À SANT’ ANTONINO, beau village de Haute-Corse
Pour commencer mon ultime billet à propos de mon séjour en Corse, je fais appel à Guy de Maupassant, un « pays », normand comme moi, qui, vous le savez désormais, bourlingua, vers l’année 1880, sur les chemins de l’île de Beauté, souvent escarpés et malaisés ; j’en ai fait l’amère expérience que je vous narrerai plus tard.
« Sur les montagnes corses, flambe sans cesse un éclatant soleil. La lumière ruisselle comme de l’eau le long de leurs flancs, tantôt vêtus d’arbres immenses, qui de loin semblent une mousse, tantôt sont nus, montrant au ciel leur corps de granit.
Même sous l’abri des forêts de châtaigniers, des flèches de lumière aiguë percent le feuillage, vous brûlent la peau, rendent l’ombre chaude et toujours gaie.
Pour aller d’Ajaccio au monastère de Corbara, on peut suivre deux chemins, l’un à travers les montagnes et l’autre au bord de la mer. Le premier serpente sans fin à mi-côte au milieu d’impénétrables maquis, longe des précipices où l’on ne tombe jamais, domine des fleuves presque sans eau à cette saison, traverse des villages de cinq maisons accrochés comme des nids aux saillies du roc, passe devant des sources minces, où boivent les voyageurs éreintés, et devant des croix nombreuses annonçant qu’en cet endroit un homme est mort : et c’est une balle qui les a tués presque toujours, ces pauvres diables couchés au bord de la route.
Voulant aller à Corbara serrer la main du Père Didon, j’ai choisi, pour m’y rendre, le chemin des montagnes. Là, point d’hôtels, point d’auberges, pas même de cafés, où l’on peut à la rigueur coucher. On demande l’hospitalité, comme autrefois, et la maison des Corses est toujours ouverte aux étrangers.
Après avoir traversé les immenses forêts d’Aïtone et de Valdoniello, le val du Niolo, la plus belle chose que j’aie vue au monde après le mont Saint-Michel et une partie de la Balagne, le pays des oliviers, j’ai retrouvé la mer auprès de Corbara.
Le paysage est grandiose et mélancolique. Une plage immense s’étend en demi-cercle, fermée à gauche par un petit port presque abandonné des habitants (car la fièvre ici dépeuple toutes les plaines), et terminée à droite par un village en amphithéâtre, Corbara, élevé sur un promontoire.
Le chemin qui me conduit au monastère est à mi-côte et passe au pied d’un mont élevé que couronne un paquet de maisons jetées dans le ciel bleu si haut qu’on pense avec tristesse à l’essoufflement des habitants contraints de remonter chez eux. Ce hameau s’appelle Santo-Antonino. »
Ce jour-là, avec mon automobile encore en parfait état, j’ai gravi la montagne pour atteindre le pittoresque petit village de Sant’Antonino. Il est le seul en Corse avec Piana et ses calanche, déjà évoqués, à entrer dans le cercle fermé des « plus beaux villages de France ».
Situé à plus de cinq cents mètres d’altitude, Sant’Antonino est aussi l’un des plus hauts villages de la Balagne, visible d’à peu près partout où l’on se promène. Depuis la route du littoral qui mène de Calvi à Île-Rousse, nous le découvrons perché tout là-haut sur son piton de granit. Via Corbara ou Cateri, il apparaît de plus en plus proche dans un décor de maigre végétation qui n’est pas sans rappeler certains paysages arides des Pouilles italiennes.
C’est également l’un des plus anciens villages de Corse car ce nid d’aigle avait pour fonction originelle de garder un œil sur ses fiefs et de prévenir les débarquements ennemis. Cette place forte fut fondée au IXe siècle par Ugo Colonna, figure emblématique de l’histoire de la Corse, prince romain ayant mené en 816 la Reconquista de l’île sur les Maures. Lorsque les voiles barbaresques se pointaient sur la mer, distante seulement de trois kilomètres à vol d’oiseau, la population se réfugiait dans la forteresse.
Sant’Antonino compte 96 habitants à l’année, mais en période estivale, ce sont plusieurs centaines de touristes, voire plusieurs milliers, qui envahissent pacifiquement, chaque jour, le parking payant au pied de la cité. La modeste commune ramasse sans doute là une manne financière non négligeable mais cela nuit, malheureusement, à la perspective devant l’église de l’Annonciation et la petite chapelle de confrérie contiguë. On paye la rançon de la gloire touristique car toute circulation est interdite puisque impossible à l’intérieur même du village.
C’est peut-être d’ailleurs en raison de l’accessibilité difficile que les deux édifices religieux ont été construits là à l’écart du centre du village, à proximité de l’ancienne aire de battage.
L’église A Nunziata avec son campanile adossé à elle, est d’une blancheur si aveuglante sous le soleil de juillet, qu’elle apparaît presque trop sombre à l’intérieur.
Elle possède quelques tableaux classés dont une déposition de croix avec quatre donateurs du XVIIe siècle. Mais son chef-d’œuvre est son orgue. Construit en 1744 par le facteur d’orgue toscan Pomposi, à l’origine pour l’église du couvent des Franciscains à Cateri, le village en contrebas, il fut transféré ici en 1806. Il est placé derrière l’autel comme il était de coutume dans les églises de couvent, pour faciliter le chant des frères autour du lutrin. On voudrait s’en approcher plus pour admirer en détail les superbes panneaux du garde-corps peints par l’artiste espagnol Vicente Suarez vers 1789. Ils ont été restaurés récemment par Ewa Poli dont le travail magnifique dans plusieurs églises et chapelles de Haute-Corse a été mis en valeur au printemps lors d’un reportage de l’émission Des racines et des ailes. Il est d’ailleurs surprenant que de nombreux monuments religieux de l’île soient ouverts aussi largement au public sans surveillance (du moins apparente) alors que sur le continent, nous restons fréquemment devant porte close … À moins de récupérer la clé à la mairie ou chez une des dernières dames patronnesses de la commune qui, comme le chantait Jacques Brel, ont l’œil vigilant, et un point à l’envers, et un point à l’endroit, un point pour Saint Joseph, un point pour Saint Thomas !
Et un point pour Saint Antoine qui fut tout de même un peu spolié ; en effet, les tuyaux d’orgue furent pillés ou du moins réutilisés pour d’autres instruments. La paroisse envisage de remettre en voix son orgue ; peut-être est-ce pour contribuer à son financement, que, moyennant notre obole, des clous, des bûches et un marteau sont à notre disposition à l’entrée. Doit-on retrouver dans ce geste de bricoleur, la symbolique du Christ cloué à la croix ?
En tout cas, en contemplant la peinture du buffet représentant le concert spirituel de Sainte Cécile jouant de l’orgue en compagnie des anges musiciens, je me prends à rêver d’écouter un jour ici quelques fleurons de musique baroque.
La petite chapelle de la confrérie, immédiatement à droite en sortant, ne manque pas de charme non plus. Y sont exposées quelques pièces de mobilier religieux, dais, croix, bâtons pastoraux, sans doute encore en usage lors des processions annuelles.
Allez, en route pour la grimpette jusqu’au sommet du village ! À l’escalier bien régulier qui monte droit en face, je préfère emprunter la ruelle le long de la muraglietta, une murette en pierre d’où l’on découvre l’arrière du décor, la vallée du Reginu, les villages de Feliceto et Belgodère et le barrage de retenue d’eau, le lac de Codole.
Ma compagne repère, pour le retour, une petite terrasse où l’on sert quelques délicieuses pâtisseries corses.
Les enfants rebutés par la pente, choisissent la balade à dos d’âne. Il est vrai que les braves bêtes ont le pied plus ferme sur le chemin étroit et empierré.
Ici, les deux boutiques de souvenirs et de produits locaux sont rejetées au pied du piton. Le village conserve son aspect moyenâgeux, sans commerces attrape touristes, sans enseignes, sans même le moindre panneau indicateur. Selon notre bonne humeur vagabonde, nous nous perdons volontiers dans ce véritable labyrinthe de venelles, aux pavés disjoints taillés à même le roc, qui s’enroulent jusqu’au sommet telles un escargot.
Parfois, nous nous coulons dans des galeries voûtées, parfois, le libecciu, particulièrement agressif ce jour-là, nous cingle au visage lorsque nous débouchons sur une placette et l’adorable chapelle Lavasina ; tiens, celle-ci est fermée !
Je m’attarde devant ces vieilles pierres chargées d’histoire et sans doute d’histoires. Seuls quelques lauriers et bougainvillées égayent le gris minéral. J’imagine ce que pouvait être ici la vie autrefois, la survie peut-être même, le repli sur soi en hiver, le tempérament de ses habitants aussi rugueux que la roche Dans les années 1960, ils connurent l’exode rural et certains furent contraints de chercher du travail ailleurs. Le mètre carré habitable devenu dérisoirement bas, cela constitua une aubaine pour quelques néo Sant’Antuninacci de restaurer leur village avec goût et humilité. Il est même une dame de Dijon, de son nom Bourgogne comme il se doit, de son prénom non pas Marguerite mais Mireille, qui a posé là ses valises, il y a une vingtaine d’années, et qui a installé une bibliothèque dans la chapelle Sainte-Anne des bergers. Dans quelques jours, les pâtres du Niolu viendront avec leurs troupeaux faire la fête ; au programme, des chants et des danses sans doute devant des assiettes de charcuterie et de fromages.
Il fait chaud et, pour me rafraîchir d’un rosé bien gouleyant, je préfère à la salle voûtée du petit restaurant La Porta, sa terrasse au-dessus, sous une treille. Cela ne ménage certes pas les allées et venues de l’hôtesse au minois adorable qui, un plateau à la main, doit sortir dans la ruelle et emprunter un escalier de pierre tortueux, en affrontant les rafales du libecciu ! Mais, le coup d’oeil vers la plage d’Aregno est trop magnifique et il y a même des coussins pour atténuer la dureté de la roche !.
Un dernier effort et nous voilà a cima, au sommet du piton, sur les rares vestiges du donjon d’où l’on jouit d’un panorama grandiose à 360 degrés sur les toits de tuiles des maisons, la campagne de Balagne et la grande bleue. Notre plaisir et … notre équilibre sont perturbés par ce maudit libecciu, toujours lui, soufflant avec une telle violence aujourd’hui qu’il empêcherait la pousse des cornes sur les veaux corses (aux olives ? Hum !).
À défaut d’avoir laissé des cailloux derrière soi, il est difficile de repérer notre chemin dans le dédale, pour redescendre. Mais peu importe, au contraire, c’est l’occasion de nous faufiler dans d’autres petits coins pittoresques, de dénicher un four à pain par ci, une pierre sculptée par là.
Malgré le vent, ma compagne n’a pas perdu ses esprits. Très pragmatique, elle me fait remarquer l’incommodité du transport des commissions (vive le Maximo corse !!!). Puis elle retrouve la terrasse de la Casa Corsa où elle goûte enfin son fondant à la châtaigne. Je préfère siroter un pamplemousse pressé, l’une des spécialités de la maison qui élabore aussi de délicats vins de citron et de cédrat, fruits familiers des vergers corses et siciliens.
C’est le moment choisi pour vous conter ma galère du surlendemain, survenue dans le col du Marsulinu reliant Calvi à Galeria, cette fois, la bien nommée ! Je remontais tranquillement vers le sommet, lorsqu’un âne, pas un de ceux dont on ne fabrique pas de saucisson (!) mais bien un piètre émule de Sébastien Loeb, multiple vainqueur du tour de Corse, le « rallye aux 10 000 virages », qui, surpris par une courbe à angle droit, freina sans succès, traversa la route devant moi, tenta de redresser son véhicule dans le fossé, ce qu’il réussit après quelques embardées … pour mieux achever sa course infernale contre le côté droit de mon automobile!
Ne vous inquiétez pas puisque je suis là à vous écrire : aucun blessé de part et d’autre, ma voiture dans un triste état mais roulant encore, l’autre hors d’usage, juste l’agacement d’une petite fille de voir les touristes nous observer jusqu’à la fin du séjour comme des bêtes de zoo !!!
Pour en avoir désormais été victime, je vous confirme que les routes de Corse sont périlleuses mais, bon sang de normand ne saurait mentir, elles continueront de me procurer le même enchantement qu’à Maupassant. Sans attendre les calendes grecques, je reviendrai sur l’acropole de Sant’ Antonino.
« Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les Héros d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire… »
Quitte à contredire José-Maria de Heredia, il n’y eut jamais de temple, ni de déesse a cima, ni même de vol de gerfauts, mais juste une forteresse, à l’origine de luttes sanglantes entre les Savelli de Sant’Antonino et ceux du village voisin de Speloncato, et parfois quelques vautours qui viennent survoler le nid d’aigle.

Vous pouvez laisser une réponse.
bonjour,
Quelle belle balade tu nous offres là et quel retour dans le passé ! Cela procure de la nostalgie, un si joli village comme autrefois. Par contre, le fondant à la châtaigne l’été, ce n’est pas un peu étouffe-chrétien ? j’aurais préféré moi aussi, le jus de fruits !
Quant à la rencontre avec l’âne, on ne peut pas dire qu’elle fut fructueuse, enfin l’essentiel c’est que ça roule !
A très bientôt, amitiés.
Bonjour,
Avec un peu de retard, je viens terminer ma balade entre votre compagnie.
Superbe promenade pleine de points d’intérêt, je passe sur la voiture endommagée et je m’arrête sur ces maisons accrochées aux cailloux, ces ruelles pentues et surtout ce point de vue sur la mer entre des coussins accueillants. Bravo, vous maîtrisez les arts de la photographie, de l’écriture et du suspens. C’est un plaisir certain que de passer un moment en votre compagnie.
Je voulais ajouter que je suis impressionnée par la propreté des lieux. A la Réunion, c’est bien autre chose ; partout les gens laissent des traces de leur passage.
Enfin, je ne comprends pas l’expression « bon sang de normand ne saurait mentir ». Les Normands seraient entêtés comme des Savoyards ? Téméraires ? Fidèles ? Pour moi, les Normands furent des envahisseurs jadis, puis des gens à la réputation ternie par des proverbes peu élogieux : dit et dédit ; pas de foi à accorder à une parole de Normand. Il est vrai que je ne sais rien de plus, sauf à parler des plages du débarquement.
Merci encore pour vos écrits, j’ai du temps à rattraper chez vous.
Bonne journée et à bientôt.
En ce qui concerne ce proverbe, il est lié, bien sûr, à toute une imagerie populaire et le goût des stéréotypes. L’Histoire, peut-être la légende, décrit les North Men, ces hommes venus du Nord, comme des guerriers intrépides qui ne craignaient pas la peur. Goscinny et Uderzo ne manquent pas d’utiliser cette référence, et, d’autres encore, dans leur célèbre bande dessinée « Astérix et les Normands »: ces fiers soldats mettraient beaucoup de crème dans leur cuisine …
Bien cordialement.
les véhicules, peuvent ils rouler dans le village?
Quels sont les accès?
Cordialement
mr Lelievre
Merveilleuse description de ce village que nous avons eu plaisir de visiter la semaine dernière. Et désolée pour votre voiture, il est vrai que nous avons souvent eu des sueurs froides le long de l’échine… Bonne continuation dans vos voyages.
Merci pour votre commentaire. Je suis touché que mon billet vous ait donné envie de visiter ce nid d’aigle.
Pour ma voiture, c’est un lointain souvenir. Mais je pleure depuis un an, presque jour pour jour, la disparition de la fille d’amis très chers, victime, oui j’ose l’écrire, de la « connerie humaine ».