Le lézard des murailles
En ce début du mois d’août, j’ai retrouvé un de mes copains d’Ariège. Chaque année, il prend ses quartiers d’été sous un empilement de vieilles tuiles romaines dans le potager familial.
Descendant de la famille des Lacertidae, il s’appelle Podarcis muralis mais vous le connaissez probablement mieux sous le nom de lézard des murailles.
En effet, très répandu en France même dans certaines contrées septentrionales, il élit domicile, dès les premières chaleurs du printemps, dans les éboulis rocailleux et les murs de pierres sèches bien exposés au soleil.
Plus aventureux que certains de ses congénères, il vit volontiers à proximité des habitations prenant ses bains de soleil sur les terrasses et les marches des escaliers extérieurs ou grimpant sur les façades sud des maisons au mépris des lois de l’équilibre et de la pesanteur, grâce à sa queue comme contre poids et ses griffes en guise de crampons.
Lézarder au soleil est un dérivatif que mon ami pratique de manière plus raisonnable que les humains qui aiment rôtir idiotement, allongés sur le sable, sous les feux brûlants de Phébus.
« 33 degrés le midi » est la température corporelle préférée pour que cet animal perde son sang froid comme tout bon reptile qui se respecte ! Aussi, il manifeste une activité plus grande durant les chaleurs plus modérées du printemps et de l’automne tandis qu’il se réfugie dans des endroits un peu plus frais lorsque la température au sol franchit trop allègrement le seuil fatidique. Autour de 33°, son métabolisme est le plus efficace et ses enzymes digestives transforment plus facilement ses aliments en énergie. Comme quoi, chez le lézard comme chez l’homo sapiens erectus, le farniente au soleil permet de recharger les batteries avant de retrouver la grisaille et la froidure de l’hiver !
Plus élancé et plus aplati, la tête plus pointue et les pattes plus développées que le lézard vert, son cousin, le lézard des murailles ne dépasse que rarement vingt centimètres de longueur dont largement plus de la moitié constituée par sa queue, objet de fascination et parfois de frayeur des jeunes enfants. Qui d’entre nous, au temps des culottes courtes, en essayant de capturer l’animal rampant, ne s’est pas retrouvé penaud ou affolé, la queue sectionnée gesticulant dans les mains ?
Ce stratagème est un leurre pour se protéger des prédateurs, quelques rapaces et serpents, les hérissons et surtout les chats qui rôdent dans le jardin. Il est à utiliser cependant avec parcimonie car l’appendice ne repousse pas à volonté.
Après deux ou trois mésaventures de ce type, notre lézard risque de connaître quelque … lézard, synonyme argotique de problème que popularisa Michel Blanc, dans les années 80, en l’employant généreusement dans son film Marche à l’ombre. En fait, ce lézard-là est, à l’origine, un problème spécifique au domaine musical provenant, lors d’un enregistrement, d’un sifflement parasite rappelant le cri de l’animal.
Notre habitant des pierres offre un éventail important d’écaillures et de couleurs. Sa teinte tire cependant le plus souvent vers le brun et le gris. Elle est plus claire, blanchâtre ou beige sur le ventre. Les jeunes et les femelles possèdent sur le flanc, une bande longitudinale plus foncée tandis que les mâles présentent des taches noires dispersées. Vous pouvez donc déterminer aisément le sexe du lézard quand il atteint son âge adulte vers 1 an. Il vit en moyenne de 5 à 7 ans mais certains individus connaissent une longévité d’une décennie.
C’est un excellent chasseur qui, vif comme l’éclair, détend la fourche de son dard lorsque sa proie passe à portée. Il se nourrit de mouches, de chenilles, de papillons, d’araignées, de vers de terre, de criquets et de grillons. Il se désaltère à la rosée matinale.
De temps en temps, il mue et se sépare de sa vieille peau (sans intérêt pour vos sacs, mesdames !) par plaques, à la différence des serpents qui abandonnent une mue complète.
Je tiens donc parfois compagnie quelques instants à mon cher Podarcis muralis m’amusant de ses acrobaties. Froussard, il s’enfuit dare-dare sous une tuile au moindre bruit ou geste suspect. Mais très curieux, il pointe vite sa tête de nouveau avant de s’enhardir et se prélasser sur la brique chaude jusqu’au prochain danger. Ce jeu de cache-cache peut se prolonger un long moment. Il est moins attentif au voisinage lorsqu’il affronte un autre mâle pour une querelle de territoire ou les beaux yeux d’une femelle.
Mon lézard des champs a des préoccupations beaucoup plus modestes et terre à terre que son aïeul des villes dont les facéties dans les ruines désertes du Colisée à Rome, détournèrent Alphonse de Lamartine, de sa lecture du philosophe et historien Tacite contemporain de la construction du monument :
« Un jour, seul dans le Colisée, Ruine de l’orgueil romain, Sur l’herbe de sang arrosée Je m’assis, Tacite à la main. Je lisais les crimes de Rome, Et l’empire à l’encan vendu, Et, pour élever un seul homme, L’univers si bas descendu. Je voyais la plèbe idolâtre, Saluant les triomphateurs, Baigner ses yeux sur le théâtre Dans le sang des gladiateurs Sur la muraille qui l’incruste, Je recomposais lentement Les lettres du nom de l’Auguste Qui dédia le monument. J’en épelais le premier signe : Mais, déconcertant mes regards, Un lézard dormait sur la ligne Où brillait le nom des Césars. Seul héritier des sept collines, Seul habitant de ces débris, Il remplaçait sous ces ruines Le grand flot des peuples taris. Sorti des fentes des murailles, Il venait, de froid engourdi, Réchauffer ses vertes écailles Au contact du bronze attiédi. Consul, César, maître du monde, Pontife, Auguste, égal aux dieux, L’ombre de ce reptile immonde Éclipsait ta gloire à mes yeux ! La nature a son ironie Le livre échappa de ma main. Ô Tacite, tout ton génie Raille moins fort l’orgueil humain ! »
Le Colisée, appelé à l’origine amphithéâtre Flavien dérivé de Flavia, nom de famille des deux empereurs Vespasien et Titus sous les règnes desquels il fut construit, entre 70 et 80 après Jésus-Christ, immense arène qui accueillait jusqu’à 75 000 spectateurs à l’occasion de combats de gladiateurs et de naumachies (batailles navales), est le monument le plus célèbre de l’antiquité romaine à Rome. Il figure sur la pièce de cinq centimes d’euro. Sous la plume du poète, un simple lézard révèle la précarité des grands empires et civilisations. Grandeur et décadence … ! Outre les écrivains, le lézard inspire certains artistes plasticiens (« lézards plastiques » ?). Ainsi, actuellement, il est possible d’admirer, grimpant à l’un des murs de pierres de la fondation Maeght de Saint-Paul de Vence, un imposant lézard stylisé, œuvre du peintre sculpteur catalan Joan Mirò.
En Provence et en Corse, nombre de céramistes proposent des répliques colorées de lézards pour décorer les murs des maisons, preuve que notre petit reptile est un animal familier et sympathique.
Pour faire plus vrai que nature, acceptez quelques lézardes dans vos murs. Elles font le charme suranné des vieilles demeures et constituent un abri idéal au lézard pour pondre ses œufs ou fuir la menace du chat de la gouttière voisine.

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encore une très belle leçon de choses… une redécouverte du lézard…
merci encre violette pour ta plume toujours aussi agréable à lire …
bonjour
tres beau exposé,qui m’a appris certaine chose sur le lezard,mais est-ce qu’il existe un ou des livres sur le lezard?
merci,d’avance et encore bravo.
Merci pour votre commentaire.
Lors de mes recherches, j’avais remarqué qu’il existe un ouvrage collectif sur les lézards de l’atlas de la terrariophilie aux éditions Animalia. Je ne l’ai pas lu.
Par contre, en surfant sur la toile, vous pouvez comme moi, trouver de-ci delà des renseignements intéressants.
Bien cordialement.
Peut t’on prendre un œuf et l’accueillir chez soi pour en faire un animal de compangie dans un grand terrarium, de la nourriture à volonté de l’eau, des cachettes, une lampe uv et des branches pour grimper avec un compagnon, c’est possible ?