Le Bouton d’or

« A la Saint Théodore, Fleurit le bouton d’or », « A la Sainte Odette, si le temps s’y prête, boutons d’or en goguette ». Jour de célébration de Théodore Trichinas moine de Constantinople aux IVème et Vème siècles et d’Odette, une jolie femme qui se coupa le nez et entra chez les religieuses de Prémontrée afin d’éviter tous les prétendants attirés par sa beauté, le 20 avril est donc bienvenu pour vous conter fleurette. Dans le calendrier républicain, c’était le jour de la rose pour inaugurer le mois de Floréal. Mais cultivant le paradoxe quand il s’agit de botanique, je préfère vous entretenir d’une mauvaise graine. C’est sans doute le réflexe d’un ancien enseignant un tantinet pédagogue cherchant quelques circonstances atténuantes avant de juger une délinquante malgré tout bien sympathique qui ensoleille les talus et les prés au grand désespoir des agriculteurs.

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« … Et nous recommencions nos jeux, cueillant par gerbe
Les fleurs, tous les bouquets qui réjouissent l’herbe,
Le lys à Dieu pareil,
Surtout à ces fleurs de flamme et d’or qu’on voit, si belles,
Luire à terre en avril comme des étincelles
Qui tombent du soleil ! »

Dans ce poème des Voix intérieures, Victor Hugo en appelle au bouton d’or pour évoquer l’enfance lumineuse dans le « vert paradis » des Feuillantines. C’est là dans le jardin abandonné de l’ancien couvent près du Panthéon que Victor joua avec ses frères et les enfants de la famille Foucher dont Adèle sa future épouse :

« J’eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère ?
Trois maîtres : – un jardin, un vieux prêtre et ma mère.
Le jardin était grand, profond, mystérieux,
Fermé par de hauts murs aux regards curieux,
Semé de fleurs s’ouvrant ainsi que les paupières,
Et d’insectes vermeils qui couraient sur les pierres ;
Plein de bourdonnements et de confuses voix ;
Au milieu, presque un champ, dans le fond, presque un bois.
Le prêtre, tout nourri de Tacite et d’Homère,
Etait un doux vieillard. Ma mère – était ma mère !
Ainsi je grandissais sous ce triple rayon… »
Quel jardin enchanteur cela devait être pour que l’écrivain confie plus tard : « J’ai passé mon enfance à plat ventre sur les livres » ! Les Feuillantines réapparurent dans Les Misérables sous la forme de la maison et du jardin de la rue Plumet.

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Le bouton d’or inspire également son ami Théophile Gautier, fervent combattant en gilet rouge lors de la fameuse bataille d’Hernani (voir billet Mon alter Hugo du 11 février 2010) :
« L’aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes ;
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaye au jour son doux regard d’azur,
Et le gai bouton d’or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle… »
Je ne choisis pas les plus mauvais avocats pour défendre la cause de cette autre fleur du mal vouée à la vindicte agricole. Pire encore que pour ses consœurs le coquelicot et le bleuet que j’ai louées dans d’autres leçons de choses, les savants botanistes guère affables à son égard, l’affublent du nom péjoratif de renoncule âcre. Dans son malheur, elle n’est pas la plus mal lotie car parmi les centaines d’espèces qui composent la famille des Renonculacées, on recense une Ranunculus sceleratus ou renoncule scélérate proche des étangs et une Ranunculus sulphureus ou renoncule sulfureuse. Il vaudrait mieux parfois en perdre son latin en l’occurrence rana ou petite grenouille en raison de la ressemblance avec un têtard et de la présence de certaines variétés aquatiques dans des endroits marécageux peuplés de batraciens, et acris pour son goût piquant.

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Charles Baudelaire dont on ne peut douter de l’érudition en Fleurs du Mal, a recours à la renoncule dans son poème Une martyre :
 

« … Sur la table de nuit, comme une renoncule,
Repose ; et vide de pensées
Un regard vague et blanc comme le crépuscule
S’échappe des yeux révulsés… »

Des rimes guère épanouissantes !
Une fois n’est pas coutume, il vaut mieux être vulgaire que savant en botanique ; alors les renoncules se parent de sobriquets savoureux attribués peut-être par quelques paysans poètes : pied de corbin ou pied-de-coq pour la renoncule bulbeuse, bassinet-des-champs pour la renoncule des champs, grenouillette pour la renoncule aquatique, flammette ou petite douve pour la Ranunculus flammula, pâquette ou fleur-du-vendredi saint pour l’anémone Sylvie, coquelourde (pour son usage homéopathique comme calmant de la coqueluche) ou herbe-du-vent pour l’anémone pulsatille (de pulsatus, battue par le vent), l’herbe-aux-gueux pour la clématite vigne-blanche, fleur de l’impatience, gobet du diable probablement à cause de ses propriétés toxiques. Elles n’apparaissent cependant dans aucun dicton car à la Saint Théodule, ne fleurit pas la renoncule mais la petite férule, une plante ombellifère !

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Il y a donc aussi le bouton d’or qui ne concerne en fait que quelques espèces de renoncules, outre la renoncule âcre : la Ranunculus arvensis ou renoncule des champs, la Ranunculus repens ou renoncule rampante dans les jachères, la Ranunculus bulbosus ou renoncule bulbeuse en lisière de bois, la Ranunculus gramineus ou renoncule à feuilles de graminées, éventuellement la Ranunculus auricomus ou renoncule tête d’or. La renoncule des jardins qu’on se procure chez les fleuristes est la Ranunculus asiaticus ramenée sans doute par les croisés de Saint Louis après leurs combats en terre sainte. Quant aux tapis de fleurs jaunes que vous découvrez parfois en forêt, ne vous méprenez pas, ce sont des Ranunculus ficaria dites ficaires ou fausses renoncules bien qu’elles en soient des vraies !
Le bouton d’or compte pour du beurre chez nos voisins anglo-saxons ; les britanniques l’appellent buttercup (coupe de beurre) et les allemands butterblume (fleur de beurre) car lorsqu’on le place sur la peau, il laisse une trace jaune qui évoque le produit de la baratte.
En des temps plus obscurantistes, dans les campagnes, plusieurs de ses usages avaient trait justement au beurre. Si l’on mangeait le premier bouton d’or aperçu au printemps, le beurre serait bon toute l’année ; il était recommandé aussi pour avoir un beurre bien jaune de déposer dans le pot à lait les trois premières renoncules trouvées. Si en touchant le menton de la fermière avec un bouton d’or, cela laissait des traces jaunes, elle réussirait son beurre cette année-là.
Etait-ce la cause ou la conséquence que dans le langage des fleurs, le bouton d’or signifiât la franchise, on en semait parfois devant le domicile des maris trompés.
Comme remède de bonne femme, on frottait des fleurs de bouton d’or écrasées pour faire disparaître les cors au pied. On employait aussi le suc de la feuille contre les verrues.
Il semble qu’on lui reconnut aussi quelque vertu antimilitariste car les futurs pioupious désirant échapper à la conscription, s’appliquaient des compresses de renoncule âcre qui provoquaient des ulcérations dangereuses et persistantes. C’est peut-être à cause de plaies analogues après frottement de clématite fraîche, autre renonculacée, par des mendiants pour attiser la pitié des passants, qu’est né le surnom d’herbe-aux-gueux. Le mendiant fleuri que rencontre Edmond Rostand au cours de ses Musardises ne ressemble en rien à ces pauvres hères :

« Il n’est pas du pays. D’où peut-il être ?… d’où ?
On ne sait pas. C’est un mystérieux bonhomme.
Sur le bord du chemin parfois il fait un somme.
Il porte un vieux chapeau qui paraît être, comme
Ceux que portent les champignons, en amadou.
Eut-il un nom ? Lequel ? On l’ignore. On le nomme
Le Mendiant Fleuri. C’est tout.
Il a cette folie, il a cette jolie
Folie : il se fleurit. Il se déguise en Mai…
Cet homme a des crocus aux plis de ses lambeaux
Comme les champs en ont aux creux de leurs ornières ;
A ses poches il a des touffes printanières
Comme les bois en ont aux seuils de leurs tanières.
Au lieu des vieux boutons de corne, il a, plus beaux,
Des boutons d’or. Au lieu des pailles coutumières,
Il a du thym dans ses sabots… »

Malgré tous les trésors d’imagination des poètes, le joli bouton d’or est indésirable et rétrospectivement, je prends conscience des risques que j’encourais lorsque, gamin, séduit par sa coupe à cinq pétales d’un jaune éclatant, j’en cueillais des brassées pour offrir à ma maman. Pourtant la littérature enfantine en a fait avec le coquelicot et le lys noir trois petites fées. La plante contient de la ranunculine qui, quand on la manipule trop, se dégrade en protoanémonine pouvant provoquer un eczéma. De même, du fait de la présence de principes actifs âcres, l’ingestion entraîne des brûlures de la gorge, des inflammations des appareils digestif et urinaire. L’absorption de quelques grammes des fruits ou akènes peut être mortelle. Heureusement, la nature est bien faite et la saveur âcre rebute le bétail à en paître. La renoncule une fois séchée perd beaucoup de sa toxicité notamment dans le foin.
On peut donc être irritant voire ulcérant tout en étant sympathique ! Il est donc préférable de juste manger des yeux les « bassins d’or » qui inondent les prairies à la fin du printemps comme on tente de distinguer le paletot bouton d’or du leader dans le peloton serpentant sur les routes du Tour de France :
Dans les descentes c’est la grande émotion,
Et là-haut dans les cols le froid qui pince,
Oui mais au bout quelle sensation
Quand on entend l’ovation
Du Parc des Princes.
Dans l’aube fraîche où rien ne bouge
Cent corps brûlés de soleil
Dorment d’un profond sommeil ;
Et tous même la lanterne rouge
Rêvent qu’à Paris
La foule se lève dans un cri :
Il a le maillot, il a le maillot !
Le maillot bouton d’or, le maillot jaune !
Il a le maillot, la foule crie « bravo » !
Et chante sur les des lampions
« Voici l’champion » !
Marcel Amont qui chanta aussi les bleuets d’azur dans les doux blés mûrs, fit un succès de son maillot bouton d’or au temps des luttes épiques entre Anquetil et Poulidor. Bouton d’or et Poulidor, la rime eut été évidente ; malheureusement, le champion limousin connut la gloire sans maillot jaune. Jean-Pierre Genet, un de ses plus fidèles équipiers, fut plus heureux en revêtant la toison d’or durant une étape en 1968. Pour cet exploit et pour avoir également porté plusieurs jours le maillot jaune de la Course de la Paix, une célèbre épreuve amateur disputée autrefois dans les pays de l’Est, Genet, du nom d’une fleur jaune stimulatrice cardiaque (intéressant pour un cycliste !), hérita jusqu’à la fin de sa carrière, du sobriquet de Bouton d’or ! Et moi, une fois encore, j’ai pu glisser mon petit couplet vélocipédique.
La Goulue, célèbre danseuse du Moulin Rouge avec Valentin le désossé, immortalisée par Toulouse-Lautrec sur nombre d’affiches et cartes postales encore populaires à Montmartre, surnommait Bouton d’or son fils chéri. Sa mort prématurée la plongea dans la déchéance.

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Le bouton d’or, ce mal aimé, vaut bien une messe ; savourez donc religieusement ces quelques vers tirés d’une des Chansons des rues et des bois de Victor Hugo :

« …Les clochettes sonnaient la messe.
Tout ce petit temple béni
Faisait à l’âme une promesse
Que garantissait l’infini.
J’entendais, en strophes discrètes,
Monter, sous un frais corridor,
Le Te Deum des pâquerettes,
Et l’hosanna des boutons d’or.
Les mille feuilles que l’air froisse
Formaient le mur tremblant et doux.
Et je reconnus ma paroisse ;
Et j’y vis mon rêve à genoux.
J’y vis près de l’autel, derrière
Les résédas et les jasmins,
Les songes faisant leur prière,
L’espérance joignant les mains… »

Et comme décidément l’ami Théophile Gauthier n’est jamais bien loin, voyez son Premier sourire de printemps :
 

« Tandis qu’à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d’or… »

Laissons donc la place aux romantiques le temps du printemps. D’ailleurs, le bétail, moins bête que nous, l’a bien compris depuis longtemps en contournant et délaissant le bouton d’or à cause de son amertume, pour le plus grand plaisir de nos yeux.

Publié dans : Almanach, Leçons de choses |le 19 avril, 2010 |Pas de Commentaires »

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