Le palet breton

Une indéfectible amitié de trente ans m’attire régulièrement en Bretagne lors d’un des ponts généreusement accordés pour fêter celui qui gît sur les mille et un calvaires, à la croisée des routes de la région … quoiqu’une « raffarinade » récente batte en brèche quelque peu la tradition, au nom d’une soi-disant solidarité.
Putain, 30 ans ! se lamentait le guignol d’un ancien président de la république suite à une trahison balladurienne . En ce qui nous concerne, même le lit du Couesnon qui a cocufié mon ami, du Mont-Saint-Michel, n’a réussi à altérer nos sentiments.
Ouf, quel préambule ! Depuis que je vous ai entretenu de Cavanna, la semaine dernière, je lui emprunte, par contagion, son style alambiqué … Et tout cela pour évoquer le palet breton, une tradition régionale de ma « Douce France » !
Lecteurs gourmands, ne vous léchez pas trop vite les babines, il ne s’agit pas du délicieux biscuit rond et doré, friable, rangé dans une boîte en fer sempiternellement décorée de coiffes et chapeaux ronds. Je ne me moque pas, j’en ramène également, la preuve !

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Percevez l’originalité du motif de l’emballage !
Quoique l’analogie morphologique soit indéniable, mon propos est le petit disque en fonte que les bretons aiment lancer, à la campagne comme à la ville, le dimanche lors des kermesses et pardons, ou après les repas familiaux.

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On retrouve des traces de jeux de palets en France dès le Moyen Âge. Ils portaient les noms poétiques de « franc du carreau », « au plus près du couteau », bouchonne, galoche, gâline, mère, mie, quilleboche.
Plus tard, dans le grand Ouest, une pierre ronde et plate jetée à même le sol des chemins, faisait office de palet.
Il existe, aujourd’hui, plusieurs déclinaisons régionales du jeu de palet breton selon le type de terrain et de cible utilisés.
En centre Bretagne, dans la région du Poher, vers Carhaix, bourg renommé pour son festival de musique des Vieilles charrues (avec cette année, Bruce Springsteen en ouverture !), on pratique le palet sur terre qui nécessite un tas de terre glaise légèrement en pente pour une bonne vision du jeu, en fait, le plus souvent, deux pour éviter une perte de temps en allers et retours ! Les joueurs doivent approcher leurs palets le plus près possible du « pinoë » peint en blanc et distant de 17 mètres. Une terre mouillée facilite le piquage du palet mais cela ne saurait être un problème dans cette région de crachin ! Je blague, bien sûr, il fait toujours beau en Bretagne !

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En Morbihan, dans la région de Pontivy, bien qu’en déclin avec la transformation du paysage rural, on joue encore au palet sur route. Deux cercles ou deux croix celtiques de 50 cm de diamètre, sont tracés sur la route à 15 mètres l’un de l’autre. Il s’agit ici de lancer le palet dans le cercle, le plus près possible du « petit » placé au centre de la cible.
Dans le Finistère sud, on s’émoustille volontiers au plaisir de la galoche bigouden qui, dussè-je vous décevoir, lecteurs coquins, ne constitue pas une variante bretonnante du « french kiss ». Entre palet et palais, se glisse toute la finesse de la langue française !
Les joueurs doivent, avec leurs palets ou « péioù », abattre la galoche, un cylindre de bois dur placé au centre d’une croix celtique, et s’approcher du « lipar », rondelle métallique posée sur la galoche.
Une variante dite galoche sur billot se pratique dans le petit Trégor, près de Morlaix, ainsi qu’en haute Cornouaille. Le but est de renverser avec le palet, la galoche placée au centre d’un billot de bois.
Non loin des monts d’Arrée, à Guerlesquin, chaque Mardi Gras, se dispute le championnat du monde de « bouloù pok ». Le palet ou boulou est une pièce de bois dans laquelle on coule du plomb et qu’on lime ensuite pour aplanir un côté. L’objectif est de jeter le boulou le plus près possible du « mestr », une boule de bois coupée aux deux tiers.
Trente années de pratique dans des jardins de Rennes et de Dinard (à raison d’un ou deux jours par an je vous le concède !) m’autorisent à vous dévoiler les subtilités du palet sur planche, jeu traditionnel phare du département d’Ille-et-Vilaine.
L’usage d’une planche en bois remonte à après la première guerre mondiale, avec le pavage puis le goudronnage des chaussées rurales. Dans un premier temps, on utilisa les plateaux des bascules communales pour la pesée des sacs de grain ou des bestiaux, ainsi que les panneaux des vieilles portes de fermes. On leur substitua par la suite, une planche facilement transportable permettant de jouer en plein air ou à l’intérieur selon l’incertitude du temps car vous savez désormais qu’il pleut deux fois par semaine en Bretagne !
Le « plancher », un carré de 70 cm de côté et 3 cm d’épaisseur, est constitué d’un bois tendre, hêtre ou peuplier, voire désormais d’une essence exotique. On en trouve dans les grandes surfaces de la région. Un excellent bricoleur pourra s’en fabriquer une en assemblant des panneaux de bois mais attention, le bois « joue ». Hors jeu, il est conseillé de tenir sa planche debout dans un endroit frais et légèrement humide ; par temps très sec (il paraît que cela arrive !), on humidifie la planche avec un sac en jute imbibé d’eau.
Il faut positionner le plancher sur un sol relativement plat de manière aussi à ce qu’on joue dans le sens du bois. En effet, si l’on lance à contresens, le palet accroche le bois et ne tient pas. Je ne suis pas persuadé cependant que cela soit la seule cause de ma maladresse récurrente ! Une consommation insuffisamment modérée de muscadet sur lie peu avant la compétition, peut nuire également à la précision du lancer.

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Le jeu de palet, tel qu’on le trouve dans le commerce, comprend une douzaine de disques numérotés de fonte et d’acier d’un diamètre maximum de 56 mm, d’environ 8 mm d’épaisseur, et pesant entre 135 et 150 grammes, ainsi qu’un « maître », un palet plus petit de 46 mm de diamètre et 5 mm d’épaisseur. Les bons « paletistes », soucieux de leur outil de jeu, les affûtent régulièrement à la meule pour que le palet « morde » mieux le bois, et les nettoient pour les préserver de la rouille. Il n’est pas rare à la campagne, qu’ils en gardent une paire au fond de la poche, à côté du Laguiole, en prévision d’une partie au hasard des rencontres dans le village ; ceci n’est pas envisageable pour les joueurs de pétanque !
Chez mon ami, soucieux malgré tout d’un soupçon de celtitude, les palets sont rangés dans une boîte de whisky pur malt hors d’âge !
La présentation du matériel faite, place au jeu ! Comme la lecture de Tintin, il convient à tous, garçons et filles, de 7 à 77 ans pour poursuivre agréablement un pique-nique ou un barbecue. Selon le nombre de convives, on peut constituer des équipes de deux ou trois voire organiser un mini tournoi où chacun s’affronte successivement.
La ligne de lancer est tracée à cinq mètres de la planche. La première difficulté survient dès le lancer du maître ; un joueur a droit à 3 tentatives pour placer le maître sur la planche ; en cas d’échec, c’est au tour de l’adversaire de jouer le maître. Chez les néophytes, l’exercice est d’ores et déjà délicat. Le joueur aguerri, par contre, avec perversité, tente de placer le maître près du bord de la planche ou dans un coin pour compliquer la tâche de l’adversaire.
Le joueur qui est parvenu à poser le maître, joue alors ses deux palets de manière à ce qu’ils s’immobilisent sur la planche le plus près possible du petit. Tout palet qui roule hors de la planche ou qui touche le sol avant d’atterrir sur le bois, est éliminé. C’est, ensuite, au camp adverse de lancer au moins deux palets jusqu’à ce qu’ « il domine », c’est-à-dire qu’il réussisse un jet encore plus proche du maître.

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La mène s’achève lorsque tous les palets ont été joués et on compte alors les points. La première équipe qui marque douze points, remporte la manche.
À ce propos, j’envisage de déposer une plainte auprès de la Fédération Française de Palets sur Planche Bois (ne riez pas, elle existe !) pour une interprétation abusive des règles lors de ma récente compétition dinardaise !!! Nous jouâmes les parties en treize points sans respecter le lancer de deux palets successifs. Or, même un normand sait qu’on estime le lancer « au bras » et non à l’œil ; on prend la mesure avec le premier palet et on rectifie le tir en lançant le second dans la foulée !
Le palet est lancé au choix à plat ou en piqué, en le tenant fermement entre le pouce et l’index, et en le calant en dessous avec le majeur.
Certains lancent à bras tendu avec un mouvement de balancier, d’autres jouent « à la rennaise » avec le bras cassé. Moi, je joue … comme je peux, « à la normande », un coup p’têt ben tendu, un coup p’têt ben cassé !
Les joueurs à la technique très affirmée, réussissent, comme les boulistes, des « carreaux » en éjectant le palet de l’adversaire, ou des « chapeaux » en recouvrant le maître avec leur palet.
« Cent fois sur le plancher, remettez votre palet » est le credo des débutants qui ressentent une forte frustration de ne pas réussir à immobiliser le disque de fonte sur le bois et d’être d’un piètre secours pour leurs équipiers. « Hêtre ou ne pas hêtre » telle est la question existentielle qui taraude le joueur de palet sur planche de bois !

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Très vite, on se pique au jeu commencé dans l’atmosphère conviviale de fin de repas. On chambre l’adversaire, on houspille l’équipier maladroit, on discute âprement en mesurant un point contesté. Les bretons voient d’un mauvais œil, les cousins normands et parisiens d’adoption, contester leur ancestrale suprématie, sur leurs propres terres ! Pour emprunter un des clichés éculés des journalistes sportifs, bientôt, l’enjeu prime sur le jeu ! Tout cela dans l’humour, la dérision et la plus parfaite amitié, bien évidemment !

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La pression faiblit un instant avec l’ouverture de quelques canettes de Coreff, la bière bretonne des marées. Pour être exact, déplorable délitement des traditions ou effet pervers secondaire de la mondialisation, cette année, nous eûmes droit à la bière Perlenbacher premium pils ! Au fond de la Bretagne bretonnante, dans les cours de fermes et devant les cafés, la bolée de cidre tirée de la barrique, rafraîchit encore les gosiers asséchés par les parties enflammées.
Dans les concours régionaux ou de pardons, divers trophées récompensent les équipes victorieuses. Dans nos joutes amicales, durant plusieurs années, un « superbe objet d’art » fut remis aux vainqueurs, en l’occurrence des nains de jardin en plâtre. La tradition cessa lorsque quelques présumés membres du FLNJ (Front de Libération des Nains de Jardin) s’en prirent aux statuettes !
Le palet breton est un jeu voire un sport (puisqu’on considère que la pétanque en est un), qui développe adresse et concentration dans un esprit festif. Il peut se pratiquer dans les cours d’école à côté des marelles. Il ne réclame aucun matériel onéreux et un terrain de fortune tel un coin de jardin suffit. Récemment, à l’occasion de la finale de la « Coupe de France de Bretagne » de football, les supporters de Rennes et de Guingamp, improvisèrent une vaste aire de jeu de palet sur l’esplanade du Stade de France.
Sans postuler encore au championnat de France qui réunit plusieurs centaines de doublettes, en juillet, à La Guerche de Bretagne, je compte bien, l’an prochain, fêter trente et un ans d’amitié en contestant l’hégémonie des joueurs de palet d’Ille-et-Vilaine. J’ai même découvert une association Paletistes dans la ville de Trappes, en Yvelines, sans doute à l’initiative d’une colonie bretonne. Attention, le jeu de palet breton sur planche de bois, s’internationalise !
Pour l’heure, il est temps de préparer le feu pour griller la galette saucisse !

 

 

 

Publié dans : Coups de coeur |le 3 juin, 2009 |5 Commentaires »

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5 Commentaires Commenter.

  1. le 3 juillet, 2009 à 20:46 CercleCeltique"SEIZ AVEL" écrit:

    1911 : La construction du dépôt de locomotives et de la gare de triage font de TRAPPES l’un des centres ferroviaires les plus importants de France et l’arrivéee d’une main d’oeuvre d’origine provinciale, essentiellement bretonne, permet à Trappes d’augmenter sa population et de devenir une cité cheminote.

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  2. le 25 mai, 2010 à 22:08 Dartois écrit:

    Saloute! Je voulais te demander si tu avais connaissance de plusieurs tournois annuel, ou des associations en Bretagne/ Morbihan/ Pays de Loire qui organisent ce genre d’évènement car nous sommes avec mon partenaire à la recherche de tournois pour cette été! Merci!

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  3. le 26 mai, 2010 à 9:18 encreviolette écrit:

    Allez sur le site de la FALSAB, la confédération des comités des sports et des jeux traditionnels de Bretagne et vous trouverez des calendriers de concours.

    http://www.falsab.com/

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  4. le 4 juillet, 2011 à 21:08 v2j écrit:

    Bonjour,

    Breton depuis déjà près de 30 ans, j’ai décidé aujourd’hui de me mettre au palet breton et c’est plus difficile que ça en a l’air. En effet, rien que le fait de mettre le maître sur la planche relève du miracle, mon amie a dû s’y reprendre à 15 fois :) (on ne savait pas que le max était 3).

    Belle explication, merci

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  5. le 27 avril, 2020 à 13:22 Ferré Marie écrit:

    Merci beaucoup pour ce rappel des règles
    Nous avions l’habitude de jouer juste un palet après avoir réussi à poser le mestre
    Dorénavant je rectifierai cela auprès de mes amis joueurs et buveurs et festoyeurs, nous en « placerons » deux d’affilée comme il se doit
    Bonne journée

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