BOURVIL, de mes rires d’enfant à mes larmes de grand!
« Bourvil est le seul comique qui me fasse rire » confiait le général De Gaulle. Ironie de la vie, ils moururent en 1970 à six semaines d’intervalle. Dans ma non charitable jeunesse, je me souviens avoir ressenti beaucoup plus de peine lors du décès de l’artiste. Et avoir beaucoup ri de la Une fameuse d’Hara-Kiri Hebdo, « Bal tragique à Colombey 1 mort », amalgame iconoclaste de la mort du général et de l’incendie d’un dancing en Isère où périrent 146 personnes.
L’impertinence entraîna illico l’interdiction du journal satirique qui renaquit de ses cendres, la semaine suivante , sous le nom en forme de clin d’oeil de Charlie Hebdo. Qui plus est, soyons cynique jusqu’au bout, nous fîmes l’école buissonnière, un jour de deuil national ayant été décrété en la mémoire de la grande figure politique disparue.
Vous avez sans doute compris que je souhaite rendre en cette année du quarantième anniversaire de leur mort, un hommage affectueux à Bourvil, un compatriote normand qui fleurit le printemps de ma vie.
De son vrai nom, André Raimbourg (son cousin germain Lucien Raimbourg joua avec talent de nombreux seconds rôles au cinéma), il naît le 27 juillet 1917 à Prétot-Vicquemare, une petite commune du Pays de Caux, entre Rouen et Dieppe. Son père décédé peu avant à la guerre, il passe son enfance avec sa maman, chez ses grands-parents, à quelques kilomètres de là, dans l’autre petit « trou normand » de Bourville qui lui inspirera plus tard son nom d’artiste.
Lors de mon passage à Bourville, j’ai croisé par hasard un « Bourvil » presque aussi vrai que nature
Enfant de choeur espiègle buvant le vin de messe sous la soutane rouge et le surplis, il est par contre un excellent écolier qui est reçu brillamment premier du canton au Certificat d’études primaires. C’est la preuve flagrante que « c’était du cinéma » lorsque vingt-et-un ans plus tard, il obtient le même diplôme avec moult difficultés à l’âge de trente ans, condition indispensable pour hériter de la fortune et de l’auberge Le trou normand de son oncle.
J’ai déjà évoqué ce temps-là où la télévision n’était pas encore entrée dans le foyer et où nous allions voir en famille le « grand film du samedi soir » au cinéma Le Dauphin à cinquante mètres de ma maison natale, l’école des filles de Forges-les-Eaux. Pour être absolument exact, la salle se trouvait peut-être encore rue de la République, dans l’arrière-cour d’une poissonnerie aujourd’hui disparue. Évidemment, nous ne manquions aucun film de la grande vedette normande.
Je riais de ce grand benêt attardé d’Hippolyte en culottes courtes, le béret vissé sur la tête, fâché avec les dictées, l’Histoire de France et les problèmes de robinets qui fuient. Je l’enviais aussi car lui tournait autour un bien joli brin de fille, celle à l’image de laquelle Dieu (avec la complicité de Roger Vadim) créa la femme, Brigitte Bardot en personne dont c’était le premier film. Sans crainte du ridicule, je ne résiste pas à vous offrir la séquence de la chanson Les enfants fanfan :
Pardonnez-moi, je rigole encore, sans doute plus pour les mêmes raisons. Allez après cela convaincre nos petits-enfants que Brice de Nice est consternant (une opinion qui n’engage que l’auteur de ce billet dont l’intransigeance adulte n’a d’égale que son indulgence enfantine) ! Les pommiers en fleurs, une vache avec sa robe blanche et ses taches bringées paissant dans un pré, dans mon « trou normand » du Pays de Bray, je fus un de ces gamins en culottes courtes et blouse grise, la casquette pour me protéger du chaud soleil made in Normandie (!), sautillant et radieux d’entonner ce refrain « pipi caca » ! La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ou quand on découvre une valeur documentaire à un navet … !
Le rosier de Madame Husson, bien qu’adapté d’une nouvelle de Maupassant, constitue un autre nanar d’anthologie. Excusez ma mémoire qui flanche, je ne suis pas tout à fait persuadé de l’avoir vu en salle à l’époque ; en effet, les parents veillaient alors encore à la bonne moralité de leurs chères têtes blondes. Une rosière était une jeune fille qui recevait une couronne de roses en récompense de sa grande vertu. Dans la farce paysanne de Maupassant, Madame Husson, pour effectuer son choix, demande à sa servante Françoise de recueillir tous les potins, histoires et soupçons circulant dans la petite ville de Gisors. Ainsi celle-ci consigne scrupuleusement sur son livre de cuisine au milieu de la liste des courses, des remarques comme : « Rosalie Vatinel qu’a été rencontrée dans le bois Riboudet avec Césaire Piénoir par Mme Onésime repasseuse, le vingt juillet à la brune ». Vous imaginez bien que dans ces conditions, aucune jeune fille ne sort intacte de cette enquête. Les dames patronnesses de Gisors n’ayant pas trouvé de jouvencelle digne de recevoir le prix le décernent à Isidore, l’idiot du village, qui bientôt part s’encanailler à Paris. Dans le film, Bourvil interprètait le rôle du « rosier » encore puceau au risque que son ego en souffrît. En effet, le réalisateur Jean Boyer, précurseur de la Nouvelle Vague sans le savoir, souhaita tourner sans répétition préalable la scène du défilé du rosier en plein jour de marché à Le Neubourg (comme diraient les Nuls !) dans l’Eure. La population non prévenue, se pressait sur le passage de l’artiste en le saluant ou lui tendant la main avec respect et affection. Bourvil leur répondait avec un air si nigaud que lui colla vite à la ville la même réputation d’imbécile heureux qu’à l’écran ! « C’est dur » comme plus tard il confia meurtri dans une interview. Il ne connaîtrait plus pareil désagrément aujourd’hui car le public est mieux informé grâce aux nombreuses chaînes de télévision, à internet et aux making of inclus dans les dévédés. Pour l’anecdote, sachez que Fernandel avait déjà été lui-même rosier dans une adaptation de 1932, casting cocasse pour une farce normande tournée en la circonstance … à Valenciennes !
https://www.dailymotion.com/video/x83aph
Le trou normand est, à l’origine, un petit verre de calvados servi entre deux plats, censé faciliter la digestion et redonner de l’appétit aux convives lors des repas de fêtes et banquets. Le pauvre Isidore Bourvil a dû s’en jeter quelques uns derrière la cravate pour se retrouver dans pareil état. « Tiens, voilà de l’eau ! » Un demi siècle plus tard, je souris encore de sa remarque quand il aperçoit la rivière et je ne parviens toujours pas à démêler dans son galimatias la prononciation exacte de : « Rosier oui, complexe d’infériorité non ! ».
Cela ne vous rappelle rien ? Mais oui bien sûr : « L’alcool non, mais l’eau ferru, l’eau ferru l’eau ferrugineuse oui ! » La même construction de phrase, la même scansion, ce n’est pas un hasard, le célèbre sketch de la causerie du délégué de la ligue anti-alcoolique fut créé la même année que la sortie du film Le rosier de Madame Husson.
« Et pourquoi y a-t-il du fer dans l’alcool ? Euh, dans l’eau ferru ferrugineuse, hum? Parce que le fer à repasser, heu, pas le fer,… l’eau, disais-je, l’eau, c’est parce que l’eau a passé et a repassé sur le fer, et le fer a dissout. Il a dissout le fer. Et le fer a dix sous, c’est pas cher Hoc hein ? » Je suis ferré sur la question et pour cause. En effet, d’une part, nous étions encore sous la IVème République, « le grand Charlot » n’était donc pas encore de retour ; effaré par les ravages de l’alcoolisme, le Président du Conseil Pierre Mendès-France institua la distribution de verres de lait aux enfants des écoles maternelles et primaires. Ainsi, à la sortie de la classe à 16 heures 30, je me rendais avec mes camarades sous la halle au beurre pour boire mon bon bol de « lolo » fraîchement tiré du pis de la vache.
D’autre part, ferro et aqua, par le fer et par l’eau, constitue la devise de Forges-les-Eaux, ma ville natale. Son sol riche en fer donna naissance à des forges dès l’époque gallo-romaine. À l’épuisement des gisements, succéda l’exploitation des sources ferrugineuses à des fins thérapeutiques. Ainsi, au XVIème siècle, Forges devint une station thermale renommée qui draina la Cour royale. En 1633, Le roi Louis XIII y séjourna en cure avec Anne d’Autriche et le cardinal Richelieu. La nièce du roi, Anne Marie Louise d’Orléans dite La Grande Mademoiselle, duchesse de Montpensier, y effectua de nombreuses visites pour soigner ses maux de gorge entre 1656 et 1681. Plus récemment, dans les années 1950-60, votre serviteur ne manquait jamais lors de ses promenades dans le bois de l’Épinay, de tremper ses lèvres à l’eau au goût de rouille de la petite source de la Chevrette, mais cela vous ne le verrez jamais mentionné dans les thèses d’Histoire. Je me souviens d’un slogan en vigueur pour relancer le thermalisme: Forges-les-Eaux forge les os !
« Alors que le ver solitaire (ou le verre solitaire ?), heu, non, pas le ver solitaire, heu, heu, le, heu, le fer est salutaire. D’ailleurs ne dit-on pas : une santé de fer ? hum ? Un homme de fer ? hum ? Un ch’min de fer ? hum ? Un mammifère ? … »
Je trépignais de plaisir quand tout gamin, mes parents m’annoncèrent que j’allais bientôt voir en chair et en os ce monsieur un peu ahuri qui me faisait tordre de rire. En effet, nous nous rendîmes au théâtre de l’ABC à Paris pour assister à l’opérette La Route fleurie avec Georges Guétary, Annie Cordy et bien sûr Bourvil. Eh oui, j’y fus ! Je sens que vous en bavez des ronds de chapeau … ou plutôt de béret !
« Prenons la route fleurie
Qui conduit vers le bonheur !
Suivons-la toute la vie,
Main dans la main,
Cœur contre cœur…
Avec vous, petite amie
Le chemin sera trop court
Car c’est vous que j’ai choisie
Pour me conduire au grand amour…
…Suivons la route fleurie
Suivons-là toute la vie !
Le cœur en joie,
Vous et moi ! »
Mes souvenirs sont bien vagues mais mon cœur devait être en joie et mes mirettes grosses comme des billes de voir ces artistes chanter dans de magnifiques décors. Allez, je ne crains toujours pas le ridicule, je vous offre avec Bourvil une tournée de fayots :
« Alors que tout repose encore
Dès le premier cocorico
Ah qu’il est doux quand vient l’aurore
De voir semer les haricots
Et puis un jour sortant de terre
Et se dressant toujours plus haut
Vers le soleil, vers la lumière
On voit pousser les haricots… »
C’est presque L’Angélus de Millet en chanson ! Ils sont trop grandioses ces haricots, je vous en ressers une ration :
« Plus tard les paysans de France
S’agenouillant, courbant le dos
Ont l’air de faire révérence
Pour mieux cueillir les haricots
Mais ces courbettes hypocrites
Précèdent la main du bourreau
Qui les jetant dans la marmite
Met à bouillir les haricots
Et lorsque vient leur dernière heure
On les sert autour d’un gigot
Et chaque fois mon âme pleure
Car c’est la fin des haricots »
Oui, je pleure … de rire, tant pis si ce ne sont pas des haricots tarbais ! (voir billet C’est pas la fin des haricots tarbais du 8 octobre 2009)
Acte 2, imaginez maintenant Bourvil en chemise hawaïenne se trémoussant de sa manière gauche qui n’appartient qu’à lui :
« Lorsque j’étais matelot
Quand je voguais sur les flots
Un peu dans tous les pays
Quand l’amour m’a souri
L’aventure a suivi
À Mama à dada à gaga à scasca
Ce fut à Madagascar par hasard
Une brune aux dents d’ivoire...
Allez, j’ose, vous en redemandez encore comme le public d’alors réclamait à Annie Cordy et Bourvil de recommencer plusieurs fois le fameux Da Ga Da … à vous ? Tsoin Tsoin, vous voyez que vous vous prenez au jeu:
« ...Ma petite folie, ma passion, mon béguin
C’est pas un homme, c’est ce refrain
Da ga da ga da gada tsoin tsoin
Cet air qui me suit dans les coins
Da ga da ga dagada tsoin tsoin
Me tient comme un rhume des foins... »
Mes parents et moi revîmes Bourvil, cette fois rien que nous, dans une pâtisserie de Rouen où il achetait des petits gâteaux que la vendeuse pliait bien comme il faut dans un joli papier blanc entouré d’un petit ruban. Ce n’était pas rue du Croissant mais rue des Carmes. C’est l’occasion de rappeler que s’ennuyant en pension à l’école primaire supérieure de Doudeville, « l’époque la plus triste de sa vie où il portait un uniforme et marchait en rangs (!) », il fut placé comme apprenti boulanger à Saint-Laurent-en-Caux où il croisait quotidiennement Jeanne qui deviendra son épouse jusqu’à sa mort. « Je voyais ma mie tout en gagnant ma croûte ». Quant à la municipalité de Doudeville, pas rancunière, elle a baptisé le collège du nom d’André Raimbourg dit Bourvil.
http://www.ina.fr/video/I05196758
C’est un extrait de Le roi Pandore dans lequel Bourvil offre une certaine idée d’une gendarmerie de province sans jumelles pour radars, ni pistolets à impulsion électrique taser ! Je souris toujours du jeu de jambes inénarrable de l’acteur, une espèce de cocktail d’un boxeur esquivant les coups, d’un musicien de fanfare ne parvenant pas à marcher en cadence, et d’un joueur de football s’auto-crochetant un pied pour simuler un fauchage dans la surface de réparation.
Pour clore le chapitre des nanars, je ne saurais oublier La cuisine au beurre où Bourvil se retrouve aux fourneaux avec Fernandel. La seconde guerre mondiale n’est pas si lointaine, après quelques années passées en captivité puis avec une walkyrie autrichienne, Fernand Jouvin alias Fernandel, revient dans son restaurant à Martigues. Malheureusement, sa femme Christiane, le croyant mort, s’est remariée avec son chef cuisinier André alias Bourvil qui a transformé la gargote en une table réputée. En ce début des années 1960, la France entière se passionne sur le petit écran pour l’émission Intervilles. Dans le film, l’argument gastronomique sert à mettre en valeur les deux plus grands comiques du cinéma de l’époque et aiguiser la fibre cocardière entre deux régions à grands coups de stéréotypes, la truculence et la nonchalance méditerranéennes face à la ténacité et l’ingénuité normandes, la bouillabaisse contre la sole normande, c’est d’ailleurs ainsi que s’appelle le restaurant, sacrilège au pays de Pagnol. D’après le livre de souvenirs du cinéaste Gilles Grangier, cette cuisine au beurre ne baigna pas dans l’huile d’olive. Les relations entre les deux vedettes furent assez orageuses et au bout de quinze jours de tournage, Fernandel menaça le réalisateur : « Ecoute, ce n’est pas ta faute, mais je ne peux pas continuer à tourner cette connerie, ce n’est pas possible. » Cela dit, le film fit la cinquième recette mondiale de l’année.
Énumérer ces navets et nouilleries qui lui rapportèrent au demeurant pas mal d’oseille, ne dénigre en aucune façon l’immense acteur. Au contraire même, grâce à son grand talent, Bourvil s’en tirait toujours avec les honneurs et sauva du naufrage nombre de ces comédies indigestes. Nul mieux que lui n’a joué les idiots avec autant de finesse.
Et puis quand j’étais môme, je ne comprenais pas comment ce monsieur si gentil et si drôle ait pu devenir l’ignoble Thénardier dans Les Misérables.
Même le grand écrivain Marcel Aymé ne voulait pas entendre parler de Bourvil pour jouer le rôle principal dans l’adaptation de sa nouvelle La Traversée de Paris. Il le jugeait tout juste digne de monter sur les tréteaux d’une salle de patronage de Normandie, comme quoi les réputations ont la vie dure même chez les intellectuels. Heureusement, le réalisateur Claude Autant-Lara tint bon et notre chauffeur de taxi au chômage reconverti dans la livraison d’un cochon dans des valises remporta la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise 1956. La même année, un autre normand se distinguait en Italie, le jeune cycliste Jacques Anquetil battant le record de l’heure mythique de Fausto Coppi sur la piste du Vigorelli. Je ne résiste pas à mettre à bicyclette les deux vedettes normandes dans un duo improbable :
« Est-ce que vous êtes coureur ?
- Non j’ne suis pas coureur.
- Ah ! c’que vous êtes menteur !
- Moi, je suis balayeur.
- Avez-vous fait le tour ?
- Tour de France Non mais j’ai fait des tours Des détours des contours Et même d’autres tours…
« Des tours de quoi ? », qu’em’dit.
- Des tours d’vélo pardi !
- Vous êtes un blagueur. Ah ! c’que vous êtes coureur ! … »
Grand éclat de rire, c’était mon inévitable allusion vélocipédique. Rassurez-vous, je ne vais pas faire long sur Les Cracks, pourtant un petit bijou de comédie burlesque au temps du cyclisme d’arrière grand-papa, dans laquelle Bourvil, les moustaches en guidon de vélo retourné, participe à l’épreuve Paris-San Remo. La bécane de l’acteur est conservée comme relique à la chapelle Notre-Dame des cyclistes à Labastide d’Armagnac dans les Landes. C’est durant ce tournage que Bourvil apprit qu’il était atteint de la maladie de Kahler qui l’emporta trois ans plus tard.
Je vous épargne, car tel n’est pas mon propos, la riche filmographie de l’artiste « connu de tous sans pour autant être une star » comme l’écrit avec justesse Dany Boon en préface d’un ouvrage récemment sorti à l’occasion du quarantième anniversaire. Je ne vous ferai pas l’injure d’évoquer La grande vadrouille et Le Corniaud, immenses succès commerciaux qui, presque un demi siècle après leur sortie, continuent d’exploser l’audimat à chacune de leur diffusion télévisée. À l’époque, comme la France était divisée entre Anquetiliens et Poulidoristes, il y avait les pro Bourvil et les pro De Funès. Vous devinez dans quels camps je me rangeais.
Décors fastueux, costumes clinquants, galopades, entrecroisement de fers, bottes secrètes, tous les mômes de ma génération adorèrent les films de cape et d’épée, un genre qui connaissait alors ses plus grandes heures de gloire. Bourvil y brille et trouve un nouvel emploi de valet souvent gaffeur et poltron (on ne chasse pas le naturel comme ça !) : Planchet au service de D’Artagnan dans Les Trois Mousquetaires, Passepoil fidèle au chevalier Lagardère et sa fameuse botte de Nevers dans Le Bossu interprété par Jean Marais, Cogolin ami et confident du même Jean Marais, l’année suivante, dans Le Capitan.
À mon adolescence, je fus plus à même de mesurer la vaste palette du jeu de l’acteur dans des œuvres moins faciles. Sans que cela constitue une sélection, me viennent à l’esprit Les culottes rouges qui, quoi que puisse laisser craindre le titre, n’a rien d’une pantalonnade, Un drôle de paroissien qui pille les troncs des églises, Le miroir à deux faces où Bourvil campe le mari pitoyable de Michèle Morgan, ou Les bonnes causes avec la lumineuse Marina Vlady dans lequel il entre à contre-emploi dans la peau d’un juge d’instruction, ou encore Les grandes gueules aux côtés de Lino Ventura.
Cependant, j’ai une affection particulière pour Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, inconsciemment peut-être parce que Bourvil effectue là sa dernière apparition au cinéma. Ce magnifique polar commence par une citation de Krishna : « Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
Bourvil dont le visage porte les stigmates de la maladie, apparaît au générique pour la première fois avec son prénom André. Auprès d’Yves Montand, Alain Delon et Gian Maria Volonte, il interprète magistralement un commissaire froid, calculateur et sans pitié. À chaque nouveau visionnement de ce chef-d’œuvre, je trouve Bourvil de plus en plus inquiétant et poignant.
En forme d’hommage, la dernière scène et le dernier plan tournés lui furent réservés. L’équipe technique du film laissa tourner le matériel d’enregistrement bien après que Melville eût lâché le coupez ! définitif. Bourvil abandonna alors son masque de commissaire Mattéi et se laissa aller à une improvisation de La tactique du gendarme, conclue par un immense éclat de rire. Le clown effectuait un de ses derniers tours de piste. Le film sortit peu après sa mort comme d’ailleurs Le mur de l’Atlantique qui est son ultime tournage.
Je garde en mémoire une interview de Brassens parlant de Bourvil en connaissance de cause puisqu’ils se fréquentèrent en voisins du temps où l’ami Georges vécut dans son moulin de Crespières dans les Yvelines (voir billet Georges Brassens à Crespières du 29 octobre 2008). Bourvil n’était pas un « copain d’abord » du premier cercle mais il offrait parfois les services de son employée de maison pour aider Puppchen, la « non demandée en mariage » à nourrir « la cour du roi Geo » ou encore dispensait quelques conseils pour l’achat d’une tondeuse ou d’un tracteur. Au cours de l’entretien, bien loin de l’image de niais renvoyée aux habitants crédules du Neubourg, Brassens qualifiait Bourvil d’honnête homme au sens originel du XVIIe siècle, possédant une culture générale étendue et le guidant même parfois dans ses choix de lectures.
« Ell’ n’avait pas de parents,
Puisque elle était orpheline.
Comm’ ell’ n’avait pas d’argent,
Ce n’était pas un’ richissime.
Ell’ eut c’pendant des parents,
Mais ils ne l’avaient pas r’connue,
Si bien que la pauvr’ enfant,
On la surnomma l’inconnue.
Ell’ vendait des cart’ postales,
Puis aussi des crayons… »
C’est bien sûr par provocation que je vous inflige malicieusement derrière les propos élogieux du poète moustachu, ce petit chef-d’œuvre de ringardise truffé de pléonasmes à la lecture duquel un grand sourire éclaire votre mine … de crayon !
Brassens qui avait un faible en privé pour les chansons paillardes et de comique troupier, avouait qu’il écoutait et fredonnait très fréquemment :
« Au temps, au bon temps
Des rois fainéants,
Ti qui tic qui tic !
Les jours et les nuits
Se passaient au lit
Ti qui tic qui tic !
Traînés par des bœufs
Dans un char moelleux,
On faisait Paris-Orléans
En trois ans, tout en taquinant
Les belles pucell’s en passant... »
Et même derrière l’interprétation de ces couplets faciles, Brassens décelait chez Bourvil une belle voix persuasive qui l’attendrissait.
« On peut vivre sans richesse,
Presque sans le sou.
Des seigneurs et des princesses,
Y en a plus beaucoup.
Mais vivre sans tendresse, on ne le pourrait pas.
Non, non, non, non: on ne le pourrait pas.
On peut vivre sans la gloire
Qui ne prouve rien.
Être inconnu dans l’histoire
Et s’en trouver bien.
Mais vivre sans tendresse, il n’en est pas question.
Non, non, non, non: il n’en est pas question... »
À bien l’observer, Bourvil débordait d’une tendresse qui affleurait à un moment ou un autre dans tous ses rôles et chansons. Pour clore mon hommage au chanteur, je vous offre un véritable petit chef-d’œuvre de clip :
Une merveille de chanson que je ne peux écouter sans qu’inévitablement, une larme discrète ourle ma paupière … et chez d’autres aussi, rappelez-vous cher lecteur mon billet du 26 mai 2009 Week-end Rital avec Cavanna.
Un bain de nostalgie tendre et poétique magistralement mis en images par le réalisateur Philippe Découflé qui s’y met en scène avec une jeune femme qui a beaucoup travaillé par ailleurs sur le langage des signes. Très vite, bien au-delà d’un simple court métrage pour malentendants, on se rend compte que les deux jeunes gens jonglent avec les mots et les signes, contant une autre histoire que celle chantée par Bourvil. Ainsi le p’tit bal perdu est une balle perdue tombant du ciel, le souvenir de son nom devient un hochement négatif de la tête, il s’appelait pelles, lait et combiné téléphonique, et « ça pelait » même dans le dernier refrain.
C’est toujours un instant d’émotion quand le clip surgit en générique de l’excellente émission Des mots de minuit sur France 2. Petite digression en forme de coup de gueule, savez-vous que le talk-show Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéi en seconde partie de soirée sur France 3, est sérieusement menacé pour audimat insuffisant ? Qu’à cela ne tienne, on fera appel à Dechavanne ou Cauet, ça c’est de la culture !
Allez, ça fait du bien de se souvenir avec Bourvil. Je vous offre une autre version « virtuelle » du petit bal perdu. Avec Bourvil et Elsa, le conflit des générations n’existe plus.
« Ce dont je me souviens, c’est qu’on était heureux » avec vous cher André Raimbourg dit Bourvil. À travers votre carrière, une certaine France remonte à la surface, ma douce France, celle de mon enfance heureuse et insouciante comme le couple du p’tit bal. Comme c’était bien !
Il m’arrive encore parfois, lors de balades aux alentours de chez moi, de pousser la grille du petit cimetière de Montainville pour me recueillir sur votre tombe entre rires et larmes. Deux petites vaches en miniature, quoique plutôt de race Holstein, paissent sur la pierre, rappelant notre Normandie natale. Lors d’une prochaine visite, je vous raconterai cette anecdote qui m’a été rapportée par une « tite Normande ». Il y a quelques semaines, en votre mémoire, un pâtissier du pays de Caux a créé un gâteau en forme de béret, à la pomme saupoudré de chocolat. Malencontreusement, une erreur de dosage dans les colorants de fruits (une salade pas jolie, jolie, en somme!) a fait que les notables conviés à la dégustation se sont retrouvés avec la bouche toute noire. Je vous imagine vous esclaffant !
PS. Une lectrice normande m’a adressé la photographie du « béret de Bourvil », le gâteau au chocolat imaginé par un pâtissier d’Yvetot. Je l’en remercie vivement.
Depuis l’écriture de ce billet, je suis passé par Bourville, le minuscule village du Pays de Caux où Bourvil passa son enfance.
Près de l’école, un mur lui est dédié. J’y ai relevé quelques mots écrits par le cinéaste Yves Robert, un autre monsieur qui fut une belle rencontre de ma vie. Ses mots sont si justes que j’ai souhaité vous les faire partager.
« La vraie raison de ma participation à « La Jument Verte », ça a été Bourvil.
Je désirais, je voulais connaître, côtoyer cet homme là : André Bourvil, ne me paraissait pas comme les hommes de ce métier, mais surtout pas comme les autres.
Ce gars de la campagne devenu une vedette, ce qui d’ailleurs le faisait bien rire, ce gars de la campagne était de mon bord.
Entre autodidactes on se répète et se retrouve, l’homme imaginé par moi est devenu réel, et c’était encore plus beau que je n’avais cru.
Votre père était un homme rare fait de vraie générosité, de vraie amitié, de vraie tendresse.
Ce grand homme fort était bouleversant de vie, de vie si simple, de droiture, de franchise et surtout de pureté.
André Bourvil reste pour moi une des vraies personnes que j’ai rencontrées dans ma vie. »
