Mots à maux de Jean-Louis Murat à Mano Solo (1)
La semaine dernière, ma meilleure façon d’errer (pour reprendre les mots de l’un d’eux) fut de dénicher chez Virgin, les dernières livraisons de Jean-Louis Murat et Mano Solo, deux artistes majeurs dans le paysage musical français dont les opus prennent place, immanquablement, dans ma discothèque.
Bien que n’ayant aucune prédisposition particulière pour la chronique musicale, j’ai envie de vous faire l’article afin d’affirmer haut et fort leur grand talent qui les installe comme les dignes héritiers des Ferré, Brel, Higelin et Renaud.
Il est possible que ces deux écorchés vifs, c’est ainsi qu’on nous les présente souvent, n’apprécient pas plus que cela les filiations que je leur accorde mais j’assume. Je les choisis à dessein pour vous montrer que « c’est du lourd » mais avant tout ils sont Murat et Solo, deux grands de la chanson française, insuffisamment connus et reconnus.
Coup de projecteur d’abord sur Jean-Louis Bergheaud qui tire son nom de scène de Murat-le-Quaire, petit village d’Auvergne, où il passa une partie de sa jeunesse dans la ferme isolée de ses grands-parents. Son âme de troubadour et ses origines en ont vite fait le « Dylan auvergnat », on aime bien plaquer des étiquettes, cela rassure !
Depuis près de trois décennies qu’il traîne ses guêtres, notre barde qui l’air de rien, approche de la soixantaine, sort un nouvel album bon an mal an. On pourrait supposer un certain bâclage dans son inspiration foisonnante et lui coller une étiquette supplémentaire d’ « éjaculateur précoce de la chanson française » ! Ce de quoi l’artiste se défend avec humour en confiant « qu’il éjacule au bon moment avec toute une préparation avant » !
Et lorsqu’il n’est pas en veine personnelle, il se réapproprie des poèmes de Madame Deshoulières, femme de lettres dans le XVIIème siècle des Précieuses, dont il déniche par un pur hasard une édition des œuvres aux puces de Clermont-Ferrand. En duo avec l’actrice Isabelle Huppert, accompagné de clavecin, viole de gambe, luth mais aussi guitares, basse et batterie, notre troubadour tient salon de musique dans un château d’Auvergne. Sublime !
« Lorsqu’un amant, l’exemple est tout pareil,
Fait voir désirs à qui pudeur s’oppose,
Si l’on ne fuit, l’amour est un soleil,
Point n’en doutez par qui fleur est éclose.
Alors en bref on voit s’évanouir
Transports et soins, par qui fille peu fine
Présume d’elle et se laisse éblouir.
Méprise succède à l’amour qui décline,
De rose alors ne reste que l’épine… »
Trois siècles plus tard plus tard, Nougaro nous rimait :
« …J’aime la vie quand elle rime à quelque chose
J’aime les épines quand elles riment avec la rose
Rimons rimons belle dame
Rimons rimons jusqu’à l’âme
Et que ma poésie
Rime à ta peau aussi… »
Dans son album 1829, Murat met en musique onze textes de Pierre-Jean de Béranger, un des plus grands chansonniers de la première moitié du XIXème siècle, un « poète national » comme est écrit sur sa tombe au cimetière du Père-Lachaise. Ses poèmes libéraux et patriotiques furent admirés par Stendhal et Mallarmé mais sa notoriété déclina vite suivant en cela sa prédiction que son œuvre sombrerait après sa mort. Il a fallu que Murat le sorte des oubliettes en 2005 ; Béranger, un des opposants libéraux les plus virulents sous la Restauration, crie son anticléricalisme avec son Pape musulman:
« Jadis voyageant pour Rome,
Un pape né sous le froc,
Pris sur mer, fut, le pauvre homme, Mené captif à Maroc,
D’abord il tempête, il sacre,
Reniant Dieu bel et bien.
Saint-Père, lui dit son diacre,
Vous vous damnez comme un chien…
… En vrai corsaire il s’équipe ;
Pour le croissant il combat,
Prend le sorbet et la pipe ;
Dans un harem il s’ébat,
Près des femmes qu’il capture
Voyez donc ce grand vaurien !
Saint-Père, quelle imposture !
Vous vous damnez comme un chien … »
Quelle modernité !
Plus récemment encore, Murat cueille quelques Fleurs du Mal de Baudelaire mises en musique par Léo Ferré, à la demande de Matthieu Ferré qui le considère comme le fils spirituel de son père, le grand Léo.
« Que m’importe que tu sois sage ?
Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage ;
L’orage rajeunit les fleurs … »
« Me mettre en bouche les textes de Baudelaire, ça fait pas de mal. J’ai pas suivi d’études, c’est ma manière d’en faire » dit-il !
Je vous rassure, Murat ne fait pas qu’emprunter à d’autres, aussi talentueux soient-ils ; « la poésie est mon mode d’expression, j’ai toujours été de ces garçons chiants qui écrivent des poèmes aux filles.»
Chacun de ses albums me procure les mêmes sensations ; à la première écoute, il m’inspire une certaine réticence, presque un étrange ennui et puis … peu à peu, la suavité de la voix et la poésie des mots exhalant toutes leurs saveurs, finissent par m’enchanter.
Il déroute en nous emmenant, à chacune de ses livraisons, dans de nouvelles atmosphères musicales et littéraires. Ainsi, dans Bird on a poire, il nous brode la romance d’une américaine et d’un français qu’elle rencontre lors d’un voyage dans l’hexagone :
« Voudrais-tu chanter
Moine babillard
Faire l’éloge de ta folie
Ce petit grain d’encens
Sur le cochon
De mille façons
L’amour nous met
Le cœur en émoi en moi
De mille façons
L’amour nous va …
…Petite luge glisse viens,
Sur le blanc manteau de moi
Petite luge pars de très haut
Petite luge glisse viens
Sur le blanc manteau du sommet… »
Jouisseur impénitent, il fricote aussi avec Lilith, la femme fatale, la face cachée du désir, explorant les chagrins et les pulsions :
« V’là la bouche de l’enfer
On en connaît un rayon
On peut plus nous la refaire
On en connaît un rayon
Il t’arrache les bruyères
Et tu connais même pas son nom
Croix de bois
Croix de fer
C’est le cri du papillon… »
Une autre fois, il endosse les habits de Tristan pour conter avec mélancolie, ses passions amoureuses sans doute difficiles avec son Yseult à lui :
« Dans un tout d’asphodèle
Dans un ramage d’or
Tournent tournent mille lèvres
Qui me parlent de mort
Tarentule nouvelle
À moi Reine des prés
Dans la chose isocèle
Je ne fais que passer… »
« Le changement d’herbage réjouit les veaux », Murat applique la sage parole des paysans de son pays pour nous entraîner dans d’autres ambiances et univers. Après quelques semaines en villégiature du côté de Taormina, il retrouve ses Puys :
Dernier nuage
Aperçu sur l’Aiguiller
Derniers feux
Dernière étoile
S’enfuyant vers le Fohet
Dernier vœu
Dernière plainte
Dernière grêle sur les blés
Dernier frisson
Aux dernières réveillées
Accueille-moi paysage
Accueille mon vœu
Fais de moi un paysage
Un nuage aux cieux
Tourne au virage… »
Le pays de Murat est souvent présent dans ses chansons :
« … Ils collent des plumes
Ont des tonnes d’amertume
Crient Orang-Outang
Dent de la Rancune
Il n’y a plus de plumes… »
« … Quand l’éclat mauve délétère
N’éclaire plus ma vie
Je vais dormir dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci... »
« … Je la revois tenant
mes ailes
entre Rocher de l’Aigle
et Eau salée
tiens … le voleur de rhubarbe … »
On n’en finit pas de relever ces références toponymiques dont il aime saupoudrer ses vers, non pour défendre je ne sais quel esprit régionaliste primaire, mais pour les nourrir d’une poésie supplémentaire et les ancrer dans une réalité vécue.
Ses musiques sont très variées selon les albums, résolument rock parfois, embellies de cordes et violons en d’autres occasions, ou encore avec un retour aux sources de la country comme dans Mustango et le dernier opus enregistré à Nashville.
À une époque, il les parsemait de gazouillis d’oiseaux, d’aboiements de chiens de ferme, de meuglements de vaches de Salers, de grésillements de pluie qui tombe, qu’il enregistrait avec son petit magnétophone DAT au cours de ses promenades.
Sans qu’il soit un auteur véritablement autobiographique, les chansons de Murat surgissent même inconsciemment de sa précaire enfance campagnarde et de ses douleurs affectives. Il enchante ses maux avec son « âme de berger ». Gaspard des montagnes et les cinéastes Maurice Pialat, le garçù, et Robert Bresson, le janséniste de la mise en scène, sortent des mêmes puys.
Murat, c’est aussi un poète galant ou courtois empruntant au style et au vocabulaire de ces époques. Ainsi, son Almanach amoureux :
« … Des fleurs que mars verra
Peu de fruits on mangera
Vent ou pluie
Que chacun veille bien sur lui
Si au jour d’Annonciation
Hirondelles, belles saisons
Gare aux vergers
S’il y neige
Oh mon aimée.
Viens le gentil mois d’avril
Sous son manteau de grésil
Avril le doux est bien le pire de tous
Fleur marsière
Ne tient guère
Fleur d’avril
Tient par un fil
Avril le doux est bien le pire de tous … »
Murat, c’est même un poète libertin, sensuel ou un « licencieux poétique » dont les anodines métaphores masquent des atmosphères torrides. Il reconnaît volontiers que le col de la Croix Morand est le col de l’utérus. Il tricote un joli madrigal autour de la Mousse noire. Et que dire de La Tige d’or dans son nouvel album :
« … Qui m’a fait cette chose
Giclante à ton gré
Qui par les rues
Souvent étroites
À ton lilas
Traversait tes silences
En simple soldat
Que fait cette tige
D’or dans ton glacier … »
Ses rimes nous mettent aux anges :
«… Nous voici lieutenant
C’est la sortie d’un bal
Brillante de cyprine
Dans son juste milieu
On trouve sa mortelle
Les lèvres distendues
Salive que nos mots
On veut se mettre aux anges… »
Le bonhomme si délicat dans ses chansons, devient souvent un ours mal léché lors de ses passages à la télévision où il manie une provocation proche des frasques gainsbourgiennes.
En concert, dans la lignée d’un Higelin, c’est selon son humeur ; elle était quelque peu maussade lors de celui auquel il me fut donné d’assister. L’animal est un peu lunatique et il vaut mieux ne pas trop lui casser les pieds sous peine de le voir quitter la scène derechef.
Il semblait s’ennuyer ferme. Il se plaignit du froid dans la salle et s’enroula dans une longue écharpe. Il s’arrêta en plein milieu de l’interprétation du Col de la Croix Morand, trouvant la pente à gravir, trop rude ce soir-là ! Qu’à cela ne tienne, il décida de descendre le col et en conséquence de chanter les couplets dans l’ordre inverse ! L’amateur de vélo savourait !!! Et puis, il y eut quelques fulgurances et le bougre joue formidablement bien de sa guitare.
« Chanter est ma façon d’aimer
Mon cœur est sorti de la ronde
Chanter est ma façon d’errer … »
Contrairement à ce qu’il affirme dans son dernier opus, Le cours ordinaire des choses, je ne suis pas persuadé qu’il nous aimât beaucoup lors de ce récital. Qu’importe, au final, en total inconditionnel, je sortis de là heureux.
Je l’adore et je suis prêt à enfiler un pantalon de velours, chausser des bottes et repartir seul sur les sentiers muratiens sans craindre les ronces et le chiendent. Lors de ma dernière promenade, j’ai croisé une Lady of Orcival et Ginette Ramade qui ont rejoint dans la galerie de portraits, Jeanne la rousse, Perce-neige, La fille du fossoyeur et Le voleur de rhubarbe.
Chers lecteurs, je ne saurais vous recommander un album plus qu’un autre et il ne peut exister de best of de l’ami Jean-Louis. Chez Murat comme dans le cochon, tout est bon, comme on dit en Auvergne !

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Cher Monsieur,
Je viens de découvrir votre site qui nous parle si bien de … Jean Louis Murat.
Avec votre autorisation je vais mettre un lien sur le site « Dolores Liste » qui regroupe les amoureux du chanteur paysan.
Didier143.
Didier, tu as ici un témoignage digne de figurer dans les dernières pages de ton blog! Toi qui n’imaginais pas en recueillir une centaine et qui a doublé la mise!
http://didierlebras.unblog.fr/115-11-vous-aimez-jean-louis-murat-pourquoi-dites-le-moi-suite/
Il est évident qu’entre muratiens, nous arrivons à nous retrouver ici ou là… et là, c’est sur cet excellent blog dont j’ai tenté de faire la promotion la semaine passée sur le jlm forum… je ne suis pas surprise d’y trouver un message « ancien » de mon ami Didier.
Jean-Michel, vous parlez merveilleusement bien de Jean-Louis Murat! Je vous en remercie et vous convie à aller le voir et l’écouter sur sa tournée actuelle, si ce n’est déjà fait, qui reprend le 13 mars prochain… vous ne serez pas déçu!
Bonjour Jean-Michel, je vous souhaite mes meilleurs vœux pour 2016, me rendant compte que je n’ai pas visité votre blog depuis bien trop longtemps!
Trois autres albums de Jean-Louis sont sortis depuis votre article (Grand Lièvre, Toboggan et Babel); ce dernier double-album est à la fois un hymne à l’amour que voue l’auteur pour sa si belle région et en même temps une délivrance des mauvais souvenirs d’enfance, une fois le père disparu; dans trois mois paraîtra le nouvel opus « MORITURI » empreint des sombres événements de 2015 comme son titre l’évoque.
Merci Armelle, à mon tour, je vous adresse mes vœux pour que l’année 2016 vous livre quelques petits bonheurs, un peu de joie de vivre, un soupçon de l’insouciance de notre jeunesse.
Si vous n’avez pas visité récemment mon blog, j’avoue avoir aussi été un peu infidèle à l’ami Jean-Louis Murat. Infidèle non, car en fait, il m’arrive souvent d’accompagner le voleur de rhubarbe vers le Mont Sans Souci. Mais vous me donnez envie d’aller partager, de ce pas, son chagrin (d’encre?) violette: « Garde-moi la peau du lait », hummmm! Quel beau souvenir de mon enfance!
Bien cordialement.
Voila un souvenir d’enfance que je partage! J’étais toujours collée aux basques de ma grand-mère lorsqu’elle faisait bouillir le lait de la ferme dans la casserole où résonnait, l’ébullition arrivant, le bruit du rond de verre ou d’alu (je ne sais plus) qui permettait d’être averti pour ne pas le laisser déborder. Et j’attendais donc le moment de récupérer la peau du lait afin de m’en délecter, plutôt que de la laisser aux chats… Ce souvenir m’est revenu à la première écoute de « Chagrin Violette » et m’a donné à sourire.
https://youtu.be/25q8tuO8cQI
Je viens de trouver un blog où il est question de l’anti-monte lait (la couleur de la page devrait vous plaire!) : http://gentillesorciere.fr/2010/11/lanti-monte-lait-a-sonnettes/