Martin Lartigue et Jean-Denis Robert exposent au château … ou les (beaux) dommages collatéraux de la Guerre des Boutons d’Yves Robert
Dans toute guerre qui se respecte, il y a des dommages collatéraux. La guerre des boutons, la seule vraie au cinéma, celle, mon colon, que je préfère, celle de 1961, n’y échappe pas. Et, je viens d’en être victime … pour mon plus grand bonheur.
Mes lecteurs les plus fidèles n’ignorent pas qu’en ce mois de septembre, les anciens combattants de la fameuse guerre culte se sont retrouvés dans le cadre de la commémoration du cinquantième anniversaire du tournage du film d’Yves Robert. Je vous en entretiendrai prochainement.
Aujourd’hui, il n’est pas temps de faire la guerre, faisons plutôt l’amour de l’art ! En effet, l’occasion fait le larron, et comme les voleurs sur la croix, ils sont deux valeureux soldats, héros d’expositions artistiques organisées dans le département d’Eure-et-Loir, non loin de leurs champs de batailles enfantines. L’un est Martin Lartigue, petit-fils du célèbre photographe Jacques-Henri Lartigue, et fils de Dany Lartigue, artiste peintre et entomologiste passionné, créateur notamment de la Maison des Papillons à Saint-Tropez. Mais, dans la mémoire collective, l’étiquette qui lui colle de manière indélébile à la peau, est celle de Tigibus, le gamin trognon héros du film d’Yves Robert avec sa célèbre réplique Si j’aurais su, j’aurais pas venu.
L’autre est Jean-Denis Robert, le fils d’Yves. Il appartenait discrètement à la facétieuse bande de Longeverne.
« Fils de bourgeois
Ou fils d’apôtres
Tous les enfants
Sont comme les vôtres
Fils de César
Ou fils de rien
Tous les enfants
Sont comme le tien
Le même sourire
Les mêmes larmes
Les mêmes alarmes
Les mêmes soupirs …
… Mais fils de bon fils
Ou fils d’étranger
Tous les enfants
Sont des sorciers
Fils de l’amour
Fils d’amourettes
Tous les enfants
Sont des poètes
Ils sont bergers
Ils sont rois mages
Font des nuages
Pour mieux voler
Ce n’est qu’après
Longtemps après... »
Martin et Jean-Denis, je me permets de les prénommer familièrement car une amitié s’est nouée entre nous, ne sont pas des fils à papa mais, pour emprunter à Jacques Brel, ce sont ces enfants de la guerre des boutons qui, devenus poètes et rois mages, nous arrivent longtemps après, les bras chargés de présents, en l’occurrence plein de toiles et de photographies.
Pour eux comme pour nous, durant un mois, c’est la vie de château puisqu’ils ont investi deux demeures royales appartenant au patrimoine historique de l’Eure-et-Loir.
Martin Lartigue présente ses peintures dans l’Orangerie du château de Maintenon, à quelques fenêtres de la chambre royale où, pour pasticher le titre de son exposition, Sa Majesté le Roi Soleil en personne, mit la maîtresse des lieux dans tous ses états ! En effet, petit rappel historique, Françoise d’Aubigné plus célèbre sous le nom de madame de Maintenon voire même plus irrévérencieusement de « Madame Quatorze », fut, en ces lieux, gouvernante des enfants bâtards de Louis XIV (des fils de, malgré tout !), avant d’en devenir la favorite puis secrètement son épouse après la mort de la reine en 1683.
Martin a accroché cinquante toiles ; c’est le seul clin d’œil à l’anniversaire de la sortie du film. Un brin agacé parfois qu’on lui renvoie constamment ce souvenir d’enfance, l’artiste, lors du vernissage, répond malicieusement à la vacuité de l’allocution d’une personnalité locale : « Cinquante tableaux pour montrer que j’ai fait autre chose et qu’il y a une vie après la guerre ! »
« Le regardeur de peinture n’a qu’à faire son boulot de regardeur et faire l’effort suffisant pour avoir une opinion personnelle ». C’est paradoxalement le meilleur conseil qu’il puisse nous donner avant de flâner devant ses fresques foisonnantes. Même si j’ai le privilège que Martin me prête quelques clés, pour entrer par exemple au Lapin agile !
Ainsi, sa maman Jeanne Pico, comédienne et chanteuse, fréquenta le célèbre cabaret en face des vignes de Montmartre. Quant à Martin, véritable petit poulbot, dans la foulée de ses deux succès sur les écrans (La guerre des boutons et Bébert et l’omnibus), il connut une scolarité quelque peu chaotique dans diverses écoles de la butte. Puis, à vingt ans, maintenant qu’il avait du poil au menton comme aurait mimé La Crique, il exposa pour la première fois, dans l’atelier familial, Place Blanche, en face du Moulin Rouge.
Dans ce tableau très intime, sa maman et son grand frère regardent par la fenêtre du cabaret, tous les symboles de la butte : la verrière d’un atelier d’artiste, une toile sur un chevalet, le Sacré Cœur et le Moulin rouge, et l’homme au chapeau à large bord et au cache-nez écarlate, Aristide Bruant, l’immense chansonnier de la fin du dix-neuvième siècle et début du vingtième. On s’attend à ce que de sa voix rauque et puissante, il entonne un de ses refrains réalistes :
« … On était chouette, en c’temps là,
On n’ sacrécoeurait pas sur la
Butt’ déserte,
Et j’ faisais la cour à Nini,
Nini qui voulait fair’ son nid,
A Montmertre. … »
Et au centre de tout cela, un arrosoir au pied d’un arbre pour faire monter la sève créatrice ; presque un arbre généalogique car beaucoup de choses germèrent là durant l’enfance montmartroise de Martin. Et comme l’artiste nous encourage à émettre notre avis ou mieux encore à nous évader, pour avoir évoqué sa mémoire lors d’une discussion impromptue avec lui, j’ai envie de glisser là l’âme de Bernard Dimey, un grand poète qui s’installa sur la butte, au milieu des années cinquante.
J’aimerais tant voir Syracuse/L’île de Pâques et Kairouan/Et les grands oiseaux qui s’amusent/À glisser l’aile sous le vent, c’est de lui ; L’émouvante Mémère chantée par Michel Simon, c’est encore lui ; et, sur un ton plus léger, Mon truc en plumes agité par Zizi Jeanmaire, c’est toujours lui, cela a le don d’émoustiller Martin dont le grand-père Pico fut décorateur aux Folies Bergère !
Pour trouver une certaine cohérence à ma déambulation, voici encore :
« Quand je sens, certains soirs, ma vie qui s’effiloche
Et qu’un vol de vautours s’agite autour de moi,
Pour garder mon sang froid, je tâte dans ma poche
Un caillou ramassé dans la Vallée des Rois.
Si je mourrais demain, j’aurais dans la mémoire
L’impeccable dessin d’un sarcophage d’or
Et pour m’accompagner au long des rives noires
Le sourire éclatant des enfants de Louxor... »
Justement, à quelques pas, je retrouve la Vallée des Rois et quelques divinités égyptiennes, possiblement Horus, Anubis et Hathor. L’une d’elles, un obus dans une main, brandit dans l’autre, un coquelicot et un bleuet, ces fleurs du mal pour le paysan qui sont devenues symboles du souvenir des champs de bataille. Inspiré par l’Antiquité, Martin dévoile, sur le même tableau, une influence grecque (du moins, je l’interprète ainsi) en juchant le cheval de Poséidon, le dieu de la mer, … sur le dos d’un jockey ! On est sur un hippodrome, on aperçoit au loin des turfistes, tandis qu’au premier plan, à proximité d’une fusée, un cardinal s’agrippe à une antenne de télévision au sommet de laquelle s’est hissé un ange dont les ailes ont la forme de paraboles ! Ouf, et cela ne constitue que la moitié inférieure de la toile ! Au-dessus, deux touristes posent devant l’hôtel de la Vue payante ( !), une fanfare traverse la place du village le jour de la « flemme » votive, un pauvre randonneur porte sa croix dans son sac, un mélange de Batman et Superman transpercé par la flèche de Cupidon suspend son vol, etc … ainsi va mal le monde vu par l’artiste ! C’est Helzappopin et Monthy Python en peinture ! Ça foisonne de références, ça fourmille d’anecdotes, ça bouillonne de culture !
La preuve, tout de go comme ça, vous connaissez Bertrand de Got ? Il fut pape sous le nom de Clément V entre 1305 et 1314. Peu décidé à se rendre à Rome où régnait le marasme le plus total, il passa son pontificat en Avignon avec en toile de fond, le procès de l’Ordre du Temple. Renseigné sur les mœurs, soi-disant dissolues, des Templiers, le roi Philippe le Bel tanna le pontife pour qu’il condamne ces hérétiques. Et le 13 avril 1312, en séance plénière du concile de Vienne, Clément V promulgua la bulle Vox in excelso qui supprimait l’Ordre du Temple. Sur le bûcher, le grand maître des Templiers Jacques de Molay, lança ces célèbres imprécations : « Clément, et toi, Philippe, traîtres à la foi donnée, je vous assigne au tribunal de Dieu ! Pour toi Clément, à quarante jours, et pour toi Philippe, dans l’année ». La prophétie se réalisa car, vingt-huit jours plus tard, le pape, victime de la dysenterie, mourut à Roquemaure près d’Uzès. Quant à Martin, il marque sa désapprobation au traître, en coloriant de jaune son petit dessin de Bertrand de Got.
L’œuvre de l’artiste se promène dans le temps. Ainsi, elle rappelle aussi parfois l’imagerie du Moyen Âge et les enluminures des Très Riches Heures du duc de Berry avec des références aux tapisseries de l’époque et à l’architecture romane et ses vitraux.
Sa peinture voyage aussi dans l’espace, géographiquement comme artistiquement. D’une toile à l’autre, on se balade de Montmartre à la place aux Herbes d’Uzès avec la tour Fenestrelle, on y croise même son papa, avant de faire bronzette au bord de la Méditerranée en compagnie d’un torero à quatre bras, clin d’œil à Picasso et au cubisme. Cette dernière référence ne serait en fait qu’une construction de mon esprit ! Tant mieux.
Martin franchit aussi les mers et les océans pour emprunter à des cultures primitives africaines ou d’Amérique centrale.
Une de ses toiles me fait ouvrir mon armoire aux souvenirs de mon séjour au Mexique et, en particulier, el dìa de los Muertos. En ces 1er et 2 novembre, la visite rituelle dans les cimetières est festive. On dispose sur les tombes, les plats préférés des défunts, des alcools et plein de sucreries en forme de squelettes et de crânes (les calaveras), et des mariachis jouent leur musique endiablée.
Comme les Mexicains continuent depuis l’époque de Moctezuma, dernier empereur aztèque, de se moquer de la mort pour mieux l’accepter, Martin Lartigue choisit la dérision pour peindre le monde qui l’entoure sans vouloir être sentencieux.
Il parle de choses sérieuses voire graves en essayant de nous faire rire. Réminiscence de sa jeunesse, enfant de la balle qui suivit l’École de Mime, il a gardé l’amour du cirque et des arts forains qu’il représente dans plusieurs de ses toiles. Ce qui n’est évidemment pas pour déplaire à David Ramolet, grand instigateur de ces manifestations commémoratives autour du film d’Yves Robert, dont le livre De la sciure dans les veines (édition Siloé), à paraître imminemment, se situe dans le milieu circassien.
L’allusion ne lui déplaira sûrement pas, je me nourris des toiles de Martin Lartigue de la même manière que je découvre sans cesse de nouveaux jeux de mots dans les chansons de Boby Lapointe. Chacune de mes visites de l’exposition s’enrichit de détails, correspondances, influences, interprétations, non perçus précédemment. Dans la lignée du maître ès calembours de Pézenas, j’ai même croisé des Saints trompés, allusion au célèbre port varois où naquit Martin. Savoureuse facétie, il expose une toile légendée Citron dans une orangerie !
Comme un journaliste noircit son calepin de notes, il « gribouille » à profusion sa toile en la compartimentant, faisant fi de la perspective, pour mieux hiérarchiser les éléments naïfs d’une grande fresque finale.
J’ai un faible pour V comme … Verlaine, variations jubilantes dans une dominante Violette où l’on retrouve aux côtés du poète blessé par les sanglots longs des Violons de l’automne, le Vice et … Versa, la Vertu aussi avec la Valse des Vierges, le Vilain, un Village et une Voiture, Voltaire discrètement, deux Vaches, le Vin, et Villon devant … un Vélo, avec François inscrit sur son maillot, de quoi me ramener au facteur, spécialiste des tournées à l’américaine, héros du film de Jacques Tati.
En effet, c’est Jour de fête quand Martin, peintre et céramiste, est dans tous ses états !
Pour ma transition, n’en prends pas ombrage cher Martin, j’ai cru dénicher dans un adorable petit triptyque, une allusion au temps de la guerre, à travers ces gosses en culotte courte, coiffés d’un béret, et la fronde à la main.
On y revient toujours ! D’autant plus que lors du vernissage, je fais la connaissance d’un autre ex-gamin de la guerre, Jean-Denis Robert, le fils du cinéaste. La filiation est évidente tant la ressemblance est flagrante. Qu’il me pardonne, je lui impose l’épreuve de mon hommage personnel à son papa. C’était la seule personne à qui je désirais confier toute la richesse que m’apportèrent mes quelques rencontres avec son père Ému, il m’absout bien volontiers en m’invitant au vernissage de son exposition, le lendemain, au château de Nogent-le-Roi que hantèrent, en des temps médiévaux, Philippe Auguste et Philippe le Hardi.
Homme de cinéma lui-même, ayant travaillé notamment avec Costa-Gavras et Claude Sautet, Jean-Denis Robert a replongé son œil dans le carré (format 6×6) de son vieil appareil Hasselblad, il y a une dizaine d’années, pour profiter d’une liberté : « J’ai attendu avec patience que l’obscurité se dissipe et tout est revenu, tout était là, toute la misère du monde, drolatique, effrayante, lumineuse. Je n’avais plus qu’à jouer avec, impressionner ces choses de rien avec le sentiment de les rendre visibles, comme une seconde nature. »
Son père me parlait de Fenimore Cooper et de Jack London. Aujourd’hui, je mets mes pas dans ceux de Jean-Denis, un autre « chercheur de trésors » comme l’indique le titre de son exposition.
Je me régale de la scénographie imaginée par l’artiste lui-même qui, très subtilement, joue avec les différentes pièces du château, pour mettre en correspondance ses œuvres selon leur propos, leurs formes et leurs couleurs.
Dès l’entrée, avec une fraîcheur et une malice d’enfant, en guise de présentation, il nous invite à jouer en disposant trois photographies telles un rébus ou une charade: sur la première, référence évidente à Magritte, deux branches d’arbres écrivent le mot JE, en suspension dans un ciel bleu aux nuages blancs ; sur la seconde, se dressent plusieurs pinceaux usagés que l’artiste envisage comme une troupe très colorée de saltimbanques ; la troisième montre un extrait d’un nuancier de peintures à l’eau avec leurs noms exacts. Son tout est : je peins (avec) des couleurs ! Joli défi de la part d’un photographe, qu’il atteint avec talent ; lapsus révélateur, je me surprends même plusieurs fois à dire tableau en évoquant ses clichés.
Dans le travail de Jean-Denis, tout est si simple mais aussi si compliqué, un peu comme fut son adolescence qu’il compare à celle de Patrick Modiano : « J’errais entre deux mondes, celui de ma mère, lascive fonctionnaire de l’éducation nationale. Un jour, on me présente mon père, il est comédien, il s’appelle Yves Robert, me voilà enfant de la balle, par rebond ! »
Simple parce que nous avons tous à portée de main les objets avec lesquels il s’amuse. Ce peut être très banalement quelques déchets ou encombrants qu’il sauve de la sanction suprême du tri sélectif. Ce sont aussi des glanes lors d’une promenade dans la nature. Ce sont encore des objets et papiers qui, parfois seulement par manque de place, tombent en désuétude et bientôt dans l’oubli au fond des greniers, des granges, des ateliers de nos parents et grands-parents. Déjà, par le seul geste de les retrouver, ils nous racontent une histoire, une Vie comme l’écrit Maupassant dans son roman éponyme : « C’était un fouillis d’objets de toute nature, les uns brisés, les autres salis seulement, les autres montés là on ne sait pourquoi, parce qu’ils ne plaisaient plus, parce qu’ils avaient été remplacés. Elle apercevait mille bibelots connus jadis, et disparus tout à coup sans qu’elle eût songé, des riens qu’elle avait maniés, ces vieux petits objets insignifiants qui avaient traîné quinze ans à côté d’elle, qu’elle avait vus chaque jour sans les remarquer et qui, tout à coup, retrouvés là, dans ce grenier à côté d’autres plus anciens dont elle se rappelait parfaitement les places aux premiers temps de son arrivée, prenaient une importance soudaine de témoins oubliés, d’amis retrouvés. Ils lui faisaient l’effet de ces gens qu’on a fréquentés longtemps sans qu’ils se soient jamais révélés et qui soudain, un soir à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter toute leur âme qu’on ne soupçonnait pas. »
Compliqué, et c’est tout le talent de Jean-Denis Robert, parce qu’il s’empare de ce matériau pour le recycler, le faire revivre, l’organiser à sa façon, le mettre en scène, en l’enjolivant.
Il s’agit bien plus d’un art singulier que d’un art brut au sens du terme inventé par Jean Dubuffet.
Son art dépasse largement le cadre de la photographie. Tout au long de l’exposition, Jean-Denis, artiste protée, devient successivement, conteur, peintre, sculpteur. Aimant jouer avec les mots, il accompagne chacune de ses œuvres, d’une légende oscillant entre le trait d’humour et un commencement de piste possible à la compréhension. Il nous fait entrer ainsi dans ses histoires, à nous ensuite de nous les approprier voire de nous inventer les nôtres.
Il n’y a aucun visage humain et pourtant la galerie est truffée de portraits. D’un vieux cadenas rouillé ouvert et une rose fanée, surgit comme à l’évidence une silhouette féminine : Je m’appelle Brigitte ! Une métaphore nostalgique d’un amour qui n’a pas résisté à l’usure du temps. Cela me renvoie au billet de ma flânerie sur le pont des Arts (Rive gauche à Paris, 18 janvier 2010) dont les parapets grillagés sont peuplés de cadenas ; étaient serait plus exact car toutes ces preuves d’amour auraient mystérieusement disparu! Cette ancienne tradition des lucchetti a été remise au goût du jour par un écrivain italien, Emilio Boccia, qui, dans un de ses romans, racontait l’histoire d’amour de deux de ses personnages accrochant un cadenas à un pont au-dessus du Tibre et jetant la clé dans le fleuve en se jurant fidélité jusqu’à l’éternité.
Une vieille sacoche en cuir, une planchette, un crayon d’artisan ou de bricoleur, et il obtient … le portrait tout craché de Charles Vanel !
J’ai un gros coup de cœur pour des coloquintes, un clou, une burette brisée, « objets volés pas toujours identifiables », qui avec le jeu subtil de la lumière et de la composition, deviennent un couple à trois. Qui sait si cette scène presque vaudevillesque ne rejoindra pas bientôt … mon domicile !
D’une boîte à œufs ou d’un pack de pots de yaourts, peu importe, emberlificotée dans un halo de fil de nylon, jaillit une véritable sculpture et un splendide hommage en noir et blanc à Brassaï pseudonyme de Gyula Halász, un photographe français d’origine hongroise, également dessinateur, peintre, sculpteur et écrivain.
Ce travail de récupération possède une certaine filiation avec celui du peintre et emboîteur Marc Giai-Miniet, dont je vous ai déjà entretenu (billet du 20 mars 2008) et qui, coïncidence, a précédé Jean-Denis sur les cimaises de Nogent-le-Roi.
Série noire, une séquence frisson et un hommage à la littérature policière : quelques romans policiers dont l’immense Pas d’orchidées pour Miss Blandish de James Hadley Chase, des pistolets en plastique, des cartouches, et même un muridé en plastique du genre Rattus qui s’est immiscé sous Fait comme un rat de Léonard Ross, un des grands polars incontournables ! Je jubile ; cela me fait penser aux parties de Cluedo de mon enfance, rappelez-vous le colonel Moutarde et Mademoiselle Rose suspectés de meurtre avec un chandelier dans le vestibule ! Série Noire me renvoie également à la somptueuse scène d’ouverture du film d’Alain Corneau où Patrick Dewaere danse seul un tango poignant devant sa voiture, dans un terrain vague d’une banlieue glauque.
De fil en aiguille, c’est le cas de le dire, je me réjouis d’un autre tango exécuté à l’autre bout de la pièce, par des couples d’épingles à nourrice !
« Une noix
Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ?
Qu’est-ce qu’on y voit ?
Quand elle est fermée
On y voit la nuit en rond
Et les plaines et les monts
Les rivières et les vallons
On y voit
Toute une armée
De soldats bardés de fer
Qui joyeux partent pour la guerre
Et fuyant l’orage des bois
On voit les chevaux du roi
Près de la rivière ... »
Aussi surréaliste que Charles Trenet, Jean-Denis en cassant la coquille, découvre une noix hermaphrodite !
Tout près de là, Jean-Denis a étendu à une corde à linge, toute une collection de triptyques verticaux. C’est intelligent, drôle et souvent joyeux comme cet Interdit aux bêtes à cornes, un panneau indicateur interdisant le passage des bovins, colonisé par quelques escargots. Avec Italian alarm clock, on effectue une plongée nostalgique dans la civilisation d’avant le quartz : l’artiste met en correspondance deux de ces réveils qui vibraient et couraient sur la table de chevet quand ils sonnaient, et un coq de basse-cour dont le cocorico m’extirpait de mon sommeil lors de mes vacances dans la ferme de ma grand-mère. Et dire que, tout récemment, une néo-rurale d’un village ariégeois exigea de sa voisine qu’elle abatte son coq trop matinal ! Fait divers bien moins poétique que la savoureuse fable chantée par Claude Nougaro :
« ...Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
A faisait des conciliabules
Chez les cocottes en courroux
» Qu’est-ce que c’est que ce coq, ce cocktail
Ce drôle d’oiseau, ce vieux coucou
Qui nous méprise et qui ne nous
Donne jamais un petit coup dans l’aile ? «
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Ah, mesdames, vous parlez d’un jules !
Le voila qui chante genoux
» O ma pendule je t’adore
Ah ! laisse-moi te faire la cour
Tu es ma poule aux heures d’or
Mon amour ... »
Dans l’ultime salle, devant une magnifique cheminée dans laquelle mijota peut-être autrefois quelque coq au vin, Jean-Denis conclut de manière fracassante avec des variations sur le VR KC ! Cette série de photographies tient encore de la sculpture et des vanités en peinture. C’est lumineux et fragile … comme le cristal.
« ...Savez-vous casser la vaisselle à maman
Voilà voilà comment on s’y prend
Sur le plan musical
Sachez mes petits
Qu’avec du cristal
C’est bien plus joli
Vous posez un verre
Sur un autre verre
Puis de plus en plus
Jusqu’à ce qu’y en ait plus
La pile sur la tête
On enlève la main
Puis on lève un pied... »
Le soir du vernissage, Jean-Denis confia avec humour que la vaisselle volait parfois à la table de la famille Robert et que peut-être, inconsciemment, des réminiscences de l’enfance remontent à la surface.
Est-ce une manière de conjurer le sort pour que son exposition soit couronnée de succès, ce dont personne ne doute ?!
Au-delà de sa démarche artistique qui, au sens propre comme au figuré, réanime des natures tellement mortes que nous les avions jetées, Jean-Denis nous invite de manière ludique à une prise de conscience environnementale. On ne sort pas indemne de notre rencontre avec ses objets en dérive.
« Eh, m’sieu, il y a combien de gros mots qui commencent par C dans la langue française ? ». Moi, j’en connais deux : Culture et Curiosité. L’ancien enseignant qui sommeille encore en moi, se prend à rêver du riche parti que des professeurs des écoles motivés pourraient tirer en travaillant avec leurs élèves autour des deux expositions. J’imagine déjà de partir en campagne pour une classe d’initiation artistique avec Martin Lartigue et Jean-Denis Robert, ces deux enfants de la guerre, comme j’en vécus au Mont-Saint-Michel, il y a une quinzaine d’années, justement en compagnie d’un peintre et d’un photographe.
Salut les artistes, pour reprendre (presque) le titre d’un film d’Yves Robert. On y revient toujours, mais est-ce vraiment un hasard ? Je ne saurais trop vous conseiller de leur rendre visite ici et Maintenon ou lorsqu’ils exposeront dans votre région.
Martin LARTIGUE
Martin … dans tous ses états
Du samedi 17 septembre au dimanche 16 octobre 2011
Orangerie du Château de Maintenon
Ouvert tous les jours sauf mardi
Jean-Denis ROBERT
Photographies
Chercheur de trésor
Du samedi 17 septembre au dimanche 16 octobre 2011
Ouvert le vendredi, samedi, dimanche et lundi de 14h à 18h
Deux sites pour prolonger votre promenade à travers les œuvres des deux artistes :
http://www.hang-art.fr/Fiches_artistes/Expo_09/Fiche_Lartigue.html
http://www.jeandenisrobert.com/
Merci à Jean-Denis pour son autorisation d’insérer quelques uns de ses fichiers, et aux deux artistes ainsi qu’à Dominique Chanfrau, adjointe à la culture de la municipalité de Nogent-le-Roi, pour leur accueil chaleureux