De Samatan à Cantaous-Tuzaguet en passant par Escanecrabe et Rebirechioulet

Pour reprendre un qualificatif employé par les suiveurs du Tour de France pour désigner une étape sans difficulté donc guère propice aux échappées d’envergure, je vous propose pour commencer l’année une promenade de transition, peut-être pas de celles qui offrent des curiosités touristiques majeures, mais qui sent tout de même bon la douce France. Les coureurs de la grande boucle empruntent d’ailleurs fréquemment cette route départementale 17 plate et rectiligne pour passer du massif pyrénéen aux collines du Lauraguais ou aux contreforts de la Montagne Noire. Avec la canicule de juillet qui fait fondre le goudron ainsi que les ardeurs des champions, c’est l’occasion pour les journalistes de musarder dans quelques bonnes auberges et de goûter aux saveurs du terroir.
Je vous emmène donc faire un tour le long de la vallée de la Save. Cela ne vous dit rien ? Remémorez-vous vos cours de Géographie en classe de quatrième et la carte muette de la Garonne avec sur la rive gauche (en regardant la France à l’endroit, c’est le côté gauche du fleuve qui naît au pic d’Aneto au cœur des Pyrénées espagnoles), ses affluents du Gers, de la Save et de la Baïse. Foin du tréma, en notre âge bête, nous riions sous cape de cette dernière rivière homonyme de nos fantasmes d’adolescent. Á Trie-sur Baïse, chaque été, de nombreux candidats s’attroupent sur ses rives pour briguer le titre envié de champion du monde du cri du cochon.
Save qui peut, comme il existe une route du rhum, il y a une véritable route du foie gras aux confins de la Haute-Garonne et du Gers. Á l’approche de Noël et du Nouvel An, il n’est pas rare que je l’emprunte pour me rendre à Samatan, l’un des marchés de « gras » les plus renommés du Sud-Ouest. Chaque lundi, la halle regorge des volailles grassement nourries au maïs, leur aliment de prédilection que Christophe Colomb fut le premier européen à découvrir à Cuba en 1492. Les épis récoltés s’entassent dans les greniers grillagés typiques des fermes du coin. Citadins et touristes salivent devant les oies, canards, poulardes et chapons, vivants ou en carcasses, qui envahissent les étals. Á dix heures trente précises, à l’ouverture des portes, c’est la ruée vers l’or gras, une bousculade indescriptible digne de plusieurs dizaines de féroces mêlées de l’inoubliable France-Springboks de 1961 à Colombes qui se solda par le score rare et vierge de zéro à zéro ! Le journaliste Denis Lalanne, sorte d’Antoine Blondin du rugby, fit un récit homérique de cet événement dans son livre La mêlée fantastique. Il s’agit cette fois de s’approcher le plus vite possible des bancs où sont exposés les foies fraîchement sortis des entrailles des oies et des canards mulards et musquets, et de juger en un clin d’œil les plus beaux spécimens. En effet, la concurrence est rude et un quart d’heure plus tard, la marchandise de qualité est dévalisée.
J’imagine la liesse pittoresque au retour de ces marchés du temps du saouto ségo, le saute-haie, un petit train départemental qui reliait la capitale Toulouse à Boulogne-sur-Gesse via quelques villages et lieux-dits aux parfums savoureux du terroir. Ainsi, le tortillard s’arrêtait jadis sur la commune de Saint-Lys, à Meingesèbes, mange-oignons en français. C’est la même toponymie que Minjocèbos, le village imaginaire où résidaient Catinou et Jacouti son mari dont les aventures burlesques contées en langue d’oc régalèrent durant plusieurs décennies les auditeurs de Radio-Toulouse et les lecteurs du quotidien régional La République puis La Dépêche du Midi. Leur auteur Charles Mouly, titulaire de trois certificats de licence, fils d’un nominé au prix Nobel de littérature des langues menacées, avait imaginé sa Catinou aussi replète que Jacouti était fluet, « un type de femme portant la culotte, plus ou moins véhémente, un peu mégère, mais avec du bon sens », un peu une réplique occitane de la madame Sarfati d’Élie Kakou. Ne me demandez pas plus de précisions car ma méconnaissance du patois m’interdisait toute compréhension de cette rubrique. On retrouve aujourd’hui un peu de cette truculence paysanne du Sud-Ouest chez Le Duo des Non et leurs chroniques villageoises de Bourcagneux-sur-Glaires sur Sud Radio ainsi que dans certains sketches des Chevaliers du Fiel. Dans la même veine, je me souviens également de Jeannot Ribochon monte à Paris, un monologue hilarant joué par Roger Louret dans un café théâtre de la capitale. Macarel, encore écroulé de rire, quelle ne fut pas ma surprise naïve de retrouver quelques minutes après la représentation, le même « faraud de Castelsarrasin » commandant sans aucun accent un demi pression au comptoir d’un bar voisin !
Le faraud est le sobriquet péjoratif attribué par les gens du cru aux « Parisiens » débarquant dans leur contrée, un peu la revanche du pèquenot ou bouseux dont les affublent ceusses de la capitale quand l’idée leur prend de « monter » pour le salon de l’Agriculture ! Il est certain qu’on peut sourire de la récente mésaventure d’un agriculteur de Gouzougnat dans la Creuse verbalisé pour avoir garé son tracteur rue du Faubourg Saint-Denis à Paris. Aux dernières nouvelles, il s’agirait en fait d’une erreur de la Préfecture de Police. En marge de ces complaintes de gens nés quelque part, ces querelles de clochers, ces relents de jacobinisme (compréhensible de la part de proches Montagnards !), ces complexes de supériorité mal placés frisant parfois la « beaufitude », j’avoue humblement avoir été la risée de tous mes passagers occitans la première fois que j’atteignis ladite départementale 17, il y a maintenant une trentaine d’années. Peu charitablement mais en toute affection malgré tout, ils se payèrent ma bobine sur ma manière « pointue » de prononcer les villages et hameaux que nous traversions, excusez du peu en moins de cinq kilomètres, Cassagnabère, Rebirechioulet et Escanecrabe !

cartemichelinrebirechiouletblog.jpg

Merci Wikipedia, la commune française la plus éloignée d’Escanecrabe est Bray-Dunes chère à Alain Souchon, située à 876, 8 kilomètres à vol de palombe ; circonstance suffisamment atténuante pour ne pas me reprocher de ne pas rouler quelques r et d’oublier des e et s qui d’ailleurs ne figurent pas dans l’orthographe de ces lieux … maudits pour le septentrional que je suis. Dans ces instants-là, on se demande si l’école de la République est bien la même dans tout l’hexagone !
Rebirechioulet (prononcez Rrreeevirrreeechioulette !) est le type même du mot de géographie à pendre haut et court n’importe quel nordiste à ce jeu où l’on bâtit les différents éléments du gibet à chaque mauvais choix de lettre. Dans cet exercice, tout Picard qu’était mon père ainsi que bon apôtre (sic Racine !), il faisait vibrer la corde régionaliste avec Saint-Quentin-la Motte-Croix-au-Bailly, un village du département de la Somme qui plaidait-il, était la commune française portant le nom le plus long. Je suis obligé de le déjuger car la palme revient à Saint-Rémy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson, un chef-lieu de canton de la Marne qui coiffe sur le fil Saint-Germain-de-Tallevende-la-Lande-Vaumont dans le Calvados et Beaujeu-Saint-Vallier-Pierrejux-et-Quitteur en Haute-Saône. Avec les regroupements de villages de plus en plus fréquents, d’autres communes peuvent envisager de briguer le trophée. Quant aux habitants de Niederschaeffolsheim dans le Bas-Rhin, ils sont assurés que leur commune demeure celle avec le nom non composé le plus prolifique.
Pour clore le chapitre, pernicieuse revanche d’un nordiste sur les sudistes, j’aimerais ouïr comment, à l’occasion d’un déplacement du XV de France à l’Arm’s Park de Cardiff, la gente occitane se dépatouillerait pour prononcer Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllanty-siliogogogoch, la commune galloise possédant le plus long nom du Royaume-Uni !
Á l’initiative du maire de Saint-Lys et de son hameau Meingesèbes, près de Toulouse plusieurs communes ont profité de la curiosité de leur nom pour sortir de l’anonymat en créant depuis 2003 les rencontres annuelles des communes de France aux noms burlesques ou insolites, prétextes festifs à valoriser leur patrimoine culturel et gastronomique. Ainsi Cocumont en Lot-et-Garonne, Arnac-la-Poste dans la Haute-Vienne, Vatan dans l’Indre, Bouzillé en Maine-et-Loire et Vaux-en-Beaujolais, le Clochemerle du truculent roman, ont accueilli à tour de rôle la manifestation qui se tiendra en juillet prochain à Corps-Nuds en Ille-et-Vilaine. On peut suggérer que les rencontres suivantes soient organisées à Poil dans la Nièvre ou à Bèze en Côte-d’Or ! Á défaut d’ébats sexuels, d’excellents crus de Bourgogne (hum, le Chambertin-Clos de Bèze !) raviraient les palais.
Comment ne pas évoquer aussi la cité lotoise de Montcuq chère au regretté Nino Ferrer, que Daniel Prévost rendit célèbre à l’occasion de son reportage dans l’émission du Petit Rapporteur animée par Jacques Martin. Les plus anciens se souviennent de sa discussion avec le maire de la commune devant l’arrêt (d’autocar) de Montcuq !
Pour en finir avec les considérations graveleuses de fins de banquets ou de troisièmes mi-temps de rugby, je m’autorise celle mémorable qui réunit Gimont, Samatan et Lombez, trois villes voisines du Gers : « Quand Sam m’attend, j’y monte et … Lombez !!! » Pardon ! Du moins, et cela est véridique, Sam pourrait se protéger avec un préservatif couleur locale. En effet, deux Français qui commercialisent ce produit aux Etats-Unis avec un soupçon de « french touch » ont eu l’ingénieuse idée d’installer le siège social de leur société The original condom company justement dans la cité gersoise de Condom ! Il semblerait désormais que le foie gras, l’Armagnac et D’Artagnan ne soient plus les seuls ambassadeurs du département du Gers pour les Yankees.
Les temps changent, l’humour aussi, l’été dernier, le journaliste Gérard Holtz eut moins de bonheur lorsque les coureurs de la grande boucle traversant la commune belge de Putte entre deux haies serrées de spectateurs, il déclara qu’on n’avait jamais vu autant de fils de Putte sur la route du Tour de France ! Des appels téléphoniques de réprobation de la part de nos amis d’outre Quiévrain indignés affluèrent aussitôt au standard de France Télévisions.

cassagnabreblog.jpg

Après la traversée de Cassagnabère, excellente mise en bouche pour « l’assent », je parviens donc à Escanecrabe, modeste village d’environ 250 âmes situé dans la région du Comminges, à une vingtaine de kilomètres au nord de Saint-Gaudens. Il est construit sur une crête dominant la vallée de la Save d’où l’on jouit de belles échappées vers d’un côté, les molles ondulations de la plaine toulousaine et de l’autre, la chaîne des Pyrénées avec le Pic du Midi de Bigorre et son observatoire.

escanecrabevillageblog.jpg

Son blason, « d’azur à la chèvre grimpant sur des rochers, le tout d’argent, au chef cousu de gueules chargé de quatre épis de blés d’or », explique en partie la singularité de son nom, littéralement étouffe-chèvres. Est-ce la rudesse des pentes qui « escagnaient » les caprins à la barbichette ou les y tuait-on en ce lieu ? Pour avoir serré la pince de deux Escanécrabais, je témoigne de leur convivialité. L’un d’eux m’a énuméré les curiosités du village, quant à l’autre, Emile Gares, qui n’est autre que le maire, il m’a confié la clé sinon du paradis du moins de l’église.

escanecrabegliseblog.jpg

escanecrabeblog5.jpg

escanecrabeblog3.jpg

escanecrabeblog4.jpg

Á défaut de saint Macaire patron de la paroisse, j’y ai admiré notamment une sculpture de Jeanne d’Arc et un vitrail de saint Jean-Baptiste ainsi qu’une crèche émouvante de simplicité.
Á côté de l’église, se dresse une motte castrale datant probablement du douzième siècle. En son sommet, un calvaire a remplacé le château fort.
Malgré les explications claires des autochtones, je n’ai pu accéder à la chapelle Saint Sabin au risque de m’embourber en cette saison. Elle est construite près du bois où fut découvert le sarcophage du saint. Selon la légende, un bœuf se promenait chaque jour dans ce bois et se couchait près d’une pierre qu’il léchait. Il s’avéra que cette pierre creuse renfermait les reliques de Saint Sabin. Á la fin du XIXème siècle et durant la première moitié du XXème, beaucoup de ferveur accompagnait les célébrations religieuses autour du sanctuaire.
Dans l’un des deux cimetières du village, repose Raymond-Célestin Bergougnan, un enfant du pays qui connut prospérité et célébrité dans l’industrie du pneumatique.

bergougnanblog.jpg

Les établissements Bergougnan furent longtemps concurrents de la société Michelin qui finit par les absorber. Radical tendance cassoulet, il offrit de nombreuses souscriptions à la municipalité de Clermont-Ferrand qui, reconnaissante, a donné son nom à une avenue à proximité de l’ancienne usine.
Il est un autre Bergougnan, prénommé Yves, qui fut « un génie du rugby » pour reprendre le titre d’un bel ouvrage qui lui est consacré, une véritable légende vivante de la région Midi-Pyrénées avant qu’il ne décède en 2006. Surnommé le Requin à cause de ses envolées la bouche ouverte, demi de mêlée fabuleux par son coup de botte et son sens du jeu, il remporta le championnat de France avec le Stade Toulousain en 1947 et joua dix-sept fois en équipe de France, notamment à l’occasion de la première victoire des coqs tricolores sur le sol gallois en 1948. Il stoppa sa carrière à l’âge de vingt-cinq ans à cause d’une blessure récidivante à l’épaule.
Je ne l’ai jamais vu jouer, et pour cause, mais j’en ai toujours entendu parler indirectement dans le petit village d’Ariège que je fréquente. En effet, du fait d’une soi-disant ressemblance physique avec le champion, il était un brave homme qu’on ne connaissait à la ronde que sous le patronyme de Bergougnan. Employé aux abattoirs, ses attaques tranchantes étaient plus craintes par les brebis du Couserans que par les packs locaux ! Et, par souci de confort verbal, les gens du coin avaient trouvé l’astuce pour se dépêtrer des quelques w et k qui parsemaient son nom d’origine polonaise !
En repartant, j’ai tout de même vu trois biquettes à la jolie houppelande blanche qui paissaient au pied de la colline, par crainte peut-être du mauvais sort qui pend à leur barbichette depuis l’origine du village.
Á quelques centaines de mètres de là, à l’intersection des routes menant de Lannemezan à Lombez et d’Aurignac à Boulogne-sur-Gesse, se situent les Quatre chemins, le lieu-dit régionalement célèbre de Rebirechioulet, littéralement sifflet (chioulet) de retour ou qui fait s’en retourner (rebire). Parmi les interprétations suggérées, il en est une plausible qui évoque des brigands rôdant jadis à proximité et sifflant pour prévenir du passage d’une voiture à cheval. En entendant les chioulets, certains cochers faisaient demi-tour. Décidément les bois de Boulogne sont mal fréquentés !

rebirechiouletblogbis.jpg

rebirechiouletcarrefourblog.jpg

L’aspect du carrefour a bien changé depuis l’époque des véhicules hippomobiles et seul un des deux restaurants subsiste aujourd’hui.
Boulogne-sur-Gesse, à deux lieues de là, tiendrait son nom de la ville de Bologne. Il est vrai que la place avec ses arcades et ses vieilles façades a quelque chose en elle d’Italie.

boulognesurgesseblog2.jpg

boulognesurgesseblog1.jpg

C’est le passage obligé pour faire ma provision de Pacherenc du Vic Bilh vendanges tardives chez un excellent caviste de Masseube. Ce vin blanc liquoreux issu des raisins blettis par le soleil et le froid des coteaux du Gers et des Hautes-Pyrénées remplace avantageusement (déjà pour le portefeuille) le célèbre voisin de Sauternes en apéritif ou sur le foie gras.
Á une centaine de mètres du croisement, pour rompre la monotonie de la départementale, je choisis de serrer au plus près le cours de la Save qui profite ici de l’affleurement des calcaires crétacés des Petites Pyrénées pour creuser son lit dans des gorges relativement profondes.

gorgesdelasaveblog.jpg

C’est dans une grotte toute proche qu’après être sortie de l’onde, se réfugia la Vénus de Lespugue, une statuette en ivoire de mammouth datée du Gravettien ou Périgordien supérieur (-26 à -24 000 ans). Quoique préhistorique, elle ne manque pas de modernité. Pour l’admirer, il faudra vous rendre non pas dans le département de la Haute-Garonne mais à celui d’anthropologie du musée de l’Homme à Paris. Il n’y a pas que Jeannot Ribochon qui soit monté à la capitale ! Petit coup de griffe à la France d’en bas, on a beau dire c’est là-haut que ça se passe si on veut accéder à la postérité !
Comme l’indique une banderole déployée dans un champ, nous entrons bientôt sur les pas de l’humanité.

montmaurinvillageblog.jpg

Le paisible village de Montmaurin juché sur un tertre entre Save et Seygouade est connu dans le monde entier parce que des chercheurs préhistoriens y numérotent les abattis d’hommes et animaux de plusieurs centaines de milliers d’années. Relique inestimable, une mandibule datant d’environ 300 000 ans, donc plus vieille que Neandertal et contemporaine de Tautavel, a été exhumée.
Ce patrimoine archéologique considérable risque honteusement d’être saccagé par un projet de carrière industrielle. Encore une fois, l’aspect économique menace de prévaloir lamentablement sur l’intérêt culturel du site.

montmaurinblog1.jpg

Des fouilles ont mises à jour une villa gallo-romaine qui aurait été édifiée vers le milieu du premier siècle de notre ère et se serait développée jusque vers l’an 350. Elle ne comptait pas moins de deux cents pièces décorées de marbres et de mosaïques.

montmaurinblog2.jpg

montmaurinblog3.jpg

montmaurinblog5.jpg

Comme je constate que je n’ai pas écrit le nombre de lignes auquel je vous ai (mal) habitué, je vais pousser ma virée un peu plus au Sud vers le plateau de Lannemezan et les Pyrénées enneigées qu’on aperçoit toutes proches à l’horizon, très précisément dans les deux modestes communes de Cantaous et Tuzaguet. Si vous ne voulez pas apparaître ridicules, prononcez Cannntăousss et Tuzaguette avec l’accent chantant de Aqueiros mountaños !

cantaoustuzaguetblog.jpg

tuzaguetblog.jpg

Les vieux lecteurs du quotidien sportif L’Équipe, passionnés de rugby, s’en souviennent peut-être, c’est de là, à quelques kilomètres de Lourdes, que partaient invariablement les Lettres d’un cousin de province, les chroniques quasi hebdomadaires qu’écrivit le journaliste Marcel Bordenave entre 1956 et 1970. Jeunot, profane normand pour qui le rugby n’était qu’un jeu régional, je lisais malgré tout avec curiosité la correspondance du cousin Léopold à son ami Flanker (anglicisme qui désigne le joueur occupant le poste de troisième ligne aile). Rigoriste en la matière selon les bons principes inculqués par mes parents, je leur signalais parfois quelques approximations orthographiques surprenantes de la part d’un journaliste même sportif. Ainsi, je trouvais curieuse la formule finale de politesse : « Je te lacère ». Il en était de même pour les largesses prises en écrivant certains hauts lieux du rugby et peuples des antipodes comme Touiquenham, Muraille-Fil, les Old Blacs, les Esprinboucs, madame Mathé ma chère professeure d’Anglais m’avait habitué à plus de rigueur. Cependant, j’aimais les personnages de ce petit théâtre épistolaire, évidemment Léopold, supporter acharné du Stadoceste Tarbais, et sa femme Mélanie, ses amis Bézuquet en adoration devant Lourdes et Célestin Bougredane au garde-à-vous devant la Section Paloise, l’instituteur alias le fabricant de certificats d’études et le curé, le boulanger Flutard aussi. En leur compagnie, j’appris ce qu’était le « ruby » des champs et des villages. En effet, derrière les querelles de clochers, il apparaissait comme « le paraphe d’un art de vivre où la chasse, la gastronomie et l’amitié ne comptaient pas pour rien ». Á titre d’illustration, voici ce que pouvait être un samedi après-midi de janvier 1958 à Cantaous-Tuzaguet du temps où le tournoi ne concernait encore que cinq nations :
La télévision, c’est vraiment quelque chose d’au poil … J’en parle en connaissance pour avoir assisté, samedi après-midi, au match de Murrayfield, confortablement installé devant le poste de l’instituteur qui m’avait invité, ainsi que Bézuquet venu me rendre visite. Nous n’étions pas arrivés les mains vides. J’avais porté quatre bouteilles de jurançon, prélevées sur le stock mis à l’ombre en prévision de la première communion du fils à tonton Jules, et une tarte maison, grande comme une meule de gruyère, que Mélanie avait confectionnée avec amour. De son côté, Bézuquet, qui a du savoir-vivre, s’était amené avec une fiole d’un certain apéritif anisé qu’il prise tout particulièrement …
Il pleuvait à seaux, la grêle tambourinait aux fenêtres et le vent menaçait à chaque instant d’emporter la cheminée. Aussi, juge de notre stupéfaction lorsque nous apprîmes que le soleil brillait à Édimbourg ! Quand je te dis qu’ils ont tout détraqué avec leurs bombes atomiques ! Bref, nous nous mîmes en mesure de savoir ce qui se passait là-bas après avoir ingurgité un petit verre de cognac, histoire de se donner du courage. La précaution était bonne … Cinq minutes plus tard, l’arrière écossais expédiait le ballon entre les lattes !
« C’est bien ce que je pensais, clama Bézuquet. L’arbitre nous entube ! »
Le temps d’allumer une cigarette et Vannier égalisait.
« Il faut arroser ça » décréta l’instituteur.
Inutile de songer à indisposer ces messieurs qui ont de l’instruction et connaissent les bonnes manières. Le niveau baissa de quelques centimètres dans le flacon de trois étoiles, et nous reprîmes l’écoute. Ça n’avait pas l’air d’aller tout seul même que ces avants écossais n’y allaient pas avec le dos de la cuillère de bois et défendaient le ballon comme un chien défend un os de gigot … Étant sorti quelques instants pour satisfaire un besoin aussi pressant que naturel, je trouvais au retour mes deux camarades plus blancs que condamné à mort marchant vers la guillotine.
« Que se passe-t-il ?
-Ils ont marqué et transformé. C’est la catastrophe, m’informa Bézuquet.
-Courage, mes amis » souffla l’instituteur en remplissant nos verres d’une main tremblante.
Nous bûmes et, ô miracle ! le liquide n’avait pas encore atteint notre pylore que Dupuy, le Pipiou de chez nous, gloire et fierté de la race tarbaise, renvoyait Mr Smith au Sénat, et te plantait un de ces essais qui comptent dans la vie d’un trois-quarts aile de l’équipe de France.
« L’attaque paie toujours, décréta M. le Régent. Si nous attaquions en signe de joie et de reconnaissance, le jurançon de Léopold ? »
Sitôt dit, sitôt fait. Nous profitâmes de la mi-temps pour entamer la tourte qui s’avéra délicieuse à l’usage …
C’était à l’époque des preux chevaliers du royaume d’Ovalie. Ils avaient pour nom Amédée Domenech (rien à voir avec l’homonyme des « manchots ») alias le Duc, Michel Crauste dit le Mongol ou encore Alfred Roques, un solide cadurcien surnommé familièrement le Pépé du Quercy parce que déjà largement trentenaire quand il endossa le maillot bleu ; de beaux poulets nourris aux grains de maïs du pays ! Il y a quelques années, mon beau-père m’en présenta un autre avant un match aux Sept Deniers de Toulouse. Garçon de ferme à Bram dans l’Aude, il se reconvertit dans les affaires dans la ville rose à la fin de sa carrière marquée par une trentaine de fractures. Un accent plus rocailleux que toutes les rivières des Corbières réunies, un pif à rendre jaloux Cyrano de Bergerac au point qu’il confia à un journaliste à la sortie du terrain, le visage ensanglanté : « Heureusement que j’avais le nez, sinon ce coup de poing, je le prenais en pleine gueule ! » Et des pognes impressionnantes comme des battoirs dont je me souviens encore depuis sa chaleureuse et vigoureuse poignée de mains. Diou biban ! Prénommé « Oualtère », il fut le plus beau fleuron de la dynastie rugbystique des Spanghero. La presse sud-africaine le surnomma l’homme de fer. Qui sait si dans quelques milliers d’années, des archéologues n’exhumeront pas de la terre d’Ovalie, quelques dents et mâchoires fracassées sous l’impact de ses plaquages.
Pierre Villepreux, un autre seigneur du rugby, accessoirement professeur agrégé d’éducation Physique, dans Intercalé une autobiographie qu’il a écrite lui-même (je précise en ces temps où certains journalistes renommés sont soupçonnés de plagiat ou d’emploi de nègre !), évoque un samedi après-midi de son enfance (eh oui, il y avait école !) où son instituteur, plutôt que faire cours d’instruction civique, installa la TSF dans la classe pour écouter religieusement (un comble de la part d’un laïc ?) un match du tournoi en direct de Colombes. Un art de vivre, je vous disais !

intercalblog.jpg

Ce chevalier à la triste figure « plus preux que vil » comme le qualifia un journaliste de L’Équipe, se battit souvent contre les « gros pardessus de la FeuFeuReu » (les dirigeants de la Fédération Française de Rugby) pour défendre la noblesse d’un jeu plein de panache. J’eus le bonheur de le voir s’intercaler (d’où le nom de son essai littéraire transformé !) au sein de la ligne des trois-quarts tricolores contre les fameux « Old Blacs » dans le mythique stade de Colombes.
Déjà, à Cantaous-Tuzaguet, on raillait ceusses de là-haut qui arrivaient en vacances avec trop de morgue et de suffisance. Ainsi, « faut que je vous raconte la dernière de Bézuquet que l’approche des vendanges rend plus malicieux que renard adulte au terme d’une semaine de diète complète. Figure-toi qu’un Parisien au long bec, un de ces qui ont tout vu, connaissent tout et ne manquent pas une occasion de te faire comprendre que tu habilles un idiot tous les matins, avait débarqué au pays la semaine dernière, botté jusqu’au nombril, armé jusqu’aux dents et ne songeant pas à cacher les intentions belliqueuses qu’il nourrissait à l’endroit de tout ce qui vole et de tout ce qui trottine. Nous le rencontrâmes à l’auberge où il était descendu et nous engageâmes d’autant plus volontiers la conversation qu’il commanda illico une bouteille de pastis en prenant bien soin de préciser que nul autre que lui n’aurait le droit d’en acquitter le montant.
« Y-a-t-il beaucoup de gibier dans la région ? interrogea le particulier après que nous eûmes trinqué…
-Pas tellement ! se lamenta Bézuquet. Quelques oiseaux de passage, mais peu de sédentaires tels que perdreaux rouges et gris. Heureusement que le colin est là et un peu là pour nous éviter d’infâmantes bredouilles !
-Comment diable chassez-vous ce bestiau capricieux ? Á l’affût ? Au sifflet ? Au chien d’arrêt ?
-Á la mayonnaise, tout simplement !
-Pardon ?
-Á la mayonnaise, j’ai bien dit !… Vous prenez une bassine de 50 centimètres de diamètre environ et de couleur verte de préférence, rapport qu’elle doit s’harmoniser avec le paysage. Vous la remplissez aux trois-quarts d’une mayonnaise consistante sans plus, mais contenant une forte proportion d’ail, ingrédient dont le colin apprécie l’arôme de façon toute particulière. Mayonnaise fabriquée à la maison s’entend, celle en tube ne donnant que des résultats médiocres et coûtant terriblement cher en plus.
Vous déposez le récipient au beau milieu d’un champ de maïs et vous vous cachez à proximité en évitant de bouger et de faire le moindre bruit. Attiré par l’odeur de la sauce, l’oiseau accourt à tire-d’aile, se pose sur le rebord de la bassine, inspecte l’horizon et se penche en avant pour déguster le produit dont il raffole. La gourmandise aidant, il se penche même tellement qu’il chute dans la manne dorée qui colle aux plumes et l’empêche de se dégager ! Il ne vous reste plus qu’à faire la cueillette, tel fermier ramassant les œufs au nid en fin de journée ! Vingt oiseaux par séance au bas mot, foi de Bézuquet, si vous manœuvrez comme il faut en utilisant une mayonnaise de bonne qualité !
-Ne craignez rien ! Ma femme a un tour de main sensationnel » répliqua l’homme, tellement ravi du tuyau qu’il exigea la mise à mort d’un deuxième flacon dont les souffrances furent brèves, vu qu’il n’y a rien de tel pour te dessécher le gosier et te transformer la luette en tison.
Une bonne douzaine d’œufs, trois gousses d’ail et une paire de litres d’huile qu’il employa, le capitaliste, pour fabriquer l’appât miraculeux !
Et furieux à lier qu’il fut, lorsque, rentrant le cornier vide et la bassine sous le bras sous le coup de midi, il trouva délicatement posé sur le volant de sa voiture, un colin (de l’océan) acheté par mes soins chez l’ami Bernard à Lannemezan et sur lequel le curé avait épinglé un billet portant ces mots écrits de sa main :
« Au cas où il vous resterait un peu de mayonnaise ! »
Le pinson pigeonné fit ses valises le soir même ! Encore un qui dira que le vacancier est mal accueilli dans le Sud-Ouest !…

lanesteblog.jpg

Une (presque) tragique aventure datant d’une trentaine d’années m’autorise à m’inscrire en faux contre cette assertion. Je passais d’excellentes vacances de Noël dans la famille d’un copain à Pinas, un village justement à une portée de drop de Cantaous et Tuzaguet. Nous longions le gave de la Neste (sans colin !) pour goûter aux joies du ski tout au fond de la vallée d’Aure, à Saint-Lary-Pla d’Adet. Mais un après-midi, le séjour bascula dans l’horreur. En effet, en redescendant de la station, une grave fuite de « louquide » comme dirait le cousin Léopold priva mon automobile de son système de freinage. Panique à bord ! L’expression dégringoler à tombeau ouvert prit là tout son sens tant la plongée dans le précipice vertigineux semblait inéluctable. D’ailleurs, elle advint ! Dans un film qui sort ces jours-ci sur les écrans, Clint Eastwood traite la question de l’au-delà. Pour l’avoir vécue, je pourrais vous parler (peut-être une autre fois) de mon EMI (expérience de mort imminente), des quelques secondes qui précèdent la mort, des images essentielles de votre vie qui défilent en accéléré dans la tête. Est-ce la proximité de Lourdes, notre course s’acheva miraculeusement sur le toit … vingt-cinq mètres en contrebas. Un moindre mal ! Le voyage au paradis était prématuré, tant mieux car à l’époque il n’y avait pas encore là-haut de capsules Nespresso ! Le bonhomme était solide, juste une coupure à la paume de la main droite et quelques courbatures. Tout cela pour vous dire que les jours qui suivirent, le mort en sursis fut entouré d’une profonde sollicitude et constata que la convivialité des gens du cru n’était pas un vain mot.
Ne ressentez-vous pas le bon et bien vivre qui se dégage de cette promenade sans prétention ? Voulez-vous une autre preuve ? Ce matin, le quotidien régional La Dépêche du Midi relate l’initiative d’un éleveur ariégeois qui comme symbole de résistance à la mondialisation aveugle, vend en face du Mac Donalds de la place du Capitole à Toulouse, des hamburgers made in terroir, de beaux sandwiches ronds de steak haché de bœuf appelés « cadet gascon », sous le label … Mac’ arel !!!

ballonvidegreniersblog.jpg

N.B Les lecteurs peu familiers de la langue d’oc se demandent probablement ce que signifie l’expression patoisante macarel. Et pour cause, elle est quasi intraduisible. Il s’agit d’une interjection populaire qui selon le contexte où elle est employée, exprime la surprise, l’étonnement mais aussi l’énervement voire même la colère.
« Lettres d’un cousin de province », de Marcel Bordenave (Collection Classiques du Rugby, La Table ronde)

Publié dans : Ma Douce France |le 17 janvier, 2011 |1 Commentaire »

Vous pouvez laisser une réponse.

1 Commentaire Commenter.

  1. le 3 février, 2011 à 13:19 encreviolette écrit:

    Petit courrier reçu de la part d’un ami toulousain:
    « Mésaventures d »un normand … pas bien méchantes les mésaventures en question. Ce pays ne sait pas être méchant. Bien sûr Catinou et Jacouti de l’époque seraient dans un drôle d’état en voyant leur pays dans l’état où il est. « Pôôôôvrrrrre monde diraient-ils en choeur
    Mais ton super beau texte est tout à la gloire de ce pays un peu « sauvage et rude » qui vivait humainement.
    Pour ce qui est de Bergougnan (Yves), le requin des Minimes, sache que son père était un ami d’un oncle toulousain à moi, rugbyman du XIII Toulousain.
    Et Raoul Bergougnan-père était professeur aux beaux Arts de Toulouse. Il avait offert à mon oncle un tableau de sa facture de la ferme où mes grands parents étaient métayers à St julia. J’ai ce tableau accroché à St Julia et comme dit mon épouse, quand on parle de Bergougnan (père ou fils) je me déchaîne.
    Merci pour ce texte qui évoque plein de choses très proches de moi. »

    Répondre

Laisser un commentaire

valentin10 |
Pas à la marge.... juste au... |
CLASSE BRANCHEE |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Dysharmonik
| Sous le sapin il y a pleins...
| Métier à ticer