgés durant sa malenfance. Il veut parcourir les continents, connaître toutes sortes de gens. Il commence par l’Amérique du Sud. Le vent le pousse au Moyen-Orient, au Cambodge, en Union Soviétique, en Israël, au Japon, en Pologne, aux Etats-Unis. Il se pose au Dahomey (le Bénin actuel) où, se souvenant de ses premiers métiers dans le bâtiment, il aide à construire une école en pleine brousse : « J’ai pu laisser derrière moi deux maçons qui savent maintenant tenir une truelle ». Il en tire autant de fierté que pour la plus réussie de ses chansons, sacré Leny ! Peut-être, nous racontera-t-il un jour ces quelques années où il court le monde, ce sera sans doute une belle leçon d’humanisme et d’humanité.
De temps en temps, au milieu de ses années de bourlingue, il réapparaît pour enregistrer un disque. L’artiste a mûri dans son répertoire. À la Saint-Jean, il supplie :

« … Je voudrais tant ma mère
Que tu ne sois pas femme
Et pouvoir dire enfin
Qu’elles sont toutes des putains
Je voudrais tant ma mère
Que tu ne sois pas femme
Et pouvoir dire enfin
Qu’elles sont toutes des
Qu’elles sont toutes des
Qu’elles sont toutes
RACHEL »

En 1964, Barbara évoque la seconde guerre mondiale avec son hymne à l’amitié franco-allemande :

« Et tant pis pour ceux qui s’étonnent
Et que les autres me pardonnent,
Mais les enfants ce sont les mêmes,
A Paris ou à Göttingen.
O faites que jamais ne revienne
Le temps du sang et de la haine
Car il y a des gens que j’aime,
A Göttingen, à Göttingen ... »

Un an plus tard, Leny s’adresse aux poilus de la grande guerre 14-18 dans Tant pis pour Verdun :

« … J’t’en prie grand-père
Oublie-tout ça
Puisque demain je me marie
Qu’importe Berlin ou Paris
Grand-père, ne m’en veux pas …
… Elle avait les yeux bleus d’outre Rhin
Et moi quand on s’est r’gardé
Sans remords et sans regrets
J’ai oublié Verdun
Et tant pis pour le chemin des Dames
L’Argonne et tous les Saint Privat
L’inconnu me pardonnera
Elle était belle à perdre l’âme… »

Un sacré brûlot à l’époque même si « faites l’amour, pas la guerre » est la morale de ce tango irrévérencieux ! Un demi-siècle plus tard, Nicolas et Angela, deux pas en avant, trois en arrière, en dansent un autre sur fond de guerre économique.
En 1967, Leny écrit Je t’attends à Charonne, une chanson dédiée aux victimes de la manifestation du 8 février 1962. Ce jour-là, huit personnes trouvèrent la mort à la station de métro Charonne lors de la charge des forces de police. Elles faisaient partie des dizaines de milliers de gens qui défilaient à l’appel du Parti communiste français et de divers organismes de gauche, en faveur de l’indépendance de l’Algérie et contre les agissements de l’O.A.S. (organisation de l’armée secrète). Leny était présent.
Il enveloppe ses colères dans la tendresse. En 1962, c’était l’année de Pour une amourette. Plutôt qu’écrire alors une chanson réaliste avec le bain de sang sous les matraques des groupes d’intervention du préfet Papon, il attend cinq ans pour en faire une chanson « pour », une chanson d’amour, à la manière du Temps des cerises. Farouche mais toujours fleur bleue !

« … On l’appelle à Charonne
Et moi je reste là
Ni Dieu ni la Madone
N’ont plus d’amour que moi
Ça me brûle le coeur
D’une douleur si tendre
Que c’est encore bonheur
Pour moi que de t’attendre
Je t’attends je t’attends
Comme l’oiseau qui mourut
D’attendre le printemps
Où ils s’étaient connus ... »

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Escudero 71, Leny est de retour avec toute une galerie d’amis.

« … Pauvre Diogène, pauvre Diogène
T’as pas fini de tendre le dos
Les tiens ignorent qu’on peut encore
Être libre dans un tonneau
Dans un tonneau … »

A-t-il fait siens les préceptes du philosophe grec Diogène le Sinope, célèbre représentant de l’école cynique, qui ne se gênait pas pour critiquer les grands hommes de son temps, Platon y compris, et préconisait une vie simple, proche de la nature, se contentant d’une jarre pour dormir ?
On rigole avec lui quand Le vieux Jonathan raconte comment il perdit un bras et gagna une médaille en or dans les tranchées.
Il rend hommage à Vincent Van Gogh, son frère :

« … Quand t’as vu ton premier sermon
Tu n’as pas pensé au pardon
Mais tu as pensé à la croix
Qu’on porte la dernière fois
Quand sur tes bras et sur ton dos
Viendront s’abattre les corbeaux
Et c’est comme ça qu’on devient fou ... »

Pour l’écouter, rejoignez mon billet L’Auvers du décor du 1er juin 2011 lorsque j’arpentais le champ aux corbeaux.
Il évoque le temps de l’exil où il fait vivre sa petite soeur en prélevant sa dîme sur le rata d’une base militaire :

« T’en souviens-tu Sarah ?
On n’a pas eu le temps
Lorsqu’on était enfant
De connaître l’enfance
Si le monde était fou
Il n’y avait pas chez nous
De corne d’abondance
Nous rêvions des festins
Dont parlaient les anciens
Jusqu’au jour qui se lève
Mais au petit matin
Devant un bout de pain
Nous regrettions nos rêves

Mais y avait d’l'amour plein la maison
Ça tenait chaud quatre saisons
Un soleil dans la nuit noire
Il brille encore dans ma mémoire
Mais y avait d’l'amour plein la maison
Il y avait mille caresses
Y avait tant de tendresse
Que j’en suis riche
Pour mille vies »

Ce beau disque, empreint de mélancolie, obtient la reconnaissance de la profession avec le grand Prix de l’Académie Charles Cros. Et maintenant qu’il a fait le tour du monde, il remonte enfin sur scène, un peu dans l’indifférence des médias: « Je voyageais, ne vous déplaise, Vous voyagiez? nous en sommes fort aise … ». Qu’importe, peu à peu, un nouveau public rejoint les anciens adolescents qui lui sont restés fidèles.
Après Jean Ferrat et ses adieux au Palais des sports, je compte bien assister aux retrouvailles de Leny Escudero avec son public, à Bobino, sur les pavés du Montparnasse. C’est raté ! Il apparaît seul devant le rideau et, durant de longues minutes, il explique pourquoi, par solidarité avec une grève en faveur des intermittents du spectacle, il renonce à chanter ce soir-là. Malgré la déception et la frustration légitimes, je me souviens qu’il n’y eut aucun mouvement d’humeur de la part d’un public comprenant les engagements qu’il défendait. Sans vouloir cultiver le paradoxe, nous admirons presque autant Leny en cette circonstance, par respect pour les combats qu’il n’a de cesse de mener.
Quelques semaines plus tard, enfin, je peux voir le poète chanter en scène son militantisme contre toutes les formes d’injustice. Brassens ne veut pas mourir pour des idées sinon de mort lente ; Leny, à la même époque, sans que cela soit un écho au viatique de l’ami Georges, clame Vivre pour des idées :

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« … Il m’a serré fort contre lui
«J’ai honte tu sais mon petit
Je me demandais, cette guerre
Pour quelle raison j’irais la faire ?
Mais maintenant je puis le dire :
Pour que tu saches lire et écrire»
J’aurais voulu le retenir
Alors mon père m’a dit : «Mourir
Pour des idées, ça n’est qu’un accident.»
Je sais lire et écrire
Et mon père est vivant. »

Il écrit même très bien, de mieux en mieux même, pour défendre ses idées. « Ça se passe en l’an 3 000 sur terre, notre paradis / Comment c’était fait un arbre ? / C’était en pierre ou bien en marbre ? » Faisons gaffe, il y a quarante ans qu’il a écrit cela et … bientôt la question sera pertinente.

« Mon voisin est mort, je n’l'ai pas connu
Je n’l'ai jamais vu, mon voisin est mort
A part quelques bruits à l’étage en d’ssous
Et des riens du tout, je n’sais rien d’sa vie
C’est drôle l’émotion ! Je n’l'ai pas connu
Et j’ai l’impression de l’avoir perdu
T’es dans l’escalier, tu ne me vois pas
T’es sur le palier, je n’te salue pas ... »

Ça date de 1973 également et pourtant … il y a peu, un de mes voisins fut retrouvé à son domicile, quelques jours après mort, oublié du reste de sa famille !

« Il va mourir le bohémien
Mais, citadins dormez tranquilles !
Sa mort n’est pas sur le chemin
Du centre ville ... »

Ça sort en 1974 et pourtant … aujourd’hui encore, les chemins de l’expulsion mènent aux Roms !

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Je crains que son manifeste de 1974 soit de plus en plus vain même si son symbole l’emporte dans quelques semaines.

« … Que rien ne soit immobile
Dans notre vie de demain
Nos enfants vers l’impossible
Nous montreraient le chemin
Nous montreraient le chemin
Nous montreraient le chemin
Et je voudrais que leurs rêves
Viennent un peu bousculer les miens
Viennent un peu bousculer les miens
Viennent un peu bousculer les miens
Car ils voudront, car ils voudront
La liberté qui leur fait envie
Et ils prendront et ils prendront
Et ils prendront pour changer la vie
Le poing et la rose, la rose et le poing
Le poing et la rose, la rose et le poing. »

Avant que le vingtième siècle ne s’achève, Leny Escudero chante la Liberté (trop souvent bafouée) en reprenant des chants révolutionnaires, pacifistes et engagés qui ont fait l’Histoire. Un florilège d’œuvres immortelles écrites par des auteurs essentiels, j’ai envie de vous en citer quelques-unes : Les canuts d’Aristide Bruant sur la révolte des ouvriers lyonnais tisserands de la soie au dix-neuvième siècle, Le temps des cerises et de la Commune de Jean-Baptiste Clément, La butte rouge de Montehus, triste épisode de la bataille de la Somme durant la première guerre mondiale, L’affiche rouge de Louis Aragon, « Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes / Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants / L’affiche qui semblait une tache de sang / Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles / Y cherchait un effet de peur sur les passants », et aussi Bella Ciao, un chant traditionnel des repiqueuses de riz de la plaine du Pô avec des paroles réécrites pour la lutte antimussolinienne, sans oublier bien évidemment El paso del Ebro, chant anarchiste réactualisé par les soldats républicains lors de la guerre d’Espagne.
Ce n’est pas que Leny soit en panne d’inspiration mais cela correspond bien à l’homme constamment en lutte  pour un monde meilleur, plus juste. D’ailleurs, c’est peut-être l’artiste qui, tout au long de sa carrière, a fait le plus de galas de soutien, des vrais à la porte des usines, hors la présence des médias. C’est également une manière de dire qu’on n’a pas de futur si on ne se rappelle pas le passé.

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Vous voyez que l’ami Leny ne chante vraiment pas pour passer le temps. Et c’est pour cela qu’il me touche tant.
J’ai revu Leny sur scène, un peu par hasard, dans une petite salle proche de chez moi. Ça s’est passé un peu après l’an 2000, les arbres fleurissaient encore … Il était là, tout proche, à quelques mètres de moi, presque statufié devant le micro. Le temps avait blanchi sa crinière et creusé plus encore ses joues, mais avec sa tête de Geronimo, il décochait ses flèches avec la même ferveur que trente ans auparavant. Je ne quittais pas son visage si « vivant », si sincère, qui traduisait intensément toutes ses colères, ses  révoltes, ses peines, quelques espérances peut-être quand même. Bien évidemment, il chanta Pour une amourette. Lorsque, vers la fin de son récital, il demanda ce qu’on souhaitait qu’il interprétât, son public lui réclama, peut-être aussi pour le garder plus longtemps, deux magnifiques chansons fleuves, deux brûlots sur l’église et l’école dans lesquels il exprimait aussi des talents de comédien qu’il révéla d’ailleurs dans plusieurs films..

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« Le professeur m’a dit que j’étais intelligent, mais pas comme il le faudrait, c’est pas d’la bonne intelligence ». Ne culpabilise pas cher Leny, on s’en fout de la date de la bataille de Marignan, c’est un professeur licencié d’histoire qui te l’affirme !
Au contraire même, tes concerts sont des leçons de citoyenneté et de militantisme. Quand on en sort, on se sent plus intelligent, plus fort, enrichi même si le monde que tu exècres nous bouffe à nouveau très vite. Il est temps alors de réécouter tes disques.
Vous avez compris pourquoi, en ce mois de mars, plutôt que de Cloclo, j’ai préféré vous parler de Leny Escudero, un homme chaleureux et un artiste intègre dont la vie et la carrière sont admirablement cohérentes.

« … Pour vaincre l’éphémère
Pour vaincre le néant
M’allonger sur la terre
Et lui faire un enfant
Un enfant sans mémoire
Un qui n’aurait pas peur
Qui prendrait la nuit noire
Pour un bouquet de fleurs
Pour un bouquet de fleurs
Puis reviendrait sur la terre pour sa dernière escale
Et là deviendrait femme le ventre mis à nu
Balaierait de la main temples et cathédrales
Remettant à genoux les dieux non advenus
Et dirait je reviens pour donner à la terre
Un enfant qui veut vivre qui veut vivre debout
Le droit divin est mort il est comme ses frères
Celui-ci aimera la planète des fous. »

« C’est peut-être pour demain, qu’est-ce que ça s’ra chouette »! Merci à cette belle âme de France et de Navarre !

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(*) Le titre du billet est un clin d’œil à El paso del Ebro, le chant repris par les soldats républicains lors de la guerre d’Espagne

Publié dans:Coups de coeur |on 14 mars, 2012 |8 Commentaires »

« Les vaches rient de l’amour »

Dans mon précédent billet, j’avais promis de vous narrer les facéties de quelques vaches gasconnes.
En effet, plutôt que d’arpenter les allées du Salon de l’Agriculture avec le président candidat, j’ai préféré, pour reprendre les termes qu’il employa en des temps plus triomphants, « me casser » en Ariège, à La Bastide du Salat très précisément. C’est là, dans la salle communale de ce modeste village d’environ deux cents âmes, que se déroulait l’événement « agriculturel » du dernier week-end de février : Les vaches rient de l’amour. Alléché par l’affiche meuglant un spectacle musical humoristique qui « veau » le détour, je n’ai donc pas hésité à me rendre au bout du pré commun, ainsi appelle-t-on la jolie promenade bordée de platanes au centre du village.

Macarel ! C’est l’équivalent occitan de Cré vingt dieux ! Le hasard fait bien les choses, ce même jour, un vieux programme jauni déniché dans une armoire familiale me révèle que La Bastide du Salat possède une tradition artistique qui remonte à soixante-dix ans. En effet, je vous en fournis la preuve, furent organisées en septembre 1942, dans une grange de la ruelle dite du Font de la Vielle, deux séances artistiques au profit des prisonniers de guerre de la commune.

DSC_2760-programmerectoblog dans Coups de coeur

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Sans vouloir réveiller de « vieilles querelles d’allemands », je note qu’au final, un choeur entonnait Maréchal nous voilà, ce que ne devaient guère goûter les quelques maquisards de la maison d’Isert perdue dans les collines boisées.
J’aurais aimé entendre  L’Anglais tel qu’on le parle de Tristan Bernard avec l’accent aussi rocailleux que le lit du Salat, cela devait valoir son pesant de haricots tarbais. Plus « acadabrantesque » encore, pour parodier un illustre président corrézien qui aimait caresser justement le cul des vaches lors des salons de l’agriculture, je découvre que j’appartiens, certes par alliance, à une lignée de comédiens. Ainsi, mon regretté beau-père interprétait un acte en patois écrit par l’abbé Castet, de quoi en perdre son latin, tandis qu’une tante et ma belle-mère postulaient pour la place de cuisinière de Madame Petipeton, une comédie de Lina Roth datant des années 1930. Vous ignorez sans doute que Lina Roth, institutrice et musicienne, contribua au développement de l’usage du pipeau en milieu scolaire et que, y a t-il un lien trivial, parmi les nombreuses saynètes qu’elle écrivit, figure Popaul est méconnu : monologue pour petit garçon. Argument de la pièce, dans la cour de récréation, l’enfant héros, coiffé d’un béret d’où sortent en avant deux brindilles de bois figurant des cornes, mime … une vache !
Habile transition, vous conviendrez, pour aller voir les comédiens qui arrivent. Ils ont installé leurs tréteaux, ils ont dressé leur estrade et tendu des calicots dans la salle qui sert en période scolaire de préau et de gymnase aux élèves de la classe unique. Loin de tout artifice, ils vont là où ils touchent les gens en plein cœur pour partager avec eux leur plaisir de chanter, de communiquer et d’offrir leur passion. Ils s’adaptent avec beaucoup de souplesse aux lieux qu’ils soient équipés ou non. Ainsi, cet été, ils ont joué en plein air sur la place Saint Salvi d’Albi et récemment, ils ont investi pendant une dizaine de soirées, le théâtre de la Violette à Toulouse. Ce soir, c’est stabulation libre : pas de fauteuils d’orchestre, ni balcons, ni loges, chacun y compris le conseiller général prend sa chaise pour se placer où il souhaite !
C’est une sorte de retour aux sources, comme une survivance du théâtre ambulant d’autrefois … avant que, selon la conception de Patrick Le Lay ancien PDG de TF1, « la télévision ne vende à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible ». Ce soir, c’est du vrai bon lait cru avec la peau en surface quand il bout, que nous offrent les médias locaux Radio Pâturage et TV Pâturage à l’occasion de leur émission hebdomadaire L’amour, pour le meilleur et pour le pis !
De vaches, autant vous le dire tout de suite, il n’y en a plus guère au village sinon le trio à cornes que, juché sur son vélo, Marcel Millet mène à l’herbage chaque matin. Il y a, par contre, ce soir, un duo d’artistes avec du talent à revendre pour chanter tout haut, de manière décalée, ce que beaucoup pensent tout bas sur les tribulations de la vie conjugale, bref sur les vacheries de l’amour. L’une joue à domicile, en effet, Patricia Damien habite le village depuis plus d’une décennie. Elle y anime son p’tit atelier de la chanson destiné à nous tous, les chanteurs de salle de bain. « Jetez-vous à l’eau ! Pas dans la Seine mais sur la scène ! » tel est son credo quand elle ne se produit pas elle-même en récital. Je me souviens notamment de son excellent hommage à la longue dame brune, Chapeau bas et merci Barbara.
Denis Rolland est son partenaire. Un faux air, avec quelques centimètres en plus, de Jean-Paul Roulland, le désopilant animateur de La caméra cachée émission mythique de la télé de papa, il a roulé sa bosse sur de nombreuses tournées et, notamment, au festival d’Avignon. Lui aussi, quand il n’est pas sur les planches, il participe comme premier adjoint à la vie de sa commune de l’Oise.
Point de départ du spectacle, l’assistance regarde un vieux poste TSF. Ne vous moquez pas, j’ai connu ce temps où la famille en cercle regardait la radio ! Je me souviens de ces dimanches après-midi où mon père et moi « assistions » à la radiodiffusion des matches de football dans l’émission Sports et Musique. Bruno Delaye, un bouillant reporter azuréen au savoureux accent, précisait au coup d’envoi : « L’Olympique de Marseille attaque vers la droite de votre poste ! », pour nous aider à visualiser l’événement comme si nous étions en tribune présidentielle.
Ce soir, l’herbe grasse des prairies remplace la pelouse du terrain. Radio Pâturage accueille dans ses studios, Josiane Colin, auteur d’un traité en « sociocouplologie » intitulé Les vaches rient de l’amour. En ce début de siècle où le divorce est bien l’une des rares choses qui ne connaissent pas la crise, on peut espérer que l’invitée éclaire notre lanterne.
En guise de quoi, la salle plonge dans l’obscurité ! Ouf, la panne est volontaire, il paraît que les idylles amoureuses se nouent dans la pénombre complice des boîtes de nuit. Ambiance disco, flashes de couleurs, stroboscopes et même nuages de fumée : c’est la fièvre (aphteuse ?) du samedi soir ! Sur la piste, notre couple d’artistes chante et danse au rythme de leur indécision : Tu veux ou tu veux pas ?
Souvenirs, souvenirs, année 1970, Marcel Zanini, bob sur la tête, adapte un succès brésilien pour en faire un tube avec Brigitte Bardot. Un jour, je le vis dans son auto arrêtée à un feu rouge sur les Champs-Élysées … et les passants de l’apostropher « Tu veux ou tu veux pas ? » Le pauvre, on a dû lui infliger cette plaisanterie des milliers de fois ! Il faut savoir sinon que Marcel est un grand musicien de jazz et qu’à ce titre, il a  soufflé dans sa clarinette, plusieurs fois, au café des Illustres à Saint-Girons.

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En tout cas, nos deux tourtereaux n’ont pas trop l’air de savoir ce qu’ils veulent, à moins qu’au contraire, ils fassent preuve de maturité et réflexion en vertu du bon principe de tourner sept fois la langue dans sa bouche (et même plus si affinités) avant de se décider. Je ne me prononce pas sauf que j’adore la langue de bœuf sauce piquante avec de la purée.

« J’avoue j’en ai bavé, pas vous ?
Mon amour
Avant d’avoir eu vent de vous
Mon amour
Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise
Nous nous aimions
Le temps d’une chanson ... »

Les baisers baveux pourraient devenir légèrement graveleux quoique l’ami Gainsbarre n’a jamais fui les extravagances, la pauvre Whitney Houston, récemment disparue, en fut victime.
Mais c’est une qualité du spectacle que de respecter l’émotion, la sensibilité et l’humour des chansons, l’effet comique étant obtenu par le ton ou la mise en scène qui prend alors le texte à contre-pied. Ainsi, ne vous déplaise, je me retrouve vite bercé par La Javanaise, pas vous ? une chanson écrite par Gainsbourg pour Juliette Gréco après avoir passé la soirée chez elle.
Pour étayer sa thèse, l’éminente « conjugologue » invite maintenant son grand-père à évoquer Hortense, une de ses premières amourettes, en conjuguant le verbe plaire au passé simple :

« …Je lui plus, elle me plut
On se plut, nous nous plûmes
Avec rage, sans partage
Nous nous p’lures d’oignons
Je lui plus, elle me plut
On se plut, nous nous plûmes
Un nid d’ plumes sans costume
Et aïe donc, Cupidon! ... »

Et aie, donc, aussi l’orthographe, le passé a beau être simple, il est parfois compliqué !
Comme ce soir, le grand-père époussetant son uniforme, Marie-Paule Belle, dans les années 1970, dépoussiéra cette célèbre chanson écrite en 1902 par Georges Sibre et composée par Fragson, un grand monsieur du music-hall des années 1900.

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Au moins par la tenue militaire du comédien, nous retrouvons là le comique troupier, un genre très populaire avant la guerre 14-18 quand la France, essentiellement rurale, envoyait ses enfants effectuer deux ou trois ans de service militaire. Les artistes de café-concert, généralement habillés de vêtements militaires, interprétaient des sketches ou des chansons parodiques liés à la vie du soldat. L’ami Bidasse et Je n’suis pas bien portant ( « J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit … ») sont des chansons emblématiques du genre.

« … Quand j’étais d’ sortie l’ dimanche à Saint-Cloud
Dans l’ bois, toute la journée entière
On s’ mordait les pieds, on s’ griffait les genoux
On jouait à cracher en l’air
Pis quand venait le soir, ayant tout dépensé
On revenait à pied par la barrière
Et j’soupirais « Puisque t’es plumassière
Allons nous plumarder » ... »

François Cavanna qui décrivit magnifiquement le Nogent-sur Marne de son enfance dans son livre Les Ritals, définit avec sa langue fleurie, la plumassière comme « une malheureuse vouée par la misère au tri de la plume, celles qu’on arrachait au cul des autruches et d’autres prestigieux volatiles pour les replanter dans celui des danseuses des Folies Bergère ou sur le chapeau des courtisanes hautement cotées qui faisaient le tour du bois de Boulogne en calèche avec deux laquais derrière et ruinaient des banquiers. »

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L’actualité rattrape la fiction, au pays des guinguettes et du p’tit vin blanc. En effet, le maire de Nogent a décidé d’ériger une statue pour rendre hommage aux plumassières qui travaillaient dans une ancienne usine de plumes de la ville. Cavanna s’est étranglé quand il a appris que la plumassière inconnue aurait les traits de Carla, la première dame de France !
Pendant ce temps, pour le rival de celui qui « plumarde » avec elle, comme pour nous ce soir, l’amour est dans le pré …

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… Et au bois de Boulogne, car le papy ne s’est pas contenté d’Hortense, il a dragué Félicie aussi ! Fernandel immortalisa cette chanson aux paroles pour le moins faciles. Il lui suffisait de hocher la tête en fermant les yeux à la fin de chaque couplet tandis que les spectateurs reprenaient en chœur le célèbre leitmotiv. Du grand art !
On peut sans doute expliquer le succès de ce type de chanson par l’atmosphère dramatique qui pesa sur notre pays pendant huit décennies, avec la guerre de 1870, la grande guerre de 1914-1918, la grande crise économique de 1929 et la seconde guerre mondiale de 1939-1945. La population ne s’est jamais tue durant cette période. Elle continua à chanter pour survivre, pour rire quand même, pour pleurer aussi, pour lutter, pour résister, pour se donner du courage, pour attendre, pour espérer.
Comme un symbole de la tragédie côtoyant le plaisir, Casimir Oberfeld, le compositeur de cette chanson pour rire, ne savoura guère son succès : quatre ans après sa sortie, il fut déporté par le convoi n° 63 au départ de Drancy en décembre 1943 et mourut en janvier 1945 au camp d’Auschwitz.

« … Afin d’séduire la petite chatte
Je l’emmenai dîner chez Chartier
Comme elle est fine et délicate
Elle prit un pied d’cochon grillé
Et pendant qu’elle mangeait le sien
J’lui fit du pied avec le mien
J’pris un homard sauce tomates
Il avait du poil aux pattes
Félicie aussi ... »

J’échange un sourire complice avec ma compagne. Je l’avais déjà séduite, il y a une trentaine d’années, quand ses parents, les paysans de la ferme située en face du lieu du spectacle de ce soir, nous rendirent visite à Paris. Nous les invitâmes justement dans le décor Belle Époque de chez Chartier, le célèbre bouillon installé dans un ancien hall de gare, à proximité des grands boulevards. Quelle ne fut pas notre hilarité de voir le beau-père commander un pied de cochon grillé, lui qui les jetait systématiquement lorsqu’il tuait le cochon à la ferme ! Les mystères de Paris …

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Je tends l’oreille, voici que maintenant, les deux comédiens parlent de mon neveu, car, en effet, c’est ainsi, le maire de la commune est mon beau-frère !

« ... Le fils du maire de mon pays
Oui oui oui oui
N’est pas l’plus bête du canton
Non, non, non, non
Seules les mauvaises langues dit-on
Prétendent qu’il a l’air d’un…
Ouvre la fenêtre qu’on respire un peu
Qu’il a l’air d’un orgueilleux
Toutes les filles en pincent pour lui
Oui oui oui oui
Mais il n’est pas polisson
Non non non non
Et sans être un cénobite
Il n’a qu’une toute petite…
Ouvre la fenêtre qu’on respire un peu
Une petite môme aux yeux bleus ... »

Affirmation gratuite ! Nous touchons, cette fois, au registre des chansons polissonnes ou friponnes. Ne cherchez pas de gros mots, à la différence des chansons paillardes ou crues, les rimes trop osées s’envolent par la fenêtre ouverte !
Je vous en ressers une rasade en guise d’hommage à Gérard Rinaldi, décédé la semaine dernière, le chef de la bande des Charlots qui popularisa de nouveau le succès de Georges Milton dans les années 1970 :

« … Sitôt arrivés chez lui
Oui oui oui oui
Ils n’eurent plus d’hésitation
Non non non non
Comme il l’embrassait dans l’cou
Elle lui dit tirons un…
Ouvre la fenêtre fait d’plus en plus chaud
Tirons un peu les rideaux ... »

Ne jouez pas les dédaigneux, je suis sûr que vous souriez.
Et puis, c’est toute la qualité du spectacle et des comédiens que de conjuguer l’amour et ses vacheries à tous les modes. Après le burlesque légèrement coquin, notre duo emmêle avec tendresse les couplets de Jacques Brel et de Vincent Scotto pour conter ses déceptions notoires.

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Patricia attend son « beau jeune homme gentil comme tout », un bouquet de réséda à la main, entre l’Opéra et la Madeleine ; Denis attend désespérément Madeleine, avec un bouquet de lilas, pour aller manger des frites chez Eugène. Dans l’histoire évoquée ce soir, il semblerait que la jeune fille connut tout de même un bonheur furtif : « Dans la folie d’un quart d’heure / Il a chahuté ma fleur ! Oh Eugène !!! » Toute ressemblance avec le propriétaire de la friterie bruxelloise est une pure coïncidence !
Brel finit par offrir des bonbons bien que les fleurs soient plus présentables ! Brassens reconnaissait qu’il avait l’air d’un con avec son bouquet de fleurs devant Marinette. L’ami Georges apportera son témoignage plus tard dans la soirée :

« Misogynie à part, le sage avait raison
Il y a les emmerdant’s, on en trouve à foison
En foule elles se pressent
Il y a les emmerdeus’s, un peu plus raffinées
Et puis, très nettement au-dessus du panier
Y a les emmerderesses
La mienne, à elle seul’, sur tout’s surenchérit
Ell’ relève à la fois des trois catégories
Véritable prodige
Emmerdante, emmerdeuse, emmerderesse itou
Elle passe, ell’ dépasse, elle surpasse tout
Ell’ m’emmerde, vous dis-je … »

« Il y a trois sortes de femmes, les emmerdeuses, les emmerdantes et les emmerderesses », Brassens a emprunté là à son compatriote sétois Paul Valéry. Consensuel, il châtia aussi volontiers la gente masculine :

« … J’entends aller de bon train les commentaires
De ceux qui font des châteaux à Cythère
« C’est parce que tu n’es qu’un malhabile, un maladroit
Qu’elle conserve toujours son sang-froid »
Peut-être, mais les assauts vous pèsent
De ces petits m’as-tu-vu-quand-je-baise
Mesdam’s, en vous laissant manger le plaisir sur le dos
Chantez in petto
Quatre-vingt-quinze fois sur cent
La femme s’emmerde en baisant
Qu’elle le taise ou qu’elle le confesse
C’est pas tous les jours qu’on lui déride les fesses
Les pauvres bougres convaincus
Du contraire sont des cocus
A l’heure de l’?uvre de chair
Elle est souvent triste, peu chère
S’il n’entend le coeur qui bat
Le corps non plus ne bronche pas . »

Brassens adorait la chanson paillarde. C’est un plaisir de potache qui ne le quitta jamais. Et pour illustrer le propos plus au fond, voici le début d’une de ses chansons posthumes :

« La lune s’attristait. On comprend sa tristesse
On tapait plus dedans.Elle se demandait quand est-ce
Qu’on va se rappeler de m’enculer.
Dans mon affreux jargon carence inexplicable
Brillait par son absence un des pires vocables
C’est « enculé ». Lacune comblée ... »

En effet, l’expression fleurit désormais dans les stades de football à chaque dégagement du gardien de but de l’équipe adverse !
Ce n’est pas l’envie qui me manque de narrer dans le menu détail la jubilation des vaches devant notre vie sentimentale chaotique : au total, dix-neuf chansons enchaînées allègrement d’une seule traite, une vraie chevauchée des Wachkyrie !

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Nous avons même droit à un petit voyage en amoureux sous les tropiques :

« L’amour ce fruit défendu vous est donc inconnu
Ah ! Cela se peut-il joli petit bourgeon d’avril
Non je ne l’ai jamais vu, jamais vu ni connu
Mais mon cur ingénu veut rattraper
Vois-tu tout le temps perdu
Ah ! rien ne vaut pour s’aimer les grands palétuviers,
Chère petite chose
Ah ! Sous les palétuviers, je vous sens frétiller,
Je veux bien essayer

Ah ! Viens sous les pa..
Je viens de ce pas et je vais pas à pas
Ah ! Suis-moi veux-tu !
Je n’suis pas vêtue sous les grands palétus
Viens sans sourciller,
Allons gazouiller sous les palétuviers
Ah oui ! Sous les pa pa pa pa, les pa pa les tu tu
Sous les palétuviers
Ah ! Je te veux sous les pas, je te veux sous les lé,
Les palétuviers roses
Aimons-nous sous les patus, prends-moi sous
Les laitues, aimons-nous sous l’évier … »

Quel exotisme et quel érotisme torride ! Cela ne me rajeunit pas, je me souviens avoir vu dans mon enfance, Pauline Carton, la créatrice de ce grand succès, l’interpréter encore à la télévision. C’était alors une alerte septuagénaire, quoi qu’elle s’en défendît : « Quand j’étais jeune, j’avais le visage lisse et des robes plissées, maintenant, c’est le contraire ! »
Les palétuviers appartient à ce type de chansons fort prisées autrefois, réclamant une certaine virtuosité et vélocité dans la diction et l’articulation. Quelques vedettes actuelles devraient s’en inspirer. Est-ce le déclin inexorable dû à l’âge, j’ai parfois quelques difficultés à saisir leurs textes bien qu’elles soient équipées de micros.
On ne peut pas reprocher ce défaut à Bourvil car dans le tango Pour sûr, l’incompréhension entre le grand-père et la grand-mère, il a enfin trouvé l’âme sœur, viendrait de ce qu’elle est sourde.

« J’ai vu tes yeux de braise
Au pied d’une meule de foin.
Tu revenais des fraises
Et moi d’l’herbe aux lapins.
Je t’ai dis « il fait chaud ».
Tu m’répondis « Pour sûr ».
Tu m’en avais dit trop.
Ça m’a fait une morsure.

Pour sûr
Elle: Qu’est-ce que tu dis?
J’t’ai pas offert de fleurs,
Pour sûr
Elle: Qu’est-ce que tu dis?
Mais j’t’ai montré mon cœur.
Tu l’as pris dans tes p’tites mains légères
Comme un p’tit papillon de bruyère ... »

Pour être tout à fait exact, la mamie, du genre écolo, opère plutôt un tri sélectif dans les raisons fournies par le papy pour justifier sa frivolité. D’ailleurs, clin d’œil à l’actualité présidentielle, le « vieux » brandit même une pancarte avec un portrait d’Éva Joly, en réaction peut-être aux allégations méprisantes et méprisables de Nadine Morano : « Le problème d’image d’Éva Joly ne vient pas que de son accent, c’est aussi physique ».
J’ai consacré un billet à l’immense artiste que fut Bourvil (voir article du 8 décembre 2010). En souvenir de ses origines normandes ou de ses farces paysannes, quelques vaches miniatures déposées par un admirateur paissent sur sa tombe. Qui sait si elles ne rient pas de l’inénarrable parodie du Je t’aime moi non plus de Gainsbourg, qu’il enregistra peu avant sa mort avec Jacqueline Maillan.

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En raison des progrès de la technologie dans le domaine de l’audiovisuel, Télé-Pâturage a succédé à la radio. Et quelle n’est pas ma surprise quand apparaît sur le petit écran Robert Chaumeton, un Bastidien pur jus, dans le rôle du maire de Belbèze, vrai petit village de Haute-Garonne, à trois lieues de là. Dans le cadre du comice agricole, il proclame ce soir le palmarès des meilleurs taureaux reproducteurs de l’année jugés sur le nombre de saillies journalières.
Quand il n’est pas sur les planches ou dans les étranges lucarnes, l’ami Robert coule une paisible retraite à La Bastide. Ancien cuisinier, il a longtemps mijoté les haricots de la mounjetado, le repas communal de la fête locale. Un critique culinaire réhabilitait récemment le cassoulet considéré autrefois comme un plat républicain. Longtemps, on surnomma même gauche cassoulet, la gauche du Sud-Ouest de tradition radicale socialiste, avant que n’apparaisse une gauche caviar.
À ce moment du spectacle, mon choix est arrêté, je vote pour Les vaches rient de l’amour, un vrai programme républicain, rassembleur, préparé avec des chansons qui sentent bon la douce France et même la Nouvelle-France puisque Les souliers verts de la québécoise Lynda Lemay illustrent avec humour l’infidélité :

« Ça faisait deux petits mois d’amour
Qu’on s’connaissait
Pas un seul accroc dans l’parcours
C’était parfait
On a fini par s’faire l’amour
On a choisi notre moment
On était mûrs, on était sûrs
De nos moindre petits sentiments
J’étais sceptique, j’étais peureuse
T’as mis deux mois
À remettre ma confiance boiteuse
En bon état
J’avais baissé mon bouclier
Cessé de nous prédire une guerre
J’étais en train d’emménager
Lorsque j’ai vu… les souliers verts
Des souliers verts à talons hauts
Dans la garde-robe
Une paire de souliers verts
Aussi suspects qu’ignobles
J’les ai r’gardés droit dans les semelles
Quand ils m’ont sauté dans la face
Et ça puait la maudite femelle
Qui a dû les porter rien qu’en masse … »

La morale du spectacle, ce pourrait être La faute à Ève, non pas la première adjointe du village, mais la mère de l’humanité qu’évoque avec humour Anne Sylvestre, une talentueuse artiste très injustement oubliée par les médias :

« D’abord elle a goûté la pomme,
Même que ce n’était pas bon.
Y avait rien d’autre, alors en somme
Elle a eu raison, eh bien, non?
Ça l’a pourtant arrangé, l’homme,
C’était pas lui qui l’avait fait.
N’empêche, il l’a bouffée, la pomme,
Jusqu’au trognon et vite fait.
Oui, mais c’est la faute à Eve.
Il n’a rien fait, lui, Adam ... »

Ne vous désolez pas chères lectrices, ce n’est pas irrémédiable, il y a une solution :

« … Mais si c’est la faute à Eve,
Comme le bon Dieu l’a dit,
Moi, je vais me mettre en grève,
J’irai pas au paradis.
Non, mais qu’est-ce qu’Il s’imagine?
J’irai en enfer tout droit.
Le bon Dieu est misogyne,
Mais le diable, il ne l’est pas,
Ah! »

Le mot de la fin appartient au répertoire d’Édith Piaf :

« A quoi ça sert l’amour?
On raconte toujours
Des histoires insensées.
A quoi ça sert d’aimer?

L’amour ne s’explique pas!
C’est une chose comme ça
Qui vient on ne sait d’où
Et vous prend tout à coup.

L’amour ça sert à quoi?
A nous donner d’la joie
Avec des larmes aux yeux
C’est triste et merveilleux! ... »

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Un peu finalement comme le réjouissant spectacle présenté par la Compagnie Rendez-vous : il sert à nous procurer beaucoup de joie, de la tendresse, de l’émotion, un brin de nostalgie aussi à la pensée de souvenirs ravivés et de grands artistes disparus.
À cause d’ours slovènes mal léchés qui sèment la panique dans les troupeaux ariégeois, plusieurs manifestations autour de la transhumance sont d’ores et déjà annulées. Les vaches de La Bastide envisagent, elles aussi, d’aller paître et rire vers des estives plus accueillantes. Sont-elles folles, elles ruminent même le projet de danser sur le pont d’Avignon à l’époque du festival off.
Organisateurs maquignons de spectacles artistiques, vous ne le regretterez pas, accueillez-les à la bonne franquette ; elles ne sont pas bégueules et, sur l’herbe grasse d’un pré commun comme sur le plancher (des vaches ?) de vos scènes de théâtre, elles riront de nous, avec vous et pour vous. Meuuuuuh oui !
En traversant la rue pour rejoindre la ferme familiale, au pied de la montagne pyrénéenne, voilà que surgit (en ma mémoire) le taureau de Bilbao, un succès de Georges Milton et Georgette Plana :

« C’est au pied d’une grande montagne
Que paissait en Espagne
Un grand troupeau de bœufs
Et ces bœufs avaient comme compagne
Arrivant de Bretagne
Une vache aux grands yeux
On entend dire partout
Que les bœufs n’ont pas de goût
Cela ne tient pas debout
Car ceux-là n’en manquaient pas du tout
C’est à qui d’ ces ruminants
Etait le plus prévenant
Avec un air plein d’innocence
Ils la contemplaient en silence

Tous les bœufs, tous les bœufs
Tous les bœufs, tous les bœufs
Tous les bœufs aimaient la vache
Mais la vache, ah ! la vache !
Elle n’en aimait aucun d’eux
Quand les bœufs, quand les bœufs
Quand les bœufs, quand les bœufs
Quand les bœufs d’une jolie vache
S’amourachent, s’amourachent
Ça n’est pas très dangereux,
Elle aimait un taureau
Qu’elle avait vu à Bilbao
Au marché aux bestiaux
Oh ! ce taureau, qu’il était beau !
Avec ses jolies cornes en crocs
Il avait un anneau
Un bel anneau dans les naseaux
Un joli p’tit museau
Il était rond, il était gros
C’était un beau taureau costaud
Et elle rêvait, la vache,
Nuit et jour du taureau

Mais la vache qui manquait d’expérience
Dit avec imprudence
Qu’elle aimait un taureau
L’un des bœufs dit : C’ taureau, ma chérie
Fait toutes sortes de vacheries
C’ n’est pas l’ mâle qu’il vous faut
Puis, il dit : Confidentiel
Mais c’est un professionnel
Il se fait payer d’ailleurs
Toutes les fois qu’il accorde ses faveurs
Et puis, ce qui est bien pis
Chaque jour, de pis en pis
Il va comme ça, de vache en vache
Mais à aucune il ne s’attache

Tous les bœufs, tous les bœufs
Tous les bœufs, tous les bœufs
Le débinaient à la vache
Et la vache, ah ! la vache !
Elle avait les larmes aux yeux
Tous les bœufs, tous les bœufs
Tous les bœufs, tous les bœufs
Tous les bœufs voulaient qu’ la vache
Se détache, se détache
De ce gros taureau vicieux
Ils disaient du taureau :
C’est lui la cause de tous nos maux,
Mettant tout sur son dos
Lui attribuant de tels propos
Que la vache pleurait comme un veau !
Mais le jour des Rameaux
On la ram’na à Bilbao
Au marché aux bestiaux
Et son cœur battit aussitôt
Qu’elle aperçut le beau taureau
Car, malgré tout ça, la vache
Adorait le taureau

Ce jour-là, pour elle, quelle chance !
On les mit en présence
Le taureau fut galant
Il lui dit : Mais vous êtes jolie
Je passerais bien ma vie
Avec vous, mon enfant
Elle répondit : Vous riez
Vous faites un trop sale métier
Et puis, on m’a dit d’ailleurs :
Ce taureau, mais il n’a aucun cœur
Alors, le taureau, furieux
Dit en faisant les gros yeux :
Ce sont les bœufs, réponds de suite,
Qui t’ont dit ça ? Oui, fit la p’tite

Tous les bœufs, tous les bœufs
Tous les bœufs, tous les bœufs
Dit le taureau à la vache
Si j’ me fâche, si j’ me fâche !
J’ vais en faire du pot-au-feu
Mais les bœufs, mais les bœufs
Mais les bœufs, mais les bœufs
S’enfuirent tous comme des lâches
Et la vache, ah ! la vache !
En riant se moqua d’eux
Puis, doucement, le taureau
Très sagement, lui dit ces mots :
Si je change de boulot
Je s’rais forcé, vois-tu, coco
D’en faire un autre moins rigolo
Tu comprends, mon trésor
Pour moi, ce s’rait l’ toréador
Et l’affreuse mise à mort
Alors, elle, sans hésitation
Lui fit garder sa profession
Et d’puis des années, la vache
Tous les ans, a un veau »

Vachement rigolo, non ? C’est ce qu’on appelle probablement l’amour vache ! Comme quoi, les vaches ont leurs propres problèmes existentiels.

30 juin 2012 à 20h30 : LES VACHES RIENT DE L’AMOUR au Théâtre Geoffroy Martel à Saintes (17)

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Publié dans:Coups de coeur |on 7 mars, 2012 |3 Commentaires »

Silence, on tourne ! … et on lit !

MEURTRE AU CINÉMA FORAIN de Renée Bonneau éditions Nouveau Monde
UNE ANNÉE STUDIEUSE d’Anne Wiazemsky éditions Gallimard

Ce siècle avait deux ans, Émile Loubet remplaçait Félix Faure qui, à défaut d’être César, n’avait été que Pompée … par sa maîtresse Marguerite Steinheil ! Petit pastiche érotico-historique de Victor Hugo pour vous signifier que nous sommes en juin 1902 lorsque commence Meurtre au cinéma forain, le nouveau polar de Renée Bonneau.

Silence, on tourne ! ... et on lit ! dans Coups de coeur Meurtreaucinemaforaincouverture

En sous-titrant son livre Sur les pas de Méliès, l’auteure (grrr, je n’aime pas, mon correcteur orthographique numérique non plus, la féminisation de certaines professions !) nous emmène pour sa nouvelle enquête au temps où « Méliès, prestidigitateur, met le cinématographe dans un chapeau pour en faire sortir le cinéma », une « image » du sociologue Edgar Morin citée en préambule.
Curieusement, je me retrouve en pays de connaissance. Anachronisme ? À bien y réfléchir, pas tant que cela car l’actualité récente m’y invite. En effet, dans son dernier film, Hugo Cabret, le réalisateur Martin Scorsese imagine la rencontre de son jeune héros avec Georges Méliès, un vieux monsieur tenant une boutique de jouets. Ces jours-ci, les médias n’en ont que pour le triomphe hollywoodien de Jean Dujardin et de The Artist, un hommage aux films muets en noir et blanc.
Raison plus intime, ma grand-mère paternelle, ma merveilleuse mémé Léontine (voir billets du 20 janvier 2008 et 14 février 2008) eut souvent l’occasion de m’évoquer ce temps-là avant de souffler ses cent bougies. Elle avait quatorze ans quand la bande à (Renée) Bonneau commence ses frasques.
C’est l’époque où sévissent les apaches, ainsi appelle-t-on les voyous des quartiers populaires de la capitale. Justement, quelques mois plus tôt, en janvier 1902, du côté de la rue de Bagnolet, un certain Manda de la bande des Orteaux a poignardé Félix Leca, chef du clan des Popincourt, pour les beaux yeux d’Amélie Hélie, une prostituée surnommée Casque d’or à cause de sa chevelure éblouissante. Cela vous dit bien évidemment quelque chose mais pour l’instant, ce n’est pas du cinéma. Nous sommes au premier jour du procès de Manda et une foule dense fait la queue devant les grilles du Palais de Justice pour écouter le témoignage de la jeune femme à la barre. Les deux rivaux seront envoyés au bagne à Cayenne.
Cinquante ans plus tard, grâce à Jacques Becker, le trio Manda, Leca et Hélie, renaîtra sous les traits de Serge Reggiani, Claude Dauphin et Simone Signoret :

« … Au ciné de mon quartier
On peut voir depuis avant-hier
Comment meurt en blanc et noir
Un homme qui a jamais vu la mer
Quand tombe la guillotine
Sur le cou de Manda
Il s’appelait Manda
C’est l’amour qu’on assassine
Et la valse repasse
Et le film se termine
Un menuisier dansait
Et la fille l’aimait
Et cette valse-là
Une femme dans mes bras
La dansait comme personne
Et c’était toi Simone. »

Serge Reggiani évoqua, à travers cette chanson nostalgique, ce film culte dont l’issue est beaucoup plus tragique que dans le fait divers réel. Souvenez-vous, Manda est guillotiné en présence de Casque d’or dans les yeux de laquelle, pour l’inoubliable séquence de fin, ressurgit l’heureux temps des cerises lorsque, sous la tonnelle de la guinguette, les deux amants valsaient tendrement. Comme le gai rossignol et le merle moqueur, nous n’avions plus le cœur en fête.
Jusqu’à sa mort, Reggiani milita pour qu’on préserve de la folie des promoteurs immobiliers, le petit jardin du 44 rue des Cascades, dans le quartier de Belleville, où furent tournées quelques scènes du film.
Je m’égare mais c’est justement une qualité du roman que de faire divaguer l’esprit du lecteur.
Et comme un dicton dit qu’en France, tout commence (ou finit) par des chansons, voilà que Maurice Chevalier se radine avec sa voix gouailleuse :

« Dès que les beaux jours reviennent
Dans les faubourgs ouvriers
À la fin de la semaine
On aime à s’égayer
Par l’av’nue d’la Grande-Armée
On s’en allait autrefois
Sur la route illuminée
Du côté du Bois
Pour les faubourgs
Ah! Quel grand jour!
C’était sam’di
Fête à Neuilly!
Viv’ment qu’a r’vienne
La fête à Neu-Neu!
Qu’on finiss’ la s’maine
En rigolant un peu ... »

Depuis 1815, née d’un décret impérial de Napoléon 1er, la fête à Neu-Neu draine, durant trois semaines en juin et juillet, la populace vers le quartier riche et résidentiel situé entre la porte Maillot et le pont de Neuilly. La grande avenue dont la perspective est aujourd’hui barrée par les tours du quartier de la Défense, est envahie alors de manèges pour les enfants ou à sensations fortes, de montagnes russes, de stands de tirs, de loteries, de ménageries, d’attractions comme les lutteurs de foires, les tableaux vivants et les musées anatomiques. Qui sait si on n’exhibe pas encore dans ces derniers, des « sauvages » semblables à ceux qui font l’objet d’une incroyable exposition actuellement au musée du quai Branly.
Sous prétexte de l’élargissement de l’artère, la fête sera supprimée en 1936. Elle a été réorganisée, depuis quelques années, non loin de là, sous les frondaisons du bois de Boulogne. Est-ce parce que les Neuilléens sympathisants du petit Napo de l’Élysée estiment l’apocope trop ringarde, la fête à Neu-Neu a été rebaptisée fête au bois en 2008 !
En tout cas, en juin 1902, elle bat son plein. Tiens, on y rencontre encore Casque d’or qui semble avoir déjà surmonté sa déception amoureuse. On y retrouve aussi, en cage avec deux lions, Louise Weber plus célèbre sous le pseudonyme de La Goulue. Vous ne pouvez pas ne pas la connaître tant sa silhouette croquée par Auguste Renoir et Toulouse-Lautrec apparaît toujours omniprésente sur les présentoirs des boutiques de souvenirs de la capitale. Elle symbolise l’âge d’or du Moulin Rouge et de la danse du French Cancan. Ayant acquis gloire et richesse, elle quitte le cabaret de Montmartre pour se mettre à son compte comme dompteuse dans les fêtes foraines.
Mais les badauds accourent surtout pour la nouvelle attraction à la mode, le cinématographe sous chapiteau. Certes, les frères Lumière ont inventé le cinéma sept ans plus tôt mais les spectateurs, vite blasés, n’ont même plus peur devant l’entrée du train en gare de La Ciotat et se lassent déjà de scènes de la vie quotidienne comme L’arroseur arrosé. Et alors ? Georges Méliès arrive pour les faire rêver avec plein d’idées de fictions en tête, nées notamment d’un incident lors du tournage d’une scène avec un omnibus sur les grands boulevards. La manivelle s’étant bloquée pendant une minute à la prise de vue, Méliès constate lors du visionnage qu’un corbillard s’est substitué au bus.
Il aménage son « atelier de pose », le premier studio de cinéma en France, sous une immense verrière, dans le jardin de sa propriété de Montreuil.
« Attention, Bon Dieu ! La nef s’écroule ! » Ainsi commence le roman de Renée Bonneau. Méliès avec ses assistants opérateurs tentent de redresser le décor d’une partie du croisillon sud du chœur de l’abbaye de Westminster. Car Méliès, il faut bien vivre, tourne aussi des actualités. Après la mort de la reine Victoria en janvier 1901, on lui a passé commande de vues animées (on ne dit pas encore film) du couronnement d’Édouard VII. Mais pour des raisons de protocole et d’éclairage insuffisant, le tournage en direct live à Londres est impossible. Qu’à cela ne tienne, Méliès reconstitue la cérémonie chez lui avec un garçon de lavoir du Kremlin-Bicêtre sosie du souverain et une danseuse du Châtelet dans le rôle de la reine ! Deux séquences du film n’existeront pas dans le déroulement réel modifié en dernière minute. Comme quoi, la manipulation des images et des consciences ne date pas de maintenant !
Dans le même esprit, il a déjà tourné les obsèques de Félix Faure, ce président de la République décédé soi-disant d’une épectase, et surtout, il a reconstitué la fameuse affaire Dreyfus qui a suscité de très violentes polémiques nationalistes et antisémites, coupant en deux la France de la Troisième République, les dreyfusards partisans du capitaine Alfred Dreyfus, d’origine alsacienne et de confession juive, accusé de trahison, et les antidreyfusards convaincus de sa culpabilité. Vous connaissez le brûlot J’accuse d’Émile Zola paru dans le journal L’Aurore. Méliès réalise peut-être avec ce court-métrage de dix minutes le premier film politique français. Cela lui vaudra de sérieux déboires.
Mais pour aguicher les distributeurs et tenir les spectateurs en haleine, Méliès cherche des procédés nouveaux qu’il met au service de ses fictions : caches, fondus, surimpressions, personnages changeant d’échelle, arrêts sur image … Touche à tout génial, il est l’inventeur des trucages, les ancêtres des effets spéciaux d’aujourd’hui.
Le cinéma de grand-papa est une attraction ambulante. Les distributeurs sont des forains qui achètent comptant les films au mètre. Ils les souhaitent courts afin de multiplier le nombre de séances. Ils sont quatre à la fête de Neuilly à faire découvrir aux badauds ce qui n’est pas encore le septième art.
Sous le chapiteau du Cinéma mondain, Jérôme Dulaar, client privilégié de Méliès, propose un programme très éclectique mêlant la fiction avec L’homme à la tête en caoutchouc et l’actualité avec Éruption volcanique à la Martinique. Dans le premier film, un savant interprété par Méliès lui-même pose sa tête sur une table puis la gonfle à l’aide d’un tube relié à un soufflet ; vous imaginez les gags qui en découlent. Dans le second, le talent de Méliès fait merveille en reconstituant des scènes effrayantes du cratère en feu et de la lave incandescente glissant sur les flancs de la Montagne Pelée, accompagnées en coulisse par des bruitages de l’explosion. Plus magique encore, une odeur de brûlé et de la fumée semblent s’échapper de l’écran. Á couper le sifflet à Steven Spielberg et Georges Lucas réunis ! Sauf que … ce n’est plus du cinéma ! Et le perspicace inspecteur de la Sûreté Louis Berflaut, personnage récurrent des enquêtes de René Bonneau, présent par hasard, avec son épouse costumière chez Méliès (!), sa fille et un ami jeune journaliste du Figaro, comprend vite qu’il s’agit d’un incendie absolument pas accidentel. D’ailleurs, des tracts avec le slogan « plus de cinéma, plus de catastrophes » identiques à ceux découverts lors du terrible incendie du Bazar de la Charité, cinq ans plus tôt, retrouvés sous le chapiteau et collés sur des roulottes, le confirment.
Ça y est, le lecteur plonge dans le polar. Les événements se précipitent ; l’atelier de Méliès à Montreuil est cambriolé puis, à la fête à Neu-Neu, deux roulottes d’un autre forain cinématographe, juif également, sont la proie des flammes. Projecteurs et bandes sont détruits ou volés, notamment celle du Voyage dans la Lune, la toute nouvelle réalisation très attendue de Méliès, le premier film de science-fiction de l’histoire du cinéma.
Nouvelle digression, je vous invite à interrompre quelques secondes votre lecture pour partager l’expédition vers la lune organisée par le club des Astronomes et son président, le savant Barbenfouillis interprété par Méliès en personne. Á bord d’une fusée obus lancée par un canon géant, ils se plantent en plein dans l’œil de l’astre de nos nuits. Dans un paysage délicieusement kitsch, habillés comme s’ils se rendaient à la fête de Neuilly, ils y découvrent monts et merveilles et même quelques autochtones à tête de crevette. Méliès vient d’inaugurer un nouveau genre, la féérie :

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Retour sur terre et montée dans l’horreur, justement, l’affiche de l’œuvre la plus célèbre du cinéaste, sert maintenant de mise en scène macabre au meurtre de Paul Jeckel, le forain propriétaire du Palais des vues animées, retrouvé avec l’œil droit transpercé par un piquet de bois et la bouche ouverte vomissant un morceau de pellicule cinématographique que l’enquête déterminera comme appartenant à … L’affaire Dreyfus.
Ne possédant pas le talent d’Alfred Hitchcock pour manier l’art du suspense, je m’interdis de vous mettre au parfum de toute l’intrigue policière, par crainte de nuire au plaisir de votre lecture. Sir Alfred distinguait la surprise et le suspense : l’effet de surprise consistant à faire apparaître soudainement une chose ou une personne que ni le personnage ni le spectateur n’attendait ; le suspense étant obtenu par un décalage de perception entre les personnages et les spectateurs qui en savent plus qu’eux. Ainsi dans Sueurs froides, le spectateur apprend par un flashback, dès le début de la seconde partie du film, la véritable identité de Judy alias Kim Novak et tout le complot monté contre James Stewart.
Je cite cet exemple à dessein car mes lecteurs les plus fidèles se souviennent peut-être que j’avais commis un billet intitulé Sueurs froides à Dinard (voir articles du 18 mai et 30 juillet 2008) suite à la découverte  du maître du suspense dans un terrain vague de la cité balnéaire. Or, en consultant la biographie de Renée Bonneau, j’ai découvert qu’elle avait imaginé, il y a une dizaine d’années, un roman policier à partir de la statue du grand cinéaste alors dressée à l’entrée de la plage de Dinard, avec en toile de fond, le festival du cinéma britannique. Je n’ai pas la prétention d’affirmer que les grands esprits se rencontrent mais cela a été prétexte à une correspondance très cordiale qui se prolongera probablement par une rencontre à l’occasion de la prochaine édition du festival.
En forme d’épilogue, la mort d’Émile Zola est l’ultime coup de théâtre de Meurtre au cinéma forain. Le 29 septembre 1902, l’auteur de Germinal décède asphyxié suite à un mauvais fonctionnement de la cheminée de son appartement parisien. Son épouse Alexandrine en réchappe de justesse. Le journal nationaliste et antisémite La Libre Parole exulte en titrant à la une Scène naturaliste : Zola meurt d’asphyxie, raillant la théorie du naturalisme développée par l’écrivain. La thèse de l’acte criminel et que le « cochon de dreyfusard » ait été enfumé par un sympathisant de la Ligue des Patriotes est désormais admise comme probable par les spécialistes d’Émile Zola. Les cendres de Zola sont transférées au Panthéon, six ans plus tard. Lors de la cérémonie, un journaliste antidreyfusard ouvre le feu sur Alfred Dreyfus, heureusement sans conséquence.
Après sa série fleuve sur les Rougon-Macquart, Zola avait entamé, peu avant sa mort, un nouveau cycle intitulé Les Quatre Évangiles. Les titres respectifs des deux derniers romans, Vérité et Justice, constituent un savoureux clin d’œil à la réjouissante enquête policière écrite par Renée Bonneau. En effet, entre les jalousies de forains, le piratage de films par des distributeurs mercantiles, les haines nationalistes et raciales, et l’immoralité de certains policiers ripoux, ces deux valeurs sont bafouées allègrement. La guéguerre entre les producteurs et les réalisateurs des nouvelles versions cinématographiques de La guerre des boutons, l’emprisonnement d’un grand flic, les conflits communautaires, l’actualité récente atteste que les mœurs n’ont finalement guère évolué cent dix ans plus tard.
En refermant le livre, je pense aux bandes dessinées de Jacques Tardi qui situe avec une grande fidélité, ses aventures policières dans le Paris du baron Haussmann. Dans Meurtre au cinéma forain, j’ai emboité avec beaucoup de jubilation les pas de Georges Méliès, à l’invitation de Renée Bonneau qui restitue avec bonheur la vie artistique à l’aube du vingtième siècle.
Étonnamment, certaines passerelles naturelles me projettent en douceur dans la lecture d’Une année studieuse, le dernier ouvrage d’Anne Wiazemsky. Bien que classé en sous-titre comme roman, il s’agit plutôt d’une chronique autobiographique qui relate une douzaine de mois de la vie de l’auteur(e).

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Après le cinéma de grand-papa Méliès, je surfe cette fois sur la Nouvelle Vague, le nouveau courant cinématographique apparu dans ma jeunesse. Le terme est né en 1957 de la plume de Françoise Giroud dans l’hebdomadaire L’Express. Apparaît une nouvelle façon de produire, de tourner, de monter et d’interpréter des films, en rupture avec le cinéma classique considéré comme trop conventionnel. Elle s’inscrit dans le contexte socio-historique de l’époque, le début des Trente Glorieuses, la guerre d’Algérie, les révoltes étudiantes, le mouvement de libération des femmes. François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Éric Rohmer, Claude Chabrol, Agnès Varda, notamment, en constituent les figures tutélaires. Une nouvelle génération d’acteurs comme Jean-Paul Belmondo, Jean-Pierre Léaud, Jean-Claude Brialy, Jean Seberg, Bernadette Lafont, Anna Karina et … Anne Wiazemsky, débarque, touchant ainsi un jeune public. Les 400 coups, Jules et Jim, Á bout de souffle, Pierrot le Fou, demeurent des films emblématiques de ce courant.
Nous sommes au milieu des années sixties. Anne, fille de la princesse Wiazemsky, petite fille de l’illustre écrivain François Mauriac, lycéenne rebelle au collège Sainte-Marie, se sent à l’étroit dans la bourgeoisie catho du XVIe arrondissement de Paris. Avec l’autorisation de son grand-père qui est aussi son tuteur depuis la mort de son père, elle vient de tourner dans Au hasard Balthazar, un film de Robert Bresson. Balthazar est un âne qui croise un certain nombre de groupes humains symbolisant les vices de l’humanité. Anne joue le rôle de Marie dont la triste existence ressemble à celle du pauvre équidé.
Jean-Luc Godard tombe en pamoison devant le beau visage d’Anne digne de la Piéta de Michel-Ange et, en trois occasions, il tente de la séduire. En vain ! Jusqu’à ce qu’elle voie et revoie Pierrot le Fou dont la beauté tragique l’émeut, puis Masculin Féminin : « Un jour de juin 1966, j’écrivis une courte lettre à Jean-Luc Godard adressée aux Cahiers du Cinéma, 5 rue Clément Marot, Paris 8ème. Je lui disais avoir beaucoup aimé son dernier film, Masculin Féminin. Je lui disais encore que j’aimais l’homme qui était derrière, que je l’aimais, lui. J’avais agi sans réaliser la portée de certains mots. »
Brève digression : dans Masculin Féminin, Godard étudie les mœurs de la jeunesse des années 1960 avec en toile de fond, la campagne pour l’élection présidentielle de 1965, et comme premier rôle féminin … Chantal Goya qui ne chantait pas encore Bécassine ! Il saupoudre aussi son film de cartons prémonitoires tels que « Les enfants de Marx et de Coca-Cola. Comprenne qui voudra » et « Le philosophe et le cinéaste ont en commun une certaine manière d’être, une certaine vue du monde qui est celle d’une génération ».
Qui sait si cette dernière sentence ne constitue pas un détonateur pour Anne qui vient d’échouer à son bac de philosophie et doit repasser à la session de septembre. En attendant, elle part se ressourcer dans la propriété familiale d’une amie avec qui elle récolte des pêches. Très vite, le téléphone sonne dans la maison du Gard ; l’amie décroche et passe le combiné à Anne : « Il dit qu’il est Jean-Luc Godard ! » Quelques années plus tard, Michel Fugain chantera « C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui ». C’est effectivement le début d’un marivaudage très … Nouvelle Vague qui vaut beaucoup par la personnalité des tourtereaux : dix-sept années séparent Anne, jeune fille timide encore mineure, d’une famille catholique, et Jean-Luc Godard, célèbre cinéaste suisse, de confession protestante, qui vient de divorcer d’Anna Karina.
Je crois que le fait d’avoir vécu cette époque et d’avoir connu les protagonistes en ce temps-là, apporte encore plus de saveur à l’histoire. J’imagine le mépris de papy Mauriac de l’Académie Française, de savoir sa petite-fille fricotant avec le sulfureux cinéaste qui trois ans plus tôt avait filmé Brigitte Bardot, allongée nue sur le ventre près de Michel Piccoli : « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? Et mes cuisses, tu les aimes mes cuisses ? » De quoi faire succomber le « vieux » d’apoplexie !
J’imagine aussi la circonspection du grand-père, prix Nobel de littérature de surcroît, devant une petite chienne adoptée en vacances par Anne, lui grignotant goulûment quelques feuillets de ses Bloc-Notes. Anne a surnommé Nadja sa bâtarde de cocker en référence à l’héroïne d’André Breton. Godard, amoureux cultivé, paraphrase Lautréamont pour décrire l’animal : « Nadja est belle comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ». Et le cinéaste en pleine préparation de son prochain film La Chinoise, se délectant de la voir mettre en miettes les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, l’encourage même : « Continue ta Révolution culturelle, camarade ! Nadja est un Garde rouge ! » Et par amour pour sa maîtresse, il la promène volontiers pour qu’elle satisfasse ses besoins naturels.
Il est moins patient avec Mauriac à qui il reproche, à l’occasion du procès des ravisseurs de l’homme politique marocain Mehdi Ben Barka, de n’avoir pas l’engagement que manifesta Émile Zola lors de l’affaire Dreyfus.
Cela s’arrangera deux cents pages plus loin, lorsque dans une scène surréaliste, Godard, rasé de près, costume et cravate, effectue en bonne et due forme sa demande en mariage auprès de Bon Papa Mauriac : « Devenir le grand-père de Jean-Luc Godard, quelle consécration ! … devenir le petit-fils de François Mauriac, quelle consécration ! » Entre temps, l’écrivain avait enfin découvert en salle et apprécié quelques films du cinéaste. Ce n’est pas pour autant que Godard le ménagera par la suite. Ainsi découvrant que le grand-père avait manifesté pour de Gaulle en 1968. Il lui écrira : « J’ai appris que vous étiez le 30 mai aux Champs-Elysées. Vous n’avez pas honte ? À votre âge et si près de la mort ? »
Vous imaginez encore Godard, soudain superstitieux par amour, allumant un cierge en l’église de Saint-Germain-des-Prés au matin de l’oral de rattrapage du baccalauréat ?
Godard a le sens de la formule, de l’image qui intellectualise chaque situation même banale. En mettant sa voiture en marche, il définit ainsi l’idylle entre l’adulte et la jeune fille timide et fragile : « C’est comme si deux livres entraient l’un dans l’autre, comme si l’un s’appelait Claudine à l’école (de Colette) et l’autre Lumière d’août (de William Faulkner) » !
Tout au long d’Une année studieuse, Godard, loin de la réputation qu’il traîne, apparaît comme un soupirant délicieux. Il multiplie les délicates attentions envers Anne, son animal-fleur comme il se complait à la qualifier. Un jour, il lui offre les quatuors de Mozart ; une autre fois, il dépose sur son palier Jean-Luc persécuté, le livre de son compatriote suisse Charles-Ferdinand Ramuz, sur la page de garde duquel il a rectifié : « Grâce à Anne W. Jean-Luc n’est plus persécuté ». Il la convie à un repas avec François Truffaut qui lâche : « au contact d’Anne, tu deviens presque sympathique ». Évidemment, il l’emmène au cinéma pour lui faire aimer les films qu’il aime lui-même : Murnau, Renoir, Kazan, Fritz Lang, Rossellini et aussi … Louis De Funès qu’il trouve génial ! Ils dorment chez Jeanne Moreau qui fait un bœuf avec les succès de Charles Trenet. On croise encore Maurice Béjart et Jean Vilar qui s’obstine à appeler La Chinoise, le prochain film de Godard, La Tonkinoise, même en plein milieu du festival d’Avignon.
Plutôt que d’année studieuse, il vaut mieux parler d’une année de vacances du cœur, du corps et de l’esprit. Même si Anne qui a obtenu finalement son bac, entame, sous la pression de Jean-Luc, des études universitaires à la fac de Nanterre. Il l’y conduit de temps en temps avec son Alfa Romeo (!) car il aspire à trouver là-bas matière pour La Chinoise. Il lui offre même une Fiat 850 verte pour lui épargner les fatigants trajets en métro et en train. Anne ne possédant pas le permis de conduire, l’automobile ne sera jamais utilisée sinon dans La Chinoise par Juliet Berto qui interprète une fille de la campagne se prostituant : « Maintenant ça va beaucoup mieux et avec mon argent j’ai pu m’acheter une Fiat 850 » ! Le genre de dialogue propre à rendre folle de rage la maman d’Anne qui n’est pourtant pas finalement si vindicative que cela. En effet, elle se démène pour trouver un gynécologue qui prescrit la pilule à sa fille mineure, inquiète chaque mois de tomber enceinte. La loi Neuwirth autorisant la contraception orale n’est votée à l’Assemblée nationale que le 28 décembre 1967 et il faudra attendre 1974 pour qu’elle soit véritablement libéralisée et remboursée par la Sécurité Sociale. En avril 1971, Anne sera une des signataires du manifeste des 343 femmes affirmant s’être fait avorter et s’exposant à l’époque à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement.
Les prémices de mai 68 germent dans les amphis de la fac de Nanterre et Anne la rousse se fait même draguer par un anarchiste rouquin, des mangeurs de Rouy, le fromage qui fait rouiller ? (remarque stupide tirée du billet Les dangers du fromage du 11 février 2012) : « Ce n’est pas que tu sois moche, tu serais même plutôt mignonne, mais enfin, tu n’es pas une beauté non plus, loin de là. Alors de voir tous ces regards sur toi, j’avais envie de comprendre. Cette nana a quelque chose que je ne vois pas. Maintenant, j’ai compris : tu as tourné dans un film d’un type que je ne connais même pas, qui s’appelle Bresson, bref, on te regarde parce que tu es une actrice ! » Et vous, vous avez deviné que le baratineur est Dany le rouge alias Daniel Cohn-Bendit ! Ce n’est pas dans le roman mais savez-vous que Godard le rencontra en 1968 et envisagea de tourner avec lui un western anarchiste intitulé Le vent d’Est.
Lassé des coucheries à droite à gauche dans des chambres d’hôtel anonymes, vous pensez bien qu’ils ne peuvent pas s’aimer sous le même toit que François Mauriac, Jean-Luc Godard a enfin trouvé un appartement, un petit nid d’amour qui, en mars, devient le lieu de tournage de La Chinoise. Des centaines de petits Livre Rouge réunissant les citations de Mao-Tsé-Tung sont rangés sur les étagères. Jean-Pierre Léaud, Juliet Berto et Anne bien sûr sont quelques- uns des camarades que Godard aime appeler ses Robinsons du marxisme-léninisme !
Godard, prônant comme toujours l’anti académisme, réalise là un film documenté/ documentaire de film. D’ailleurs, le premier intertitre affiche : un film en train de se faire. Tiens donc, Godard glisse dans le film, une conférence sur le problème de l’information, citant Méliès, le chantre d’un cinéma à trucs, un peintre de la réalité par l’intermédiaire « d’actualités reconstituées mais véritables » telles que L’Affaire Dreyfus. Ça ne vous rappelle rien ces histoires de cinéma ?
Anne et Jean-Luc se marient sans famille, sans amis, et dans leurs vêtements de tous les jours, le 21 juillet 1967 à Bégnins, une petite ville du canton de Vaud. À la fin de la cérémonie, le maire qui l’avait déjà uni à Anna Karina, lance : « À la prochaine, monsieur Godard ! »
Ça n’a absolument rien à voir mais pour achever mon billet, j’ai envie de vous surprendre, un peu comme il fait dans ses films. Jean-Luc Godard a tourné en 2009 les séquences maritimes de son Film Socialisme sur le Costa Concordia, le paquebot de croisière qui s’est échoué sur un récif de Toscane le 13 janvier dernier.

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La dernière raison d’espérer pour le commandant de bord actuellement à l’Élysée ? Chut, pas de mauvais esprit ! Silence on tourne et … surtout, on lit Meurtre au cinéma forain de Renée Bonneau et Une année studieuse d’Anne Wiazemsky.

 

 


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