Cinema Paradiso: FELLINI PARIGI
Sortie de métro station Concorde ! Au-dessus de moi, dans la perspective du musée du Jeu de Paume, surgit sur une affiche Federico Fellini implorant les mains jointes dans un geste presque caricaturalement italien. Mamma mia ! Je me souviens d’un de ses films où il tournait dans les sous-sols de Rome alors qu’on y construisait une nouvelle ligne de métro. Une énorme fraise en creusant, mettait à jour les vestiges d’une villa ornée de magnifiques fresques vieilles de deux mille ans qui s’effaçaient au premier contact avec l’air ambiant ; une superbe métaphore comme une vue en coupe de la splendeur de l’empire romain s’estompant à la lumière de notre civilisation décadente. Le « progrès » et le passé ne peuvent pas cohabiter.
C’était en 1972, Fellini Roma ; aujourd’hui, 16 janvier 2010, c’est Fellini Parigi ! L’hiver à Paris est fellinien avec l’exposition consacrée au génial cinéaste qui s’achève le lendemain.
Ne vous méprenez pas, il ne s’agit en aucun cas d’un néologisme à la sauce encre violette ; pour le petit Larousse illustré, est fellinien, ce qui est relatif à Federico Fellini et à son œuvre ! Ce n’est d’ailleurs pas la seule intrusion langagière d’il maestro dans nos dictionnaires. Ainsi la dolce vita, titre d’un de ses films, beaucoup plus qu’une traduction littérale de la douce vie, signifie une vie oisive, facile et superficielle avec peut-être une propension aux mondanités et au farniente autre mot originaire de la langue de Dante. De même, pour avoir appelé Monsieur Paparazzo, le personnage d’un photographe de ce film, dans le monde entier aujourd’hui, on surnomme paparazzi, ceux qui traquent avec leurs objectifs de prise de vue, les personnalités connues du grand public. C’est dire l’aura considérable de l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma, né en 1920 à Rimini une station balnéaire de la Riviera, et décédé à Rome en 1993. Ses films ont obtenu, entre autres récompenses, huit Oscars à Hollywood et une Palme d’or à Cannes. Durant l’été suivant sa disparition, lors d’un séjour en Toscane, j’avais déjà visité à Florence, une délicieuse exposition qui lui était dédiée. Allez, c’est parti pour la promesse et la douceur de vivre deux heures de rêves dans l’univers onirique du maître. Et déjà, au bout du couloir, je me retrouve au milieu de la chaussée de la via Veneto envahie par une jeunesse romaine désoeuvrée et de clinquantes voitures de sport.
Une immense affiche en toile format panoramique « Total scope » de La Dolce Vita barre quasiment l’entrée de l’exposition. Quand il évoquait ses souvenirs, Fellini déclarait : « Du cinéma, j’ai dans mes pensées, surtout les affiches, elles m’enchantaient. Elles sont comme des chansonnettes, elles te ramènent à certains moments de ta vie, en t’empêchant de les perdre. Elles ne te ramènent pas tellement ou seulement aux films, mais plutôt à leurs saisons, au climat et aux saveurs d’une époque ». C’est vrai qu’elles étaient belles ces affiches d’antan peintes dans un style presque hyperréaliste ! Les prises de vues étant trop délicates le soir avec l’effervescence aux terrasses de cafés de la via Veneto, Fellini décida de faire construire la réplique de la célèbre avenue et du café de Paris au studio 5 de Cinecittà. « La lumière en studio, on peut la commander, la contrôler, la modeler … Le studio est le milieu où les images qu’on a vues en imagination, peuvent être réalisées en contrôlant tout, exactement comme le fait un peintre sur une toile avec son pinceau ». Le reste de sa vie, lorsqu’il s’y promenait, Fellini ressentait profondément que la véritable via Veneto était celle des studios de Cinecittà. Je suis encore à contempler l’affiche que déjà du vacarme, en provenance des salles du musée, me parvient aux oreilles. J’imagine qu’au coin de la voie Veneto, je vais déboucher sur l’une de ces pittoresques places provinciales de la péninsule avec sa rafraîchissante fontaine et ses arcades où une population haute en couleurs s’apostrophe bruyamment. Je me souviens d’un village de Toscane où de truculents retraités s’attardaient le matin à la terrasse ombragée d’un café et fuyant le soleil, investissaient en fin d’après-midi, le bistrot d’en face. Ce matin, ce sont les bandes son des morceaux choisis de l’œuvre considérable de Fellini, projetés sur des écrans de ci delà selon une astucieuse scénographie, qui provoquent ce tapage sympathique mais nullement cacophonique. En effet, le son se promène dans l’espace d’une séquence à l’autre, se coupant et réapparaissant tandis que les images sont diffusées en permanence. Cela constitue d’ailleurs un excellent exercice de formation pour appréhender l’interaction entre les images et les sons. L’exposition abandonnant toute logique chronologique et filmographique, choisit de raconter Fellini autrement à travers quelques thématiques, parti pris finalement cohérent tant la construction de ses films tient plus du puzzle et d’une juxtaposition de saynètes que d’une structure narrative classique. Je souris devant les numéros un peu pitoyables de la troupe de comédiens décrite par Federico Fellini dans sa première réalisation Les Feux du music-hall (1950) avec Alberto Lattuada. Ce film pourtant de qualité, connut un échec commercial retentissant. La faute appartient essentiellement au producteur Carlo Ponti, futur mari de Sophia Loren, qui, par jalousie, sort simultanément Dans les coulisses, un film traitant du même sujet avec la participation du jeune acteur Marcello Mastroianni et une musique de Nino Rota. Ceux-là passeront bientôt dans le camp adverse ! C’est à cause de cette moitié de collaboration avec Lattuada que Fellini baptisa son neuvième film, 8 ½ ! Quelques dessins accrochés aux murs témoignent de l’excellent coup de crayon de Fellini qui, à la fin des années 1930, quitte sa province romagnole pour travailler comme caricaturiste dans des fanzines ainsi qu’au Marc’Aurelio, un hebdomadaire satyrique à grand tirage. Son goût prononcé pour la culture populaire transparaît aussi dans la réalisation de comic strips et de romans photos . Ainsi, il réalise pour le magazine Vogue, les aventures de Mandrake avec … Marcello Mastroianni dans le rôle du héros. Dans son avant-dernier film Intervista (1987), en guise de clin d’œil féroce contre la télévision qui, peu à peu, concurrence le cinéma, il met en scène pour un spot publicitaire le vieux Marcello sous les traits du célèbre magicien.
Me voilà nez à nez avec le très conservateur docteur Antonio, la mine horrifiée devant le spectacle d’ouvriers clowns hissant sur un terrain vague, un immense panneau publicitaire avec l’image d’une femme à l’opulente poitrine, allongée dans une pose provocante. « Bevete piu latte », au-dessus, un néon invite à boire plus de lait. Un autobus déverse un flot de musiciens noirs qui, sur le thème musical de La Dolce Vita sortie deux ans plus tôt, reprennent en chœur des slogans à la gloire de la boisson lactée. Des enfants joyeux gambadent et improvisent des rondes au pied de l’affiche géante, sur le terrain vague du quartier de l’EUR (il devait accueillir l’Exposition Universelle de Rome en 1942 ) souhaité par Mussolini pour glorifier le régime fasciste. Fellini dut jubiler en réalisant La Tentation du docteur Antonio, premier sketch de Boccace 70. Dans son premier film en couleurs, il reprend l’argument des bonnes mœurs mises à mal par les images du monde moderne, déjà traité deux ans auparavant dans La Dolce Vita. Un air de déjà-vu, la filiation est évidente : Rome, la musique de Nino Rota et évidemment, la volcanique actrice suédoise Anita Ekberg dont les seins enjôleurs damnent non pas saint Antoine comme chez Flaubert, mais un pauvre médecin pudibond. Tentations du docteur Antonio, obsessions de Fellini pour les formes généreuses des femmes qui constituèrent souvent les mamelles nourricières de son cinéma. Un document nous apprend qu’avant chacun de ses films, il passait beaucoup de temps à sa table de travail où il ne faisait que gribouiller des fesses ou des nichons. « C’est ma manière de commencer mon film, de le déchiffrer à travers ces gribouillages… » disait-t-il. La technique muséale a cloué le bec au docteur Antonio pour permettre à Anita Ekberg, quelques pas plus loin, de se trémousser autant que sa robe noire moulante l’autorise, au rythme d’un rock endiablé repris par un jeune chanteur encore peu connu, Adriano Celentano.
Nous sommes dans une des séquences les plus festives de La Dolce Vita : 1960, le rock’n’roll et Elvis Presley déferlent sur l’Europe et Fellini, jamais à court d’idées, fait danser la jeunesse dorée romaine devant le cabaret Caracalla’s dans le décor antique des thermes reconstitué à Cinecittà. Après cela, un bon bain ne serait pas de refus !!! Mais auparavant, je dévisage les bouilles qui envahissent un pan de mur : modestes photos d’identité ou caricatures du maestro qui, invraisemblables figurants, déambuleront bientôt dans ses films. Il y a les grotesques sortis de la commedia dell’ arte à mi-chemin entre les personnages de carnaval et la cour des miracles. Ils rappellent les entresorts, ces baraques des fêtes foraines d’antan dans lesquelles on découvrait des curiosités anatomiques. Avant ses films, Fellini publiait des petites annonces dans les journaux invitant tous ceux qui le souhaitaient à venir le voir. Les jours suivants, un monde interlope accompagné de la police romaine se rendait aux castings. Fellini archivait précieusement dans un dossier les photos de chaque candidat selon une typologie qui lui était propre : « hommes exotiques, gueules ignobles, filles girondes et un peu putes, têtes de petites tapettes etc.. » je souris à une photo touchante d’une jeune femme au physique agréable qui a précisé au-dessous : « no money » ! Les heureux élus deviendront felliniens tandis que Federico demeurera Fellini ! Réminiscence de son enfance, le cinéaste a aussi une tendresse toute particulière pour les saltimbanques et les clowns qu’il mettra en scène dans beaucoup de ses films, en tête de liste évidemment La Strada, Les Feux du music-hall, 8 ½, Les Clowns, les sosies de Ginger et Fred. « J’ai regardé le chapiteau comme une usine de prodiges … Les clowns sont les ambassadeurs de ma vocation. » Plus généralement, pour Fellini, « le monde entier est un vaste cirque habité par des hommes-clowns. Il y a les clowns blancs : les patrons, les seigneurs, les riches, qui raisonnent et commandent, et il y a les augustes qui sont pauvres, qui peinent, qui déraisonnent ». Lui-même s’imagine en auguste ». Mais sans doute dans son cinéma, il campa le rôle d’un Monsieur Loyal pour mieux se moquer de la comédie humaine. Dans le musée, la Grande Parade, ainsi s’appelle l’exposition, se poursuit. À celle naturelle des clowns, viennent s’ajouter l’hilarant défilé fasciste au pas de course des clones de Mussolini dans Amarcord, celui de prostituées aux seins énormes dans un bordel romain ou encore la présentation de mode ecclésiastique de Fellini Roma : « Modèle n°2 tourterelles immaculées » ! Souvenir sans doute de son école maternelle des sœurs de saint Vincent à Rimini, celles « avec la grande cornette aux ailes de mouette » ! Quarante ans plus tard, je crois entendre encore les spectateurs hurlant de rire lors de la projection .
Un plus long extrait de la même séquence pour les plus felliniens d’entre vous
« En Italie, on a le roi (Victor Emmanuel III), le pape (Pie XI et XII) et le Duce (Mussolini) », confiait Fellini. Le spectacle de la société lui donna envie de la traiter comme la société du spectacle. Tous les chemins (ra)mènent à Fellini Roma, ici avec trois affiches du film qui interprètent différemment la fondation de Rome ! Selon la légende rapportée par Tite-Live, Romulus et Remus, fils jumeaux du dieu Mars et de la vestale Rhéa Silvia, auraient été abandonnés dans une fondrière sur les bords du Tibre en crue. Ils furent recueillis par une louve qui les allaita dans une grotte au pied du mont Palatin. Par la suite, le berger Faustulus éleva les nourrissons avec son épouse, une prostituée surnommée Lupa la louve. À l’âge adulte, Romulus et Remus décidèrent de fonder une ville et pour départager celui qui lui donnerait son nom, ils s’en remirent aux augures. Cependant l’interprétation du présage est problématique : Remus, du sommet du mont Aventin, aperçut le premier six vautours mais Romulus, du haut du Palatin, en observa douze peu après. Les versions divergent sur la mort de Remus, en tout cas son frère donna son nom à Rome, « un bien bel endroit pour attendre la fin du monde » comme le proclame l’affiche française. Sur celle-ci, une superbe femme nue, en position soumise, prend la place de la louve. Ses seins deviennent les mamelles qui nourriront Romulus et Remus.
L’affiche italienne, reprenant la version de Tite Live, montre la Lupa, une prostituée à la poitrine généreuse et les mains sur les hanches, dans une attitude dominatrice.
Pour les américains, une louve est certes une louve mais c’est tout le petit monde du Maestro qui se nourrit à ses mamelles. Ce serait donc Fellini le fondateur de Rome qui nous raconte la chute de l’empire romain (1931-1972) !
Ou Anna Magnani, l’actrice de Rome ville ouverte de Rossellini et de Mamma Roma de Pasolini, que Federico interpelle au bas de son immeuble de Trastevere, le Saint-Germain des prés romain, la comparant à un symbole de la ville : « -Qu’est-ce que je suis moi ? -Une Rome comme louve et vestale, aristocrate et gueuse, sombre et bouffonne, je pourrais continuer jusqu à demain matin… –Je peux te poser une question ? -Non je me méfie.Ciao ! Buena notte». Puis Anna claque la porte et … son clap de fin ; ce fut sa dernière scène, elle mourut l’année suivante. C’est l’heure du bain ! Qui plus est, passé minuit, dans la fontaine de Trevi, en compagnie de la plantureuse Sylvia! « Tu es tout, la première femme du premier jour de la création, la mère, la sœur, la maîtresse, l’amie, l’ange, le diable, la terre, le foyer … Ah, voilà ce que tu es, le foyer » : Anita Ekberg en personne, Miss Suède 1950, dont un de ses partenaires disait que ses parents auraient mérité le prix Nobel de l’architecture !
Je ne me lasse pas de voir et revoir cette scène somptueuse en noir et blanc qui appartient à la légende du septième art : « Marcello, come here ! » Qui n’a pas rêvé d’être Mastroianni à ce moment ? J’apprends que cette séquence s’inspire d’un fait divers réel survenu quelques mois auparavant. Dans une vitrine, un exemplaire d’Il Tempo daté de 1958, montre, en effet, quelques photographies de la pin up scandinave, vêtue d’une robe blanche cette fois, se rafraîchissant dans la célèbre fontaine à l’occasion d’une de ses folles nuits romaines. Anita Ekberg et Marcello Mastroianni font partie des couples mythiques de l’histoire du cinéma et pourtant, à aucun moment, leurs lèvres se rejoignent. Vingt-sept ans plus tard, par un artifice dont il a le secret, Fellini scellera enfin un vrai baiser en modifiant dans Intervista la scène de la fontaine projetée au duo d’acteurs vieillis. Dans Nous nous sommes tant aimés où les clins d’œil aux chefs-d’œuvre du cinéma sont nombreux, Ettore Scola reconstitue les répétitions nocturnes de La Dolce Vita, autour de la fontaine de Trevi, avec Mastroianni et Fellini dans leur propre rôle. Finalement, deux scènes brûlantes avec Marcello et le docteur Antonio (encore qu’en la circonstance, il s’agisse de son image) auront fait la gloire de la pin up suédoise dont la plastique s’étalait sur les couvertures de la nouvelle presse magazine de l’époque comme en atteste ici tout un pan de mur. Elle fut en quelque sorte l’incarnation d’une certaine futilité de l’évolution des mœurs que dénonçait justement Fellini. On la retrouve évidemment au premier étage, dans La Cité des femmes, une des grandes thématiques de l’exposition, au sens plus général que le film éponyme réalisé par Federico en 1979. Toutes les muses felliniennes sont présentes sous l’œil charmeur de Marcello Mastroianni qu’on rencontre partout, et pour cause, il apparut dans six films de son réalisateur fétiche. On y croise Claudia Cardinale, la jeune fille au verre d’eau rêvée dans 81/2, son seul film avec Fellini, Anouk Aimée et bien sûr, la muse de ses muses, Giulietta Masina, son actrice fétiche et son unique épouse durant cinquante ans. Je fonds devant un dessin crayonné par lui, plein de tendresse et de poésie, présageant la Gelsomina, le merveilleux clown de La Strada . L’immense Charlie Chaplin dira qu’elle était l’actrice qu’il admirait le plus, la seule qui l’ait fait pleurer !
Comme beaucoup d’italiens, Fellini aime les femmes et est obsédé par la féminité dont il caricature outrageusement les attributs. Des prostituées aux formes animales et nourricières apparaissent de manière récurrente dans son cinéma, « réminiscence d’une adolescence italienne frustrée par les prêtres, l’Église, la famille et une éducation désastreuse ». Ces femmes opulentes tout en rondeurs, n’ont rien de négatif. Au contraire, leur embonpoint promet douceur, chaleur et protection. Quelques photos font la part belle à la puissance mammaire de la buraliste d’Amarcord ainsi qu’à la Saraghina de 81/2 : « La Saraghina était une prostituée gigantesque, la première que j’ai vue dans ma vie, sur la plage pendant mes vacances d’été. On l’appelait ainsi parce que les marins obtenaient ses faveurs contre des sardines. » Il n’empêche que la grâce l’atteint lorsque son corps s’anime aux accents d’une rumba de Nino Rota pour le plus grand bonheur des enfants ! Il faut que deux prêtres rappliquent pour que cessent ces instants de poésie.
Certains disent que 81/2 est l’âge auquel Fellini aurait commis sa première masturbation devant la vraie Saraghina ; d’autres interprétations avancent que ce serait l’ouverture du diaphragme de l’objectif pour une lumière idéale sur la plage. Allez savoir avec Federico qui reconnaissait être un grand rêveur mais aussi un grand menteur ! D’ailleurs, il contredisait ceux qui avançaient que ses films étaient construits sur la mémoire des souvenirs, préférant s’en inventer en puisant dans une mémoire faite de souvenirs qui n’existent pas. De l’autre côté de la cloison, dans le ciel de l’écran, surgit un hélicoptère transportant une statue du Christ au bout d’un filin. Il survole les ruines de l’aqueduc situé à proximité des studios de Cinecittà, suivi par un autre hélicoptère dans lequel ont pris place Marcello Mastroianni, le journaliste chargé de couvrir l’événement en compagnie du fameux photographe de presse people monsieur Paparazzo. Le bruit des engins attire le regard de quatre jeunes femmes en bikini prenant le soleil sur la terrasse de leur immeuble. Bientôt, le Christ rédempteur parvient au-dessus de la place Saint Pierre et de la basilique. Au plan suivant, trois pseudo divinités effectuent un numéro de culturisme dans un cabaret à la mode. . Le ton est donné ! Il s’agit là de la scène d’ouverture de La Dolce Vita jugée tellement blasphématoire que l’Espagne catholique de Franco la censura. À côté de l’écran, quelques illustrations du Domenica del Corriere montrent trois ans plus tôt, l’amarrage d’une statue du Christ à un hélicoptère identique en présence d’un cortège d’ecclésiastiques, place du Dôme à Milan. Comme pour la séquence de la fontaine, ce qui apparaît comme une extravagance fellinienne, puise en fait son origine dans des faits avérés. Il en est de même encore pour la scène du miracle. Fellini ingurgite des événements qui firent la une de l’actualité avant que sa folie créatrice les transfigure. On reste finalement souvent dans le réel mais vu à travers le prisme grossissant ou plutôt caricaturant du regard du maître qui livre sa perception de la réalité. Accrochées aux cimaises, de splendides photographies de plateau en noir et blanc montrent Fellini dirigeant ses acteurs. Il tente d’obtenir d’eux une attitude ou une émotion. Il le fait avec une telle ferveur et une telle justesse qu’il semble être acteur lui-même dans le film. Je découvre que Fellini n’était pas un adepte de la prise de son directe et que le travail sur les dialogues s’effectuait en post production du tournage. Faisant appel souvent à des acteurs non professionnels, il préfère les faire compter pour qu’ils n’aient pas le souci de se souvenir du texte : « Compte jusqu’à six lentement avec amertume puis continue jusqu’à vingt-neuf, mais avec une nuance de mépris en plus » ! Insensiblement, je me rapproche de la sortie ; mon regard cherche en vain une vitrine où seraient exposés quelques costumes. Je garde du musée florentin, la délicieuse émotion de contempler des tenues extravagantes de Fellini Roma. Je fais contre mauvaise fortune bon cœur en feuilletant des yeux quelques planches du Livre des rêves. Dès 1960, son psychanalyste encouragea le cinéaste à retranscrire ses rêves par le dessin. Ainsi pendant trente ans, avec ses feutres ou la gouache, Fellini coucha ses obsessions et ses angoisses dans des albums aux couleurs superbes. Il est des dessins savoureusement felliniens. Ainsi, tandis qu’il survole la plage de Riccione, en montgolfière, avec le pape Paul VI, voilà qu’apparaît « une merveilleuse créature en maillot de bain, plus forte et plus grande que le Mont Blanc, qui de sa très belle bouche moelleuse, remplit le ciel azur de nuages blancs à chacun de ses oh d’émerveillement » ! À la sortie de l’exposition, en surplomb de la place de la Concorde, encore dans mes rêves, je transpose un instant la scène finale de 81/2, avec Fellini lui-même sous les traits de son double Marcello Mastroianni, et tous les personnages qui font son merveilleux cinéma, acteurs célèbres, inconnus grotesques, femmes opulentes, hommes d’église, clowns, dans une farandole autour de l’obélisque au son des cuivres de la sautillante musique de Nino Rota.
https://www.dailymotion.com/video/xa9kuh (à partir de 12 minutes et 30 secondes)
La pluie froide me ramène à la réalité. Puisse l’hiver brûler bientôt. Je me souviens, Amarcord en dialecte de Romagne, Fellini y décline des souvenirs d’enfance, la traditionnelle fête de la fogazza de la Saint Joseph où l’on flambe toutes les vieilleries sur la place du village, la cloche qui tinte, le vent qui fait voleter les manines, les spores duveteuses des peupliers, annonciatrices du printemps. Que nous revienne ce cinéma paradiso tant mis à mal par l’omnipotente télévision !