« La marche des nains » de Marc Giai-Miniet
À l’occasion des Journées du patrimoine, la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines invitait le public à pénétrer dans l’intimité des ateliers d’artistes en résidence dans la ville nouvelle. J’ai donc frappé à la porte de Marc Giai-Miniet, peintre et emboîteur dont je vous ai longuement entretenu dans un billet du 20 mars 2008.
Le porche est toujours de guingois avec sa petite porte encastrée. Familier du lieu, je me méfie moins de la plaque fixée dessus que de franchir le seuil sans me cogner le crâne. Voilà ce que c’est de mesurer neuf empans et demi ! L’empan est une unité de longueur ancienne ayant pour base la largeur d’une main ouverte du bout du pouce jusqu’à l’extrémité du petit doigt soit environ vingt centimètres.
Surprise ! Je me retrouve nez à nez (l’expression nez à genou serait plus appropriée!) avec une importante manifestation de nains de jardin. On connaît la divergence systématique entre les chiffres quand il s’agit d’en évaluer l’ampleur : vingt-cinq selon la police, une centaine d’après les organisateurs. Pour les avoir comptés, je confirme l’exactitude du nombre avancé par le musée de la ville à Saint-Quentin-en-Yvelines, maître d’œuvre de cette Marche des nains.
En ce mois de septembre chaud sur le terrain social, que peuvent bien revendiquer ces nains brandissant leurs pancartes ? La réforme des retraites qui tendent à devenir aussi minuscules que leur taille, c’était la semaine précédente. Après que la cour d’appel de Paris ait estimé que les poupées vaudou à l’effigie de notre président constituaient une atteinte à la dignité du chef de l’État, serait-ce une marque d’ostracisme à l’égard cette fois des nains de jardin, de la part de celui de l’Élysée ? Après la désapprobation de l’Union européenne face à l’ignominieuse purge ethnique menée contre les Roms, serait-ce une provocation supplémentaire de la part de messieurs Besson et Hortefeux pour un délit de longueur de jambes ? C’est bien sûr ce que j’ai voulu savoir auprès de l’artiste concepteur de ce soulèvement très populaire aux yeux des visiteurs.
Marc est loquace sur le sujet, avouant d’emblée avoir eu finalement, dès l’enfance, un ravissement pour les nains lorsqu’il passait devant les jardins de banlieue. Il ajoute avec humour que « sa petite taille, son teint jovial et sa barbe blanche pourraient à eux seuls justifier cette auto admiration » ! Il en est même à imaginer que la consonance de son nom le prédispose à son attrait pour le petit peuple.
Selon la mythologie grecque, l’ancêtre du nain de jardin serait Priape, fils de Dionysos et Aphrodite ou d’une nymphe (avec laquelle le dieu aurait possiblement fricoté !). Sa mère, déesse indigne, l’aurait abandonné tellement il était monstrueux avec sa taille minuscule, son corps difforme et son énorme pénis constamment en érection. À cause de cet exceptionnel attribut, il devint une divinité de la fécondité des vergers et des jardins et est à l’origine du terme médical de priapisme. Les Romains plaçaient souvent dans leurs jardins des statues grossières de Priape, en bois de figuier peint en vermillon pour servir d’épouvantail. La tête couverte d’un bonnet phrygien pointu, portant des fruits dans son habit, tenant à la main une faucille ou une corne d’abondance, exhibant son phallus démesuré, il était censé éloigner les oiseaux. De là viendrait-elle cette réputation qu’un nain soit souvent lubrique ?! Pauvre nain qu’on affuble fréquemment de vilains défauts, voilà ce que c’est de fourrer son nez dans les affaires des grands! On le dit jouisseur et farceur, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais aussi stupide ou susceptible, on le serait à moins.
Certaine théorie fait remonter l’origine des nains à la préhistoire. Les premiers forgerons extraient le minerai, du sulfure de cuivre qu’ils brûlent dans des foyers à ciel ouvert, afin d’en éliminer le soufre. Ce procédé produit des vapeurs d’arsenic qui provoquent des névrites, puis attaquant le système nerveux, une paralysie des jambes. Héphaïstos, le dieu du feu, est représenté sous les traits d’un forgeron boiteux. Dans la mythologie nordique, Brokk et Sindri sont des nains, fils d’Ivaldi, qui forgent la chevelure de la déesse Sif, la lance d’Odin et le bateau transportant les dieux.
Les nains sont reliés aux grottes, aux cavernes dans les flancs des montagnes, aux souterrains ténébreux. C’est là qu’ils cachent leurs ateliers de forgerons. C’est ainsi qu’ils connaissent les secrets des métaux rares et des pierres précieuses.
Au Moyen Âge, le nain est un prospecteur hors pair pour se faufiler dans les galeries étroites des mines. Pour le repérer dans les filons obscurs, le « nain porte quoi » ? : des couleurs vives, d’où le bonnet rouge typique et le tablier vert !
Lorsqu’on connaît l’univers de ses toiles et de ses boîtes traversées de boyaux, conduits, cheminées, égouts, souterrains, on comprend que Marc Giai-Miniet, passionné aussi d’alchimie, s’intéresse au petit peuple des entrailles de la terre, celui que Paracelse, illustre alchimiste suisse du XVIème siècle, appelle les élémentaires. Ces esprits des Éléments sont à l’origine des créatures imaginaires composées de l’un des quatre éléments issus de la tradition grecque, c’est-à-dire l’eau, la terre, l’air et le feu. Dans son « Livre des nymphes, des sylphes, des pygmées, des salamandres et de tous les autres esprits », Paracelse désigne six familles d’hommes sans âme, les nymphes filles de l’eau, les lémures fils de la terre habitant sous les montagnes, les gnomes esprits de l’air, les génies du feu, enfin les géants et les nains vivant à l’ombre des forêts.
Dans les anciens mythes germaniques et nordiques, l’univers est composé de sept à neuf « mondes » physiques encerclés par une mer : les pays des Elfes, des Nains (Nidavellir), des Dieux et des Géants. Le monde des Hommes connu sous le nom de Terre du Milieu se trouve au centre de cet univers. C’est là que Tolkien place la plupart de ses récits, notamment Le Seigneur des Anneaux.
Mon origine normande prédispose à une sympathie à l’égard des gobelins, une race de petits êtres noirauds et taquins. Ils sont apparus sur terre pour la première fois en Normandie où l’eau, la verdure et les nuées, facilitent leur développement. Certains, charmés par les falaises de la blanche Albion, embarquèrent sur les barques normandes et les drakkars vikings pour traverser la Manche. Dans les contes de mon enfance, je devais me méfier des goublins qui rôdaient l’sai dans les q’mins, le soir dans les chemins !
En flânant quelques minutes dans l’atelier, on ne peut s’empêcher d’établir une filiation entre toutes ces créatures minuscules et fantastiques, et les personnages sans bras voire larvés qui habitent les toiles et les boîtes de Marc Giai-Miniet. « Il rôde dans une atmosphère pesante les fantômes d’un opéra sinistre et silencieux où ceux qui gardent un peu d’espérance ont peine à voir une parcelle de lumière. Cependant, tout n’est pas noir et tout n’est pas perdu. Reste la clarté qui vient d’en haut et des bibliothèques qui transmettent la pensée, archivent l’histoire des hommes ».
La lumière pour La marche des nains vient justement de la rencontre de Marc avec les livres et les rayons, ou plus exactement, avec Didier Lejeune, un vieux libraire de Roubaix. Également, pataphysicien, ex-soixante-huitard, révolutionnaire professionnel mais pas mort, ancien candidat aux municipales sur une liste du facteur de Neuilly, ancien journaliste, bouquiniste, il a eu l’idée farceuse de créer, chaque 32 mars (qui dans une logique calendaire implacable est la veille du 1er avril !), les rencontres mondiales des nains de jardin, au pays des Géants du Nord. Il pense que « les nains de jardin sont complètement aliénés. Mais ils sont heureux comme ça. Simplement, une fois par an, ils sont contents de se balader » ! Sa démarche est donc moins radicale que celle des membres du FLNJ, le Front de Libération des Nains de Jardin, qui libèrent nos compagnons en céramique (et plastique) de leurs prisons gazonnées en les transportant dans les forêts, l’habitat originel des nains dans les légendes.
« Déjà que j’avais pas grand chose
Dans ma petite vie pas toujours rose
Dans mon petit pavillon de banlieue
Oublié des hommes et de Dieu
Entre ma petite femme et mon chien
J’avais que la télé et puis rien
A peine un petit carré de pelouse
D’un mètre vingt trois sur un mètre douze
Où il trônait comme un pacha
Mon petit Simplet qui n’est plus là
Si je tenais l’enfant de gredin
Qui m’a volé mon nain de jardin
Je lui ferais passer le goût du pain … »
N’en déplaise à Renaud, j’avoue une certaine sympathie pour ces rapts jardiniers qui tiennent plus du canular que du vandalisme. Il est possible d’ailleurs que le chanteur, le premier degré dépassé, la partage !
Entre poésie enfantine et pamphlet politique, Giai-Miniet instrumentalise la fronde des nains en les équipant de masques à gaz, accessoire récurrent dans ses œuvres.
Dans un texte d’accompagnement sur son propos artistique, il justifie son militantisme actif pour la sauvegarde de l’entité naine « menacée d’étouffement par les déjections mortifères et gazeuses de l’urbain, par la pollution de nos villes, de nos voitures, de nos mobylettes, de nos tondeuses à gazon. Attention au Nain qui tousse ! Cet index de l’allergie envahissante et de l’urbanisme codifié, ce sismographe du CO2, du béton et du jardin macadamisé … Ne vous méprenez pas : les nains sont des intercesseurs entre les profondeurs de la terre et nous, comme les anges le sont entre nous et le ciel, et comme eux possèdent les pouvoirs occultes que leur ont donné l’usage, la sagesse et la folie des temps. » ! En aparté, Marc me glisse que si même les nains doivent s’harnacher de masques, c’est que notre planète ne tourne vraiment plus rond. Yann Arthus-Bertrand choisit de sauver la terre en la photographiant et la filmant vue du ciel. À l’inverse, c’est au ras des pâquerettes que Marc pousse son cri d’alarme sur ce que les hommes sont en train de faire à eux-mêmes et à leur descendance ! Dans (ou À ?) la cour de Giai-Miniet, les nains retrouvent leur fonction ancienne de bouffon du roi exprimant sur le ton de la plaisanterie les choses les plus graves.
Halte à la déforestation, sous l’œil dubitatif d’adorables écureuils, un groupuscule de nains scie les dernières souches de bois existant encore dans les forêts !
L’un d’eux, solitaire, a préféré s’installer sous la main protectrice d’une sculpture de femme grandeur nature.
On a toujours besoin d’un géant chez soi ; Marc, lassé de cette œuvre, me réquisitionne pour transporter au verger cette femme enceinte dans une brouette !
Stop à la pollution, danger pesticides, d’autres nains nous interpellent avec leur pot de fleurs ou leur panier rempli de jolies pommes, peut-être trop rouges pour être honnêtement bio ! Il y a quelques jours, au journal télévisé, un producteur de fruits dans la vallée du Rhône, au bord des larmes et de la faillite, se plaignait de ne plus vendre ses poires parce qu’elles présentaient quelques défauts.
« Je représente souvent des êtres qui ne sont pas finis et qui ne sont même plus des animaux » écrit Marc Giai-Miniet. Ici, entre image tendre et ironie, ses petits bonshommes de céramique, loin de leur réputation d’êtres stupides, manifestent leur réprobation devant le carnage écologique dont nous sommes coupables.
En attendant que l’autocar du Parti Communiste, garé en double file, évacue la chaussée (blague de Renaud dans une de ses chansons !), Marc me montre dans son salon un des nains de l’artiste allemand Ottmar Höri qui fit scandale en en faisant défiler 1250 effectuant le salut hitlérien, bras droit en l’air. Le parquet de Nuremberg (la ville où se tint le fameux procès de guerre contre vingt-quatre responsables du Troisième Reich) l’a blanchi considérant qu’il dénonçait l’idéologie et poussait les gens à réfléchir sur la montée de l’extrême droite en Europe. Ce nain-ci se contente de me pointer un doigt d’honneur !
Le cortège démarre. Déjà, deux dizaines de manifestants ont pris la tangente et s’engagent dans la rue de Montfort à Trappes. Les premiers slogans fusent. Qui sait si bientôt, nos nains de jardin n’entonneront pas, comme chaque 32 mars, le chant culotté des hauts nanistes roubaignots( !) :
« Debout ! Les nabots de la terre
Debout ! Les minus des jardins !
Nains des bordur’s et des lisières,
Nous ne sommes tout, soyons rien !
Des grincheux, faisons barbe rase
Et des simplets lalaïtou.
La grandeur changera de face
Quand l’infime deviendra tout !
C’est la lutte finale
Groupons-nous car deux nains,
Toute chose éga-a-ale
C’est deux fois plus que rien (bis) »
Je vous encourage vivement à vous joindre à leurs revendications lors d’une prochaine exposition.
À partir du week-end prochain, Marc Giai-Miniet présente ses « Bibliothèques imaginaires » à l’occasion de la fête du livre de Merlieux-et-Fouquerolles dans l’Aisne. Savez-vous qu’à moins de cinq kilomètres, à Bourguignon-sous-Montbavin, vécut la plus célèbre fratrie de peintres français du XVIIème siècle, Antoine, Louis et Mathieu Le Nain ? Connus pour leurs tableaux décrivant des scènes de la vie paysanne, ils réalisèrent aussi des miniatures. Étonnant non ?!

Vous pouvez laisser une réponse.
Encore une visite inattendue et appréciée du fond de ma Normandie ! Tu donnes vraiment l’envie, tout comme ce nain de jardin du film « Amélie Poulain » de nous sortir de chez nous, pour te suivre dans tes errements de notre « Douce France ». Que d’endroits inconnus nous fais-tu découvrir ! Et quel guide ! Merci à toi de nous faire rêver.
Est-il possible de pouvoir faire un lien sur notre site ? Et d’envoyer une ou plusieurs photos pour vous faire un article ?
didier lejeune
Avec plaisir. Bien cordialement.
Merci de me communiquer le lien de cette page pour le mettre sur mon site.
Et rendez-vous le 32 mars 2012 à Dieulefit, en Drôme provencale.
Merci de votre envoi. Un peu débordé. Dès le 33 mars, je mettrai un lien sur le site :
http://www.promenonsnotrevieuxlibraire.org
Il n’est jamais trop tard … parole de vieux libraire !
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