Archive pour février, 2010

La Java des mémoires, une machine à remonter le bon temps!

Conflit des générations, quand le souci des plus jeunes est d’augmenter la taille mémoire nécessaire au système java de leur ordinateur, ce soir-là, de plus anciens encore épargnés par Alzheimer, ont choisi eux de se trémousser au rythme sautillant de La Java des mémoires, une machine à « remonter le bon temps » installée sur la scène du théâtre Gérard Philipe de Saint-Cyr-l’École.

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Le concept de ce spectacle musical n’est certes pas nouveau. En effet, en 1981, le théâtre du Campagnol, compagnie de la banlieue sud de Paris, évoquait un demi siècle d’histoire de France à travers les danses d’un bal depuis les années 1920 jusqu’à la percée de la fièvre disco. Le cinéaste italien Ettore Scola en réalisa l’adaptation cinématographique Le Bal, deux ans plus tard. Dans les années 1970, dans son émission hebdomadaire Avec tambour et trompette sur France Inter, le journaliste Jean-François Kahn racontait en chansons quelques périodes de notre histoire. De même, pendant vingt-huit ans, Jean-Christophe Averty, trublion zozotant de la radio et de la télévision, dégota pour Les Cinglés du music-hall, des trésors gravés sur les « vieilles cires » et  les microsillons vinyle en les mettant en perspective avec l’actualité de l’époque. Rappelez-vous son jubilatoire À vos cassettes ! C’est ainsi que je possède quelques joyaux sonores du « bon temps » . À ce propos, peut-on véritablement qualifier ainsi l’époque qui précéda ma naissance durant laquelle nos aïeux vécurent quelques moments dramatiques? Il faut croire qu’ils avaient la mémoire qui chantait tant je les ai plus entendus fredonner ces refrains de leur patrimoine musical que narrer quelque anecdote des heures sombres de la seconde guerre mondiale. Je me souviens des trajets en automobile sur la route enchantée des vacances dans la douce France des années cinquante. Mes parents et mon oncle n’attendaient plus pour être heureux et moi gamin moqueur, je me gaussais de leurs couplets ringards tandis que les Beatles chantaient Hard day’s night, un truc qui m’colle encore au cœur et au corps ! Éternel conflit intergénérationnel ! D’ailleurs, au second ou troisième degré, leurs hits d’avant-guerre ne me déplaisaient pas tant que cela et j’aimais me coiffer du béret subtilisé à mon oncle (celui du billet Mon Oncle et … mon oncle du 19 mai 2009) pour jouer les comiques troupiers avec l’ami Bidasse ! Il m’offrit même alors « Nos chansons de leurs vingt ans », un disque vinyle 30 cm de Marcel Amont :

« J’ai deux grands bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs marqués de roux;
La charrue est en bois d’érable,
L’aiguillon en branche de houx… »

J’assume, chacun a ses faiblesses ! Et puis, le temps de la sagesse venu, « si l’on veut connaître les hommes, je crois sincèrement qu’il faut étudier leurs chansons au même titre que leurs monuments, leurs outils et leurs livres » prétend l’historien du langage Claude Duneton.
Ce soir, les chanteurs comédiens de La java des mémoires nous invitent à ressusciter deux décennies d’histoire de France, des années folles d’avant le Front Populaire à celles dingues d’après la Libération, à travers près de deux cents extraits de chansons à la trompeuse légèreté.
Le rideau s’ouvre sur un couple enlacé, elle la robe noire largement fendue sur une cuisse gainée de bas résille, lui mains aux goussets du gilet, manches de chemise retroussées et casquette de travers ; au premier plan de la scène, devant un pont, ils guettent l’arrivée imminente du flot de rengaines :

« …Sous les ponts de Paris, lorsque descend la nuit
Comme il n’a pas de quoi se payer une chambrette,
Un couple heureux vient s’aimer en cachette,
Et les yeux dans les yeux faisant des rêves bleus,
Julot partage les baisers de Nini
Sous les ponts de Paris… »

Et c’est parti pour une entraînante farandole de près de deux heures ! Première surprise, comme au bon vieux temps du café-concert, les six comédiens danseurs chantent sans micro et sans sonorisation amplificatrice, seulement accompagnés par les triolets d’un remarquable accordéoniste, Josias Villechange pour ne pas le citer.
Le pont tient plus d’une de ces passerelles métalliques qui font le charme du canal Saint-Martin. L’Hôtel du Nord n’est sans doute pas loin tant on reconnaît la gouaille « atmosphérique » d’Arletty chez les ninis et julots qui tournent sur le pavé.
Les premiers rires fusent devant la réjouissante vulgarité de Margot la ventouse près de son bec de gaz :

« Étant une jeune fillette
Elle perdit sa fleur virginale
Quand elle devint la poulette
D’un poseur de chauffage central.
Plus tard elle eut l’âme joyeuse
Car elle entra à Saint-Louis
En qualité de ventouseuse
Elle se crut au paradis.
C’était son rêve sur la terre
D’être une blanche infirmière
On l’appelait Margot la ventouse
Elle avait des yeux de velours.
Elle était p’tite, un peu tartouze
Mais elle chantait la nuit le jour… »

Comment résister à ses yeux de velours et ne pas s’imaginer quelques instants dans la peau de Julot l’empereur du faubourg ? Savez-vous que c’est Paul Meurice, le flegmatique acteur du Monocle, qui créa cette chanson en 1943 ? N’en déplaise aux puristes grincheux, le concepteur du spectacle Roger Louret a pris quelque liberté avec la chronologie de parution des chansons mais c’est sans importance tant les morceaux choisis s’inscrivent parfaitement dans la couleur et l’esprit de chaque tableau.
C’est-y pas que Margot décoche vers moi une œillade de velours … Elle cherche un millionnaire qui (lui) dirait froid’ment mon or est à toi !!! Décidément, il faut que cela tombe toujours sur moi ; en effet, dans ma vie de garçon, parce qu’un ami mal intentionné sortit un chéquier de ma veste, je fus entraîné sur la piste de danse d’un cabaret de travestis pour un slow langoureux dans les bras d’une Marilyn Monroe masculine ! Que voulez-vous, c’est cela …

« …Avoir un bon copain
Voilà c’qui y a d’meilleur au monde
Oui, car, un bon copain
C’est plus fidèle qu’une blonde
Unis main dans la main
A chaque seconde
On rit de ses chagrins
Quand on possède un bon copain… »

Écoutez donc Tonton Georges Brassens qui célébra magnifiquement l’amitié !

http://www.dailymotion.com/video/x3t0mh

Saut dans l’espace, des caboulots parisiens aux terrasses de cafés d’Andalousie quand luit, sur la plaza, la lune :

« …Je revois les grands sombreros
Et les mantilles,
J’entends les airs de fandangos
Et séguedilles,
Que chantent les señoritas
Si brunes… »

Les belles andalouses semblent rejeter d’un revers d’éventail le spectre de la guerre civile espagnole entre nationalistes et républicains de juillet 1936 à avril 1939. Pourtant, leur pays n’est plus un « berceau de poésie et d’amour » et il est  temps de regretter Granada, ses arbres en fleurs et son soleil éclatant sur des châles aux brillantes couleurs. Bientôt les gorges se serrent. Nos fiers comédiens combattants, ruban rouge à la taille, exaltent les exploits de l’armée républicaine au passage de l’Èbre :

« El Ejército del Ebro
Rumba la rumba la rum bam bam !
Una noche el río pasó,
Ay Carmela, ay Carmela… »

Curieusement, ce chant anarchiste fut composé à l’origine en 1809 contre l’envahisseur français pendant la guerre d’indépendance espagnole, celle-là même pour laquelle le jeune Victor Hugo se retrouva au-delà des Pyrénées (voir billet Mon alter Hugo à moi du 11 février 2010). Écoutez-le repris, lors d’une fête de l’Humanité, par Leny Escudero qui, niño, fuit justement avec ses parents, le régime franquiste en 1939 pour s’installer dans le quartier de Belleville :

http://www.dailymotion.com/video/xa5jg1

Leny Escudero a écrit Vivre pour des idées, une superbe chanson dans laquelle il évoque l’engagement de son père :

« …Alors mon père m’a dit : «Mourir
Pour des idées, ça n’est qu’un accident.»
Je sais lire et écrire
Et mon père est vivant
Il était à Teruel et à Guadalajara
Madrid aussi le vit
Au fond du Guadarrama… »

Nous voici A las cinco de la tarde, le sublime poème de Federico Garcia Lorca en hommage à son ami torero Ignacio Sanchez Mejias pour avoir relevé le défi du monstre noir de la ganaderìa Pedro Domecq aux arènes de Cordoba en 1922. Mais bien plus qu’un fait d’armes tauromachique, c’est aujourd’hui le symbole du combat de Lorca contre la bête noire franquiste : fusillé et jeté dans la fosse commune de Viznar près de Grenade en août 1936, ses œuvres furent censurées par le caudillo jusqu’en 1953. L’accordéon soudain dérape et deux des acteurs les yeux bandés s’effondrent sur le pont !
Et à part ça, pendant ce temps-là que se passe-t-il dans notre pays de France ? Eh bien Tout va très bien, c’est du moins ce que prétend un valet pour réconforter une marquise acariâtre en proie à une cascade de malheurs :

« …Et bien voilà, Madame la Marquise
Apprenant qu’il était ruiné
À peine fut-il revenu de sa surprise
Que Monsieur le Marquis s’est suicidé
Et c’est en ramassant la pelle
Qu’il renversa toutes les chandelles
Mettant le feu à tout le château
Qui s’consuma de bas en haut
Le vent soufflant sur l’incendie
Le propagea sur l’écurie
Et c’est ainsi qu’en un moment
On vit périr votre jument… »

Après les larmes, ce sont les rires qui gagnent le public avec la composition de la noble dame par un désopilant acteur moitié Sim moitié De Funès. Ray Ventura et ses collégiens obtinrent un succès mondial avec cette chanson sketch. Au temps du Front Populaire, les ouvriers la reprennent comme un slogan de victoire après les accords de Matignon de 1936, l’acquisition de la semaine de quarante heures et les premiers congés payés. Bientôt, le « tout va très bien » deviendra raillerie face à l’aveuglement des gouvernements successifs minimisant la montée des risques de guerre.
Mais voilà que la marquise ravie d’être débarrassée de son mari trouve un vicomte sur son chemin. Je ne sais pas ce qu’ils se racontent, des histoires de vicomtes et de marquises sans doute, peu importe d’ailleurs, vous savez bien que :

« …Chacun sur terre
Se fout, se fout
Des p’tites misères
De son voisin du d’ssous
Nos p’tites affaires
À nous, à nous
Nos p’tites affaires
C’est c’qui passe avant tout
Malgré tout c’qu’on raconte
Partout, partout
Qu’est-ce qui compte en fin d’compte
C’qui compte surtout, c’est nous… »

Et pourtant, Jean Renoir écrivait à propos de cette période : « Il fut un temps où les français crurent vraiment qu’ils allaient s’aimer les uns les autres ». Bien que tout n’y fut pas rose malgré le socialiste Léon Blum, le Front Populaire est une époque d’espoirs politiques et d’une joie de vivre débridée. Malgré le chômage, sur les piquets de grève, on joue de l’accordéon, on danse et on pousse la chansonnette. La semaine de quarante heures au lieu de quarante-huit précédemment, est promesse de détente et de loisirs. Fermé jusqu’à lundi, Quel beau dimanche, Ici l’on pêche sont des chansons qui fleurent bon les guinguettes et les caboulots sur les bords de Marne, sans oublier l’emblématique refrain créé par Jean Gabin dans La belle équipe, le film de Jean Duvivier :

« Du lundi jusqu’au sam’di,
Pour gagner des radis,
Quand on a fait sans entrain
Son p’tit truc quotidien,
Subi le propriétaire,
L’percepteur, la boulangère,
Et trimballé sa vie d’chien,
Le dimanch’ viv’ment
On file à Nogent,
Alors brusquement
Tout paraît charmant ! …
Quand on s’promène au bord de l’eau,
Comm’ tout est beau…
Quel renouveau …
Paris au loin nous semble une prison,
On a le cœur plein de chansons… »

Les chanteurs canoteront sur le succès de Gabin un peu plus tard dans la soirée ; pour l’instant, ils préfèrent danser lascivement avec la Marinella de Tino Rossi, un autre immense tube de 1936 :

« Marinella !
Ah…, reste encore dans mes bras,
Avec toi je veux jusqu’au jour
Danser cette rumba d’amour…
… Blottie contre mon épaule
Tandis que nos mains se frôlent,
Je vois tes yeux qui m’enjôlent
D’un regard plein de douceur
Et quand nos cœurs se confondent
Je ne connais rien au monde
De meilleur
Marinella ! … »

C’est le bon temps du tango sur la Canebière chère à Vincent Scotto :

« Le plus beau de tous les tangos du monde
C’est celui que j’ai dansé dans vos bras
J’ai connu d’autres tangos à la ronde
Mais mon coeur n’oublie pas celui là
Son souvenir me poursuit jour et nuit
Et partout je ne pense qu’à lui
Car il m’a fait connaître l’amour
Pour toujours… »

Ou sur l’île de Beauté …

« Le tango corse, c’est un tango conditionné,
Le tango corse, c’est de la sieste organisée.
On se déplace, pour être sûr qu’on ne dort pas,
On se prélasse, le tango corse c’est comme ça… »

Le tout nouveau « cinéma parlant » qui date de 1929, fait fréquemment appel aux vedettes de music-hall et les chansons qu’elles y interprètent, deviennent souvent des tubes.. Un air, une dégaine, une toilette renvoient fugacement à un de ces beaux films en noir et blanc de l’époque. Ainsi, une ravissante blonde et un jeune comédien aux longs cheveux romantiques me rappellent Marie et Manda, Signoret et Reggiani, dans Casque d’or. Certes, le chef-d’oeuvre de Jacques Becker ne sortit sur les écrans qu’en 1952 mais il met en scène « apaches », voyous et prostituées dans « une partie de campagne » à Joinville-le-Pont (Pont ! Pont !) qui tournera bien mal.
Les apaches sont descendus de Belleville et Montmartre ! Il y a Monsieur Bébert

« … Le roi des gangsters
Qu’a trois révolvers
Au Café Wepler
Quand il prend un verre
Il fauche la cuillère
Comme il est l’ caïd
C’est l’garçon, livide,
Qui lui d’mande pardon… »

Et tout ce petit monde guinche sous les tonnelles :

« …La valse à Dédé de Montmartre
Au son de l’accordéon, vous donne le grand frisson
La valse à Dédé de Montmartre
On la fait deux à deux et les yeux dans les yeux
La valse à Dédé de Montmartre
C’est la danse d’amour qui nous grise toujours
Dans tous les musettes
On la tourne sans frais, c’est la vraie, mais la vraie, vraie de vraie… »

Tiens, les spectateurs commencent à murmurer quelques refrains :

« C’est la Java bleue
La java la plus belle
Celle qui ensorcelle
Et que l’on danse les yeux ans les yeux
Au rythme joyeux
Quand les corps se confondent,
Comme elle au monde
Il n’y en a pas deux
C’est la java bleue… »

En fait de java, cette chanson immortalisée par la gouaille de Marguerite Boulc’h dite Fréhel, est une valse qui remet en mémoire les bons vieux films de Renoir et Duvivier ainsi que les photographies de Cartier-Bresson et Doisneau.
À Paris dans chaque faubourg et à Saint-Cyr l’École, Quand la nuit rêveuse est venue/À toute heure une âme émue/Évoque un rêve d’amour. Ne rêvons pas trop, rions cependant encore quelques instants avant que l’horizon s’obscurcisse !
Revoilà notre marquise déguisée cette fois en un sévère inspecteur à lorgnon qui a un faux air de Monsieur Walter, l’énigmatique professeur d’anglais campé par Éric Von Stroheim dans Les disparus de Saint-Agil ; vous vous souvenez de la société secrète des Chiche-Capon.

« Élève Labélure ? … Présent !
Vous êtes premier en histoir’ de France ?
Eh bien, parlez-moi d’Vercingétorix
Quelle fut sa vie ? sa mort ? sa naissance ?
Répondez-moi bien … et vous aurez dix.
Monsieur l’Inspecteur,
Je sais tout ça par cœur.
Vercingétorix né sous Louis-Philippe
Battit les Chinois un soir à Ronc’vaux
C’est lui qui lança la mode des slips
Et mourut pour ça sur un échafaud.
Le sujet est neuf,
Bravo, vous aurez neuf.
On n’est pas des imbéciles
On a mêm’ de l’instruction
Au lycée Pa-pa…
Au lycée Pa-pil…
Au lycée Papillon… »

Vous voyez que la crise de l’éducation nationale ne date pas de maintenant et que déjà au lycée Papillon, le niveau est catastrophique! Et dire qu’on envisage de supprimer l’enseignement de l’histoire … ! Ici, le béret vissé à la tête remplace le capuchon ou la casquette d’aujourd’hui et la blouse grise cache le jean à la taille si basse qu’il laisse craindre une possible diarrhée. Surprise, parmi les élèves Peaudarent, Trouffigne et Cancrelas, se sont glissés l’ami Bidasse natif d’Arras chef-lieu du Pas-de-Calais et un camarade au petit nom charmant d’Ignace qui lui vient tout droit de ses parents.
Soudain, ma mémoire file vers mon adorable oncle de Sète prénommé Eugène, un nom de guinguette à Joinville-le-Pont Pont !Pont ! tous deux nous irons rons !rons ! chez Gégèèène !!! Il n’était pas plombier zingueur comme dans la chanson, mais ouvrier typographe au journal L’Aurore avant-guerre, et qui sait s’il n’assista pas à la projection du film Ignace avec Fernandel dans le rôle titre, en exclusivité en 1937 au cinéma Max Linder sur les grands boulevards ! Il vécut aussi près du parc Longchamp à Marseille dans un immeuble appartenant au célèbre acteur humoriste. Il me réjouissait quand il lui venait d’interpréter, grimaces à l’appui, Ignace ou Félicie … aussi !
En tout cas, nos médiocres lycéens vont faire ce soir d’excellents français durant la guerre nouvellement déclarée. Maréchal nous voilà ! Pour cause de Marseillaise interdite par l’occupant en zone nord, cette chanson créée par André Dassary constitua l’hymne officieux de « l’état français » de Vichy.

« … On ira pendr’ notre linge sur la ligne Siegfried
Pour laver le linge, voici le moment
On ira pendr’ notre linge sur la ligne Siegfried
À nous le beau linge blanc… »

Inconscience ou humour bravache pour conjurer le sort, le linge ne sera repassé que cinq ans plus tard ! Pour le moment, voici que retentissent des heili,heilo, heila de sinistre mémoire !
Sur scène, les hommes ont troqué leur gapette pour le chapeau mou et enfilé des vareuses brunes. Écharpe autour du cou, l’ombre de Jean Moulin se profile. Les femmes portent un tailleur d’un noir prémonitoire :

« J’attendrai
Le jour et la nuit, j’attendrai toujours
Ton retour
J’attendrai
Car l’oiseau qui s’enfuit vient chercher l’oubli
Dans son nid
Le temps passe et court
En battant tristement
Dans mon cœur si lourd
Et pourtant, j’attendrai
Ton retour… »

Pour l’une d’entre elles, il reviendra … une jambe en moins ! Sur le pont, au-dessus d’un possible quai des brumes, notre Manda se transformant à présent en un Gabin, Morgan(e) d’elle, regarde au fond des beaux yeux de sa belle casquée d’or laquelle avoue bientôt :

« J’ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon cœur est ravi
Ma savane est belle
Mais à quoi bon le nier
Ce qui m’ensorcelle
C’est Paris, Paris tout entier
Le voir un jour
C’est mon rêve joli… »

Dommage que pour mes yeux (certes moins beaux), l’allusion ne pousse pas jusqu’à la légendaire ceinture de bananes de Joséphine Baker !
Voilà que comme les hippies protesteront plus tard contre la guerre du Vietnam en s’envolant vers quelques paradis artificiels, surgissent sur scène les zazous habillés en clowns pour montrer leur refus d’un monde tout gris :

« Qu’est-c’ qu’on attend pour être heureux ?
Qu’est-c’ qu’on attend pour fair’ la fête ?
Y a des violettes
Tant qu’on en veut
Y a des raisins, des rouges, des blancs, des bleus,
Les papillons s’en vont par deux
Et le mill’-pattes met ses chaussettes,
Les alouettes
S’font des aveux,
Qu’est-c’ qu’on attend
Qu’est-c’ qu’on attend
Qu’est-c’ qu’on attend pour être heureux ? … »

Les zazous nés au milieu des années 1920, font partie des J3, référencés jeunes de troisième catégorie sur les cartes de rationnement. Au départ, ils sont nommés « petits swings » en raison de leur goût immodéré pour cette nouvelle musique rythmée en provenance de La Nouvelle-Orléans :

« …Je suis swing, je suis swing
Da dou da dou da dou da dou dé yeah
Je suis swing, oh je suis swing.
C’est fou, c’est fou c’que ça peut griser.
Quand je chante un chant d’amour
J’le pimente d’un tas de petits trucs autour
Je suis swing, je suis swing
Za zou za zou c’est gentil comme tout … »

Cette dernière onomatopée de la chanson de Johnny Hess, le premier musicien de Charles Trenet, inspirée de celles lancées par Cab Calloway et les chanteurs noirs de jazz, consacre définitivement la génération zazoue.

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Pacifistes, espiègles et provocateurs, les zazous tournent tout en dérision et tuent leur oisiveté aux terrasses de cafés et dans les caves de jazz de Saint-Germain-des-Prés. Boris Vian en brosse le tableau dans son roman Vercoquin et le plancton.
En tout cas, cette jeunesse jugée décadente avec sa musique de « nègre dégénéré » par les autorités allemandes et de Vichy, nous transporte ce soir dans une revigorante surprise-partie débridée et bigarrée. Ca fait du bien en cette année 1942 d’entendre des claquettes plutôt que le bruit des bottes !

« Un bon fermier découvrit un matin
Dans sa basse-cour une poule fort étrange…
« Viens donc, Mélie. Viens donc voir: je croyons ben que la Noiraude a
Quelque chose qui la démange…
Elle a l’air contente.
Elle n’a point l’air méchante…
Mais pour ce qu’elle chante, je n’y comprends rien!
Elle fait…
Écoute… elle fait…
Cot cot… »

Il est même une irrésistible poule zazoue qui picore du pain dur, carte de rationnement oblige ( !), sur le parapet du pont. Charles Trenet nous pondit ce dialogue entre un paysan et l’étrange gallinacé en hommage à l’esprit de dérision des zazous et d’improvisation des jazzmen. Il caquetait en imitant la trompette bouchée du swing.
Le public s’esclaffe devant les pitreries du comédien Jean-Paul Delvor (notre fameuse marquise de l’année 36) … et voilà que la Noiraude au plumage à larges carreaux s’envole pour emboîter le pas du reste de la troupe swinguant sur In the mood ! Hilarant !

« …Que reste-t-il de nos amours
Que reste-t-il de ces beaux jours
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse
Que reste-t-il des billets doux
Des mois d’ avril, des rendez-vous
Un souvenir qui me poursuit
Sans cesse
Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela
Dites-le-moi
Un petit village, un vieux clocher
Un paysage si bien caché
Et dans un nuage le cher visage
De mon passé… »

Retour à la réalité ; chacun essuie encore quelques larmes de joie perlant aux paupières que déjà la mélancolie nous étreint. 1943, la France est toujours occupée, l’armée des ombres organise la résistance. Ce soir, deux chansons mythiques symbolisent l’éloignement de l’être aimé :

« Devant la caserne quand le jour s’enfuit
La vieille lanterne soudain s’allume et luit
C’est dans ce coin là que le soir
On s’attendait remplis d’espoir
Tous deux, Lily Marlène
Tous deux, Lily Marlène
Tous deux, Lily Marlène… »

Cette chanson allemande, inspirée d’un poème écrit en 1915, a connu un destin étonnant. Créé en 1938 par Lale Andersen, une chanteuse de cabaret berlinoise, ce refrain nostalgique est très prisé des soldats allemands à partir de 1941. Aussi, le sinistre docteur Goebbels, ministre de la propagande, considérant que Lili Marleen risque d’altérer la combativité des troupes de la Wehrmacht, tente de détruire la matrice du disque et d’interdire son interprétation … en vain car les soldats de l’Afrikakorps en expédition en Libye sous les ordres de Rommel, ont déjà adopté la chère Lili diffusée largement sur les ondes de radio Belgrade. Pire encore, la femme est l’avenir de l’homme vous savez bien, les tommies de la 8ème armée du général Montgomery et les pioupious des divisions blindées de Koenig et Leclerc s’entichent à leur tour de la rengaine et après la déroute allemande d’El Alamein, emportent l’accorte teutonne comme prise de guerre ! C’est ainsi que Lily Marlène est naturalisée en 1942 par la voix de Suzy Solidor ! La légende ne s’arrête pas là : les alliés attribuèrent à tort la paternité de la chanson à la chanteuse antinazie Marlène Dietrich, la seule Marlène qu’ils connaissaient. « L’ange bleu » créera à la fin de la guerre son inoubliable version qui constitue désormais un hymne à la Libération !
Ah l’amour ! Les femmes dans le public entonnent maintenant avec ferveur :

« … Je ne sais pourquoi j’allais danser
À Saint- Jean au musette,
Mais quand un gars m’ a pris un baiser
J’ai frissonné, j’étais chipée,
Comment ne pas perdre la tête,
Serrée par des bras audacieux
Car l’on croit toujours
Aux doux mots d’amour
Quand ils sont dits avec les yeux
Moi qui l’aimais tant,
Je le trouvais le plus beau de Saint-Jean
Je restais grisée
Sans volonté
Sous ses baisers … »

Souvenirs, souvenirs! Savent-elles que cette valse musette fut déclarée à l’origine à la SACEM sous le titre graveleux Les barbeaux de Saint-Jean puis enregistrée en tant que Mon costaud de Saint-Jean ? Vu la réputation de l’amant en question, désormais à la fin des noces et banquets, vous réfléchirez peut-être à deux fois avant de vous jeter dans ses bras auda-ci-eux !

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Le cœur bat soudain aussi fort que pour cette poignante interprétation du magnifique Philippe Léotard. « On ne gagne la guerre qu’avec des chansons…il faut un chant qui ait l’air de venir des maquis », dit Emmanuel d’Astier de la Vigerie, un des responsables de la Résistance au-delà de la Manche. Ainsi naît à Londres le 30 mai 1943 le Chant des Partisans sur des paroles de Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon et une musique d’Anna Marly. Il s’impose immédiatement comme l’hymne de la Résistance. Le manuscrit original est conservé au musée de la Légion d’honneur et classé monument historique au titre objets. « Chanté à voix basse, sifflé sourdement, il évoque la chape de plomb qui s’est abattue sur le pays occupé, la censure, les souffles et murmures de la clandestinité, la nuit où des ombres furtives collent des affiches, sabotent les voies ferrées, se glissent dans les maquis, se cachent loin des poteaux d’exécution. » Aujourd’hui, « Ami entends-tu … » est d’abord un chant de fraternité.
De l’armée des ombres jaillit la lumière. Soudain sur la scène, la liesse succède à la désolation. Quand les alliés débarquent en Normandie, Oh when the saints go marching in Paris, les fleurs de la Libération éclosent sur les pavés de la capitale :

« C’est une fleur de Paris
Du vieux Paris qui sourit
Car c’est la fleur du retour
Du retour des beaux jours
Pendant quatre ans dans nos cœurs
Elle a gardé ses couleurs
Bleu, blanc, rouge, avec l’espoir elle a fleuri,
Fleur de Paris… »

Ce soir, en effet, la guerre se gagne en chansons ! Les comédiens courent dans tous les sens, s’embrassent à bouche que veux-tu et chantent à tue-tête :

« Y a d’la joie
Bonjour bonjour les hirondelles
Y a d’la joie
Dans le ciel par dessus le toit
Y a d’la joie
Et du soleil dans les ruelles
Y a d’la joie
Partout y a d’la joie
Tout le jour, mon cœur bat, chavire et chancelle
C’est l’amour qui vient avec je ne sais quoi
C’est l’amour bonjour, bonjour les demoiselles
Y a d’la joie
Partout y a d’la joie… »

Et puis … :

« Je chante !
Je chante soir et matin,
Je chante sur mon chemin
Je chante, je vais de ferme en château
Je chante pour du pain je chante pour de l’eau
Je couche
Sur l’herbe tendre des bois
Les mouches
Ne me piquent pas
Je suis heureux, j’ai tout et j’ai rien
Je chante sur mon chemin
Je suis heureux et libre enfin… »

Quoi de mieux qu’un « fou chantant » pour clamer sa bonne humeur, sa légèreté, son insouciance et son optimisme retrouvés ? On a l’impression subite d’assister à un concert de Charles Trenet tant ses succès s’enchaînent :

« …Douce France
Cher pays de mon enfance
Bercée de tendre insouciance
Je t’ai gardée dans mon cœur!
Mon village au clocher aux maisons sages
Où les enfants de mon âge
Ont partagé mon bonheur
Oui je t’aime
Et je te donne ce poème… »

Curieux destin que celui de cette chanson qui fut fredonnée aussi bien par les collabos pétainistes que par les Résistants gaullistes pour des raisons de compréhension bien différentes ! Quarante ans plus tard, « blackbeurisée » par Rachid Taha et le groupe Carte de séjour, elle ouvrait les meetings du candidat François Mitterrand à l’élection présidentielle. Et ce n’est pas par un hasard fortuit qu’elle a donné son nom à un des thèmes de ce blog !
Trenet ne fit pas l’unanimité pour son attitude plus ou moins équivoque sous l’Occupation mais ce n’est pas le soir pour faire éventuellement son procès. Quand le monde est gris, mettez une de ses galettes swingantes sur votre platine et vous vous retrouvez sur les routes enchantées mais aussi défoncées de l’après-guerre :

« …La mer
Au ciel d’été confond
Ses blancs moutons
Avec les anges si purs
La mer bergère d’azur
Infinie… »

On chante en bord de mer mais aussi dans les montagnes :

« …Ramuntcho… c’est le roi de la montagne
Ramuntcho… quand il appelle sa compagne
Il crie : « Ma gachucha… je t’aime ! « 
L’écho répond … Aime !… »

Et si on chante… :

« Se canto que canto,
Canto pas per you,
Canto per ma mio
Qu’ès alen de you… »

On chante même au-delà des Pyrénées :

« La Belle de Cadix a des yeux de velours
La Belle de Cadix vous invite à l’amour…
Chi-ca ! Chi-ca ! Chic ! Ay ! Ay ! Ay !
Chi-ca ! Chi-ca ! Chic ! Ay ! Ay ! Ay !
Chi-ca ! Chi-ca ! Chic ! Ay ! Ay ! Ay ! »

On chante sur les places de Paris :

« …Un petit jet d’eau,
Une station de métro,
Entourée de bistrots,
Pigalle
Ça vit, ça gueule
Les gens diront ce qu’ils veulent
Mais au monde y’a qu’un seul
Pigalle. »

Chacun exprime son bonheur comme il veut ; un excentrique se pend même par les pieds à l’armature métallique du pont et se balance à toute volée tel une cloche en chantant :

« …Une cloche sonne, sonne,
elle chante dans le vent.
Obsédante et monotone,
elle redit aux vivants:
« Ne tremblez pas, cœurs fidèles,
Dieu vous fera signe un jour.
Vous trouverez sous son aile
avec la vie éternelle
l’éternité de l’amour. »

Bordée d’applaudissements pour saluer l’exploit sportif et vocal ! Ce soir, Les trois cloches sonnent plus pour la liberté retrouvée que pour les évènements marquants de la vie de Jean-François Nicot.

Sur les bords de Marne, la guinguette a rouvert ses volets et Frehel a dégoté Le dénicheur pour un petit tour de gambille, écoutez ça si c’est chouette :

« L’grand Julot et Nana,
Sur un air de java,
S’connur’nt au bal musett’
Sur un air de javette.
Ell’lui dit :  » J’ai l’béguin. « 
Sur un air de javin.
Il répondit :  » Tant mieux ! « 
Sur un air déjà vieux… »

Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! C’était la plus bath’ des javas des mémoires ! Eh oui, toutes les bonnes choses ont une fin !

« …C’est ici que s’arrête mon histoire
Aurez-vous de la peine à me croire?
Si j’vous dis qu’il s’aimèrent chaque jour
Qu’ils vieillirent avec leur tendre amour
Qu’ils fondèrent une famille admirable
Et qu’ils eurent des enfants adorables… »

Romance de Paris, romance d’une tranche de vie que je n’ai pas connue car c’est ici que commence mon histoire personnelle, enfant du baby boom !
Les spectateurs radieux applaudissent à tout rompre les trois couples d’acteurs chanteurs talentueux, Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, Tiffanie Jamesse et Grégory Benchefani, Ludivine Junqua et Nicolas Rougraff , je les nomme, ils le méritent amplement tant ils savent faire valser les souvenirs et les émotions au gré de leurs amourettes capricieuses
Une autre ! Une autre ! Une autre ! Ils acquiescent volontiers et suggèrent un twist au grand désespoir de Josias Villechange car avec son piano à bretelles, ça ne va pas (trop) le faire ! Quoiqu’il me semble que quelques Charlots commirent une parodie Twist Eugène … chez Gégèèène !
Allez, c’est parti pour un tableau final ébouriffant ! La chanson de Prévert rappelle des souvenirs, Milord s’invite à la table et L’idole des jeunes yéyé n’a que faire de Potemkine. Sur le pont, un amoureux délaissé crie Aline pour qu’elle revienne à une fille qui s’appelle … Françoise ! Quant à l’acteur de la vieille marquise et de la poule zazoue, il a retrouvé sa virilité et entreprend de laisser mes (ses) mains sur les hanches d’une jeunette. Puis sans complexes, bien qu’il ne soit pas un minet avec une carrure d’athlète, il roule des mécaniques en jouant Les Play-boys avec son piège à fille, un piège tabou, un joujou extra qui fait crac boum hue les filles en tombent à ses genoux. Le pire, c’est que ça marche et une prénommée Annie, à ses pieds, lui déclare son amour pour Les sucettes à l’anis ! Effet sucette ? Le public aux anges ovationne de longues minutes les artistes. D’ici à ce qu’ils nous proposent de nous mêler à eux sur scène, il y a un pas de danse qui ne sera pas franchi. Par contre, ils nous invitent à chanter a cappella Le petit vin blanc qu’on buvait sous les tonnelles du côté de Nogent puis La java bleue celle qui ensorcelle et enfin Douce France. Et comme un remerciement, ils se taisent, nous écoutent et nous applaudissent…
Ici l’on pêche … d’enfer ! Pour oublier quelques instants la morosité ambiante, je vous conseille vivement de vous faire la malle avec La java des mémoires si, ses petites fesses en bataille sous sa jupe fendue, elle venait à passer par chez vous. Quant à moi, je vous donne rendez-vous ici dans cinquante ans pour vous conter le rap des mémoires, une chronique des années bling bling, celles où l’on allait se promener chez IKEA le dimanche plutôt qu’au bord de l’eau !

http://www.dailymotion.com/video/x7k57q

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 20 février, 2010 |1 Commentaire »

Mon Alter Hugo à moi

Y a t-il scène plus appropriée que celle d’un théâtre Gérard Philipe, en l’occurrence à Saint-Cyr l’École, pour assister à un spectacle autour de Victor Hugo ?
Le 23 février 1954, l’inoubliable acteur, après avoir été Rodrigue, Lorenzaccio, Prince de Hombourg sur les planches, Fanfan la Tulipe sur les écrans, crée Ruy Blas au T.N.P dirigé par Jean Vilar. Celui-ci, maltraité par une campagne hostile de la part de la presse de droite et du gouvernement, trouve dans la pièce de Hugo les ferments du théâtre populaire auquel il aspire, ni facile ni démagogique, « élitaire pour tous » dans la droite ligne de la conception qu’en donne justement Hugo : « Le théâtre est un creuset de civilisation. C’est un lieu de communion humaine. C’est au théâtre que se forme l’âme publique ».

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Chaque soir, deux mille personnes, y compris des jeunes, accourent enthousiastes à Chaillot. Max Favalleli, critique théâtral avant d’être l’animateur bonhomme du jeu télévisé Des chiffres et des Lettres, écrit au soir de la première que Jean Vilar (en gilet rouge) et Gérard Philipe remportent pour Victor Hugo au XXème siècle la bataille de Ruy Blas !
Je me souviens des larmes de ma maman quand cinq ans plus tard, elle apprit le décès de l’artiste. Elle passa dans toutes les classes du collège qu’elle dirigeait pour annoncer aux jeunes élèves, la triste nouvelle. Il avait trente-six ans et symbolisait les rêves de toute une génération à travers ses espoirs, ses amours, ses souffrances et ses révoltes. J’ai retrouvé lors du déménagement de la maison familiale, des enregistrements sur disques vinyle de plusieurs de ses grands rôles, de ses lectures de poèmes de Villon et Hugo et, je n’étais pas oublié, du Petit Prince de Saint-Exupéry et de Pierre et le Loup ! … à propos, j’ai élucubré sur le loup lors de mon dernier billet du 3 février 2010 !!!
À parler du loup, on voit la queue des spectateurs, essentiellement fournis en cheveux gris, qui ont bravé le froid de ce dernier week-end de janvier pour rencontrer Mon alter Hugo, le pote littéraire d’un autre Gérard nommé Berliner. Ils semblent effectivement très copains au vu du clin d’œil complice que nous lance Totor en arrière-plan sur l’affiche.

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Berliner, cela ne vous dit peut-être rien et pourtant, je suis persuadé que vous le connaissez. Il parada en tête des hits au début des années 1980 avec Louise, une chanson réaliste pourtant guère dans l’air du temps quoique le sujet soit intemporel, l’histoire d’une servante engrossée par son amant mort au front, et rangée au banc de l’infamie par une société bien pensante :

«… Ils sont partis vaille que vaille
Mourir quatre ans dans les tranchées.
Et l’on raconte leurs batailles
Dans le salon après le thé
Les lettres qu’attendait Louise
C’est le Bon Dieu qui les portait
La guerre qui séparait Louise
C’est le Bon Dieu qui la voyait
Un soir d’hiver sous la charpente
Dans son lit cage elle a tué
L’amour tout au fond de son ventre
Par une aiguille à tricoter… »

Fait divers misérable comme en évoqua souvent Victor Hugo dans ses combats contre la misère !
Instant d’émotion, presque de stupeur, le rideau s’entrouvre sur un Hugo rajeuni. Barbe carrée et cheveux poivre et sel, costume de velours noir, col de chemise en pointe, Gérard Berliner endosse étonnamment le personnage qu’il a découvert à son domicile de la place des Vosges à Paris, il y a une quinzaine d’années. Il nous narre d’ailleurs les circonstances de leur rencontre : « Je regardais un buste de Hugo sur son bureau. J’ai touché la barbe de la statue qui a bougé sur son socle. J’ai pris cela pour un signe du destin ; je me suis mis à lire tout Hugo » !Bien lui en prit!

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Ainsi, nous connaissions (un peu) l’œuvre telle que nous l’enseignèrent nos valeureux professeurs d’antan, nous allons ce soir découvrir l’homme comme nous le promet l’affiche. Durant une heure et demie, Berliner, sur le ton de la confidence, traverse huit décennies de la vie de son illustre idole. Il nous familiarise avec ses passions, ses amours, ses peines, ses engagements, ses révoltes en jouant Hugo, en chantant du Hugo, en racontant Hugo .Avec beaucoup d’humilité, je prends conscience de ma méconnaissance hugolienne.

« Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix… »

Pour l’instant, je connais d’autant mieux que je suis peut-être la seule personne dans la salle à m’enorgueillir d’être né le même jour de février qu’Hugo. Coluche racontait qu’entre le chapeau et le talent de Bob Dylan, le chanteur Danyel Gérard avait choisi le chapeau ; en ce qui me concerne, entre le jour de naissance et le génie de Hugo… c’est la faute à ma mère comme aurait dit Gavroche !
Victor est le fils de Joseph Léopold Hugo, général d’Empire, soldat de Joseph Bonaparte roi d’Espagne de 1808 à 1813. Il passe son enfance à Paris mais suit également son père selon ses affectations militaires. Ainsi en mars 1811, avec sa mère et ses frères, il le rejoint en Espagne. Il traverse les villages d’Hernani et de Torquemada, il visite Burgos et « sa cathédrale aux gothiques aiguilles » avec le fameux donneur d’eau bénite Papamoscas. Il entre au collège des Nobles, calle de Hortaleza à Madrid. Chaque matin, un nain bossu, prototype de Quasimodo, réveille les pensionnaires. On ne trouve aucune référence à Hélène Ségara Esmeralda (n.d.l.r !)
Le lendemain de son arrivée, il trouve sur la table de sa chambre, un dictionnaire espagnol et une grammaire. « Il faut que vous sachiez l’espagnol dans trois mois » ordonne sa mère ; il le parle après six semaines. « Beau pays dont la langue est faite pour ma voix. Étant enfant, je parlais mieux espagnol que français. C’est par la chute de l’Empereur, et en conséquence celle de Joseph, que mon père de général espagnol est devenu général français et que moi de futur poète espagnol, je suis devenu poète français . » Gérard Hugo ou Victor Berliner, je ne sais plus, mais qui sait tout sur son copain alter, nous dévoile l’œil égrillard qu’il écrivait en castillan pour une meilleure confidentialité, tous ses exploits amoureux dans son journal intime. Ainsi, à soixante-dix ans,, il note encore todas las tres après avoir reçu à tour de rôle trois jeunes comédiennes en mal de … rôle !. Car on ne l’imaginerait pas comme cela mais derrière l’air patelin du grand homme, se cache un chaud lapin. En voici, les prémices platoniques :

« Dans cette Espagne que j’aime,
Au point du jour, au printemps,
Quand je n’existais pas même,
Pepita – j’avais huit ans –
Me disait : – Fils, je me nomme
Pepa ; mon père est marquis. –
Moi, je me croyais un homme,
Étant en pays conquis… »

Ah Pepita, la fille du marquis de Monte Hermosa !

«… Moi huit ans, elle le double;
En m’appelant son mari,
Elle m’emplissait de trouble….
Rameaux de mai fleuri !
Elle aimait un capitaine;
J’ai compris plus tard pourquoi,
Tout en l’aimant, la hautaine
N’était douce que pour moi.
Elle attisait son martyre
Avec moi, pour l’embraser,
Lui refusait un sourire
Et me donnait un baiser… »

Elle a donc seize ans et permet à Victor quelques largesses pour attiser la jalousie de son amoureux de capitaine. C’est sa première bataille d’Hernani ! Curieusement, Hugo passe moins d’un an en Espagne qui pourtant occupe un espace important dans son œuvre future. Un accord de guitare flamenca !
Sur le chemin du retour tumultueux, le jeune Victor voit à Burgos son premier condamné à mort, hébété de terreur sur un âne, mené jusqu’à l’échafaud par une procession de pénitents. En 1812, au bras de sa maman dans les rues de Paris, il lit affiché sur une colonne, l’avis d’exécution de son parrain et probable amant de sa mère, Victor Fanneau de Lahorie qui, condamné au bannissement pour complot royaliste, s’était réfugié dans la chapelle du couvent des Feuillantines, ce « vert paradis » près du Panthéon où vécurent Sophie Hugo et ses enfants. Adolescent, il assiste au spectacle gore d’une exécution en place de Grève qu’il évoquera dans Le dernier jour d’un condamné : « Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe en cahotant dans ses rainures, et, voici l’horrible qui commence, entame l’homme sans le tuer. L’homme pousse un cri affreux. Le bourreau, déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un troisième ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois , cinq fois il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et secoua sa tête vivante en criant grâce ! … Mais vous n’êtes pas au bout. Le supplicié se voyant seul sur l’échafaud, s’était redressé sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur son épaule, il demandait avec de faibles cris qu’on vint le détacher… C’est en ce moment là qu’un valet du bourreau, jeune homme de vingt ans, monte sur l’échafaud, dit au patient de se retourner pour qu’il le délie, et, profitant de la posture du mourant qui se livrait à lui sans défiance, saute sur son dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui restait de cou avec je ne sais quel couteau de boucher. Cela s’est fait. Cela s’est vu. Oui. » Massacre à la tronçonneuse façon Guillotin! Toute sa vie, Hugo mènera avec ferveur un incessant combat contre la peine de mort : « Messieurs, il se coupe trop de têtes par an en France. Puisque vous êtes en train de faire des économies, faites-en là-dessus. Puisque vous êtes en verve de suppressions, supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatre-vingts bourreaux, vous paierez six cents maîtres d’école. »
Un bureau avec une bougie et une plume d’oie constitue l’unique élément scénique. On ne sait pas grand chose sur les premiers écrits de Hugo. Il semble être autodidacte, s’initie seul à la technique des vers, connaît le latin à dix ans. Le gamin ne manque pas d’ambition ; dès quatorze ans, il consigne sur un cahier d’écolier : « Je veux être Chateaubriand ou rien . » Plus tard, il adoptera comme devise Ego Hugo qui traduit son immense orgueil.
Dès 1809 puis au retour d’Espagne, il a pour inséparable compagne de jeux Adèle Foucher, la fille du propriétaire de leur habitation aux Feuillantines. En 1819, ils s’avouent leur flamme l’un pour l’autre et cent cinquante lettres plus tard, ils se marient le 12 octobre 1823. Parvenu vierge au mariage, le fougueux Victor honore neuf fois son épouse lors de leur nuit de noces. Murmures admiratifs du public féminin dans la salle ! Vrai ou faux, allez savoir car nos deux lascars, Hugo comme Berliner, un peu cabotins, aiment se la péter ! Ce qui est certain, c’est qu’Hugo jouit d’une virilité exceptionnelle qu’il justifie de manière machiste et humoristique dans une note de 1823 : « L’homme a reçu de la nature une clef avec laquelle il remonte sa femme toutes les vingt-quatre heures ». Ce ne sont pas bien évidemment ses performances amoureuses qui lui valent d’être décoré à vingt-trois ans de la Légion d’honneur, ordre créé le 19 mai 1802 par le Premier consul Bonaparte. Et en 1849, à l’Assemblée Nationale, il fera éclater de rire la majorité réactionnaire en déclarant que le droit de l’homme avait pour corollaire le droit de la femme et le droit de l’enfant ! Il devient bientôt l’idole d’une jeune génération et le chef de file du courant du romantisme en créant avec l’écrivain et critique Sainte-Beuve, le Cénacle, groupe littéraire dont les réunions se tiennent dans son domicile de la rue Notre-Dame-des-Champs. S’y retrouvent notamment Balzac, Musset, Vigny , Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, le peintre Delacroix, Mérimée l’auteur de la célèbre dictée. Ils fourbissent leurs armes pour la prochaine bataille d’Hernani, cette célèbre querelle qui oppose lors de la création de la pièce de Hugo, les défenseurs d’un théâtre classique avec notamment les règles des unités de temps, de lieu et d’action, et les nouveaux romantiques briseurs de ces canons.
L’alter d’Hugo, à croire qu’il fût présent, nous narre avec volubilité et délectation la première du 25 février 1830. Dès treize heures, les partisans de Hugo font les cent pas devant le Théâtre-Français. Parmi eux figure Théophile Gautier, l’auteur du Capitaine Fracasse, revêtu d’un gilet rouge flamboyant comme la muleta du torero prêt à exciter les grisâtres partisans du théâtre classique, rouge comme sera le gilet de Jean Vilar, cent vingt-quatre ans plus tard au TNP. Quatre heures avant le début de la représentation, ils forcent les portes de la salle et trompent leur attente en consommant moult victuailles et bouteilles, affalés sur les fauteuils. Ce soir-là, pour des raisons strictement personnelles, l’actrice jouant Doña Sol remplace le fameux vers « Vous êtes mon lion superbe et généreux » par un « Vous êtes, monseigneur, superbe et généreux ». « Le lion relève le vers et monseigneur l’aplatit … J’aime mieux être sifflé pour un bon vers qu’applaudi pour un méchant » dira Hugo. Ses adversaires l’attendent au coin de la longue tirade de Don Gomez mais le roublard Victor leur cloue le bec en abrégeant la galerie de portraits des ancêtres par un « J’en passe et des meilleures » devenu légendaire. La claque du parterre l’emporte sur les perruques des tribunes. Les ovations fusent, Victor Hugo est porté en triomphe jusque chez lui. La recette est de 5 134 francs alors que la veille, Phèdre n’avait rapporté que 450 francs. Les lendemains sont plus tristes et au fil des représentations, la tendance s’inverse en faveur des classiques. Les théâtres de boulevard en viennent à brocarder l’œuvre avec des parodies telles que Harnali ou la Contrainte par cor ! Bientôt les combats se déplacent dans la rue avec les Trois Glorieuses de la Révolution de Juillet. N’oublions pas malgré tout que l’année d’Hernani fut aussi celle de La Symphonie fantastique de Berlioz et Le Rouge et le Noir de Stendhal, un bon millésime pour les Romantiques !
Retour aux histoires d’alcôves, le public en est toujours friand ! Le vigoureux Victor demeure fidèle à son épouse une dizaine d’années puis Adèle, lasse des trop grandes ardeurs de son mari, refuse la chambre commune après la naissance de leur cinquième enfant. Elle cède bientôt aux avances du « grand ami » Sainte-Beuve surnommé par la suite Sainte Bave ( !) dont elle devient la maîtresse.
Victor qui fraie, beau et célèbre dans le milieu du théâtre, se console vite et le 2 janvier 1833, il s’arrête un instant devant la façade du théâtre de la Porte Saint-Martin où une jeune actrice Juliette Drouet débute dans sa pièce Lucrèce Borgia dans le rôle de la princesse Negroni. C’est le coup de foudre. Ancienne maîtresse du sculpteur James Pradier qui la choisit comme modèle de la statue de la ville de Strasbourg place de la Concorde, Julienne Gauvain, c’est son véritable nom, abandonne sa carrière artistique pour se consacrer corps et âme à son « Toto » durant cinquante ans. Ils s’écriront des dizaines de milliers de lettres, vous lisez bien !!!
« Le 26 février 1802, je suis né à la vie. Le 17 février 1833, je suis né au bonheur dans tes bras. La première date, ce n’est que la vie, la seconde, c’est l’amour. Aimer c’est plus que vivre ». Enthousiasme absolu : « Je suis la barque errante et vous êtes la voile » ! Il est un chapitre des Misérables intitulé en clin d’œil le « 16 février 1833 » dans lequel Hugo évoque la nuit de noces de Cosette et de Marius !

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Pochoir passage Brady Paris Xème

Instants de profonde émotion, sur la scène plongée dans une semi pénombre, Gérard Berliner, d’une voix poignante, chante (presque) le poème que tout le monde espérait sans doute :

« Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne
Je partirai vois-tu, je sais que tu m’attends
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit
Aimer c’est plus que vivre Aimer c’est plus que vivre
Laissez moi lui parler, incliné sur ses restes
Le soir quand tout se tait
Comme si dans la nuit rouvrant ses yeux célestes
Cet ange m’écoutait !
Aimer c’est plus que vivre Aimer c’est plus que vivre… »

Subtilement, il a mêlé les vers de deux poèmes des Contemplations, Demain dès l’aube et À Villequier, dédiés à la mort de sa fille Léopoldine survenue le 4 septembre 1843. Léopoldine et Charles Vacquerie, mariés depuis six mois, se rendent en canot sur la Seine chez le notaire de Caudebec-en-Caux lorsqu’un violent coup de vent fait chavirer la barque… Ils se noient.

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Victor Hugo n’a connaissance du drame que cinq jours plus tard, en lisant le journal Le Siècle dans un café près de Rochefort. Le lendemain, il poste de Saumur, une lettre à sa femme Adèle : « Il me tarde de pleurer avec toi et avec mes trois pauvres enfants bien-aimés. Ma Dédé chérie, aie du courage, et vous trois. Je vais arriver. Nous allons pleurer ensemble, mes pauvres bien-aimés. A tout à l’heure, mon Adèle chérie. Que ces affreux coups, du moins, resserrent et rapprochent nos coeurs qui s’aiment ».
La section IV des Contemplations est le livre de ce deuil où Hugo, outre sa non acceptation de la mort, ne cesse d’interroger Dieu quant au sens du drame qu’il vient de vivre. « Qui sait si tout n’est pas un pourrissoir immense ». Émotion personnelle, ces poèmes de souffrance sont devenus un peu miens depuis que mon père s’en est allé. Il adorait Victor Hugo et, par sa ferveur, il savait faire partager à ses collégiens l’amour d’un père pour sa fille que le fleuve proche de chez nous, lui avait enlevée.

« …Hélas! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela!
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant
(mon papa) : Sens-tu que je suis là?… »

« Aimer c’est plus que vivre », Berliner reprend en leitmotiv ce qu’Hugo écrivait à sa Juliette, dix ans avant la noyade de sa fille. À rapprocher peut-être de ce qu’il lut Le 5 février 1843 en l‘église de Villequier lors du mariage de Léopoldine :

« Aime celui qui t’aime, et sois heureuse en lui.
— Adieu! — sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre!
Va, mon enfant béni, d’une famille à l’autre.
Emporte le bonheur et laisse-nous l’ennui!… »

Vous voyez que des sentiments profonds d’amour l’unissaient à « ses » femmes malgré sa réputation méritée de coureur impénitent de jupons. Le chanteur comédien transporte le public des larmes aux rires ; voilà notre petit père Hugo surpris par un mari jaloux, mauvais peintre de surcroît, en flagrant délit d’adultère avec sa femme Léonie Biard, une jeunette de vingt-cinq ans, en « conversation criminelle » consigne le commissaire de police ! La pauvre Léonie est jetée en prison car, en ce temps-là, au nom de l’inégalité des sexes, les femmes qui trompaient leur mari, étaient emprisonnées directement, les hommes non ! Quant à Hugo, il répond au commissaire qui l’invite à le suivre pour vérifier son identité : « Mais enfin Monsieur, vous n’y pensez pas ; je suis Victor Hugo, Pair de France, donc inviolable ! » L’affaire se règle bientôt à l’amiable avec l’achat par l’écrivain d’une « croûte » au cocu !
La mort de sa fille l’éclaire et Hugo sent que finalement, les honneurs, la gloire et l’argent n’ont pas grande importance. Il commence une carrière parlementaire en avril 1845 lorsqu’il est nommé Pair de France par le roi Louis-Philippe. Il entre à la chambre haute du Parlement en tant que vicomte Hugo, membre de l’Institut. Il a été élu, en effet, à l’Académie Française en 1841, réalisant ainsi son rêve d’enfance. Chateaubriand lui écrit : « Je m’en vais, Monsieur, et vous venez ». Lors de la Révolution de 1848, il prend la défense de la monarchie. À la proclamation de la Seconde République, il refuse le poste de ministre de l’Instruction publique que lui propose Lamartine au sein du gouvernement provisoire. Il entre à la chambre des députés après les élections complémentaires de mai 1848. Il y siège avec la droite conservatrice et soutient la candidature de Louis Napoléon Bonaparte à l’élection présidentielle de 1848. Curieux parcours à cent quatre-vingt degrés que celui de Victor Hugo au sein de l’hémicycle ! Il commence sur les bancs de droite avec les royalistes pour finir à l’opposé avec les socialistes.
Miracle de la sonorisation, la voix puissante de Berliner monte dans les travées du théâtre. Hugo nous harangue :
« Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.
Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli. La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Messieurs, songez-y, c’est l’anarchie qui ouvre des abîmes, mais c’est la misère qui les creuse. Vous avez fait des lois contre l’anarchie, faites maintenant des lois contre la misère !
»
Depuis quatre ans, il a entamé l’écriture des Misérables.
Le 15 janvier 1850, lors de la discussion du projet de loi sur l’enseignement, Hugo monte encore à la tribune : « Messieurs, toute question a son idéal. Pour moi, l’idéal de cette question de l’enseignement, le voici : l’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré, gratuite à tous les degrés. L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant qui, ne vous trompez pas est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’État. Voici donc, selon moi, l’idéal de la question : L’instruction gratuite et obligatoire dans la mesure que je viens de marquer. Un immense enseignement public donné et réglé par l’État, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au, Collège de France, plus haut encore, jusqu’à l’Institut de France. Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes les intelligences ; partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre ! Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté ». Ce soir, aucun mouvement de foule réprobateur n’interrompt l’orateur, le public applaudit à l’issue de chaque extrait de discours.
« Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie.
Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne…
Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. – Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand sénat souverain qui sera à l’Europe ce que l’Assemblée législative est à la France !
Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être!
Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu !
» Un instant d’hésitation, nous sommes bien au congrès de la Paix qui se réunit à Paris en août 1849 !
Et souvenez-vous le 15 septembre 1848 devant l’Assemblée constituante : « Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l’inviolabilité de la vie humaine. Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n’est point un pas dans la civilisation, elle n’est rien. Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie.. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare la civilisation règne. Messieurs, ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le XVIIIème siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le XIXème siècle abolira la peine de mort. Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais n’en doutez pas, demain vous l’abolirez, ou vos successeurs l’aboliront… Vous venez de consacrer la première pensée du peuple, vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud ».
Les spectateurs sont bluffés : ovations pour Berliner, admiration pour Hugo ! Il faut avouer qu’avec des députés comme Lamartine et Hugo, les joutes parlementaires étaient d’une autre tenue que nos médiocres débats actuels sur la question de l’identité nationale.
Traqué pour être entré en résistance armée contre le coup d’état de décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte, Victor Hugo sous la fausse identité de Jacques Firmin Lanvin ouvrier typographe, quitte Paris le 11 décembre par le train de vingt heures à destination de Bruxelles.

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Il est contraint à un exil de dix-neuf années, d’abord en Belgique puis dans les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey.
Il se lâche dans un pamphlet cinglant contre « Napo-le-petit » : « Que peut-il ? Tout. Qu’a-t-il fait ? Rien. Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l’Europe peut-être. Seulement voilà, il a pris la France et n’en sait rien faire. Dieu sait pourtant que le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.
L’homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère est un carriériste avantageux. Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse. Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve pas quelque surprise. On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l’insulte et la bafoue
! » Sourires et stupéfaction dans le public ! Ce portrait vous rappelle quelqu’un ? Houlà, vous risquez de graves ennuis comme dirait Fred à Omar dans leur Service après vente des émissions sur Canal +.
L’ouvrage ne sera publié que bien plus tard mais Alexandre Dumas raconte qu’il entre en France clandestinement à l’intérieur des bustes du Prince-président. À Jersey, Hugo se prend de passion pour la nouvelle technologie de la photographie inventée vingt-cinq ans plus tôt par Nicéphore Niepce. Il installe dans la serre de son domicile, un atelier où il développe ses fameux daguerréotypes, épreuves sur papier salé. Il aime se mettre en scène, en poète solitaire, les cheveux longs, ou en proscrit sur le fameux rocher éponyme. Le grand Félix Nadar lui rendra hommage plus tard en immortalisant sa dépouille apaisée sur son lit.
À Guernesey, Juliette, installée en face de chez lui, poursuit sa correspondance prolifique dans l’attente du « petit festival » du soir : « Si ce n’est pas toi c’est donc ton… gilet de flanelle accroché à ta fenêtre auquel j’ai envoyé mes tendres regards » ou « Je viens de vous saluer dans votre grand uniforme d’Adam et je dois avouer que cette tenue vous va bien ». Elle relit les épreuves des Misérables. Est-ce un mal pour un bien mais l’exil offre à Hugo un temps considérable pour se consacrer à l’écriture. Outre Les Châtiments infligés au petit Napo, il achève Les Contemplations, La Légende des siècles et donc Les Misérables. Il écrit à son éditeur « Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon œuvre ». Le roman paraît en 1862 en l’absence de son auteur toujours reclus sur son îlot, « s’il n’en reste qu’un je serai celui-là » ! À l’image aujourd’hui de chaque nouvelle aventure d’Harry Potter, les cinq tomes des Misérables sont publiés à grand renfort de publicité avec des morceaux choisis dans la presse, les personnages exposés dans les vitrines. Le succès est phénoménal, les queues s’allongent devant les librairies, les ouvriers cotisent vingt sous chacun dans les fabriques pour acquérir un exemplaire qu’ils se passent de main en main.
Sur son rocher, Hugo n’abandonne pas ses combats politiques : « Une monnaie continentale, à double base métallique et fiduciaire, ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activité libre de deux cents millions d’hommes, cette monnaie, une, remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d’aujourd’hui, effigies de princes, figures des misères, variétés qui sont autant de causes d’appauvrissement ».

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Il les poursuit à son retour d’exil en 1870 après la reddition de l’empereur à Sedan. Il résiste avec les Parisiens assiégés ; on fabrique trois canons avec la recette des lectures publiques des Châtiments. Il devient sénateur en 1876. Il se bat pour l’amnistie des communards : « Quand d’un côté on dit : l’amnistie rassure, de l’autre on répond : l’amnistie inquiète ; à ceux qui disent : l’amnistie est une question française, on répond : l’amnistie n’est qu’une question parisienne ; à ceux qui disent : l’amnistie est demandée par les villes, on réplique : l’amnistie est repoussée par les campagnes. Qu’est-ce que tout cela ? Ce sont des assertions. Et je dis à mes contradicteurs : les nôtres valent les vôtres. Nos affirmations ne prouvent pas plus contre vos négations que vos négations ne prouvent contre nos affirmations. Laissons de côté les mots et voyons les choses. Allons au fait. L’amnistie est-elle juste ? Oui ou non ».
En août 1876, en pleine guerre serbo-turque, il reparle de ses chers États-Unis d’Europe : « Il devient nécessaire d’appeler l’attention des gouvernements européens sur un fait tellement petit, à ce qu’il paraît, que les gouvernements semblent ne point l’apercevoir. Ce fait, le voici: on assassine un peuple. Où? En Europe. Ce fait a-t-il des témoins? Un témoin, le monde entier. Les gouvernements le voient-ils? Non. Les nations ont au-dessus d’elles quelque chose qui est en dessous d’elles, les gouvernements. A de certains moments, ce contresens éclate: la civilisation est dans les peuples, la barbarie est dans les gouvernants. Cette barbarie est-elle voulue? Non. Elle est simplement professionnelle. Ce que le genre humain sait, les gouvernements l’ignorent. Cela tient à ce que les gouvernements ne voient rien qu’à travers cette myopie, la raison d’Etat; le genre humain regarde avec un autre œil, la conscience. Nous allons étonner les gouvernements européens en leur apprenant une chose, c’est que les crimes sont des crimes, c’est qu’il n’est pas plus permis à un gouvernement qu’à un individu d’être un assassin, c’est que l’Europe est solidaire, c’est que tout ce qui se fait en Europe est fait par l’Europe, c’est que, s’il existe un gouvernement bête fauve, il doit être traité en bête fauve; c’est qu’à l’heure qu’il est, tout près de nous, là, sous nos yeux, on massacre, on incendie, on pille, on extermine, on égorge les pères et les mères, on vend les petites filles et les petits garçons … Ce qui se passe en Serbie démontre la nécessité des Etats-Unis d’Europe. Qu’aux gouvernements désunis succèdent les peuples unis. Finissons-en avec les empires meurtriers. Muselons les fanatismes et les despotismes. Brisons les glaives valets des superstitions et les dogmes qui ont le sabre au poing. Plus de guerres, plus de massacres, plus de carnages; libre pensée, libre échange; fraternité. Est-ce donc si difficile, la paix? La République d’Europe, la Fédération continentale, il n’y a pas d’autre réalité politique que celle-là. ».
En son âge avancé, Victor Hugo cultive L’art d’être grand-père : « Je prendrai par la main les deux petits enfants … Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer ». Mais le coquin ne perd pas sa verdeur et, à quatre-vingts ans, lorsque son petit-fils lui demande « Pépé, que veux-tu pour Noël ? », il lui répond : « La bonne » !!!
Il passe les dernières années de sa vie à Paris dans un hôtel particulier de l’ancienne avenue d’Eyleau rebaptisée à son nom de son vivant. Ainsi, lui adresse-t-on son courrier à « Monsieur Victor Hugo en son avenue à Paris » ! Aujourd’hui, à l’angle de l’avenue Henri-Martin, vous pouvez l’admirer avec ses muses, statufié par Rodin.

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« J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs…
… J’ai fait ce que j’ai pu; j’ai servi, j’ai veillé,
Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.
Je me suis étonné d’être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé….
…O seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit
Afin que je m’en aille et que je disparaisse! »

Berliner traîne sa lassitude sur la scène. La « divine » actrice Sarah Bernhardt écrit aux proches de Hugo : « Je vous en supplie, un mot qui me rassure sur notre divin poète. En désespérance ». Elle avait triomphé quelques années auparavant dans le rôle de Doña Maria de Neubourg, la reine d’Espagne de Ruy Blas. On dit que l’insatiable Victor aurait succombé à ses charmes…
Victor Hugo décède le 22 mai 1885. Il avait consigné dans son testament : « Je donne cinquante mille francs-or aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les Églises. Je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu ». Le 31 mai, son cercueil est exposé sous l’Arc de Triomphe. On estime à plus de deux millions de personnes, la foule qui se presse le lendemain au passage du convoi funèbre vers le Panthéon.
Le comédien chanteur répugne à quitter son alter Hugo ainsi. Il l’imagine revenant sur la terre de France un jour de 2010 : l’école y est gratuite et obligatoire depuis 1882, les femmes possèdent le droit de vote depuis 1946, la peine de mort y est abolie en 1981, les Etats-Unis d’Europe existent avec leur monnaie unique, et nous avons même un Sarko le petit qui, parce qu’elle le fit souffrir, rayerait volontiers la princesse de Clèves des programmes scolaires ! Tant que ce n’est pas Victor Hugo !
Hugo le visionnaire, l’universel, ne peut se satisfaire de cela et, toujours plein d’idéaux, les bras tendus, il nous harangue pour d’autres combats à mener sur la planète.
Durant de longues minutes, les spectateurs applaudissent chaleureusement Gérard Berliner visiblement ému, encore tout habité par son personnage. Ils ont sans doute reconnu en lui le professeur de lettres dont ils rêvaient du temps de leurs humanités. S’il passe par chez vous, allez suivre son cours magistral ! Quant à moi, je vais revisiter avec curiosité Victor Hugo dans le texte !

Vifs remerciements aux fidèles lectrices pour leur contribution photographique à Villequier et Bruxelles.

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Le lendemain de la publication de mon billet, je tombe curieusement sur cette couverture de revue municipale. Notre cher Victor se gratte la tête. Récupération politique abusive ou pas ? Effectivement, quelques jours avant sa mort, Hugo écrivit « Aimer, c’est agir ».Mais le slogan « agir, c’est aimer » prend-il le même sens?!

Publié dans:Coups de coeur |on 11 février, 2010 |Pas de commentaires »

LOUP me lis-tu?

« Promenons nous dans les bois
pendant que le loup n’y est pas
si le loup y était
il nous mangerait
mais comme il n’y est pas
il n’nous mangera pas… »

Loup y es-tu ? Que fais-tu ? Ce samedi-là, Loup n’enfile pas sa culotte. Il n’a plus envie de nous faire peur. Il a choisi de sortir du Bois d’Arcy pour Les (beaux) yeux d’Elsa, le cinéma de Saint-Cyr l’École, et ceux d’une petite fille accompagnée de sa mère-grand.
Vous avez deviné qu’il s’agit du Canis lupus de la famille des canidés, héros du dernier film de Nicolas Vanier.

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Le cinéaste y raconte la vie d’un jeune Évène, ces nomades éleveurs de rennes qui vivent en Yakoutie dans les montagnes de Sibérie orientale. À seize ans, Sergueï est nommé gardien de la grande harde du clan de Batagaï et chargé de mener les trois mille rennes d’un alpage à l’autre selon les saisons. Dès son plus jeune âge, il a appris à chasser et tuer sans état d’âme les loups qui rôdent et menacent constamment le troupeau. Jusqu’au jour où sa rencontre avec une louve et quatre louveteaux trognons va ébranler ses certitudes et l’amener à transgresser les règles ancestrales de son peuple.
S’en suit un film qui mélange les genres de la fiction, du documentaire et du conte initiatique : des paysages de neige à couper le souffle, une histoire attendrissante quoique naïve, un message écologique, bref tous les ingrédients pour que les enfants se promènent sans crainte dans les bois et prennent moins au premier degré les histoires de Charles Perrault et des frères Grimm … et que les grand-mères cessent de numéroter leurs abattis !
Que dire à ce propos d’une certaine Lettre (du) Moulin d’Alphonse Daudet qui déclencha des torrents de larmes dans mon enfance ? Quand elle me la lisait, ma chère maman avait beau décrire avec tendresse Blanquette la jolie petite chèvre de Monsieur Séguin « ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande », elle avait beau vanter le courage de l’adorable chevrette qui voulait tenir plus longtemps que la vieille Renaude, rien n’y faisait, à chaque fois qu’une lueur pâle paraissait à l’horizon, le loup pourléchait ses babines d’amadou et dévorait la pauvre Blanquette exténuée !

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Dans des temps reculés, on ne hurlait pas au loup. Ainsi, les Inuits n’ont jamais imaginé qu’il puisse être méchant et nuisible, le considérant même comme indispensable à l’entretien des populations de gros gibier : « le caribou nourrit le loup, mais c’est le loup qui maintient le caribou en bonne santé ». Amarok, « l’esprit du loup » est une figure populaire dans l’art des esquimaux.
Dans mon billet précédent, Cinema Paradiso : Fellini Parigi, en vous entretenant de la fondation de Rome, j’ai évoqué l’affectueuse louve aux sentiments très maternels, qui recueillit sur les bords du Tibre Romulus et Remus, les jumeaux abandonnés par leur mère la vestale Rhea Sylvia.

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Dans la mythologie grecque, même les dieux ont leurs faiblesses, et Zeus, un sacré chaud lapin, commit quelques infidélités à sa femme Héra, en batifolant avec Léto au point de la féconder. L’épouse légitime, furieuse, intima au serpent Python de poursuivre la maîtresse laquelle ne dut son salut qu’en se transformant en louve afin de se réfugier sur l’île de Delos. Elle y accoucha de jumeaux Artémis et Apollon surnommés, à cause de leur origine, Artémis Lycaea et Apollon lycien. C’est sans doute cela qu’on appelle atavisme, Apollon et la fille du roi Minos eurent un fils illégitime Miletos qui fut abandonné et pris en nourrice par une louve.
En Occident, c’est au Moyen Âge que les relations entre l’homme et le loup se détériorent à cause notamment des nombreuses calamités qui surviennent dès le IXème siècle. Les hivers longs et froids autour de l’An Mil favorisent l’exode de hordes de loups de la taïga eurasiatique vers nos forêts. Bientôt, les nombreuses déforestations chassent du bois le loup qui cause des ravages dans les troupeaux. Les famines, les épidémies et les combats guerriers déciment les populations. L’animal s’approche des habitations, alléché souvent par les cadavres abandonnés sans sépulture. Le corps de Charles le Téméraire tué lors du siège de Nancy en janvier 1477, aurait été retrouvé, dénudé, une joue rongée par les loups, près d’un étang, à l’emplacement de l’actuelle place de la Croix de Bourgogne dans la capitale lorraine. Les victimes abandonnées sur les champs de bataille des guerres de religions, de la guerre de Cent ans, et plus tard des guerres napoléoniennes constituent de la chair fraîche dont se repaissent les loups affamés. Accusé d’attaques dont il n’est pas coupable, le loup acquiert une réputation d’anthropophage.

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Dès l’an 813, Charlemagne qui n’a pas inventé que l’école, institue un corps de louveterie avec deux luparii par comté, pour procéder à la destruction des loups. Exemptés du service armé, possesseurs du droit de gîte et de prélèvement de grains sur les levées impériales, ces chasseurs sont rétribués par commissions selon le nombre de bêtes tuées dont ils envoient les peaux à l’empereur. Le premier titre de louvetier du roi apparaît en 1308. En vertu d’une ordonnance rendue par le roi Charles VI en 1404, les louvetiers lèvent deux deniers par loup et quatre par louve sur chaque habitant des paroisses situées à moins de deux lieues à la ronde de l’endroit où des animaux sont capturés. Louis XI crée l’ordre de grand louvetier de France. En 1520, François 1er charge ce dernier d’entretenir, aux frais du trésor royal, un équipage spécial pour la chasse et de nommer des officiers de louveterie dans chaque province. La louveterie est supprimée peu avant la Révolution, en 1787 mais Napoléon la rétablit en 1805 en nommant un Grand Veneur de la couronne en remplacement du Grand Louvetier de la monarchie. Entre 1818 et 1829, plus de dix-huit mille loups auraient été exterminés.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, les lieutenants de louveterie existent toujours de nos jours. Dans leur chasse carnassière pour démanteler la fonction publique, nos gouvernants devraient peut-être supprimer quelques postes dans ce corps en désuétude plutôt que parmi les enseignants et les facteurs ! L’Assemblée nationale a juste modernisé cet héritage de l’Ancien Régime en en faisant des auxiliaires d’agriculture et conseillers cynégétiques chargés de la régulation des nuisibles et du maintien de l’équilibre de la faune sauvage ! Qui sait s’ils ne verront pas le loup … !
Aux côtés des seigneurs, l’Église n’est pas en reste pour diaboliser le loup. Ce bouffeur d’agneau (pascal) devient le symbole du mal contre le bien et compte parmi les fléaux que Dieu nous envoie sur terre pour punir les hommes. « On crie le loup plus grand qu’il n’est » et on a vite fait de colporter, en ces temps sans internet ni téléphone portable, qu’il est même un tueur et un mangeur d’hommes avec une préférence pour les bergères dans la fleur de l’âge et les enfants. Dévorant les corps, il s’approprie les âmes. Quand on se souvient des Romulus, Remus, Apollon et autre Miletos, on en conclut que les dieux, monstres d’ingratitude, sont tombés sur la tête ou du moins, ont la mémoire courte !

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Gaston Phébus, comte de Foix, dans son célèbre Livre de chasse, suggère de se débarrasser des loups « avec des filets, des fosses, des nœuds coulants accrochés à un contrepoids, des pièges à mâchoires et de perforer leurs intestins par des hameçons de métal cachés dans des boulettes de viande de cheval » ! Quand on pense que chaque année, la ville de Foix célèbre sa gloire locale, lors de fastueuses « journées médiévales », je serais ours d’Ariège, je me ferais du mouron !

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Maudit dans la réalité quotidienne, sans bon conseiller en communication, il n’y avait pas à l’époque un Jacques Séguéla pouvant louer sa force tranquille, notre loup ne possède pas une meilleure image de marque dans le monde de l’imaginaire et notamment dans la littérature qu’elle soit orale ou écrite. Dans le Roman de Renart, recueil de récits médiévaux écrits en vers entre 1171 et 1250, Ysengrin le loup apparaît comme un connétable du roi sans cesse piégé et ridiculisé par son neveu, le rusé goupil lequel sans foi ni loi, viola jadis son épouse Dame Hersent. Parmi ses remarquables méfaits, Renart le tonsure en lui versant de l’eau bouillante sur le crâne et l’abandonne au fond d’un puits. Et puis il y a cette savoureuse pêche à la queue que j’adorais :
« Ysengrin se tient au bord du trou, la queue en partie plongée dans l’eau avec le seau qui la retient. Mais comme le froid était extrême, l’eau ne tarda pas à se figer, puis à se changer en glace. Le loup, qui se sent pressé, attribue le tiraillement aux poissons qui arrivent; il se félicite, et songe déjà au profit qu’il va tirer d’une pêche miraculeuse. Il fait un mouvement, puis s’arrête encore, persuadé que plus il attendra, plus il amènera de poissons à bord. Enfin, il se décide à tirer le seau; mais ses efforts sont inutiles. La glace a pris de la consistance, le trou est fermé. Il se démène et s’agite, il appelle Renart : « A mon secours, beau neveu ! il y a tant de poissons que je ne peux les soulever » … » Vous savez bien qu’on perd tout à vouloir tout gagner, encore que les traders aujourd’hui … en tout cas, cette fois-là, Ysengrin cupide y laissa sa queue ! Clin d’œil sympathique, dans le film de Nicolas Vannier, Serguei extirpe Loup en mauvaise posture après que la glace se soit rompue.

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« La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité… »

Au XVIIème siècle, Jean de La Fontaine qui mit le loup seize fois en scène dans ses fables, lui rend ici sa réputation sanguinaire puisque le pauvre agneau est dévoré « sans autre forme de procès ». Récemment, un autre Lafontaine prénommé Philippe en donne une image bien moins effrayante dans sa chanson Cœur de loup : « Je n’ai qu’une seule envie/Me laisser tenter/La victime est si belle/Et le crime est si gai » !
« Tire la chevillette, la bobinette cherra », vous vous souvenez de cette formule magique qui ouvrit la porte au loup cruel pour le plus grand malheur de la mère-grand et du petit chaperon rouge dans un des Contes de ma mère l’Oye parus en 1697 sous la plume de Charles Perrault.
Dans une version édulcorée datant de 1857, les frères Grimm laissent la vie sauve à l’enfant et son aïeule grâce  à un chasseur qui les récupère en taillant le ventre de la bête pendant son sommeil avant de la lester de lourdes pierres.
Signe des temps, après la séance de cinéma, la petite fille ne porte ni galette ni pot de beurre mais confectionne au domicile de sa grand-mère, un gâteau à la vanille et au chocolat ainsi qu’un pain aux raisins et aux noix. Qui plus est, elle préfère faire les soldes pour dénicher quelques fringues tendance plutôt qu’un chaperon rouge. Cela dit, si l’on en croit Bruno Bettelheim, auteur de la Psychanalyse des contes de fées, le petit chaperon symboliserait le personnage de la petite fille aux portes de la puberté, la couleur rouge renverrait au cycle menstruel et le loup serait la figure du prédateur sexuel ! Voilà peut-être pourquoi, dans leur inconscient, les jeunes adolescentes appréhendent encore le premier « loup » susceptible de leur faire perdre leur innocence !

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« Qui craint le grand méchant loup ? C’est p’têt’ vous, c’n’est pas nous » dansent en chœur Les Trois petits Cochons roses du premier dessin animé en couleurs de Walt Disney, Oscar du meilleur court métrage. Il est vrai que cette version cinématographique est édulcorée par rapport au vieux conte du folklore anglo-saxon et qu’y survivent Nif Nif et Nouf Nouf, les deux paresseux qui ont bâclé la construction de leur maison. Quant au courageux et sérieux Naf Naf, sa capacité à tenir tête au loup regonfla d’une note d’espoir le peuple américain en pleine dépression économique lors de la sortie du film en 1933. À quand la production des studios Pixar ou Dreamworks qui nous redonnera un peu le moral en ces temps de crise ?
« Il n’y a rien de bon dans cet animal que sa peau ; on en fait des fourrures grossières, qui sont chaudes et durables. Sa chair est si mauvaise, qu’elle répugne à tous les animaux, et il n’y a que le loup qui mange volontiers du loup. Il exhale une odeur infecte par la gueule : comme pour assouvir sa faim il avale indistinctement tout ce qu’il trouve, des chairs corrompues, des os, du poil, des peaux à demi tannées et encore toutes couvertes de chaux, il vomit fréquemment, et se vide encore plus souvent qu’il ne se remplit. Enfin, désagréable en tout, la mine basse, l’aspect sauvage, la voix effrayante, l’odeur insupportable, le naturel pervers, les mœurs féroces, il est odieux, nuisible de son vivant, inutile après sa mort. » Georges-Louis Leclerc comte de Buffon, dans son Histoire Naturelle, brosse un tableau catastrophique de celui qu’en ce temps-là, on préfère nommer la chose ou la bête.
Il en est une célèbre dite Bête du Gévaudan dont justement Buffon examina la dépouille dans un état de putréfaction fort avancé avant de conclure qu’il s’agissait d’un loup de grande taille. Mais que n’a-t-on pas dit sur la nature de l’animal (ou les animaux) qui, entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767, multiplia les attaques meurtrières contre des humains dans les pays de Lozère et de Haute-Loire, entre Margeride et Aubrac… « L’an 1764 et le 1er juillet, a été enterrée, Jeane Boulet, sans sacrements, ayant été tuée par la bette féroce, présans Joseph Vigier et Jean Reboul ». Ainsi le curé de la paroisse de Saint-Étienne-de-Lugdarès consigna sur le registre des baptêmes, mariages et sépultures, la mort de la jeune fille de quatorze ans, première victime de la Bête au village des Hubacs près de Langogne.
Selon les sources, une centaine d’humains, uniquement femmes et enfants, connurent le même sort tragique. Bien que nous soyons au siècle des Lumières, dans ces montagnes boisées et ces vallées reculées et isolées durant de longs hivers enneigés, on croit en Dieu mais aussi au Diable, aux sorciers et au loup-garou. Entre ignorance et mysticisme, ces croyances « païennes » constituent un ferment fertile à l’imagination. Durant ces 3 années de terreur, l’animal a été tiré à plusieurs reprises soit à une certaine distance, soit à bout portant et pourtant, blessé, il s’est toujours relevé pour s’enfuir ce qui a justifié sa réputation démoniaque et surnaturelle aux yeux de la population.
De nombreuses hypothèses ont été émises qui disculpent en général le loup en dépit du diagnostic de Buffon et du fait que les animaux tués lors des battues pour exterminer la bête fussent des loups. Ainsi, on a avancé la théorie d’un animal exotique féroce, inconnu de nos climats, et en particulier, comme le prétend un fascicule du Jardin des Plantes paru au début du dix-neuvième siècle, une hyène d’Orient, classée dans l’espèce du loup-cervier, portant une crinière barrée sur son dos, habitant l’Egypte et parcourant les tombeaux pour en déterrer les cadavres. Un professeur de l’université de Montpellier, au début du vingtième siècle, écarte la responsabilité d’un quelconque animal et évoque l’idée que les loups n’auraient fait que ronger les cadavres abandonnés par un serial killer tandis que des mystificateurs recouverts de peaux de loups auraient entretenu la présence de la Bête. D’autres parmi lesquels le conteur Henri Pourrat, suggèrent une théorie intermédiaire et accusent un chien mâtin dressé pour la guerre, comme cela se faisait fréquemment au seizième siècle, recouvert d’une cuirasse en poil de sanglier très dru. L’instigateur de ce complot, Jean-François-Charles de Morangiès, pour servir les desseins de nobles du pays, aurait ordonné à un certain Antoine Chastel de dresser et guider l’animal sanguinaire lequel sera abattu curieusement par Jean Chastel, le père. Cette thèse constitue globalement l’argument du film Le Pacte des Loups.

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Si le mystère demeure, la Bête ne fait plus peur et, au contraire, constitue aujourd’hui un attrait touristique indéniable : sa sculpture, en fer, en pierre ou en bois, trône sur la place de plusieurs villages de l’ancien pays du Gévaudan et deux musées, à Saugues en Lozère, et Auvers en Haute-Loire, lui sont consacrés. Quant aux loups si vilipendés, juste revanche sur la légende, environ 130 spécimens en provenance du Canada, de Sibérie et de Mongolie, ont trouvé asile près de Marvejols, dans un parc d’une vingtaine d’hectares où ils vivent en semi liberté pour le plus grand plaisir des touristes.
Dans un registre voisin, le loup-garou est, dans les légendes, un humain capable de se transformer en loup partiellement ou complètement. Du mythe à la réalité, il n’y a parfois qu’un pas qui fut franchi entre les années 1500 et 1700 lorsque quelques milliers de personnes ayant l’apparence et le comportement du loup, furent condamnées et parfois brûlées vives.
Prenant la légende à rebrousse-poil (de loup bien sûr), Boris Vian dans Le loup-garou et autres nouvelles, conte l’histoire d’un paisible loup du bois de Fausses-Reposes, tout proche donc de son domicile de Ville-d’Avray ( !), qui mordu par le mage du Siam une nuit de pleine lune, se transforme en homme et vit dans Paris, lors de la journée suivante, quelques aventures édifiantes sur le mauvais comportement humain.
En 1930, un loup-garou terrorisa la banlieue parisienne, à Bourg-la-Reine. Avant que … :

« …Les loups ououh! ououououh!
Les loups ont envahi Paris
Soit par Issy, soit par Ivry
Les loups ont envahi Paris
Cessez de rire, charmante Elvire
Les loups ont envahi Paris.
Attirés par l’odeur du sang
Il en vint des mille et des cents
Faire carouss’, liesse et bombance
Dans ce foutu pays de France
Jusqu’à c’que les hommes aient retrouvé
L’amour et la fraternité…. »

L’invasion de loups qu’interprète magnifiquement Serge Reggiani, évoque l’entrée des troupes nazies dans la capitale durant la seconde guerre mondiale.

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Pierre Perret reprit récemment l’image de la Bête pour stigmatiser la montée de pensées d’extrême droite sur fond des élections présidentielles de 2002. Cette fois encore, « le loup n’avait qu’un œil et était un vieux mâle de Krivoï … ou de Saint-Cloud » !

« Sait-on pourquoi, un matin,
Cette bête s’est réveillée
Au milieu de pantins
Qu’elle a tous émerveillés
En proclamant partout, haut et fort :
« Nous mettrons l’étranger dehors »
Puis cette ogresse aguicheuse
Fit des clones imitatifs.
Leurs tirades insidieuses
Convainquirent les naïfs
Qu’en suivant leurs dictats xénophobes,
On chasserait tous les microbes.
Attention mon ami, je l’ai vue.
Méfie-toi : la bête est revenue !
C’est une hydre au discours enjôleur
Qui forge une nouvelle race d’oppresseurs.
Y a nos libertés sous sa botte.
Ami, ne lui ouvre pas ta porte… »

Preuve que son acrimonie envers le loup n’est que métaphore politique, l’ami Pierrot commit aussi un petit chef d’œuvre de tendresse pour consoler une jeune fille sans doute pas gâtée par la société :

« T’en fais pas, mon p’tit loup,
C’est la vie, ne pleure pas.
T’oublieras, mon p’tit loup,
Ne pleure pas.
Je t’amènerai sécher tes larmes
Au vent des quatre points cardinaux,
Respirer la violette à Parme
Et les épices à Colombo.
On verra le fleuve Amazone
Et la vallée des Orchidées
Et les enfants qui se savonnent
Le ventre avec des fleurs coupées... »

En 1936, un autre Sergueï, Prokofiev de son nom, écrivit le livret et composa la musique de Pierre et le Loup, un conte très pédagogique destiné à familiariser les enfants avec les principaux instruments de l’orchestre symphonique. Tandis qu’un récitant narre la chronique d’une mort du loup évitée par un autre « ami Pierrot », l’orchestre ponctue l’histoire d’intermèdes musicaux où chaque protagoniste est illustré par un instrument. Ainsi, la sonorité lugubre de trois cors évoque le loup et son hurlement jugé sinistre, envoûtant ou enivrant selon nos états d’âme … que la lune soit pleine ou pas ! Le loup est un chanteur qui émet une grande variété de sons, jappement, grognement, grondement, vagissement, glapissement et le plus célèbre d’entre eux, le hurlement. Grand communicateur, il hurle pour rassembler la meute dispersée, rassurer les louveteaux, marquer son territoire et prévenir un autre clan de sa présence, avertir de l’arrivée imminente d’un troupeau de caribous, exhorter la horde avant la chasse. Ses modulations vocales, parfois imperceptibles à l’oreille humaine, portent jusqu’à une quinzaine de kilomètres.
Petite pause désaltérante dans mon propos avec une gorgée d’une boisson gazeuse vantée poétiquement par tout un peuple de l’herbe voletant sur la musique de Pierre et le Loup !

http://www.dailymotion.com/video/xc0ajc

Le loup retenu par d’autres obligations, n’a pu participer à ce tournage !
Quand on parle du loup, on en voit la queue mais aussi ses beaux yeux même si son regard phosphorescent la nuit, contribuait à semer la terreur antan. Comment ne pas fondre devant ceux des ravissants louveteaux qui viennent lécher la main de Sergueï, le jeune gardien de rennes ? Voilà au moins de jeunes loups bien plus sympathiques que certains jeunes gens aux dents longues, dévorés d’ambition qui hantent les milieux des affaires et de la politique !
Plaute, auteur comique latin du IIIème siècle avant notre ère, clamait dans sa Comédie des ânes « Homo homini lupus », l’homme est un loup pour l’homme, soulignant la cruauté des hommes entre eux ; ne peut-on pas ajouter que l’homme est un loup pour le loup tant notre langue fleurie abonde d’expressions et de proverbes péjoratifs à son égard pour illustrer nos travers. On a un gros appétit, on a une faim de loup, on avance à pas de loup pour surprendre quelqu’un, on fait entrer le loup dans la bergerie lorsqu’une personne nuisible s’immisce dans un groupe, on hurle avec les loups en se joignant à d’autres en train de critiquer.
On appelle même lupin une plante parce qu’elle dévore et épuise la terre, et que sa graine n’était bonne que pour les loups. Qui sait si le patronyme d’un certain Arsène gentleman cambrioleur, ne vient pas de son goût prononcé pour la rapine.
À crier ainsi au loup depuis plus de mille ans, il a disparu de nos contrées où pourtant il pullula comme en atteste une riche toponymie. Le leu comme on disait au Moyen Âge, devait hurler à Canteleu sur les hauteurs de Rouen ou à Chanteloup dans les bois de l’Hautil vers les contreforts du Vexin. On le trouve dans le Val d’Oise à Saint-Leu la Forêt, dans l’Eure à Louviers, à Loupian près de l’étang de Thau, à Wolfisheim dans le Bas-Rhin. (wolf est le loup en langue allemande), à La Louvière outre-Quiévrain, c’est l’occasion d’employer cette expression que j’adore, vous ne l’ignorez plus !
Les plans cadastraux fourmillent de lieux-dits en référence à la présence ancienne du loup : mare au loup, fosse aux loups, écorche-loup, loup-pendu, cul de loup, chêne au loup, cantaloube, jappeloup, gratte-louve. À proximité de mon bourg natal, se trouvait le mont aux Leux. Mon père me parla souvent de cette motte de terre féodale au sommet de laquelle on pendait peut-être au gibet les loups capturés. Gustave Flaubert l’évoqua dans Madame Bovary, certains historiens en conclurent que Forges-les-Eaux était la commune de Yonville-l’Abbaye du roman.
De nombreux patronymes tirent leur origine de surnoms désignant les chasseurs de loups : pour annoncer la présence du loup, Canteloup l’imitait bien, c’est logique, Hucheloup criait, Corneloup sonnait du cor, Bouteleux était piqueur, Tuloup abattait l’animal. Il existe plusieurs saints Loup notamment un évêque de Troyes et un archevêque de Sens. Les Louvel et Leleu sont nombreux en Picardie et Normandie, et une affectueuse madame Leloup joua la nounou dans mon enfance.
Loup devient un prénom aussi avec ses déclinaisons Llop en Catalogne et Lopez en Espagne. Dansèrent-ils avec les loups, tels des chefs indiens, Glorieux loup, c’est Rodolphe, Noble loup c’est Adolphe et Démarche de loup c’est Wolfgang !
Qui sait si les communes de Villeneuve-Loubet et La Colle-sur-Loup dans les Alpes-Maritimes ne verront pas bientôt rappliquer quelques spécimens de Canis lupus. En effet, depuis 1992, on assiste dans le proche massif du Mercantour, au retour de loups sauvages en provenance selon les sources, du massif des Abruzzes ou de la chaîne des Apennins ou de Ligurie, bref d’Italie. On en dénombre plus de deux cents aujourd’hui qui causent des dégâts au sein de troupeaux ovins et caprins. Comme pour l’ours slovène des Pyrénées, le loup du Mercantour suscite un violent débat entre défenseurs du monde animal sauvage et éleveurs. Certes, il est protégé par la convention de Berne de 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe, ratifiée par la France en 1989, cependant, les actes délictueux de braconnage sont fréquents, de quoi occuper les conseillers cynégétiques, les lieutenants de louveterie des temps modernes !
Insidieusement, le canis lupus italicus revient sur les lieux de ses anciens exploits ou crimes. Il a franchi le Rhône mais ne s’est pas attardé à Arles, sait-il que là-bas, près du moulin d’Alphonse Nobleloup Daudet, les chèvres sont orphelines de Monsieur Séguin récemment décédé ?

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Sa présence est avérée en Lozère et en Aubrac, dans le Puy-de Dôme et le Tarn. À ce rythme là, il va bientôt retrouver l’amour de Gérard Blanchard dans les grottes de Rock-Amadour !
Les histoires de loups-garous redeviennent d’actualité. En effet, en avril, sur les écrans, l’acteur Benicio del Toro troquera son personnage de Che Guevara pour celui terrifiant de The Wolfman, un remake de Le Loup-garou film de1941.

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En notre époque de crise morale, sociale et économique, avec tout ce que je vous en ai dit, vous n’accuserez plus de tous les maux, Loup tendrement réhabilité par Nicolas Vanier. Il  est une autre bête noire  bien plus dangereuse !

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Publié dans:Leçons de choses |on 3 février, 2010 |Pas de commentaires »

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