Mardi 5 octobre, fin d’après-midi, « face à la Grande-Bretagne, sur la plage de Dinard, le rendez-vous annuel du cinéma britannique » !
Face à un goéland aussi ! Il n’y a pas de mouettes en Bretagne, me rabâche sans cesse l’ami qui me permet de renouer, après une année sabbatique, avec cet événement cinématographique. Succès oblige, vouloir vivre le festival tient de plus en plus d’un parcours du combattant cinéphile et, au prix d’une attente de sept heures, un jour de juin heureusement ensoleillé, il a obtenu le précieux sésame, mon pass.
En cette veillée d’armes, je fourre dans un sac celles offertes à l’accueil du palais des Arts, la grille des séances, le catalogue officiel des programmes et l’affiche du festival. Il n’y a pas de petites économies, le lot ne contient plus la bouteille de cru d’Anjou bien que l’interprofession des Vins de Loire soit toujours partenaire officiel de la manifestation. Il est vrai que les Plantagenêts, surnom d’une dynastie princière dont le premier membre Geoffroy V était comte d’Anjou et du Maine (1128-1151) ne règnent plus sur le royaume d’Angleterre depuis 1399.
Plage de l’Écluse, j’ai le bonjour d’Alfred … Hitchcock, le maître du suspense et de la cérémonie. Chers lecteurs, vous vous souvenez des sueurs froides qui m’avaient glacé l’échine (voir billets des 18 mai et 30 juillet 2008). Sans avoir la faiblesse de croire que j’y sois pour quelque chose, une statue en bronze haute de 2,40 mètres, plus apte à supporter les rigueurs du climat breton, se dresse à l’entrée de la promenade, depuis l’édition précédente du festival.
En hommage au soixante-dixième anniversaire de la naissance de John Lennon ainsi qu’au trentième de sa tragique disparition, les Beatles ont emboîté le pas de sir Alfred sur l’affiche du festival. Clin d’œil émouvant à la pochette d’Abbey Road, l’avant-dernier album réalisé en commun par les quatre garçons dans le vent de Liverpool, la pellicule remplace ici le mythique passage piéton.
Dans la rue montant vers le palais du festival, le tapis rouge est déroulé à ces cinq glorieux anoblis par la reine. De-ci delà, des enceintes diffusent en boucle les innombrables succès des Fab Four, et comme un signe, c’est Lucy in the sky with diamonds qui m’accompagne. Que n’a-t-on raconté autour de cette chanson ? Lennon, son auteur, confia qu’elle fut inspirée par un dessin de son fils Julian revenant de l’école maternelle, ainsi que par Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Beaucoup d’autres y relevèrent une allusion à la drogue à travers notamment les initiales rappelant le LSD, une fameuse substance hallucinogène. Nous y verrons ici une couleur psychédélique qui traversa les années 1960 et qui caractérise un peu les films en compétition officielle. Mercredi 6 octobre, après le crachin de la veille, le bleu trouve progressivement sa place dans le ciel dinardais. Bientôt, Here comes the sun !
« Nice very nice disent les vagues aux galets
En glissant le long d’la Promenade des Anglais
Nice very nice Nice… »
De Dinard à Nice, de Claude Nougaro à Mr Nice, le premier film de la sélection officielle à voir ce matin dans la salle des Alizés.
Il raconte l’histoire vraie et tumultueuse de Howard Marks, héros de la contre-culture britannique. Issu des classes populaires du pays de Galles, diplômé d’Oxford, il devint un des plus importants trafiquants de marijuana des années 70 et 80. 43 identités, 89 lignes de téléphone, 25 sociétés écrans, Howard Marks a jonglé pendant vingt ans avec des tonnes de haschich et des millions de dollars tout en menant une vie de famille épanouie avec sa femme et ses quatre filles. Jouant de ses liens avec la CIA, l’IRA, les Triades et la Mafia, sans jamais se départir de son humour et de sa non-violence, ce contrebandier romanesque est finalement capturé au terme d’une traque menée par quatorze pays, et incarcéré dans le plus dur des pénitenciers américains. Il y restera sept ans. C’est à sa sortie de prison qu’Howard Marks écrit Mr Nice dont il tire un one man show qui fait salle comble en Europe. Clin d’œil, il s’assure qu’il n’y a pas de policiers parmi les spectateurs … avant de tirer une bouffée de cannabis ! Le film est planant au point d’être léger dans le cadre d’un festival.
Un sandwich américain au thon, un demi pression et cap vers le palais des Arts pour la projection de Soulboy de Shimmy Marcus.
Jeune réalisateur de documentaires et de clips, il met en scène son héros Joe MacCain, un adolescent de 17 ans, dans le Wigan Casino Dance Floor, le temple de la Soul music du nord de l’Angleterre, au début des années 1970. L’intrigue est mince et je finis par m’ennuyer malgré l’énergie déployée par le juvénile Martin Compston.
Vite, en route vers l’ancienne chapelle de la salle Stephan Bouttet ; après de sympathiques mises en bouche, voici le plat de résistance du jour : We want sex, un titre racoleur propre à effaroucher la bonne bourgeoisie dinardaise à moins que…
We want sex est en fait le slogan tronqué We want sex equality d’une banderole mal déployée lors d’une manifestation. Le film sorti au Royaume-Uni sous le titre plus sobre de Made in Dagenham, retrace la grève menée en 1968 dans l’usine Ford de Dagenham, une banlieue ouvrière de Londres, par 187 femmes protestant contre les discriminations salariales dont elles sont victimes.
Le réalisateur Nigel Cole, plutôt que de se lancer dans un violent pamphlet social, nous trousse une comédie très efficace dans la lignée des Virtuoses et Full Monty, un ancien premier prix à Dinard. Séquence cocasse, faisant l’union avec les travailleurs au premier degré, l’une des révolutionnaires en jupons relève les siens pour s’unir avec un ouvrier sur la banquette arrière d’une automobile Ford (of course) dont elle a justement cousu le cuir des sièges. Personnage emblématique de la révolte, la timide Rita, magnifiquement interprétée par Sally Hawkins, se retrouve à contre-cœur à la tête du mouvement. S’engage alors un long bras de fer avec les dirigeants du géant Ford au terme duquel elle devient amie avec l’épouse du patron et finit par trinquer (un double whisky !) avec Barbara Castle, la ministre de l’emploi du gouvernement travailliste, tout cela dans une ambiance minijupe, imperméable en plastique et maquillage boîte de peinture style Mary Quant très en vogue alors. Au bout de leur combat, les ouvrières de Ford obtiendront une revalorisation de leurs salaires à hauteur de 92 pour cent de ceux de leurs collègues masculins avant que soit adopté en 1970 l’Equal Pay Act qui met fin à la discrimination salariale entre hommes et femmes. Nous n’en sommes pas encore là en 2010 dans notre douce France ! Ça donne la pêche pour manifester contre la réforme des retraites.
D’ores et déjà, à voir la mine réjouie des spectateurs à la sortie, We want sex se pose en grandissime favori pour le prix du public. Et si les dames de Dagenham devenaient samedi, lors de la proclamation du palmarès, les dames de la côte d’Émeraude ?
Les membres du jury débarquent peu à peu. Le bonheur est au lounge du palais des Arts. J’y rencontre le président, Étienne Chatiliez, l’inoubliable créateur de la famille Groseille, de Tatie Danielle et de Tanguy, ainsi que la délicate Elsa Zylberstein. Mon ami attend avec fébrilité Sienna Miller, l’explosive actrice et mannequin américaine. C’est un des charmes du festival de croiser en toute simplicité dans les rues, bars et restaurants de Dinard, les gens de cinéma sans caméras, ni photographes et gardes du corps.
En fin de soirée, j’achève ma première journée de festivalier avec un quatrième film de la sélection officielle, Sex&Drugs&Rock&Roll du réalisateur Mat Whitecross, auteur de The road to Guantanamo, Ours d’argent à Berlin en 2006 et, accessoirement de plusieurs clips du groupe Coldplay. Pas de crainte donc sur son aptitude à « bouger la caméra » pour nous conter la vie pour le moins chaotique de Ian Dury, rocker britannique devenu célèbre dans les années 1970 avec son groupe The Blockheads.
Sex&Drugs&Rock&Roll, s’ils ne sont pas les auteurs de cette formule, ils ont créé en 1977 la chanson éponyme à jamais gravée dans l’esprit de plusieurs générations. Chanteur punk, parolier, auteur de comédies musicales, peintre, acteur, ambassadeur de l’UNICEF, Ian Dury, handicapé dès l’enfance par une poliomyélite des piscines, connut une vie foisonnante dont Matt Whitecross refuse d’appréhender la chronologie en lui préférant un périple émotionnel rythmé par sa musique « surréelle ». Pour évoquer sa multitude de styles et de looks, le réalisateur choisit un parti pris de kaléidoscope surréaliste en tournant chaque scène d’une manière différente. L’effet bande dessinée peut dérouter même ennuyer. En ce qui me concerne, je plane (c’est de circonstance !) avec beaucoup de jubilation dans ce balancement entre la violence exprimée sur scène et la tendresse et la poésie de l’enfant qui n’a jamais su grandir. De plus, l’interprétation d’Andy Serkis est remarquable. Enchanté, comme auparavant pour We want sex, je glisse la note maximale dans l’urne réservée aux votes du public. Puis je regagne mes pénates sans sexe, sans drogue, sans rock’n’roll non plus d’ailleurs mais avec une bouteille d’alcool de menthe gentiment mise à ma disposition par l’épouse de mon ami !
Jeudi 7 octobre, grand bleu sur la plage de Dinard avant d’assister à un film très noir, c’est du moins ce que peut laisser présager son titre Skeletons. Crainte dissipée dès les premières secondes du film qui rappellent Bertrand Blier au temps de sa splendeur, paraît-il retrouvée dans son récent Le bruit des glaçons.
Tandis qu’ils marchent dans la campagne magnifique du Derbyshire, vêtus de costumes de représentants de commerce un peu élimés, attachés-cases à la main, Davis et Bennett, les deux héros à la fausse dégaine de Laurel et Hardy, devisent de la transparence morale de Raspoutine, « droit dans ses bottes », beaucoup plus respectable que John Lennon et les frères Kennedy avec l’épisode de la baie des Cochons, leurs magouilles avec la CIA et leurs frasques avec Marilyn Monroe ! Le ton hilarant et décalé est donné et souligné par une musique du Mystère des voix bulgares beaucoup moins incongrue qu’il n’y paraît, mais cela on ne le saura que plus tard ! En fait, nos deux VRP, employés de l’entreprise Veridical, sont chargés de débarrasser les gens des cadavres qui traînent dans leurs placards. Pour appliquer la « procédure » et extraire les mensonges et les secrets de famille enfouis, ils utilisent un drôle de matériel de l’ère analogique. Mon propos vous laisse sans doute perplexe mais pour clarifier vos idées, sachez que ces chasseurs de fantômes se refusent à travailler dans la troisième dimension, préférant directement entrer dans la quatrième !!! Profession pleine d’aléas puisque pèse sur nos compères, la menace d’être envoyés en Bulgarie en cas de faute grave, notamment pour l’un d’eux, contaminé spirituellement par abus de joints « quadridimensionnels » ! L’astuce du scénario est d’introduire le miraculeux dans une vie quotidienne des plus banales. Vous avez compris (manière de dire), Nick Whitfield signe là un film que j’ai adoré : note maximum !
C’est l’heure de la pause, du sandwich américain au thon, pression et café avant la projection de Treacle Jr de Jamie Thraves.
C’est l’histoire d’un mec, pas con le mec il est architecte, aisé le mec il a un joli cottage dans les Midlands, heureux le mec il a une belle femme et un adorable bébé. Et pourtant, il décide, un beau matin, de fuir tout cela pour vivre dans la rue à Londres. Il y rencontre presque aussitôt, un simplet au grand cœur, excessivement bavard et collant au possible dont, par bonne éducation, politesse ou pitié, il ne sait se défaire. Le réalisateur présent dans la salle avec un des deux héros, explique que ne sachant pas comment appeler ses personnages, il leur a donné le même prénom que dans la vie. Aidan Gillen étincelant et Tom Fisher excellent dans son rôle de looser effacé et pudique, nous entraînent dans leur mélancolique errance, au ton léger malgré la gravité du propos. Quant à Treacle dont la traduction française signifie mélasse, c’est le nom d’un adorable petit chat ! Happy end, Tom ferme sa parenthèse clocharde en retournant vers sa famille. J’ai beaucoup aimé, note maximum ! Encore une fois, on constate la richesse du cinéma britannique capable de traiter des sujets de société variés avec beaucoup de délicatesse, humour et efficacité. J’en ai terminé avec les films en compétition officielle, vous voulez mon palmarès ? We want sex excellent mais peut-être trop classique dans un festival, Skeletons excellent mais peut-être trop dérisoire, Sex&Drugs&Rock&Roll excellent mais peut-être trop déroutant dans sa construction, Treacle Jr excellent et consensuel, de là viendra peut-être la surprise. Verdict samedi !
Place désormais aux avant-premières et aux hommages et pour commencer The Magdalene sisters, un film réalisé en 2002 par Peter Mullan et récompensé par un Lion d’or à la Mostra de Venise. Dans le comté de Dublin, en 1964, Margaret est violée par son cousin lors d’un mariage. Bernadette, pensionnaire dans un orphelinat, suscite la convoitise des jeunes gens du quartier. Rose, non mariée, donne naissance à un petit garçon. Trois tranches de vie qui envoient les trois jeunes femmes au couvent des sœurs de Marie-Madeleine pour qu’elles expient leurs péchés et sauvent leur âme, par la prière et le travail. La réalisation et l’interprétation remarquables nous font découvrir ce qu’étaient Les Couvents de la Madeleine, ces foyers pour femmes « perdues », nés au dix-neuvième siècle en Grande-Bretagne et en Irlande, gérés par différents ordres de l’Église catholique romaine. Les estimations font état d’environ 30 000 femmes y ayant séjourné, le plus souvent contre leur volonté. Le dernier établissement fut fermé le 25 septembre 1996. Et notre président va faire cette semaine des courbettes auprès du Saint-Père … ! Avant la cérémonie d’ouverture en soirée, nous nous régalons d’une savoureuse choucroute de la mer et d’une trilogie de chocolats au Café Anglais, le bien nommé. Je vous recommande l’adresse, l’accueil est très sympathique, la cuisine également !
♫She loves you yeah yeah yeah...♫ Pass en bandoulière et carton d’invitation à la main, nous faisons partie des privilégiés de la cérémonie d’ouverture. Un privilège dont mes longues jambes et mes fesses se dispenseraient bien vu l’inconfort et la vétusté du balcon du palais des Arts ! Les membres du jury, Sienna Miller comprise ( !) montent sur scène avant que ne débute la projection de Nowhere Boy, un des trois films présentés dans le cadre du Focus sur les Beatles. 9 octobre 1940, naissance de John Lennon, 1960 véritable reconnaissance du groupe avec la tournée à Hambourg, 1970 et la séparation des Beatles, 1980 assassinat de John Lennon, tout concourt en 2010 pour un hommage ! Avec Nowhere Boy, Sam Taylor Wood re-imagine l’enfance tourmentée de John Lennon déchiré entre sa formidable tante Mimi qui l’a élevé et sa maman Julia qui l’a abandonné. C’est remarquablement interprété avec notamment Kristin Scott Thomas dans le rôle de la tante rigide. C’est divertissant, on tape du pied sur quelques morceaux des Quarrymen. Le nom du futur groupe de légende n’est à aucun moment prononcé. Le film s’achève par la rencontre de son frère d’âme Paul McCartney et George Harrison et la mort de sa maman renversée par une voiture qui le marquera pour la vie. Rappelez-vous de Mother et de :
« Half of what I say is meaningless
But I say it just to reach you
Julia
Julia
Julia
Oceanchild
Calls me
So I sing a song of love
Julia
Julia
Seashell eyes
Windy smile
Calls me
So I sing a song of love
Julia… »
Vendredi 8 octobre, une dizaine d’heures plus tard, je franchis deux décennies avec The killing of John Lennon. Andrew Piddington, présent dans la salle, nous explique que pour raconter l’histoire de Mark David Chapman qui assassina John le 8 décembre 1980, il a tourné sur les lieux exacts en utilisant fidèlement les propos tenus par le meurtrier lors de l’enquête et le procès. Il ne manque pas d’ajouter que Chapman est toujours incarcéré et qu’il le mérite bien, sans doute pour briser toute velléité de sympathie que la progression psychologique du récit pourrait engendrer à l’égard du meurtrier. Fan obsédé des Beatles, Chapman voyait en Lennon celui qui l’aiderait à surmonter sa vie médiocre et sans but. Jusqu’au jour où il considère que John, celui qui imagine no possessions, l’a trahi dans ses espoirs en menant une vie de milliardaire avec yachts, ranchs et investissements immobiliers. Dans plusieurs séquences du film, Chapman se réfère à L’attrape-cœurs, le livre de Salinger qu’il portait sur lui lors de l’assassinat. Dangereux psychopathe, il voulait être quelqu’un de célèbre au moins une fois dans sa vie. Comme il dit en regardant la télévision dans sa cellule, la tentative de meurtre sur Ronald Reagan : « il m’a copié » ! Voici là dans le genre thriller, l’étude ambitieuse et esthétique de la montée en puissance du prédateur.
Je profite du temps toujours superbe pour me restaurer rapidement en terrasse sur le front de mer, d’autres nourritures moins terrestres m’attendent. Peter Mullan avec femme et enfant flâne en toute décontraction sur la plage à marée basse. Cet acteur écossais qui obtint le prix d’interprétation masculine lors du festival de Cannes 1998 pour My name is Joe de Ken Loach, s’essaie avec succès à la réalisation avec, outre The Magdalene sisters déjà cité, Orphans et Neds à voir demain.
Je photographie un goéland en plumes et en os qui a rejoint ses congénères de bronze sur les épaules d’Hitchcock, avant de tenter le pari de voir trois films consécutivement.
Et pour commencer, ce n’est sans doute pas la meilleure manière de digérer mon sandwich jambon fromage, Cherry Tree Lane de Paul Andrew Williams, Hitchcock d’or à Dinard en 2006 avec London to Brighton. Il s’agit d’un huis-clos dans un pavillon de banlieue habité par un couple juste en proie à la crise de la quarantaine. Un soir, deux coups de sonnette font basculer leur vie tranquille dans l’horreur. Parce que le fils de la maison a balancé leur cousin dealer à la police, des adolescents par vengeance, prennent en otages les parents en attendant son retour. On ne voit rien mais on pressent tout ce qu’on peut faire avec des couteaux de cuisine et autres objets domestiques contondants. On assiste impuissant à l’horrible montée de la violence. Audacieux et efficace ! Je file vite vers la salle Bouttet pour The Arbor de Clio Barnard. Dans la file d’attente, nous retrouvons Jamie Thraves et Tom Fisher, réalisateur et acteur de Treacle Jr, en grande discussion avec Shane Meadows, peut-être le plus grand cinéaste britannique de la jeune génération. Vainqueur ici en 2004 avec Dead Man’s shoes, il avait aussi présenté en avant-première en 2007 son remarquable This is England. Tom Fisher répond avec beaucoup de gentillesse aux demandes d’autographes et photographies de ses fans « fiftyagers » !
The Arbor raconte l’histoire vraie de la dramaturge de Bradford, Andrea Dunbar, en se concentrant sur sa relation tumultueuse avec sa fille Lorraine. Celle-ci n’a que dix ans quand sa mère meurt tragiquement à l’âge de vingt-neuf ans en 1990. La réalisatrice la retrouve aujourd’hui alors qu’elle purge une peine de prison pour l’homicide involontaire de son fils. La variété des sources, témoignages de proches, images documentaires, scènes de théâtre en plein air, déroute un certain temps mais au final, donne de l’épaisseur au propos en abordant l’héritage familial tragique, la culpabilité et l’évolution sociale du quartier de Buttershaw au cours des vingt dernières années. J’aimerais revoir The Arbor pour goûter mieux encore à la subtilité de la construction narrative.
Premier Gros plan sur le cinéma irlandais avec All good children d’Alicia Duffy présenté en mai dernier à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes ! Le film raconte l’histoire de Dara et Eoin, deux jeunes garçons irlandais, envoyés à la mort de leur mère chez une tante dans le Nord de la France. Les enfants sympathisent avec une famille anglaise et Dara tombe sous le charme de leur fille Bella. Il règne une atmosphère de conte avec la forêt qui bruisse de secrets, les enfants en quête d’apprentissage, la rousseur de la jeune fille, une toile d’araignée rayonnant au soleil, mais quand Bella commence à s’éloigner, les sentiments de Dara deviennent incontrôlables et c’est le plongeon dans un conte de la folie cruelle.
En fin de soirée, la file d’attente pour Black Death diminue brutalement quand l’hôtesse annonce que le film est projeté en version anglaise non sous-titrée. Malgré mes insuffisances dues à dix ans de lecture pourtant assidue de mon manuel scolaire Davit et Giroud ( !), je ne veux pas manquer la nouvelle œuvre de Christopher Smith, maître du film d’horreur, qui m’avait déjà conquis en 2006 avec son premier long métrage, le sanglant et néanmoins désopilant Severance. En préambule à la séance, le réalisateur plein d’humour invite les spectateurs bilingues à assurer la traduction à haute voix. Nous voilà presque revenus au temps du cinéma muet lorsque les spectateurs lisaient les « cartons » à haute voix. Finalement, l’intrigue est suffisamment limpide pour être comprise sans maîtriser la langue de Shakespeare. L’histoire se déroule dans l’Angleterre médiévale envahie par la peste noire, une pandémie de peste bubonique qui toucha réellement la population européenne entre 1348 et 1352. Osmond, un jeune moine, accompagne un terrifiant chevalier et sa horde de mercenaires vers un village reculé dans les marais qui n’est pas affecté par le mal ravageur. Ils suspectent le rôle d’un nécromancien qui serait capable de ramener les morts à la vie. Accueillis en amis, ils découvrent rapidement que les habitants de ce village sont manifestement païens. De terribles faits sont révélés, Dieu n’épargne personne. Les soi-disant vertueux commettent des actes atroces et les vilains font parfois le bien. Vos sympathies envers les personnages changent au fil des événements, vous détestez bientôt ceux que vous pensiez aimer. Genre de l’épouvante oblige, le film sombre souvent dans une violence inouïe, les protagonistes ne manquant pas d’imagination et de matériaux raffinés pour satisfaire leur cruauté. C’est très documenté sur les mœurs et croyances de l’époque, magnifiquement filmé, magistralement interprété, bref un brillant film d’horreur qui ne m’empêche pas de trouver vite le sommeil
Samedi 9 octobre, c’est toujours l’été indien à Dinard qui me ferait presque regretter de me réfugier dans les salles obscures. Je commence la journée avec Snap, un autre film de la sélection irlandaise. La réalisatrice Carmel Winters, présente dans la salle, se propose de répondre à toutes nos questions à l’issue de la séance, précisant cependant avec justesse qu’il vaudrait mieux en débattre dans une semaine ! Je ne suis pas persuadé en effet que j’ai saisi toutes les clés pour appréhender ce film fort. L’héroïne Sandra a elle-même des difficultés à comprendre un événement qui s’est déroulé trois ans auparavant, lorsqu’à son insu, son fils de quinze ans a séquestré un petit garçon pendant cinq jours chez son grand-père. Pour tenter de reconstituer et justifier le drame, elle accepte de tout raconter devant une caméra tenue comme on l’apprendra à la fin par le jeune homme en question. La vidéo apparaît comme l’outil nécessaire pour évacuer des histoires trop lourdes à porter entre une mère déchirée et un adolescent déboussolé. Le montage est très astucieux, la réalisatrice utilisant les fréquents flash-backs comme une plaidoirie qui ne cherche pas le pardon mais juste la compréhension.
En début d’après-midi, je choisis de voir Zohra, a Moroccan Fairy Tale dans le cadre de l’hommage rendu à Barney Platt-Mills, présent à la projection. Je pouvais espérer beaucoup de ce réalisateur qui débuta brillamment sa carrière avec Bronco Bullfrog primé à Cannes en 1969 et Private Road, Léopard d’or au festival de Locarno en 1972. J’avoue que je m’ennuie ferme avec son conte oriental décrivant la brève romance entre un jeune homme de dix-huit ans et une jeune fille de quatorze promise en mariage à un homme riche plus âgé.
Grand saut dans l’espace, je quitte le Maroc pour rejoindre l’Irlande et The Eclipse de Conor McPherson, un auteur de pièces de théâtre à succès qui s’essaie donc à la réalisation cinématographique. Interprété avec talent et humanité par Ciaran Hinds (il jouait dans Munich de Spielberg) Michael Farr, instituteur, veuf depuis deux ans, élève seul ses deux enfants. Victime de cauchemars et d’hallucinations depuis la mort de son épouse, il tente d’oublier son quotidien comme volontaire bénévole dans un festival de littérature qui se tient dans une petite ville du bord de mer. C’est l’occasion de faire la connaissance de la jolie et douce Lena Morelle, une écrivaine dont il a apprécié le dernier roman autour des fantômes et du surnaturel, et qui peut sans doute écouter voire expliquer la réalité de ces tourments. Ce n’est pas si simple car elle-même tente de prendre ses distances avec un ancien amant, un romancier de renommée internationale, buveur et coureur de jupons impénitent. Le cadre de la modeste station balnéaire balayée par le vent, les paysages de landes et de côtes rocheuses prises d’assaut par les vagues, contribuent au mystère. The Eclipse est un joli film superbement interprété, oscillant avec subtilité entre fantastique et mélo. Il s’en passe des choses décidément en coulisses des festivals à en croire un chauffeur de l’organisation rencontré au pied des marches du palais ! Ce sont les petites histoires du cinéma.
Pour l’instant, c’est l’heure d’écrire la grande histoire du cinéma à Dinard avec la proclamation du palmarès. Comme au restaurant, c’est fromage ou dessert, ici pour les possesseurs de pass, c’est cérémonie d’ouverture ou de clôture. Foin des mondanités, je croise tout de même les membres du jury qui foulent lentement le tapis rouge sous le crépitement des flashes. Mon ami se faufile entre les plantes décoratives pour admirer (une dernière fois ?) Sienna Miller ! Pour vous mesdames, je photographie Pascal Elbé et Roschdy Zem venu remettre un prix.
Nous dînons à la terrasse du Café Anglais, lieu privilégié pour observer la fièvre d’un samedi soir de festival. Chabrol aimait glisser quelques recettes de cuisine dans ses films, je peux bien saupoudrer mes impressions de cinéphile d’allusions gastronomiques. Nous portons notre choix sur un délicieux carré d’agneau et son parmentier façon gigot de sept heures. Bientôt Shane Meadows, large sourire et pouce levé à mon égard, s’installe à la table en face. Pour lui c’est moules frites !
Avant de faire la queue pour le dernier film de la soirée, je jette un œil au palmarès affiché : Grand Prix du Jury, Hitchcock d’or, ex-aequo We Want sex et Treacle Jr ; Prix du Public, Hitchcock d’argent, We want sex ; Hitchcock blanc pour la direction de la photo à Mr Nice ; Prix Coup de cœur et Hitchcock de bronze à Exam, bien que le film soit hors compétition. Rien d’illogique dans ces choix, il se murmure qu’Étienne Chatiliez et Anne Consigny ont fait le forcing pour hisser Treacle Jr sur la plus haute marche du podium. Ma seule déception concerne Skeletons qui se retrouve bredouille. Je ne pense pas que le jury soit envoyé en Bulgarie pour autant !
Coïncidence, une clameur s’élève dans la file d’attente : « les skeletons ! les skeletons ! ». Effectivement, Davis et Bennett ( qui a perdu quelques kilos depuis le tournage) s’approchent pour nous saluer sous les ovations. Je m’abrite derrière mon ami … des fois que leur vienne l’idée de m’appliquer la « procédure » !
Place à Neds, la dernière réalisation de Peter Mullan qui vient de remporter quelques jours auparavant la Concha de oro, principale récompense du festival de San Sebastian. Le film dépeint les milieux pauvres de Glasgow dans les années 1970 à travers les Non Educational Delinquents, ces jeunes bandes de quartier. Nous suivons plus particulièrement le cheminement du jeune John McGill, (remarquablement interprété par Connor McCarron primé aussi comme meilleur acteur à San Sebastian) qui balance entre son désir de devenir chef de bande comme son grand frère et celui de s’en sortir grâce à ses brillants scolaires. Très professionnel et efficace, ce n’est malgré tout pas le film le plus original traitant de la violence des banlieues en Grande-Bretagne.
À la sortie, j’ai la surprise de dénicher dans un coin tranquille, l’équipe victorieuse de Treacle Jr qui pose rien que pour moi devant son trophée.
Récompense méritée pour le réalisateur Jamie Thraves qui est allé jusqu’à hypothéquer sa maison pour autofinancer son film.
Dimanche 10 octobre, c’est le dernier jour du festival essentiellement consacré à la rediffusion des œuvres primées. À défaut donc de revoir mon coup de coeur Skeletons, je porte mon choix sur Come on Eileen de Finola Geraghty, le quatrième film du Gros plan sur le cinéma irlandais. Eileeen, magistralement interprétée par Jackie Howe, a deux enfants et un nouvel amant qui fume des pétards. Elle adore la vie et la fête. Justement, un verre de trop et la voilà qui replonge dans les affres de l’alcoolisme. Elle perd le contrôle d’elle-même et de l’éducation de sa fille et son fils largement engagés sur le chemin de l’indépendance. Cela semble s’arranger à la fin de l’histoire lorsque tout ce petit monde se retrouve à l’occasion d’un festival rock. Raconté ainsi, ça fait un peu « sex&drug&spirits&rock&roll » mais c’est un film classique, grave et généreux.
Exam ne passant que plus tard dans l’après-midi, nous nous prélassons à la terrasse du Café Anglais où par mimétisme avec Shane Meadows, je commande des moules marinières et des frites. Puis nous nous attardons au pied de la statue d’Hitchcock, pour entendre face à la mer non pas Calogero mais … le cinéma. Allongés sur la plage, assis sur des transats ou sur les bancs de la promenade, les festivaliers rêvassent en écoutant un montage sonore réalisé à partir de citations des Beatles et des extraits de leurs chansons.
17 heures, c’est le début de la dernière épreuve du festival, pardon d’Exam de Stuart Hazeldine! Il s’agit d’un huis-clos tiré d’une pièce de théâtre. Dans une salle, huit personnes se présentent à un examen, phase finale d’embauche pour un poste à très haute responsabilité dans une mystérieuse entreprise ; une seule sera retenue. Les règles sont simples, elles ont quatre-vingts minutes pour répondre à la seule question posée. Mais quelle est la question puisque lorsque les candidats retournent leur feuille de papier, ils se retrouvent devant une page blanche ? Et si leur avenir ne dépendait pas d’une bonne réponse mais de la bonne question ? Je me prends au jeu et cherche aussi la solution à ce casse-tête. Un beau travail sur la lumière accentue l’atmosphère d’enfermement. Utilisant avec brio et originalité les ressorts du thriller psychologique, le réalisateur nous offre l’un des meilleurs films du festival, justifiant son Hitchcock de bronze inattendu. Vous désirez peut-être savoir qui est reçu à l’Exam ? Contrairement aux blagues douteuses, c’est la blonde qui s’en sort à son avantage !
Voilà, cinq jours et vingt films plus tard, mon festival du cinéma britannique de Dinard 2010 a vécu. Un cru honnête mais les cinéastes britanniques ont placé si souvent la barre haute qu’on devient de plus en plus exigeant. Le cinéma français devrait s’en inspirer, notre société en déliquescence offre tellement de sujets à traiter.
Vive le festival 2011 ! Puisse mon ami m’obtenir le précieux pass en juin prochain. Mais vu la fellation pardon l’inflation de candidats, il lui faudra peut-être patienter neuf heures dans la queue !