La nuit, lors de mes séjours à la ferme en Ariège, la chouette hulule, en face, dans les platanes du pré commun, et les souris dansent, les rats aussi d’ailleurs, dans le grenier au-dessus de notre chambre. Parfois, même, la tapette installée au pied du lit piège une de ces souris, trop aventureuse. Ce sont les charmes de la vie à la campagne ! Certes, le grain se fait rare depuis la cessation des activités agricoles et, sans doute, la belette entrée dans un grenier ne risque plus guère la mésaventure contée par Jean de La Fontaine :
« Damoiselle belette, au corps long et flouet,
Entra dans un grenier par un trou fort étroit :
Elle sortait de maladie.
Là, vivant à discrétion,
La galante fit chère lie,
Mangea, rongea: Dieu sait la vie,
Et le lard qui périt en cette occasion!
La voilà, pour conclusion, .
Grasse, mafflue et rebondie.
Au bout de la semaine, ayant dîné son soûl,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s’être méprise.
Après avoir fait quelques tours,
« C’est, dit-elle, l’endroit : me voilà bien surprise;
J’ai passé par ici depuis cinq ou six jours. »
Un rat, qui la voyait en peine,
Lui dit: « Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l’on le dit à bien d’autres;
Mais ne confondons point, par trop approfondir,
Leurs affaires avec les vôtres »
Récemment, mon sommeil fut troublé par des bruits inhabituels. En effet, au réveil, en ouvrant les volets, quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’une horde de Vikings avait investi le pittoresque pré communal !
Pas de quoi perturber, cependant, mon petit-déjeuner, même si leur réputation de pillards a traversé les siècles après qu’ils eurent ravagé l’Angleterre, avant l’an mille, sous le commandement de Ragnar et Erik le Rouge. Sang-froid atavique car il semblerait que, par ma maman née Rouland, je descende d’un de leurs chefs, Rollon, à qui Charles III dit le Simple, roi de France, pour prévenir de ses exactions, donna par le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911) un territoire autour de Rouen appelé duché de Normandie. C’est ainsi que les « North men », les hommes du Nord venus de Scandinavie, devinrent les Normands. Certains partirent plus tard vers la Terre Sainte et Naples (avant de mourir ?).
Aujourd’hui, aucun drakkar n’est amarré aux rives du Salat ; nos envahisseurs sont des étudiants pacifiques en provenance de différents coins de l’hexagone, chargés d’animer le vide-grenier organisé par la commune.
Brocante, braderie, foire aux puces, vente au déballage, bric à brac, réderie en Picardie, foire à tout en Normandie, vente de garage au Québec, on lui attribue plusieurs dénominations. Pour le Petit Robert, le vide-grenier est une manifestation organisée par des particuliers qui vendent des objets dont ils veulent se défaire. Confidence, j’ai retardé mon retour en région parisienne pour goûter à ce rendez-vous de la bonne humeur et de la nostalgie. Car, depuis ma plus tendre enfance, j’ai un attachement profond au grenier. À l’école de la plus belle femme qui soit, ma maman la directrice, je devais traverser les chambres de mes parents et de mon frère aîné, pour accéder à la mienne sous les toits. Lorsque je désirais m’évader de la tutelle familiale, je me hissais, de l’autre côté, dans l’immense grenier contigu. Je redoutais vers le fond, des contrées inhospitalières, poussiéreuses, plongées dans la pénombre, où les araignées aimaient tisser leur toile. J’en fréquentais d’autres plus accueillantes, véritables îlots d’évasion peuplés d’armoires et de caisses. Je m’y suis tant nourri spirituellement, goinfré, bâfré même, qu’à l’image de la belette du fabuliste, je n’aurais jamais dû pouvoir en sortir.
Mes fidèles lecteurs savent que c’est là que me fut contée notamment la merveilleuse légende des cycles à travers les magazines de couleur verte ou bistre, Miroir-Sprint et But&Club, qui s’entassaient au fond des malles. J’en prélevais quelques-uns et m’en régalais durant plusieurs heures à la lumière de l’unique lucarne. C’était le « grenier de la réussite ». Au-delà des exploits des frères Pélissier et Lapébie, des duels entre Magne et Vietto, Coppi et Bartali, Koblet et Kubler, Bobet et Robic, j’apprenais avec plaisir ma douce France, ses plaines et ses montagnes, ses ports et ses cours d’eau, ses villes et ses monuments, son climat, ses spécialités.
Parfois, j’ouvrais une vieille bibliothèque vitrée et selon l’humeur, le titre, la couverture, je choisissais un bouquin. Je me souviens avoir lu ainsi, à l’instinct, Un de Baumugnes de Jean Giono, Maurin des Maures de Jean Aicard, La grande meute de Paul Vialar, La dernière harde de Maurice Genevoix, Pays d’Ouche de Jean de La Varende.
J’ai conservé de cette époque, un goût prononcé pour les greniers qui racontent des vies. Voici ce qu’écrit Maupassant dans son roman intitulé justement Une vie :
« C’était un fouillis d’objets de toute nature, les uns brisés, les autres salis seulement, les autres montés là on ne sait pourquoi, parce qu’ils ne plaisaient plus, parce qu’ils avaient été remplacés. Elle apercevait mille bibelots connus jadis, et disparus tout à coup sans qu’elle eût songé, des riens qu’elle avait maniés, ces vieux petits objets insignifiants qui avaient traîné quinze ans à côté d’elle, qu’elle avait vus chaque jour sans les remarquer et qui, tout à coup, retrouvés là, dans ce grenier à côté d’autres plus anciens dont elle se rappelait parfaitement les places aux premiers temps de son arrivée, prenaient une importance soudaine de témoins oubliés, d’amis retrouvés. Ils lui faisaient l’effet de ces gens qu’on a fréquentés longtemps sans qu’ils se soient jamais révélés et qui soudain, un soir à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter toute leur âme qu’on ne soupçonnait pas. Elle allait de l’un à l’autre avec des secousses au coeur se disant : “tiens, c’est moi qui ai fêlé cette tasse de Chine, un soir quelques jours avant mon mariage. – Ah ! voici la petite lanterne de mère et la canne que petit père a cassée en voulant ouvrir la barrière dont le bois était gonflé par la pluie. ” Il y avait aussi là-dedans beaucoup de choses qu’elle ne connaissait pas, qui ne lui rappelaient rien, venues de ses grands-parents, ou de ses arrière-grands-parents, de ces choses poudreuses qui ont l’air exilées dans un temps qui n’est plus le leur et qui semblent tristes de leur abandon, dont personne ne sait l’histoire, les aventures, personne n’ayant vu ceux qui les ont choisies, achetées, possédées, aimées, personne n’ayant connu les mains qui les maniaient familièrement et les yeux qui les regardaient avec plaisir Jeanne les touchait, les retournait, marquant ses doigts dans la poussière accumulée ; et elle demeurait là au milieu de ces vieilleries, sous le jour terne qui tombait par quelques petits carreaux de verre encastrés dans la toiture. Elle examinait minutieusement des chaises à trois pieds, cherchant si elles ne lui rappelaient rien, une bassinoire en cuivre, une chaufferette défoncée qu’elle croyait reconnaître et un tas d’ustensiles de ménage hors de service.
Puis elle fit un lot de ce qu’elle voulait emporter et, redescendant, elle envoya Rosalie le chercher. La bonne indignée refusait de descendre “ ces saletés ”. »
Ce samedi-ci, les deux allées qui bordent le pré commun, regorgent de ces « saletés ». Il y a même, sous les platanes, une cohorte de « rossignols » qui ont fait fuir les tourterelles apeurées par tant de brouhaha.
Ici, deux attendrissantes souris sont descendues de leur grenier. Visiblement ravies de participer à la fête et ne manquant pas d’humour, elles transportent un sac de mousse d’où surgit une plante de l’espèce des … myosuroides (en forme de queue de souris).
Là, deux canetons en plâtre avec leur maman cane attendent l’éclosion des « petits rejetons ». L’incubation dure en principe 35 jours mais cette touchante scène familiale n’émeut guère les visiteurs puisqu’elle était déjà à vendre l’année précédente.
Palmipèdes story ! À quelques mètres de là, des colverts pivotent sur un tourniquet en attendant de se faire canarder par les flèches des gamins. C’est peut-être ainsi que naissent des passions de chasseurs.
Un couple de pigeons se livrent à une parade nuptiale. Inséparables sur leur socle en porcelaine, ils semblent avoir compris la morale sous-jacente de la fable.
« Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre :
L’un d’eux, s’ennuyant au logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L’autre lui dit : « Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L’absence est le plus grand des maux… »
Une moule en porcelaine, qu’y a-t-il à l’intérieur d’une moule, qu’est-ce qu’on y voit quand elle est ouverte ? Des poissons et des coraux multicolores ! Et Charles Trenet aurait vu « mille soleils, tous à tes yeux bleus pareils, et briller la mer, et dans l’espace d’un éclair, un voilier noir qui chavire ».
Comme pour certains nanars cinématographiques, je me réjouis de ces objets d’un goût plus qu’incertain même si je ne voudrais en aucune façon les voir trôner à l’entrée de mon appartement ou sur un meuble de mon salon.
Je me souviens que du temps où je m’appelais Jeanmi et que j’étais beau et con à la fois (!), un copain malicieux m’avait offert un de ces horribles canevas avec un cerf à l’affût dans un sous-bois aux couleurs automnales ! Il le tenait d’une autre connaissance, à charge d’accepter qu’il soit accroché à son domicile pendant une durée minimale de six mois et de mettre ses coordonnées au verso. Vous devinez que devant tant d’humour, je n’ai pas brisé la chaîne et l’oeuvre fit tapisserie à mon domicile plus d’un semestre avant d’émigrer dans un bourg auvergnat.
Il me faut vous décrire aussi le cadeau de départ à la retraite de cet oncle dont j’ai parlé dans le billet Mon Oncle et mon oncle du 19 mai 2009. En reconnaissance de ses cours du soir dispensés au centre de formation et d’apprentissage d’adultes, ses collègues lui offrirent une boîte à musique en porcelaine. Quand on l’activait, elle jouait La vie en rose tandis qu’un pochtron hirsute et hilare, brandissant une fiole de calvados, tournait sur son socle !!! Le mauvais goût élevé au rang de la vulgarité voire l’insolence ! Car je suis loin d’être persuadé que ce fut de l’humour … ou alors au vingtième degré ! Ce qui est certain, c’est que, sans doute par respect, mon cher tonton conserva l’œuvre d’art douteuse dans la cage d’escalier de son pavillon et qu’il eut la délicatesse de ne pas l’inclure dans mon héritage !
Cela me rappelle le pot d’adieu de Monsieur René chanté par Bénabar :
« ...Les collègues ont fait la quête, offrent une sacoche en cuir
Le patron voulait faire un geste, c’est une boîte de cigares
René ne fume plus depuis dix ans mais remercie quand même
Sur un bureau des gobelets en plastique et une quiche lorraine
Monsieur René aura tout le temps de faire ce qu’il pouvait pas avant
Bricoler, ranger le garage ... »
Il est un autre oncle que j’avais associé au mien dans mon billet, c’est le héros du savoureux film éponyme de Jacques Tati. Et justement, dans Trafic, pamphlet prémonitoire contre l’absurdité de la civilisation de l’automobile, le génial cinéaste trop souvent incompris, avait inventé un gag avec un de ces bibelots improbables que l’on ne peut dénicher que dans un vide-grenier. Dans la file d’attente d’une station-service sur l’autoroute du Nord, peut-être en récompense de sa patience, un automobiliste recevait un buste en polystyrène trop volumineux pour passer par la vitre. Imaginez l’embarras du conducteur, les bras encombrés à l’extérieur, ne pouvant ni tenir le volant, ni ouvrir la portière ! Je souris toujours à cette scène cocasse d’autant que l’heureux gagnant, filmé à son insu, était un de mes amis et que c’est moi qui lui appris la supercherie, quelques années plus tard. Ou quand la fiction dépasse la télé-réalité de papa et la fameuse Caméra invisible des frères Rouland et de Jacques Legras!
Je me moque peu charitablement mais, nul n’est parfait ; ainsi, je possède au fond d’un buffet, quelques pièces de vaisselle en grés et en porcelaine à motifs fleuris(avec le nom savant de la plante quand même !) offertes par les sociétés BP et Mobil avant qu’elles n’invitent leurs résidus d’hydrocarbures dans nos assiettes.
Au chapitre du bestiaire, c’est maintenant « le chien à la queue coupée », une encombrante sculpture dont l’originalité anatomique provient plus de la maladresse du propriétaire que du talent de l’artiste. Son vendeur, un habitant du village de l’autre côté du pont, est connu à la ronde surtout par son sobriquet de Tournez manège, depuis qu’il eût participé, il y a une quinzaine d’années, à cette autre émission culte de la télévision. Personnage haut en couleurs, il me semble qu’il n’a toujours pas trouvé l’âme sœur. Les troisièmes mi-temps commencent parfois tôt au pays du rugby, et en cette fin de matinée, il me découpe une succulente tranche de jambon du pays accompagnée d’une eau-de-vie de poire très parfumée. Excusez ces digressions mais la convivialité et le plaisir des rencontres font aussi le charme de la chine.
J’avoue n’avoir jamais trop compris les processus psychologiques qui animent les créateurs et les acquéreurs de ces objets kitsch se disputant la palme du plus laid, du plus lourdingue, du plus insignifiant, du plus prétentieux. Un vrai festival du mauvais goût mais comme dit l’autre, il y a un public pour cela.
Une pile d’anciens numéros du magazine Historia attire mon regard. L’un d’eux avec en couverture la resplendissante Marina Vlady, propose un dossier sur la Princesse de Clèves dont on n’a jamais autant parlé depuis que notre président l’a karcherisée. Et pour preuve de sa perspicacité, un remarquable documentaire Nous, Princesses de Clèves, relate comment, dans le cadre d’un atelier animé par deux professeurs ne doutant pas de la soif de connaissance des jeunes générations, des élèves du lycée Denis Diderot, dans les quartiers nord de Marseille, s’emparent du chef-d’oeuvre de Mme de Lafayette. La comtesse, née Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, doit sourire d’être devenue un emblème de la résistance culturelle.
S’il est un écrivain qui éprouve une profonde nostalgie du grenier, c’est Pierre-Jean de Béranger, un poète chansonnier du dix-neuvième siècle qui connut un énorme succès.
« Je viens revoir l’asile où ma jeunesse
De la misère a subi les leçons.
J’avais vingt-ans, une folle maîtresse,
De francs amis et l’amour des chansons.
Bravant le monde et les sots et les sages,
Sans avenir, riche de mon printemps,
Leste et joyeux je montais six étages.
Dans un grenier qu’on est bien à vingt ans !
C’est un grenier, point ne veux qu’on l’ignore.
Là fut mon lit bien chétif et bien dur ;
Là fut ma table ; et je retrouve encore
Trois pieds d’un vers charbonnés sur le mur.
Apparaissez, plaisirs de mon bel âge,
Que d’un coup d’aile a fustigés le Temps.
Vingt fois pour vous j’ai mis ma montre en gage.
Dans un grenier qu’on est bien à vingt ans !… »
Jean-Louis Murat dans son opus 1829, reprit des textes de ce chansonnier rebelle de l’époque napoléonienne. Et peu de temps avant, après avoir déniché sur le marché aux puces de Clermont-Ferrand, une édition d’époque des œuvres complètes de Madame Deshoulières, il avait chanté avec Isabelle Huppert quelques unes des pop songs salonnardes qu’elle écrivait pour le Roi Soleil. Comme quoi de beaux projets peuvent naître de la chine !
C’est sur le pavé des Puces, place du Jeu de Balle, à Bruxelles qu’une lectrice d’outre Quiévrain trouva une photo rare de Jacques Anquetil qui inspira deux de mes billets (lire Une photo, vieille photo de ma jeunesse des 1er et 15 octobre 2009).
À défaut, aujourd’hui, il y a un vieux vélo de course de la marque Roger Rivière, du nom du rival déclaré de l’idole de ma jeunesse, avant que sa carrière ne s’achevât dramatiquement au fond d’un ravin du col du Perjuret (voir article du 23 juin 2009 Causses toujours ! Du Méjean à l’Aigoual).
Je fouine parmi les cartons de bouquins à la recherche hypothétique de L’œil du lapin de Cavanna qui échappa à mon attention à sa sortie. Cavanna y raconte son enfance et son adolescence depuis la maternelle jusqu’à la « Supé ». S’il cligne lors de vos déambulations, pensez à moi !
Faute de place, je me suis débarrassé de beaucoup de livres qu’avaient accumulés mes parents au fond de leur grenier. Je les ai souvent offerts à des bibliothèques municipales peu argentées. Puissent-ils donner le goût de la lecture à certains enfants comme je l’acquis à leur âge dans ma caverne d’Ali Baba.
Je soulève un tas de revues sportives couleur sépia. L’an dernier, j’avais acheté à destination de mon beau-frère héraultais d’adoption, un Miroir des sports de mai 1929 consacré à la finale de la Coupe de France de football opposant les frères ennemis, le Sporting Olympique de Montpellier et « l’invincible Football « Club de Sète dont un regretté oncle me contait les exploits au temps où il m’emmenait au stade des Métairies.
Cette fois, pour un euro, je me procure un numéro de septembre 1935. Les congés payés n’existent pas encore mais la foule endimanchée, en casquettes et canotiers, s’est amassée dans la côte de Châteaufort, en vallée de Chevreuse pour encourager Antonin Magne lors du Grand Prix des Nations contre la montre. Image de la « belle époque » du cyclisme avec ce tacot à manivelle prêt à dépanner le coureur en cas d’incident technique !
Malgré le retour à la mode des disques vinyle, je constate que les vieux microsillons de ma jeunesse avec leurs superbes pochettes ne sont guère côtés en bourse. Cela ne m’incite nullement à proposer à la vente ma collection des originaux de Jacques Brel bien qu’on m’ait offert l’intégrale en CD lors de mon départ de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres.
J’admets par contre qu’un vendeur puisse se séparer des œuvres de Danyel Gérard. Rappelez-vous de ce chanteur de l’époque yéyé dont Coluche disait avec férocité que dans son choix entre le chapeau et le talent de Bob Dylan, il avait préféré le galure !
N’empêche que si son petit Gonzalès et sa Butterfly m’exaspérèrent …
« De tous côtés, on n’entend plus que ça
Un air nouveau qui nous vient de là-bas
Un air nouveau qui vous fait du dégât
Et comme moi, il vous prendra
C’est une danse au rythme merveilleux
A danser seul, à quatre, ou bien à deux
Pas besoin de regard dans les yeux
Y’a simplement qu’à être heureux
Un pied devant et les deux mains fermées
Légèrement penché sur le côté
Sans oublier aussi de pivoter
Encore un effort, vous l’avez
Voilà, c’est ça,
Oui, comme ça… »
…. Avec lui, nous y vînmes tous au twist !
Une rangée de fauteuils attend (fessier) preneur, celui de Monsieur René pour sa paisible retraite ?
C’est tout un inventaire transgénérationnel à la Prévert qui se récite devant mes yeux : des cages avec la porte ouverte pour que le poète fasse le portrait d’un oiseau (!), des jeux de play-stations, une machine à écrire, des lampes de chevet, des cartes postales, un ordinateur du paléolithique numérique, des publicités anciennes de spiritueux, une clarinette, un ballon du bon temps du rugby des champs et des villages, une raquette de tennis de l’époque des Mousquetaires (Lacoste et Borotra, pas d’Artagnan et Porthos !) ; quant aux ratons (laveurs), ils grignotent tranquillement dans les greniers !
L’ancien forgeron du village (voir billets du 18 juin 2008 et 3 février 2011), toujours aussi curieux de la vie à quatre-vingt- dix ans sonnés depuis mars, est fier de son achat, un globe terrestre, lui qui ne voyait jusqu’alors la planète qu’à plat dans les atlas. Peu importe si l’ampoule ne fonctionne pas, la lumière est dans ses yeux. Ainsi, quand le XV de France s’envolera en septembre prochain, pour la Coupe du Monde en Nouvelle-Zélande, il comprendra de visu ce que signifie partir aux antipodes !
Jean Martres, c’est son nom, ferait le bonheur aujourd’hui des brocanteurs professionnels s’il n’avait pas donné aux uns et aux autres, ses outils de maréchal-ferrant qui peuplaient son atelier.
Sur le bitume de la route, deux jougs rappellent le temps pas si lointain où bœufs et chevaux tiraient les attelages. À compter aussi tous les pots en grès émaillé qui servaient à conserver la viande au sel, on devine qu’on ne tue (presque) plus le cochon au village. En quelques coups d’œil, c’est un tableau d’une France agricole d’avant-guerre que l’on peut brosser à travers ces objets.
Tiens, un tableau de Van Gogh, enfin … une copie de copie de copie évidemment. Quoique des trésors artistiques finissent au musée après avoir sommeillé parfois des dizaines d’années, au fond des greniers, à l’insu des occupants des lieux. La légende dit que le peintre ne vendit qu’une seule toile de son vivant. Cela me donne envie de retourner en juin, quand les blés seront mûrs, du côté de Chaponval et Auvers-sur-Oise, sur les traces du génial Vincent.
Je devrais être réfractaire au stand voisin puisqu’il s’adresse aux amoureux du repassage. En effet, un « pressophile » passionné ou collectionneur de fers à repasser propose quelques-unes de ses plus belles pièces. J’en ai deux chez moi qui serrent une bible du dix-huitième siècle, héritée de mon oncle ; c’est tout de même mieux que la boîte à musique !
Des doudous orphelins espèrent que des bambins flashent sur eux pour leur offrir un réconfort affectueux à l’heure de la tournée du marchand de sable. Je connais une petite fille de douze ans qui n’est pas encore prête à se séparer des siens. Quitte à ce que ses chers aïeux soient la risée des automobilistes quand ils transportent un volumineux nounours, sur la banquette arrière !
Nul besoin d’exercer un trafic sordide de bébés en Ukraine, deux charmants baigneurs attendent ici leurs nouveaux parents adoptifs.
Les enfants participent de plus en plus souvent aux vide-greniers. Certains leur sont même exclusivement réservés ou permettent de financer des sorties scolaires. C’est aussi l’aubaine pour eux de récolter quelques euros qui contribueront à l’achat d’un nouvel objet ! C’est l’occasion aussi de jouer à la marchande « pour de vrai » et d’apprécier la valeur des choses. Néophytes de l’économie de marché, ils ne se laissent pas trop fléchir sur les prix affichés. Certains de ces bric-à-brac prétendent aussi à une éducation citoyenne en incitant au troc ou au recyclage.
La plus ancienne de ces manifestations est la braderie de Lille qui attire, chaque année, plusieurs millions de visiteurs. Son origine remonte au XIIe siècle avec la franche foire à l’Assomption. Mais elle ne prend la forme du vide-grenier actuel qu’au XVIe siècle lorsque les domestiques lillois obtiennent le droit de vendre, entre le lever et le coucher du soleil, les vieux vêtements et objets usagers de leurs patrons.
Les marchés aux puces tirent leur nom du fait qu’il s’agissait essentiellement de vente de chiffons et vêtements usagés, et que les puces étaient le symbole de la pauvreté.
On constate la répugnance que montrèrent longtemps les gens riches vis-à-vis de l’objet d’occasion. Ce n’est plus vrai aujourd’hui et, signe des temps, avec la baisse du pouvoir d’achat, les vide-greniers connaissent un véritable engouement et attirent toutes les classes sociales. Des affiches les annonçant, foisonnent dans nos campagnes, au printemps ou à l’automne.
Dans le petit village d’Ariège, les maîtres mots sont la convivialité et l’esprit festif que les organisateurs y attachent. Vendeurs et acheteurs sont heureux, les premiers de se débarrasser d’objets devenus, au fil du temps, inutiles et encombrants, les seconds d’avoir fait une bonne affaire, et tous de partager à midi sur le pré commun, un savoureux poulet au curry préparé par le comité des fêtes.
Tout au long de la journée, pour le plaisir des petits et aussi des grands, les Vikings s’adonnent à des initiations à la pratique des armes et des démonstrations de combat. Pendant quelques instants, on peut s’imaginer en Einar et Erik alias Kirk Douglas et Tony Curtis, rejouant la fameuse scène finale du film de Richard Fleischer, tournée en haut du donjon du fort la Latte, au cap Fréhel. Bien que normand, je n’eus pas recours à une telle mise en scène pour séduire, il y a une trentaine d’années, une enfant du village !
Avec le chaud soleil qui s’est invité à la fête, on peut trinquer au choix à la buvette ou … plus tendance encore, avec les jolies cornes à boire vikings.
Savez-vous que mon nom désignait la corne de bovin, attachée à la ceinture, où l’on glissait la pierre à affûter la faux à la période de la fenaison ?
J’ai un rapport compliqué au grenier. Toujours réticent à me séparer d’un objet ou d’un document et avide de m’en procurer de nouveaux, je suis plus enclin à le remplir qu’à le vider. Pour des raisons affectives bien compréhensibles, ce fut une vraie souffrance de trier celui de mes parents quand nous vendîmes après leur décès, la maison familiale. La destination de chaque chose même insignifiante posait un dilemme tant j’avais l’impression de bafouer leur mémoire, en la jetant. Comment me débarrasser brutalement de milliers de feuilles remplies de préparations de cours, témoignages admirables de la conscience professionnelle et de la valeur de ces enseignants ? Comment mettre au rebut des cartons à chaussures pleins de cartes postales envoyées de tous les coins du monde, par des amis et aussi d’anciens élèves éternellement reconnaissants ? Et mille autres choses encore et autant de crève-cœur…
Il n’empêche que j’aime flâner de temps en temps dans les vide-greniers de ma douce France pour une véritable leçon d’histoire sociologique. Si l’on prend la peine d’observer tous ces vieux bibelots, outils ou papiers, avec un peu d’imagination, on peut reconstituer ou ressusciter des pans de vie de nos aïeux, « un souvenir qui me poursuit sans cesse, le cher visage de mon passé ».