Rive gauche à  Paris: de Saint-Germain des Prés au Pont des Arts

Ce jour-là, après ma plongée dans le monde merveilleux de la fête foraine sur la rive droite (voir billet du 5 janvier 2010), j’ai traversé la Seine pour une immersion culturelle entre Saint-Germain des Prés et le pont des Arts.

« Les chansons de Prévert me reviennent
De tous les souffleurs de vers… laine
Du vieux Ferré les cris de la tempête
Boris Vian s’écrit à la trompette
Rive gauche à Paris … »

Au-delà de son acception géographique désignant les quartiers au sud du fleuve (car vous le savez, la Seine vient du plateau de Langres à l’est et coule vers la Normandie jusqu’au Havre !) Rive gauche était un mode de vie, une manière d’être et de penser caractérisant les milieux artistiques et intellectuels concentrés dans les cinquième et sixième arrondissements. J’emploie l’imparfait même si on y trouve aujourd’hui encore un style bobo, bourgeois bohême.
Il est midi et j’envisage pour l’instant quelques nourritures terrestres avant de me consacrer à celles de l’esprit. Quoique ! Créé en 1686 par un gentilhomme de Palerme, Francesco Procopio del Coltelli, le Procope où je commande un plateau de fruits de mer, est une véritable institution qui devint rapidement l’un des cafés littéraires et philosophiques les plus courus. Ici, ce n’est pas de la brève mais de l’éternelle de comptoir !

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Probablement, il profita à son ouverture de la présence juste en face (à l’actuel numéro 14 de la rue de l’Ancienne-Comédie et pour cause), de la Comédie Française avant qu’elle ne déménageât vers le Palais Royal. Auteurs, acteurs et critiques de théâtre s’y croisent à la sortie des représentations.
« Je m’ennuyai tellement à la première que je ne pus tenir jusqu’à la fin et, sortant du spectacle, j’entrai au café de Procope … Là je dis hautement mon peccavi, m’avouant humblement ou fièrement l’auteur de la pièce, et en parlant comme tout le monde en pensait. » Ainsi, se confesse Jean-Jacques Rousseau au soir de la première de sa pièce Narcisse. Plus heureux, il y fêtera plus tard le succès du Devin du village.
La légende prétend que Voltaire fut un pilier de ce bistrot ! On y admire encore un buste de lui ainsi que le bureau de marbre roux sur lequel il écrivit notamment sans doute sa comédie L’Écossaise ou le café sous le pseudonyme du pasteur Hume. À travers le personnage de Frelon, il y ridiculise un de ses pires détracteurs, Fréron critique de L’Année littéraire.

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Dans les commodités, ainsi sont signalisées ici les toilettes, à défaut de lire d’un derrière distrait quelque magazine vantant les peines de cœur des people, les hommes peuvent méditer sur une citation écrite au mur, tirée de sa pièce Le Dépositaire (tout un programme en ce lieu !) : « Les femmes sont comme les girouettes, quand elles sont rouillées elle se fixent. » Retrouvant par bonheur ma compagne là où je l’avais laissée, je ne saurais malgré tout en déduire tout commentaire hâtif et offensant ! Pardonnez mes élucubrations de bas étage, je n’appartiens pas au Siècle des Lumières !
Dans une de ses Lettres persanes, Montesquieu décrit le Procope comme un lieu « où l’on apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent ». Quelque peu visionnaire, il affirme aussi : « Si j’étais souverain de ce pays, je fermerais les cafés car ceux qui fréquentent ces endroits, s’y échauffent fâcheusement la cervelle. »
C’est bientôt le cas de Danton, Marat et Robespierre qui ont leurs habitudes au Procope. Le bonnet phrygien, symbole de la liberté et du civisme, y est exhibé pour la première fois et, le 17 août 1792, le mot d’ordre d’attaque du palais des Tuileries est lancé de là. Clin d’œil à l’Histoire, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen figure sur les murs d’une des salles et j’y reviens, les toilettes distinguent sur leurs portes, les citoyennes des citoyens !
Une plaque extérieure atteste que l’estaminet fut fréquenté aussi par Jean de La Fontaine, les encyclopédistes Diderot et d’Alembert, Benjamin Franklin qui y aurait rédigé quelques éléments de la future Constitution des Etats-Unis, Napoléon Bonaparte dont un bicorne dans une vitrine vous salue à l’entrée, Honoré de Balzac, par Victor Hugo qui le cite dans son roman Quatre-vingt-treize, par Léon Gambetta futur président du Conseil, par Alphonse Daudet, Verlaine et Anatole France.
Une citation de Camille Desmoulins rappelle que « ce café est paré du souvenir de grands hommes qui l’ont fréquenté et dont les ouvrages en couvriraient les murs s’ils y étaient rangés ». Heureux hasard, notre table se trouve dans le coin dit la bibliothèque aux murs tapissés de planches d’herbiers et d’étagères remplies de vieux ouvrages.
De-ci delà, des inscriptions en laiton informent les clients des illustres prédécesseurs qui déjeunèrent à leur table. Au rythme où nos gouvernants démantèlent l’enseignement notamment de l’histoire, les jeunes générations ignoreront bientôt ceux qui firent la vie intellectuelle et artistique des siècles passés et la promenade que je vous propose, n’offrira que profond ennui à leurs yeux. Cela me rappelle la parodie par Les Inconnus, d’un quiz télévisé où les candidats sont invités à citer quatre grands personnages de l’histoire de France. Oubliant superbement les illustres « remplaçants » cités plus haut, ils déclinent les joueurs de l’équipe de France de football de l’époque, Platini, Giresse, Tigana et Fernandez ! Zola, Benzema, même combat ?
Je peux sinon rêver du moins plaisanter et imaginer que dans deux cents ans, une plaque attestera qu’encre violette, valeureux blogueur du début du vingtième siècle, déjeuna ici d’un honnête plateau de fruits de mer ! Cela ne semble pas être le cas d’un couple de vieux acariâtres très rive droite qui se plaint à la sortie de la taille modeste de leur demi homard !
La goujaterie est bonne conseillère puisque l’hôtesse à la réception ôte de la note la bouteille de vin. Cela me démange de leur suggérer le restaurant Le Vinci pour y déguster cet excellent crustacé … Le homard du Vinci, c’est bien connu !!!
Pardonnez mon pitoyable calembour qui me sert de préface à l’un des maîtres de ces exercices de style, l’immense Antoine Blondin qui vécut pendant un demi siècle entre le quai Voltaire et la rue Mazarine que j’emprunte maintenant. Si, à force de me lire, vous êtes désormais familiers des jeux de mots dont l’écrivain parsemait ses chroniques sur le Tour de France, vous ignorez par contre peut-être qu’il fut un remarquable spécialiste des préfaces et en rédigea plus d’une centaine, de Goethe et Les souffrances du jeune Werther à Verlaine et La Bonne Chanson en passant par la Vélobiographie de Louison Bobet ( !).
Avant que je parvienne à l’Académie Française dont le dôme resplendit sous le soleil d’hiver, dans la perspective, je contemple les nombreuses galeries d’art qui ont pignon sur la rue Mazarine.

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Hédoniste dans l’âme, mon œil est attiré dans l’une d’elles, par un enivrant tableau à la gloire de quelques grands crus de châteaux du Bordelais quoique le Pétrus, trop grand seigneur pour porter un titre, ne mentionne pas sur son étiquette l’appellation habituelle de château … mais de cela, je vous entretiendrai peut-être un jour.
Au quotidien, l’ami Blondin, j‘y viens, préférait l’astringence d’un petit blanc dans l’arrière-salle du Rubens, un modeste café sis au numéro 19 de la rue, dont il avait fait son quartier général et son bureau. Depuis quelques années, l’enseigne a cédé la place à une nouvelle galerie d’art. Ma pensée ne cesse de vagabonder malgré tout chaque fois que je passe devant. C’est là qu’avant de faire le singe savant en été sur les routes du Tour de France avec ses savoureuses chroniques, il écrivit son roman Un singe en hiver qui obtint le Prix Interallié 1959 avant de devenir un film truculent :
« – Ah parce que tu mélanges tout ça, toi ! Mon espagnol, comme tu dis, et le père Bardasse. Les Grands Ducs et les boit-sans-soif.
- Les grands ducs…
- Oui monsieur, les princes de la cuite, les seigneurs, ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps et qu’on toujours fait verre à part. Dis-toi bien que tes clients et toi, ils vous laissent à vos putasseries, les seigneurs. Ils sont à cent mille verres de vous. Eux, ils tutoient les anges !
- Excuse-moi mais nous autres, on est encore capable de tenir le litre sans se prendre pour Dieu le Père.
- Mais c’est bien ce que je vous reproche. Vous avez le vin petit et la cuite mesquine. Dans le fond vous méritez pas de boire. Tu te demandes pourquoi y picole l’espagnol ? C’est pour essayer d’oublier des pignoufs comme vous. »

L’ivresse des mots de Blondin adaptés par Audiard dans la bouche de Gabin !
Comme Gabriel Fouquet, l’espagnol, alias Jean-Paul Belmondo, qui noie ses déceptions sentimentales dans l’alcool et rêve de tauromachie, Blondin, des soirs de cuite, transformait la rue Mazarine en arène et jouait à la corrida improvisant d’audacieuses véroniques. « Un manteau, une voiture, olé ! »

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Ne vous méprenez pas, Antoine Blondin, admirable ivrogne, était avant tout un écrivain étincelant, compagnon de Roger Nimier, Jacques Laurent, Michel Déon, la fameuse bande des Hussards (en référence au roman de Nimier Le Hussard bleu) à la sortie de la seconde guerre mondiale, dans les brisées de Paul Morand.
« J’ai grandi parmi les miens dans une rare aisance intellectuelle. Le roman, la poésie, la chanson régnaient à la maison. On échangeait les citations avec le sel et le pain. »
En effet, sa mère Germaine était poète, elle-même descendante de Jean Casimir-Perrier, président de la République durant six mois en 1894 « avant de démissionner pour aller claquer son argent avec les admirables putes de l’époque » (Blondin dans le texte) !
« Il n’y a que dix-sept maisons sur le quai Voltaire, au 33 il y avait moi. Au 29, Voltaire ; après Montherlant ; après mon hôtel. J’y couchais –et ça ce n’était pas rien- dans la chambre de Wagner, et je savais qu’au-dessus, on avait parfois entendu crier Byron, ce qui n’était pas mal. Après on tombe sur la maison d’édition, et immédiatement après c’est l’Académie. Quand même … »
On lui reconnaissait des sympathies et des idées droitières mais en fait, avec son goût pour la provocation, il était surtout prêt à défendre tout ce qui contribuait à ce qu’on lui foute la paix. Il avouait n’avoir voté qu’à quatre reprises et à chaque fois pour le même homme, François Mitterrand, puis ajoutait : « Est-il de droite, est-il de gauche ? Personne ne saurait le dire, pas même lui. Enfin, en principe, il est socialiste. Mais il a été de l’Action française » !!! Il aimait aussi conter le voyage qu’il effectua dans l’Allier en mai 1968 avec celui qui n’était pas encore président de la République, au cours duquel il harangua la foule à la tribune : « Vichyssois, vous êtes des cons, parce que vous oubliez avoir été des Vichyssois du temps de Pétain, vous êtes des dégueulasses. » !
Même si elle transparaît peu dans ses romans, « l’amitié aura été son manteau ». À celle qui deviendra sa seconde épouse, il déclarait : « Je ne vous ferai pas vivre dans le luxe, mais je vous ferai connaître mes amis », sa vraie richesse. Quand on compte parmi eux, toutes époques et genres confondus, Voltaire, Jules Renard, Marcel Aymé, Paul Morand, Roger Nimier, le cycliste Jacques Anquetil et le rugbyman Guy Boniface, « c’est qu’on est soi-même capable d’inspirer des sentiments chaleureux et durables ».
Je saisis son immense talent lorsque je besogne devant mon clavier pour vous livrer mes petits carnets de vie ; lui, il s’arrêtait de boire et, reclus dans une chambre d’hôtel ou au fond d’un café, il rédigeait sans brouillon, d’une belle écriture calligraphiée sur un cahier d’écolier, pendant vingt-huit jours au-delà desquels il remisait son crayon gras, ce qui explique parfois les fins bizarres de ses romans.
Je vous encourage vivement à découvrir sa plume brillante et délicieuse en vous procurant pour une trentaine d’euros ses œuvres presque intégrales dans la collection Bouquins chez Robert Laffont ou à défaut quelques uns de ses romans édités en Livre de Poche ou chez Folio.

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Je pourrais m’asseoir sur un des bancs de pierre en forme de livre ouvert dans le tranquille square Gabriel Pierné, à l’ombre de la coupole de l’Académie et, intarissable sur le sujet, poursuivre mes propos laudateurs sur ce génial « flâneur de la rive gauche ».
Il aurait adoré justement entrer à l’Académie française mais, disait-il malicieusement , « il y a cinq cafés entre mon appartement et l’institut, je n’y arriverai jamais. L’habit vert m’irait extrêmement bien mais comme j’habite à cent cinquante mètres, je laisserais mon épée dans le premier bistrot, mon bicorne dans le second et j’arriverais en caleçon là-bas » !
« Son » ami Voltaire écrivit : « L’Académie française est l’objet secret des vœux des gens de lettres ; c’est une maîtresse pour laquelle ils font des chansons et des épigrammes jusqu’à ce qu’ils aient obtenu ses faveurs, et qu’ils négligent dès qu’ils en ont la possession ». Recalé en 1732, il y entra finalement quatorze ans plus tard.
Pour la postérité, Voltaire a donné son nom, à Paris, à un grand boulevard, une place, une station de métro et sa statue trône dans le minuscule square Honoré Champion juste derrière la vénérable assemblée où siègent les quarante « immortels » parmi lesquels un pseudo prétendu amant de la princesse Lady Diana ! Revêtu d’une cape, il tient dans ses mains le Dictionnaire philosophique du Siècle des Lumières.

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Blondin connut évidemment celle en bronze du sculpteur Caillé, inaugurée en 1885 sur le quai Malaquais et refondue en 1942. Au lendemain de la guerre, l’État français passa commande d’une nouvelle effigie en pierre auprès de Léon Drivier qui devait être reposée sur l’ancien socle. D’oiseuses considérations esthétiques et politiques reléguèrent finalement en 1962 ( !) l’ermite de Ferney, plus en retrait, dans son coin de verdure confidentiel.

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Il y a pour compagnon Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, avec lequel il s’entretient peut-être de son essai sur le Goût de l’Encyclopédie dont il acheva la rédaction après sa mort :
« Lorsque nous trouvons du plaisir à voir une chose avec une utilité pour nous, nous disons qu’elle est bonne ; lorsque nous trouvons du plaisir à la voir sans que nous y démêlions une utilité présente, nous l’appelons belle. »
Saviez-vous mesdames que lorsque certains parlent de vous avec goujaterie, ils citent Montesquieu en toute ignorance probablement !

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À quelques dizaines de mètres de là, une plaque apposée sur la façade d’un vieil immeuble aujourd’hui restaurant, témoigne que Voltaire y naquit et mourut. Juste à côté, se trouve l’hôtel du quai Voltaire cher à Blondin. Quelques vers tirés du poème Le crépuscule du matin dans Les Fleurs du Mal, rendent hommage à Charles Baudelaire qui y séjourna également :

« L’aurore grelottante en robe rose et verte
S’avançait lentement sur la Seine déserte,
Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,
Empoignait ses outils, vieillard laborieux. »

À un jet de pierre, deux agents de la paix en faction gardent l’entrée d’un hôtel particulier où réside Jacques Chirac ex président de la République. J’ignore s’il s’agit d’un clin d’œil à son goût prononcé pour cette bière mexicaine mais presque en face, de l’autre côté de la Seine, une brasserie a pour enseigne Le Corona !

« La vie c’est du théâtre et des souvenirs
Et nous sommes opiniâtres à ne pas mourir
À traîner sur les berges venez voir
On dirait Jane et Serge sur le pont des arts »
Rive gauche à Paris … »

Alain Souchon ne croit pas si bien dire. En effet, à quelques pas de son domicile à la façade toujours taguée d’hommages, Gainsbourg est là au bord de la Seine, fumeur de gitanes sur une colonne Morris, un de ces supports d’affichage créés en 1868 par l’imprimeur Gabriel Morris.

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Je ne comprends d’ailleurs pas trop la folie éditoriale à laquelle nous assistons ces jours-ci avec la sortie quasi simultanée de plusieurs films et ouvrages. Certes, quand on aime, on ne compte pas, dit l’adage mais à vouloir dans une stratégie de communication, devancer la concurrence, on célèbre plus d’un an avant, le vingtième anniversaire de la disparition de l’homme à la tête de chou survenue le 2 mars 1991 !
On situe symboliquement sur ce pont en 1963, le passage du petit pianiste du cabaret de travestis Milord l’arsouille au pied de la butte Montmartre, de l’autre côté du fleuve, à Saint-Germain des Prés, au bras de La Javanaise qu’il écrit pour Juliette Gréco, l’égérie de Boris Vian.

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Me voici au pied des marches du pont des Arts, but ultime de ma déambulation : « Ce lieu du monde, unique et prestigieux, qui hantait ses pensées, nourrissait ses rêves, exaltait son âme : le pont des Arts. » Cette citation extraite de sa nouvelle La Marche à l’Étoile, est gravée à la mémoire de l’écrivain et grand résistant Jean Bruller connu sous le pseudonyme de Vercors du nom d’un massif montagneux et d’un célèbre maquis. Il créa les Éditions de Minuit où il publia son œuvre majeure Le Silence de la mer, le plus beau livre de la France occupée.

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En fait de pont, il s’agit d’une passerelle réservée aux piétons, construite entre 1801 et 1804, à la demande de Bonaparte alors premier consul. Rappelez-vous Victor Hugo naissait : « Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte/Déjà Napoléon pointait sous Bonaparte,/Et du premier consul, déjà par maint endroit,/Le front de l’empereur brisait le masque étroit. » !
Bref, le dit « masque étroit » souhaitait que Paris posséda un pont métallique à l’instar de celui de Colebrockdale en Angleterre, premier du genre. Ainsi l’ouvrage de commande reliait le palais des Arts, aujourd’hui musée du Louvre, à l’école des Beaux Arts installée dans l’ancien collège des Quatre-Nations, aujourd’hui l’Institut.
Surélevé par rapport au niveau des quais, aménagé d’arbustes, de bacs à fleurs et de bancs, il offrait l’aspect d’un jardin suspendu. Comme beaucoup d’autres ponts de Paris à l’époque, pour le franchir, il fallait s’acquitter d’un droit de péage d’un sou.

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Bien que cela n’ait absolument aucun rapport, notre impayable Antoine Blondin, au temps où il occupait une chambre du très chic hôtel du quai Voltaire, eut la farceuse idée de parier douze bouteilles de champagne avec un couple de richissimes sud-américains rencontré évidemment au bar de l’établissement, qu’il pouvait traverser la Seine sans se mouiller les pieds. Pari conclu, il emprunta tout simplement, avec son ami Albert Vidalie, le pont des Arts devant les yeux ébahis des deux touristes incrédules qui s’acquittèrent volontiers de leur dette pétillante… bue sur le champ !
À l’origine, la passerelle comportait neuf arches en fonte avant qu’en 1852, deux d’entre elles côté rive gauche fussent réunies en une seule, suite à des travaux d’élargissement du quai Conti. Fragilisé par des bombardements puis plusieurs collisions de barges, le pont fut fermé à la circulation piétonne au début des années 1970 avant carrément de s’effondrer sur une soixantaine de mètres en 1979. Il est reconstruit entre 1981 et 1984 en respectant globalement l’aspect d’antan. Cependant, il ne possède plus que sept arches désormais en acier, supportant un tablier en bois d’une largeur de onze mètres.

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Fidèle à son nom, il attire peintres et photographes, professionnels ou amateurs, inspirés par les perspectives harmonieuses du fleuve vers le Pont Neuf, et des monuments à ses extrémités. Qui a flâné le long des bouquinistes proches, n’a pas vu au moins une fois le célèbre cliché de Henri Cartier-Bresson représentant le père de l’existentialisme Jean-Paul Sartre sur le pont désert par une journée brumeuse ; de même celle du fox-terrier intrigué par Robert Doisneau.

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Les amoureux des arts mais aussi les amoureux tout court foulent volontiers les planches sacrifiant à un rite très ancien remis au goût du jour depuis la sortie d’un best seller italien dans lequel les deux héros, pour sceller leur amour, accrochent un cadenas gravé de leurs noms à un lampadaire du pont Milvio à Rome avant de jeter la clé dans l’eau du Tibre. Et le premier spécimen de ces lucchetti, les cadenas d’amour, sur lequel je tombe, je vous le donne en mille, affiche mes trois initiales ! Sans doute, le fait d’une lectrice enflammée tombée en pâmoison devant l’auteur de ce blog ! Je peux rêver un instant non ? Et si pour une fois, l’enfer, c’était (pour) les autres !

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La symbolique originelle est un peu différente des initiales et des cœurs que les adolescents creusent dans l’écorce des arbres ; le cadenas oppose en principe son acier indestructible à l’inconstance des amants et aucun éventuel autre prétendant ne pourra retrouver la clé emportée par les eaux du fleuve. Il y a bien quelques cadenas à combinaison mais la loi des probabilités ne devrait pas entamer la sérénité des jeunes gens épris !

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Ich liebe dich, I love you, te quiero, ti amo, ya tibya loublyou (c’est du russe), l’amour se décline ici en toutes les langues ; j’aurais pu au temps de mon aventure mexicaine, graver jag älskar dig pour les beaux yeux d’une suédoise mais … il n’y a pas de pont à Mexico City, on va raconter l’histoire ainsi !
Abus, Master, Unity, je souris aux connotations engendrées par les marques des cadenas. Avec humour, l’un d’eux prône l’amour vache, un autre d’un touriste brésilien honore l’amour du football et du club carioca de Flamengo.

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Au bout du pont, rive gauche oblige, je fais demi tour afin de ne pas être hors sujet ! Droit vers l’Institut de France qui abrite cinq académies : l’Académie française fondée en 1635 par le cardinal de Richelieu ; l’Académie des inscriptions et belles-lettres, l’Académie des Sciences, l’Académie des Sciences morales et politiques et l’Académie des Beaux-Arts.

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L’Institut ne s’est installé en ces lieux qu’en 1805, investissant alors les locaux du collège des Quatre-Nations édifié entre 1662 et 1688 selon les vœux testamentaires de Mazarin.
Le cardinal avait souhaité la fondation de cet établissement destiné à l’instruction gratuite de soixante écoliers étrangers, enfants de gentilshommes, originaires des quatre « nations » rattachées à l’obédience royale par le traité de Westphalie (1648) et la paix des Pyrénées (1659) : Flandres-Artois, Alsace, Roussillon-Cerdagne, le territoire dauphinois de Pignerol.
Avec son institut d’assimilation nationale, Mazarin, il y a trois siècles et demi, suggérait quelques idées à nos gouvernants englués si médiocrement dans leurs problèmes d’identité et d’identification nationales. Mais il est vrai qu’ils connaissent mal l’Histoire au point même d’envisager de rayer cette discipline de certains programmes scolaires !

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Colbert désigne Le Vau, premier architecte du roi, qui souhaite inscrire le collège dans un vaste ensemble monumental incluant aussi le Louvre. Dans le projet, figurait la construction d’un pont reliant les deux édifices. Ainsi le pont de la Paix en référence à la Paix des Pyrénées signée peu avant, est en quelque sorte, l’ancêtre virtuel de l’actuelle passerelle des Arts.
Louis Le Vau pour mener à bien sa tâche, doit aussi composer avec le tracé sinueux de la berge et la présence de la célèbre Tour de Nesle intégrée à l’ancienne enceinte de Paris édifiée au XIIIème siècle. Alexandre Dumas dans sa pièce de théâtre éponyme ainsi que Maurice Druon, « immortel » récemment décédé, dans sa saga des Rois maudits, ont popularisé les orgies et les meurtres perpétrés par la reine Marguerite de Bourgogne. Les parties fines de sa majesté et de ses belles-sœurs, toutes trois brus de Philippe le Bel, s’achevaient funestement pour leurs amants d’un soir qu’elles ficelaient dans un sac avant de les précipiter dans la Seine.
La troupe des Monty Python qui prend avec tant de talent des largesses avec la vérité historique, pourrait imaginer une séquence de film dans laquelle, au petit matin, les amoureux du pont des Arts verraient flotter sous leurs pieds quelques sacs de jute jetés de la tour en amont !

« …Semblablement, où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan ? … »

Souvenez-vous au collège, le vôtre pas celui de Mazarin, de la Ballade des dames du temps jadis dans laquelle nous emmenait François Villon avant que Georges Brassens ne la chantât.
Le sieur Buridan, philosophe et docteur en scolastique dont, ce n’est pas le moindre des paradoxes, on connaît mieux l’âne, accusé légendairement d’avoir eu un commerce coupable avec la reine nymphomane, ne dut son salut qu’à ses élèves qui positionnèrent en contrebas de la tour, une barque de foin pour amortir la chute.
Je quitte l’âne, un instant, pour retrouver Le Vau qui flatta probablement les origines italiennes de Mazarin, avec son projet d’inspiration indiscutablement romaine et l’architecture de la place en hémicycle, accessible par trois guichets, la chapelle au centre, et les ailes basses en quart de cercle.

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C’est sous la Coupole de la chapelle que siègent aujourd’hui les académiciens lors des séances solennelles d’intronisation.
Le cardinal Mazarin légua par testament sa très riche bibliothèque au collège des Quatre-Nations. Plus de trois siècles après, la bibliothèque Mazarine, la plus ancienne bibliothèque publique de France, occupe toujours l’aile est de l’Institut. Vous savez aussi désormais pourquoi un ancien chef d’état amoureux des belles lettres, appela sa fille du nom de cet édifice.
Tout près de là, le marquis de Condorcet, autre grand penseur du XVIIIème siècle, secrétaire de l’Académie française et de celle des Sciences, médite devant le défilé des touristes et des automobiles sur le quai Conti.

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Précurseur de Jules Ferry avec ses travaux et réflexions sur l’instruction publique, rédacteur de l’article De l’admission des femmes au droit de cité dans lequel il est favorable à ce qu’elles votent (ce n’était pas gagné, il faudra attendre … le 21 avril 1944 !), théoricien des systèmes de votes (sans tripatouillage et découpage des circonscriptions !), auteur de l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, que doit-il penser du spectacle souvent affligeant que nous lui offrons en ce début de vingt et unième siècle ?
Lors des cérémonies du Bicentenaire de la Révolution, François Mitterrand honora la mémoire de Condorcet en transférant ses cendres au Panthéon, de manière symbolique car nul ne savait plus où il reposait. En effet, proscrit sous la Terreur, arrêté et emprisonné à Bourg-Égalité (aujourd’hui Bourg-la-Reine), le marquis s’empoisonna probablement dans sa cellule pour échapper à l’échafaud en mars 1794 et fut inhumé et jeté dans la fosse commune du cimetière désaffecté depuis longtemps. Il ne faisait pas trop bon bien penser en ce temps-là ; nous sommes en progrès sur ce plan, du moins dans nos contrées !

« Si, par hasard
Sur l’Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent fripon
Prudence, prends garde à ton jupon
Si, par hasard
Sur l’Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent maraud
Prudent, prends garde à ton chapeau… »

Ce n’est pas le vent mais une bise glaciale qui me chasse en cette fin d’après-midi. Comme chemin du retour, prends-je à nouveau la rue Mazarine ou la rue de Seine ? Me voilà indécis devant ce futile dilemme semblable à celui que l’âne de Buridan poussa tellement à l’absurde qu’on le connaît sous le nom de paradoxe : il mourut de soif pour n’avoir su choisir entre son picotin d’avoine et son seau d’eau !
Étant là à vous écrire, vous avez compris que je suis sorti de mon embarras … en empruntant la rue de Seine également bordée de nombreuses galeries d’art. Au passage, je jette encore un œil à Carolina, une élégante sculpture en bronze dans le square Gabriel Pierné. Peut-être subjugué par le déhanché de la danseuse, un cantonnier, à défaut de cadenas, lui a lié les pieds avec un ruban de signalisation pour travaux !

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Léo Ferré fredonne dans ma tête :

« …Vous qui passez rue de l’Abbaye,
Rue Saint-Benoît, rue Visconti,
Près de la Seine
Regardez le monsieur qui sourit
C’est Jean Racine ou Valéry
Peut-être Verlaine
Alors vous comprendrez
Gens de passage
Pourquoi ces grands fauchés
Font du tapage
C’est bête,
Il fallait y penser,
Saluons-les
À Saint-Germain-des-Prés. »

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Publié dans : Ma Douce France |le 18 janvier, 2010 |Pas de Commentaires »

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