Le Bleuet des champs

« Les bleuets d’azur
Dans les grands blés murs
Nous font des clins d’œil
Au bord du clocher
La pie vient percher
Sa robe de deuil
Seul, le vent du mois d’août
A les yeux si doux
Qu’on en boirait bien
Et l’herbe d’amour
Se fait de velours
Au creux de mes reins … »

Les herbicides épargnent involontairement mes vieux os de quelque lumbago. Il y a belle lurette que les bleuets chantés par Marcel Amont, dans ma jeunesse, ne mouchettent plus les champs de blé de mes contrées.
Bleuets, marguerites, coquelicots, même combat, même destin : autrefois, fleurs des champs, « adventices » des cultures, compagnes des céréales, plantes des moissons (messicoles), éradiquées par la chimie agricole, elles se sont réfugiées, aujourd’hui, dans les friches et sur les talus au bord des routes.

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Finis les beaux romans, les belles histoires, cachés dans un grand champ de blé, c’étaient les romances d’autrefois ! On ne compte plus bleuette dans les moissons, on n’effeuille plus la marguerite, le rossignol du gentil coquelicot mesdames avait une vision prémonitoire, les Hommes ne valent rien !

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À ce rythme, bientôt, nous ne nous souviendrons de ces fleurs du mâle devenues fleurs du mal de l’agriculture intensive, qu’à travers les coups de pinceaux de Van Gogh ou Monet.
Le bleuet des champs qui appartient à la famille des Astéracées, anciennement Composées, doit son nom latin Centaurea cyanus, à sa couleur bleu cyan et au centaure Chiron, une de ces créatures mythologiques représentées avec un avant-train humain et quatre pattes de cheval.
Chiron, considéré par Homère comme le plus juste des centaures, éducateur mythique et féru de médecine, révéla à son élève Achille, les vertus des plantes médicinales et l’aurait soigné avec une plante de ce type. Il connut moins de succès sur sa propre personne puisqu’il ne guérit point de la flèche empoisonnée par le sang de l’hydre, lancée maladroitement dans son genou par Héraclès. Victime en somme d’un accident du travail de centaures, Chiron, pour mettre fin à ses atroces souffrances, échangea son immortalité avec le pas très commun des mortels Prométhée. Nom de Zeus ! Celui-ci, en voulant récompenser Chiron pour l’ensemble de son œuvre, le plaça après sa mort, sur la voûte céleste où il devint la constellation du Sagittaire … oserais-je dire que cela lui fit une belle jambe ?
Si son efficacité sur les plaies au genou ne semble pas démontrée, de prétendues propriétés comme remède aux affections oculaires, valent au bleuet, de s’appeler parfois « casse lunettes » depuis le Moyen Âge. Certains ouvrages de phytothérapie précisent que des « bonnes femmes » utilisent comme collyre, une infusion préparée à partir du bleuet … qui conviendrait surtout pour les sujets aux yeux bleus ! Vous pouvez toujours essayer si vous avez les yeux rougis à pleurer sur son sort !
« Nos grands mères savaient » aussi que les bains de bouche à base de bleuet soignent les inflammations de la muqueuse buccale, et qu’une tisane de fleurs de bleuet séchées atténue la goutte. On prépare même dans le Nord, une bière de bleuet « antirhumatismale ».

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D’autres noms populaires souvent poétiques désignent la Centaurea cyanus tels l’aubifoin, la baverole, la blavette, le chevalot, le bouffain, l’herbe de Saint Zacharie et, en français vieilli, le bluet.

« Allez, allez, ô jeunes filles !
Cueillir des bluets dans les blés… »

Incite Victor Hugo dans une de ses ballades aux Orientales.
On l’appelle aussi barbeau et, à la fin du XVIII ème siècle, la reine Marie-Antoinette inventa le décor de vaisselle « à la reine », dit de « barbeaux », composé de bouquets de bleuets.
Chez nos voisins britanniques qui ont le chic pour nommer les fleurs (rappelez-vous du « daffodil » de la jonquille), le bleuet des champs devient bachelor’s button, le bouton du célibataire ! Savoureuse invitation à un voyage, sinon pour Cythère, du moins dans les champs !

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Si une humeur vagabonde vous emmène au Canada ou dans les Vosges, méfiez-vous car le bleuet ou bluet désigne aussi certaines variétés d’airelles et de myrtilles ! C’est délicieux mais cela tache !

« Dans leur fraise, leurs collerettes
Liserons, roses et pâquerettes
J’aime le myrte et les muguets
Les lilas et la primevère
Mais la couleur que je préfère
C’est le bleu, le bleu des bleuets.

Oh, le velours brun des pensées
L’oranger blanc des fiancées
Les lourds glaïeuls, les lys fluets
L’or du soleil morne et sévère
Mais la couleur que je préfère
C’est le bleu, le bleu des bleuets.

 

Dans les blés blonds courons, ma mie
Avec une grâce endormie
Les bleuets font des menuets
Mon amour les prit pour emblème
Et c’est mon propre amour que j’aime
Dans le bleu, le bleu des bleuets. »

Frottez-vous les yeux, ces couplets « à l’eau de rose » (ou de bleuet ?) émurent tant Georges Brassens dans sa jeunesse, qu’il les enregistra dans une savoureuse compilation au profit de l’association Perce-Neige de Lino Ventura.
Il est vrai que le bleu franc du bleuet constitue un pur ravissement. On se sert parfois des pigments de sa fleur, en imprimerie pour colorer des encres, en pharmacologie pour tinter certains médicaments, et même en cosmétique, pour rectifier la nuance des cheveux blancs.
Avant la révolution agricole, le bleuet cheminait donc avec nous, dès le temps de la communale et la plume sergent-major jusqu’à l’époque nostalgique des fils argentés en passant par les premiers émois en plein air de l’adolescence.

« Un doux parfum qu’on respire
C’est fleur bleue
Un regard qui vous attire
C’est fleur bleue
Des mots difficiles à dire
C’est fleur bleue
Une chanson qu’on fredonne
C’est fleur bleue
Un jeune amour qui se donne
Deux grands yeux qui s’abandonnent
C’est fleur bleue… »

Le botaniste le décrit comme une plante pouvant atteindre une hauteur de 60 centimètres avec au bout de sa tige dressée, grêle et veloutée, au centre du capitule, des fleurs pourpre violacé, et à la périphérie, de grandes ligules bleues en forme d’éventail.

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Le promeneur poète tombe sous le charme irrésistible de cette herbe folle qui, frémissante sous la brise, dans sa robe légère aux franges lapis-lazuli, fait des clins d’œil pour l’inviter à minauder avec elle. Chassée par les longues barbes jalouses des épis de blé, la mauvaise herbe sauvageonne continue cependant à faire chavirer les cœurs, en jachères et friches.
Le langage des fleurs la dit pourtant timide, n’osant avouer son amour pour la personne aimée.
Attirées par le nectar et le pollen qu’elle produit en abondance, les abeilles la butinent volontiers, promesse de futures lunes de miel gustatives.
Paradoxe, comme un pied de nez à la mémoire courte des agriculteurs modernes peu reconnaissants, le bleuet symbolise le souvenir lié à la guerre de 1914-1918 :

 

« Les voici les p’tits « Bleuets »,
Les Bleuets couleur des cieux
Ils vont jolis, gais et coquets,
Car ils n’ont pas froid aux yeux.
En avant partez joyeux ;
Partez, amis, au revoir !
Salut à vous, les petits « bleus »,
Petits « bleuets », vous notre espoir ! »


À partir de 1915, au lendemain de la bataille de la Marne, les poilus des tranchées surnomment « bleuets », les jeunes recrues qui arrivent au front, revêtues du nouvel uniforme de l’armée française de couleur bleue. En effet, le commandement français, très « clairvoyant », admet la nécessité d’opter pour des couleurs plus discrètes que la garance du képi et du pantalon et, partant du principe que le soldat se voit d’abord de loin, près de la ligne bleue du ciel, il porte son choix sur le fameux bleu dit horizon. Quelle stratégie de camouflage sur fond de « ligne bleue des Vosges » !
Le bleu horizon, symbole de la première guerre mondiale, fournit même son nom, lors des élections législatives de 1919, à une chambre des députés formée d’un « bloc national » de conservateurs soucieux de « faire payer l’Allemagne ».
Par analogie avec les jeunes recrues militaires, les journalistes sportifs qui usent dans leur dithyrambe, de références guerrières, appellent souvent bleuets, les jeunes espoirs français dans l’attente d’être sélectionnés dans la grande équipe des Bleus.
Michèle Bernard, chanteuse trop méconnue, révélée au Printemps de Bourges, lauréate du Grand Prix de l’Académie du Disque Charles Cros, trousse de jolis vers avec sa verve antimilitariste :

« Sous les drapeaux, y a des tombes
Et des noms gravés
En souvenir des hécatombes
Des tas d’ fleurs fanées

Sous les drapeaux, y a des foules
Qui hurlent à la mort
À coups d’ ballon, à coups d’ boule
« C’est nous les plus forts ! »

 

Mais moi, j’aime par-dessus tout
Un drapeau de rien du tout
Qui s’ dresse tout seul dans les blés
Sans que l’ clairon l’ait sonné

 

Le bleuet, la marguerite et le coquelicot

 

C’est des p’tites fleurs franchouillardes
Même le Maréchal
S’en servait pour ses cocardes
C’est ça qui m’ fait mal… »

Au milieu des bombardements et des gaz de combat, les bleuets comme les coquelicots, continuent à fleurir dans la terre ravagée des tranchées. Seules notes de couleur dans la fange, témoignages de la vie qui continuait malgré l’horreur, les britanniques choisirent le coquelicot comme symbole du souvenir tandis que nos poilus adoptèrent le bleuet comme fleur de mémoire et de solidarité.
Dès 1916, deux femmes, Charlotte Maleterre, fille du général Niox, et Suzanne Lenhardt, infirmière, toutes deux travaillant à l’Hôtel des Invalides et émues par les atroces souffrances des grands blessés de la guerre, suggèrent de créer un atelier de confection de bleuets en tissu réalisés par les invalides eux-mêmes dont la vente permettra de recueillir des fonds à destination des mutilés. En octobre 1934, l’association Le Bleuet de France est officiellement créée. Depuis 1991, elle est sous la responsabilité de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de guerre et la petite fleur de tissu s’est métamorphosée en autocollant vendu dans toutes les communes de France lors des cérémonies du 8 mai et du 11 novembre.

« Quand il est mort le poète,
Le monde entier,
Le monde entier pleurait.

On enterra son étoile,
Dans un grand champ,
Dans un grand champ de blé.

Et c’est pour ça que l’on trouve,
Dans ce grand champ,
Dans ce grand champ, des bleuets. »

Longtemps avant Gilbert Bécaud, une légende grecque prétendait que la déesse Flore métamorphosa en bleuet, l’enfant poète Cyanos pour que tous se souviennent, après sa mort, de ses œuvres célébrant la nature.
Vite, européens écologistes, militez pour l’éradication des pesticides, fongicides et herbicides, tolérez juste l’enfouissement des étoiles de poètes dans les champs afin que les générations futures y gambadent, de nouveau, nos « petites fleurs franchouillardes » entre les dents!

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« … Épinglé au revers tendre
D’un amour nouveau
Le bleuet vient pour t’apprendre
Que le monde est beau

La marguerite est une reine
En peau de chagrin
En l’effeuillant, on s’entraîne
À souffrir demain

Trois gouttes de sang, c’est le drame
Amour, jalousie
Gentil coquelicot, Mesdames,
Faut payer le prix

Le bleuet, la marguerite et le coquelicot … »

 

 

Publié dans : Coups de coeur, Leçons de choses |le 10 juin, 2009 |2 Commentaires »

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2 Commentaires Commenter.

  1. le 26 juillet, 2009 à 20:05 Maryse écrit:

    Une très belle évocation de cette fleur des champs qui devient de plus en plus rare. Merci pour cet enrichissement encre violette… tes textes sont toujours aussi agréables à découvrir…

    Répondre

  2. le 26 septembre, 2009 à 8:17 cédrica écrit:

    Je trouve trop cool ce site surtout le texte; mais les poèmes on dirait qu’il y a plusieurs plantes.
    MERCI
    Cédrica

    Répondre

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