Archive pour le 16 janvier, 2012

Lectures d’en France

Inconsciemment, les vacances scolaires scandent encore mes années de retraite. Il n’est pas si facile que cela de se défaire de ses habitudes, les bonnes comme les mauvaises. Pour ce qui concerne mon propos du jour, il s’agit plutôt d’une excellente car ce temps, passé souvent hors de mes pénates, est propice à une pratique encore plus assidue de la lecture.
Le scénario est quasi immuable avec, quelques jours avant le départ, une promenade dans le rayon librairie de la FNAC pour choisir les prochains ouvrages qui occuperont mes soirées. Sans idée préconçue, le glane s’effectue selon de nombreux critères guidés par l’humeur de l’instant, le sujet attrayant révélé en quatrième de couverture du livre, l’auteur lorsqu’on a déjà lu quelque chose de lui, l’envie suscitée par une critique de magazine ou la présence de l’écrivain sur un plateau de radio ou de télévision, parfois même tout simplement le titre et l’image illustratrice. Encore que je devrais me méfier de cette dernière impression si j’en crois l’équivalent anglais du proverbe « l’habit ne fait pas le moine », Don’t judge the book by its cover, à savoir, qu’il ne faut pas juger un livre d’après sa couverture ! Vérité également affirmée par Honoré de Balzac : « L’habit ne fait pas le moine est surtout applicable à la littérature. Il est extrêmement rare de trouver un accord entre le talent et le caractère » !
Bref, cependant, ma propre intuition, cette fois encore, n’a pas été prise en défaut. En effet, pour meubler les veillées hivernales, la pioche a été fructueuse au point que j’ai envie de vous entretenir, dans l’ordre chronologique de leur lecture, des trois livres que j’ai dévorés au passage de l’an neuf. Après coup, je constate que, sans que cela fût prémédité, ils ont en commun d’évoquer dans des registres très différents, certains aspects de ma douce France … cher pays de mon enfance ajouterait Charles Trenet.

Lectures d'en France dans Coups de coeur Laviestunchoixjaquetteblog

Pour commencer, dans La vie est un choix, le cinéaste Yves Boisset, en rassemblant ses souvenirs, couvre presque quarante ans d’histoire de France. Petit rappel pour les moins cinéphiles d’entre vous et, peut-être aussi parce que la censure d’aujourd’hui plus subtile ou sournoise l’expose moins aux feux de la rampe, Boisset est le réalisateur de films comme L’attentat sur l’affaire Ben Barka, RAS à propos de la guerre d’Algérie, Dupont Lajoie ou encore Le juge Fayard dit Le Sheriff. Le simple énoncé de ces titres définit un homme courageux incarnant un cinéma de gauche, appuyant là où ça fait mal sur quelques pans peu reluisants de la société française, n’hésitant pas pour cela à mettre en danger sa carrière, en permanence.
Je l’ai retrouvé, car j’avoue que je l’avais un peu perdu de vue, lors de son passage dans une émission de France 2 qui nous promet de nous coucher fort tard. En égrenant ce soir-là, de sa voix douce et exquise, quelques anecdotes et aussi vérités, il m’a donné envie de feuilleter ses souvenirs rédigés de sa propre main en deux mois, mettant ainsi à profit le report d’un projet de tournage.
Moi-même fils et petit-fils de hussards noirs de la République, je suis évidemment touché lorsque Boisset brosse brièvement un portrait de ses parents, purs produits de l’ascenseur social que constitua la IIIème République. Ainsi, son grand-père, presque illettré quand il partit au front durant la grande guerre de 14-18, côtoya par chance -si l’on peut dire ainsi quand on passe trois ans de sa vie dans les tranchées- des instituteurs qui lui apprirent à lire et à écrire. En récompense des services rendus à la patrie, il obtint, une fois démobilisé, le droit d’étudier dans une école normale d’où il sortit avec le grade d’instituteur. La vie alors était rude dans les monts du Forez, et, outre d’enseigner dans une école à mi-temps, le valeureux aïeul poursuivit son activité de paysan. Yves se souvient d’avoir assisté à la cérémonie rituelle de l’abattage du cochon, celle-là même dont Jean Eustache tira un magnifique documentaire tourné dans des contrées sensiblement voisines d’Auvergne. Et pour bien marquer sa détestation de Hitler et son manque d’enthousiasme pour De Gaulle, papy Boisset prénommait immuablement ses deux cochons, Adolf et Charlot ! Le père d’Yves, reçu au concours de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, dans la même promotion que Georges Pompidou et Léopold Senghor, embrassa une carrière de professeur agrégé de lettres, français, latin et grec avant de la terminer comme inspecteur général. Pas si anecdotique que cela, il fut aussi détenteur du record de France du 400 mètres en athlétisme, et participa aux Jeux Olympiques de Berlin de 1936 (sous les yeux d’Adolf ? Non, pas le cochon, le führer !). Sa maman fut professeur d’allemand.
Vous pourriez peut-être supposer qu’Yves fut un peu le crétin de la famille en s’orientant vers les paillettes du cinéma. Que nenni, c’était un élève brillant qui aurait dû entrer à Normale Sup, à la fin de son année de khâgne. Il préféra tenter le concours d’entrée à l’IDHEC (Institut des Hautes Études Cinématographiques) où il fut reçu premier. Au lieu de suivre une voie royale toute tracée, il est d’autres chemins de traverse. Imaginez par exemple qu’au lycée Claude Bernard à Paris, il avait comme professeur d’histoire un banal monsieur Poirier, « au demeurant assez quelconque » nous dit-il, sous les traits duquel se cachait l’écrivain prestigieux Julien Gracq ! Sachez encore qu’au baccalauréat, lors de l’épreuve de français portant sur la Pléiade, plutôt que rendre un devoir très classique autour des mérites respectifs de Ronsard et du Bellay, il rédigea un mini polar d’une vingtaine de pages (quand même ! Comme il ajoute, dans les années 1950, « le lycée n’était pas une plaisanterie de garçon de bains » !)) dans lequel du Bellay, bien qu’innocent, était reconnu coupable d’un crime. Outre le poète du petit Liré puni, Yves fut sanctionné de la note 6 éliminatoire qui lui valut de repasser à la session de septembre où il rafla la mention Très Bien !
Ce n’est pas tous les jours non plus qu’on est accosté à la sortie du lycée par un régisseur de Claude Autant-Lara cherchant l’adolescent susceptible d’incarner le futur héros du Blé en herbe, grand succès tiré du roman de Colette. Cela valut à Yves de tourner un bout d’essai (on ne disait pas casting en ce temps-là) avec la grande Edwige Feuillère et … une bonne paire de claques et un refus catégorique de la part de son père. Ce ne fut que partie remise puisque, alors qu’il était en classe d’hypokhâgne au lycée Louis le Grand, on lui proposa, avec succès cette fois, un petit rôle dans Les Tricheurs de Marcel Carné.
En ouverture de son livre, ce n’est pas surprenant quand on connaît un peu le cinéaste qui a choisi de dire 24 fois la vérité ou le mensonge par seconde, à la vitesse des images sur les bobines, Yves Boisset raconte l’entrée des troupes alliées dans Paris en 1944. Le gamin, placé aux premières loges puisque ses parents habitaient dans une HLM entre la porte de Vanves et la porte de Châtillon, vécut les bombardements en règle par les aviations anglaise et américaine des proches gares de triage de la banlieue sud. Il témoigne que l’arrivée des chars du général Patton s’effectua presque à parité sous les insultes et les clameurs d’enthousiasme. Comme quoi, il y a l’Histoire officielle et … une autre réalité moins reluisante.
Je viens d’évoquer les trente premières pages d’un livre qui en compte trois cent soixante. N’attendez pas de moi que je déflore ici le fourmillement d’anecdotes qui ponctue la passion et le courageux combat menés par Yves Boisset depuis cinquante ans. Vous y retrouvez Raymond Marcellin, celui-là même qui interdit à plusieurs reprises les journaux Hara Kiri puis Charlie Hebdo : « un mauvais ministre de l’Intérieur devenu un excellent attaché de presse » ! En effet, ses manœuvres pitoyables pour censurer avaient pour effet contraire d’attirer les spectateurs dans les salles. On croise l’ombre de Charles Pasqua qui, s’estimant diffamé, avait exigé que dans Le juge Fayard, chaque énonciation du mot SAC (Service d’Action Civique) soit remplacée par un bip. Je me souviens que, lors de la projection en salle, à chaque bip sonore, les spectateurs hilares, comme au bon vieux temps du cinéma muet, criaient SAC ! Drôle d’époque que celle actuelle n’a parfois rien à envier quand on voit monsieur Guéant se réjouir devant les micros de son record d’expulsions hors de l’hexagone en 2011 !
La censure s’acharna aussi contre R.A.S, l’un des quelque vingt films français qui témoignèrent sur la guerre d’Algérie alors qu’environ huit cents ont été consacrés aux Etats-Unis à la guerre du Vietnam.
Vous assistez à un magistral coup de poing décoché par Jean-Paul Belmondo au grand réalisateur Jean-Pierre Melville (dont Boisset était l’assistant) pour avoir injurié Charles Vanel sur le tournage de L’aîné des Ferchaux. Vous apprenez que Dupont Lajoie est entré dans le vocabulaire commun comme synonyme de « beaufitude » depuis le film où l’on découvrit l’immense talent de Jean Carmet autrement que dans des nanars niais (pléonasme ?).
Vous découvrez que Lino Ventura n’acceptait en général que des rôles de héros sympathiques pour que ses enfants n’en gardent pas une image négative.
Moi, pour le fun, à l’occasion, je visionnerai plus attentivement Paris brûle-t-il ? pour repérer parmi les lycéens fusillés par les Allemands à la cascade du bois de Boulogne, deux jeunes inconnus à l’époque, Michel Sardou et Patrick Maurin alias Patrick Dewaere.
Vous, revoyez Le Prix du danger avec Michel Piccoli et Gérard Lanvin, tous deux remarquables! L’action de ce film d’anticipation tourné en 1983, se déroulait au début du vingt-et-unième siècle : nous y sommes et depuis Loft story, la télé réalité a largement rejoint la fiction.
Allez, je vous en ai assez (trop ?) dit ! « Je crois bien que le combat contre la bêtise satisfaite, la démagogie, la lâcheté triomphante et l’injustice, c’est un peu le sujet de la plupart de mes films » résume Yves Boisset. C’est en tout cas une raison convaincante pour vous plonger dans la lecture de La vie est un choix. Vous visiterez quelques recoins de l’usine à rêves que fut le cinéma au temps de son âge d’or lorsque les vedettes étaient encore d’inaccessibles étoiles au volant de somptueuses voitures de sport. Quoique Yves Boisset avisa sur la Croisette, pendant un festival de Cannes, « un vieux bonhomme coiffé d’une casquette en tweed … il avait une démarche extraordinaire, il progressait comme en dansant sur un trottoir ». Boisset comprit tout de suite que c’était la personne qu’il cherchait pour le rôle du docteur Scully dans Taxi mauve. Il accéléra donc le pas et découvrit que ce vieillard, c’était Fred Astaire !
À peine ce livre de souvenirs refermé, je me suis intéressé à ceux d’Ornella Perrugi, ce pourrait être un nom d’actrice italienne comme à la grande époque du néoréalisme. En fait, cette fille de maçon transalpin est l’héroïne du roman de Christian Signol Une si belle école.

Unesibelle%C3%A9colejaquetteblog dans Histoires de cinéma et de photographie

Signol fait partie de ces écrivains régionalistes (sans que cela ait une connotation péjorative, bien au contraire) appartenant au courant de l’école de Brive. Je lus, il y a longtemps, son Antonin, Paysan du Causse. Certains de ses romans comme Les cailloux bleus et Les menthes sauvages furent de gros succès de librairie et de bibliothèques. L’adaptation pour la télévision de sa trilogie romanesque La Rivière Espérance assit définitivement sa popularité.
Cette fois, le sujet et l’illustration de la couverture avec ses bâtons de craie sur un vieux pupitre, ne pouvaient laisser insensible le rédacteur d’un blog intitulé À l’encre violette.
Pour m’être plusieurs fois posé la question lors de ma lecture, je précise qu’il s’agit bien d’un roman, fruit de l’imagination de l’auteur, et non le témoignage d’un couple d’enseignants sous la plume de l’écrivain, même si cela y ressemble fort. C’est tout le talent de Signol qui, consciencieux, s’est documenté et a soumis ses écrits à de vrais instituteurs qu’il remercie à la fin de l’ouvrage.
Donc, à la première personne, Ornella raconte toute sa carrière au sein de l’éducation nationale entre 1954, année de ses débuts à Ségalières, modeste hameau du Lot perché dans les hautes collines du Ségala, et son départ à la retraite en 1990 ; une sacrée gageure réussie en trois cent vingt pages.
« Comment aurais-je oublié cette route étroite qui montait, qui montait, n’en finissait pas de grimper entre des arbres immenses, d’un vert que l’automne ternissait déjà ? Ils semblaient empêcher le car de se frayer un passage entre eux, me donnant l’impression que je n’arriverais jamais à cette destination que j’avais tant espérée, imaginée des centaines de fois : mon premier poste de maîtresse d’école. Un rêve, un espoir enfin réalisés après beaucoup d’efforts, de persévérance et de volonté. »
Une joie, un instant, altérée : « … Quelle ne fut pas ma déception, vers cinq heures, quand j’arrivai devant les six maisons du village, où nul enfant ne jouait sur la place et qui me parut de prime abord désert ! Où étais-je tombée ? »
Ainsi commence l’évocation d’Une si belle école. Elle ressemblait sans doute à celle où enseigna réellement le grand-père Boisset, à l’autre extrémité du Massif Central, encore que lui, il fut autorisé par l’administration à la créer car il n’en existait pas à Saint-André d’Apchon.
Je n’ai lu que quelques lignes et, déjà, mes pensées s’envolent vers ma maman car ainsi, débuta-t-elle également dans la profession. Elle connut sa première affectation à La Feuillie, un modeste village en bordure de la boutonnière du Pays de Bray. Elle me décrivit souvent, avec la même ferveur dans les yeux qu’Ornella, le chemin qu’elle effectuait à pied, sa petite valise à la main, à travers les frondaisons de la forêt de Lyons, depuis la gare du tortillard de Nolléval jusqu’à son école distante de six kilomètres.
Une si belle école, c’est celle que servirent admirablement mes parents à partir de l’entre-deux guerres, c’est aussi celle que j’ai fréquentée de l’autre côté du bureau du maître au temps de ma communale, celle qui transparaît parfois en toile de fond de mes billets. Celle que fait rimer René-Guy Cadou avec la veuve duquel correspondent Ornella et son futur mari. Né au cœur du marais de Grande Brière, fils d’instituteurs laïques, instituteur lui-même, Cadou grandit dans une ambiance de préaux d’écoles, de rentrées des classes, de beauté des automnes, de scènes de chasse et de vie paysanne qui devinrent une source majeure de son inspiration poétique :

« Odeur des pluies de mon enfance
Derniers soleils de la saison !
A sept ans comme il faisait bon,
Après d’ennuyeuses vacances,
Se retrouver dans sa maison !

La vieille classe de mon père,
Pleine de guêpes écrasées,
Sentait l’encre, le bois, la craie
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été.

O temps charmant des brumes douces,
Des gibiers, des longs vols d’oiseaux,
Le vent souffle sous le préau,
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau. »

Comprenez alors que des larmes aient coulé sur mes joues, à plusieurs reprises. « Qui donc a jamais guéri de son enfance ? ». Justement, j’ai relevé aussi ce vers de Lucie Delarue-Mardrus, une poétesse et romancière à la mode dans la première moitié du vingtième siècle. Une normande en plus ; par chauvinisme, je vous inflige le début de son poème:

« L’odeur de mon pays était dans une pomme.
Je l’ai mordue avec les yeux fermés du somme,
Pour me croire debout dans un herbage vert.
L’herbe haute sentait le soleil et la mer,
L’ombre des peupliers y allongeaient des raies,
Et j’entendais le bruit des oiseaux, plein les haies,
Se mêler au retour des vagues de midi…
… Ah ! je ne guérirai jamais de mon pays !
N’est-il pas la douceur des feuillages cueillis
Dans leur fraîcheur, la paix et toute l’innocence ? »

Je me suis senti si heureux tout le long du récit d’Ornella, encore qu’une de ses considérations m’eût chagriné : « Je m’étonnai du fait que les plumes fussent des Sergent-Major (« Blanzy-Conté-Gilbert réunis, fabricants exclusifs ») et non pas les Baignol et Farjon que j’avais trouvées à Ségalières et à Saint-Laurent. Je résolus d’en parler au maire, car j’estimais les secondes plus faciles à manier que les premières pour les élèves qui apprenaient à écrire ». Je plaisante bien sûr mais quand même … ! La plume métallique Sergent-Major, le porte-plume, l’encrier de porcelaine blanche et l’encre violette, symboles aujourd’hui « vintage » de l’école républicaine, gratuite, laïque et obligatoire !

Plumesblog dans Ma Douce France

Encore que là-haut, en bordure du Cantal, et sans doute dans beaucoup de campagnes de cette France essentiellement paysanne, la fréquentation de l’école du hameau soit largement tributaire des travaux des champs. La femme du maire, première personne qu’elle rencontre, accueille ainsi Ornella : « Vous arrivez à la mauvaise saison, vous savez ? L’école avant la Toussaint, ici, c’est pas la coutume. Les parents ont besoin des enfants. »
En cette année 1954, les instructions officielles prévoyaient trente heures de classe par semaine, pas de cours le jeudi, mais classe le samedi après-midi. Dans ces horaires, quinze heures étaient consacrées au Français avec beaucoup de lectures et de dictées, et près de dix heures aux mathématiques basées sur le calcul mental, la règle de trois, les fractions et la résolution de problèmes à caractère utilitaire, tels ceux, vous savez, où il fallait trouver l’heure et le lieu auxquels deux trains se croiseraient ! Ils n’auraient plus de sens aujourd’hui puisque les trains n’arrivent jamais plus à l’heure !
Cher lecteur, il va falloir vous accrocher car on vous parle là d’une école correspondant au jurassique inférieur de l’enseignement, soit environ cinquante ans avant l’ère numérique !
Pour emprunter à un genre cinématographique, ce roman est un documentaire. Ornella est confrontée à l’évolution de l’instruction primaire avec ses petites et grandes réformes, la suppression des devoirs à la maison en 1956, l’abandon des compositions et des classements en janvier 1969 avec, en corollaire, l’adoption de la notation par lettres, l’instauration du tiers-temps pédagogique qui bouleverse le fonctionnement de sa classe unique, le regroupement pédagogique intercommunal en 1975, le changement de cap arrière en 1984 du ministère Chevènement qui préconise un recentrage sur les fonctions « lire, écrire et compter », l’institution en 1989 de cycles en lieu et place des classes traditionnelles, sans oublier les manifestations de l’école privée … Pour avoir vécu cela au sein d’un organisme de formation des maîtres, j’imagine la perplexité et l’angoisse des valeureux enseignants face aux états d’âme d’inspecteurs généraux et de technocrates trop souvent déconnectés de la réalité du terrain.
Ornella aime son école, son métier et, plus que tout, ses élèves. Elle fera tout pour leur donner le goût du savoir et les aider à réaliser leurs rêves, comme elle accomplit le sien, malgré l’hostilité ou l’obscurantisme de certains parents, maire et curé des villages où elle exercera. Elle suit en cela les préceptes du code Soleil auquel on la voit se référer : « « Ces enfants d’aspect ingrat, il (l’enseignant) lui appartient d’en faire des hommes : la tâche n’est pas de celles qu’on méprise. Qu’il les observe de plus près, il verra luire le reflet d’une âme toute neuve, argile qu’il pétrira de ses mains et dont il fera des consciences ». Ah ce code Soleil, la « bible » des instituteurs, ainsi appelé du nom de son auteur Joseph Soleil, et non pas parce qu’il leur apporte la lumière, et publié à partir de 1923 par le Syndicat National des Instituteurs !
Ainsi, à Ségalières, il y a le petit François, craintif , souvent absent, maltraité par son père alcoolique. Pour l’avoir défendu avec trop de fougue et tenté de le soustraire à la violence paternelle, Ornella est mutée, au bout de quelques mois, dans une classe unique d’un autre hameau. Elle y achève l’année scolaire avant de rejoindre un poste double à Peyrignac, petit village dans la vallée, sur la suggestion de l’inspecteur primaire, véritable agent double puisque, outre sa fonction pédagogique, il remplit en la circonstance un rôle de conseiller matrimonial. En ce temps-là, l’administration attribuait volontiers une école à deux classes à un couple marié ou à deux jeunes normaliens célibataires susceptibles de s’unir ! Je ressors le code Soleil : « Vie privée et vie publique de l’instituteur : il lui faudra éviter jusqu’à l’apparence d’un abandon. La malignité publique aura tôt fait de conclure de l’apparence à la réalité. Point de fréquentation douteuse, point de ces parties de plaisir trop fréquentes, elles alimentent la critique, non pas seulement pour l’objet illicite qu’on leur prête, mais encore pour les rancunes jalouses qu’elles provoquent.» Je n’ai pas retrouvé l’extrait, mais sachez que ce guère éblouissant monsieur Soleil conseillait même aux instituteurs mariés. de s’adonner au devoir conjugal plutôt les veilles de congés !
À Peyrignac, Ornella prend en charge la classe des grands tandis que le débutant Pierre s’occupe des petits. Évidemment, ils vont s’aimer puis se marier. Je retrouve à travers leurs longues soirées studieuses (sauf le mercredi soir et le samedi soir ?), dans l’appartement de fonction au-dessus des deux salles de classe, où le couple confronte ses pratiques pédagogiques, la même ferveur et la même passion pour le métier qu’exprimaient mes parents lorsqu’ils corrigeaient les devoirs et préparaient leurs cours du lendemain autour du baroque bureau à quatre places au premier étage de notre maison école.
Ornella puise ses dictées aux mêmes sources que mes parents, Le Mas Théotime d’Henri Bosco, À l’ombre des ailes d’Ernest Pérochon, Le Déjeuner de Sousceyrac (un village du Ségala proche de Ségalières) de Pierre Benoit, Le grand Meaulnes, un des écoliers du roman d’Alain Fournier s’appelait même le petit Coffin !
Je souris de ses démêlés avec le maire pour qu’il subventionne le remplacement des livres uniques de Français de L. Dumas édités chez Hachette par ceux de Châtel chez Nathan. Nous sommes en 1955, ne voyez donc pas là une idée saugrenue de notre actuel ministre de l’éducation nationale, inodore et sans saveur.
Ma maman aussi batailla ferme avec le maire, notamment pour que son logement de fonction soit doté d’un cabinet de toilette. Oui, jusqu’à l’âge de dix ans, je connus les délices du broc et de la cuvette !
R.A.S, rien à signaler dans le roman teinté de rose sinon que la guerre d’Algérie, en toile de fond, en noircit bientôt l’atmosphère. Les réservistes sont rappelés, en particulier les instituteurs, car pour le gouvernement, outre les armes, l’éducation doit parler dans le djebel. Pierre n’y échappe pas.
Yves Boisset obtint un Ours d’argent au festival de Berlin pour Dupont-Lajoie, le prix Louis Delluc avec Le juge Fayard et trois Sept d’or pour L’affaire Seznec. Loin des paillettes, Ornella compte à son palmarès admirable, des centaines de certificats d’études, de prix cantonaux et d’entrées en sixième, des récompenses qui signifiaient socialement et économiquement beaucoup pour les familles des campagnes à l’époque. On comprend que des élèves continuent à lui témoigner leur profonde reconnaissance en lui rendant visite longtemps après. Par son combat obstiné, elle a changé le cours de leur vie. Cela m’a toujours ému que d’anciennes élèves, des mères de famille, parfois à la retraite elles-mêmes, sonnassent encore au domicile de ma maman, au crépuscule de sa vie ; de même, qu’en période de nouvelle année, dans la boîte à lettres s’amoncelassent de nombreuses cartes de vœux comme autant de marques de respect et de gratitude. Ainsi aussi, à sa demande, ma mère est partie en terre avec les mots manuscrits d’une certaine Monique qu’elle conservait précieusement dans une petite boîte depuis plusieurs dizaines d’années.
Je cite à dessein ces exemples pour crédibiliser mon propos. En effet, j’ai souvent le sentiment de passer pour un zombie lorsque j’évoque ma si belle école d’autrefois auprès des nouvelles générations. Elle était pourtant bien telle que Christian Signol la décrit avec justesse. Sortez vos mouchoirs et prenez un bon bol d’air frais en vous intéressant au beau destin d’Ornella.
Alors qu’un certain ex-futur candidat à la présidence de la République tua récemment son ennui en compagnie d’une femme de chambre d’hôtel, Jean-Christophe Bailly découvrit ce qu’il appelle « l’émotion de la provenance » dans un appartement de New York, vers 1978, en regardant à la télévision, en version originale, La règle du jeu, le film de Jean Renoir. C’est là qu’il eut la révélation d’une appartenance et d’une familiarité à notre douce France qui le mènera trente ans plus tard à l’écriture de son livre intitulé Le Dépaysement avec comme sous-titre Voyages en France.

D%C3%A9paysementjaquetteblog

Ainsi, tandis que se profilait un ministère de l’Identité nationale avec son train de mesures strictement xénophobes, il a listé un certain nombre de lieux à visiter ou à revoir afin de comprendre ce que le mot France désigne aujourd’hui et s’il est juste qu’il signifie quelque chose qui par définition n’existerait pas ailleurs. L’évocation de ces lieux, sites ou stations constituent autant de chapitres d’un ouvrage dont on est incapable de définir le genre. L’écrivain lui-même le qualifie de livre composite tenant par certains côtés de l’essai, par d’autres du journal de bord, du récit et même du poème en prose. C’est bien autre chose aussi qu’un guide touristique même si l’auteur émaille fréquemment son propos de citations des Mémoires d’un touriste de Stendhal. Directeur de l’École nationale de la nature et du paysage de Blois, Jean-Christophe Bailly s’avère au fil des pages un peu philosophe, sociologue, géographe, historien et poète. En flâneur érudit, il arpente les lieux communs, encore que cette expression l’irrite quand elle qualifie la France de pays des libertés et ses habitants de cartésiens. Il réussit le tour de force de nous dépayser dans notre propre pays, en mettant en évidence un exotisme tout près de chez nous. À cet instant, je pense à mon père qui, après s’être promené aux quatre coins de l’Europe et même à travers les États-Unis, trouvait, à l’automne de sa vie, plus de charme aux beautés parfois secrètes de son coin de Normandie comme un vieux puits, un colombier ou une chapelle.
Sans vouloir l’effrayer, bien au contraire, j’avertis le lecteur qu’au premier abord, la langue de Bailly peut apparaître complexe tant elle est dense, riche et fourmille de références culturelles dans de nombreux domaines. C’est brillamment intelligent et subtil, ce n’est pas un défaut que diable, et au bout de quelques pages d’acclimatation, il sera conquis par la beauté du propos … et de la France. Il s’agit moins de paysages au sens où nous l’entendons communément que de paysages humains et sociaux appréhendés dans les paysages physiques divers et variés dont recèle notre pays.
Pour la première station de son chemin de passion, Jean-Christophe Bailly nous attend devant le numéro 51 de la rue Sainte-Colombe, dans le vieux Bordeaux, pour nous faire visiter la maison Larrieu, une « fabrique », créée il y a quatre siècles, d’objets hétéroclites liés à la pêche et à la chasse, servant donc à attirer ou attraper des animaux vivants. Brillamment et subtilement, je me répète sciemment, Bailly nous prend de suite dans les mailles de ses filets en agrémentant sa réflexion, de références à l’ouvrage Les Raisons des forces mouvantes de Salomon de Caus, un ingénieur et architecte français né à Dieppe à la fin du seizième siècle, et aux tableaux du peintre du Quattrocento Paolo Uccello. « Ce sont bien ces raisons dont il s’agit et ce sont ces forces qu’il a fallu reconnaître et mesurer pour que chacun de ces filets ou chacune de ces nasses rencontre l’exactitude de la forme … On pense, en contemplant ces résilles de lignes souples ou tendues à la perspective, à cette sorte de nasse aussi par laquelle les peintres ont cherché autrefois à capturer le visible ». De cette boutique girondine, « naît une science infusée du paysage, des procédures de ruse et de lecture liées à des lieux éprouvés comme des territoires et parcourus depuis des siècles : appeaux imitant la grive, la caille ou le sanglier, filets à papillons, cordages, épuisettes et autres outils pour la pêche à pied, mais surtout filets et nasses de toutes tailles et de toutes sortes, à grandes ou petites mailles, extensibles, souples, articulés ». Le titre du chapitre, Nasses, verveux, foënes, etc ..., en soi, libère déjà quelques effluves de la richesse de notre langue et d’un savoir-faire « bien de chez nous ». Sans doute n’est-ce pas un hasard, si ces variétés de filets de pêche me renvoient aux étangs et aux petits matins brumeux de la Sologne de La Règle du jeu.
Plutôt que nager en eau trouble avec les finasseries fumeuses de certains ministres gouvernants sur ce que signifie l’identité française, j’embarque, d’ores et déjà conquis, pour le voyage en eau douce et, souvent à contre-courant, qu’entame Jean-Christophe Bailly. Au propre comme au figuré d’ailleurs, car je le comprendrai bientôt, l’eau douce des rivières et des fleuves constitue le fil des chapitres.
Après Bordeaux, pour la seconde étape, nous remontons la Garonne jusqu’à Toulouse, la grande ville rivale du Sud-Ouest. Entre le pont Saint-Pierre et le pont des Catalans, là où le fleuve amorce un large changement de direction, se situe le Bazacle, le seul gué qui permettait autrefois le passage de la Garonne dans la ville rose. En 1190, le comte Raymond V de Toulouse fit construire un barrage ou chaussée à proximité duquel s’établirent des moulins qui, jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, alimentaient la ville en farine. Puis, le lieu fut reconverti en une centrale hydro-électrique qui existe toujours. Mais ce qui interpelle Bailly, c’est la passe aux poissons, aménagée de telle sorte que le public puisse descendre sous le niveau de l’eau et, à travers un épais hublot, voir passer saumons, aloses, truites et anguilles. Et l’auteur d’évoquer le cycle de vie extraordinaire des saumons qui, dans une folle aventure de plusieurs années, quittent leurs zones de frai, en altitude, tout en amont des rivières, pour rejoindre la haute mer à plusieurs milliers de kilomètres de là, avant de revenir mourir en déposant leurs œufs, exactement sur leur lieu de naissance. Évidemment, il leur aura fallu vaincre auparavant les obstacles des prédateurs même si, pour des raisons de rendement économique, les saumons que nous consommons, sont en fait issus d’élevages industriels. Justement, ce que Bailly retient du Bazacle, c’est cette passe qu’il oppose à la nasse bordelaise, « un lieu où ceux qui passent ne sont ni attrapés ni saisis, un lieu de pure vision, d’atelier contemplatif au-dedans du fleuve », d’autant plus que, précise-t-il avec humour, il ne passe ni ne se passe en général rien, sinon des bulles, malgré la présence d’un compteur témoin.
Pour poursuivre avec le Midi aquitain, je me suis régalé de l’évocation de la Bidassoa, petit fleuve côtier, frontalier sur une dizaine de kilomètres, qui vient se jeter entre Hendaye et Fontarabie. L’écrivain confronte la citation de Pascal Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà à la modeste île des Faisans, simple dépôt d’alluvions qui serait recouvert par les eaux du fleuve depuis longtemps s’il n’avait pas été l’objet d’empierrements, à cause des souvenirs historiques qui s’y rattachent. Incroyable, ce bout de terrain interdit au public, aussi appelé pompeusement île de la Conférence, possède le statut de condominium et est géré alternativement par la France et l’Espagne avec un changement d’administration tous les six mois.
C’est dans une barque, au milieu de la Bidassoa, que s’effectue en 1526 l’échange de François 1er, prisonnier de Charles Quint souverain d’Espagne, contre ses deux fils aînés fournis en otages.
En 1615, sur l’île même, on procède à un échange de fiancées royales : Élisabeth, fille de Henri IV, roi de France, promise à Philippe IV d’Espagne, contre la sœur de celui-ci, Anne d’Autriche, infante d’Espagne, destinée à Louis XIII de France lui-même frère d’Élisabeth de France et fils de Henri IV (vous avez tout saisi ?!).
C’est encore sur cet espace de vase desséchée qu’est signé le 7 novembre 1659 le fameux traité des Pyrénées à l’issue de vingt-quatre rencontres entre les délégations française emmenée par le cardinal Mazarin et espagnole avec à sa tête don Luis de Haro. Outre la réconciliation des deux principales puissances d’Europe, le traité prévoit le mariage du jeune roi de France (tout simplement Louis XIV !) avec l’infante Marie-Thérèse d’Autriche, fille du roi d’Espagne. En guise de dot, l’Espagne apporte à la France le Roussillon, la Cerdagne, l’Artois et plusieurs places fortes en Flandre et en Lorraine telles Gravelines, Thionville et Montmédy. Le mariage est célébré le 9 juin 1660 en l’église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz.
Entre le dénuement du lieu et les fastes ultérieurs de la Cour du roi Soleil, c’est le point de départ pour l’auteur d’une subtile réflexion dans laquelle on croise dans le désordre le peintre Vélasquez, Maurice Ravel, Edmond Rostand, André Dassary entonnant Maréchal nous voilà, Jean Borotra le tennisman bondissant, Pierre Loti et son Ramuntcho, et même les rugbymen du Biarritz Olympique ! Vertigineux ! En tout cas, lorsque j’irai me promener du côté de Ménilmontant, je saurai désormais pourquoi une rue de la Bidassoa côtoie la rue des Pyrénées, la seconde plus longue rue de la capitale derrière celle de Vaugirard.
Je ne résiste pas à vous parler encore du chapitre consacré à Beaugency dont le pont franchit la Loire, et Vendôme situé sur le Loir. Avec malice, Jean-Christophe Bailly réunit les deux villes en partant d’une comptine, réminiscence de son enfance :

« Mes amis, que reste-t-il
A ce Dauphin si gentil ?
Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme, Vendôme !

Les ennemis ont tout pris
Ne lui laissant par mépris
Qu’Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme, Vendôme ! »

Cette chanson est celle des carillons, celle que reprend, pour scander les heures, le carillon du clocher de la tour Saint-Firmin à Beaugency.

Image de prévisualisation YouTube

Image de prévisualisation YouTube

Ses paroles évoquent le sort de Charles VII qui, à la mort de son père, n’hérite que d’un royaume réduit aux villes de Bourges, Orléans, Beaugency , Cléry-Saint-André et Vendôme (et des territoires méridionaux), le reste revenant aux Anglais selon les termes du traité de Troyes censé mettre fin à la guerre de Cent ans. Ce qui vaut alors à Charles VII, le surnom de « petit roi de Bourges » !
Il retrouve toute sa légitimité et est sacré roi de France le 25 février 1429 après qu’une bergère ayant entendu des voix du côté de Vaucouleurs en Lorraine, lui ait donné un sérieux coup de main lors du siège d’Orléans. Mais vous connaissez l’histoire officielle qu’on vous contait dans les si belles écoles d’antan !
À Beaugency, au pied du clocher de Saint Firmin, trône la statue de la célèbre Pucelle dont nos politiques violent allègrement la mémoire en ce moment. Digression toute personnelle, passerelle sinon sur la Loire mais avec Yves Boisset, l’actrice Edwige Feuillère vécut et repose au cimetière communal de Beaugency !
En fin de chapitre, dans un savoureux exercice de prose poétique, dans l’esprit de la comptine, Jean-Christophe Bailly décline les affluents du Loir (et par voie de conséquence, sous affluents de la Loire : « Venant sur la rive droite : l’Ozanne, la Yerre, l’Egvonne, le Boulon, la Braye, l’Anille, le Tusson, la Veuve, le Dinan, l’Aune et le Casseau.
Venant sur la rive gauche : la Thironne, l’Aigre, la Conie, la Cendrine, le Couetron, l’Etangsort, la Dême, l’Escotais, la Maulne, la Marconne et enfin la Brisse. » C’est cela aussi la douce France !
Un dernier voyage : Jacques Brel (du moins, sa compagne, le temps d’une chanson pleine de flonflons typiquement français) voulait voir Vesoul et Vierzon, Jean-Christophe Bailly a souhaité se rendre à Culoz, petite cité du Bugey, dans le département de l’Ain, qui connut une certaine notoriété comme nœud ferroviaire des lignes en provenance de Paris, Lyon, Genève, Aix-les-Bains et Chambéry. Mal lui en a pris si on s’en tient à ses quelques lignes: « Il m’a semblé tomber là sur une sorte de siphon – non seulement ce qu’on appelle un trou, mais quelque chose de très difficile à décrire, soit l’un de ces lieux, et sans doute y en a-t-il beaucoup, où ni le passé, ni le présent, ni l’avenir n’ont de consistance et où tout semble devoir se diluer dans une sorte de survie qui n’a même pas pour elle l’indolence ». Propos culottés pour les pauvres Culoziens ! Bailly garde le souvenir de deux d’entre eux, un couple de musulmans intégristes, lui en survêtement et barbu, poussant un landau, elle marchant à son côté, intégralement voilée. On pourrait craindre un instant, quelque dérive « bessonniste » ou « guéantesque » qu’il désamorce avec talent : « C’est que la France est faite maintenant de cela, de cela aussi, de ces exils, de ces replis, de ces autels secrets et qu’il y a là comme un effet boomerang de l’époque coloniale, quand des hommes et des femmes, peut-être catholiques, venus d’Alsace ou de Normandie, poussaient eux aussi leurs landaus sur des chemins à Tlemcem ou dans telle petite ville d’Algérie ... »
Je partagerais volontiers avec vous d’autres dépaysements, je pense notamment à la magistrale description des villes soeurs de Beaucaire et Tarascon séparées par le Rhône et leurs légendes respectives du Drac et de la Tarasque.
Je ne saurai trop vous conseiller plutôt d’acquérir cet ouvrage magnifique ; vous en sortirez ravi, plus riche intellectuellement, et finalement peut-être fier d’être Français.
N’oubliez pas non plus mes deux lectures précédentes, si divertissantes également dans leur témoignage d’une certaine identité française.

- La vie est un choix de Yves Boisset, éditions Plon
Une si belle école de Christian Signol, éditions Albin Michel
Le Dépaysement Voyages en France de Jean-Christophe Bally, collection Fiction & Cie, éditions du Seuil

valentin10 |
Pas à la marge.... juste au... |
CLASSE BRANCHEE |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Dysharmonik
| Sous le sapin il y a pleins...
| Métier à ticer