L’amour est un bouquet de lilas
« J’ai connu Émilie aux premières jonquilles.
Elle était si jolie des jonquilles aux derniers lilas.
Dans la ferme endormie, chaque fois que j’allais la voir,
Son père avec un fusil m’attendait derrière l’abreuvoir.
Il me chassa aux premières jonquilles,
Me fusilla des jonquilles aux derniers lilas… »
Quitte à encore m’attirer les foudres de son père, après avoir conté fleurette à Émilie aux premières jonquilles (voir billet du 12 mars 2008), aujourd’hui je persiste et signe aux (derniers) lilas qui embaument actuellement les jardins.
De la famille des oléacées, leurs jolies grappes de fleurs tout en nuances du blanc au violet, égaient les massifs et les haies en ce printemps. Leur dénomination botanique Syringa désigne une seringue en latin et un roseau biseauté en grec. Il ne s’agit pourtant pas de la confondre avec le seringat (ou Philadelphus) encore appelé jasmin des poètes.
Quant à son nom lilas, il vient du persan Lîlak ou Nîlak qui signifie “bleu” ou “mauve.
Originaires d’Asie, les lilas sont cultivés en Chine depuis plus de 1000 ans. Au 16ème siècle, ils sont remarqués dans les jardins du sultan Soliman le Magnifique, par l’ambassadeur d’Autriche qui en rapporte plusieurs pieds en Europe et notamment à Paris où il effectue son dernier mandat.
Il en existe de nombreuses espèces mais celle qui embellit notre quotidien printanier est le Syringa vulgaris ou lilas commun. Sa culture ne se développe en France qu’à la fin du dix-neuvième siècle grâce aux travaux de remarquables horticulteurs lorrains, la famille Lemoine de Nancy. Ainsi, en 1890, Victor Lemoine met au point le premier lilas blanc à fleurs doubles qu’il nomme Madame Lemoine en hommage à son épouse chargée de la pollinisation.
Les fleurs selon les espèces, sont simples (4 pétales) ou doubles, groupées en thyrses coniques déclinant une large palette de teintes mauves, bleutées, violines, rosées ou blanches.
Á cause peut-être de leurs parfums subtils et délicats, les lilas ont enivré et inspiré les poètes au fil des siècles. Ainsi, si j’en crois Jean Teulé dans son livre Le Montespan, au temps de Louis XIV, le chevalier de Pardaillan, au sein des troupes qui vont combattre en Espagne, sourit d’entendre tous les accents de France fredonner :
« Dans les jardins de mon père,
Les lilas sont fleuris ;
Dans les jardins de mon père,
Les lilas sont fleuris ;
Tous les oiseaux du monde
Viennent y faire leurs nids …
Auprès de ma blonde,
Qu’il fait bon, fait bon, fait bon.
Auprès de ma blonde,
Qu’il fait bon dormir !
Tous les oiseaux du monde
Viennent y faire leurs nids ;
Tous les oiseaux du monde
Viennent y faire leurs nids ;
La caille, la tourterelle
Et la jolie perdrix… »
Il ignore que sa blonde dort de plus en plus souvent dans le lit du Roi Soleil mais ceci est une autre Histoire !
Ce n’est pas d’aujourd’hui, les histoires d’amour finissent mal en général. Il est une autre vieille chanson, celle-là du dix-huitième siècle, remise à la mode par Guy Béart et Cora Vaucaire, qui exprime la jalousie de la femme délaissée.
« Mon amant me délaisse
O gué, vive la rose
Je ne sais pas pourquoi
Vive la rose et le lilas
Il va-t-en voir une autre
O gué, vive la rose
Bien plus riche que moi
Vive la rose et le lilas
On dit qu’elle est malade
O gué, vive la rose
Peut-être qu’elle en mourra
Vive la rose et le lilas … »
En ce temps-là, l’amant est celui avec qui la jeune fille est presque fiancée. La chanson met en évidence les conditions du mariage au sein de la bourgeoisie. L’homme choisit son épouse pour sa fortune et ici, « calcule » même d’être bientôt un riche veuf.
Compte tenu des messages qu’ils véhiculaient, ces refrains ne semblaient pas destinés à toutes les oreilles. Et pourtant, repris par des générations d’enfants, ils ont traversé les siècles jusqu’au temps de mon école communale. Comme quoi France Gall, avec les sucettes d’Annie pour quelques pennies, n’était pas la première greluche à fredonner innocemment des couplets sulfureux.
Louis Aragon dont Jean Ferrat mit de nombreux poèmes en musique, évoque aussi Les lilas et les roses dans son ode tirée du recueil Le Crève-cœur publié en 1941. Le motif est beaucoup moins frivole :
« Ô mois des floraisons mois des métamorphoses
Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé
Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses
Ni ceux que le printemps dans les plis a gardés
Je n’oublierai jamais l’illusion tragique
Le cortège les cris la foule et le soleil
Les chars chargés d’amour les dons de la Belgique
L’air qui tremble et la route à ce bourdon d’abeilles
Le triomphe imprudent qui prime la querelle
Le sang que préfigure en carmin le baiser
Et ceux qui vont mourir debout dans les tourelles
Entourés de lilas par un peuple grisé
Je n’oublierai jamais les jardins de la France
Semblables aux missels des siècles disparus
Ni le trouble des soirs l’énigme du silence
Les roses tout le long du chemin parcouru
Le démenti des fleurs au vent de la panique
Aux soldats qui passaient sur l’aile de la peur
Aux vélos délirants aux canons ironiques
Au pitoyable accoutrement des faux campeurs
Mais je ne sais pourquoi ce tourbillon d’images
Me ramène toujours au même point d’arrêt
A Sainte-Marthe Un général De noirs ramages
Une villa normande au bord de la forêt
Tout se tait L’ennemi dans l’ombre se repose
On nous a dit ce soir que Paris s’est rendu
Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses
Et ni les deux amours que nous avons perdus
Bouquets du premier jour lilas lilas des Flandres
Douceur de l’ombre dont la mort farde les joues
Et vous bouquets de la retraite roses tendres
Couleur de l’incendie au loin roses d’Anjou »
Printemps 1940 : au mois de mai sans nuage, succède juin poignardé. Les lilas n’ont pas le même parfum que d’habitude et les roses sont couvertes d’épines. L’armée allemande faisant un pied de nez à notre ligne Maginot, traverse le Luxembourg et la Belgique puis pénètre en France par les Ardennes. C’est la « blitzkrieg », la guerre éclair, et la débâcle des troupes françaises.
Au Nord, des millions de Français aux vélos délirants et au pitoyable accoutrement de faux campeurs, s’enfuient apeurés sur les routes pour des contrées plus hospitalières ; parmi eux, ma mémé de Picardie qui n’ira pas bien loin dans sa carriole de fortune. C’est l’exode.
Dans la nuit du 13 juin, le brancardier-chef Aragon et son unité sont à Sainte-Marthe près de Vernon, le point d’arrêt de la progression des blindés allemands. Le 14 juin, les Allemands investissent Paris ; clin d’œil à Joséphine Baker et le succès musical de l’époque, le poète n’oubliera jamais les deux amours perdus. Le 18 juin, de Londres, le général de Gaulle lance l’appel à la résistance. Quatre jours plus tard, le gouvernement de Pétain, nouvellement constitué, signe l’armistice dans un wagon à Rethondes.
La vie n’est pas rose(s) ni lilas. Pourtant, démenti poétique, en contre-point de la laideur de la tragédie que vit sa patrie, Aragon ne manque pas de souligner la beauté de la nature en pleines floraisons et métamorphoses ainsi que la douceur angevine et les jardins de la France qu’avaient rimés Du Bellay et Ronsard.
Quelques mois après avoir composé ce poème sans ponctuation, à la structure aussi disloquée que l’est son pays, Aragon entre en résistance au sein d’un réseau clandestin.
« Quand je vais chez la fleuriste
Je n’achète que des lilas
Si ma chanson chante triste
C’est que l’amour n’est plus là
Comme j’étais, en quelque sorte
Amoureux de ces fleurs-là
Je suis entré par la porte
Par la porte des Lilas
Des lilas, y en n’avait guère
Des lilas, y en n’avait pas
Z’étaient tous morts à la guerre
Passés de vie à trépas
J’suis tombé sur une belle
Qui fleurissait un peu là
J’ai voulu greffer sur elle
Mon amour pour les lilas
J’ai marqué d’une croix blanche
Le jour où l’on s’envola
Accrochés à une branche
Une branche de lilas … »
En toile de fond de son amourette, tonton Georges Brassens qui n’écrivait pas pour ne rien dire, évoque ici bien sûr la même guerre 1939-1945 même si celle qu’il préférait, c’était celle de 14-18 !
Tandis que côté guerre, le général de Gaulle entra à Paris en août 1944, par la Porte d’Orléans, au Sud, côté amour, Brassens entre par le Porte des Lilas, au Nord. L’allusion au conflit est évidente car il n’y avait plus guère de lilas, ils étaient morts à la guerre, ceux-là mêmes que le printemps d’Aragon avait gardés dans ses plis.
La vie reprit son cours et l’amour revint grâce à un lilas immaculé comme le révèle astucieusement le poète qui marqua d’une croix blanche cette belle rencontre.
Puis avec le temps, tout s’en va, même sa « fauvette du dimanche, celle qui lui donnait le la, alla se percher sur d’autres branches de lilas », laissant la clé sous la porte … des Lilas bien sûr.
Il me plaît de penser que l’ami Georges largué décide alors de faire l’acteur avec Pierre Brasseur dans le film de René Clair … Porte des Lilas ! Paradoxalement, il n’y interprète pas les lilas mais rend tout de même hommage à la nature en fredonnant Au bois de mon cœur tapissé de petites fleurs et L’amandier.
« J’avais l’plus bel amandier
Du quartier
Et, pour la bouche gourmande
Des filles du monde entier
J’faisais pousser des amandes
Le beau, le joli métier !… »
Comme souvent, par un délicieux jeu de mots dans les deux derniers vers, Brassens règle ses comptes avec les « cognes » en ridiculisant les gendarmes venus perquisitionner.
La Porte des Lilas correspond à l’ancienne Porte de Romainville des fortifications parisiennes, s’ouvrant sur la commune des Lilas, créée le 24 juillet 1867. Auparavant, ce territoire était couvert de champs et de bois de lilas et de bouleaux. Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, il constituait une promenade à la mode pour les Parisiens en manque de verdure qui venaient avec leurs conquêtes tremper leurs lèvres au petit gris de Bagnolet des guinguettes avant de les unir sous les frondaisons. Peu à peu, furent construites de nombreuses demeures et leurs propriétaires adressèrent une pétition auprès du préfet Lepic pour la création d’une municipalité autonome. Elle faillit s’appeler Napoléon-le-Bois. Imaginez qu’on baptise Neuilly, Sarkozy-les-Tours ! Heureusement, comme l’affirme sa devise « J’étais fleur, je suis cité », le bois de Romainville se nomma finalement Les Lilas !
La ville est desservie par deux stations de métro Porte des Lilas et Mairie des Lilas, rendues célèbres par Serge Gainsbourg qui y conta le quotidien souterrain et répétitif d’un poinçonneur faisant des p’tits trous, encore et toujours des p’tits trous …
Avant de quitter le quartier, je rends (hommage) à Renaud ce qui appartient à Brassens à travers un bonheur de clip qui réunit les deux poètes dans le petit pavillon de la Porte des Lilas. Magie de la technologie vidéo !
Outre les chanteurs et les écrivains, les lilas constituent aussi un sujet d’inspiration pour les peintres. Ainsi, au printemps 1872, Claude Monet pose son chevalet au même endroit dans le jardin de sa première propriété d’Argenteuil pour exécuter deux tableaux. Des personnages sont assis sous un buisson de lilas en fleurs. Lilas, temps gris sous un ciel couvert et Lilas au soleil par beau temps. Cette paire de peintures est la toute première série du maître qui cherche à rendre les variations de la lumière en un même point et dans un cadrage identique comme l’indiquent les titres des deux œuvres. Nées dans le même jardin de Seine-et-Oise, elles sont aujourd’hui séparées, l’une au musée d’Orsay, l’autre au musée Pouchkine de Moscou.
« Dessous l’arbre
Une robe bleue
A côté
Une robe rouge
Sous un ciel d’hiver
Entre gris et vert
Qui nuage
Et qui pleure à moitié
Derrière l’arbre
Un bout d’horizon
Au lointain
Pas même une église
Juste une maison
Est-ce la maison
Ou celle des moutons ?
C’est la vie lilas
Faite de métamorphoses
C’est la vie lilas
Quand il me manque quelque chose
Dans cette vie-là
Où tu n’es pas là
Et que pour être moins triste
Je détaille la peinture de l’artiste … »
Dans sa Vie lilas, pour atténuer sa tristesse, Serge Lama pense peut-être aux touches impressionnistes de Monet.
Pour combattre la morosité ambiante en notre époque dite de crise, peut-être pourrions-nous remettre au goût du jour un grand succès de 1929, une autre période de récession :
« … Printemps j’attends pour la tenir dans mes bras
La complicité des lilas
Quand refleuriront les lilas blancs
On se redira des mots troublants
Les femmes conquises
Feront sous l’emprise
Du printemps qui grise
Des bêtises
Quand refleuriront les lilas blancs
On écoutera tous les serments
Car l’amour en fête
Tournera les têtes
Quand refleuriront les lilas blancs … »
Luis Mariano chantait que l’amour est un bouquet de violettes. Mais quitte à décevoir quelques toulousaines, qu’il soit heureux ou déçu, pour une femme ou pour la patrie, l’amour n’est-il pas plutôt un bouquet de lilas ?