Archive pour décembre, 2010

Tant crie-t-on Joyeux Noël qu’il vient

Tant crie-t-on Joyeux Noël qu'il vient dans Almanach noelblog

Charlie-Hebdo du 22 décembre 2010

Ballade des proverbes
Tant gratte chèvre que mal gît,
Tant va le pot à l’eau qu’il brise,
Tant chauffe-on le fer qu’il rougit,
Tant le maille-on qu’il se débrise,
Tant vaut l’homme comme on le prise,
Tant s’élogne-il qu’il n’en souvient,
Tant mauvais est qu’on le déprise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Tant parle-on qu’on se contredit,
Tant vaut bon bruit que grâce acquise,
Tant promet-on qu’on s’en dédit,
Tant prie-on que chose est acquise,
Tant plus est chère et plus est quise,
Tant la quiert-on qu’on y parvient,
Tant plus commune et moins requise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Tant aime-on chien qu’on le nourrit,
Tant court chanson qu’elle est apprise,
Tant garde-on fruit qu’il se pourrit,
Tant bat-on place qu’elle est prise,
Tant tarde-on que faut l’entreprise,
Tant se hâte-on que mal advient,
Tant embrasse-on que chet la prise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Tant raille-on que plus on n’en rit,
Tant dépent-on qu’on n’a chemise,
Tant est-on franc que tout y frit,
Tant vaut « Tiens ! » que chose promise,
Tant aime-on Dieu qu’on fuit l’Eglise,
Tant donne-on qu’emprunter convient,
Tant tourne vent qu’il chet en bise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

Prince, tant vit fol qu’il s’avise,
Tant va-il qu’après il revient,
Tant le mate-on qu’il se ravise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.

François Villon

« il chet », du verbe « cheoir » = tomber

De François Villon à Wilileaks, qu’on le veuille ou non, Noël vient ! Tombé en disgrâce auprès de Charles d’Orléans, le grand poète écrivit en 1458 la Ballade des proverbes ainsi que sa Ballade des menus propos dans l’espoir de regagner ses faveurs. Vainement !
Puisque vous me lisez, je garde vos faveurs ! Mon menu propos de ce jour particulier n’a pour but que de teinter d’humour et de poésie mes souhaits de joyeux Noël !

Publié dans:Almanach |on 25 décembre, 2010 |1 Commentaire »

Un mois chez Charlie-Hebdo

 À Florent qui aurait aimé lire ce billet

Lecteurs fidèles, je vous promets depuis longtemps de vous conter les quelques semaines joyeuses que j’eus le bonheur de partager avec l’équipe du journal satirique Charlie-Hebdo. C’était en 1980, cela fait donc trente ans, une date anniversaire propice pour évoquer enfin cette folle aventure. Nous étions une dizaine de professeurs venus des quatre coins de l’hexagone (!), jeunes majoritairement, beaux minoritairement et insouciants unanimement, en stage de formation aux moyens audiovisuels à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud. Et dans le cadre d’un atelier d’apprentissage à la vidéo, nous devions réaliser un documentaire en guise de travaux pratiques de fin d ‘année. Certains d’entre nous trouvant là l’aubaine de nous écarter de sentiers pédagogiques battus et rebattus, proposâmes donc d’aller à la rencontre de la célèbre bande de trublions iconoclastes. Bien qu’à leur tête sévit également un professeur du nom de Choron, l’argument apparut fallacieux aux yeux de certaines têtes bien pensantes de l’Éducation nationale. Qu’à cela ne tienne, décidés à leur faire avaler quelques couleuvres, nous mîmes en exergue tout l’intérêt que représentait l’observation d’un organe de presse de sa création à sa distribution. Ce n’étaient pas des inspecteurs pisse-vinaigre qui briseraient notre rêve.
Car c’était un rêve d’être payé en tant qu’enseignant pour tourner un film sur l’hebdomadaire libertaire et ses journalistes provocateurs qui ne cessaient de gueuler depuis plus de dix ans leurs convictions antimilitaristes, anticléricales, féministes et écologiques dans une époque soumise à l’ordre, à la censure et au conformisme. Un rêve comme le fut bien sûr à une toute autre échelle, l’épopée journalistique décrite par Cavanna : « Nous vivions bien à plein notre aventure, plongés corps et tripes dans ce défi, dans ce pari d’ivrognes : faire un journal, un vrai, pas un fanzine de collégiens, sans un rond, et le sortir à l’heure précise, nous qui étions une demi-douzaine d’arsouilles sans la moindre formation de journaliste, mais tous mordus au ventre par l’ambition de faire quelque chose de très beau, de très intelligent, de très dur, pour leur faire voir à tous ces cons. »
Hasard étrange de mes billets, j’ai évoqué la célèbre Une qui signa l’arrêt de mort de Hara-Kiri Hebdo dans mon hommage à Bourvil (voir article du 8 décembre 2010). Je reprends ici la citation en ouverture du film Le Cercle rouge qui sortit quelques semaines après la mort de l’acteur : « Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge ». Choron et Cavanna sont les deux hommes grâce à qui Charlie Hebdo a pu exister. Rien n’aurait été possible si leurs routes ne s’étaient pas croisées au milieu des années cinquante et ne les avaient réunis dans un cercle particulier, un Zéro du nom d’un journal de dessins et poèmes où le premier était colporteur et le second rédacteur en chef.
Ils avaient vécu déjà beaucoup de choses avant leur rencontre. Comme il le décrit de manière très lapidaire dans sa biographie, Vous me croirez si vous voulez, avant d’être Choron, Georges Bernier, fils d’une mère garde-barrière d’un modeste village d’Argonne, fut enfant de chœur, chanta à l ‘école Maréchal nous voilà, battit le beurre et fabriqua des camemberts en Lorraine, effectua un véritable tour de France exerçant divers boulots, trafiquant, monte-en-l’air, menuisier à Roanne, plâtrier à Brest, à Mulhouse et à Toulouse, pour finir par s’engager pour l’Indochine où il mangea du foie d’homme ! Il contracta aussi cinq fois une blennorragie à cause de la fréquentation des maisons closes de Saigon et Hanoi. Enfin, après avoir obtenu son brevet de parachutiste et qu’on lui ait détecté une tuberculose pulmonaire, il se retrouva à l’hôpital de Vannes. Bref, tout cela marque un homme !
Pour découvrir la jeunesse de François Cavanna, fils de maçon émigré italien et de paysanne nivernaise mieux vaut vous recommander de lire ses deux magnifiques livres Les Ritals et Les Russkofs et … plus modestement, mon billet du 26 mai 2009 Week-end Rital avec Cavanna. Et puisque j’en suis aux suggestions de lectures, vous saurez tout ou presque de la grande aventure journalistique en lisant Bête, méchant et hebdomadaire, une histoire de Charlie Hebdo (1969-1982) éditions Buchet Chastel, issu d’une thèse de Stéphane Mazurier, agrégé d’Histoire, disponible dans son intégralité à la bibliothèque de l’École Normale Supérieure de Lyon. Reconnaissance et preuve a posteriori que notre projet de film pouvait fort bien s’inscrire dans une démarche pédagogique, n’en déplaise à quelques cerveaux étroits ou culs serrés de l’Éducation nationale de l’époque.

Un mois chez Charlie-Hebdo dans Coups de coeur btemchanthebdomadaireblog

Je vous parle en effet d’un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Et si, à travers beaucoup de mes billets, je me complais à évoquer une jeunesse insouciante, je ne saurais taire cependant cette période épouvantable pour la liberté d’expression. J’exagère ? Tandis qu’aujourd’hui on débat sur la burqua, sachez que Noëlle Noblecourt, une speakerine de l’unique chaîne de télévision, fut virée en 1964 parce qu’elle s’était présentée à l’écran avec une jupe laissant apparaître ses genoux ! Vérifiez sur Google, vous verrez que je ne vous raconte pas d’histoires. C’était l’époque de tata Yvonne à l’Élysée, l’épouse du général de Gaulle. Ah ce bébé en celluloïd passé au hachoir… l’émission Les raisins verts de Jean-Christophe Averty, avant-gardiste par l’usage généralisé des trucages électroniques vidéo, connut quelques désagréments à cause de son humour noir directement inspiré du mensuel Hara-Kiri. Et je ne vous parle pas de Raymond la matraque, le méchant monsieur Marcellin qui succéda comme ministre de l’Intérieur à Christian Fouchet suite aux événements de mai 68. De Gaulle salua son arrivée par « enfin Fouché, le vrai » en référence au ministre de la police très autoritaire de Napoléon Bonaparte. Ironie du sort, en mai 2000, on retrouva à son domicile parisien bâillonné par le gang des saucissonneurs celui qui voulut rendre muet L’Hebdo Hara-Kiri en « l’interdisant de vente aux mineurs de moins de dix-huit ans et d’exposition et de publicité par voie d’affiches (Journal Officiel du 15 novembre 1970)..
« Assez d’être traités en enfants arriérés ou en petits vieux vicieux ! Assez de niaiseries, assez d’érotisme par procuration, assez de ragots de garçon coiffeur, assez de sadisme pour pantouflards, assez de snobisme pour gardeuses de vaches, assez de cancans d’alcôve pour crétins masturbateurs, assez, assez ! Secouons-nous, bon Dieu ! Crachons dans le strip-tease à la camomille, tirons sur la nappe et envoyons promener le brouet fadasse. Du jeune, crénom ! Du vrai jeune ! Au diable les « nouvelles vagues » pour fils à papa, les « new look » aussi éculés que ceux qu’ils prétendent chasser ! Hara-Kiri ! Hara-Kiri ! Vivent les colporteurs, marquise, et vive leurs joyeux bouquins ! Nous sommes les petits gars qui veulent leur place au soleil. NOUS NE SOMMES À PERSONNE ET PERSONNE NE NOUS A. » C’est ainsi que Cavanna harangue ses lecteurs dans le premier numéro de Hara-Kiri distribué par colportage en septembre 1960. Je vous préviens, vous n’avez pas fini de lire que tout, y compris Charlie Hebdo, vient de Hara-Kiri. Comprenez que encore boutonneux, nous délaissions Spirou, Fantasio, le marsupilami et Gaston Lagaffe. Et en février 1969, Hara-Kiri crée, sans supprimer le mensuel, un hebdomadaire. Cavanna ose affirmer dans un de ses romans : « On a inventé le journalisme, il en avait bien besoin ». Hara-Kiri Hebdo puis Charlie Hebdo collent à l’actualité. Sylvie Caster écrit joliment et justement à propos de l’équipe : « Je ne les considérais pas comme des journalistes. Pour moi, c’étaient des artistes ». Ce sont des dessinateurs ou des écrivains qui renouvellent les langages graphique et textuel en analysant l’actualité avec un humour féroce qu’ils revendiquent bête et méchant. Vous ne trouverez aucun autre journal qui ait compté dans ses rangs autant d’auteurs d’albums, de romans, d’essais et de nouvelles. Comme bafouille Choron dans un extrait vidéo que je vous présenterai plus loin, s’il faut croire que Céline se faisait chier (sic) pour écrire ses textes comme ça, il faut savoir aussi qu’à Hara Kiri et Charlie, ils en bavaient et bossaient dur pour ciseler des merveilles de textes. C’était parfois presque du nouveau roman ! Tiens, savourez celui-ci In memoriam de Gaulle tiré des Lundis de Delfeil de Ton dans le fameux dernier numéro de L’Hebdo Hara-Kiri du 16 novembre 1970 :
« Charles de Gaulle, c’était la France faite homme. Pour nos photos du mensuel, on avait besoin d’un président de la République, il suffisait de lui téléphoner, un quart d’heure après il était là. On avait besoin d’une Alsacienne, il suffisait de lui mettre un ruban dans les cheveux. Une cigogne, il se mettait sur une patte. Une souris, il se faisait tout petit. Jeanne d’Arc, il nous disait : « je ne peux pas, messieurs » et il se mettait à nous raconter comment il avait perdu son pucelage au bordel, chez les artilleurs de Metz. Quand il commençait à raconter ses souvenirs de régiment, il était intarissable. Nous lui disions toujours : « Tu devrais écrire tes mémoires, tu racontes bien ». Finalement, il les a écrit, ses mémoires. Allez savoir pourquoi, il n’y raconte pas ses souvenirs de régiment … Il paraît qu’il avait été un héros dans la Résistance. Puis, en 45, en pleine force de l’âge, il s’était retiré à la campagne. Il était revenu s’installer à Paris en 58. On l’avait connu dans un bistrot de la rue Choron. Il nous disait toujours –vous devriez faire un journal rigolo, les gars, les calembours du Canard enchaîné, c’est vraiment trop triste- C’est comme ça qu’en 60 Hara-Kiri est né, grâce à Charles de Gaulle en partie … Certains, chez Pierre, au tabac, disent qu’il vivait de la politique. Charles de Gaulle était bien au-dessus de la politique. Il portait un drôle de chapeau, avec une visière pour se protéger du soleil paraît-il, mais il le portait par tous les temps. Il était aimé partout. Surtout à l’étranger. Certains vont lui envoyer des fleurs. Nous, on préfère boire un coup à sa santé. C’est pas tous les jours qu’on perd un copain pareil. »
Et toutes les chroniques de Cavanna Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu mais j’en ai entendu causer en guise d’éditorial en page 3, quel régal ! Je vous en ressers ici un extrait qui date de 1972 ; ce pourrait être sans en changer une ligne, un élément de programme d’un candidat aux prochaines élections présidentielles de 2012 : « On essaie -mollement- de nous exciter sur une Europe dont on ne sait pas trop ce qu’on veut en faire, dont elle-même ne sait pas ce qu’elle sera, ni même seulement si elle veut être. Une seconde patrie ? Une super patrie ? Au-dessus des patries ? Une patrie des patries ? On laisse ça dans le flou. Parce qu’au fond, tout le monde s’en fout. On veut nous persuader, sans conviction, que l’Europe est un grand devenir qui se fait, l’étape prochaine de quelque chose de majestueux, quelque chose d’inéluctable et d’optimiste à quoi on s’opposerait en vain parce que c’est le progrès, le sens de l’histoire, la marche irrésistible vers la lumière … Mouais. »
Et les croquis, véritables enquêtes d’investigation de Cabu, et les dessins féroces de Reiser, et les chroniques de Pierre Fournier, élevé dans la montagne savoyarde par des parents instituteurs et végétariens, qui sous son personnage de grand reporter baptisé Jean Neyrien Nafoutre de Séquonlat, est le premier à hurler contre tous les pollueurs, des pétroliers du Torrey Canyon aux chimistes et l’usage d’insecticides dans l’agroalimentaire, des bétonneurs aux promoteurs du 100% nucléaire. Il crée même en 1972 La Gueule ouverte, mensuel écologiste sous-titré « le journal qui annonce la fin du monde ». Y collaborent Gébé, l’auteur de L’An 01 dont le credo est « On arrête tout. On réfléchit. Et c’est pas triste… », Willem et Reiser qui y signe une rubrique de l’énergie solaire beaucoup plus documentée que les propos d’un pingouin d’ex ministre sur la banquise. Que du bonheur !
Chaque semaine, nous attendions fébrilement de découvrir en kiosque la nouvelle Une provocatrice. Je conservais précieusement tous les numéros. Je suis absolument incapable de vous dire comment ma précieuse collection a disparu mais je regrette aujourd’hui de ne pouvoir parfois me replonger dans la lecture d’anciennes pages d’anthologie.
Retour à un soir de mars 1980 : suite à une communication téléphonique avec Odile Vaudelle sa compagne (Choron n’épouse pas !), nous avons obtenu un rendez-vous avec Georges Bernier au siège du journal, rue des Trois-Portes, à proximité du boulevard Saint-Germain et du palais de la Mutualité connu autrefois pour les rencontres de boxe et les meetings politiques. C’est un lundi, il est aux environs de 19 heures et nous attendons dans l’entrée que s’achève le comité de rédaction au cours duquel est choisie la couverture du prochain numéro. Nous, c’est moi et un excellent ami dont je vous ai incidemment conté l’effroi suite à une découverte macabre dans les services techniques de la ville de Dinard (voir billets Sueurs froides à Dinard des 18 mai et 30 juillet 2008) ! Dans quelques minutes, nous soumettrons notre projet de film au Professeur Choron, fondateur des beaux journaux loués ci-dessus et directeur des éditions du Square, dont la réputation sulfureuse n’est plus à faire. Même si entre collègues professeurs (sic !), l’entente devrait être cordiale, je préfère réfléchir aux quelques idées que je vais mettre en avant pour emporter son adhésion. C’est l’heure ! Odile nous emmène non pas vers le bureau de son patron de mari mais devant un rideau de velours qu’elle tire. Le choc ! Dans un brouillard de fumée de cigarette, apparaît une vaste pièce tout en longueur, aux murs à colombages et au sol en tommette rouge, avec au centre deux immenses tables en bois massif. Choron écrit dans ses mémoires : « Je les ai voulues lourdes, solides, que je puisse monter dessus pour faire des discours et chanter. En plus, j’ai fait en sorte qu’elles soient montées sur place, et qu’une fois installées on ne puisse plus les sortir ni par les portes, ni par les fenêtres, rien que pour emmerder les huissiers qui viendraient les saisir. J’ai commandé aussi des chaises très lourdes, mais ça c’était plutôt pour que les mecs se les foutent pas sur la gueule quand ils ont bu un coup. J’avais fait faire des banquettes rouges pour allonger les filles et que les mecs puissent dormir quand ils ne pouvaient pas rentrer » !
Rapide coup d’œil à cent quatre-vingt degrés, tous les monstres sacrés de ce théâtre sont en représentation ; à gauche sur les fameuses banquettes, là tout près, Reiser encore plongé dans ses crobars puis Wolinski et Gébé hilares, puis Cabu qui dessine tout le temps, à droite, Choron fume-cigarette au bec légèrement excité et juste à côté Cavanna réfléchi, plus loin Willem, Siné, Dimitri, le jeune Berroyer et plein d’autres valeureux seconds rôles de l’époque, et tout au fond dans la perspective, il y a même la silhouette en carton grandeur nature de Coluche. C’est alors que dans un calme très relatif, je me lance timidement : « nous sommes un groupe d’enseignants qui souhaitons faire un film sur Charlie Hebdo … » Je n’ai pas le temps de poursuivre que déjà, la réponse de Choron debout est cinglante : « Qu’est-ce que vous venez nous faire chier avec Charlie Hebdo ? Lisez Hara-Kiri ; ne nous emmerdez pas avec Charlie Hebdo, tout est dans Hara-Kiri » ! Notre projet de film semble d’ores et déjà sinon mort-né du moins compromis ; heureusement Cavanna arrive à notre rescousse et tempère Choron : en substance, « Écoute Georges, ce sont des enseignants de l’École Normale Supérieure, laisse-les parler ! » Ne me demandez pas ce qu’on a raconté, toujours est-il que nous achevâmes notre exposé autour du bar se trouvant dans un coin de la salle de rédaction. Dans l’effervescence coutumière des fins de comité et quelques canons de rouge plus tard, nous convenons de nous revoir pour affiner nos intentions cinématographiques.
Nous retournons donc régulièrement 10 rue des Trois-Portes, d’abord à deux, puis accompagnés d’un autre super ami dont les qualités de professeur d’arts plastiques et non accessoirement de descendeur émérite de la dive bouteille constituent des arguments intéressants. S’adjoint bientôt un élément féminin dont la présence ne s’avère nullement subalterne dans cette assemblée prétendument machiste. « Vive les femmes ».

reiservivelesfemmesblog dans Coups de coeur

Il s’agit à la fois de gagner la confiance des membres de l’équipe, de se familiariser avec le fonctionnement du journal dans toutes ses composantes, et déjà de montrer que nous n’appartenons pas à l’importante catégorie de nuisibles et pique-assiettes qui fréquentent les lieux aux portes largement ouvertes. Notre opération de séduction vise toute la hiérarchie du journal, de Choron et Cavanna ses pères fondateurs à Bibi, l’homme à tout faire, aussi bien chauffeur que tenancier du bar. Un sacré mec ce Bibi, un vrai titi parisien bien que du Loiret qui s’est vraiment fondu dans l’équipe avec l’humour d’Hara-Kiri ! Il nous a rapidement à la bonne en sortant pour nous de dessous son comptoir, un bon Saint-Émilion biologique dont les étiquettes sont dessinées par Reiser et Wolinski. Il nous arrive même de trinquer avec Pierrot, le chauffeur de François Mitterrand. Parfois accoudé au zinc, il reçoit un coup de fil de celui qui porte les espoirs de la gauche aux élections présidentielles de l’année suivante, lui intimant l’ordre de rappliquer au domicile de la rue de Bièvre voisine. « Mitterrand, gaffe à ta gueule !… Tu vas en baver. Mais, s’il y a un homme capable de s’en sortir, c’est bien toi. Tu as les épaules larges, les nerfs solides, une santé de bœuf de labour. Tu as toute la France derrière toi. Tu peux tout faire. Fais vite ! » Cavanna eut des prémonitions plus inspirées !
En attendant le futur grand soir, en 1980, le candidat Coluche trouve dans Charlie Hebdo et Hara Kiri une tribune pour relayer sa fameuse campagne qui le voit progressivement se positionner à 16% d’intentions de votes. Siné écrit : « S’il obtient les 500 signatures, ça prouvera que la France n’est pas encore aussi abrutie que je le croyais. Peut-être obtiendra-t-il plus de 50 % dès le premier tour ? On peut rêver ! Cavanna Premier ministre, Choron à l’Éducation nationale, Reiser à la Condition féminine, Cabu à l’Armée, Gébé à l’Intérieur, Wolinski aux Affaires étrangères. Moi, rien, merci … ou alors à la Justice si vous insistez ! »

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Parfois, nous croisons le sympathique bouffon à la salopette et sa « belle américaine » rose obstruant la rue des Trois-Portes. Le canular ne fait bientôt plus rire la classe politique. Une année, Coluche reçut de l’équipe de Charlie un fusil de chasse chargé de chevrotine à sanglier avec « Prix Bête et Méchant » gravé sur la crosse. L’anecdote devint con et tragique lorsque Coluche fit cadeau de son arme à son pote Patrick Dewaere qui … se fit sauter la cervelle avec !
Nous sympathisons avec Odile, la femme du patron, un moule à gosses comme il la décrit avec sa délicatesse légendaire : « Tu tirais un coup, ça prenait tout de suite. Elle arrêtait pas d’être en cloque et ça me coûtait cher. À chaque fois on envoyait promener les fœtus à l’aiguille à tricoter chez les faiseuses d’anges. Au neuvième, elle a eu un curetage sérieux. Un jour, elle me dit –je suis encore enceinte- après la trouille qu’on a eue à sa neuvième fausse couche, on a décidé de garder l’enfant ». C’était Michèle Bernier, c’était un joli brin de fille quand elle passait saluer papa et maman au journal. Odile, c’est la première personne sur laquelle on tombe quand on entre mais au-delà de ce rôle d’hôtesse d’accueil, elle tient une comptabilité des ventes aussi précise qu’il est possible dans ce joyeux foutoir ! Ayant connu Choron au temps de Zéro, c’est donc aussi une mémoire vivante de la folle aventure journalistique. Elle nous a vite en sympathie également. Probablement, joue-t-elle dans l’ombre un rôle de médiatrice pour plaider notre projet. Elle m’invite même à descendre à la cave pour prendre quelques albums qui manquent à ma bibliothèque. C’est l’aubaine de les faire dédicacer aussitôt par leurs auteurs.

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Ne m’en veuillez pas, un Hortefeux peut cacher un Marcellin, je n’ai pas les c… (sic !) de publier le dessin que me dédia Reiser à la sortie de son album Phantasmes. Allez, je compatis à votre déception, je vous en offre un autre, beaucoup moins personnalisé, mais tellement hilarant :

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Hors la couverture choisie collégialement chaque lundi après-midi, chaque dessinateur ou chroniqueur passe dans la semaine pour déposer (il n’y a aucune censure interne au journal à cette époque) sa contribution, participer à la mise en page, travailler aussi aux mensuels Hara-Kiri et Charlie. Car, si ça rigole, si ça picole et si ça baise, ça bosse aussi énormément ! En dehors de la foire quasi orgiaque des fins de comités de rédaction, le dialogue en tête-à-tête avec les différents collaborateurs de l’hebdo est plus cordial et fructueux pour affiner la structure du film.
Gébé est souvent attablé dans la vaste salle devant les photographies de presse dont il adore détourner le sens.

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Il adhère rapidement à notre projet. Il comprend qu’au-delà d’une simple galerie de portraits des grandes figures qui y travaillent, nous envisageons Charlie-Hebdo d’un point de vue social et militant comme un journal d’opinion certes très particulier qui a sa place pleine et entière dans le paysage de la presse française. Pour traiter la question de la censure, nous interviewerons maître Barbillon, l’avocat qui a plaidé la cause du journal lors de célèbres procès visant son interdiction. Et l’idée d’aller filmer l’impression de l’hebdomadaire dans une usine de Saint-Ouen n’est pas pour déplaire à ce fils d’ajusteur mécanicien de Villeneuve-Saint-Georges. Et puis, Gébé, initiales de Georges Blondeaux, n’est sans doute pas sourd à notre discours d’enseignant. En effet, mais cela je le saurai plus tard, il entra à l’École Normale d’Instituteurs de Versailles, celle-là même où j’ai commencé ma carrière il y a … bien longtemps ! J’ai vérifié dans les archives administratives de l’établissement, il en démissionna avant le baccalauréat préférant s’aiguiller vers la SNCF comme dessinateur industriel. Comprenez ma perplexité rétrospective quand il déclare en substance dans le film qu’il y a une barrière dans la société, si tu es vendeur ça va, si tu es acheteur tu es con tout le temps, tu es obligé d’aller chercher des sous et les donner pour te payer des choses ! Ses dessins se vendaient plutôt bien, quant à mes salades … !
Cavanna ne se trouve jamais très loin non plus. Un peu en retrait cependant, il possède une pièce au fond de la cour intérieure qu’il occupe d’ailleurs toujours aujourd’hui comme pied-à-terre à Paris. C’est là qu’il cogite ses chroniques d’une belle écriture de défenseur de l’orthographe mais d’ennemi du point-virgule. Il n’est guère causant mais nous considère d’un œil bienveillant depuis le premier jour. À côté de son repaire, il y a l’habitation de la concierge. L’illustre voisin en parle ainsi : « Trois mètres sur six. Là vivotait madame Durand. S’appelait-elle seulement Durand ? Très vieille femme, enfouie sous un entassement de loques, de tricots, de pèlerines, pliée à angle droit vers l’avant, à angle obtus vers la droite … Dans sa pièce unique et minuscule vivaient une trentaine de chats, chiant, pissant, s’aimant et mettant bas dans tous les coins. Il émanait de la maisonnette, quand elle ouvrait la porte, la plus fantastique pestilence de fauverie concentrée qui se puisse imaginer. Là-dedans vivait, outre madame Durand et ses chats, son pensionnaire Camille. Postier à la retraite et soiffard en activité. Nul n’avait jamais vu Camille autrement que bourré à mort ». Camille fascinait Reiser qui en fit son héros « Gros dégueulasse ». « La gloire dans sa splendeur illumina Camille quand la protection routière eut créé le personnage de Bison futé, le Peau-Rouge sentencieux chargé de guider à la télé les départs en week-end trop problématiques. Qui eut l’idée ? Je dirais Choron. Camille, auréolé de plumes aux vives couleurs fut Bison bourré. Sa trogne aux joues bleues, son nez bourgeonnant, son sourire et sa dent en moins lui valurent un succès prodigieux ».

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Je conserve jalousement en archives nombre de ces autocollants et autres cadeaux offerts aux lecteurs dans chaque numéro de Hara-Kiri. Ali, un travailleur clandestin Pakistanais qui se fit embaucher pour vendre dans la rue Charlie Hebdo et … Libération, montrait lors des contrôles de police, sa carte Orange ainsi que la carte officielle de con !

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Certains policiers se marraient en la voyant et il réussissait à s’en sortir à chaque fois.

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Je possède même de manière illicite la carte de mal baisée ! Je ne pouvais même pas la céder à notre collègue féminine car j’ai de bonnes raisons de douter qu’elle le fût ! Mieux encore, cadeau tombé sinon du ciel du moins de la main de notre véritable mère Noëlle, elle donna de sa personne et nous sauva d’un grave incident diplomatique lorsqu’un soir de beuverie, elle tint le sexe du professeur Choron saoul comme un agrégé !
Ah Choron, je ne puis qu’approuver au mot près l’hommage que lui rendit Jean-Pierre Bouyxou dans Siné Hebdo : « C’est lui, Choron qui a dégoté, à la mort du général de Gaulle, l’accroche de couverture la plus célèbre, la plus irrespectueuse et la plus poilante de la presse française. Et c’est donc à cause de lui, Choron, que le canard immédiatement interdit, a dû changer de titre et devenir Charlie-Hebdo. L’importance de Choron a été énorme, primordiale, et ceux qui prétendent le contraire sont au choix des faux jetons ou des crétins. Il ne dessinait pas, écrivait peu mais il était un chef d’orchestre qui n’avait pas son pareil pour encourager son équipe à aller toujours plus loin dans le délire, la provoc, la dérision, l’ignorance du bon goût, de la morale, des prétendues limites. Choron picolait. Choron fumait. Choron montait sur la table pour montrer sa bite. Choron disait des gros mots. Choron n’aimait ni les vieux emmerdeurs, ni les jeunes pisse-froid. Mais Choron était d’une classe folle, d’une élégance extrême et d’une gentillesse confondante. » Oui, au-delà de ses outrances, Georges Bernier était un homme exquis et d’une grande sensibilité. Bosseur, il arrivait au journal tôt le matin et en partait fort tard le dernier.
Au-delà de son premier contact moins que chaleureux, il devient un fervent supporter de notre projet et nous ouvre en grand les « Trois-Portes » Pire même, il nous confie les clés de la maison ! Car le premier clap de tournage approche et nous squattons bientôt la grande salle de rédaction. Avec notre volumineux matériel, régie image et son, moniteurs, deux caméras de studio, des projecteurs, et quelques dizaines de mètres de câbles, nous attestons d’un certain sérieux qui renvoie une image définitivement positive aux yeux de l’équipe. Chacun comprend que le comité de rédaction du lundi 5 mai 1980 revêt un caractère particulier. Avant Jacques Chancel et Michel Drucker, une équipe d’enseignants filme pour la première fois la célèbre bande d’iconoclastes en plein boulot dans leur antre du Quartier Latin.
Au théâtre, cet après-midi ! La représentation commence vers quinze heures. Le comité de rédaction est consacré presque exclusivement au choix de la couverture. À la différence des autres magazines qui à travers leur une indiquent le sujet d’actualité ou le dossier qui sera traité en pages intérieures, la première page de Charlie Hebdo prend presque toujours la forme d’un dessin légendé dont le thème peut très bien ne pas figurer dans le journal. L’impact, l’intelligence, l’humour de ce seul dessin peut faire vendre l’hebdomadaire, cela explique le soin apporté à son choix. Assis autour des grandes tables, muni d’une ramette de papier blanc 21×29,7 cm et d’un feutre noir, chaque dessinateur se plonge dans son travail de création.

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Nos lourdes caméras sont chargées de restituer l’ambiance de la réunion et les échanges entre ces journalistes très particuliers. On m’a confié la seule caméra mobile pour tourner autour des tables et saisir en gros plan la dextérité des dessinateurs et l’évolution de leurs croquis. Électron libre, j’échappe ainsi à la danse de saint-Guy, notre patron d’atelier, qui gesticule en régie devant les maladresses des apprentis cadreurs ! Difficile cependant de rester concentré avec un cadre stable sans hurler de rire devant les esquisses !

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Cet après-midi là, le thème semble acquis avec la mort, la veille, du maréchal Tito, président de l’état socialiste de l’ex-Yougoslavie. Avec leurs « bêtise et méchanceté » coutumières, certains raillent son amputation récente de la jambe gauche suite à une thrombose : « Ni Dieu ni maître ni jambe », « La Yougoslavie décapitée, déjà qu’il lui manque une patte » « Tito réincarné en mille-pattes avec une jambe de bois », « le monde communiste perd une jambe » ! Obsèques autogérées pour Tito ! Tito par-ci, Tito par-là, la créativité est prolifique. Rapidement, je me plante derrière l’épaule de Reiser, émerveillé par la vitesse à laquelle il gribouille en quelques traits ses féroces personnages. Ce sont plusieurs dizaines de dessins qui sont soumis au jugement final de Cavanna. Il n’y a aucune jalousie entre ces gens qui sont tous des surdoués. Reiser excelle dans ce genre d’exercice et comme souvent, c’est une de ses productions qui est retenue pour la une : « Quand les Yougoslaves passent, les serbos croâtent » !!! Abondance de biens ne nuit pas, une sélection d’une dizaine de dessins entre dans la rubrique « Les couvertures auxquelles vous avez échappé » !

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La réunion tire à sa fin. La salle se remplit peu à peu de groupies, de femmes légitimes ou pas, de quelques incontournables pique-assiettes … Il est temps de décompresser les uns et les autres après plusieurs heures à dessiner ou filmer. En temps ordinaire, à la fin de la séance, chacun écrivait sur un petit papier son choix pour la suite de la soirée « on bouffe » ou « on baise » puis le déposait dans la casquette de Choron qui procédait au dépouillement. Ce soir, nous dérogeons au protocole puisque nous avons commandé … un couscous auprès d’un traiteur pour remercier toute l’équipe du journal.
Les bouchons commencent à sauter lorsqu’une radio allumée rend compte en direct d’une prise d’otages à l’ambassade d’Iran à Londres. Il est 18h 50 et les évènements prennent une tournure dramatique. Les terroristes arabes, opposants au régime de l’ayatollah Khomeiny, abattent l’attaché de presse de l’ambassade et jettent son corps devant l’entrée. La section anti-terroriste de Scotland Yard décide alors d’entrer en action. En vrais professionnels du journalisme, peut-être aussi avec un soupçon de cabotinage, les dessinateurs se remettent au travail autour des tables. Comme dans un classique comité de rédaction, un débat s’instaure dans l’équipe pour savoir à quel événement donner la primauté. Tant pis pour Tito, il ne fera pas la couverture de Charlie Hebdo et, encore une fois, c’est un des croquis de Reiser qui emporte l’adhésion de tous :

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Quel bonheur ! Nous venons de vivre quasiment deux séances de rédaction à la suite. Jusque tard dans la nuit, j’ai dû descendre immodérément quelques canons de Saint-Émilion étiquette Reiser ! C’est la raison probable pour laquelle je ne me souviens pas si ce soir-là Choron montra sa bite ! Il faut dire à ma décharge que je ne compte plus les fois où j’eus droit à son numéro d’exhibitionnisme ! En tout cas, tout notre petit monde est définitivement adopté par la joyeuse bande et se retrouve sur le pied (sûr) de guerre pour de nouvelles aventures très enrichissantes. Dès le lendemain, il faut filer à l’imprimerie en banlieue pour filmer la sortie de la couverture. Les jours suivants, une équipe interviewe Cabu, antimilitariste en diable, devant les canons sur le parvis des Invalides. Une autre se rend à la ménagerie du jardin des Plantes pour filmer Paule responsable d’une chronique hebdomadaire sur la protection des animaux. Une troisième tourne à l’étude de maître Barbillon qui évoque la censure larvée menaçant constamment Charlie et Hara-Kiri et les fameux procès civils intentés par Dalida, Anne-Aymone Giscard d’Estaing et Denise Fabre suite à des photomontages. Sylvie Caster passe aussi sur le gril de nos questions. Chroniqueuse de talent, romancière aussi, on décèle en elle l’influence stylistique de Cavanna qui lui a confié la page trois du journal pour publier ses éditoriaux. Elle écrira plus tard dans son roman Nel est mort : « C’était une ambiance. De préau, où l’on était ensemble une volée de moineaux. Désordonnés. Dissipés. Bordéliques. Comme dans une enfance où l’on ne se serait jamais fait de souci. » Preuve que ce très joli brin de femme ne prenait pas ombrage que sa douce voix ne puisse se faire entendre au milieu des vociférations masculines.
À l’issue des journées de tournage, il est fréquent que le noyau dur de notre équipe réponde aux invitations de Choron et Gébé de les accompagner dans des soirées plus ou moins folles (plutôt plus !). Une fois, on se retrouve avec toute la bande à un cocktail de bienvenue dans une pâtisserie de la rue Lagrange voisine du journal. Un autre soir, le champagne coule à flot au Dodin Bouffant, un restaurant sélect de la place Maubert ; le prof, celui de Charlie bien sûr( !), a vite fait de monter sur la table haranguant tout un parterre de sommités médicales en séminaire à Paris. Ne me demandez pas s’il sortit sa « grosse artillerie » !
Par contre, je me souviens parfaitement du tournage avec notre vrai-faux éminent collègue dans la grande salle de la rue des Trois-Portes. Je ne devais pas y participer mais ma faculté de maîtriser mes émotions dans les situations périlleuses me valut d’être réquisitionné derrière une caméra ! Cabu ajouterait qu’il y en a qui ont la légion d’honneur pour moins que cela !

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Les bruits parasites en arrière-plan sonore proviennent de la cave où le jeune Emmanuel Cabut répète avec ses potes. Il deviendra plus tard le grand Mano Solo.
Georges Bernier prétend ne pas être le grand Choron, pourtant, pour qui le connaît bien, l’entretien sert outre de bonnes rasades d’outrance et de provocation, quelques glaçons de propos lucides et justes, et même un zeste de tendresse. Et fidèle à sa réputation, il m’exhibe plein cadre son sexe et ses fesses. Sans aller jusqu’à s’appuyer sur l’Idéologie du montage d’Eisenstein, les discussions seront cependant âpres (et arrosées !) au comptoir de Charlie Hebdo pour décider si nous devons montrer ou pas les attributs professoraux. Par crainte de chahut dans le Landerneau pédagogique, le collège de professeurs probablement moins « couillus » choisit de couper au montage le sexe de leur sulfureux faux collègue (ce n’est pas douloureux !), ne laissant finalement apparaître à l’écran que son postérieur. Et pour se protéger de notre hiérarchie, un carré blanc avec avertissement oral ouvre le documentaire : « Rendre compte d’un événement, c’est assumer toute sa complexité et sa richesse. C’est pourquoi le caractère particulier de certaines séquences réserve la diffusion de cette émission à un public d’adultes ». Comme le caricaturait Reiser, on vivait vraiment une époque formidable !
Le film monté, sonne l’heure de l’avant-première et de la projection à toute l’équipe de Charlie à l’issue d’un autre comité de rédaction. Il n’y a pas de tirage au sort, cette fois encore, c’est « bouffe » d’autorité ! Comment la furieuse bande va-t-elle accepter l’image que nous renvoyons d’elle ? Notre stress compréhensible s’envole vite : Reiser hurle de rire même de ses propres dessins, Gébé applaudit certains passages, Choron sourit intérieurement, Cavanna maugrée un peu dans ses moustaches mais l’équipe manifeste globalement un profond respect pour notre travail. La soirée s’achève … au petit matin.
Est-il nécessaire d’évoquer l’accueil mitigé des pisse-vinaigre de notre administration ? Je préfère vous confier qu’aux yeux admiratifs de beaucoup d’enseignants, nous sommes estampillés à vie comme ceux qui ont réussi à filmer l’inoubliable bande de trublions, ce qui vaut plus que n’importe quel diplôme ou appartenance à une loge maçonnique ! Bien évidemment, Charlie Hebdo fait la promotion du film dans sa rubrique Spécial copinage, notamment lors de sa diffusion au Studio 43, cinéma d’art et d’essai de la rue du Faubourg Montmartre aujourd’hui disparu (aucun lien de cause à effet !). La parole du fou, c’est le titre, est également sélectionné au festival international du film de Presse à Strasbourg. Quelques années plus tard, Canal Plus demandera l’autorisation d’en utiliser quelques extraits pour son magazine L’œil du cyclone en hommage au professeur Choron.
Pour certains d’entre nous, l’aventure ne s’arrêta pas là. Les vacances scolaires approchaient et nous fûmes quatre à faire l’École (Normale Supérieure) buissonnière préférant le coupe-gorge ou plus exactement le rince-gorge de la rue des Trois-Portes. C’est ainsi qu’un soir, nous nous retrouvâmes avec Choron et Gébé à fêter la visite du Pape à Paris, dans une grande brasserie proche de la gare du Nord. Je ne sais pas si cette fois ce fut du grand Choron, toujours est-il qu’il finit juché sur la table pour donner la bénédiction aux autres clients ravis ou offusqués ; c’était d’ailleurs un excellent test pour distinguer les culs bénis des épanouis ! Le champagne Dom Pérignon coula à flot (c’est d’ailleurs la seule fois de ma vie que j’y ai goûté) avant que Choron ne lançât magistralement au serveur son chéquier de la Poste assorti d’un royal : Paye-toi ! En une autre circonstance, un très cher ami qui me manque beaucoup aujourd’hui, fut enrôlé pour un des fameux romans photos de Hara-Kiri.
L’année scolaire suivante fut moins exaltante quoique … ! Choron commettait quelques délits d’écriture de chansons qu’il chantait quand il était un peu bourré. « On a chanté l’enfance, on a chanté l’adolescence, on a chanté les adultes, l’amour, la vieillesse et la mort, mais on n’a encore jamais chanté le bon temps que nous avons tous passé dans les testicules de nos papas. En souvenir du bon temps que nous avons tous passé entre les jambes de nos papas, voici La testiculance ! » :

« Etions spermatozoïdes
Petites bêtes ovoïdes
Entre les jambes de Papa
Souvenons-nous étions bien là
C’était la sécurité
Avions chaud et à manger
Pas peur de la solitude
Etions une multitude
Dans l’espace de deux noix
Entre les jambes de Papa
Après la chouette testiculance
Il y a eu l’enfance
Alors-là parlons-en de l’enfance!
Petit con boursouflé débile
Toute la journée dans la gueule
Un biberon en caoutchouc synthétique de merde
Pense qu’à téter et à chier… »

Bref, toujours est-il qu’en mai 1981, Choron se voit en haut de l’affiche à l’Olympia en première partie d’Odeurs, un groupe en vogue à l’époque, plus ou moins émanation de Au Bonheur des Dames. Et très méticuleux, sachant que je suis responsable d’un équipement de studio vidéo à l’École Normale d’Instituteurs de Versailles, il me contacte l’hiver précédent afin de travailler sa gestuelle. Entre professeurs, je ne peux évidemment pas faire de moins qu’accéder à sa requête. Lui décédé, moi retraité, il y a désormais prescription. Truculent coup de pied au cul des pisse-vinaigre de la pédagogie, je plaide coupable d’usurpation d’identité pour avoir laissé s’introduire à une heure tardive de la nuit, un faux professeur dans le vénérable institut de formation d’enseignants à des fins d’autoscopie.

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Bibi présent également a apporté un copieux buffet de charcuterie et fromages, un ou deux cartons de Saint-Émilion bio, sans oublier le whisky de l’artiste. Ô belle nuit, il me semble que nous passâmes plus de temps autour de la table que devant les caméras !
Puis la vie reprit son cours. Vite dit, la vie, car Charlie Hebdo sous sa forme historique mourut deux ans plus tard non sans avoir fait un dernier baroud d’honneur lors de l’émission Droit de réponse animée par Michel Polac. Reiser décéda en 1983, à l’âge de 42 ans, des suites d’un cancer des os.

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Le lendemain de ses obsèques, Charlie Hebdo publia un numéro spécial avec en couverture un des dessins qu’il avait fait lors de la mort de Franco. On y voyait un cercueil debout, deux pieds dépassant, avec comme légende « Reiser va mieux, il est allé au cimetière à pied ».
Gébé disparut en avril 2004, Georges Bernier le suivit bientôt en janvier 2005. Cavanna possède toujours sa chronique dans le Charlie Hebdo actuel et soufflera ses 88 bougies en février prochain. Nous les avons tant aimés il y a trente ans !
Je continue aujourd’hui à être un lecteur régulier de Charlie Hebdo même s’il n’est plus vraiment le même qu’à l’époque héroïque que je vous ai décrite. Cependant, il hérisse encore le poil des têtes (toujours aussi bien) pensantes de l’Éducation nationale à en juger par un article paru dans le journal du 25 juin 2008 que j’ai conservé précieusement. Il relate la mésaventure survenue à un professeur des écoles, par ailleurs formateur de maîtres, qui a eu le tort de faire lire aux élèves de sa classe un reportage réalisé par Riss sur les enfants de sans-papiers scolarisés à l’école de la rue Cavet dans le XVIIIe arrondissement de Paris. L’inspecteur a consigné dans son rapport, outre que l’instituteur avait installé les tables en U, qu’il s’agissait « d’un manquement au principe déontologique et à la nécessaire neutralité de l’enseignant ». Et la hiérarchie lui a enjoint de chercher un poste où il n’exercerait plus sa fonction de formateur des maîtres. On croit rêver lorsqu’on sait qu’est organisée chaque année une semaine de la Presse et qu’il existe un Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi), organisme lié au ministère de l’ Éducation nationale. J’en frémis rétrospectivement quand je pense que bien plus que le journal, j’ai introduit subrepticement son fondateur, le Professeur Choron, dans un institut de formation ! C’est peut-être pour cela qu’il y a trente ans, la joyeuse bande de la rue des Trois-Portes s’exclamait à notre encontre avec un brin de reconnaissance et de tendresse : « Ah les cons ! »

PS : Dimanche 26 décembre, une petite fille qui m’est chère a déposé sous son sapin un cadeau à mon intention. Un superbe ouvrage : Le pire de Hara-Kiri 1960-1985 ! Avec à l’intérieur, toutes les cartes officielles, celle de Con bien sûr qui remplacera l’ancienne quelque peu endommagée, mais aussi celle de Flic, celle de Bienfaiteur des œuvres sociales de la Police, celle d’autorisation de circuler en état d’ivresse et même la carte bleue Tout à l’œil ! Merci petit papa Noël !

Publié dans:Coups de coeur |on 23 décembre, 2010 |13 Commentaires »

BOURVIL, de mes rires d’enfant à mes larmes de grand!

« Bourvil est le seul comique qui me fasse rire » confiait le général De Gaulle. Ironie de la vie, ils moururent en 1970 à six semaines d’intervalle. Dans ma non charitable jeunesse, je me souviens avoir ressenti beaucoup plus de peine lors du décès de l’artiste. Et avoir beaucoup ri de la Une fameuse d’Hara-Kiri Hebdo, « Bal tragique à Colombey 1 mort », amalgame iconoclaste de la mort du général et de l’incendie d’un dancing en Isère où périrent 146 personnes.

BOURVIL, de mes rires d'enfant à mes larmes de grand! dans Coups de coeur cavannablog25

L’impertinence entraîna illico l’interdiction du journal satirique qui renaquit de ses cendres, la semaine suivante , sous le nom en forme de clin d’oeil de Charlie Hebdo. Qui plus est, soyons cynique jusqu’au bout, nous fîmes l’école buissonnière, un jour de deuil national ayant été décrété en la mémoire de la grande figure politique disparue.
Vous avez sans doute compris que je souhaite rendre en cette année du quarantième anniversaire de leur mort, un hommage affectueux à Bourvil, un compatriote normand qui fleurit le printemps de ma vie.
De son vrai nom, André Raimbourg (son cousin germain Lucien Raimbourg joua avec talent de nombreux seconds rôles au cinéma), il naît le 27 juillet 1917 à Prétot-Vicquemare, une petite commune du Pays de Caux, entre Rouen et Dieppe. Son père décédé peu avant à la guerre, il passe son enfance avec sa maman, chez ses grands-parents, à quelques kilomètres de là, dans l’autre petit « trou normand » de Bourville qui lui inspirera plus tard son nom d’artiste.

bourvilleblog2 dans Histoires de cinéma et de photographie

bourvilleblog1 dans Poésie de jadis et maintenant

bourvilleblog3Lors de mon passage à Bourville, j’ai croisé par hasard un « Bourvil » presque aussi vrai que nature

Enfant de choeur espiègle buvant le vin de messe sous la soutane rouge et le surplis, il est par contre un excellent écolier qui est reçu brillamment premier du canton au Certificat d’études primaires. C’est la preuve flagrante que « c’était du cinéma » lorsque vingt-et-un ans plus tard, il obtient le même diplôme avec moult difficultés à l’âge de trente ans, condition indispensable pour hériter de la fortune et de l’auberge Le trou normand de son oncle.
J’ai déjà évoqué ce temps-là où la télévision n’était pas encore entrée dans le foyer et où nous allions voir en famille le « grand film du samedi soir » au cinéma Le Dauphin à cinquante mètres de ma maison natale, l’école des filles de Forges-les-Eaux. Pour être absolument exact, la salle se trouvait peut-être encore rue de la République, dans l’arrière-cour d’une poissonnerie aujourd’hui disparue. Évidemment, nous ne manquions aucun film de la grande vedette normande.
Je riais de ce grand benêt attardé d’Hippolyte en culottes courtes, le béret vissé sur la tête, fâché avec les dictées, l’Histoire de France et les problèmes de robinets qui fuient. Je l’enviais aussi car lui tournait autour un bien joli brin de fille, celle à l’image de laquelle Dieu (avec la complicité de Roger Vadim) créa la femme, Brigitte Bardot en personne dont c’était le premier film. Sans crainte du ridicule, je ne résiste pas à vous offrir la séquence de la chanson Les enfants fanfan :

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Pardonnez-moi, je rigole encore, sans doute plus pour les mêmes raisons. Allez après cela convaincre nos petits-enfants que Brice de Nice est consternant (une opinion qui n’engage que l’auteur de ce billet dont l’intransigeance adulte n’a d’égale que son indulgence enfantine) ! Les pommiers en fleurs, une vache avec sa robe blanche et ses taches bringées paissant dans un pré, dans mon « trou normand » du Pays de Bray, je fus un de ces gamins en culottes courtes et blouse grise, la casquette pour me protéger du chaud soleil made in Normandie (!), sautillant et radieux d’entonner ce refrain « pipi caca » ! La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ou quand on découvre une valeur documentaire à un navet … !
Le rosier de Madame Husson, bien qu’adapté d’une nouvelle de Maupassant, constitue un autre nanar d’anthologie. Excusez ma mémoire qui flanche, je ne suis pas tout à fait persuadé de l’avoir vu en salle à l’époque ; en effet, les parents veillaient alors encore à la bonne moralité de leurs chères têtes blondes. Une rosière était une jeune fille qui recevait une couronne de roses en récompense de sa grande vertu. Dans la farce paysanne de Maupassant, Madame Husson, pour effectuer son choix, demande à sa servante Françoise de recueillir tous les potins, histoires et soupçons circulant dans la petite ville de Gisors. Ainsi celle-ci consigne scrupuleusement sur son livre de cuisine au milieu de la liste des courses, des remarques comme : « Rosalie Vatinel qu’a été rencontrée dans le bois Riboudet avec Césaire Piénoir par Mme Onésime repasseuse, le vingt juillet à la brune ». Vous imaginez bien que dans ces conditions, aucune jeune fille ne sort intacte de cette enquête. Les dames patronnesses de Gisors n’ayant pas trouvé de jouvencelle digne de recevoir le prix le décernent à Isidore, l’idiot du village, qui bientôt part s’encanailler à Paris. Dans le film, Bourvil interprètait le rôle du « rosier » encore puceau au risque que son ego en souffrît. En effet, le réalisateur Jean Boyer, précurseur de la Nouvelle Vague sans le savoir, souhaita tourner sans répétition préalable la scène du défilé du rosier en plein jour de marché à Le Neubourg (comme diraient les Nuls !) dans l’Eure. La population non prévenue, se pressait sur le passage de l’artiste en le saluant ou lui tendant la main avec respect et affection. Bourvil leur répondait avec un air si nigaud que lui colla vite à la ville la même réputation d’imbécile heureux qu’à l’écran ! « C’est dur » comme plus tard il confia meurtri dans une interview. Il ne connaîtrait plus pareil désagrément aujourd’hui car le public est mieux informé grâce aux nombreuses chaînes de télévision, à internet et aux making of inclus dans les dévédés. Pour l’anecdote, sachez que Fernandel avait déjà été lui-même rosier dans une adaptation de 1932, casting cocasse pour une farce normande tournée en la circonstance … à Valenciennes !

https://www.dailymotion.com/video/x83aph

Le trou normand est, à l’origine, un petit verre de calvados servi entre deux plats, censé faciliter la digestion et redonner de l’appétit aux convives lors des repas de fêtes et banquets. Le pauvre Isidore Bourvil a dû s’en jeter quelques uns derrière la cravate pour se retrouver dans pareil état. « Tiens, voilà de l’eau ! » Un demi siècle plus tard, je souris encore de sa remarque quand il aperçoit la rivière et je ne parviens toujours pas à démêler dans son galimatias la prononciation exacte de : « Rosier oui, complexe d’infériorité non ! ».
Cela ne vous rappelle rien ? Mais oui bien sûr : « L’alcool non, mais l’eau ferru, l’eau ferru l’eau ferrugineuse oui ! » La même construction de phrase, la même scansion, ce n’est pas un hasard, le célèbre sketch de la causerie du délégué de la ligue anti-alcoolique fut créé la même année que la sortie du film Le rosier de Madame Husson.
« Et pourquoi y a-t-il du fer dans l’alcool ? Euh, dans l’eau ferru ferrugineuse, hum? Parce que le fer à repasser, heu, pas le fer,… l’eau, disais-je, l’eau, c’est parce que l’eau a passé et a repassé sur le fer, et le fer a dissout. Il a dissout le fer. Et le fer a dix sous, c’est pas cher Hoc hein ? » Je suis ferré sur la question et pour cause. En effet, d’une part, nous étions encore sous la IVème République, « le grand Charlot » n’était donc pas encore de retour ; effaré par les ravages de l’alcoolisme, le Président du Conseil Pierre Mendès-France institua la distribution de verres de lait aux enfants des écoles maternelles et primaires. Ainsi, à la sortie de la classe à 16 heures 30, je me rendais avec mes camarades sous la halle au beurre pour boire mon bon bol de « lolo » fraîchement tiré du pis de la vache.
D’autre part, ferro et aqua, par le fer et par l’eau, constitue la devise de Forges-les-Eaux, ma ville natale. Son sol riche en fer donna naissance à des forges dès l’époque gallo-romaine. À l’épuisement des gisements, succéda l’exploitation des sources ferrugineuses à des fins thérapeutiques. Ainsi, au XVIème siècle, Forges devint une station thermale renommée qui draina la Cour royale. En 1633, Le roi Louis XIII y séjourna en cure avec Anne d’Autriche et le cardinal Richelieu. La nièce du roi, Anne Marie Louise d’Orléans dite La Grande Mademoiselle, duchesse de Montpensier, y effectua de nombreuses visites pour soigner ses maux de gorge entre 1656 et 1681. Plus récemment, dans les années 1950-60, votre serviteur ne manquait jamais lors de ses promenades dans le bois de l’Épinay, de tremper ses lèvres à l’eau au goût de rouille de la petite source de la Chevrette, mais cela vous ne le verrez jamais mentionné dans les thèses d’Histoire. Je me souviens d’un slogan en vigueur pour relancer le thermalisme: Forges-les-Eaux forge les os !
« Alors que le ver solitaire (ou le verre solitaire ?), heu, non, pas le ver solitaire, heu, heu, le, heu, le fer est salutaire. D’ailleurs ne dit-on pas : une santé de fer ? hum ? Un homme de fer ? hum ? Un ch’min de fer ? hum ? Un mammifère ? … »
Je trépignais de plaisir quand tout gamin, mes parents m’annoncèrent que j’allais bientôt voir en chair et en os ce monsieur un peu ahuri qui me faisait tordre de rire. En effet, nous nous rendîmes au théâtre de l’ABC à Paris pour assister à l’opérette La Route fleurie avec Georges Guétary, Annie Cordy et bien sûr Bourvil. Eh oui, j’y fus ! Je sens que vous en bavez des ronds de chapeau … ou plutôt de béret !

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« Prenons la route fleurie
Qui conduit vers le bonheur !
Suivons-la toute la vie,
Main dans la main,
Cœur contre cœur…
Avec vous, petite amie
Le chemin sera trop court
Car c’est vous que j’ai choisie
Pour me conduire au grand amour…
…Suivons la route fleurie
Suivons-là toute la vie !
Le cœur en joie,
Vous et moi ! »

Mes souvenirs sont bien vagues mais mon cœur devait être en joie et mes mirettes grosses comme des billes de voir ces artistes chanter dans de magnifiques décors. Allez, je ne crains toujours pas le ridicule, je vous offre avec Bourvil une tournée de fayots :

« Alors que tout repose encore
Dès le premier cocorico
Ah qu’il est doux quand vient l’aurore
De voir semer les haricots
Et puis un jour sortant de terre
Et se dressant toujours plus haut
Vers le soleil, vers la lumière
On voit pousser les haricots… »

C’est presque L’Angélus de Millet en chanson ! Ils sont trop grandioses ces haricots, je vous en ressers une ration :

« Plus tard les paysans de France
S’agenouillant, courbant le dos
Ont l’air de faire révérence
Pour mieux cueillir les haricots
Mais ces courbettes hypocrites
Précèdent la main du bourreau
Qui les jetant dans la marmite
Met à bouillir les haricots
Et lorsque vient leur dernière heure
On les sert autour d’un gigot
Et chaque fois mon âme pleure
Car c’est la fin des haricots »

Oui, je pleure … de rire, tant pis si ce ne sont pas des haricots tarbais ! (voir billet C’est pas la fin des haricots tarbais du 8 octobre 2009)
Acte 2, imaginez maintenant Bourvil en chemise hawaïenne se trémoussant de sa manière gauche qui n’appartient qu’à lui :

« Lorsque j’étais matelot
Quand je voguais sur les flots
Un peu dans tous les pays
Quand l’amour m’a souri
L’aventure a suivi
À Mama à dada à gaga à scasca
Ce fut à Madagascar par hasard
Une brune aux dents d’ivoire...

Allez, j’ose, vous en redemandez encore comme le public d’alors réclamait à Annie Cordy et Bourvil de recommencer plusieurs fois le fameux Da Ga Da … à vous ? Tsoin Tsoin, vous voyez que vous vous prenez au jeu:

« ...Ma petite folie, ma passion, mon béguin
C’est pas un homme, c’est ce refrain
Da ga da ga da gada tsoin tsoin
Cet air qui me suit dans les coins
Da ga da ga dagada tsoin tsoin
Me tient comme un rhume des foins... »

Mes parents et moi revîmes Bourvil, cette fois rien que nous, dans une pâtisserie de Rouen où il achetait des petits gâteaux que la vendeuse pliait bien comme il faut dans un joli papier blanc entouré d’un petit ruban. Ce n’était pas rue du Croissant mais rue des Carmes. C’est l’occasion de rappeler que s’ennuyant en pension à l’école primaire supérieure de Doudeville, « l’époque la plus triste de sa vie où il portait un uniforme et marchait en rangs (!) », il fut placé comme apprenti boulanger à Saint-Laurent-en-Caux où il croisait quotidiennement Jeanne qui deviendra son épouse jusqu’à sa mort. « Je voyais ma mie tout en gagnant ma croûte ». Quant à la municipalité de Doudeville, pas rancunière, elle a baptisé le collège du nom d’André Raimbourg dit Bourvil.

http://www.ina.fr/video/I05196758

C’est un extrait de Le roi Pandore dans lequel Bourvil offre une certaine idée d’une gendarmerie de province sans jumelles pour radars, ni pistolets à impulsion électrique taser ! Je souris toujours du jeu de jambes inénarrable de l’acteur, une espèce de cocktail d’un boxeur esquivant les coups, d’un musicien de fanfare ne parvenant pas à marcher en cadence, et d’un joueur de football s’auto-crochetant un pied pour simuler un fauchage dans la surface de réparation.

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Pour clore le chapitre des nanars, je ne saurais oublier La cuisine au beurre où Bourvil se retrouve aux fourneaux avec Fernandel. La seconde guerre mondiale n’est pas si lointaine, après quelques années passées en captivité puis avec une walkyrie autrichienne, Fernand Jouvin alias Fernandel, revient dans son restaurant à Martigues. Malheureusement, sa femme Christiane, le croyant mort, s’est remariée avec son chef cuisinier André alias Bourvil qui a transformé la gargote en une table réputée. En ce début des années 1960, la France entière se passionne sur le petit écran pour l’émission Intervilles. Dans le film, l’argument gastronomique sert à mettre en valeur les deux plus grands comiques du cinéma de l’époque et aiguiser la fibre cocardière entre deux régions à grands coups de stéréotypes, la truculence et la nonchalance méditerranéennes face à la ténacité et l’ingénuité normandes, la bouillabaisse contre la sole normande, c’est d’ailleurs ainsi que s’appelle le restaurant, sacrilège au pays de Pagnol. D’après le livre de souvenirs du cinéaste Gilles Grangier, cette cuisine au beurre ne baigna pas dans l’huile d’olive. Les relations entre les deux vedettes furent assez orageuses et au bout de quinze jours de tournage, Fernandel menaça le réalisateur : « Ecoute, ce n’est pas ta faute, mais je ne peux pas continuer à tourner cette connerie, ce n’est pas possible. » Cela dit, le film fit la cinquième recette mondiale de l’année.
Énumérer ces navets et nouilleries qui lui rapportèrent au demeurant pas mal d’oseille, ne dénigre en aucune façon l’immense acteur. Au contraire même, grâce à son grand talent, Bourvil s’en tirait toujours avec les honneurs et sauva du naufrage nombre de ces comédies indigestes. Nul mieux que lui n’a joué les idiots avec autant de finesse.
Et puis quand j’étais môme, je ne comprenais pas comment ce monsieur si gentil et si drôle ait pu devenir l’ignoble Thénardier dans Les Misérables.
Même le grand écrivain Marcel Aymé ne voulait pas entendre parler de Bourvil pour jouer le rôle principal dans l’adaptation de sa nouvelle La Traversée de Paris. Il le jugeait tout juste digne de monter sur les tréteaux d’une salle de patronage de Normandie, comme quoi les réputations ont la vie dure même chez les intellectuels. Heureusement, le réalisateur Claude Autant-Lara tint bon et notre chauffeur de taxi au chômage reconverti dans la livraison d’un cochon dans des valises remporta la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise 1956. La même année, un autre normand se distinguait en Italie, le jeune cycliste Jacques Anquetil battant le record de l’heure mythique de Fausto Coppi sur la piste du Vigorelli. Je ne résiste pas à mettre à bicyclette les deux vedettes normandes dans un duo improbable :
« Est-ce que vous êtes coureur ?
- Non j’ne suis pas coureur.
- Ah ! c’que vous êtes menteur !
- Moi, je suis balayeur.
- Avez-vous fait le tour ?
- Tour de France Non mais j’ai fait des tours Des détours des contours Et même d’autres tours…
« Des tours de quoi ? », qu’em’dit.
- Des tours d’vélo pardi !
- Vous êtes un blagueur. Ah ! c’que vous êtes coureur ! …
»
Grand éclat de rire, c’était mon inévitable allusion vélocipédique. Rassurez-vous, je ne vais pas faire long sur Les Cracks, pourtant un petit bijou de comédie burlesque au temps du cyclisme d’arrière grand-papa, dans laquelle Bourvil, les moustaches en guidon de vélo retourné, participe à l’épreuve Paris-San Remo. La bécane de l’acteur est conservée comme relique à la chapelle Notre-Dame des cyclistes à Labastide d’Armagnac dans les Landes. C’est durant ce tournage que Bourvil apprit qu’il était atteint de la maladie de Kahler qui l’emporta trois ans plus tard.
Je vous épargne, car tel n’est pas mon propos, la riche filmographie de l’artiste « connu de tous sans pour autant être une star » comme l’écrit avec justesse Dany Boon en préface d’un ouvrage récemment sorti à l’occasion du quarantième anniversaire. Je ne vous ferai pas l’injure d’évoquer La grande vadrouille et Le Corniaud, immenses succès commerciaux qui, presque un demi siècle après leur sortie, continuent d’exploser l’audimat à chacune de leur diffusion télévisée. À l’époque, comme la France était divisée entre Anquetiliens et Poulidoristes, il y avait les pro Bourvil et les pro De Funès. Vous devinez dans quels camps je me rangeais.
Décors fastueux, costumes clinquants, galopades, entrecroisement de fers, bottes secrètes, tous les mômes de ma génération adorèrent les films de cape et d’épée, un genre qui connaissait alors ses plus grandes heures de gloire. Bourvil y brille et trouve un nouvel emploi de valet souvent gaffeur et poltron (on ne chasse pas le naturel comme ça !) : Planchet au service de D’Artagnan dans Les Trois Mousquetaires, Passepoil fidèle au chevalier Lagardère et sa fameuse botte de Nevers dans Le Bossu interprété par Jean Marais, Cogolin ami et confident du même Jean Marais, l’année suivante, dans Le Capitan.
À mon adolescence, je fus plus à même de mesurer la vaste palette du jeu de l’acteur dans des œuvres moins faciles. Sans que cela constitue une sélection, me viennent à l’esprit Les culottes rouges qui, quoi que puisse laisser craindre le titre, n’a rien d’une pantalonnade, Un drôle de paroissien qui pille les troncs des églises, Le miroir à deux faces où Bourvil campe le mari pitoyable de Michèle Morgan, ou Les bonnes causes avec la lumineuse Marina Vlady dans lequel il entre à contre-emploi dans la peau d’un juge d’instruction, ou encore Les grandes gueules aux côtés de Lino Ventura.
Cependant, j’ai une affection particulière pour Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, inconsciemment peut-être parce que Bourvil effectue là sa dernière apparition au cinéma. Ce magnifique polar commence par une citation de Krishna : « Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
Bourvil dont le visage porte les stigmates de la maladie, apparaît au générique pour la première fois avec son prénom André. Auprès d’Yves Montand, Alain Delon et Gian Maria Volonte, il interprète magistralement un commissaire froid, calculateur et sans pitié. À chaque nouveau visionnement de ce chef-d’œuvre, je trouve Bourvil de plus en plus inquiétant et poignant.
En forme d’hommage, la dernière scène et le dernier plan tournés lui furent réservés. L’équipe technique du film laissa tourner le matériel d’enregistrement bien après que Melville eût lâché le coupez ! définitif. Bourvil abandonna alors son masque de commissaire Mattéi et se laissa aller à une improvisation de La tactique du gendarme, conclue par un immense éclat de rire. Le clown effectuait un de ses derniers tours de piste. Le film sortit peu après sa mort comme d’ailleurs Le mur de l’Atlantique qui est son ultime tournage.
Je garde en mémoire une interview de Brassens parlant de Bourvil en connaissance de cause puisqu’ils se fréquentèrent en voisins du temps où l’ami Georges vécut dans son moulin de Crespières dans les Yvelines (voir billet Georges Brassens à Crespières du 29 octobre 2008). Bourvil n’était pas un « copain d’abord » du premier cercle mais il offrait parfois les services de son employée de maison pour aider Puppchen, la « non demandée en mariage » à nourrir « la cour du roi Geo » ou encore dispensait quelques conseils pour l’achat d’une tondeuse ou d’un tracteur. Au cours de l’entretien, bien loin de l’image de niais renvoyée aux habitants crédules du Neubourg, Brassens qualifiait Bourvil d’honnête homme au sens originel du XVIIe siècle, possédant une culture générale étendue et le guidant même parfois dans ses choix de lectures.

« Ell’ n’avait pas de parents,
Puisque elle était orpheline.
Comm’ ell’ n’avait pas d’argent,
Ce n’était pas un’ richissime.
Ell’ eut c’pendant des parents,
Mais ils ne l’avaient pas r’connue,
Si bien que la pauvr’ enfant,
On la surnomma l’inconnue.
Ell’ vendait des cart’ postales,
Puis aussi des crayons… »

C’est bien sûr par provocation que je vous inflige malicieusement derrière les propos élogieux du poète moustachu, ce petit chef-d’œuvre de ringardise truffé de pléonasmes à la lecture duquel un grand sourire éclaire votre mine … de crayon !
Brassens qui avait un faible en privé pour les chansons paillardes et de comique troupier, avouait qu’il écoutait et fredonnait très fréquemment :

« Au temps, au bon temps
Des rois fainéants,
Ti qui tic qui tic !
Les jours et les nuits
Se passaient au lit
Ti qui tic qui tic !
Traînés par des bœufs
Dans un char moelleux,
On faisait Paris-Orléans
En trois ans, tout en taquinant
Les belles pucell’s en passant... »

Et même derrière l’interprétation de ces couplets faciles, Brassens décelait chez Bourvil une belle voix persuasive qui l’attendrissait.

« On peut vivre sans richesse,
Presque sans le sou.
Des seigneurs et des princesses,
Y en a plus beaucoup.
Mais vivre sans tendresse, on ne le pourrait pas.
Non, non, non, non: on ne le pourrait pas.
On peut vivre sans la gloire
Qui ne prouve rien.
Être inconnu dans l’histoire
Et s’en trouver bien.
Mais vivre sans tendresse, il n’en est pas question.
Non, non, non, non: il n’en est pas question.
.. »

À bien l’observer, Bourvil débordait d’une tendresse qui affleurait à un moment ou un autre dans tous ses rôles et chansons. Pour clore mon hommage au chanteur, je vous offre un véritable petit chef-d’œuvre de clip :

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Une merveille de chanson que je ne peux écouter sans qu’inévitablement, une larme discrète ourle ma paupière … et chez d’autres aussi, rappelez-vous cher lecteur mon billet du 26 mai 2009 Week-end Rital avec Cavanna.
Un bain de nostalgie tendre et poétique magistralement mis en images par le réalisateur Philippe Découflé qui s’y met en scène avec une jeune femme qui a beaucoup travaillé par ailleurs sur le langage des signes. Très vite, bien au-delà d’un simple court métrage pour malentendants, on se rend compte que les deux jeunes gens jonglent avec les mots et les signes, contant une autre histoire que celle chantée par Bourvil. Ainsi le p’tit bal perdu est une balle perdue tombant du ciel, le souvenir de son nom devient un hochement négatif de la tête, il s’appelait pelles, lait et combiné téléphonique, et « ça pelait » même dans le dernier refrain.
C’est toujours un instant d’émotion quand le clip surgit en générique de l’excellente émission Des mots de minuit sur France 2. Petite digression en forme de coup de gueule, savez-vous que le talk-show Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéi en seconde partie de soirée sur France 3, est sérieusement menacé pour audimat insuffisant ? Qu’à cela ne tienne, on fera appel à Dechavanne ou Cauet, ça c’est de la culture !
Allez, ça fait du bien de se souvenir avec Bourvil. Je vous offre une autre version « virtuelle » du petit bal perdu. Avec Bourvil et Elsa, le conflit des générations n’existe plus.

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« Ce dont je me souviens, c’est qu’on était heureux » avec vous cher André Raimbourg dit Bourvil. À travers votre carrière, une certaine France remonte à la surface, ma douce France, celle de mon enfance heureuse et insouciante comme le couple du p’tit bal. Comme c’était bien !

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Il m’arrive encore parfois, lors de balades aux alentours de chez moi, de pousser la grille du petit cimetière de Montainville pour me recueillir sur votre tombe entre rires et larmes. Deux petites vaches en miniature, quoique plutôt de race Holstein, paissent sur la pierre, rappelant notre Normandie natale. Lors d’une prochaine visite, je vous raconterai cette anecdote qui m’a été rapportée par une « tite Normande ». Il y a quelques semaines, en votre mémoire, un pâtissier du pays de Caux a créé un gâteau en forme de béret, à la pomme saupoudré de chocolat. Malencontreusement, une erreur de dosage dans les colorants de fruits (une salade pas jolie, jolie, en somme!) a fait que les notables conviés à la dégustation se sont retrouvés avec la bouche toute noire. Je vous imagine vous esclaffant !

PS. Une lectrice normande m’a adressé la photographie du « béret de Bourvil », le gâteau au chocolat imaginé par un pâtissier d’Yvetot. Je l’en remercie vivement.

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 Depuis l’écriture de ce billet, je suis passé par Bourville, le minuscule village du Pays de Caux où Bourvil passa son enfance.
Près de l’école, un mur lui est dédié. J’y ai relevé quelques mots écrits par le cinéaste Yves Robert, un autre monsieur qui fut une belle rencontre de ma vie. Ses mots sont si justes que j’ai souhaité vous les faire partager.
« La vraie raison de ma participation à « La Jument Verte », ça a été Bourvil.
Je désirais, je voulais connaître, côtoyer cet homme là : André Bourvil, ne me paraissait pas comme les hommes de ce métier, mais surtout pas comme les autres.
Ce gars de la campagne devenu une vedette, ce qui d’ailleurs le faisait bien rire, ce gars de la campagne était de mon bord.
Entre autodidactes on se répète et se retrouve, l’homme imaginé par moi est devenu réel, et c’était encore plus beau que je n’avais cru.
Votre père était un homme rare fait de vraie générosité, de vraie amitié, de vraie tendresse.
Ce grand homme fort était bouleversant de vie, de vie si simple, de droiture, de franchise et surtout de pureté.
André Bourvil reste pour moi une des vraies personnes que j’ai rencontrées dans ma vie. »

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« Châtaignes dans les bois se fendent … »

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Cet après-midi-là, au cœur de l’automne ariégeois, sur le chemin de la Tuilerie, vers le pré de la Hillère, à défaut de colchiques, je fredonne ce vieux refrain de l’heureux temps de ma « communale », repris depuis par Francis Cabrel :

« …Châtaignes dans les bois
Se fendent, se fendent,
Châtaignes dans les bois
Se fendent sous nos pas… »

Je me souviens d’une veillée dans une grange perdue au milieu d’une forêt de Corrèze. Chez un regretté collègue, tandis que nous égrenions nos souvenirs du lycée Français de Mexico et le bon temps du Bol d’Or des Monédières couru dans les bruyères corréziennes voisines (je glisse ma petite touche vélo !), nous prenions les châtaignes séchées sur les claies au-dessus de nos têtes pour les griller dans l’âtre. Ce soir-là avait un goût étrange de Pain noir, cette fresque romanesque de Georges-Emmanuel Clancier qui raconte la vie d’une ferme du Limousin au lendemain de la guerre de 1870. Le pain noir n’y est métaphoriquement rien qu’un morceau de pain imprégné de la poésie de l’enfance, traînant derrière lui la mort, l’amour, la guerre, dans une famille qui avait connu la faim, toutes les faims dont celle de justice sociale. C’est l’occasion de rappeler que la châtaigne constitua longtemps la base de l’alimentation humaine dans plusieurs régions. On appelait, d’ailleurs, le châtaignier l’arbre à pain, mais également l’arbre à saucisses car les châtaignes servaient aussi à engraisser les porcs.
Originaire selon les sources, d’Arménie ou de Turquie, cet arbre se serait installé en France, via la Grèce et l’Italie, au cours du premier siècle après Jésus-Christ, choisissant ses terrains de prédilection en fonction de leur degré d’acidité, leur exposition (les versants ombragés ou ubacs dans le Midi) ainsi que leur altitude (rarement au-dessus de 6 à 700 mètres).
Le célèbre cuisinier romain Marcus Gavius Apicius régalait d’une soupe de châtaignes l’empereur Claude, celui même dont je vous ai narré la vie pour le moins agitée avec Messaline, Agrippine et Britannicus (billet Citrouilles m’étaient contées du 18 décembre 2009). Elle s’acheva tragiquement par une consommation mortelle de champignons due à la substitution criminelle d’une oronge vraie dite amanite des Césars (nommée ainsi justement parce qu’elle était réservée à la table des empereurs romains) par une amanite phalloïde. À tout hasard, je jette un œil sans guère d’espoir dans le sous-bois en souvenir d’une cueillette miraculeuse de ces succulentes oronges. Rien que des « mauvais » comme disent en Ariège, les intégristes du cèpe. Pourtant le châtaignier héberge sur son tronc ou à son pied, de nombreuses variétés tout à fait comestibles telles la russule verdoyante, le bolet bai ou le polypore en touffe. Adieu omelette aux champignons, je retourne à mes châtaignes !
Au XIVème siècle, leur prise en compte dans la perception de l’impôt de la dîme témoigne de leur importance croissante. Antoine Augustin Parmentier, celui-là même qui développa la culture de la pomme de terre en France (voir billet Corvée de patates du 25 août 2010) rédigea deux ans après son Examen chimique de la pomme de terre, un Traité de la Châtaigne fort documenté qui contribua probablement au recours à ce fruit en période de disette fréquente à l’époque. J’y ai trouvé moult renseignements précieux. C’est comme cela que l’on peut retrouver l’automne dans son assiette avec un hachis parmentier de châtaignes au confit de canard. Je grossis de cinq cents grammes rien que de l’imaginer !

« …A nos pieds roulaient des châtaignes
Dont les bogues étaient
Comme le coeur blessé de la madone
Dont on doute si elle eut la peau
Couleur des châtaignes d’automne. »

Dans la prairie en pente, roulent les vers de Guillaume Apollinaire dans son poème Rhénane d’automne.

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Les renseignements glanés étaient exacts , j’ai trouvé le bon filon pour ma cueillette. Délivrées de leur bogue, entre herbes et feuilles, les châtaignes résignées attendent le funeste sort qui leur est réservé, bouillies ou brûlées vives. Celles-ci ne sont pas grosses, d’autres gourmands ont déjà fait la razzia mais en s’armant de patience, la provision est cependant honnête. Quelques mangeoires attestent que les sangliers fréquentent le coin. Mon dieu ou plutôt ma déesse, qui sait, avec un peu de chance, je pourrais rencontrer Diane chasseresse, l’amante des bois ! Et puis soudain, en remontant le chemin le long du ruisseau, un spectacle attendrissant se déroule sous mes pas ! Plusieurs dizaines de châtaignes, fraîchement tombées de la nuit, lovées encore dans leur nid douillet comme des oisillons, jonchent le tapis de feuilles mouillées. Il faut affronter les piquants qui hérissent leur enveloppe protectrice avant de les apprivoiser.

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Les châtaignes portent, selon les variétés, des noms pittoresques qui fleurent bon le terroir et notre douce France. Dans les Pyrénées, on connaît la Bertranne, la Péou de Loup, la Masclé, la Castérane. Il en est de très anciennes comme la Sardonne produite en Ardèche dès la Renaissance ou la Bourrue de Juillac mentionnée en Corrèze à la Révolution de 1789. Il en existe des traditionnelles, pures souches, telles la Bouche rouge, la Précoce des Vans, la Pourette, la Merle. Quitte à faire grincer les dents de messieurs Besson et Hortefeux, la Bouche de Bétizac, la Bournette, la Marigoule, la Précoce Migoule, sont les fruits de métissage entre diverses variétés. Il en est même, moins chatouilleuses sur leur identité, qui s’appellent plus communément marrons de Chevanceaux, de Goujounac, de Redon, d’Olargues, de Lyon ou de Saint-Augustin.

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photo Abrahami

En effet, à l’exception du très répandu marronnier d’Inde de nos anciennes cours d’école dont le fruit est toxique (rien à voir donc avec la dinde aux marrons !), châtaignes et marrons poussent tous deux sur un châtaignier. Dans le langage courant, on a tendance à nommer marrons les châtaignes de gros calibre ou celles destinées à une transformation culinaire telle la crème et la purée de marrons ainsi que les marrons glacés.

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Dans sa bogue épineuse, le marron offre une amande entière, bien ronde tandis que la châtaigne est emprisonnée par groupes de deux ou trois, plus aplaties. Malheur à la grande au centre qui n’échappera pas au futur supplice du feu ! Mais cela, on ne le découvre que lorsqu’on entrouvre l’enveloppe.

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« Femme et châtaigne, belle en dehors, en dedans la malice », je ne me prononce pas sur la justesse de ce proverbe !

« …Ah! pourquoi tant d’épines, tant d’aiguilles,
Tant de poignards dressés, pauvre peloton vert?
Une fente… Voici qu’un peu de satin brille
Et le cœur neuf est là, dessous, et rien ne sert
D’être châtaigne obscure, âpre au goût, si menue!
Fendue, on est une châtaigne presque nue…
Et le coup de sabot sur la tête viendra,
Et le couteau pointu, l’eau bouillante, le pot
Qui sue avec de petits rires, des sanglots
Dans les tisons trop rouges; tout sera
Comme il est dit en l’ordinaire histoire des châtaignes… »

Une histoire tendre et émouvante qui décrit l’infernal cycle de la vie à travers les vers de Sabine Sicaud, décédée en 1928, à l’âge de quinze ans. Une poétesse précoce de Villeneuve-sur-Lot, c’est presque un nom de châtaigne !

« …Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire ;
Nos galands y voyaient double profit à faire :
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : « Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître,
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes, marrons verraient beau jeu… »

Ce soir Minette qui ronronne sur le fauteuil de la cuisine, n’imitera pas son ancêtre Raton, héros avec le singe Bertrand d’une fable de La Fontaine. L’époque où l’on grillait les châtaignes dans la cheminée de la ferme familiale est révolue. Un poêle à bois a pris place désormais dans l’âtre. Les temps changent comme l’expression d’ailleurs : dans son sens ancien, tirer les marrons du feu avec la patte du chat consistait à se tirer d’un danger ou d’un dommage par le moyen d’une autre personne, en l’exemple, le chat était l’agent et non le bénéficiaire. Aujourd’hui, dans notre société plus individualiste, on tire avantage de la situation pour soi-même, parfois malhonnêtement, agent et bénéficiaire sont confondus.

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Bref, la curieuse poêle percée de trous est pendue au clou et les châtaignes sont bouillies dans la cocotte. C’est tout de même un moment de convivialité. La petite queue ou torche entre le pouce et la pointe du couteau, nous débarrassons la graine de son tégument rougeâtre avant de la savourer. Nostalgie d’automne, les aïeux évoquent avec émotion leurs chers disparus et les veillées d’antan ou castagnades au cours desquelles les plus hardis réchauffés par les effluves du vin nouveau, dansaient quelque castanha endiablée. Parfois, ils s’affublaient de grelots pour chasser les mauvais esprits. Avant que nos technocrates européens de Bruxelles ne règlementent ces traditions, certains comités des fêtes remettent au goût du jour, ces soirées Castanha e Vinovèl. Les éleveurs ariégeois réhabilitent une race bovine traditionnelle du Couserans, dite Casta en référence à la couleur châtain de sa robe.
Bouillies, grillées sous la cendre ou au four, n’oubliez pas auparavant d’inciser les châtaignes sur le côté pour éviter qu’elles n’éclatent.

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En confit, en purée ou en farce, elles accompagnent avec bonheur les viandes et volailles. En confiture, on l’étale sur des crêpes. En farine, la châtaigne entre dans la composition de nombreux flans et gâteaux. Elle participe aussi à la fabrication de la polenta corse ou a pulenda, un plat traditionnel de l’île de Beauté qui se marie superbement avec les viandes en sauce. Ainsi, ma compagne en a cuisiné une, il y a quelques jours, avec une daube d’un sanglier abattu non loin du lieu de ma cueillette. Tous ceux qui ont eu en vacances soif de Corse se sont désaltérés de la délicieuse bière Pietra originaire de la bien nommée Castagniccia et élaborée à partir de farine de châtaigne mélangée à du malt.

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Pour que vous tombiez  définitivement amoureux de la châtaigne, je ne résiste pas à vous citer quelques merveilles concoctées par Michel Bras, le grand chef cuisinier trois étoiles de Laguiole : Gouttes de rhum, des croûtes de châtaignes qui se façonnent, se garnissent au gré de l’air du temps ou bien Un lait parfumé pour un pain qui se perd dans les châtaignes ou des châtaignes perdues dans le pain, ou encore Le turinois à la vanille et aux châtaignes, un chocolat au caramel et au beurre. Certains souhaitent mourir à Capri, moi si je peux choisir, ce sera en Aubrac !
Sportifs ou abonnés au coup de pompe de l’hiver, vous trouvez en elle votre panacée. Source généreuse de glucides lents, elle renferme aussi une belle quantité de vitamines B, essentielles à la bonne assimilation de l’énergie. Elle bat également des records de teneur en potassium et constitue un véritable réservoir de magnésium. J’ignore si sa surconsommation est à l’origine d’un surcroît d’énergie se traduisant par une distribution de gnons :

« …Y m’a filé une beigne
J’ai filé un marron
M’a filé une châtaigne
J’ai filé mon blouson … »

Si Renaud laisse béton, par contre Claude Nougaro, « son cartable bourré de coups de poing », chante les mémés qui aiment la castagne, notamment quand les packs de Montauban et du Stade Toulousain se défient sur la pelouse des Sept Deniers !

« Peut-être un hérisson qui vient de naître?
Dans la mer, ce serait un oursin, pas bien gros…
Ici, la boule d’un chardon – peut-être
Ou le pompon sournois d’une bardane
Ou d’un cactus? Mais non, dans le bois qui se fane,
Dans le bois sans piquants, moussu, discret et clos,
Cette chose a roulé subitement, d’en-haut,
Comme un défi… parmi les feuilles qui se fanent… »

Le chose évoquée encore par Sabine Sicaud s’appelle cataigne en picard, chatagne ou chatigne dans la Saintonge, castanya en catalan, castanha en provençal, kesten en breton, chestnut en anglais. Selon sa forme crue, bouillie, grillée, séchée, elle devient en patois méridional, auriol, catanha riulada, castanhièr, milhassi.

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Il est temps de rendre hommage à l’arbre géniteur de ce délicieux fruit. Le châtaignier, comme l’écrit Cavanna dans son livre nostalgique Sur les murs de la classe, est un mot de dictée qu’on croirait gentil et paf, c’est un piège. Combien d’entre nous, dubitatifs, le stylo (ou le porte-plume pour les plus anciens) entre les dents, fûmes tentés de mettre l’accent circonflexe sur le i , le premier, car il y en a un second dans le suffixe servant à former le nom des arbres à fruit ! Pour notre malchance, c’est l’un des quelques mots comme quincaillier, groseillier, joaillier et marguillier qui présentent un i superfétatoire. Heureux écoliers de l’ère numérique qui ne s’embarrassent plus de ces subtilités de la langue française pour taper leurs textos ! Et pourtant, s’ils savaient quelle jubilation étymologique ils ratent !
Ainsi, le mot châtaignier viendrait du latin castanea, lui-même dérivé du grec kastanon, nom d’une ville de Thessalie renommée dans l’Antiquité pour la qualité de ses châtaignes. Il est une autre explication très savoureuse née de l’imagination d’un poète italien de la Renaissance, et de la mésaventure tragique survenue à la sublime Nea, l’une des nymphes de la déesse Diane chasseresse. Sa merveilleuse beauté provoqua le coup de foudre de Jupiter, rien de plus logique et naturel au demeurant, de la part du dieu du tonnerre. Mais la chaste Nea, par vertu, plutôt que céder aux assiduités divines, préféra se donner la mort. Toujours sous le charme de la défunte, Jupiter décida alors de transformer sa dépouille en un arbre majestueux et d’une longévité exceptionnelle qu’il nomma casta nea et dont le fruit pourvu de piquants symbolisait le gardien de la vertu préservée. Sacré bonhomme que ce dieu pour lequel les Romains avaient tellement de respect qu’ils lui dédièrent un autre arbre, le noyer, de la famille des Juglandacées, appelé aussi poétiquement, gland de Jupiter et calottier. Matthiole, médecin et botaniste italien de la Renaissance, affirmait que « les noix mâchées, si on en frotte la tête, remplissent de poil les places vides » ! Moi qui ne suis pas sorti de la cuisse de Jupiter, j’ai un peu les boules devant sa toute puissance même si tout dieu qu’il fût, il se prit un râteau de la part de Nea !

 

« … J’entends les vieux planchers qui craquent
J’entends du bruit dans la baraque
J’entends j’entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
C’est vrai pourtant qu’il nous protège
Contre le froid contre la neige
Tout en berçant mes insomnies
Ce n’est pas une chanson triste
Mon châtaignier est un artiste
Qui continue d’aimer la vie… »

 

Et j’ajouterai à la complainte tendre de Jean Ferrat, ardent défenseur de l’arbre fétiche de « sa » montagne ardéchoise, que l’artiste en question rythmait même la vie de la naissance à la mort. En effet, avec son bois, on fabriquait les berceaux et les cercueils, les solides charpentes et planchers des habitations qui chassent les araignées et autres insectes, des meubles aux jolies veines, les douelles des tonneaux, cuves et comportes, les ruches, des piquets et échalas. Rien ne se perdait, la feuille servait de fourrage pour les chèvres et les moutons.
Cependant, comme nombre créateurs de génie, il est confronté à d’affreux tourments. Ainsi, le chancre est apparu en France dans les années 1950, attaquant son écorce puis son tronc. Pire encore, dès la fin du dix-neuvième siècle, la maladie de l’encre, en provoquant la pourriture des racines, a décimé beaucoup de châtaigneraies. L’exode rural, l’attrait du « formica et du ciné », l’abandon des terres, a définitivement scellé le déclin du légendaire arbre à pain.

« …Et vous ne voudriez pas, quand me renseigne
Dans la ville brumeuse, un cri rauque : « Marrons tout chauds! »
Quand j’aperçois, joufflus, blêmes, sans peau,
Ou craquelés et durs avec des taches de panthère,
Les frères de ma sauvageonne, tous ses frères -
Vous ne le voudriez pas, que j’évoque, là-bas,
Un vieil arbre perdant ses feuilles rousses,
Et me souvienne du choc sourd, lourd, lourd comme un glas,
De pauvres fruits tués qui tombent sur la mousse? »

Le châtaignier abrita la clandestinité des maquisards dans le « désert » cévenol. Ici le Couserans, un français parle aux Français : « Les sanglots longs des marrons de l’automne, blessent mon cœur d’une langueur monotone, je répète, les sanglots longs des marrons de l’automne … » ! Vite, entrons en résistance pour que longtemps encore, à la manière de Barbara :

« …Il automne, il automne,
Il automne des pommes rouges
Sur des cahiers d’écoliers.
Il automne des châtaignes
Aux poches de leur tablier… »

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Publié dans:Ma Douce France, Recettes et produits |on 1 décembre, 2010 |3 Commentaires »

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