Citrouilles m’étaient contées … de Cendrillon à Halloween
« Dieu fait bien ce qu’il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet univers, et l’aller parcourant,
Dans les citrouilles je la treuve.
Un villageois, considérant
Combien ce fruit est gros et sa tige menue :
« A quoi songeait, dit-il, l’auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette citrouille-là
Hé parbleu ! je l’aurais pendue
A l’un des chênes que voilà ;
C’eût été justement l’affaire :
Tel fruit, tel arbre, pour bien faire… »
Ainsi à travers les mots de La Fontaine, s’exprime le bon sens paysan jugeant que dans la nature, la logique n’est pas respectée ; de l’arbre imposant tombe un modeste gland tandis que l’énorme citrouille pousse à même le sol. Voici une fable qui tourne à la farce et qui invite les hommes à l’humilité : la nature n’est pas à leur service mais un don qui leur est fait par Dieu, « l’auteur de tout cela ». Cette leçon de métaphysique ne semble pas incongrue encore aujourd’hui à l’heure du sommet de Copenhague pour la défense de la planète.
Avant que la neige ne recouvre les potagers de son manteau blanc et que Noël ait chassé Halloween de l’esprit des enfants, je voudrais vous entretenir de quelques cucurbites dont l’homophonie « pipicaca » fait sans doute s’esclaffer les petits. Vous avez reconnu ces courges, citrouilles, potirons et autres potimarrons qui flamboient dans les jardins au soleil d’automne. Ils appartiennent à la famille des Cucurbitacées, privilège qu’ils partagent avec les cucumis comme le melon, le concombre et le cornichon ; une sacrée famille de paresseux dont l’appareil végétatif ne se donne pas la peine de dresser leurs fruits souvent monstrueux et préfère les laisser ramper à même le sol.
Le nom de cette véritable tribu potagère vient de la courge, cucurbita en latin, qui évidée, servait autrefois de gourde.
Si l’on se réfère à la classification du botaniste Duquesne, on distingue les plantes à feuilles molles et à calice très court du genre Cucurbita moschata telles la courge musquée de Provence, la courge porte-manteau de Naples, la Doubeurre ou butternut, la sucrine du Berry, et les plantes à feuilles rigides et à long calice campanulé du genre Cucurbita maxima avec un fruit à pédoncule cylindrique tels le potiron, le potimarron et le giraumon et son bonnet turc en forme de turban, et du genre Cucurbita pepo au pédoncule anguleux comme la citrouille, le pâtisson et la courge spaghetti. Il est même des Cucurbita ficofolia aux graines noires nommées communément courge de Siam ou melon de Malabar que les mexicains appellent joliment chilacayote et dont les espagnols raffolent préparée en confiture de cheveux d’ange.
Vous pouvez faire votre marché, comme dans la chanson des zizis de Pierre Perret, il y en a de toutes formes, tailles et couleurs, des potirons rouge vif d’Etampes, jaune gros de Paris, blanc de Mayet, bleu de Hongrie, des joufflus, des dodus, des énormes (jusqu’à 60 kg), des longs, des tordus, des renflés, des calottés, des cornus. Il en est même un pustuleux, victime d’une étrange syphilis potagère baptisé officiellement giraumon galeux d’Eysines, une citrouille spécifique de cette commune proche de Bordeaux.
Mélangés, ils composent de superbes corbeilles ornementales ; séchés, ils agrémentent avec originalité votre intérieur. Ainsi, une courge du potager familial d’Ariège se dresse fièrement dans mon entrée depuis une bonne décennie.
De même, trône dans mon salon, une guitare en forme de calebasse ramenée de chez les Lacandons, la dernière tribu maya pure de la selva des Chiapas au Mexique.
Ce n’est point là le fruit du hasard puisque toutes les cucurbites proviennent à l’origine du continent américain, on en trouve trace dès 1200 ans avant notre ère, notamment au Pérou et au Mexique méridional où elles profitent du climat tropical chaud et humide. Que viva Mejico, haricot, tequila, chocolat et cucurbita !
Comme beaucoup (trop ?) de choses chez nous, les citrouilles viennent donc d’Amérique et se seraient implantées en Europe au seizième siècle au temps de Christophe Colomb.
Je vous fais confiance, vous saurez persuader vos enfants que, plutôt qu’un big nasty de Mac Do, leur palais sera ravi avec les soupes, crèmes, gratins, purées, flans, tartes et même spaghettis concoctés à partir de citrouilles et potirons. Prévoyez même du fromage râpé que vos petits saupoudreront sur leur assiette de potage !
Mesdames, ne craignez rien pour leur ligne ni surtout pour la vôtre car avec jusqu’à 95 % d’eau, la valeur nutritive est modeste. De plus, très digestes, leurs pépins ont des propriétés vermifuges.
Attention cependant, tous les fruits ne sont pas comestibles, ainsi les Citrullus, contrairement à ce que l’on pourrait à l’évidence imaginer, ne sont pas des citrouilles mais des melons d’eau et des coloquintes lesquelles contiennent un suc toxique dont l’empereur Claude fit l’amère expérience.
Il est vrai qu’en ce temps-là, on ne rigolait pas chez les romains, enfin c’est une manière de parler car ils passaient aussi du bon temps ! Ainsi, Claude qui n’est alors pas encore empereur mais tout de même âgé de cinquante ans, épouse en troisièmes noces Messaline, une jeunette de quatorze ans. Elle met au monde, trois ans plus tard, Britannicus, celui qui, rappelez-vous le temps du lycée, vous fit bailler d’ennui devant les vers de Pierre Corneille ! Dommage que je n’eus pas un professeur de français avant-gardiste révélant le thriller qui se cachait derrière toutes ces intrigues. Et puis, avouons qu’à défaut de Messaline et Agrippine, nous criions alors après Aline pour qu’elle revienne !
Je m’égare, donc Messaline, une sacrée libertine n’hésitant pas à user de ses charmes à des fins politiques, va même en l’an 47, jusqu’à épouser le consul Silius sans avertir son mari Claude de son divorce. Le Claude (ne pas confondre avec le Glaude de La soupe aux choux, c’est un autre potage !) n’appréciant que modérément, fait mettre alors à mort Silius puis ordonne l’exécution de Messaline dans les jardins de Lucullus par les sbires de Narcisse.
Bien que Meetic n’existât pas à l’époque, il s’amourache vite de sa propre nièce Agrippine la Jeune, sœur de Caligula. Les mariages entre oncles et nièces sont alors considérés comme incestueux mais qu’à cela ne tienne, une loi sénatoriale bientôt les autorise et en l’an 49, Claude épouse Agrippine.
Je sens la migraine poindre avec toutes ces orgies romaines qui vous mettent la tête comme une citrouille ! Encore un peu de patience !
Agrippine va tout mettre en œuvre pour que son fils Néron, enfanté d’un premier mariage, soit reconnu comme le successeur de l’empereur plutôt que Britannicus, l’héritier naturel. Comme dirait une amie, c’est compliqué les gonzesses !
Claude meurt opportunément le 13 octobre 54 et plusieurs sources latines affirment qu’Agrippine n’est pas étrangère à ce décès. Aidée de la sombre Locuste, elle imagine d’empoisonner l’empereur en incorporant au hors d’œuvre, quelques amanites phalloïdes. Mais selon la mode en vigueur chez les puissants de la Rome antique pour tromper leur gourmandise, Claude se fait vomir après avoir consommé le premier plat. Elle a alors recours pour soigner les premiers symptômes déclenchés par les champignons mortels, à des lavements au suc de coloquinte qui achèvent la besogne. Ainsi Néron le sanguinaire devint empereur…
Sacré péplum ! Savez-vous d’ailleurs que le premier film de ce genre cinématographique (et le plus court car durant moins d’une minute) produit par les frères Lumière en 1896, s’appelait … Néron essayant des poisons sur un esclave !!! Décidément, ils n’ont que cela en tête les empereurs romains !
L’heure avance et je voudrais avant que les douze coups de minuit sonnent, vous entretenir d’une belle jeune fille plutôt malheureuse qui lorsqu’elle avait achevé son travail, s’asseyait dans les cendres au coin de la cheminée, ce qui lui valait le surnom de Culcendron. Un jour, elle pleura encore plus fort que d’habitude, chagrinée de ne pouvoir se rendre au bal donné par le fils du Roi. Sa chance fut que sa marraine soit fée.
Ce qui est génial avec une fée, c’est qu’il n’y a ni autoroutes embouteillées ni grèves sur la ligne A du RER ! Il suffit de cueillir la plus belle citrouille de son potager.
Donc madame la fée (comme chantait Boby Lapointe), ce soir-là, creusa la citrouille puis d’un coup de baguette magique, la transforma en un beau carrosse doré. D’un autre coup de baguette, elle fit de six souris, un bel attelage de six chevaux à la robe gris … souris bien entendu. Puis elle changea un gros rat en un gras cocher et six lézards en laquais. Enfin, les vilains habits de la demoiselle devinrent toujours aussi magiquement draps d’or et d’argent chamarrés de pierreries, et ses chaussures, de magnifiques pantoufles de verre. À ce propos, des polémiques entretenues au dix-neuvième siècle par des personnes aussi éminentes qu’Honoré de Balzac, Anatole France et Émile Littré, défendent l’idée matérialiste de pantoufles de vair du nom de la fourrure du petit-gris, une variété d’écureuil.
Je n’ose envisager ce qu’il serait advenu de la pauvre Cendrillon, vous l’avez reconnue, si elle avait été la filleule de Shirley et Dino, les inénarrables fantaisistes aux tours ratés !
Par l’imagination de Charles Perrault en 1697 puis plus tard, celle des frères Grimm, voilà comment une citrouille permit à Cendrillon et au prince de se marier et d’avoir beaucoup d’enfants.
Par équité botanique, il semble que dans la version cinématographique du conte, Walt Disney ait effectué une erreur de casting et que la citrouille soit en fait un potiron !
« … A l’arrière des dauphines
Je suis le roi des scélérats
A qui sourit la vie
Marcher sur l’eau
Eviter les péages
Jamais souffrir
Juste faire hennir
Les chevaux du plaisir
Osez osez Joséphine
Osez osez Joséphine
Plus rien ne s’oppose à la nuit
Rien ne justifie
Usez vos souliers… »
Autre temps, autres mœurs, sous la plume surréaliste d’Alain Bashung (et de ses paroliers), nul besoin de fée, rien ne s’oppose à la nuit, les berlines et les dauphines remplacent les carrosses !
Si les enfants rêvent moins de carrosses, ils prennent par contre les citrouilles pour des lanternes et sacrifient volontiers à Halloween, une fête traditionnelle nord-américaine récemment importée sur notre vieux continent. Quoique pour être exact, on lui prête des racines celtiques et ce sont les immigrants irlandais et écossais qui auraient emmené cette coutume au-delà de l’atlantique dans le courant du dix-neuvième siècle.
Ainsi, dans la dernière semaine d’octobre, aux lectures et écritures de contes, les petits campagnards préfèrent les activités artistiques et récupèrent dans le jardin familial, quelques citrouilles ou potirons qu’ils affublent de visages grimaçants et creusent pour y loger une bougie en souvenir de Jack-o’-lantern, personnage emblématique d’une légende irlandaise.
Ce Jack, avare et ivrogne, n’avait aucune chance d’accéder au paradis à la différence de Georges Clooney dans la publicité de Nespresso. What else ? Jack jouant régulièrement des tours au diable, se vit aussi privé d’enfer à sa mort ! Cependant, il parvint à convaincre le démon de lui fournir un peu de charbon ardent pour éclairer son chemin dans les ténèbres. Ainsi, plaçant la braise dans un navet, avec sa lanterne de fortune, il erra jusqu’au jugement dernier.
Vous savez pourquoi maintenant, après Jack l’éventreur, il y a de petits éventreurs de Jack-O’-Lantern !
Dans le village, quelques vieux messieurs et dames cucurbitacées lézardent au soleil d’automne sur un banc devant les maisons.
Et puis, quand la nuit tombe le 31 octobre, All Hallow Even, le soir de tous les saints, la veille de la fête chrétienne de la Toussaint, de drôles de petits garnements aux allures de fantômes, monstres et sorcières hantent rues et chemins et sonnent aux portes. « Trick or treat ! », des bonbons ou un mauvais sort ; devant leurs airs terrifiants, vous avez intérêt à avoir fait provision de friandises Haribo … des barres de chocolat font aussi l’affaire !
Rien ne se perd dans la citrouille d’Halloween et les gentilles mamans font rôtir les graines et utilisent la chair pour une tarte et de la confiture. Hum !
Qui sait si après ma tentative de réhabilitation, l’ « espèce de courge » lancée péjorativement à la face des pauvres d’esprit, ne deviendra pas bientôt compliment !
Cucurbites, le retour ! Longtemps mésestimées voire oubliées, elles rénovent nos potagers, embellissent nos intérieurs et s’invitent à nos tables. Pire encore, certaine entre dans nos salles de bains telle la Luffa dont le fruit perd progressivement sa pulpe pour devenir éponge végétale.
Cinq cent vingt ans après son Traité de l’ombre et de la lumière, suivez dans vos jardins les conseils de Léonard de Vinci : « j’ai expérimenté de laisser une petite racine à une citrouille qui n’était nourrie que d’eau et cette citrouille conduisit à la perfection tous les fruits qu’elle pouvait générer et qui furent soixante citrouilles. »
Remerciements aux enfants de La Bastide du Salat (Ariège) et à leurs parents.

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