Archive pour mars, 2011

Le Printemps à Paris

C’est le printemps, c’est aussi la guerre en Libye car il faut bien appeler ainsi l’opération de la coalition « visant à faire appliquer la résolution 1973 de l’ONU ». En la circonstance, on l’a baptisée d’un nom poétique : « Aube de l’Odyssée ». Elle est chargée d’anéantir les forces du dictateur Kadhafi qui bombardent ignominieusement la population civile. Pour être dans l’ambiance, de ma banlieue francilienne, je vous propose le Chant de guerre parisien, un des poèmes qui accompagnent la lettre dite Seconde lettre du voyant envoyée par Arthur Rimbaud à son ami Paul Demeny.
C’est le printemps de la Commune de Paris, une tentative de démocratie citoyenne. Le 17 mars 1871, Adolphe Thiers envoie sa troupe récupérer les 227 canons entreposés à Belleville et Montmartre que les Parisiens considèrent comme leur propriété, les ayant payés par la souscription lors de la guerre contre la Prusse. Mais Thiers manquant de chevaux, devant le soulèvement des Fédérés, renonce et se retire avec son gouvernement à Versailles Rappelez-vous des « Versaillais », par le hasard d’un concours d’entrée dans l’Éducation Nationale, j’en fus un cent ans plus tard, beaucoup plus pacifiste et dans l’autre camp ! Goûtez à la poésie sublime d’un autre Arthur que celui de mon précédent billet. Elle est encore d’actualité. Il y parlait déjà de pétrole, ces bombes incendiaires avec lesquelles les (Z)Eros, Thiers et Picard, son ministre de l’Intérieur, faisaient des tableaux impressionnistes rouge sang (les Corots) en couchant sur le pavé les Communards héliotropes (plantes qui suivent le soleil comme le tournesol). « Familiers du Grand Truc » … Dans les années 1960, le général de Gaulle qualifia l’ONU de « grand machin » !!!

Chant de guerre parisien

Le Printemps est évident, car
Du coeur des Propriétés vertes,
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes !
Ô Mai ! quels délirants culs-nus !
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !
Ils ont shako, sabre et tam-tam,
Non la vieille boîte à bougies,
Et des yoles qui n’ont jam, jam…
Fendent le lac aux eaux rougies !
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières !
Thiers et Picard sont des Eros,
Des enleveurs d’héliotropes ;
Au pétrole ils font des Corots :
Voici hannetonner leurs tropes…
Ils sont familiers du Grand Truc !…
Et couché dans les glaïeuls, Favre
Fait son cillement aqueduc,
Et ses reniflements à poivre !
La grand ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole,
Et décidément, il nous faut
Vous secouer dans votre rôle…
Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !
Arthur Rimbaud

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Ou comment me faire appeler Arthur quand je vous parle d’opéra!

Une fin de soirée de mars devant la télévision ! L’excellente émission de Frédéric Taddeï Ce soir ou jamais s’achève. À ce propos, Pierre Sled, ancien journaliste sportif, nouvellement nommé à la direction des programmes de France 3, a décidé de la réduire à une diffusion hebdomadaire la saison prochaine. Faut-il voir dans ce futur Un soir ou jamais, l’ombre de l’Élysée qui, à quelques mois d’une échéance présidentielle, n’apprécie probablement pas un des derniers espaces de « tolérance organisée » sur les chaînes publiques selon le bon mot d’Alain Duhamel ? Là n’est pas le sujet en cette heure tardive.
Avant de rejoindre mon lit, je zappe machinalement avec ma télécommande. JT, débats, reportages, documentaires, l’explosion des réacteurs nucléaires au Japon occupe l’espace médiatique. Je devrais même dire préoccupe car à cette heure avancée de la nuit où dort déjà la majorité de la France qui travaille, les langues se délient plus facilement et la terrible vérité sourd.
Minuit trente passé, débute sur France 2, selon le programme du magazine Télérama, Le Roi Arthur, opéra de Purcell, mise en scène et adaptation de Corinne et Gilles Benizio, par les chœurs et orchestre du Concert Spirituel de Montpellier.

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Un projecteur de poursuite éclaire dans la fosse, le chef d’orchestre qui fournit au public quelques mots d’introduction à la version quelque peu colorisée (ce sont ses mots !) du chef-d’oeuvre d’Henry Purcell : « Cinq heures, cela aurait dû durer cinq longues heures (intonation traînante) ! » Et pour justifier les coupes opérées dans l’œuvre, il cite un vieux sage chinois qui affirmait que l’esprit ne peut recevoir plus que les fesses ne peuvent endurer ! Il me semble que le proverbe à l’origine parle des femmes plutôt que de leurs rondeurs mais cela a le don de m’intriguer, je me cale donc dans mon canapé.
Hervé Niquet, le maestro, spécialisé dans la musique baroque, chef de chant à l’Opéra de Paris, co-créateur du Centre de musique romantique française à Venise, fondateur du Concert Spirituel pour faire revivre le répertoire du grand motet français, bref pas un branquignol, monte sur scène. Premiers rires dans la salle, en effet, il apparaît en kilt dans la plus pure tradition celtique pour résumer sa vision personnelle de King Arthur. Par pitié pour le postérieur des spectateurs, il a supprimé le livret de Dryden et réinventé une histoire avec les seuls fragments musicaux de Franck Pourcel, euh Henry Purcell ! Excusez-moi, pris dans l’ambiance potache, j’ose commettre le sacrilège de confondre le maître du baroque avec le populaire chef d’orchestre des années 1950-60 qui accompagna souvent nos chanteurs au concours de l’Eurovision. Tentant vainement de combattre mon goût pour la vague yéyé, mon père m’offrit même un disque vinyle avec les succès de l’époque enregistrés par le musicien marseillais. Les parents ont de drôles d’idées parfois !
Passons à l’œuvre de Purcell dont l’orchestre joue enfin les premières mesures. Depuis longtemps, sans que je puisse en expliquer la raison, j’ai un coup de cœur pour la musique baroque qui, entre Renaissance et Classicisme, couvre le dix-septième siècle et la moitié du dix-huitième. Je me réjouis notamment de la musique religieuse de l’époque faite de cantates sacrées, messes pour chœur, motets, oratorios et passions. J’avais souhaité, lors des obsèques religieuses de mon père, que la chorale municipale interprétât une pièce pour trompette de Haendel, autre grand baroque britannique quoique originaire d’Allemagne ! Vive Bach aussi sans Laverne bien sûr … référence douteuse au duo comique qui popularisa avant-guerre le célèbre air de Tout va très bien madame la Marquise ! J’aime aussi les sonorités des instruments spécifiques de cette période tels la flûte à bec, le clavecin, le théorbe ou la viole de gambe.
Quant à Henry Purcell (de Guérande ? En l’occurrence, ce soir, ce serait plutôt de Guenièvre !), je conserve le souvenir d’un magistral concert à la Maison de la Radio au cours duquel l’immense contre-ténor Alfred Deller et le Deller Consort interprétèrent quelques extraits de King Arthur et The Fairy Queen. Grâce soit rendue à mon valeureux professeur de musique de l’École Normale de Versailles qui me permit de vivre ce sublime moment !
Excusez toutes ces digressions mais je meuble, car finalement le rideau s’est levé prématurément. En effet, on découvre sur la scène, juché sur un escabeau, un machiniste installant je ne sais quel élément de décor. J’écarquille les yeux ; même en cette heure tardive, je reconnais Dino du fameux duo Shirley & Dino popularisé sur le petit écran par Patrick Sébastien. Je commence à comprendre dans quelle désopilante galère, je suis tombé. Un petit détour par l’ordinateur encore allumé et j’apprends que Corinne et Gilles Benizio, les metteurs en scène du spectacle, sont les noms à la ville des deux fantaisistes. Voilà comment King Arthur devient un opéra … comique !
J’adore les légendes et, notamment, celle d’Arthur que de nombreux romans et films ont magnifiée. Qui n’a pas entendu parler des exploits de ce seigneur qui aurait organisé la défense de la Grande-Bretagne contre l’envahisseur saxon vers la fin du Vème siècle ? Son épouse Guenièvre, son épée Excalibur, son château de Camelot, ses chevaliers de la Table Ronde Lancelot, Perceval, Galahad, Gauvain, Tristan époux d’Iseut, la fée Morgane, le magicien Merlin (devenu enchanteur par les soins de Walt Disney !), tous ont contribué à la légende de la quête vers le saint Graal. À nourrir autant l’imaginaire, on aboutit à de délicieuses extravagances telles la troupe des Monty Python (Sacré Graal que le leur !), la série Kameloot sur M6 ainsi que le cabotinage jubilatoire de Fabrice Luchini racontant sur scène le tournage du film Perceval le Gallois d’Éric Rohmer d’après le roman médiéval de Chrétien de Troyes. Il est même jusqu’à Brian Ferry et son groupe rock Roxy Music qui chantent Avalon, l’île où aurait été emmené le corps d’Arthur après son combat contre Mordred lors de la bataille de Camlann …
Cette fois, les quelques problèmes techniques semblant résolus, voici que commence enfin King Arthur revu et corrigé par Shirley et Dino ! L’intrigue pleine de rebondissements repose normalement sur la rivalité qui oppose deux souverains : Arthur, chrétien, breton et Oswald, païen et saxon. Sur cet antagonisme politique se greffe une rivalité magique entre deux enchanteurs Merlin et Osmond, chacun au service de l’un des rois. L’enjeu de l’affrontement est la possession de la Bretagne (pas notre région de l’Ouest mais ce qui correspondait à l’époque au sud de la Grande-Bretagne actuelle) ainsi que celle de la jeune et belle aveugle Emmeline, fille du duc de Cornouaille.
Les morceaux musicaux enchaînés les uns à la suite des autres, sans le texte de John Dryden, apparaissent sans grand rapport surtout dans cette adaptation. Les croisés s’entrecroisent à ne plus savoir parfois s’il s’agit de Bretons ou de Saxons. Mais peu importe les quelques invraisemblances et qu’on n’y comprenne goutte, l’indéniable plaisir se niche ailleurs.
Voici que l’armée arthurienne débarque sur scène dans un ordre de marche très approximatif. Le surcot, la tunique chasuble que portent les chevaliers sur le haubert, donne le ton. L’emblème royal brodé sur la poitrine tient de Casper brandissant un sceptre et une épée dans chaque main, de l’effigie de Bison fûté et du logo de Charlie-Hebdo, le petit bonhomme qui se fait hara-kiri. Si je vous parais calé sur la tenue vestimentaire du chevalier, c’est que, l’avant-veille, j’avais fait réviser à une chère petite collégienne de cinquième, sa prochaine évaluation d’Histoire.
Woden (Wotan), first to thee, le roi Arthur invoque les dieux pour qu’ils lui donnent la victoire contre les Saxons. Et comme chefs du chœur des soldats bretons, un couple de moinillons virevoltants, à la mine aussi joviale que celle de leurs frères sur les étiquettes de boîtes de fromage, offrent leurs voix superbes respectivement de baryton et de haute contre. Chaussée des Géants de la côte irlandaise ou Chaussée aux moines, où est l’intruse ?
En guise d’offrande, nos joyeux ecclésiastiques lancent à la volée des corbeilles de fleurs jonchant bientôt toute la scène au grand mécontentement de monsieur Gilbert, le régisseur, alias Dino, qui craint, il fallait s’y attendre, de … se faire appeler Arthur par le directeur ! The lot is cast, la voix de dessus (soprano) venue du ciel annoncer la victoire, est vite recouverte par le vacarme infernal du gros aspirateur ramené par Dino pour faire un brin de ménage ! Sous l’effet de la soufflerie, la soprano se retrouve dans les cintres. Quant au chef d’orchestre en kilt, monté sur scène au comble de l’exaspération, il nous joue involontairement un remake de Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion avec sa robe se soulevant au-dessus d’une bouche de métro. Ne me demandez pas ce que porte le maestro sous son kilt ou je vous réponds comme tout bon Écossais qui se respecte : « The future of Scotland » ! Nul besoin de traduction ni d’explication !
Je ne vous l’ai pas dit, les chants sont interprétés en anglais mais, pour les heureux téléspectateurs, sous-titrés en français.
« Allons tous au palais de Wotan. Là, dans une abondance de coupes d’or et de gobelets remplis à bord, riant et dansant, nous boirons le breuvage qui donne l’audace aux Bretons. ». Ce n’est pas du chouchen ! Tous ces moines et soldats qui arrosent la scène en trinquant, bouteilles plastiques à la main, pour se donner du courage, voilà encore une occasion pour faire râler monsieur Gilbert !
Mais, cette fois, les hommes d’Arthur vont réparer eux-mêmes les dégâts en entonnant leur chant de guerre Come if you dare pour marcher sur l’ennemi, seaux et balais O’ Cedar à la main.
L’acte I s’achève déjà. Je n’ai pas vu le temps passer tant le rythme est alerte ; trop peut-être car … le changement de décor pour le second n’est pas effectué ! Qu’à cela ne tienne, monsieur Gilbert qui ne manque jamais d’idées, propose au chef d’orchestre de pousser une chansonnette pour faire patienter le public. Encouragé par ses musiciens, Hervé Niquet remonte donc sur scène, vêtu cette fois d’un pantalon aux motifs écossais. On se demande quand et comment, il a effectué son strip-tease. En tout cas, jubilant de participer à cette joyeuse « déconnade », il se métamorphose en un irrésistible comique troupier de café-concert et … entreprend un air d’auto-satisfaction. Nous quittons quelques instants les vastes pièces du château de Camelot pour la terrasse de L’Auberge du Cheval Blanc !

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Le décor de forêt pour l’acte II est enfin prêt mais un peu trop dépouillé au goût du maestro. Monsieur Gilbert se justifie en avouant sa méconnaissance de la forêt anglaise ! Il suggère alors quelques bruitages : Pour cela, il sollicite un musicien dans la fosse pour jouer  le cri d’un animal nocturne puis fait appel au public pour imiter le vent dans les branches, « un vent lugubre pas un vent méditerranéen ( !) », des crapauds dans la mare, des loups hurlant à la lune, la chèvre de monsieur Séguin, des corbeaux passant devant la lune en agitant leurs ailes. Il lui faudrait une meute de chiens aux abois ; pas de problème, un cor retentit dans l’orchestre, c’est la saint Hubert ! Et le maestro, pour ne pas être en reste, se porte candidat au brame du cerf. C’est l’hilarité générale et, dans une joie communicative, chacun donne de sa personne, des acteurs au public en passant par l’orchestre. La soprano peut commencer le grand air Hither this way, « Par ici, venez par ici, ne faîtes pas confiance à ce démon malfaisant, il est là pour vous abuser et vous mener dans les terres putrides et les marais ! » Farceurs et presque lubriques, Arthur et les moines virevoltent autour d’elle, juchés sur leurs destriers dont l’allure dandinante tient plus de l’autruche.
Puis, retentit bientôt le choeur des bergers, How blest are sheperds. N’oublions pas que nous sommes à l’Opéra de Montpellier, ils semblent descendus tout droit du plateau du Larzac par le Pas de l’Escalette. Cheveux longs, robes longues à fleurs, jeans pattes d’eph’, foulards dans les cheveux ou autour du front, nos hippies arthuriens fument la lande devant un feu de camp. On se retrouve dans Hair, la sulfureuse comédie musicale du début des seventies. Je fais partie de ces privilégiés qui, au théâtre de la Porte Saint-Martin, crurent apercevoir … le zizi de Julien Clerc !
À propos, la comédie musicale, genre dans lequel les anglais et les américains sont passés maîtres, n’aurait-elle pas été inventée finalement par Purcell avec ce mélange de comédie, de danse et de chant ?
Nous n’en sommes qu’à l’acte II mais je vais soulager sinon votre fessier du moins vos yeux devant l’écran d’ordinateur. De plus, sait-on jamais, si vous avez le bonheur de voir l’opéra, je ne vais pas dévoiler tous les gags.
Il reste trois actes au cours desquels les chanteurs et les musiciens chef compris se libèrent à cœur joie, tellement heureux de jouer dans cette ambiance débridée si inhabituelle pour eux. Comme dit monsieur Gilbert, « Pour une fois qu’on rigole à l’opéra » !
Pour trinquer, on débouche même dans la fosse d’orchestre une bouteille de Pic Saint-Loup, un cru local. Pour un peu, dessus, taille, basse et haute-contre entonneraient un refrain complètement de circonstance :

« … Chevaliers de la Table Ronde
Goûtons voir si le vin est bon
Chevaliers de la Table Ronde
Goûtons voir si le vin est bon
Goûtons voir, oui, oui, oui
Goûtons voir, non, non, non
Goûtons voir si le vin est bon... »

Ivre de bonheur, le chef remonte sur scène en culotte de peau qu’il a enfilée encore dans la plus totale discrétion. À défaut de faire le moine, l’habit fait le tyrolien et voilà que le maestro et Dino nous roucoulent un hilarant jodl :

« … On aime le football
Quand on est Brésilien
On aime l’Acropole
Quand on est Athénien
On aime le Tyrol
Quand on est Tyrolien…
»

Le jouissif homme à la baguette manifeste malgré tout des intentions pédagogiques en se retournant vers le public entre chaque acte : « Y a-t-il des questions dans la salle ? » Il y en a une embarrassante posée par un complice sur la comparaison dans l’usage des quintes de violon chez Purcell et Lully, à laquelle le maître répond par un oui très laconique. Clin d’œil ironique à tous les puristes qui voudraient pourfendre sa création irrévérencieuse.
Il faut quand même que je vous parle de l’air le plus connu de King Arthur, celui du Génie du froid, What Power art thou. Le décor est encore minimaliste : un arbre gelé, un cube de glace, un réfrigérateur, et une immense bâche en plastique blanc en guise de lande glacée ou plutôt de banquise car apparaissent un bataillon de guerriers bretons au pas de patineur et bientôt un ours polaire et deux pingouins. « Ça caille, ça tourterelle » comme chantait Yvan Dautin ! Le maestro dirige même, emmitouflé dans un bonnet et un cache-nez. Pour réchauffer Arthur, amoureux plus que transi, qui chante en claquant des dents, il faut les roucoulades d’une Cupidon déguisée en infirmière surgissant non pas de Saint-Jean de Védas mais du frigo : « Pour affirmer mon pouvoir et pour chanter mes louanges, je vais convoquer ici en nombre infini des amants enlaçant tendrement leurs amantes. »

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Mais voilà que deux skieurs de fond scandinaves en vadrouille interrompent la sérénade : ce sont Dino et Shirley ! Prise de photographies et reprise de Tis love that has warm’d us ! Ouf, on a échappé à Shirley massacrant Je t’attendrai à la porte du garage avec sa voix de fausset (qu’elle ne le prenne pas mal, en fait j’adore !) mais pas au Père Noël qui traverse la scène en sens inverse !
On aura droit à une panne générale d’électricité plongeant la salle dans la plus totale obscurité. Nullement perturbé, l’orchestre continue de jouer avec beaucoup de justesse et sur mon écran, défile une petite annonce immobilière : « À vendre château de caractère – pierre de taille – 212 pièces de charme – salle du trône – geôles tout confort – salle de torture tout équipée – cuisine américaine – combles à aménager 50m sous plafond – possibilités réceptions & gothique-party – prix à débattre cause départ quête de Graal – demander M. ou Mme Arthur »
Au final, cela s’achève en opéra bouffe. Le roi Arthur, relooké façon Prince et Freddie Mercury, ripaille en sa cour de Camelot. Et toute la noblesse du département de l’Hérault, triée sur le volet, est venue. Jugez sur pièce : le baron et la baronne de Castelnau-le-Lez, le comte et la comtesse de Saint-Guilhem le Désert, le marquis et la marquise de Juvignac, le duc et la duchesse de Villeneuve-les-Maguelonne, la princesse et son baron de Saint-Jean de Cuculles, le baron et la baronne de Bouzigues, le comte et la comtesse du Mont Aigoual, Mademoiselle de Saint-Mathieu-de-Tréviers, l’archiduc et l’archiduchesse de la Grotte de Clamouse, le prince et la princesse de La Grande-Motte, le marquis et la marquise de Gignac, sans oublier le vicomte et la vicomtesse de Saint-Bauzille de Putois !
Et qui croyez-vous qui cuisine ? Les frères Pourcel, célèbres chefs trois étoiles du Jardin des sens ? Non, c’est monsieur Gilbert en personne qui a installé un barbecue dans un coin de la scène et fait griller les saucisses : « Qui a demandé bien cuites ? » ! Les convives se régalent et chantent la bouche pleine.

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Il est plus de 2 heures et demie du matin, c’est presque de la musique de chambre !
Voilà comment la musique sublime d’Henry Purcell m’a transporté dans une époque merveilleuse où il n’y avait ni internet ni Franck Dubosc … je reprends les mots exacts employés par Hervé Niquet en préambule de la soirée!
Et pourquoi le lendemain, j’étais à l’ouverture de la FNAC la plus proche pour acquérir le dévédé du spectacle. Oui, j’ai l’béguin pour cet opéra arthurien dont, hormis trois ou quatre talibans, les spécialistes reconnaissent l’excellente qualité musicale.
Savez-vous que la semaine précédente, ce King Arthur iconoclaste était joué à Versailles et que monsieur Gilbert faisait cuire ses merguez sous les ors de Gabriel, dans l’Opéra royal du Palais du Roi Soleil ? Prestige du lieu semble obliger, le fauteuil en première catégorie était à 200 euros avec, il est vrai, une coupe de champagne et un programme !!! Un verre de Picpoul bien frais de la cave de l’Ormarine à Pinet, me suffirait. J’attendrai que le roi Arthur fasse son show au Capitole de Toulouse, qui sait, monsieur Gilbert préparera une délicieuse moungetado avec des haricots tarbais ! Corinne et Gilles Benizio sont en travail d’écriture sur la mise en scène de La belle Hélène d’Offenbach (toujours sans Laverne !) qui sera jouée à l’Opéra Berlioz de Montpellier le 28 décembre 2011 et les 3 et 5 janvier 2012. Ce serait une bonne manière de souhaiter l’année nouvelle à ma chère tante de Sète qui fêtera dans deux semaines … ses 103 printemps.
En attendant, avant la guerre contre Kadhafi et que les nuages radioactifs parviennent au-dessus de vos têtes, profitez de la vie et courez vite vous procurer aussi le dévédé !

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KING ARTHUR d’Henry PURCELL
Mise en scène : Corinne & Gilles BENIZIO (alias Shirley & Dino)
Direction musicale : Le Concert Spirituel Hervé Niquet
DVD Glossa (23 €)

Publié dans:Coups de coeur |on 19 mars, 2011 |Pas de commentaires »

Il y un an, Jean Ferrat …

Il y a un an déjà, Jean Ferrat nous quittait !
J’ai à l’époque, abondamment, évoqué sa mémoire (voir billets du 19 mars 2010 et 11 mai 2010).
En ce jour anniversaire, je vous offre sa Complainte de Pablo Neruda, ce poète, écrivain, penseur et homme politique chilien, mort d’un cancer du pancréas, douze jours après le Coup d’État du 11 septembre 1973 qui renversa le président élu Salvador Allende. Ses maisons de Santiago et d’Isla Negra furent saccagées et ses livres jetés au bûcher. Son inhumation devint une grande manifestation d’opposition à la junte militaire. Dans son autobiographie Confieso que he vivido, publiée à titre posthume, il écrivait ceci :

« Je veux vivre dans un pays où il n’y a pas d’excommuniés.
Je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette.
Je veux qu’on puisse entrer dans toutes les églises, dans toutes les imprimeries.
Je veux qu’on n’attende plus jamais personne à la porte d’un hôtel de ville pour l’arrêter, pour l’expulser…
Je veux que l’immense majorité, la seule majorité : tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s’épanouir.
»

Près de quarante ans plus tard, ces mots sont toujours aussi cruellement d’actualité au moment où la démocratie tente de faire entendre sa voix de l’autre côté de la Méditerranée.
Nul doute que l’ami Jean aurait été aux côtés de ces peuples en lutte. Écoutez-le ici chanter la légende de celui qui s’est enfui et a fait les oiseaux des Andes se taire au cœur de la nuit.

http://www.dailymotion.com/video/xcokl7

Je vous offre en prime un autre clip de la chanson réalisé par un internaute. Avec la voix chaude de Jean, vous y retrouverez l’intégralité des paroles.

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Au départ de Paris-Nice 2011, les mains aux cocottes ou Ah si vous connaissiez ma poule de Houdan!

Dimanche dernier, j’ai enfourché mon « beau vélo de Ravel » (voir billet du 11 mars 2010) pour me rendre au départ de l’édition 2011 de la célèbre course cycliste Paris-Nice. Après que l’an dernier, les coureurs eussent disputé le prologue contre la montre au pied de la tour Anne de Bretagne à Montfort-l’Amaury, les organisateurs leur proposent cette fois de se départager dans une course en ligne avec départ et arrivée à proximité d’un autre édifice médiéval fortifié, le donjon de Houdan.

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Situées à une vingtaine de kilomètres de distance, les deux cités des Yvelines possèdent une évidente parenté. Houdan appartint à la famille des seigneurs de Montfort depuis le Xe siècle, puis fut rattachée au duché de Bretagne par mariage.

« J’avais une poule de Houdan, vieille depuis longtemps.
Et un p’tit coq d’Angleterre, sans plumes au derrière.
Tous deux vivaient de rapine, et je l’savais bien.
Mais les voisins, les voisines ne s’en plaignaient point.
La vieille poule voulait avoir des poussins.
Elle disait au coq anglais :  » Tu es bon à rien!
Tu fais le beau par derrière, et rien par devant
Tu es comme était ton père, un gros fainéant..
. »

Je doute que la convoitise par les Anglais durant la guerre de Cent ans provînt de cette comptine coquine, toujours est-il que Houdan entra dans le domaine royal à la suite du mariage de Louis XII et d’Anne de Bretagne. Son blason, au premier mi-parti aux trois fleurs de lys d’or, au second d’argent aux trois mouchetures d’hermine de sable, rappelle sa double appartenance historique au royaume de France et au duché de Bretagne. Par la suite, elle fut cédée par Louis XIV à la famille de Luynes en échange de terres proches du parc de Versailles et resta la propriété des Luynes jusqu’à la Révolution.

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Construit entre 1125 et 1132 par Amaury III de Montfort, le donjon de Houdan est une tour massive, isolée à l’ouest du bourg, de 25 mètres de hauteur et 16 mètres de diamètre. Rompant avec la tradition de la grande tour quadrangulaire, il présente quatre faces bombées et cantonnées aux angles de tourelles cylindriques. Pour être architecturalement rigoureux, il ne s’agit pas véritablement d’un donjon puisque n’appartenant pas à un ancien château fort. C’est en fait un des derniers vestiges des fortifications de la ville au même titre que les tours circulaires Guinant, Jardet et de l’Abreuvoir, de taille beaucoup plus modeste.
Édifice militaire à l’origine pour surveiller l’ennemi, notamment les allées et venues fréquentes des voisins anglais, le donjon servit de prison pendant la Révolution de 1789 puis jusqu’à une époque récente, de … château d’eau avec l’installation en 1880 d’un réservoir de 200 000 litres.
De quoi alimenter à profusion en eau claire les chevaliers modernes qui se préparent non loin de là à monter sur leurs clinquantes machines ! C’est sans doute, un vœu aussi pieux que l’était le prince Robert, second roi de la dynastie des Capétiens, qui reçut en apanage en 989 quelques terres voisines de celles qu’ils vont parcourir.
J’avoue mon désamour grandissant pour les coursiers du vingt-et-unième siècle et les récentes frasques de l’italien Ricco qui n’a même pas l’humour de se prénommer Coco, ne sont pas de nature à taire ma rancoeur. Ce campionissimo de pacotille qui avait survolé deux étapes de montagne durant le Tour de France 2008, fut contrôlé positif à l’EPO lors du contre-la-montre de Cholet. Il pouvait y faire ample provision de mouchoirs pour pleurer toutes les larmes de crocodile de son corps et prier la madone qu’on ne l’y reprendrait plus. Suspendu durant vingt mois, il a été admis, il y a quelques semaines, dans un hôpital suite à un malaise après s’être transfusé son propre sang qu’il gardait dans son réfrigérateur depuis 25 jours ! Cette fois, celui que les tifosi surnommaient le Cobra ne mordra plus … à moins qu’il trouve encore un vice de forme pour annuler la procédure. Qui sait, les frigos transalpins Ariston ou Smeg ne sont peut-être pas fiables !
Pour le plus grand soulagement de mes lecteurs hermétiques à la chose cycliste, je décide donc d’adopter une position très décontractée à l’égard de la Course au soleil, en somme selon le jargon des pelotons, d’avoir les mains aux cocottes … de Houdan !
Quitte à être infidèle à la petite reine, j’ai comme maîtresse depuis une vingtaine d’années une poule de luxe, la reine des poules, la volaille de Houdan.

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Puisque je suis en veine de confidence, voici en quelles circonstances je fis sa connaissance. Ayant reconnu mon savoir-faire à l’occasion d’un film autour de La gloire de mon père de Pagnol réalisé avec une classe primaire à une lieue de Houdan, un parent à la fois éleveur d’écolier ( !) et de volailles suggéra au Syndicat Interprofessionnel Avicole de Houdan de me solliciter pour un documentaire promotionnel. Le coup de foudre pour la belle miss de Houdan fut immédiat et, sous le charme, j’envisageai aussitôt de réaliser également un vidéogramme à vocation pédagogique pour mieux faire connaître ce fleuron du patrimoine gastronomique régional.
Autant tout vous dire, pire que le goupil du roman, insatiable Don Juan des poulaillers, je m’amourachai bientôt des poules d’une dizaine de fermes du canton de Houdan. Je tapais dans l’œil des plus beaux spéci(wo)men, tant qu’à faire … Je les filmais sous toutes les coutures. Je rampais littéralement devant elles pour les prendre en contre-plongée. Je les prenais même au berceau et traquais les poussins à la sortie des couveuses. Appliquant aveuglément le dicton qui veut que lorsqu’on aime, on ne compte pas, je n’étais pas avare de mes heures pour leur faire la (basse) cour. On le sait bien, l’amour rend aveugle !
Bien que sachant que les histoires de mœurs sont dangereuses au sein de l’Éducation nationale, je ne fus pas loin d’être accusé de proxénétisme notoire pour m’être compromis avec ces aguichantes poules de luxe, proxénétisme notoire aggravé même par le fait que pour ma hiérarchie, ce ne furent pas des poules aux œufs d’or, comprenez par là que mon film n’atteignit pas les records de recettes de Bienvenue chez les Ch’tis ni même de Poulet au vinaigre ! Ne vous inquiétez pas sur mon sort, il y a prescription aujourd’hui.
Il est temps de vous présenter celle dont Houdan, petite ville des Yvelines située à soixante-cinq kilomètres de Paris, s’enorgueillit d’avoir donné son nom. La volaille de Houdan, une des plus anciennes races françaises, a connu les fastes des palais des siècles passés.

« …Si vous la voyiez,
Vous en rêveriez !
Ah ! si vous connaissiez ma poule.
Marguerite de Bourgogne auprès d’elle
N’avait que nib comme tempérament... »

Et pourtant, l’épouse du futur roi de France Louis X le Hutin n’en manquait pas puisque si l’on en croit le scandale de la Tour de Nesle, elle aurait été prise ainsi que ses belles-sœurs Jeanne et Blanche en flagrant délit d’adultère avec deux jeunes chevaliers Philippe et Gauthier d’Aunay.
Plus sérieusement que dans le succès de Maurice Chevalier, on observe des poules semblables à la Houdan sur certaines œuvres de Dürer, célèbre graveur de la Renaissance. Jean-Baptiste Oudry, peintre du XVIIIe siècle spécialiste de la représentation animalière, fit figurer cette volaille sur plusieurs de ses toiles. Ce fleuron des basses-cours s’invita aux tables des hautes cours de Versailles, de Saint-Pétersbourg et d’Angleterre.
Mais c’est au XIXe siècle que s’est développée dans la région de Houdan, une véritable civilisation avicole. En effet, outre la Houdan, la Faverolles du nom d’un village d’Eure-et-Loir distant d’une quinzaine de kilomètres est aussi une volaille très prisée.
Il y avait alors deux types d’élevage. D’une part, des exploitations familiales dans lesquelles les fermières qu’on appelait « accouveuses » faisaient couver les œufs l’hiver pour être les premières à amener les « poulets primeurs » sur les marchés de printemps. Elles gardaient les œufs et leurs couveuses, le plus souvent des dindes, au chaud et à l’abri dans l’étable ou au fournil que l’on chauffait, voire même sous les édredons des grands lits. Ce mode d’élevage domestique était très rentable et les paysannes pouvaient vendre jusqu’à 300 ou 400 poulets chaque année.
D’autre part, naquirent des élevages industriels. Ainsi, Roullier-Arnoult installa en 1873 le premier grand couvoir français à Gambais, autre petite commune voisine de Houdan célèbre pour avoir compté parmi ses citoyens le peu fréquentable Henri Landru. Le goût morbide de celui-ci pour un certain type de « poules » qu’il faisait rôtir dans sa cuisinière, le mena à l’échafaud au début du siècle dernier.
Parallèlement à ces activités agricoles, se créa un véritable pôle d’innovation technologique qui fit de Houdan le centre de ce qu’on appellerait aujourd’hui un technopole de l’aviculture. C’est là que commença l’incubation artificielle en France. Roullier-Arnoult à Gambais et Voitellier à Mantes mirent au point des incubateurs avec des systèmes de régulation de la température libérant de la contrainte des dindes et poules couveuses.
Plusieurs de ces grands aviculteurs devinrent aussi constructeurs de matériels vendus partout en France : couveuses, mire-œufs, sécheuses pour les poussins frais éclos, mangeoires, épinettes, gaveuses mécaniques, poulaillers mobiles.
En 1888, Roullier-Arnoult ouvrit la première école d’aviculture à Gambais, imité bientôt par Franky-Farjon à Houdan. Des stagiaires originaires de toute la France et même de l’étranger fréquentaient ces établissements.
La Bresse et le Maine étaient aussi de grandes régions avicoles mais, à cette époque, seule la région de Houdan faisait l’objet d’un commerce très actif. Les marchés locaux étaient florissants. Le journal de Dreux et de Chartres, en mars 1864, nous informe que 27 à 28 000 poulets étaient négociés chaque semaine sur les marchés de Houdan, Dreux et Nogent-le-Roi. Il s’y vendait pour six millions de francs-or de volailles par an. « Chaque semaine, le mercredi, à partir de neuf heures et demie, les voitures arrivent chargées de deux, trois, quatre, six cageots, rarement plus, et contenant chacun de 12 à 15 poules. Tout cela s’aligne en longues files, sur huit à dix rangées, le maigre d’abord, et quel maigre, du poulet pesant de 2,5 à 3 kilos ; plus loin le gras (mûr gras comme on dit dans le métier), les pièces pèsent de 2,5 à 4 kilos vif… À dix heures et demie, chacun est en poste. Les acheteurs qui, sur le côté opposé au marché, ont examiné de loin chaque arrivant, ont l’œil fixé sur le commissaire chargé de sonner l’ouverture du marché et tirent des plans pour arriver les premiers sur les cageots. »
En certaines grandes occasions telles peut-être la foire de la Saint Matthieu, l’empilement des cages atteignait le premier étage des maisons. Cette foire fut fondée en 1065 à l’initiative du comte Amaury de Montfort.

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« …Nous sommes sortis avec du fric plein nos chaussettes
Ce vieux coffre-fort était bourré comme un baron
Y avait d’quoi s’offrir de la tortore et des fillettes
Mais au coin d’la rue v’la Dudule qui s’écrie :  » les mecs on est marrons « 
Les poulets grouillaient comme à Houdan un jour de foire ... »

Dans son hilarant Tango interminable des perceurs de coffres-forts immortalisé par les Frères Jacques, Boris Vian faisait référence à cette effervescence régnant les jours de marché même si bien sûr il s’agit là de poulets un peu spéciaux !

« ...Ah ! si vous connaissiez ma poule,
Vous en perdriez tous la boule
Marlène et Darrieux
N’arrivent qu’en deux
La Greta Garbo
Peut même retirer son chapeau !
Ils n’en n’ont pas à Liverpool
A New-York, à Honolulu,
De mieux foutu …
»

Qu’à Houdan ou que la Houdan! Car on l’appelle ainsi comme toute favorite royale qui se respecte au même titre que la Montespan et la Pompadour ! Savez-vous à propos des amours illégitimes de Louis XIV et Madame de Montespan, qu’en naquit une petite Louise de Bourbon dite de Maison-Blanche qui fut élevée discrètement à Mulcent, à 13 kilomètres de Houdan sous la tutelle vigilante de François Le Signerre, curé de Montfort ?

« ...De la tête aux pieds quand on l’épluche
On ne trouve rien à lui reprocher
C’est un oiseau rare
Que Roi des veinards
J’ai eu le bonheur de dénicher :
Ah ! si vous connaissiez ma poule,
Vous en perdriez tous la boule .
.. »

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On se plait à la contempler, la poitrine large et forte et le squelette fin. Volaille couronnée, elle est coiffée d’une huppe volumineuse, rejetée en arrière façon punky chez le coq, plus ronde chez la poule.

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La crête dentelée comme une feuille de chêne, est très développée chez le coq.
Ses pattes marbrées possèdent cinq doigts au lieu de quatre habituellement chez la grande majorité des poules. Trois antérieurs, deux postérieurs, le petit pointant délicatement à l’arrière au-dessus de l’ergot, fréquentation des tables royales oblige !

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Au premier siècle de notre ère, le célèbre agronome romain Columelle affirmait : « Les poules qui ont cinq doigts et dont les pattes n’ont pas d’éperons passent pour les meilleures, parce que celles qui se font remarquer par cet apanage réservé aux mâles ne se prêtent pas facilement à la génération et dédaignent de souffrir le coq et qu’elles cassent même les oeufs avec la pointe de leurs ergots lorsqu’elles viennent à les couver » ! Elles ont du caractère ces demoiselles !
Arbitre des élégances, la Houdan prend la liberté de changer de robe. La plus typique est la noire cailloutée de blanc mais certaines coquettes optent pour des tenues plus blanches.
À ce concert d’éloges, je joins les propos de Charles-Émile Jacque, spécialiste émérite de l’aviculture du XIXe siècle : « C’est une des plus belles races, et rien n’est plus riche que l’aspect d’une basse-cour composée de houdans. Outre la légèreté de ses os, le volume et la finesse de sa chair, elle est d’une précocité et d’une fécondité admirables … La poule donne de magnifiques poulardes, et c’est, entre toutes les espèces, celle dont le poids est le plus rapproché du coq. Elle est moins coureuse, moins pillarde que la plupart des autres poules indigènes.Les pontes sont précoces et abondantes ; les œufs d’un beau blanc et d’un volume considérable. Le coq est d’un caractère doux. Sa phrase musicale est bien accentuée, mais sa tonalité, sourde et quelquefois chevrotante, reste dans le medium du chant ordinaire des coqs dont il relève ». Et dire qu’aujourd’hui, certains néo-ruraux abhorrent les vocalises trop matinales des coqs des dernières fermes de leur village. Pourtant, quand j’étais gosse, chez ma grand-mère paysanne, sous l’édredon au fond de mon lit, j’adorais entendre les bruits des animaux de sa ferme. J’étais comme un coq en pâte au sens littéral de l’expression fourni par le dictionnaire de l’Académie Française. Signe des temps, on préfère les réveille-matin à quartz ! Je ne suggèrerai pas à ces insatisfaits de se coucher comme les poules !

« ...Un coq aimait une pendule
Il est temps de venir à bout
De cette fable ridicule
De cette crête à testicules
Qui chante l’aurore à minuit
Il avance ou bien je recule
Se disait notre horlogerie
Qui trottinait sur son cadran
Du bout de ses talons aiguille
En écoutant son don juan
Lui seriner sa séguedille
Pour imaginer son trépas
Point n’est besoin d’être devin
La pendule sonne l’heure du repas
Coq au vin. »

Les histoires d’amour finissent mal en général ! Crime de lèse-majesté, comme la poitevine chantée par Nougaro, les belles cocottes houdanaises passent inéluctablement un jour ou l’autre à la casserole. En effet, la finesse exquise de leur chair foncée et leur saveur délicate rappelant la perdrix, le pigeon ou la pintade en font un mets prisé des gastronomes.
La volaille de Houdan fut à l’honneur sur les tables les plus huppées. Ainsi lors d’une visite officielle du tsar Nicolas II et de la tsarine Alexandra, voici le menu du déjeuner, le 21 septembre 1901 :

Melon de Tunisie au Porto
Saumons de la Loire à la Bordelaise
Cuissots de Marcassins Cévenole
Ailerons de Volaille en Bellevue
Perdreaux de Rambouillet Chasseur
Dindonneaux de Houdan truffés rôtis
Pâtés de Foie gras glacés à la Gelée
Salade Chrysanthème
Fruits frappés au Champagne
Glaces Potel
Gaufrettes

Cinq ans auparavant, l’empereur de toutes les Russies et son épouse, reçus à l’Élysée par le président Félix Faure, avaient dégusté des suprêmes de poulardes aux truffes du Périgord.
Pour aiguiser votre appétit à moins que je ne vous écoeure, sachez que la succulente volaille succédait à des huîtres de Marennes, un consommé aux nids de Salanganes, des carpes de la Creuse glacées sauce Française et une selle de faon aux graines de pins, avec pour suivre, des terrines de homard Toulonnaise, des barquettes d’ortolans des Landes, des faisans flanqués de perdreaux rôtis sur croustades et du foie gras à la Parisienne !
C’était un temps où Daumier caricaturait l’embonpoint des « Ventres Dorés » de la Troisième République. Aujourd’hui, dans notre société où l’image est primordiale, notre président demande à ses ministres de s’adonner au jogging pour garder une ligne svelte.
Ses excès gastronomiques y ont-ils contribué, Félix Faure dont on dit que sa mort le rendit plus célèbre que sa vie, décéda à l’Élysée alors qu’il honorait sa cocotte Marguerite Steinheil. Les chansonniers de l’époque raillèrent ainsi le personnage: « Il voulait être César, il ne fut que Pompée ! » Quant à Marguerite, elle avait fui le palais discrètement par … la grille du Coq !
Il en est un qui prisait moins la consommation de volaille. Il s’agit du regretté Antoine Blondin qu’il est inutile de vous présenter tant je l’ai cité dans mes billets sur la chose cycliste. Peut-être même qu’avec sa plume (de poule de Houdan ?) admirable, il parviendrait encore à me passionner pour l’étape de Paris-Nice. Bref, lors d’un Tour de France, il se plaignit auprès de la direction de la course, de la qualité des repas servis le soir. Sa requête fut satisfaite et le lendemain, une pintade figurait au menu. Mais, les jours et les étapes passèrent, les hôtels changeaient, tout changeait sauf le plat de résistance du dîner. Invariablement, les cuisiniers servaient de la pintade aux suiveurs. Si bien que n’y tenant plus, Blondin apostropha devant tout le monde Félix Lévitan co-organisateur du Tour : « Si cette pintade doit faire le Tour de France, qu’on lui mette un dossard ! ». La salle éclata de rire et le gallinacé fut derechef (cuisinier ?) banni de la table des journalistes.
Du côté de chez Proust, dans la maison d’enfance beauceronne d’Illiers-Combray, à quatre-vingts kilomètres de Houdan, il n’y avait pas que la fameuse petite madeleine imbibée de thé ou de tilleul, déclencheur de la mémoire volontaire. Il y avait aussi la volaille de Houdan occise par tante Léonie chaque dimanche matin.
Même si elle était condamnée à la rôtissoire, c’était l’état de grâce de la poule de Houdan dont la réputation et les prix ne cessaient de grimper au point de dépasser ceux des volailles de Bresse.
Elle tenta même une carrière de comédienne et fut à l’affiche du théâtre de la Porte Saint-Martin, le 7 février 1910, lors de la première de Chanteclerc, la nouvelle pièce d’Edmond Rostand, cinq ans après Cyrano de Bergerac.

« C’est que j’ose
Avoir peur que sans moi l’Orient se repose
Je ne fais pas : « Cocorico ! » pour que l’écho
Répète un peu moins fort, au loin : « Cocorico ! »
Je pense à la lumière et non pas à la gloire.
Chanter, c’est ma façon de me battre et de croire,
Et si doux de tous les chants mon chant est le plus fier,
C’est que je chante clair afin qu’il fasse clair ! »

Autour de Chantecler qui a la naïveté de penser qu’il fait lever le soleil, trois poules gloussent tendrement. Ses favorites, la Poule de Houdan, la Poule Noire et la Poule Blanche, flâneuses et potinières, l’admirent plus sensibles à son charme qu’à la beauté de son chant.

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En 1870, Napoléon III avait engagé la France dans une guerre contre l’Allemagne. Mal préparées, les troupes françaises tombèrent très rapidement sous les coups de l’ennemi et Napoléon capitula à Sedan en septembre 1870. Suite au traité de Francfort, la France céda l’Alsace et la Lorraine. Au moment de la création de Chanteclerc, le souvenir de cette défaite est encore cuisant dans les esprits et la pièce, avec son éloge du coq national, remplume un peu une France traumatisée.

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C’est l’occasion de dire que nulle poule n’est prophétesse en son terroir et que même à Houdan, le coq qui se dresse sur le clocher de l’église Saint Jacques n’appartient pas à la race locale. On a beaucoup écrit sur la question. Est-ce par homonymie, on considère volontiers que la Gauloise dorée est l’incarnation de notre emblématique coq gaulois. Il faut se méfier des intégrismes y compris en aviculture. Les premiers écrits sur la volaille datent du milieu du dix-neuvième siècle avec notamment Charles Jacque déjà cité. Les zootechniciens ont ainsi dégagé quelques volailles présentant certaines particularités et de bonnes performances économiques telles la Houdan, la Flèche, la Crèvecœur, la Caux, les autres en très grande majorité étant recensées comme poule commune. La France devint le pays aux 70 races de poules au même titre que celui aux 300 fromages. Et quitte à faire caqueter de rogne certains puristes, la gauloise dorée serait une variante conservée de la poule commune, sans beaucoup d’originalité.
Après la Grande Guerre, la Houdan déclina brutalement pour ne réapparaître que dans les années 1990 sous l’impulsion de quelques éleveurs de la région regroupés en un syndicat tentant de garantir la qualité de la production en mêlant le respect de la tradition et le souci d’innovation.

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C’est à cette époque donc, vous savez comment, que je suis tombé sous son charme irrésistible. Je battais alors la campagne houdanaise comme le font aujourd’hui les 176 concurrents de Paris-Nice. D’ailleurs, si l’allure n’est pas trop vive, peut-être aperçoivent-ils, au milieu des prés, des bâtiments en bois spécifiques à l’élevage de cette volaille. Un tracteur déplace éventuellement ces poulaillers modernes afin que les poules profitent toujours d’un sol riche et sain.
Pour les besoins de mon film, j’ai rencontré des gens passionnés. J’ai envie de les citer pour les remercier quinze ans après, de leur accueil chaleureux. Qui apparut en premier ? C’est le fameux paradoxe de l’œuf et de la poule que je ne chercherai pas à élucider ici, et puis l’art du montage cinématographique permet de filmer sans respecter la chronologie. En tout cas, je rendis visite dans sa ferme de la Musse, à Fabrice Geffroy, éleveur accouveur depuis cinq générations. Son trisaïeul faisait déjà éclore des poussins en faisant couver des dindes en 1882. La souche ayant pratiquement disparu en France, les éleveurs firent appel à des collectionneurs pour en démarrer une nouvelle. Par la suite, pour éviter la consanguinité, ils firent venir de nouvelles souches d’Allemagne et des Etats-Unis. Ainsi je rencontrai Rémy Ibar à Levis-Saint-Nom. Je me souviens de sa fierté et de son regard attendri pour me présenter ses meilleurs sujets. C’est chez lui que pour l’unique fois de ma vie, j’ai dégusté une délicieuse omelette aux œufs de … cane ! Je fréquentai assidûment les poulaillers de Laurent Lefebvre à Richebourg, de Gilles De Catuelan à Adainville et de Pascal Lecoq (ça ne s’invente pas !) dans sa ferme du Loup ravissant à Bazainville. Chez ce dernier, les poussins piaillaient dans un local aussi adorablement décoré qu’une classe de petite section de maternelle.
Et puis, je fis connaissance de Daniel Sotteau, un homme passionnant, un véritable puits de science avicole. J’ai repris contact avec lui pour rédiger ce billet. Toujours aussi disponible, il m’a gavé (au vrai sens du mot, non pas à celui utilisé par les bouffons actuels !) d’une foule d’informations et de références bibliographiques. Sa modestie dût-elle en souffrir, il mériterait que je lui consacre exclusivement un article. J’avoue humblement que je suis fasciné par ce type de personnage assouvissant pleinement une passion sans aucun rapport avec sa profession. À l’époque, il habitait une petite maison en lisière de la forêt de Rambouillet. Dans la cour, y picoraient quelques coqs et poules, des Houdan bien évidemment mais aussi des races peu communes comme le « combattant réunionnais ». Je me rappelle son application à leur préparer en guise de pâtée quelques pommes de terre écrasées, et sa jubilation à ramener du poulailler quelques œufs fraîchement pondus, promesse d’une omelette goûteuse au dîner … ou de bons œufs à la coque (voir billet du 6 mars 2008). Puis, au coin de la cheminée, je l’écoutais admiratif conter la merveilleuse histoire de ma poule de luxe. Au fil de l’entretien, il devenait historien, géographe, économiste, zootechnicien, historien d’art, voire philosophe car quel est le destin ultime de l’objet d’une telle passion ? « To be or not to be » rôti au four ? ! Coauteur de L’anthologie de la Houdan, de la Faverolles et de la Mantes, je sais qu’il rêve de publier un jour l’œuvre de sa vie, la bible de référence sur la Houdan. J’y souscris de suite.
Bref, tout ce petit monde donna beaucoup de son temps (et aussi de son argent) pour relancer la volaille de Houdan, chef-d’œuvre en péril de la gastronomie française. Quinze ans plus tard, le temps d’élevage trop long pour être rentable dans l’économie actuelle, la mondialisation, la mal-bouffe, la grippe aviaire, ont condamné impitoyablement la Houdan à ne plus être qu’une volaille d’agrément ou élevée par quelques passionnés. Elle a disparu de l’étal des volaillers dignes de ce nom même à Houdan comme je le constate ce matin. J’avais filmé des pâtés de poularde chez le charcutier de Houdan, son successeur en a abandonné la fabrication. Sur la place du bourg, une enseigne murale très dégradée rappelle l’époque héroïque.

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Vous savez bien qu’on ne conserve pas de photographies d’un amour déçu et pour vous montrer à quoi ressemblait ma poule chérie, je suis retourné chez Gilles de Catuelan. Il possède encore deux coqs et deux poules pour sa consommation personnelle. Enfin … il possédait car la veille de mon passage, un renard gourmet a jeté son dévolu sur l’une des deux demoiselles !

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Je passe du coq à l’âne ou plus irrespectueusement à Marc Giai-Miniet qui expose à la Tannerie, l’espace d’art contemporain récemment ouvert à Houdan. Marc acceptera d’autant mieux mon impertinente mise en boîte qu’il est artiste peintre emboîteur (voir billets du 20 mars 2008 et du 23 septembre 2010). Peut-être trop absorbé par mes poules, vous savez ce que c’est d’être amoureux, j’ai zappé l’avant-veille le vernissage de l’exposition qui présente également les œuvres de deux autres artistes, Abraham Hadad et Pierre Dessons. Qu’à cela ne tienne, je répare ce matin ce fâcheux oubli tandis qu’en bas de la ville, quelques mollets de coq et beaucoup de « cuissus » se sont élancés pour leur périple au pays de la Houdan.
L’association Regard Parole qui anime ce lieu à l’architecture séduisante, propose trois intéressants parcours d’artistes dont voici quelques glanes :

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Au cours de l’étape, les coureurs passent quatre fois devant le restaurant La poularde de Houdan situé à quelques dizaines de mètres de la banderole d’arrivée. Le chef en est Sylvain Vandenameele, un vrai nom de coursier « flahute » ! Souvenir, souvenir, cela me rappelle le temps de ma prime enfance quand mon père m’emmenait dans les courses de villages de sa Picardie natale. Jean Vandenabeele, un presque vétéran très populaire, en était un des héros. Je suis quasi certain qu’il figure dans les archives cinématographiques que mon père réalisait avec sa caméra Pathé 9,5mm. Miracle de Google, j’ai retrouvé sa trace sur la Toile : il débuta le vélo à 16 ans en 1935 et a soufflé ses 91 bougies à l’automne dernier. Comme quoi le vélo de compétition conserve aussi !
Ce dimanche, le chef propose dans son menu spécial Paris-Nice, un Suprême de Poulette aux champignons des bois, pâtes fraîches et crème blonde. Je ne vous garantis pas que ce soit de la Houdan vu le peu de « coqs en stock » qui gambadent dans le parc à l’arrière de l’établissement. Cependant, par une indiscrétion, je sais que le chef a pris contact avec un petit éleveur pour réinviter la miss locale à sa table.
Au point où j’en suis, j’avoue que mes sentiments pour ma poule de luxe ne furent pas platoniques. Oui, je l’ai consommée ! Plusieurs fois même dont une particulièrement mémorable. C’était chez Dominique Dubray, grand chef cuisinier alors à Versailles. Il avait sauté à la poêle une volaille fermière aux trompettes de la mort et pieds-de-mouton.

« ...Si vous saviez comme elle roucoule
On l’entend jusqu’au fond de Thoiry (1)
Crier … chéri !
Si vous la voyiez
Vous me la chiperiez !
Mais… »

(1) Il s’agit d’une licence poétique du rédacteur plus conforme au terroir et à l’itinéraire de la course, car la chanson parle de Passy
Je suis bon prince, vous connaissez désormais ma poule !
Jalouse de mes incartades avec elle, la « petite reine » tente ce midi de me reconquérir. Elle a décidé de sortir le grand jeu. Elle m’emmène d’abord au village des animations de Paris-Nice. Elle me connaît bien et est sûre de faire mouche avec une exposition exclusivement consacrée à Jacques Anquetil, l’idole de ma jeunesse. (voir billets du 15 avril et 22 août 2009)

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Le thème n’est nullement incongru en ces circonstances. En effet, d’une part, Maître Jacques remporta à cinq reprises la course au soleil, et d’autre part, le Grand Prix des Nations, véritable championnat du monde contre la montre, la première course professionnelle qu’il courut et remporta, passait alors par Houdan avant d’affronter le vent de Beauce vers Ablis, puis les côtes de la vallée de Chevreuse.
Je jubile en tournant autour des vitrines présentant de très nombreuses couvertures de magazines qui retracent l’étincelante carrière de mon champion, j’en possède d’ailleurs personnellement une grande majorité. J’ai plaisir à croiser les regards pleins de nostalgie des visiteurs les plus anciens et ceux intrigués des plus jeunes. Oui, quand j’étais gamin, j’ai adoré ce monsieur dont ils contemplent les photographies : l’homme chronomètre imbattable dans l’effort solitaire, le « chronomaître » comme le surnomma l’écrivain Christian Laborde.

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J’entame la conversation avec Serge Jaulneau et son épouse Noëlle, les concepteurs de cette superbe exposition agencée avec beaucoup d’intelligence. Je passerais l’après-midi volontiers avec eux mais « ma petite reine » ne me lâche pas.

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Elle m’emmène maintenant auprès du podium de départ. De mèche avec l’ami David Ramolet, l’écrivain de « Si j’aurais su » avec qui je partis en promenade au pays de la Guerre des boutons, elle m’offre une carte d’accréditation pour un voyage au centre de Paris-Nice.
Et ce n’est pas fini, voilà que « ma petite reine » me fait grimper sur le podium et me présente Daniel Mangeas et Jean-Pierre Danguillaume. Pour les profanes, Daniel, c’est la Voix du Tour de France, le speaker officiel que vous entendez parler inlassablement lorsque vous assistez à un départ ou une arrivée du Tour, et bien d’autres épreuves cyclistes encore. Quant à Jean-Pierre, c’est le dernier vainqueur français de la célèbre Course de la Paix en 1969 ; il a remporté sept étapes du Tour de France et de belles courses comme le Critérium National et le Grand Prix du Midi Libre (je vous la joue presque façon Daniel Mangeas pour vous le présenter !), il termina aussi troisième d’un Championnat du Monde.

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Subitement, je suis embarrassé comme une poule devant un couteau, avec autour du cou, mon pass officiel au nom de Daniel Mangeas lui-même ! Qu’à cela ne tienne, roule ma poule, les boyaux chuintent sur le magnifique enrobé noir qui recouvre la chaussée de Mantes à Houdan. Il est loin le temps où l’on surnommait cette voie alors impériale sans doute creusée de nids de poules, la « route blanche » à cause des carrioles emmenant les cageots de poulets plumés par les fermières le long du trajet les jours de foire.

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Les champions passent pour la seconde fois à Houdan. Deux coureurs sont échappés dont le Français Damien Gaudin, c’est presque un nom de four pour rôtir une cocotte, une vraie poulette à plumes, pas celle de Landru ! Je file vers la ligne d’arrivée main dans la main avec « ma petite reine », ça ne vous fait pas penser à Bernard Blier câlinant Arletty dans Hôtel du Nord ? Je regarde la fin de l’étape sur l’écran plat du salon des officiels en compagnie de Jean-Pierre Danguillaume et Gilbert Duclos-Lassalle, vainqueur d’un Paris-Nice et de deux Paris-Roubaix. « Ils vont être à l’abri dans le petit bois … Le cœur est à 165 pulsations minute tout de suite … Moncoutié prend une raclette… » Je déguste pour presque moi seul les commentaires éclairés de Danguillaume, un grand champion des années 1970.
À 10 kilomètres de l’arrivée, trois hommes en tête avec 50 secondes d’avance sur le peloton ! « En principe, on dégueule 1 minute par tranche de 10 kilomètres ». Je fais le malin, je glisse : « Oui, c’est le théorème de Chapatte ! » du nom de l’ancien commentateur d’Antenne 2. Réponse cinglante mais amicale : « C’est le théorème de tout le monde, on disait tous ça dans le peloton » !

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À dix mètres de là, sur son estrade, Daniel Mangeas, intarissable, tient en haleine le public en commentant le final palpitant. Ça y est, les trois fuyards, le peloton sur les talons, sprintent devant nous. Un véloce coursier flahute devance un Roy français prénommé Jérémy, nous empêchant de crier cocorico ! S’il avait été wallon, nos amis d’outre-Quiévrain auraient pu brandir le Coq hardi emblème de la région.
Jaune, vert, blanc, aidé de Bernard Hinault, tel un caméléon, il enfile successivement les maillots distinctifs des différents classements.

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Ironie du sport, lors de l’Étoile des Espoirs, la première course professionnelle que commenta Daniel Mangeas, dans son village normand de Saint-Martin-de-Landelles, Hinault rata un virage et alla s’affaler dans … un poulailler ! Cela provoqua une belle panique parmi les poulettes, probablement plus de la race de La Flèche ou Crèvecœur que d’Houdan. Heureusement pour elles, le jeune champion n’était pas encore surnommé le Blaireau !

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Daniel, Jean-Pierre, David et quelques autres … ultime cadeau de ma petite reine, j’achève la journée en privé en leur compagnie. Je fraternise immédiatement avec mon voisin. Daniel Mangeas aime passionnément le vélo … et les gens. Il me raconte son enfance quand comme moi, il jouait avec ses petits coureurs en plomb. Je faisais gagner Anquetil, son favori était Henry Anglade. Nous nous sommes nourris des mêmes « plumes » qui ont construit la légende des cycles, Antoine Blondin, Abel Michea, Pierre Chany, Albert Baker d’Isy. Comme remède aux dérives du cyclisme actuel, il continue à vivre sa passion avec ses yeux et son cœur d’enfant. Au fil de la conversation, je comprends que finalement il a réalisé le rêve du petit gosse que j’étais lorsque, dans la grande cour de l’école de mes parents, habillé d’un maillot jaune tricoté par une institutrice, je refaisais mon Tour de France tout en commentant moi-même les péripéties de la course (voir billet Les Tours de mon enfance du 9 juillet 2008).
Et dire qu’au soir de la première étape qu’il commenta sur le Tour, sa maman manqua de confondre cyclisme et érotisme ! Et pour cause, voici le classement : 1er le Belge Sercu, 2ème le Français Delépine, 3ème l’Italien Bitossi !!! Et le président de la fédération française de cyclisme se nommait Olivier Dussaix !

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Comme moi, il adore Bourvil. Comme lui, il commença par plonger la main dans le pétrin. Pour un peu, en bons compatriotes normands que nous sommes, nous entonnerions à bicyclette bien sûr, ce refrain très légèrement modifié pour la circonstance (toujours par licence poétique !) :

« … Ah ! c’que vous êtes coureur !
- Moi… j’ne suis pas coureur.
- Ah ! c’que vous êtes menteur !
- Moi, je suis speaker.
- Vous savez faire la cour !
- Oui, j’y réponds, car pour
Ce qui est de faire la cour,
Je la fais chaque jour.
- La cour à qui ?, qu’im’dit.
- La cour d’la ferme de Houdan pardi !
- Vous êtes un blagueur.
Ah ! C’que vous êtes coureur ! ..
. »

Jean-Pierre Danguillaume nous gratifie d’une imitation de Johnny Hallyday à une émission Des chiffres et des lettres spéciale people : « Voyelle … Ah que voyelle ! … Consonne … Ah que consonne, ah que je vais ouvrir la porte ! »
Il me dédicace une photographie de lui dans la roue d’Eddy Merckx, que j’avais faite lors d’un critérium, il y a trente-quatre ans.

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Merci les amis, comme écrivait Louis Nucera, le regretté romancier niçois, la Course au soleil a finalement dardé ses rayons … de bicyclette pour réchauffer mon cœur d’éternel enfant.

Merci à vous, David, Daniel et Jean-Pierre, qui m’avez redonné mon âme d’enfant le temps d’un dimanche. « Si j’aurais su … », j’aurais annulé mon rendez-vous pour être avec vous à Montfort-L’Amaury !

Remerciements à Daniel SOTTEAU pour sa contribution bibliographique et iconographique et à Gilles DE CATUELAN pour son accueil.

Bibliographie avicole :
-PÉRIQUET Jean-Claude & SOTTEAU Daniel
« L’anthologie de la Houdan, de la Faverolles et de la Mantes »
Format 15 X 21 cm, couverture cartonnée, tout en couleurs, 248 pages
Tirage limité à 500 exemplaires
Prix : 29 euros + 7 euros de port et d’emballage
A commander chez : Jean-Claude Périquet, 3 hameau de Pierreville, 55400 Gincrey

Ouvrages numérisés par la BNF et disponibles à la lecture sur son site gallica.fr
-JACQUE Charles
« Le poulailler, monographie des poules indigènes et exotiques, aménagements, croisements, élève, hygiène, maladies, etc., texte et dessins par Ch. Jacque, gravures sur bois par Adrien Lavieille », 12 X 18,5cm, 360 pages, Librairie agricole de la maison rustique, Paris, deuxième édition 1863.
-VOITELLIER Henri 1850-1911
« L’incubation artificielle et la basse-cour », 12 X 17,5cm, 160 pages, reliure demi maroquin rouge, 2ième édition, première édition 1878, Librairie et imprimerie typographique et lithographique Beaumont frères, Mantes-la-Jolie (Seine-et-Oise), 1880.
-VOITELLIER Henri
« L’incubation artificielle et la basse-cour, traité complet d’élevage pratique », 12 X 18cm, 314 pages, cinquième édition, Librairie de Firmin-Didot et Cie, Paris 1886.
-LETRONE Paul
« Monographie des gallinacés, races principales indigènes et exotiques », textes présentés aux séances des 10 décembre 1858 et 20 juin 1860 de la Société impériale zoologique d’Acclimatation et publiés dans son bulletin en 1859 et 1860.

Actualité artistique de Marc GIAI-MINIET :
- À la Tannerie à Houdan (78)
du 4 mars au 24 avril 2011
Pierre DESSONS
Abraham HADAD
Marc GIAI-MINIET

-Au Prieuré Saint-Vincent à Chartres (28)
du 12 mars au 17 avril 2011
Bibliothèques imaginaires et petits théâtres muets
Marc GIAI-MINIET

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