Archive pour septembre, 2011

Martin Lartigue et Jean-Denis Robert exposent au château … ou les (beaux) dommages collatéraux de la Guerre des Boutons d’Yves Robert

Dans toute guerre qui se respecte, il y a des dommages collatéraux. La guerre des boutons, la seule vraie au cinéma, celle, mon colon, que je préfère, celle de 1961, n’y échappe pas. Et, je viens d’en être victime … pour mon plus grand bonheur.
Mes lecteurs les plus fidèles n’ignorent pas qu’en ce mois de septembre, les anciens combattants de la fameuse guerre culte se sont retrouvés dans le cadre de la commémoration du cinquantième anniversaire du tournage du film d’Yves Robert. Je vous en entretiendrai prochainement.
Aujourd’hui, il n’est pas temps de faire la guerre, faisons plutôt l’amour de l’art ! En effet, l’occasion fait le larron, et comme les voleurs sur la croix, ils sont deux valeureux soldats, héros d’expositions artistiques organisées dans le département d’Eure-et-Loir, non loin de leurs champs de batailles enfantines. L’un est Martin Lartigue, petit-fils du célèbre photographe Jacques-Henri Lartigue, et fils de Dany Lartigue, artiste peintre et entomologiste passionné, créateur notamment de la Maison des Papillons à Saint-Tropez. Mais, dans la mémoire collective, l’étiquette qui lui colle de manière indélébile à la peau, est celle de Tigibus, le gamin trognon héros du film d’Yves Robert avec sa célèbre réplique Si j’aurais su, j’aurais pas venu.
L’autre est Jean-Denis Robert, le fils d’Yves. Il appartenait discrètement à la facétieuse bande de Longeverne.

« Fils de bourgeois
Ou fils d’apôtres
Tous les enfants
Sont comme les vôtres
Fils de César
Ou fils de rien
Tous les enfants
Sont comme le tien
Le même sourire
Les mêmes larmes
Les mêmes alarmes
Les mêmes soupirs …
… Mais fils de bon fils
Ou fils d’étranger
Tous les enfants
Sont des sorciers
Fils de l’amour
Fils d’amourettes
Tous les enfants
Sont des poètes
Ils sont bergers
Ils sont rois mages
Font des nuages
Pour mieux voler
Ce n’est qu’après
Longtemps après... »

Martin et Jean-Denis, je me permets de les prénommer familièrement car une amitié s’est nouée entre nous, ne sont pas des fils à papa mais, pour emprunter à Jacques Brel, ce sont ces enfants de la guerre des boutons qui, devenus poètes et rois mages, nous arrivent longtemps après, les bras chargés de présents, en l’occurrence plein de toiles et de photographies.
Pour eux comme pour nous, durant un mois, c’est la vie de château puisqu’ils ont investi deux demeures royales appartenant au patrimoine historique de l’Eure-et-Loir.

Martin Lartigue et Jean-Denis Robert exposent au château ... ou les (beaux) dommages collatéraux de la Guerre des Boutons d'Yves Robert dans Coups de coeur affichelartigueblog1dsc2222

Martin Lartigue présente ses peintures dans l’Orangerie du château de Maintenon, à quelques fenêtres de la chambre royale où, pour pasticher le titre de son exposition, Sa Majesté le Roi Soleil en personne, mit la maîtresse des lieux dans tous ses états ! En effet, petit rappel historique, Françoise d’Aubigné plus célèbre sous le nom de madame de Maintenon voire même plus irrévérencieusement de « Madame Quatorze », fut, en ces lieux, gouvernante des enfants bâtards de Louis XIV (des fils de, malgré tout !), avant d’en devenir la favorite puis secrètement son épouse après la mort de la reine en 1683.

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Martin a accroché cinquante toiles ; c’est le seul clin d’œil à l’anniversaire de la sortie du film. Un brin agacé parfois qu’on lui renvoie constamment ce souvenir d’enfance, l’artiste, lors du vernissage, répond malicieusement à la vacuité de l’allocution d’une personnalité locale : « Cinquante tableaux pour montrer que j’ai fait autre chose et qu’il y a une vie après la guerre ! »

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« Le regardeur de peinture n’a qu’à faire son boulot de regardeur et faire l’effort suffisant pour avoir une opinion personnelle ». C’est paradoxalement le meilleur conseil qu’il puisse nous donner avant de flâner devant ses fresques foisonnantes. Même si j’ai le privilège que Martin me prête quelques clés, pour entrer par exemple au Lapin agile !
Ainsi, sa maman Jeanne Pico, comédienne et chanteuse, fréquenta le célèbre cabaret en face des vignes de Montmartre. Quant à Martin, véritable petit poulbot, dans la foulée de ses deux succès sur les écrans (La guerre des boutons et Bébert et l’omnibus), il connut une scolarité quelque peu chaotique dans diverses écoles de la butte. Puis, à vingt ans, maintenant qu’il avait du poil au menton comme aurait mimé La Crique, il exposa pour la première fois, dans l’atelier familial, Place Blanche, en face du Moulin Rouge.

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Dans ce tableau très intime, sa maman et son grand frère regardent par la fenêtre du cabaret, tous les symboles de la butte : la verrière d’un atelier d’artiste, une toile sur un chevalet, le Sacré Cœur et le Moulin rouge, et l’homme au chapeau à large bord et au cache-nez écarlate, Aristide Bruant, l’immense chansonnier de la fin du dix-neuvième siècle et début du vingtième. On s’attend à ce que de sa voix rauque et puissante, il entonne un de ses refrains réalistes :

« … On était chouette, en c’temps là,
On n’ sacrécoeurait pas sur la
Butt’ déserte,
Et j’ faisais la cour à Nini,
Nini qui voulait fair’ son nid,
A Montmertre. … »

Et au centre de tout cela, un arrosoir au pied d’un arbre pour faire monter la sève créatrice ; presque un arbre généalogique car beaucoup de choses germèrent là durant l’enfance montmartroise de Martin. Et comme l’artiste nous encourage à émettre notre avis ou mieux encore à nous évader, pour avoir évoqué sa mémoire lors d’une discussion impromptue avec lui, j’ai envie de glisser là l’âme de Bernard Dimey, un grand poète qui s’installa sur la butte, au milieu des années cinquante.
J’aimerais tant voir Syracuse/L’île de Pâques et Kairouan/Et les grands oiseaux qui s’amusent/À glisser l’aile sous le vent, c’est de lui ; L’émouvante Mémère chantée par Michel Simon, c’est encore lui ; et, sur un ton plus léger, Mon truc en plumes agité par Zizi Jeanmaire, c’est toujours lui, cela a le don d’émoustiller Martin dont le grand-père Pico fut décorateur aux Folies Bergère !
Pour trouver une certaine cohérence à ma déambulation, voici encore :

« Quand je sens, certains soirs, ma vie qui s’effiloche
Et qu’un vol de vautours s’agite autour de moi,
Pour garder mon sang froid, je tâte dans ma poche
Un caillou ramassé dans la Vallée des Rois.
Si je mourrais demain, j’aurais dans la mémoire
L’impeccable dessin d’un sarcophage d’or
Et pour m’accompagner au long des rives noires
Le sourire éclatant des enfants de Louxor... »

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Justement, à quelques pas, je retrouve la Vallée des Rois et quelques divinités égyptiennes, possiblement Horus, Anubis et Hathor. L’une d’elles, un obus dans une main, brandit dans l’autre, un coquelicot et un bleuet, ces fleurs du mal pour le paysan qui sont devenues symboles du souvenir des champs de bataille. Inspiré par l’Antiquité, Martin dévoile, sur le même tableau, une influence grecque (du moins, je l’interprète ainsi) en juchant le cheval de Poséidon, le dieu de la mer, … sur le dos d’un jockey ! On est sur un hippodrome, on aperçoit au loin des turfistes, tandis qu’au premier plan, à proximité d’une fusée, un cardinal s’agrippe à une antenne de télévision au sommet de laquelle s’est hissé un ange dont les ailes ont la forme de paraboles ! Ouf, et cela ne constitue que la moitié inférieure de la toile ! Au-dessus, deux touristes posent devant l’hôtel de la Vue payante ( !), une fanfare traverse la place du village le jour de la « flemme » votive, un pauvre randonneur porte sa croix dans son sac, un mélange de Batman et Superman transpercé par la flèche de Cupidon suspend son vol, etc … ainsi va mal le monde vu par l’artiste ! C’est Helzappopin et Monthy Python en peinture ! Ça foisonne de références, ça fourmille d’anecdotes, ça bouillonne de culture !
La preuve, tout de go comme ça, vous connaissez Bertrand de Got ? Il fut pape sous le nom de Clément V entre 1305 et 1314. Peu décidé à se rendre à Rome où régnait le marasme le plus total, il passa son pontificat en Avignon avec en toile de fond, le procès de l’Ordre du Temple. Renseigné sur les mœurs, soi-disant dissolues, des Templiers, le roi Philippe le Bel tanna le pontife pour qu’il condamne ces hérétiques. Et le 13 avril 1312, en séance plénière du concile de Vienne, Clément V promulgua la bulle Vox in excelso qui supprimait l’Ordre du Temple. Sur le bûcher, le grand maître des Templiers Jacques de Molay, lança ces célèbres imprécations : « Clément, et toi, Philippe, traîtres à la foi donnée, je vous assigne au tribunal de Dieu ! Pour toi Clément, à quarante jours, et pour toi Philippe, dans l’année ». La prophétie se réalisa car, vingt-huit jours plus tard, le pape, victime de la dysenterie, mourut à Roquemaure près d’Uzès. Quant à Martin, il marque sa désapprobation au traître, en coloriant de jaune son petit dessin de Bertrand de Got.
L’œuvre de l’artiste se promène dans le temps. Ainsi, elle rappelle aussi parfois l’imagerie du Moyen Âge et les enluminures des Très Riches Heures du duc de Berry avec des références aux tapisseries de l’époque et à l’architecture romane et ses vitraux.

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Sa peinture voyage aussi dans l’espace, géographiquement comme artistiquement. D’une toile à l’autre, on se balade de Montmartre à la place aux Herbes d’Uzès avec la tour Fenestrelle, on y croise même son papa, avant de faire bronzette au bord de la Méditerranée en compagnie d’un torero à quatre bras, clin d’œil à Picasso et au cubisme. Cette dernière référence ne serait en fait qu’une construction de mon esprit ! Tant mieux.

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Martin franchit aussi les mers et les océans pour emprunter à des cultures primitives africaines ou d’Amérique centrale.

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Une de ses toiles me fait ouvrir mon armoire aux souvenirs de mon séjour au Mexique et, en particulier, el dìa de los Muertos. En ces 1er et 2 novembre, la visite rituelle dans les cimetières est festive. On dispose sur les tombes, les plats préférés des défunts, des alcools et plein de sucreries en forme de squelettes et de crânes (les calaveras), et des mariachis jouent leur musique endiablée.
Comme les Mexicains continuent depuis l’époque de Moctezuma, dernier empereur aztèque, de se moquer de la mort pour mieux l’accepter, Martin Lartigue choisit la dérision pour peindre le monde qui l’entoure sans vouloir être sentencieux.

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Il parle de choses sérieuses voire graves en essayant de nous faire rire. Réminiscence de sa jeunesse, enfant de la balle qui suivit l’École de Mime, il a gardé l’amour du cirque et des arts forains qu’il représente dans plusieurs de ses toiles. Ce qui n’est évidemment pas pour déplaire à David Ramolet, grand instigateur de ces manifestations commémoratives autour du film d’Yves Robert, dont le livre De la sciure dans les veines (édition Siloé), à paraître imminemment, se situe dans le milieu circassien.
L’allusion ne lui déplaira sûrement pas, je me nourris des toiles de Martin Lartigue de la même manière que je découvre sans cesse de nouveaux jeux de mots dans les chansons de Boby Lapointe. Chacune de mes visites de l’exposition s’enrichit de détails, correspondances, influences, interprétations, non perçus précédemment. Dans la lignée du maître ès calembours de Pézenas, j’ai même croisé des Saints trompés, allusion au célèbre port varois où naquit Martin. Savoureuse facétie, il expose une toile légendée Citron dans une orangerie !

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Comme un journaliste noircit son calepin de notes, il « gribouille » à profusion sa toile en la compartimentant, faisant fi de la perspective, pour mieux hiérarchiser les éléments naïfs d’une grande fresque finale.

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J’ai un faible pour V comme … Verlaine, variations jubilantes dans une dominante Violette où l’on retrouve aux côtés du poète blessé par les sanglots longs des Violons de l’automne, le Vice et … Versa, la Vertu aussi avec la Valse des Vierges, le Vilain, un Village et une Voiture, Voltaire discrètement, deux Vaches, le Vin, et Villon devant … un Vélo, avec François inscrit sur son maillot, de quoi me ramener au facteur, spécialiste des tournées à l’américaine, héros du film de Jacques Tati.

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En effet, c’est Jour de fête quand Martin, peintre et céramiste, est dans tous ses états !
Pour ma transition, n’en prends pas ombrage cher Martin, j’ai cru dénicher dans un adorable petit triptyque, une allusion au temps de la guerre, à travers ces gosses en culotte courte, coiffés d’un béret, et la fronde à la main.

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On y revient toujours ! D’autant plus que lors du vernissage, je fais la connaissance d’un autre ex-gamin de la guerre, Jean-Denis Robert, le fils du cinéaste. La filiation est évidente tant la ressemblance est flagrante. Qu’il me pardonne, je lui impose l’épreuve de mon hommage personnel à son papa. C’était la seule personne à qui je désirais confier toute la richesse que m’apportèrent mes quelques rencontres avec son père Ému, il m’absout bien volontiers en m’invitant au vernissage de son exposition, le lendemain, au château de Nogent-le-Roi que hantèrent, en des temps médiévaux, Philippe Auguste et Philippe le Hardi.

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Homme de cinéma lui-même, ayant travaillé notamment avec Costa-Gavras et Claude Sautet, Jean-Denis Robert a replongé son œil dans le carré (format 6×6) de son vieil appareil Hasselblad, il y a une dizaine d’années, pour profiter d’une liberté : « J’ai attendu avec patience que l’obscurité se dissipe et tout est revenu, tout était là, toute la misère du monde, drolatique, effrayante, lumineuse. Je n’avais plus qu’à jouer avec, impressionner ces choses de rien avec le sentiment de les rendre visibles, comme une seconde nature. »

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Son père me parlait de Fenimore Cooper et de Jack London. Aujourd’hui, je mets mes pas dans ceux de Jean-Denis, un autre « chercheur de trésors » comme l’indique le titre de son exposition.
Je me régale de la scénographie imaginée par l’artiste lui-même qui, très subtilement, joue avec les différentes pièces du château, pour mettre en correspondance ses œuvres selon leur propos, leurs formes et leurs couleurs.

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Dès l’entrée, avec une fraîcheur et une malice d’enfant, en guise de présentation, il nous invite à jouer en disposant trois photographies telles un rébus ou une charade: sur la première, référence évidente à Magritte, deux branches d’arbres écrivent le mot JE, en suspension dans un ciel bleu aux nuages blancs ; sur la seconde, se dressent plusieurs pinceaux usagés que l’artiste envisage comme une troupe très colorée de saltimbanques ; la troisième montre un extrait d’un nuancier de peintures à l’eau avec leurs noms exacts. Son tout est : je peins (avec) des couleurs ! Joli défi de la part d’un photographe, qu’il atteint avec talent ; lapsus révélateur, je me surprends même plusieurs fois à dire tableau en évoquant ses clichés.

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Dans le travail de Jean-Denis, tout est si simple mais aussi si compliqué, un peu comme fut son adolescence qu’il compare à celle de Patrick Modiano : « J’errais entre deux mondes, celui de ma mère, lascive fonctionnaire de l’éducation nationale. Un jour, on me présente mon père, il est comédien, il s’appelle Yves Robert, me voilà enfant de la balle, par rebond ! »
Simple parce que nous avons tous à portée de main les objets avec lesquels il s’amuse. Ce peut être très banalement quelques déchets ou encombrants qu’il sauve de la sanction suprême du tri sélectif. Ce sont aussi des glanes lors d’une promenade dans la nature. Ce sont encore des objets et papiers qui, parfois seulement par manque de place, tombent en désuétude et bientôt dans l’oubli au fond des greniers, des granges, des ateliers de nos parents et grands-parents. Déjà, par le seul geste de les retrouver, ils nous racontent une histoire, une Vie comme l’écrit Maupassant dans son roman éponyme : « C’était un fouillis d’objets de toute nature, les uns brisés, les autres salis seulement, les autres montés là on ne sait pourquoi, parce qu’ils ne plaisaient plus, parce qu’ils avaient été remplacés. Elle apercevait mille bibelots connus jadis, et disparus tout à coup sans qu’elle eût songé, des riens qu’elle avait maniés, ces vieux petits objets insignifiants qui avaient traîné quinze ans à côté d’elle, qu’elle avait vus chaque jour sans les remarquer et qui, tout à coup, retrouvés là, dans ce grenier à côté d’autres plus anciens dont elle se rappelait parfaitement les places aux premiers temps de son arrivée, prenaient une importance soudaine de témoins oubliés, d’amis retrouvés. Ils lui faisaient l’effet de ces gens qu’on a fréquentés longtemps sans qu’ils se soient jamais révélés et qui soudain, un soir à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter toute leur âme qu’on ne soupçonnait pas. »
Compliqué, et c’est tout le talent de Jean-Denis Robert, parce qu’il s’empare de ce matériau pour le recycler, le faire revivre, l’organiser à sa façon, le mettre en scène, en l’enjolivant.
Il s’agit bien plus d’un art singulier que d’un art brut au sens du terme inventé par Jean Dubuffet.
Son art dépasse largement le cadre de la photographie. Tout au long de l’exposition, Jean-Denis, artiste protée, devient successivement, conteur, peintre, sculpteur. Aimant jouer avec les mots, il accompagne chacune de ses œuvres, d’une légende oscillant entre le trait d’humour et un commencement de piste possible à la compréhension. Il nous fait entrer ainsi dans ses histoires, à nous ensuite de nous les approprier voire de nous inventer les nôtres.

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Il n’y a aucun visage humain et pourtant la galerie est truffée de portraits. D’un vieux cadenas rouillé ouvert et une rose fanée, surgit comme à l’évidence une silhouette féminine : Je m’appelle Brigitte ! Une métaphore nostalgique d’un amour qui n’a pas résisté à l’usure du temps. Cela me renvoie au billet de ma flânerie sur le pont des Arts (Rive gauche à Paris, 18 janvier 2010) dont les parapets grillagés sont peuplés de cadenas ; étaient serait plus exact car toutes ces preuves d’amour auraient mystérieusement disparu! Cette ancienne tradition des lucchetti a été remise au goût du jour par un écrivain italien, Emilio Boccia, qui, dans un de ses romans, racontait l’histoire d’amour de deux de ses personnages accrochant un cadenas à un pont au-dessus du Tibre et jetant la clé dans le fleuve en se jurant fidélité jusqu’à l’éternité.
Une vieille sacoche en cuir, une planchette, un crayon d’artisan ou de bricoleur, et il obtient … le portrait tout craché de Charles Vanel !

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J’ai un gros coup de cœur pour des coloquintes, un clou, une burette brisée, « objets volés pas toujours identifiables », qui avec le jeu subtil de la lumière et de la composition, deviennent un couple à trois. Qui sait si cette scène presque vaudevillesque ne rejoindra pas bientôt … mon domicile !

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D’une boîte à œufs ou d’un pack de pots de yaourts, peu importe, emberlificotée dans un halo de fil de nylon, jaillit une véritable sculpture et un splendide hommage en noir et blanc à Brassaï pseudonyme de Gyula Halász, un photographe français d’origine hongroise, également dessinateur, peintre, sculpteur et écrivain.

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Ce travail de récupération possède une certaine filiation avec celui du peintre et emboîteur Marc Giai-Miniet, dont je vous ai déjà entretenu (billet du 20 mars 2008) et qui, coïncidence, a précédé Jean-Denis sur les cimaises de Nogent-le-Roi.

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Série noire, une séquence frisson et un hommage à la littérature policière : quelques romans policiers dont l’immense Pas d’orchidées pour Miss Blandish de James Hadley Chase, des pistolets en plastique, des cartouches, et même un muridé en plastique du genre Rattus qui s’est immiscé sous Fait comme un rat de Léonard Ross, un des grands polars incontournables ! Je jubile ; cela me fait penser aux parties de Cluedo de mon enfance, rappelez-vous le colonel Moutarde et Mademoiselle Rose suspectés de meurtre avec un chandelier dans le vestibule ! Série Noire me renvoie également à la somptueuse scène d’ouverture du film d’Alain Corneau où Patrick Dewaere danse seul un tango poignant devant sa voiture, dans un terrain vague  d’une banlieue glauque.

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De fil en aiguille, c’est le cas de le dire, je me réjouis d’un autre tango exécuté à l’autre bout de la pièce, par des couples d’épingles à nourrice !

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« Une noix
Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ?
Qu’est-ce qu’on y voit ?
Quand elle est fermée
On y voit la nuit en rond
Et les plaines et les monts
Les rivières et les vallons
On y voit
Toute une armée
De soldats bardés de fer
Qui joyeux partent pour la guerre
Et fuyant l’orage des bois
On voit les chevaux du roi
Près de la rivière ... »

Aussi surréaliste que Charles Trenet, Jean-Denis en cassant la coquille, découvre une noix hermaphrodite !

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Tout près de là, Jean-Denis a étendu à une corde à linge, toute une collection de triptyques verticaux. C’est intelligent, drôle et souvent joyeux comme cet Interdit aux bêtes à cornes, un panneau indicateur interdisant le passage des bovins, colonisé par quelques escargots. Avec Italian alarm clock, on effectue une plongée nostalgique dans la civilisation d’avant le quartz : l’artiste met en correspondance deux de ces réveils qui vibraient et couraient sur la table de chevet quand ils sonnaient, et un coq de basse-cour dont le cocorico m’extirpait de mon sommeil lors de mes vacances dans la ferme de ma grand-mère. Et dire que, tout récemment, une néo-rurale d’un village ariégeois exigea de sa voisine qu’elle abatte son coq trop matinal ! Fait divers bien moins poétique que la savoureuse fable chantée par Claude Nougaro :

« ...Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
A faisait des conciliabules
Chez les cocottes en courroux
 » Qu’est-ce que c’est que ce coq, ce cocktail
Ce drôle d’oiseau, ce vieux coucou
Qui nous méprise et qui ne nous
Donne jamais un petit coup dans l’aile ? « 
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Ah, mesdames, vous parlez d’un jules !
Le voila qui chante genoux
 » O ma pendule je t’adore
Ah ! laisse-moi te faire la cour
Tu es ma poule aux heures d’or
Mon amour ... »

Dans l’ultime salle, devant une magnifique cheminée dans laquelle mijota peut-être autrefois quelque coq au vin, Jean-Denis conclut de manière fracassante avec des variations sur le VR KC ! Cette série de photographies tient encore de la sculpture et des vanités en peinture. C’est lumineux et fragile … comme le cristal.

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« ...Savez-vous casser la vaisselle à maman
Voilà voilà comment on s’y prend
Sur le plan musical
Sachez mes petits
Qu’avec du cristal
C’est bien plus joli
Vous posez un verre
Sur un autre verre
Puis de plus en plus
Jusqu’à ce qu’y en ait plus
La pile sur la tête
On enlève la main
Puis on lève un pied... »

Le soir du vernissage, Jean-Denis confia avec humour que la vaisselle volait parfois à la table de la famille Robert et que peut-être, inconsciemment, des réminiscences de l’enfance remontent à la surface.
Est-ce une manière de conjurer le sort pour que son exposition soit couronnée de succès, ce dont personne ne doute ?!
Au-delà de sa démarche artistique qui, au sens propre comme au figuré, réanime des natures tellement mortes que nous les avions jetées, Jean-Denis nous invite de manière ludique à une prise de conscience environnementale. On ne sort pas indemne de notre rencontre avec ses objets en dérive.
« Eh, m’sieu, il y a combien de gros mots qui commencent par C dans la langue française ? ». Moi, j’en connais deux : Culture et Curiosité. L’ancien enseignant qui sommeille encore en moi, se prend à rêver du riche parti que des professeurs des écoles motivés pourraient tirer en travaillant avec leurs élèves autour des deux expositions. J’imagine déjà de partir en campagne pour une classe d’initiation artistique avec Martin Lartigue et Jean-Denis Robert, ces deux enfants de la guerre, comme j’en vécus au Mont-Saint-Michel, il y a une quinzaine d’années, justement en compagnie d’un peintre et d’un photographe.

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Salut les artistes, pour reprendre (presque) le titre d’un film d’Yves Robert. On y revient toujours, mais est-ce vraiment un hasard ? Je ne saurais trop vous conseiller de leur rendre visite ici et Maintenon ou lorsqu’ils exposeront dans votre région.

Martin LARTIGUE
Martin … dans tous ses états
Du samedi 17 septembre au dimanche 16 octobre 2011
Orangerie du Château de Maintenon
Ouvert tous les jours sauf mardi
Jean-Denis ROBERT
Photographies
Chercheur de trésor

Du samedi 17 septembre au dimanche 16 octobre 2011
Ouvert le vendredi, samedi, dimanche et lundi de 14h à 18h
Deux sites pour prolonger votre promenade à travers les œuvres des deux artistes :

http://www.hang-art.fr/Fiches_artistes/Expo_09/Fiche_Lartigue.html

 http://www.jeandenisrobert.com/

Merci à Jean-Denis pour son autorisation d’insérer quelques uns de ses fichiers, et aux deux artistes ainsi qu’à Dominique Chanfrau, adjointe à la culture de la municipalité de Nogent-le-Roi, pour leur accueil chaleureux

Au marché de Saint-Girons (Ariège)

« Sur la petite place, au lever de l’aurore,
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore,
Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux
Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d’oeufs,
Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle,
Ses poissons d’argent clair, qu’une âpre odeur révèle.
Mylène, sa petite Alidé par la main,
Dans la foule se fraie avec peine un chemin,
S’attarde à chaque étal, va, vient, revient, s’arrête,
Aux appels trop pressants parfois tourne la tête,
Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs
Ou s’éloigne au milieu d’insolentes clameurs.
L’enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule,
Les cris, les grognements, le vent frais, l’eau qui coule,
L’auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris,
Et le pavé jonché partout de verts débris.
Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ;
Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes !
Alidé bat des mains, quand, pour la contenter,
La mère donne enfin son panier à porter.
La charge fait plier son bras, mais déjà fière,
L’enfant part sans rien dire et se cambre en arrière,
Pendant que le canard, discordant prisonnier,
Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier. »

Lecteurs de ma génération, vous avez peut-être aussi appris à l’école primaire cette « récitation » d’Albert Samain, poète symboliste de la seconde moitié du dix-neuvième siècle dont nombreuses écoles du Nord de la France portent le nom. Originaire de Lille, il peint là sans doute un des marchés de sa région.
À la même époque, j’entends celle de ma communale bien sûr, Gilbert Bécaud, nous entraînait « avé l’assent » sur les marchés colorés et odorants de sa Provence natale :

« Voici pour cent francs du thym de la garrigue
Un peu de safran et un kilo de figues
Voulez-vous, pas vrai, un beau plateau de pêches
Ou bien d’abricots?
Voici l’estragon et la belle échalote
Le joli poisson de la Marie-Charlotte
Voulez-vous, pas vrai, un bouquet de lavande
Ou bien quelques oeillets?... »

Épreuve imposée par mes parents, je me souviens d’avoir repris alors ce refrain à la fin du banquet de mariage d’une cousine. Ma timidité était telle face à cette assistance que mon énergie à chanter n’atteignit sans doute pas le dix millième de celle de Monsieur 100 000 volts !
Quitte à vous étonner, il n’est pas rare que je fasse encore le marché dans certains quartiers de Paris comme la place d’Aligre ou la rue Mouffetard pour me plonger dans l’atmosphère joyeuse et grouillante.
Je tiens sans doute ce plaisir, de mon enfance, lorsque le jeudi, alors jour chômé d’école, j’accompagnais mon père à travers mon bourg natal en pleine effervescence. Sur la place de l’Église, se tenait le marché à la volaille et aux légumes. Juste en face, de l’autre côté de la rue principale embouteillée, sous la halle, sur les bancs des petits producteurs laitiers, s’amoncelaient les mottes de beurre frais ainsi que les briquettes, les bondes et les cœurs de Neufchâtel, fleuron fromager du Pays de Bray. Puis nous remontions la rue de l’abbé Féret jusqu’à une petite halle octogonale type Baltard où des mareyeurs de la côte toute proche proposaient leurs poissons ruisselants ; du beau, du bon, du fraîchement pêché ! Hussards noirs de la République mangeant du curé à longueur d’année, mes parents sacrifiaient cependant au rite immuable du poisson au menu du vendredi !
Donc, mon attrait pour les marchés perdure toujours. Ainsi, lors de mes séjours dans mon Ariège d’adoption, la descente à celui de Saint-Girons, le samedi matin, est quasi rituelle. Sur le trajet, on fait parfois des rencontres cocasses.

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Très pittoresque, point de rencontre dans l’esprit des foires d’autrefois, ce marché suscite un engouement populaire très fort encore. La population montagnarde qui descend des dix-huit vallées environnantes du Couserans y retrouve les autochtones citadins ainsi que les nombreux touristes en villégiature dans la région, à la saison estivale.

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En bordure du Salat, entre la place de la Poste et les arcades de la rue Gambetta, sous les frondaisons du Champ de Mars, et de plus en plus au-delà, succès oblige, la « capitale » couserannaise, d’ordinaire peu animée, s’anime dès le lever de l’aurore, avec son marché (qui) rit, joyeux, bruyant et multicolore, pour reprendre les premiers vers d’Albert Samain. Prenez un panier et suivez-moi !
C’est le jour de la semaine où je me lève le plus tôt, pour diverses raisons, la première étant de trouver à me garer non loin du théâtre des opérations, les cabas remplis pèsent au retour.

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La seconde est que le repas de midi consiste généralement en de la saucisse fraîche grillée au barbecue, accompagnée de délicieuses frites maison (issues de la corvée de patates, voir billet du 25 août 2010) et que pour s’en procurer à coup sûr, il vaut mieux se rendre de bonne heure à l’étal du charcutier. Peine, cependant, presque perdue, car déjà, la queue s’allonge devant le Grenier à jambons et bien plus loin encore, au grand désespoir de la maraîchère voisine. Sans que cela fasse activer un tant soit peu le patron Luc qui met en pratique avec zèle, le vieux principe selon lequel la différence entre un petit commerce et une grande surface, c’est le contact humain ! Comme une pancarte sur son stand nous en informe, il élève dans un village voisin, des porcs lourds sur paille à partir d’une alimentation végétale, sans OGM, et selon un mode respectueux de l’environnement et du bien-être animal. Cela dit, cochon qui s’en dédie, la pauvre bête sent inéluctablement passer la lame tranchante sur son poitrail … pour notre futur bonheur gustatif. Dans ces cochons-là, tout est très bon, ce qui a valu à cette enseigne, plusieurs prix au salon de l’Agriculture de Paris. Et, nous ne manquons pas de faire d’amples provisions à remonter en Ile-de-France.

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Voilà, maintenant que la saucisse fraîche de foie, le saucisson à la cendre, la carbonade, une tranche de pâté de campagne ou de tête, et le museau sont dans le panier, direction le stand du fournil de l’Oye ! Èmilien, un jeune angevin (deux fois dix ajouterait Bobby Lapointe !) et sa compagne descendent du fond de leur vallée du Biros pour nous proposer leurs pains à base de farines très rustiques, fabriqués encore selon des méthodes ancestrales. Il y en a pour tous les goûts, pain bis, au seigle, à l’épeautre, aux noix, aux tomates, pour les randonneurs aussi.

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Nous optons généralement pour la grande miche de pain complet qu’antan, le patriarche de la famille se plaisait à signer de la pointe de son couteau avant de découper la première tranche. Cela change du régime sans sel imposé involontairement par un certain boulanger de Corse (voir billet du 2 septembre 2011). Vous avez, d’ores et déjà, compris que la cure d’amaigrissement est ajournée sine die ! D’autant que notre promenade nous entraîne devant l’étal d’une petite mémé productrice de millas ; pour tout savoir sur ce dessert succulent (mais très riche en calories), reportez-vous à mon article en date du 26 mars 2008.

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À la boule de Bernède est une autre halte presque inévitable. Il ne s’agit nullement d’une association de pétanqueurs mais de petits fromages de chèvre issus d’une vallée retirée dans l’arrière-pays de Massat. Pour faire votre choix, sont proposés à la dégustation, tout un éventail de ces fromages selon leur degré de maturité, d’assez frais jusqu’à parfois un an d’affinement. Non amateurs de fromages, s’abstenir ! Il n’est pas exclu de trouver un ver dans votre assiette mais diou biban (dieu vivant !) comme on jure parfois dans le sud-ouest, je me régale de ces petits ronds.

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Je ne résiste pas, à cet instant, à l’envie de vous livrer quelques lignes extraites d’un blog déniché par hasard : « Nous arrivons à Massat ; un quart d’heure plus tard, la vallée de Bernède, et le parking où sont arrêtés tous les véhicules des habitants de la vallée. On prend les sacs à dos, les instructions erronées et on vise Ramounat, à une demi-heure de marche.
Une heure et demie plus tard, après avoir rencontré les « voisins », traversé la vallée de long en large, piétiné dans les marécages jusqu’aux genoux, nous sommes accueillis par quatre barbus autochtones en liesse.
Il y a trente ans, P. est venu d’Allemagne fonder une famille tout en haut d’une vallée peuplée de hippies. Ils veulent vivre en autonomie, dénigrent Babylone et refusent les concessions. P. a dû être le plus extrémiste d’entre tous. Ils élèvent des chèvres, font les foins à poil et envoient leurs enfants faire l’école buissonnière. Pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de machines. Juste du courage et des copains pour monter la cuisinière à bois depuis le parking ou bien porter un tronc à 20 personnes.
Aujourd’hui une autre génération est là, peut-être un peu moins fanatique, mais qui continue à construire sans permis, parfois même sans être propriétaire du terrain. Les fêtes sont nombreuses, les habitants sont sympas, et c’est un sacré bordel.
»
C’est aussi dans ce coin reculé de Haute-Ariège qu’un père de famille vécut reclus, durant onze ans, avec ses deux fils qu’il avait soustraits (de leur plein gré) à la maman ; un fait divers qui défraya les médias dans un passé récent. Depuis une trentaine d’années, on croise dans les allées du marché un certain nombre de ces personnages au look un peu folklorique que la population locale a toujours affectueusement baptisés hippies.

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Exode post-soixante-huitarde, ces hommes et ces femmes, déjà anciens ou plus jeunes, venus en Couserans pour y vivre autrement, vendent leurs modestes productions de fromages, confitures, miels, ou parfois de bijoux. Connaissant un peu leur parcours, je sais que certains ont travaillé durement et récoltent aujourd’hui la récompense de leurs efforts ; d’autres, probablement moins mais sans doute trouvent-ils au moins la satisfaction de vivre au grand air, à l’écart du grand bordel mondialiste et des principes fumeux de la règle d’or !
Humour, l’un d’eux propose son fromage de montagne à un prix « spécial crise » !

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Faut-il trouver là une corrélation, mais beaucoup des produits de ce marché sont, de plus en plus, issus d’une agriculture biologique ou du moins prétendue telle. Pardonnez mon scepticisme mais cela devient presque trop bio pour être honnête ! Ceci dit, cela n’exclut nullement la fraîcheur et la qualité, et beaucoup de clients aiment retrouver là le goût  des légumes du jardin ou d’une bonne volaille fermière … qu’ils devront  tuer et plumer bien sûr avant de la cuisiner. J’ai souri, il y a peu, devant l’embarras voire la perplexité des candidats de l’émission Master chef lorsqu’on leur proposa d’imaginer une recette à partir d’un canard non plumé!

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Signe des temps, depuis quelques mois, un petit agriculteur propose du lait cru à la tireuse en inox. Justement, je viens de lire Le dépaysement, Voyages en France (édition du Seuil), un ouvrage savoureux et subtil de Jean-Christophe Bailly en réponse à la question identitaire qui taraude notre pays :
« Tout commence simplement par une multitude de rencontres : en remontant vers l’enfance tout d’abord, puisqu’il était encore courant, dans les années cinquante et non loin de Paris, d’aller chercher le lait à la ferme, ce qui s’entend avec un pot métallique muni d’une anse, qui reproduisait plus ou moins la forme des bidons, plus grands, qui servaient à transporter le lait directement issu de la traite, avec précaution –chaque enfant ayant à l’esprit La laitière et le Pot au lait de La Fontaine-, mais avec émotion aussi, car cela signifiait, et c’était vaguement pris comme un honneur ou comme un stade auquel on avait accédé, qu’on avait le droit de rentrer dans l’étable et donc d’approcher les animaux, et le mystère de la métamorphose de l’herbe en ce breuvage blanc et onctueux, tiède, opaque et un peu écoeurant. Et si dans les bouteilles de lait en verre (celles, d’abord, des livreurs anglais qu’au petit matin, l’on découvrait lors du premier voyage outre-Manche) quelque chose du lait, de l’aspect matériel du lait, à commencer par sa couleur pas tout à fait blanche, demeurait, c’est une toute autre histoire aujourd’hui avec les briques ou les bouteilles en plastique, et ce que je désigne ainsi, ce n’est pas un bon vieux temps, mais un éloignement progressif envers la matérialité, comme si celle-ci comportait quelque chose de brut qu’il fallait effacer ou tout au moins atténuer, l’animalité se profilant derrière elle comme une ombre… »
Ah, le lolo délicieux fraîchement trait à la main par ma mémé Léontine, qui moussait à la commissure de mes lèvres enfantines, ce lait qu’il fallait surveiller sur le feu selon l’expression bien connue et dont j’enlevais la peau épaisse à la surface du bol ! Quoique, on confectionne de sublimes gâteaux ou biscuits avec la peau de lait.

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Ici, nous ne sommes pas au marché de Brive, vous ne risquez pas que quelques douzaines de gaillardes se crêpent le chignon à propos de bottes d’oignons. Au plus, on se chambre d’avoir trouvé les premiers cèpes. Pour beaucoup, le marché est un indicateur de la pousse des champignons. Les barquettes de girolles, trompettes de la mort, et surtout cèpes, surgissent sur les bans, il serait peut-être judicieux d’aller faire un tour dans les bois ; elles disparaissent, inutile de perdre son temps !

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Au pire, pour parer à toute montée d’adrénaline ou de stress, on peut se réfugier pour un massage relaxant sous la tente de Raphaël, trois ans d’expérience de shiatsu au Japon. Parmi les sept préceptes de santé avancés par un certain G.Oshawa, je note qu’il faut pratiquer la justice en s’amusant. C’est vrai qu’il y a de quoi rire (peut-être même jaune !) en ce moment avec le procès de Jacques Chirac en son absence.
Un peu plus loin, quelque hippy, hare krishna à mort comme aurait chanté Renaud, fabrique des bancs de méditation. Initialement dévolu à cette pratique pour les personnes considérant la position du lotus trop inconfortable, ce banc peut devenir grimoire ou siège d’appoint près d’une table basse, et qui sait s’il ne soulagerait pas les reins lors de la cueillette des haricots dans le potager ! À méditer !

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Comme autrefois à la Samaritaine, on trouve tout au marché de Saint-Girons même des bâtons anti-migraine qui soignent également la sinusite et le torticolis. Les croyances sont tenaces dans la France profonde et on y fait parfois encore appel aux rebouteux. J’ai connu une cousine qui soignait ses douleurs rhumatismales grâce à des pommes de terre mises dans la poche !
La musique adoucit aussi les mœurs et il est fréquent d’entendre, vers les arcades, les flonflons d’un accordéon, les mélodieuses vibrations d’une harpe ou même quelques percussions africaines.

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Métissage des saveurs, le marché s’ouvre peu à peu à d’autres influences, ainsi, à côté des produits traditionnels du terroir gascon, plusieurs petits traiteurs cuisinent sur place des recettes sétoises comme les moules et les encornets farcis, des paellas, des couscous ou encore des nems asiatiques. Il en est de même avec les produits de l’artisanat et il est plus facile désormais d’acquérir un plat à tajine que la « cassole » en terre pour mijoter le cassoulet.

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Malgré tout, la conservation du patrimoine local s’exerce aussi de manière amusante. Un stand propose aux enfants des doudous en pure laine de mouton du pays.

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Et certains camelots lancent quelques clins d’œil naïfs à l’ours dont la réintroduction alimente tant de controverses. Pas une semaine ne s’écoule sans qu’un paysan n’évoque les derniers méfaits de l’ours slovène qu’il tient de la personne qui a vu l’homme qui a vu le berger qui aurait vu l’ours !

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Mesdames, vous pouvez aussi trouver votre bonheur dans les achalandages de fripes, entre les dentelles de grand-mères et les robes plissées au look Desigual.

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Pour l’essayage, l’arrière du camion fait fonction de cabine de fortune. Pendant ce temps, je m’attarde devant un vendeur de livres et journaux d’occasion, qui sait, je tomberai peut-être enfin sur L’œil du lapin de Cavanna ! Cet été, j’ai fait emplette d’une biographie de Michel Serrault et … d’un numéro de Paris-Match de juillet 1957 avec un reportage sur l’arrivée du Tour de France, le premier gagné par « mon » champion Jacques Anquetil. Ne vous moquez pas !

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N’est-elle pas émouvante cette photographie avec les yeux embués du vainqueur recevant l’accolade de son père ?
En pleine saison touristique, les animations de la ville viennent se greffer autour du marché, ne serait-ce déjà que pour les promouvoir. Ainsi, à l’occasion de la manifestation Autrefois le Couserans, l’école des Jacobins ouvre les portes de sa classe 1900. Surprise, je tombe au moment de la visite de l’inspecteur primaire ; un vrai, l’air sévère, la montre au gousset pour contrôler la ponctualité, un de ceux qui appelaient un chat un chat, bref n’appartenant pas à ces nouvelles générations qui, parfois, dans un jargon ridicule et irritant, transforment le ballon en un référentiel bondissant, et qualifient les parent d’élèves, de géniteurs d’apprenants !

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L’instituteur, un authentique à la retraite, en blouse grise, le béret sur la tête (on ne se décoiffe plus devant un supérieur hiérarchique ?), me tend une feuille à grands carreaux et m’ordonne presque de recopier à l’encre violette le texte écrit au tableau. Légère fébrilité : pour la première fois depuis un demi-siècle, je retrempe dans l’encrier le porte-plume tendu par le maître, doté de ma plume préférée, de la marque Sergent-Major.
Appliqué, voilà que j’entame un C majuscule, d’une écriture ronde avec, du moins je l’espère, des pleins et des déliés. Catastrophe, ma plume accroche le papier et, en guise de plein, c’est l’intérieur de la boucle de la lettre qui est rempli d’encre ! Et comme un malheur n’arrive jamais seul, pire encore, j’étends le désastre en voulant sécher avec le buvard ! Honteux, je prends cruellement conscience de la véracité du proverbe, on ne peut pas être et avoir été … un écolier à l’écriture enviée. Le maître débonnaire me décernera cependant mon diplôme considérant, à ma décharge, que j’étais dans une position inconfortable, coincé de travers sur le banc de l’antique pupitre.
Plutôt qu’exhiber ma sale copie, je préfère vous montrer les ratures volontaires réalisées par la plasticienne Sandrine Morsillo, dans le cadre d’une exposition au musée départemental de l’Éducation du Val-d’Oise que j’eus le bonheur de filmer, il y a quelques années. Ou quand les pâtés et coulures deviennent art …

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Art et culture encore, un autre samedi, c’est le lancement du RITE, une semaine de rencontres et de fêtes autour des cultures du monde, à Saint-Girons même et dans plusieurs villages des vallées environnantes. Il n’est donc pas étonnant que je croise quelques Bethmalais en goguette, passant par la rue du Bourg, avec leurs curieux sabots pointus. Je vous les ai présentés lors de mon évocation de l’avant-dernier sabotier de Bethmale (billet du 1er septembre 2009).

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Depuis vingt ans, l’association Les Bethmalais, du nom des habitants d’une vallée voisine, propose un remarquable festival folklorique réunissant plusieurs centaines de musiciens, chanteurs et danseurs. Au-delà de cette manifestation, le groupe témoigne d’une véritable vocation de recherche ethnologique ; ainsi il a permis la reconstitution du premier hautbois du Couserans et la relance de la pratique de cet instrument. En tout cas, c’est l’occasion pour moi, ce matin-là, de glaner quelques jolis sourires en provenance d’Espagne, d’Indonésie et de Géorgie.

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Dans une célèbre chanson, Théodore Botrel avait popularisé Paimpol, sa falaise et surtout sa Paimpolaise. Puisse ma Bethmalaise vous donner envie de vous glisser dans sa vallée, de gravir le col de la Core pour découvrir le fameux lac aux reflets changeants ! Un tantinet érotique tout cela, c’est peut-être, le démon de midi qui approche avec la succulente saucisse à griller ! C’est vrai qu’errer sur un marché éveille tous les sens.

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Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 14 septembre, 2011 |7 Commentaires »

Demain, je pars pour la guerre … des boutons!

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Chers lecteurs, je vous prie de m’excuser si je suis un peu moins présent en ce mois de septembre. En effet, appartenant aux classes « encre violette », je suis réquisitionné pour partir dès demain sur le front de … la guerre des boutons !
Comprenons-nous bien, je ne sors pas de ma réserve pour participer à la guéguerre des doublons que le cinéma français vient de déclarer. Car, effectivement, septembre va être très boutonneux sur nos écrans. Pas moins de deux films tirés du roman de Louis Pergaud sortent en salles, dans quelques jours : le 14, ce sera La Guerre des boutons vue par Yann Samuell avec Mathilde Seigner, Alain Chabat et Eric Elmosnino, le héros de Gainsbourg, vie héroïque ; une semaine plus tard, Christophe Barratier, le réalisateur des Choristes, sort « La Nouvelle Guerre des boutons » avec Kad Merad, Guilaume Canet et Laetitia Casta.

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Pour pasticher Brassens, entre ces deux guerres notoires, mon choix est vite fait : je les déserte bonnement pour une autre, car moi, mes colons, celle que je préfère c’est la guerre des boutons de soixante-et-un, celle imaginée par Yves Robert !
Pour mieux me comprendre, je vous suggère de lire ou relire les deux billets que j’ai commis à ce sujet, il y a un peu plus d’un an :
http://encreviolette.unblog.fr/2010/04/09/ma-guerre-des-boutons-avec-yves-robert-et-louis-pergaud/

http://encreviolette.unblog.fr/2010/07/09/guerre-des-boutons/
Donc, à la suite de cela, j’ai été embarqué dans une aventure exaltante avec la création de l’association Si j’aurais su et la mise sur pied de la journée du 24 septembre prochain à l’occasion de laquelle nous fêterons le cinquantième anniversaire de La Guerre des boutons d’Yves Robert, sur les lieux du tournage en présence de Tigibus, Lebrac, l’Aztec et de vingt-deux autres acteurs du film.
Voici le programme :
- 8h00 : Randonnée Sur les traces de la Guerre des Boutons, guidée et animée par les acteurs du film, Tigibus en tête ! Cette balade matinale, effectuée à pied et en car, nous emmènera à Émancé, Saint-Hilarion et Orphin.
Les acteurs livreront leurs souvenirs et les anecdotes se référant aux lieux visités. (Les acteurs qui n’étaient pas de la région n’y sont pas revenus depuis 50 ans)
-11h30 : A Armenonville (28), inauguration officielle du jardin Yves Robert – pose d’une plaque commémorative (accord réalisation Mairie de Bailleau Armenonville) – Cérémonie avec le concours du conservatoire de musique d’Epernon (musiques du film) suivie d’un apéritif
- Vernissage de l’exposition éphémère « Musée de la Guerre des Boutons » dans la salle de classe du tournage (travail en partenariat avec le Musée de l’Ecole d’Eure-et-Loir et Bernard Château, ancien technicien ayant travaillé avec Yves Robert)
-14h30: Projection du film dans la salle de Bailleau Armenonville
-16h30: Débat avec les amis acteurs: Martin Lartigue/Tigibus, François Lartigue/Grangibus, André Tréton/Lebrac, Marie Catherine Faburel/La Marie Tintin, Daniel Tuffier/Guignard, et d’autres « gosses figurants »
-17h30: Concert hommage à Yves Robert avec le concours du Conservatoire de Musique d’Epernon.

Un peu de patience, je vous relaterai bien sûr tout cela dans mes chroniques d’octobre.
Cependant, pour aiguiser d’ores et déjà votre curiosité, je vous offre deux photographies de Tigibus et de L’Aztec que j’ai prises lors de reconnaissances des lieux en leur compagnie.

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Allez je prends mon baluchon, la République des enfants m’appelle :

« La victoire en chantant
Nous ouvre la barrière.
La Liberté guide nos pas.
Et du Nord au Midi
La trompette guerrière
A sonné l’heure des combats ... »

Dire que maintenant que je suis grand, je suis resté aussi gamin qu’eux !

PS: voici aussi le lien d’une interview de Martin Lartigue alias Tigibus, parue ce jour sur BibliObs, le site littéraire du Nouvel Observateur

http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20110907.OBS9915/guerre-des-boutons-tigibus-contre-attaque.html

 

 

Publié dans:Coups de coeur |on 8 septembre, 2011 |1 Commentaire »

À SANT’ ANTONINO, beau village de Haute-Corse

Pour commencer mon ultime billet à propos de mon séjour en Corse, je fais appel à Guy de Maupassant, un « pays », normand comme moi, qui, vous le savez désormais, bourlingua, vers l’année 1880, sur les chemins de l’île de Beauté, souvent escarpés et malaisés ; j’en ai fait l’amère expérience que je vous narrerai plus tard.
« Sur les montagnes corses, flambe sans cesse un éclatant soleil. La lumière ruisselle comme de l’eau le long de leurs flancs, tantôt vêtus d’arbres immenses, qui de loin semblent une mousse, tantôt sont nus, montrant au ciel leur corps de granit.
Même sous l’abri des forêts de châtaigniers, des flèches de lumière aiguë percent le feuillage, vous brûlent la peau, rendent l’ombre chaude et toujours gaie.
Pour aller d’Ajaccio au monastère de Corbara, on peut suivre deux chemins, l’un à travers les montagnes et l’autre au bord de la mer. Le premier serpente sans fin à mi-côte au milieu d’impénétrables maquis, longe des précipices où l’on ne tombe jamais, domine des fleuves presque sans eau à cette saison, traverse des villages de cinq maisons accrochés comme des nids aux saillies du roc, passe devant des sources minces, où boivent les voyageurs éreintés, et devant des croix nombreuses annonçant qu’en cet endroit un homme est mort : et c’est une balle qui les a tués presque toujours, ces pauvres diables couchés au bord de la route.
Voulant aller à Corbara serrer la main du Père Didon, j’ai choisi, pour m’y rendre, le chemin des montagnes. Là, point d’hôtels, point d’auberges, pas même de cafés, où l’on peut à la rigueur coucher. On demande l’hospitalité, comme autrefois, et la maison des Corses est toujours ouverte aux étrangers.
Après avoir traversé les immenses forêts d’Aïtone et de Valdoniello, le val du Niolo, la plus belle chose que j’aie vue au monde après le mont Saint-Michel et une partie de la Balagne, le pays des oliviers, j’ai retrouvé la mer auprès de Corbara.
Le paysage est grandiose et mélancolique. Une plage immense s’étend en demi-cercle, fermée à gauche par un petit port presque abandonné des habitants (car la fièvre ici dépeuple toutes les plaines), et terminée à droite par un village en amphithéâtre, Corbara, élevé sur un promontoire.
Le chemin qui me conduit au monastère est à mi-côte et passe au pied d’un mont élevé que couronne un paquet de maisons jetées dans le ciel bleu si haut qu’on pense avec tristesse à l’essoufflement des habitants contraints de remonter chez eux. Ce hameau s’appelle Santo-Antonino.
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Ce jour-là, avec mon automobile encore en parfait état, j’ai gravi la montagne pour atteindre le pittoresque petit village de Sant’Antonino. Il est le seul en Corse avec Piana et ses calanche, déjà évoqués, à entrer dans le cercle fermé des « plus beaux villages de France ».
Situé à plus de cinq cents mètres d’altitude, Sant’Antonino est aussi l’un des plus hauts villages de la Balagne, visible d’à peu près partout où l’on se promène. Depuis la route du littoral qui mène de Calvi à Île-Rousse, nous le découvrons perché tout là-haut sur son piton de granit. Via Corbara ou Cateri, il apparaît de plus en plus proche dans un décor de maigre végétation qui n’est pas sans rappeler certains paysages arides des Pouilles italiennes.
C’est également l’un des plus anciens villages de Corse car ce nid d’aigle avait pour fonction originelle de garder un œil sur ses fiefs et de prévenir les débarquements ennemis. Cette place forte fut fondée au IXe siècle par Ugo Colonna, figure emblématique de l’histoire de la Corse, prince romain ayant mené en 816 la Reconquista de l’île sur les Maures. Lorsque les voiles barbaresques se pointaient sur la mer, distante seulement de trois kilomètres à vol d’oiseau, la population se réfugiait dans la forteresse.
Sant’Antonino compte 96 habitants à l’année, mais en période estivale, ce sont plusieurs centaines de touristes, voire plusieurs milliers, qui envahissent pacifiquement, chaque jour, le parking payant au pied de la cité. La modeste commune ramasse sans doute là une manne financière non négligeable mais cela nuit, malheureusement, à la perspective devant l’église de l’Annonciation et la petite chapelle de confrérie contiguë. On paye la rançon de la gloire touristique car toute circulation est interdite puisque impossible à l’intérieur même du village.
C’est peut-être d’ailleurs en raison de l’accessibilité difficile que les deux édifices religieux ont été construits là à l’écart du centre du village, à proximité de l’ancienne aire de battage.

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L’église A Nunziata avec son campanile adossé à elle, est d’une blancheur si aveuglante sous le soleil de juillet, qu’elle apparaît presque trop sombre à l’intérieur.

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Elle possède quelques tableaux classés dont une déposition de croix avec quatre donateurs du XVIIe siècle. Mais son chef-d’œuvre est son orgue. Construit en 1744 par le facteur d’orgue toscan Pomposi, à l’origine pour l’église du couvent des Franciscains à Cateri, le village en contrebas, il fut transféré ici en 1806. Il est placé derrière l’autel comme il était de coutume dans les églises de couvent, pour faciliter le chant des frères autour du lutrin. On voudrait s’en approcher plus pour admirer en détail les superbes panneaux du garde-corps peints par l’artiste espagnol Vicente Suarez vers 1789. Ils ont été restaurés récemment par Ewa Poli dont le travail magnifique dans plusieurs églises et chapelles de Haute-Corse a été mis en valeur au printemps lors d’un reportage de l’émission Des racines et des ailes. Il est d’ailleurs surprenant que de nombreux monuments religieux de l’île soient ouverts aussi largement au public sans surveillance (du moins apparente) alors que sur le continent, nous restons fréquemment devant porte close … À moins de récupérer la clé à la mairie ou chez une des dernières dames patronnesses de la commune qui, comme le chantait Jacques Brel, ont l’œil vigilant, et un point à l’envers, et un point à l’endroit, un point pour Saint Joseph, un point pour Saint Thomas !
Et un point pour Saint Antoine qui fut tout de même un peu spolié ; en effet, les tuyaux d’orgue furent pillés ou du moins réutilisés pour d’autres instruments. La paroisse envisage de remettre en voix son orgue ; peut-être est-ce pour contribuer à son financement, que, moyennant notre obole, des clous, des bûches et un marteau sont à notre disposition à l’entrée. Doit-on retrouver dans ce geste de bricoleur, la symbolique du Christ cloué à la croix ?
En tout cas, en contemplant la peinture du buffet représentant le concert spirituel de Sainte Cécile jouant de l’orgue en compagnie des anges musiciens, je me prends à rêver d’écouter un jour ici quelques fleurons de musique baroque.
La petite chapelle de la confrérie, immédiatement à droite en sortant, ne manque pas de charme non plus. Y sont exposées quelques pièces de mobilier religieux, dais, croix, bâtons pastoraux, sans doute encore en usage lors des processions annuelles.

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Allez, en route pour la grimpette jusqu’au sommet du village ! À l’escalier bien régulier qui monte droit en face, je préfère emprunter la ruelle le long de la muraglietta, une murette en pierre d’où l’on découvre l’arrière du décor, la vallée du Reginu, les villages de Feliceto et Belgodère et le barrage de retenue d’eau, le lac de Codole.

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Ma compagne repère, pour le retour, une petite terrasse où l’on sert quelques délicieuses pâtisseries corses.
Les enfants rebutés par la pente, choisissent la balade à dos d’âne. Il est vrai que les braves bêtes ont le pied plus ferme sur le chemin étroit et empierré.

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Ici, les deux boutiques de souvenirs et de produits locaux sont rejetées au pied du piton. Le village conserve son aspect moyenâgeux, sans commerces attrape touristes, sans enseignes, sans même le moindre panneau indicateur. Selon notre bonne humeur vagabonde, nous nous perdons volontiers dans ce véritable labyrinthe de venelles, aux pavés disjoints taillés à même le roc, qui s’enroulent jusqu’au sommet telles un escargot.

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Parfois, nous nous coulons dans des galeries voûtées, parfois, le libecciu, particulièrement agressif ce jour-là, nous cingle au visage lorsque nous débouchons sur une placette et l’adorable chapelle Lavasina ; tiens, celle-ci est fermée !

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Je m’attarde devant ces vieilles pierres chargées d’histoire et sans doute d’histoires. Seuls quelques lauriers et bougainvillées égayent le gris minéral. J’imagine ce que pouvait être ici la vie autrefois, la survie peut-être même, le repli sur soi en hiver, le tempérament de ses habitants aussi rugueux que la roche Dans les années 1960, ils connurent l’exode rural et certains furent contraints de chercher du travail ailleurs. Le mètre carré habitable devenu dérisoirement bas, cela constitua une aubaine pour quelques néo Sant’Antuninacci de restaurer leur village avec goût et humilité. Il est même une dame de Dijon, de son nom Bourgogne comme il se doit, de son prénom non pas Marguerite mais Mireille, qui a posé là ses valises, il y a une vingtaine d’années, et qui a installé une bibliothèque dans la chapelle Sainte-Anne des bergers. Dans quelques jours, les pâtres du Niolu viendront avec leurs troupeaux faire la fête ; au programme, des chants et des danses sans doute devant des assiettes de charcuterie et de fromages.
Il fait chaud et, pour me rafraîchir d’un rosé bien gouleyant, je préfère à la salle voûtée du petit restaurant La Porta, sa terrasse au-dessus, sous une treille. Cela ne ménage certes pas les allées et venues de l’hôtesse au minois adorable qui, un plateau à la main, doit sortir dans la ruelle et emprunter un escalier de pierre tortueux, en affrontant les rafales du libecciu ! Mais, le coup d’oeil vers la plage d’Aregno est trop magnifique et il y a même des coussins pour atténuer la dureté de la roche !.

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Un dernier effort et nous voilà a cima, au sommet du piton, sur les rares vestiges du donjon d’où l’on jouit d’un panorama grandiose à 360 degrés sur les toits de tuiles des maisons, la campagne de Balagne et la grande bleue. Notre plaisir et … notre équilibre sont perturbés par ce maudit libecciu, toujours lui, soufflant avec une telle violence aujourd’hui qu’il empêcherait la pousse des cornes sur les veaux corses (aux olives ? Hum !).

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À défaut d’avoir laissé des cailloux derrière soi, il est difficile de repérer notre chemin dans le dédale, pour redescendre. Mais peu importe, au contraire, c’est l’occasion de nous faufiler dans d’autres petits coins pittoresques, de dénicher un four à pain par ci, une pierre sculptée par là.

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Malgré le vent, ma compagne n’a pas perdu ses esprits. Très pragmatique, elle me fait remarquer l’incommodité du transport des commissions (vive le Maximo corse !!!). Puis elle retrouve la terrasse de la Casa Corsa où elle goûte enfin son fondant à la châtaigne. Je préfère siroter un pamplemousse pressé, l’une des spécialités de la maison qui élabore aussi de délicats vins de citron et de cédrat, fruits familiers des vergers corses et siciliens.

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C’est le moment choisi pour vous conter ma galère du surlendemain, survenue dans le col du Marsulinu reliant Calvi à Galeria, cette fois, la bien nommée ! Je remontais tranquillement vers le sommet, lorsqu’un âne, pas un de ceux dont on ne fabrique pas de saucisson (!) mais bien un piètre émule de Sébastien Loeb, multiple vainqueur du tour de Corse, le « rallye aux 10 000 virages », qui, surpris par une courbe à angle droit, freina sans succès, traversa la route devant moi, tenta de redresser son véhicule dans le fossé, ce qu’il réussit après quelques embardées … pour mieux achever sa course infernale contre le côté droit de mon automobile!

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Ne vous inquiétez pas puisque je suis là à vous écrire : aucun blessé de part et d’autre, ma voiture dans un triste état mais roulant encore, l’autre hors d’usage, juste l’agacement d’une petite fille de voir les touristes nous observer jusqu’à la fin du séjour comme des bêtes de zoo !!!
Pour en avoir désormais été victime, je vous confirme que les routes de Corse sont périlleuses mais, bon sang de normand ne saurait mentir, elles continueront de me procurer le même enchantement qu’à Maupassant. Sans attendre les calendes grecques, je reviendrai sur l’acropole de Sant’ Antonino.

« Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les Héros d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire… »

Quitte à contredire José-Maria de Heredia, il n’y eut jamais de temple, ni de déesse a  cima, ni même de vol de gerfauts, mais juste une forteresse, à l’origine de luttes sanglantes entre les Savelli de Sant’Antonino et ceux du village voisin de Speloncato, et parfois quelques vautours qui viennent survoler le nid d’aigle.

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 7 septembre, 2011 |6 Commentaires »

La Fiera di L’Alivu 2011 à Montemaggiore

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Aujourd’hui, je vous emmène à la foire. Depuis plusieurs années, Franco, un sympathique maraîcher-fruitier dont les jardins et vergers bordent le luxueux hôtel de charme A Signoria dans la plaine de Calvi, m’encourage, avec son délicieux accent italien, à me rendre à la Fiera di L’Alivu. Cela me rappelle Alla fiera dell’est, une autre manifestation chantée dans ma jeunesse par son compatriote Angelo Branduardi. Á la foire de l’Est, son père lui avait acheté une petite taupe pour deux pommes. Mais soudain, une chatte dévora la taupe, déclenchant ainsi toute une série d’événements en cascade :

«… A la foire de l’est pour deux pommes
Une petite taupe mon père m’avait achetée
C’est enfin le Seigneur
Qui emporte l’ange
Qui saignait l’égorgeur
Qui tuait la bête
Qui buvait l’averse
Qui ruinait la flamme
Qui brûlait la trique
Qui frappait la chienne
Qui mordait la chatte
Qui mangeait la taupe
Qu’à la foire mon père m’avait achetée »

C’est encore plus savoureux dans la langue d’origine du troubadour :

« Alla fiera dell’est,
per due soldi
un topolino mio padre comprò. »

C’est désormais chose faite, je me suis rendu à Montemaggiore, un des trois villages de Haute-Corse composant avec Cassano et Lunghignano, la commune de Montegrosso, du nom de la « grosse montagne » qui se dresse derrière eux.

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Chacun a son église, son cimetière et son bureau de vote mais tous trois ont la même boulangère. Souhaitons à leurs habitants qu’ils ne connaissent pas la mésaventure qui survint, un jour, dans le village où je séjourne dans l’île. Je doute que ce fut dans un souci diététique mais notre boulanger oublia de saler sa fournée. Ainsi, autochtones, touristes en gites et clients des restaurants furent condamnés au régime sans sel. Le plus admirable, c’est qu’il n’y eut aucune vendetta et, au contraire, chacun partit dans un grand éclat de rire !

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Á Montemaggiore, se déroule donc chaque année, au mois de juillet, A Fiera di L’Alivu, la foire de l’Olivier. C’est l’occasion pour les oléiculteurs régionaux de vanter la qualité de leur récolte qui devrait atteindre les deux cent mille litres.
En Corse, en général et en Balagne, en particulier, l’olivier est le seigneur des arbres. L’histoire de la région est intimement liée à celle de l’olivier. La production oléicole remonterait au néolithique ; des vanneries contenant des noyaux d’olive ont été retrouvées sur des sites de cette époque. La Balagne, la principale région productrice de l’île, a été couverte d’oliviers à l’époque romaine. Mais ce sont les Génois qui ont développé les plantations sous forme de greffes au XVIIème siècle (La Coltivazione). Certains de ces arbres qui ont survécu aux grands gels et aux incendies de la seconde partie du vingtième siècle, sont aujourd’hui pluri centenaires. Jadis, les ports de L’Île-Rousse et de Bonifacio hébergeaient à l’année des courtiers en huile. Les huiles de Balagne étaient réputées sur les marchés de Provence avant de subir la concurrence des huiles de graines (tournesol, sésame, coton, colza). De mauvais résultats économiques, l’exode rural, les deux guerres mondiales, l’évolution des usages alimentaires entraînèrent peu à peu l’abandon des oliveraies au profit du maquis.
Heureusement, dans les années 1980, des agriculteurs passionnés, se sont groupés en associations pour rénover l’oliveraie ancienne, relancer la production jusqu’à obtenir la reconnaissance de l’Appellation d’Origine Protégée Oliu di Corsica.
En ce troisième week-end de juillet, Montemaggiore vit la vingt-troisième édition de sa foire qui draine de nombreux visiteurs. Les places de stationnement sont vite rares sur les bas-côtés de la route en lacets qui grimpe vers la place étroite du village envahie par les tréteaux des exposants.

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Hors la marche à pied, les ânes constituent le seul moyen de locomotion pour la plus grande joie des enfants un tantinet paresseux ou espiègles ; ainsi une petite fille s’amuse de me photographier auprès d’un de ces équidés têtus et de titrer son cliché … les deux bourriques ! Ma bonne dame, les enfants ne respectent plus rien même les papys ! Il n’y a cependant pas de quoi en faire un saucisson d’âne considéré à tort comme une spécialité de l’île !

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Première surprise de l’après-midi, je découvre que l’huile d’olive se déguste comme un vin. Est-ce une réminiscence enfantine des désagréables ingurgitations d’huile de foie de morue, certains touristes manifestent dans un premier temps une certaine répulsion devant la cuillère du liquide doré pressé quelques minutes auparavant que leur tend une charmante hôtesse du stand de la coopérative oléicole de Balagne. Á tort bien sûr, car après en avoir humé l’odeur et l’avoir porté à ses lèvres, la sensation de douceur que laisse le nectar au fond de la gorge est étonnante. Conquis, je m’en étends un mince filet sur des petits morceaux de pain puis envisage tout naturellement l’achat de quelques flacons ; le terme est tout à fait approprié tant le conditionnement rivalise avec certaines marques de parfums. D’ailleurs, la petite fille taquine et télégénique d’un des deux bourricots, est sollicitée par le cadreur de la chaîne locale Telepaese pour manipuler vaporisateurs et bouteilles devant l’objectif ; prémices d’une vocation future ? L’Oru di Balagna comme son nom l’indique, offre sa belle robe dorée dans la lumière de l’été. Un peu plus tard, nous assisterons à une démonstration de presse avec un moulin portatif installé sous les platanes, avec pour commencer l’opération de broyage. D’antan, le broyeur à meule, très encombrant, était constitué d’une seule roue actionnée au moyen d’un bras attelé à un cheval ou un âne. Comprenez donc que le paysan corse ne transforme pas son animal de labeur en chair à saucisson ! Ici, la meule se compose d’un bac en acier et de deux roues en granit mues par un moteur qui transforment les olives en une pâte d’huile formée d’une fraction solide, fragments de noyaux, peaux et pulpe, et d’une partie liquide, émulsion d’eau et d’huile. Le rôle des roues est de concasser les noyaux car contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la libération des sucs n’est pas provoquée par l’écrasement mais issue du frottement des arêtes coupantes des fragments des noyaux sur la pulpe des olives.

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C’est ensuite sur une machine voisine, la phase d’extraction proprement dite au cours de laquelle la pâte des olives écrasées est placée dans un récipient laissant passer l’huile tout en retenant les débris de la pression. Pour cela, on empile des scourtins, sorte de paniers souples confectionnés avec de la paille, des fibres de chanvre, alfa ou coco, maintenant en nylon, qui retiennent la partie solide ou grignon constituée des restes de noyaux et de pulpe, et laissent s’écouler le liquide composé d’huile et d’eau. L’opération finale dite de centrifugation, par un procédé de rotation dans un cylindre métallique, a pour effet de décanter l’huile plus légère que l’eau. Une filtration achève le processus pour éliminer les particules solides et les traces d’eau de végétation. Au contraire du raisin pour le vin, l’huile d’olive ne subit aucun traitement chimique lors de sa transformation.
Á partir d’avril, les arbres se couvrent de minuscules fleurs. Pour cent d’entre elles, cinq seulement donneront des olives. D’abord vertes, elles deviennent d’un noir luisant à maturité. La récolte s’effectuant par la chute naturelle des fruits dans des filets orange ou verts, placés en-dessous des oliviers sans toucher le sol, l’olive recueillie est donc très mûre et l’huile corse possède ainsi une belle couleur dorée. Sans colorant, ni conservateur, c’est un pur jus de fruit, au vrai sens du mot, tout à fait naturel, dont les bienfaits sur la santé sont reconnus depuis l’Antiquité grâce notamment à Pline et Hippocrate. De toutes les graisses alimentaires, l’huile d’olive est la plus riche en acides gras mono-saturés. Elle joue un rôle dans la prévention des maladies cardio-vasculaires, a des effets bénéfiques sur le cholestérol et la lutte contre le vieillissement ; des vertus qui m’incitent à la considérer désormais avec sérieux !

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On recense un certain nombre de variétés locales aux noms poétiques comme la Sabina, la Ghjermana (ou Germaine), la Zinzala, la Biancaghja, la Capannace, la Raspulada, la Curtinese. Outre ces espèces endémiques, les oliveraies sont également composées de Picholine du Gard, de Koroneiki d’origine crétoise et de Pendulino de Toscane.
L’huile d’olive possède de multiples usages autres qu’alimentaires. Elle peut être médicament lorsqu’on la combine par exemple à des huiles essentielles et d’autres plantes comme le propose un stand de la foire. Ses propriétés chauffantes et calmantes sont utilisées en kinésithérapie comme huile de massage.
L’huile d’olive connaît aussi des débouchés dans la cosmétique. Elle protège la peau et sa feuille riche en antioxydants restaure les cellules de l’épiderme. L’industrie savonnière se développa en Provence grâce à l’huile d’olive corse. Le vrai savon de Marseille de couleur verte contient au moins 72% de grignons d’olive. La vieille « réclame » Palmolive ne peut cacher son origine.
Véritables conseils de beauté, des recettes anciennes préconisent l’emploi d’huile d’olive pour faire briller les cheveux, conserver les dents blanches, adoucir la peau, protéger des brûlures ou encore éviter d’avoir les ongles cassants. Je n’affirmerai tout de même pas qu’en trempant dedans une souris verte, vous obtiendrez un escargot tout chaud même si l’imagination est présente, durant ces deux jours de foire, en la personne d’une conteuse pour les petits et les grands.
Quitte à énerver encore plus le confiseur Ladurée et le chanteur Helmut Fritz, un étal propose d’appétissants macarons toujours à base d’huile d’olive !

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L’église Saint-Augustin vit aussi au rythme de la foire avec la projection, dans la fraîcheur de sa nef, d’un documentaire sur Les peuples de l’olivier.
Je flâne dans la pittoresque ruelle envahie par les visiteurs attablés à des terrasses de fortune. Les anciennes maisons de maîtres ne manquent pas de charme avec leurs voûtes et leurs portes de bois sculpté.

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Votre maître à l’encre violette, par l’odeur alléché, s’attarde devant le stand de la fromagerie Donsimoni. On y vend d’excellents fromages de chèvre et de brebis (et même des mixtes) à prix pour une fois peu corsé : dix euros les deux, c’est une aubaine. Pour rester dans l’esprit, avec un filet d’huile d’olive dessus, c’est fabuleux, croyez-moi, je ne lâcherai pas le sac même pour le plus flatteur des renards !

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Le bois de l’olivier est à l’honneur aussi bien dans une démarche artistique avec un sculpteur (quoique les souvenirs avec la forme de la Corse, ne sont pas d’un goût très sûr !), qu’une plus pratique avec la fabrication de nombreux objets pour un usage en cuisine. Que son manche soit en corne ou bois de bruyère, châtaignier ou évidemment olivier, puisant ses origines dans la civilisation agropastorale de l’île, le couteau corse demeure le compagnon des paysans et des bergers corses. Selon son usage et la région, il répond aux noms de u temperinu, cornicciulu, a cursina, a cornachjola. De l’autre côté de la place, la petite chapelle Saint-Jean abrite une exposition d’œuvres d’artistes peintres régionaux. Si je me réfère au chanteur maître ès calembours Boby Lapointe, La naissance de saint Jean-Baptiste, une toile peinte à l’huile (sans doute pas d’olive ! Il ne faut point exagérer) du XVIIIe siècle, c’est bien plus diffic’hawaïle mais c’est bien plus beau Dalida la di a dali que la peinture à l’eau des quelques tableaux un peu naïfs présentés tels le pittoresque train déversant encore son flot de baigneurs, de Calvi à Île-Rousse.

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Il est encore une autre huile qui est la fierté des habitants de Montemaggiore, c’est celle au sens d’un personnage important de la commune. Une légende prétend que se trouverait là le berceau de Donna Anfriani, la mère de Don Miguel Mañara Vicentelo de Leca y Colonna, le plus célèbre des séducteurs né à Séville en 1627, bref, Don Juan en personne ! En fait, cette histoire, trop belle pour être vraie, est fondée sans doute sur l’amalgame entre un bourreau des cœurs local et le père du séducteur (qui aurait eu un nom corse ! Colonna ?) prenant le maquis pour l’Espagne après des amours illicites avec une proche parente, puis Don Juan revenant bien plus tard pour séduire sa demi-sœur qui aurait été le fruit de cette liaison. Peu importe finalement, en ce jour de foire, Montemaggiore possède bien d’autres atouts pour nous conquérir. Dans un coin de la place, les auteurs de la bande dessinée insulaire à succès de l’été dédicacent leur dernier opus Et Dieu créa la Corse. Décidément, ici, on a la folie des grandeurs. Il est vrai qu’Antoine de Saint-Exupéry en personne écrivit que le soleil a tant fait l’amour avec la mer, qu’ils ont fini par enfanter la Corse ! Dans ses nouvelles aventures décalées, Petru Santu, anti héros représentant les valeurs ancestrales de la Corse, est confronté à l’évolution de la société : au premier jour était le clan, au second le derby de football entre Bastia et Ajaccio, au troisième les élections, autre sport national de l’île, au quatrième la chasse, puis la pêche, puis le touriste et enfin, la polenta magique !

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En feuilletant l’album, je souris à ce vieux couple de corses, assis sur un banc, qui observe deux jeunes touristes à la plage. Tandis que le garçon demande à sa copine si elle a vu ses mails, le patriarche, brandissant le tricot que son épouse confectionne, s’écrie si elle a vu ses mailles !!! Signe des temps !
La petite fille s’impatiente d’aller piquer une tête dans la baie de Calvi que l’on aperçoit en bas dans la plaine. Requête acceptée, nous n’aurons pas le temps d’assister à une démonstration de taille des oliviers qui couvrent les coteaux autour du piton rocheux.

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 2 septembre, 2011 |2 Commentaires »

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